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descriptionMiraculé [PV Victoria] EmptyMiraculé [PV Victoria]

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Décembre 1762


Il flottait. Ou bien il coulait. Son esprit éteint n’était plus soutenu par son corps défaillant. Son âme n’était rattachée à son enveloppe que par un unique fil impalpable qui s’effilait progressivement. Sa fin ne devait plus tarder. Sans aide, avec le sang qu’il perdait et les dommages internes, il n’avait aucune chance d’en réchapper. Il périrait bientôt, en silence, porté par les vagues qui léchaient sa silhouette sombre et aspiraient son fluide vital. Les ravages infligés témoignaient de la violence de l’agression. Pourtant, il semblait bien qu’il devait en avoir, de la chance, pour une fois. Inconscient, l’immaculé fut ramené vers le rivage à la faveur de la lune pâle et gibbeuse transformant les flots en argent luisant. Son être défait fut déposé sur une plage de sable fin, parmi les débris brassés par la mer, sans jamais qu’il ne revienne à lui, son âme voguant déjà vers de lointaines portes psychiques. Plus mort que vif, il ressemblait à un cadavre de naufragé dont les habitants de la mer auraient déjà prélevé leur dû. Mais la vie, une faible vie, palpitait encore en lui. Une vie que la main bienfaitrice d’un Baptistrel vint nourrir et panser, lui redonnant force et vivacité, effaçant une grande partie des terribles sévices qu’on lui avait infligé. Ses membres disparus repoussèrent, les plaies béantes dans sa chair et ses organes furent résorbées et ressoudées, le sang revint couler dans ses veines, les muscles retrouvèrent leur intégrité, les nerfs leur complexité. Lentement, la lumineuse présence détourna son âme de la porte de Mort pour la guider vers son corps. Cela prit des heures, tant il avait été violenté, mais lorsque le Cawr en eut fini, il était de nouveau entier, simplement choqué et épuisé, baignant dans une inconscience merveilleuse le préservant de souffrances supplémentaires. Et il fallut encore de nombreuses heures avant qu’il ne revienne à lui, ayant encore l’impression diffuse de flotter.

Lentement, son esprit revint prendre possession de ses membres. Il commença à ressentir la lourdeur de ses bras, une légère crampe sur une jambe, ses yeux qui piquaient… lentement, il exhala, parcourut d’un frisson, faisant bouger une main, tournant sensiblement la tête sur le côté. La couche était profonde et confortable, il était agréablement tiède, juste ce qu’il fallait, et la sensation des draps, douce, l’incitait à s’apaiser et à dormir. Et Teotl aurait volontiers succombé à ce besoin, à cet appel à la langueur, au repos, si son esprit, en s’extrayant des limbes, n’avait trouvé très étrange ce soudain bien-être. Ses derniers souvenirs ne collaient pas avec la situation dans laquelle il avait l’impression de se trouver. Il avait été trompé lors d’une mission, on lui avait demandé de tuer quelqu’un sans lui dire la vérité, on avait voulu le tuer. Le Souffle, ou du moins ce qu’il en restait. On l’avait envoyé à la mort volontairement face à un adversaire qu’il ne pouvait pas vaincre. Le rappel chassa la tiédeur délicieuse de son corps et tendit ses nerfs. Quel idiot ! Il n’avait aucune idée de comment il avait réussi à rester en vie, mais c’était un miracle qu’il ne méritait pas ! C’était du travail bâclé et de la pure stupidité de sa part. Pourtant, il n’était normalement pas aussi naïf et facile à manipuler. Cette erreur lui avait coûté terriblement cher et aurait dû mettre un point final à son existence. D’ailleurs, comment se faisait-il qu’il ne soit pas décédé ? Ou alors il l’était et le royaume de Mort ressemblait beaucoup au leur. Clignant des yeux une fois, deux fois, il soupira finalement de frustration. On lui avait retiré son bandeau. Aveugle, il tâcha d’écouter et de sentir, à défaut de pouvoir voir son entourage. Une puissance odeur astringente lui parvenait de plusieurs mètres devant lui et une autre odeur, entêtante et sucrée, se trouvait beaucoup plus proche de lui. Aucun fumet d’acier, de sang ou de magie.

Il entendait distinctement deux cœurs battre dans la nuit de sa vision. Le moins stable des deux était aussi le plus proche. Lentement, il tourna la tête du côté du son qu’il produisait. Depuis l’instant où il avait repris connaissance, on n’avait pas essayé de le tuer, ou de le torturer, ou de l’interroger. Et les odeurs ne le portaient pas à croire qu’il se trouvait aux mains d’une quelconque forme de puissance militaire. Cela ne l’informait pas sur le lieu ni l’identité de ces personnes, mais il pouvait peut-être en tirer comme conclusion qu’il était en présence de proies plutôt que de prédateurs. Ses récents déboires l’invitaient néanmoins à jouer finement de peur de se tromper. Se redressant lentement, sans mouvements brusques, il chercha de la main à trouver le bord de ce qui devait être un lit quelconque puis, l’ayant trouvé, laissa reposer ses doigts dessus, sans rien faire d’autre. Si réaction il y avait eut, elle n’était pas violente.

« Où suis-je ? »

Sa voix était paisible, douce et chantante, chaude tout en se montrant hésitante et curieuse, volontairement vulnérable. Hors de question d’avoir l’air plus menaçant que ce que son équipement pouvait montrer. Jusqu’à preuve du contraire, il était un pauvre miraculé en convalescence. Arborant une expression perturbée et attentive, il tourna la tête davantage dans la direction de ce petit cœur qui battait près de lui et leva vaguement une main dans cette direction, avec force lenteur pour éviter qu’on la lui coupe. De nouveau. Un instant, il eut l’impression que le petit cœur ratait un battement. L’idée l’amusa, mais il ne baissa pas sa garde pour autant. Plutôt que de paraître en trop bonne forme, il se rallongea, mimant de subtils signaux de fatigue correspondant à un blessé en rémission. Peu importait les miracles de réparation qu’il semblait avoir subi, il pouvait toujours jouer le choc et le contre coup.

« Que s’est-il passé ? »

Aller, avec un peu de bonne volonté, c’était le moment où les langues se déliaient…

descriptionMiraculé [PV Victoria] EmptyRe: Miraculé [PV Victoria]

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L'île Lunorfraie pouvait se voir au delà des vagues en cette nuit clair, sans aucun nuage pour cacher l'épaisse lune penchée sur les flots turquoises de cette région tropicale. Il n'y avait pas même une heure de frégate pour rejoindre l'autre rivage et les eaux calmes permettaient un voyage paisible, sans accrocs. Les plages de sable blancs étaient semblables et l'on retrouvait les même palmiers, cocotiers et herbes folles piquées de larges fleurs odorantes. Cette île, toutefois, était bien plus petite car elle ne faisait pas même la moitié de Lunorfraie et ne possédait pas de source d'eau potable ou d'autres atouts intéressants si ce n'était son paysage tout droit sortit d'un rêve. Au final, il ne s'agissait que d''une halte pour la jeune Princesse Kohan avant qu'elle ne rentre à Sélénia. Suite au  mariage des dragonnières, elle n'avait pas eut le cœur à confronter le climat hivernal de Calastin et avait ainsi donc jeté son dévolu sur cette parcelle de terre inhabitée. La seule crique de l'îlot, étroite avec ses basses falaises effondrées, abritait la fière silhouette d'une frégate se balançant au rythme indolent des vagues. Sur ses ponts, l'on pouvait voir les silhouettes de l'équipage se découper à la lueur ambrée des lanternes.

Les hibiscus et bougainvilliers murmuraient sous la brise tiède tandis que les oiseaux nocturnes lançaient des trilles solitaires à la face des étoiles clignotantes. La jeune fille, incapable de trouver le sommeil, marchait pieds nus sur le sable mouillé, esquivant de quelques bonds graciles les vagues qui venaient parfois à lécher de trop près ses talons d'une écume foisonnante. Seule sur l'île à l'exception d'un Cawr, de sa meilleure dame de compagnie et de quelques serviteurs, elle pouvait se laisser doucement à rêver sous le clair de lune. Les soldats désignés à sa protection étaient confinés sur la frégate, loin de son regard, comme elle l'avait exigé dans ce qui passa pour un nouveau caprice. En réalité, elle désirait se ressourcer loin des tensions de la Cour et de ses responsabilités. Fraîche de ses quinze printemps, elle voulait simplement jouer les exploratrices et s'amuser en mettant à bas les masques de courtoisie, les leçons d'étiquette et la raideur conventionnelle des relations de noblesse. Elle voulait garder ses cheveux lâchés, piqués de fleurs de tiaré. Elle voulait porter de robes légères, à bretelles et dentelles, danser le soir autour d'un feu sur le son d'un tambourin. Elle voulait manger du poisson grillé, boire de l'eau de coco et savourer des fruits exotiques à même les branches.

Lucinda marchait à quelques pas derrière elle, tenant au creux du coude un large panier qui contenait une fine couverture, plusieurs coquillages cueillis tantôt, une outre d'eau et quelques pains briochés fourrés de marmelade pour un possible goûter nocturne. A peine plus âgée que la princesse, elles étaient des cousines éloignées et se connaissaient depuis de longues années. Elle était la confidente et l'une des rares amies que Victoria pouvait compter dans son entourage. Elle lui servait aussi de double lors des instances délicates en public, car leur légère ressemblance pouvait tromper les yeux peu avertis et il suffisait d'un sort ou d'un maquillage habiles pour tromper le reste du monde. Toutes deux blondes, toutes deux sveltes, seulement l'une brillait d'une beauté héritée de sa mère tandis que l'autre, plus humble, charmait toutefois bien des cœurs. Complices, il était tout à fait naturel qu'elles se soient échappées à la surveillance du personnel et se retrouvent en cet instant à quelques mètres des mangroves.

La forêt, hérissée sur ses longues racines enchevêtrées, coupait la ligne d’horizon de son feuillage clairsemé. Le sable doux devenait roches et corail noir compact dont les larges alvéoles contenaient les restes d'une précédente marée, piégeant ainsi petits crustacés et poissons transparents. Si l'îlot n'était pas bien grand et formait vaguement un 8, il possédait dans chacun de ses creux, dos à dos, la crique étroite et sa mangrove. L'eau, filtrée et rendue limpide par la barrière végétale, s'écoulait ensuite dans l'étroite gorge en une succession de petites cascades pour former le bassin au bleu lagon. C'était à la jonction de ces deux régions que Victoria voulait s'installer pour le reste de la nuit et profiter de la vue. Ses plans, malheureusement, ne tournèrent pas tout à fait comme elle l'avait prévu. Là, dans un enchevêtrement de racines particulièrement dense, elle remarqua une étrange silhouette. Son cœur se mit à battre plus vite, ses paumes se firent moites alors que ses doigts s'engourdissaient d'un froid qui crispa son estomac. Si ses yeux ne parvenaient pas encore à déchiffrer ce qu'ils voyaient, son instinct le présentait et il lui hurlait de tourner les talons pour ne plus regarder ce qu'il se trouvait là bas.

Ce fut le cri horrifié de Lucinda qui la tira de sa transe et l'adolescente compris enfin ce qu'elle voyait : un cadavre. Fut un temps, il devait s'agir d'un homme, mais il ne restait de lui plus grand chose pour l'appeler ainsi sans se mentir. Recraché par l'océan, il lui manquait ici un bras, coupé net à hauteur du coude alors qu'une de ses jambes ne se pliait pas dans le bon sens. Plusieurs grandes lacérations marbraient le reste de son corps rompu, macérant dans une eau rougeâtre alors que le sang ne cessait de s’épandre. Le cri s'arrêta brusquement lorsque sa dame de compagnie, en hyperventilation, tomba dans les pommes avec un bruit sourd qui fit sursauter Victoria. Se tournant vers cette dernière, elle l'observa sans comprendre, puis sentit une sueur froide lui couler dans le dos alors qu'elle revenait inexorablement sur le corps mutilé. Un pas après l'autre, elle s'en rapprocha et alors qu'elle retroussait le bas de sa robe pour ne pas la mouiller dans l'eau peu profonde, la princesse se surprit à tendre une main vers la gorge du noyé. Elle avait vu nombre de cadavres lorsqu'elle était plus jeune et chacune de ces scènes la hantait toujours lors de ses pires cauchemars. Une seule chose restait après ses réveils en sueur ; le remord de n'avoir jamais rien pu faire pour ces braves tombés en la protégeant... ou du moins, en essayant.

« - Par tous les Dieux ! Il est encore vivant !? »

Ses doigts sentaient un pouls sous la peau froide. Irrégulier, faible, mais bien présent. Des larmes de soulagement envahirent les grands yeux bleus de la jeune fille qui lâcha sa robe et tomba à genoux près du corps pour l'enserrer dans ses bras graciles. Elle ne voulait pas que celui-ci meurt ! Elle ne se le pardonnerait jamais. Qu'importait ce qu'il était ou qui il était ; elle voulait faire la différence en cet instant précis. D'une profonde inspiration tremblante, Victoria tenta de retrouver son calme et entama quelques soins d'urgence. Elle utilisa une Cautérisation sur les membres amputés pour cesser le flot carmin, puis passa une Lumière Apaisante sur les plaies les plus profondes afin d'au moins réparer les artères. Cela lui prit de longues minutes et lorsqu'elle termina, sa vision était désormais floue de fatigue et non plus de larmes. Le teint livide et les yeux cernés, ses doigts tremblaient alors qu'elle attrapait l'homme sous les aisselles pour le hisser sur la berge. Durant cet épuisant exercice, ses pieds glissèrent plusieurs fois sur le corail spongieux et la digne princesse tomba avec pour chaque heurt un petit couinement indigné. A bout de souffle, échevelée, elle tourna son attention sur la forme allongée à quelques pas.

« - Lucindaaa ? Ho, mais quelle bécasse... Réveille toi ! Allons, Lucinda ! »

Une paire de gifles fut suffisante pour sortir son amie de son inconscience et elle la hissa aussitôt, sans aucune douceur, en position debout. La princesse lui ordonna d'aller prévenir le Cawr qu'ils avaient un blessé grave afin qu'ils préparent aussitôt de quoi le recevoir et le remettre sur pied. Elle interdit formellement que l'on prévienne sa garde, ne voulant pas voir ces brutes en armure souiller son refuge et argua que dans son état actuel, leur mystérieux blessé ne pourrait causer aucun mal. Laissée seule avec ce dernier, elle regarda la frêle silhouette disparaître dans la jungle clairsemée, puis soupira lourdement et se tourna vers l'inconnu. Sous le clair de lune, allongé dans le sable blanc, elle le découvrit pour la seconde fois et sentit son cœur se serrer d'un émois nouveau. Elle s'approcha à pas mesurés et se mit à genoux pour tirer l'étrange bandeau qui couvrait ses yeux. Un petit hoquet lui échappa à la vue de ce visage superbe et un petit fourmillement gagna le creux de son ventre alors qu'elle portait les mains à ses lèvres et rougissait jusqu'à la pointe de ses oreilles. Jamais elle n'avait vu homme aussi beau et qu'il soit dans un état aussi vulnérable, dans un abandon total entre ses mains, venait remuer en elle un instinct qu'elle s'ignorait.

Il lui fallu un gros effort de volonté pour s'arracher à la contemplation de l'inconnu et elle se releva promptement. Une fois sur ses pieds, Victoria se tapota les joues et vint rassembler sa concentration pour faire usage de Télékinésie afin de soulever le corps brisé et l'emporter à sa suite jusqu'à ses quartiers. Il s'agissait d'une petite villa en rondins, construite en quelques jours seulement par ses serviteurs. Elle se composait d'un salon ouvert sur deux côtés en des patios agrémentés pour l'un d'un brasero pour les grillades et de l'autre d'une table avec ses bancs. La seconde pièce était sa chambre, séparée par des cloisons insonorisées d'une double épaisseur et dont les fenêtres rondes se couvraient de voiles opalescents charriés par la brise iodée. La dernière pièce était, enfin, une salle d'eau avec une large bassine et un astucieux système de distribution pour récolter l'eau de pluie dans un réservoir. Les serviteurs dormaient dans des tentes, un peu plus loin alors que le Cawr profitait simplement d'un hamac dans le salon, aimant à voir et entendre la nature qui l'entourait, ses résonances et ses secrets. Naturellement, Lucinda dormait avec elle et quittait rarement ses côtés.

Lorsqu'elle arriva, ce fut par la jungle éparse, ayant préféré un détour plutôt que de risquer d'être vue depuis la frégate si elle avait continué de longer la plage. Épuisée par toute sa dépense d'énergie, elle laissa le baptistrel récupérer le blessé pour l'allonger sur la table du patio le temps d'effectuer ses soins. Un long et fastidieux travaille l'attendait, lui qui n'était pas un chanteciel. La princesse, quant à elle, préféra se retirer d'abord dans la pièce adjacente pour s'offrir le luxe d'une longue douche fraîche où elle lava son corps du sel, du sang et du sable accumulés. Elle laissa sa dame de compagnie lui passer de l'huile d'argan sur le corps en un long massage qui l'aida à se détendre, puis elles gagnèrent toutes deux sa chambre pour y dormir quelques heures. La magie baptistrel lui était aussi nébuleuse qu'incompréhensible, sans parler du spectacle écœurant des os et des muscles qui se reformaient à vue d’œil lorsqu'il fut question de reconstruire les membres tranchés. Le soleil se leva rapidement et il brillait au sommet de son axe lorsque le Cawr acheva finalement ses soins. Totalement épuisé, il s'effondra dans les coussins qui entouraient le brasero du second pation afin de trouver là un repos bien mérité. Victoria fit appel à ses serviteurs pour transporter l'homme dans sa chambre afin de l'allonger dans son lit et lui permettre un sommeil réparateur, puis les congédia en leur interdisant de s'approcher de la villa sans son autorisation.

Entièrement dévêtu, l'inconnu n'avait qu'un pagne de lin blanc serré à ses hanches. Avec beaucoup de douceur et de patience, la princesse passa un linge mouillé sur la peau sombre, lavant les restes de sang et de sueur. Elle découvrit ainsi qu'il était un Immaculé, mais elle fut incapable de dire s'il était un shedim ou un nywim. Il portait les veinules cuivrées propre à sa race, semblables à des tatouages qui couvraient son torse, ses cuisses et ses bras. Sa beauté à couper le souffle devait trouver ses origines chez les elfes, mais ses oreilles rondes tendaient à l'apparenter aux humains. N'osant toucher ses lèvres pour voir s'il avait des crocs, Victoria fut forcée de museler sa curiosité et d'attendre qu'il se réveille pour obtenir de quelconques réponses. La vue de sa queue de scorpion la rebuta et il lui fallu tout son courage pour qu'elle ose y toucher et apporter à l'appendice les mêmes soins qu'au reste du corps divinement musclé. Par précaution, elle enferma le dard mortel dans un chiffon qu'elle noua d'un ruban afin qu'il ne pique personne par inadvertance. Lorsque la toilette du saînmur fut terminée, Victoria le borda d'une couverture et s'occupa ensuite de ses affaires. Lucinda l'aida à faire le tri et s'arrêta lorsqu'elle trouva plusieurs couteaux et autres lames dissimulées dans les nombreuses coutures de l'armure endommagée.

« - Victoria... toutes ces armes ! N'est-ce pas la preuve qu'il s'agit d'un éclaireur ennemi... ou pire ; d'un assassin !? Nous devons appeler la Garde pour le faire surveiller ! Il est trop dangereux de rester seules avec...
- Peut-être. Mais je ne sais pas. Je... je ne peux pas me résoudre à l'abandonner sans entendre d'abord ce qu'il aurait à me dire pour sa défense. Et s'il s'agissait d'un malentendu ? Juger sur les apparences et les apparences seulement est trop simple. Trop creux comme argument valable. »

Ce n'était que des excuses. En réalité, elle ne pouvait simplement pas se résigner à abandonner cet homme. Son cœur se serrait à cette simple pensée et alors qu'elle coulait un regard vers le lit et que ses joues chauffaient légèrement à la vue du corps allongé, elle remarqua aussi combien son amie se tordait les doigts d'une angoisse sourde. Avec un petit froncement délicat des sourcils, elle prit sa décision. Si elle laissait cette idiote s'affoler davantage, sa précieuse île allait bientôt grouiller de Gardes, qu'elle le veuille ou pas. Pinçant des lèvres l'espace d'un instant, elle peignit rapidement un masque de calme sur son visage alors qu'elle commençait à fredonner de sa voix cristalline tout en poursuivant le tri et l'arrangement des affaires de leur blessé inconnu. Déployant les charmes de son Esprit Paon dans chacune de ses notes limpides, ce fut sans surprise que la princesse entendit Lucinda partir s'allonger au bout de quelques minutes et se plonger dans un profond sommeil. Fouillant sa malle sans fond, elle dénicha une cordelette de soie et lui attacha solidement les chevilles afin d'éviter toute prise d'action à l'encontre de ses désirs. Ce faisant, Victoria se promit de se faire pardonner en lui offrant, une fois à Sélénia, tout ce qu'elle désirerait.

Les heures suivantes furent une longue et agonisante attente. Ayant terminé de restaurer ce qu'elle pouvait dans les affaires du naufragé, l'adolescente s'était ensuite installée près du lit pour ne pas manquer son réveil. Les armes étaient affûtées et mises au fourreau, le fouet graissé et les étranges gantelets soigneusement enroulés dans un épais foulard après avoir été rincés du sable et de l'eau iodée qui pourraient endommager leurs délicats mécanismes. Le bandeau avait été lavé, séché et les attaches recousues avec grand soin de sorte à ne pas endommager le complexe glyphage qui couvrait son cuir raffiné. Ces tâches complétées, Victoria se retrouva oisive et décida alors de commencer une broderie sur du lin blanc cassé. Sous ses doigts graciles qui passaient d'un côté à l'autre du tambour, un scorpion en fils d'or naissait progressivement au cœur d'une gerbes d'hibiscus carmins. La symbolique l'amusa le temps qu'il fallu au rescapé de revenir d'entre les bras de Mort et de se réveiller parmi les vivants.

Aux légers bruissements du corps allongé, la jeune fille posa son matériel et se redressa sur les genoux. Son petit cœur se mit à battre à la façon d'un oisillon alors que ses grands yeux fixaient l'homme sans qu'aucun mot ne parvienne à franchir ses lèvres. Soudain, sa gorge lui semblait plus sèche que les déserts de Keet-Tiamat et ses mains tremblaient légèrement alors qu'elle crispait les phalanges au niveau de son bustier. Ils étaient seuls dans la chambre, car Lucinda dormait toujours profondément dans un coin tandis que le Cawr devait probablement faire de même sur le patio, à quelques dizaines de mètres. Elle pu enfin voir les traits racés s'animer, les muscles nerveux rouler sous la peau sombre et la haute silhouette se dresser en position assise. Son cœur fit un petit bond, saisit en plein vol par la richesse de cette voix qui lui coula sur les sens comme une caresse chaude, une fourrure qui s'enroula au creux de ses tripes et crispa son bas ventre. Les joues de la princesse chauffèrent brusquement et elle remercia, égoïstement, que l'autre soit aveugle car elle était totalement défaite sur l'instant. L'indécence de cette situation la frappa soudain et elle détourna la tête, regrettant de ne pas avoir mieux habillé l'homme quand il était encore inconscient. Pas le moins du monde habituée à la quasi nudité masculine, elle vint glisser une boucle de cheveux derrière son oreille alors qu'elle baissait le nez avec un petit sourire gêné.

« - Tout va bien... vous êtes sauf ici. »

Sa voix fut un murmure à la douceur tendre et sincère, vibrante, magnétique sous l'influence involontaire du Paon. Avec une petite inspiration et une bonne paire de gifles mentales, Victoria parvint à se lever, accompagnée du froissement soyeux de sa robe. Ses genoux étaient encore un peu faibles, mais elle approcha tout de même du lit après que l'inconnu se soit rallongé. Sur la table de chevet, il y avait une vasque contenant une eau clair ainsi qu'un  linge qu'elle humidifia. Ses mouvements étaient lents et elle veillait à faire un peu plus de bruit que de nécessaire pour qu'il puisse entendre et reconnaître ses actions. Essorant le linge, l'adolescente posa une main sur le bord du lit et se pencha pour venir tamponner le front et les joues de l'homme, dégageant son visage de quelques mèches importunes.

« - Je vous ai trouvé la nuit dernière dans la mangrove, rejeté par les flots, bloqué dans les racines. Vous étiez grièvement blessé, pratiquement embrassé par l'étreinte glacée de Mort. Heureusement, Vie ne semblait pas satisfaite de la situation et vous aura jalousement gardée parmi nous. »

La dernière caresse du linge frais resta plus longtemps que nécessaire sur l'arrondi d'une mâchoire alors que Victoria se perdait encore dans la contemplation de son visage. Lorsqu'elle le réalisa, son cœur bondit une fois encore et elle se redressa en rougissant. Heureusement, elle parvint à contrôler sa voix alors qu'elle poursuivait :

« - Je vous ai apporté les premiers soins, mais je ne pouvais malheureusement pas faire beaucoup plus. Alors je vous ai ramené ici et le Cawr qui m'accompagne aura fait le reste. Votre opération dura de nombreuses heures et votre convalescence bien d'autres encore. Le soleil est déjà en train de se coucher. »

Laissant le linge tremper dans la vasque, elle attrapa le bandeau de cuir et le lui glissa dans une main pour qu'il se l'habille lui-même. La princesse craignait de s'affoler encore si elle le touchait plus que de nécessaire, car déjà sa vue et le timbre de sa voix la mettaient dans un émoi troublant, presque incapacitant. Intérieurement, elle se morigéna d'être aussi vulgaire et renforça sa volonté pour ne plus se trahir comme une petite bécasse impressionnable. Forte de sa nouvelle résolution, elle s'écarta du lit afin de récupérer sur une commode proche de la porte un plateau qui contenait une cruche d'hypocras coupé à l'eau, de fruits fraîchement cueillis et épluchés, puis découpés en cubes de la taille d'une bouchée. Revenant près du lit, elle déposa le tout aux côtés de l'homme et s'installa sur le bord, à distance raisonnable. Non pas qu'elle ait forcément peur, mais elle voulait lui offrir autant d'intimité et de convenance que la situation actuelle le permettait.

« - Êtes-vous capable de voir à présent ? »

Elle pencha légèrement la tête, curieuse de la réponse et de pouvoir enfin savoir si ses spéculations sur le bandeau étaient justes. Pourquoi en porterait-il un si ce n'était pour compenser son handicape ? La princesse, quant à elle, avait ses longs cheveux tressés par dessus une épaule frêle et à chaque croisement de ses mèches blondes, plusieurs fleurs de tiarés étaient piqués par de petites broches. Sa robe ample possédait de larges bretelles de dentelles, laissant ses bras nus et était d'un blanc parsemé de motifs brodés en un dégradé de bleu depuis sa taille svelte jusqu'au bas ourlé de plusieurs rangées en dentelles fines. Le bustier, d'un blanc crème, rehaussait une gorge gracile et s'ornait de petites perles nacrées sur son contour. Un châle vaporeux, ici aussi agrémenté de perles à chacun de ses angles, tombait lâchement au creux de ses coudes, couvrant un dos dénudé à la peau délicieusement colorée par le soleil tropical. Victoria sentait le sable, l'argan et la tiaré alors qu'elle désignait le plateau d'un ample et gracieux mouvement.

« - C'est pour vous, je vous en pris. Vous devez avoir faim. Il y a aussi de l'eau infusée de citronnelle, si vous la préférez au vin. »

Elle espérait simplement qu'il ne s'agisse pas d'un vampire où elle risquait d'avoir quelques difficultés à étancher ce genre d'appétit. Silencieuse, elle croisa les mains sur ses genoux en une posture élégante d'attente docile, puis vint à demander :

« - Ne forcez pas et prenez votre temps. Vous revenez de loin et nous avons tout le temps qu'il faut. Cette île est calme et je n'y réside que temporairement. Oh, la jeune fille dans le coin s'appelle Lucinda... ne lui prêtez pas d'attention, elle dort depuis des heures maintenant et je m'assure qu'elle continue tout le temps qu'il nous faudra. »

Elle eut un beau sourire qui plissa ses yeux céruléens et vint à nouveau chasser une petite mèche derrière son oreille.

« - Puis-je connaître votre nom ? Pour ma part, vous pouvez m'appeler Vi... Violette. »

L'adolescente ne voulait pas de son titre, ni de sa véritable identité. Elle voulait rester encore un petit peu libre, faisant fi du danger que cela représentait, loin de considérer le périlleux de sa situation actuelle. Elle était encore jeune et déjà usée par les hautes sphères de la cruelle noblesse Sélénienne. Si usée, d'ailleurs, que jouer cette scène lui semblait une activité plus fraîche et agréable que son bon sens lui soufflait.

descriptionMiraculé [PV Victoria] EmptyRe: Miraculé [PV Victoria]

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Une voix féminine, douce mais subtile, vint chatouiller son audition délicate et aussitôt, il tourna légèrement la tête dans sa direction, curieux et attentif. C'était une belle voix, fraîche de jeunesse, à la diction exemplaire qui trahissait une naissance aisée et saupoudrée d'une pincée de quelque chose de mystérieux, une rythmique qui le berçait et caressait ses nerfs engourdis et mit à rude épreuve. En temps normal, l'influence ne l'aurait sans doute qu'effleuré, mais dans son état de dénuement présent, il contempla avec un sincère besoin l'idée de se rendormir, de profiter de cette mélopée pour voguer sur le flot apaisant du repos. Y résister lui coûta réellement, l'obligeant à s'accrocher à ses sens lorsqu'il n'avait qu'une envie : se laisser couler. Le lit était tiède, les draps doux, l'air silencieux et sans tension. Dormir aurait été simple, aisé et moins difficile. Mais il ne pouvait pas se le permettre. Il devait comprendre ce qui s'était passé, où il avait été emporté et qui était la personne qui se tenait près de lui. Le froissement de tissu et le mouvement d'air d'un corps qui bougeait lui indiquèrent que la femme bougeait. Du lin, ou du coton, un tissu léger, souple, typique des températures de cette partie de l'Archipel. Son attention restait rivée sur l'inconnue, suivant ce qu'il pouvait entendre d'elle, sentir d'elle, appréciant très peu d'être ainsi sans défense en raison de sa cécité. Fut un temps, il avait l'habitude de ce handicape, aujourd'hui, il était moins affirmé dans sa façon d'y pallier, car le glyphe de son bandeau remplaçait souvent la nuit éternelle de ses mires. Ce n'était pas une bonne chose, se disait-il distraitement, la tête à demi tournée vers le bruit d'un linge qu'on essorait, oscillant légèrement, comme celle d'un serpent. Ce n'était pas une bonne chose qu'il se repose sur quelque chose qui pouvait lui être retiré aisément. Mais à bien y réfléchir, il allait avoir beaucoup de choses à revoir dans sa conduite générale s'il désirait survivre.

Le contacte du linge frais sur sa peau fut appréciable et l'aida à rester éveillé. Il remercia sa bienfaitrice dans un souffle, et la laissa faire, humant davantage son parfum, et écoutant ce qu'elle lui transmettait. L'apparente foi de son interlocutrice attira un sourire à ses lèvres et lui-même, dans l'intimité de son esprit, remercia Vie de ne pas l'avoir abandonné. Cela faisait donc une journée complète qu'il avait perdu connaissance. Et il était encore en vie. Soit cette femme était d'une puissance quelconque pour le protéger, soit la dragonnière avait perdue sa trace. Il espérait que la seconde solution soit la bonne, mais en bon pessimiste, il préférait tabler sur la première, histoire d'être certain de ne pas être déçu. Il devait se préparer au pire mais pour couvrir tous les tableaux, il ne devait pas alerter celle qui s'occupait de lui. Jouer les patients modèles était un choix aisé en attendant d'en savoir davantage encore, mais fort heureusement, elle semblait plutôt bavarde. Il ne devrait guère avoir de problèmes pour lui soutirer tout ce qu'elle savait. Qui avait dit un jour qu'une femme modèle devait rester muette était un imbécile. Pourtant, il déchanta rapidement. Un Cawr ? Qu'il était stupide, oui forcément, un Cawr, personne d'autre n'aurait pu faire repousser ses membres et le tirer des portes de Mort. Mais ça ne l'arrangeait pas vraiment car le chanteur avait forcément écouté son chant-nom et savait donc non seulement qui il était, mais aussi ce qui lui était arrivé. Il n'allait pas pouvoir laisser cette menace sur pattes quitter les lieux en vie. Ce n'était pas vraiment dans ses plans que d'assassiner un maître barde, surtout s'il désirait retourner voir sa fille au Domaine, mais il ne pouvait pas non plus lui permettre de vivre après avoir apprit ce qu'il était venu faire dans cette partie du monde. La dragonnière pensait sans doute l'avoir éliminé et il désirait que cela reste ainsi.

Alors quoi ? Le mieux serait sans doute d'attendre avant de l'éliminer, que le petit oiseau qui pépiait agréablement près de lui ne soit pas là pour y assister. S'il voulait rester un frêle rescapé à ses yeux, tuer un des douze maîtres de l'Ordre sacré n'était pas très indiqué.

« Vous avez tout ma gratitude pour votre aide »

La fatigue laçait le ton de sa voix, mais la chaleur était bien là, la reconnaissance vibrante d'une fausse sincérité. Ce qui était amusant, en soit, c'était qu'il était vraiment reconnaissant. Mais il ne l'aurait jamais présenté ainsi s'il n'avait pas eut besoin de l'amadouer.

Retrouver son bandeau fut un amélioration conséquente de sa situation, et aussitôt le cuir enserrait-il son visage que les images apparaissaient, comme s'il avait subitement ouvert les yeux après les avoir gardé fermés. La vision le fut expirer profondément. Nul être bien portant ne pouvait comprendre ce que c'était, que de vivre dans le noir absolut en permanence, à imaginer le monde de la vision, à se l'entendre décrire alors qu'il n'existait pas pour soi. Et quel étrange destin que de devoir se couvrir les yeux pour s'accorder la vision. Mais c'était sa vie à lui. Pendant plusieurs longues minutes, il se laissa porter, s'habituant de nouveau à ce sens corrigé magiquement, lui donnant le temps de revenir et de prendre sa place. Il pu ainsi observer le lieu dans lequel il reposait, humble, pas vraiment ce à quoi il s'était attendu s'il se fiait à la diction de la fille. Il y avait une certaine richesse, cependant, qui médisait sa première impression. Mais cette ambiance en demi-tons l'incitait plus encore à la méfiance et à la prudence. Tournant la tête sur le côté, il vint jauger dans la plus parfaite furtivité de sa bienfaitrice. Elle était jolie, pour une humaine. Très jolie même, fraîche et jeune, la vie ne l'avait pas encore usée et l'avait gâtée d'une certaine prestance. Aux yeux des humains, elle devait même être très belle, bien plus que la moyenne et il était évident qu'elle avait une vie protégée. Et l'ombre rosée sur ses genoux était très amusante à contempler. Ainsi, il avait déjà les griffes plus accrochées qu'il ne croyait ? Fort bien, ça ne serait ni la première, ni la dernière fois qu'il userait de son physique pour avoir ce qu'il voulait. Ce n'était pas de sa faute à lui si ces idiotes s'arrêtait à son visage. Combien en avait-il dévoré ainsi ? Mais il ne comptait pas dévorer celle-ci. Pas encore, sans doute. Il avait d'autres projets.

Son bref instant de réflexion fut interrompu lorsque l'humaine apporta un plateau contenant des vivres, manquant lui arracher un sourire. Ce n'était pas souvent qu'il était le receveur des attentions, en général c'était lui qui les prodiguait. Mais ce n'était pas déplaisant, pour une fois… si on omettait qu'il avait peut-être une dragonnière folle aux talons.

« Oui… »

Il pesa l'idée d'un compliment, mais cela serait de trop. Il venait d'échapper à Mort, ce n'était pas le moment de jouer les séducteurs, ou du moins pas en apparence. Cela devait être discret, subtile, venir naturellement. Vu comme elle semblait farouche, elle risquait de se pâmer s'il en faisait trop, en plus !

Après un instant d'hésitation savamment dosé, il tendit une main agile pour prendre un morceau de fruit et le porter à ses lèvres avec précaution. Il avait choisit ce qui semblait être un litchi, s'il s'en remettait à la chair ferme et d'un blanc rosé. Le goût le confirma rapidement, et il s'en tint à quelques morceaux précautionneux, le temps d'être sûr qu'il n'allait pas vomir ou être malade. Son estomac semblait tenir le coup, et il eut même faim après un moment. Cela ne l'étonnait pas totalement, Ethuen, sa fille, lui ayant expliqué que les procédés de soins des guérisseurs, même baptistrels, demandaient au corps du patient de travailler activement à sa régénération. Il avait dû user beaucoup de ressources pour se reconstituer à ce point, alors il risquait de manger énormément dans les heures qui suivraient. Il espérait juste ne pas avoir à refaire d'exercice intense d'ici à parvenir à se sustenter correctement. Picorant, il se fit néanmoins la réflexion que cela manquait de quelque chose de… saignant. Peut-être mettrait-il à profit le meurtre du chanteur, pour ne pas gâcher. Avec un peu de chance, il s'agissait d'un humain et son essence serait utile. Il répugnait à l'idée de dévorer un elfe et de faire trois pas en arrière dans sa quête de la mutation parfaite. Picorant lentement, Teotl se laissait rythmer par la voix de la demoiselle, prenant bonne note de la tranquillité promise. Si une folle rousse débarquait d'un seul coup, ça serait sa faute à elle donc. En revanche, le nom le fit tiquer. L'hésitation était une chose qu'il avait l'habitude de déceler dans le ton de ses proies, et là, il était flagrant. Elle mentait ou elle était impressionnable, l'un ou l'autre était possible en égale mesure. Cette fois, il s'autorisa un vrai sourire et un commentaire choisi.

« Vous me donnez plus l'impression d'un lys que d'une violette, si vous me pardonnez. Je m'appelle Tearu »

Il déformait simplement son nom de famille humain, et il le faisait avec un naturel confondant. Combien de fois avait-il mentit sur son identité ? Déformé ses patronymes ? Il n'en avait rien à faire, un nom n'était qu'un bel habit après tout. On pouvait l'appeler comme on le voulait, mais c'était les actes qui dictaient sa nature, son essence. Il n'en était pas le moins du monde perturbé. Pour beaucoup, il n'avait pas même de nom, il était simplement une volonté et la mort. Un seul nom comptait réellement, ou du moins pouvait compter, un jour, s'il en obtenait la possession. Mais il ne se risquerait pas à ouvrir cette porte là. Il la garderait close, pour le moment. Buvant lentement l'eau acidulée, il tendit l'oreille, mais ne percevait rien qui soit immédiatement alarmant. Pour l'instant, il pouvait peut-être attendre et y aller doucement. Il revint à la jeune femme, l'observant attentivement et écoutant les battements de son cœur. C'était un ajout bien pratique de sa nouvelle condition et il ne crachait pas dessus. Le cœur révélait tant de choses, qu'il soit dissimulé et exposé. Continuant de picorer lentement, il tâcha néanmoins de rattraper le fil de la conversation car il désirait en savoir davantage. Il avait dormit au moins une journée entière donc, soit, mais ça n'était pas là tout ce qu'il y avait à savoir. Il demanda si elle pouvait lui donner de quoi nettoyer ses doigts, et lorsqu'elle le fit, il fit exprès de frôler ses digits des siens, sans en avoir l'air. Nettoyant chaque phalange avec attention, il reposa le linge, puis la main.

« Où suis-je exactement ? La dernière chose dont je me souvienne est d'être tombé à l'eau sur une île proche de Keet-Tiamat. Je ne savais pas que des humains avaient élus domiciles près d'ici… »

Cela l'étonnait sincèrement, mais si il y avait de petits villages accessibles, alors cela faisait des cibles faciles pour des raids et des marchands d'esclaves. Et il avait également besoin de savoir ce qui se trouvait hors de ces murs pour le moment où il déciderait de prendre congé. S'il pouvait se mêler à la populace, prendre une place sur un petit navire et rejoindre Néthéril, alors il serait déjà plus en sécurité.

« Le… le Cawr, est-il ici ? Puis-je lui parler ? »

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Silencieuse, elle surveilla la prise de son repas au couvert de ses longs cils blonds. Un exercice qu’elle avait appris à maîtrisé dès sa plus tendre enfance, donnant ainsi l’impression de dédaigner sa cible alors qu’en réalité elle la dévorait des yeux. Guettant le moindre signe qui trahirait un quelconque dégoût ou inconfort, elle fut soulagée de le voir commencer à manger et même à prendre visiblement de l’appétit pour chaque bouchée. Ses gestes étaient précis, dotés d’une certaine élégance ce qui lui assurait que ce naufragé n’était pas de petite extraction. Peut-être était-il le fils d’un quelconque marchand et côtoyait-il la haute bourgeoisie ? Aurait-il été de la noblesse Sélénienne qu’elle aurait été sûr de le reconnaître, car elle était forte de ses leçons d’héraldique en plus de fréquenter régulièrement tous les sangs bleus de l’Empire. Parfois à son plus grand damne. Sans son nom toutefois, elle ne pouvait pas mener plus loin ses théories.

Le commentaire qu’il lui glissa la fit légèrement se crisper alors qu’elle était immédiatement douchée par le banale de son approche. Était-ce censé être un compliment ? Par les Dieux, elle espérait que non sans quoi son début de fantasme pour cet éphèbe tomberait immédiatement en miettes. Au moins cela avaiti-l eut pour mérite de lui remettre les idées en place. Elle se fustigea pour avoir été aussi impressionnable et retrouva son sang froid alors qu’elle conservait une expression calme avec ce beau sourire plaqué aux lèvres. Plutôt que de s’arrêter sur une déception, la jeune fille préféra prendre la remarque comme une perche pour une taquinerie innocente et elle entra donc dans la danse avec une voix cependant grinçante d’humour acide :

« - Alors peut-être devrais-je vous faire m’appeler Lysette ? »

Ce prénom sonnait horriblement à ses oreilles. Elle lui donnait l’image d’une lavandière de quelque petit village perdu dans la campagne, dotée comme une vache laitière et aux cuisses plus promptes à se lever qu’un pont de guet. Victoria s’ébroua mentalement pour chasser ce tableau révoltant et plissa le nez avec un petit sourire sincèrement amusé cette fois. La demande fut reçu d’un hochement de tête alors qu’elle se levait pour aller lui chercher un linge propre ainsi qu’une coupe d’eau citronnée pour faire office de rince-doigts. L’effleurement lui fit faillir le cœur bien malgré elle, si peu habituée à toucher qui que ce soit d’autre hormis ses aides de chambre. Retournant s’installer sur le bord de lit, elle reprit la parole d’un ton plus doux bien que lacé de taquinerie :

« - Je vous pardonne pour cette fois. Je ne peux vous blâmer pour le manque d’originalité de mes parents ! De votre côté, vous voilà doté d’un nom bien exotique, presque elfique si j’ose dire. Quelles sont vos origines, Tearu ? Vous dites venir des côtes de Keet-Tiamat, quels vents vous transportaient avant votre naufrage ? »

Il parlait aussi d’humains, comme s’il ne s’associait pas à ce peuple ! Les doutes et théories que nourrissait la jeune princesse firent une embardée et elle se mordilla distraitement la lèvre inférieure, rougissant la pulpe délicate sous le sévisse répétitif. Puisqu’il était apte à parler et qu’il se révélait curieux, elle s’autorisait la même courtoisie à son égard. Bien sûr, le naufragé avait l’excuse d’être dans un environnement inconnu et la situation qu’il traversait devait être des plus angoissantes. Toutefois Victoria était elle aussi confrontée à une situation des plus préoccupantes ; son « patient » pouvait être un pirate, voire pire un meurtrier ! Même si jusqu’à présent il avait respecté toutes les règles de courtoisie, il pouvait vriller à tout instant. Il valait donc mieux en savoir le plus possible, mais elle ne désirait pas non plus lui donner l’impression de le soumettre à la Question. Pour faire passer ses nombreuses interrogations, elle décida donc de lui fournir de nouvelles informations sur sa situation actuelle, espérant l’apaiser.

« - Nous sommes sur une île… ou devrais-je plutôt dire un îlot ? Il ne faut pas trois heures de marche pour en faire le tour et il n’y a même pas une source d’eau potable pour inciter le moindre mammifère à s’y établir. Vous ne trouverez que des crabes, quelques mouettes de passage et une horrible quantité d’insectes. C’est à peine si nous avons quelques arbres fruitiers à disposition. Pour vous dire, cette parcelle n’a même pas reçu de nom et je doute qu’elle en gagne jamais un. »

La description était abrupte, sans aucune pitié pour cet éclat de havre. Toutefois le regard et l’expression de l’adolescente semblèrent s’apaiser alors qu’elle parlait et une note de mélancolie perça dans sa voix douce. Les yeux tournés vers la fenêtre, elle joua distraitement avec les petits coquillages nacrés qui ornaient son gracile poignet, retenus en un bracelet grâce à des fibres tressées. Elle s’arracha à sa rêverie pour reprendre d’un ton plus léger :

« - De ce fait, aucun humain ne s’est réellement établi ici. Moi même n’y suis que de passage avant de retourner sur Calastin. Je ne supporte pas le froid humide de cette île alors j’essaie de retarder au mieux mon retour. »

Il tortilla une mèche entre ses doigts graciles, un soupir inaudible échappant à ses poumons. Un moment silencieuse, elle l’observa avec attention comme si elle cherchait à juger de ses intentions à l’encontre du Cawr. Désirait-il le remercier pour les soins obtenus ou bien voulait-il s’assurer de son silence quant aux secrets qu’il cachait et qu’un maître saurait forcément entendre ? Victoria attendait elle aussi le réveil du Baptistrel pour obtenir quelques confirmations -ou infirmations- concernant ce mystérieux naufragé et l’histoire qu’il allait lui peindre. Du coin de l’œil, elle s’assura que la queue de scorpion soit toujours ornée en son extrémité par le capuchon de tissu, puis retourna sur l’homme et secoua doucement la tête de droite et de gauche. Ce fut d’une expression parfaitement dosée, respirant le regret et l’inquiétude, qu’elle affirma sans flancher cette fois :

« - Je crois qu’il a préféré rejoindre mon navire afin de se reposer. Après tout, nous n’avons pas vraiment de chambre d’ami, comme vous pouvez vous en douter. »

Le cas contraire, il ne serait pas allongé dans son lit !

« - A moins qu’il ne se soit effondré directement au pas de ma porte, ce dont je doute sincèrement, il devrait nous revenir dès qu’il aura récupéré suffisamment de sommeil. Vous pourrez alors lui adresser vos remerciements et vos questions. »

Elle reposa les mains sur ses genoux et se pencha légèrement vers lui. Elle ne mentait qu’à moitié cette fois, car elle se souvenait très bien avoir reconnu la silhouette du-dit Cawr dans les coussins de la terrasse, mais elle ne souhaitait pas voir l’autre se lever et partir à sa rencontre avant qu’elle n’ait l’occasion de lui parler en première. Voulant changer de sujet, elle se releva et lissa les plis de sa robe avant de proposer avec tendresse :

« - Avez-vous besoin de quoique ce soit d’autre ? Oh, je sais ! J’ai fais mander des vêtements, j’espère qu’ils seront à votre taille. Cela ne vaut certainement pas l’armure que vous portiez, mais ce sera toujours mieux que ceux que… et bien, vous ne portez pas. »

Ses joues se colorèrent délicatement alors qu’elle se détournait pour approcher de la commode, dans le fond de la chambre. Elle avait déposé là les armes et le matériel récupérable que Tearu portait sur lui lors de leur rencontre, mais il y avait aussi un tas de linges propres comptant une chemise au col lacé et aux manches amples, un pantalon serré de cuir, des bottes à semelles souples et une large ceinture à plusieurs boucles. Sous la chaleur tropical, il n’aurait probablement besoin de rien de plus sans que cela ne devienne inconfortable. Se tournant à nouveau vers lui, elle se rapprocha afin de les lui tendre.

« - Vous avez un paravent pour vous changer. »

Elle n’osait pas croiser son regard, les joues toujours un peu carmines… voire même l’extrémité de ses oreilles.

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Sa tête pencha légèrement sur la droite, les traits peignant un mélange d'attention et d'amusement. L'entournure de ses lèvres s'ourla sensiblement et il haussa nonchalamment des épaules. Lysette, quel mauvais goût et quel manque d'imagination. Son sourire en coin se fit plus affirmé. Quel malheur de ne pas rendre noblesse à cette fleur si somptueuse. Quel manque de sens… Il était certainement impossible qu'une jeune fille de bonne famille, ce qu'elle était de toute évidence, ne fut pas plus éduquée à ces choses. Même lui, créature de sang et de silence, parvenait à saisir toute la subtilité de cette verdoyante aparté. À moins que cela ne soit une invitation à la lui dévoiler avec sa propre personnalité ? C'était là une façon originale de le découvrir, et très joueuse avec ça. Il aimait cela, cette idée et surtout cette invitation naïve ou non. Suivre le caprice de cette jeune créature, si il s'agissait bien d'un caprice, ne l'émouvait pas le moins du monde. Il avait accepté bien pire de la part d'humaines bien moins fraîches et agréables à l’œil. Satisfaire les impulsions de ces dames n'était qu'un bien maigre prix pour ce qu'il pouvait en retirer. D'une voix tranquille vint alors sa réponse, sans la moindre hâte défensive.

« Cela ne vous irait pas davantage. C'est trop banal, trop paysan »

Est-ce qu'il était insultant ? Bien sûr, le mépris choisit était là, mais c'était un mépris objectif car qui, si ce n'était pas un paysan, appellerait sa fille Lysette. Les culs terreux ne cherchaient en rien l'originalité et la justesse lorsqu'ils nommaient leur nombre progéniture, alors que la noblesse se confondait en un ridicule combat de paons dans lequel les patronymes exotiques de bon aloi étaient les plus prisés, frôlant parfois l'indécence et l'irréalisme d'un prénom elfique quand ils pouvaient se le permettre. Rares étaient ceux qui parvenaient à ajuster leurs choix. Ceux-là se démarquaient, même si ça ne signifiait rien de leur caractère par la suite. Alors, elle ? Non, pas Lysette, elle ne venait pas d'une famille de traînes misères, mais sans doute pas non plus d'une famille de porcs, ou alors elle dénotait au sein de celle-ci. Cela ne voulait tout autant rien dire de son caractère, mais pour le nom en tout cas, cela ne collait pas. L'observant, il attendit, songeusement, un bref moment, alors qu'il la jaugeait pour calibrer sa réponse. Le chaton semblait vaguement tenter de faire ses griffes mais restait à voir comment exactement, car il n'accepterait pas de rayer son cuir une seconde fois. Après une poignée d'instants, la suite vint donc.

« Il y a certainement plus à dire sur cette corrélation que l'ébauche d'un prénom comme celui-là. C'est trop… grossier »

Ses narines palpitèrent légèrement à la recherche de son parfum qu'il trouva, comme un fil conducteur à son approche de l'idée, comme un cheval de bataille au concept. Il détacha lentement son propre esprit de la silhouette visuelle de la jeune femme pour plonger dans ce que ses autres sens, plus acérés, lui apportaient d'elle. Il avait vécu une large part de sa vie dans l'obscurité, alors même si elle était agréable à contempler, il ne voulait pas se laisser berner par cette impression si aisément détournée. Il voulait autre chose, pour capturer l'essence sur le bout de sa langue. C'était presque comme de la glisser le long de cette gorge gracile et d'entamer délicatement la chair de ses crocs pour venir recueillir la perle sirupeuse d'un vin encore jeune. Tremblerait-elle comme une oiselle prise au piège entre ses griffes, attendant la douleur infligée avec crainte et une excitation savamment instillée et dosée ? S'accrocherait-elle à lui ou tenterait-elle de s'échapper ? Mais c'était à peine son souffle qui caressait et s'étiolait alors que son esprit observait la chose comme un exercice qu'il ne pratiquait plus depuis longtemps. Voilà qui lui changeait quelque peu de la mort qui venait de le frôler et entre l'aphorisme floral et son sang qui nourrissait la terre, il choisissait volontiers l'oisiveté du premier.

« Je me laisserais davantage gagner par les sens inhérents à ce bouquet. Le raffinement du parfum de la corolle muette, esthète régalienne, dont aucune technique de parfumerie moderne ne peut capturer la réelle essence, la parfaite senteur. Elle est à peine perceptible sous sa forme naturelle, retenue par le délice pastel de ses teintes parfaitement complimentées. Blancheur nacrée, satinée, rose tendre à faire rougir, poudre d'or ou de soleil prisonnier, Quand enfin une main expérimentée l'accompagne dans l'effeuillage de sa splendide ornementation, tantôt fête florale, fertilité virginale et verte, tantôt de suave velours ou d'éclat solaire... »

S'il s'amusait ? Il commençait quelque peu en tout cas. Qu'elle apprécie ou non n'avait qu'une importance secondaire en fin de compte, peut-être périrait-elle rapidement après tout. S'arrêtant alors, sur un souffle retenu, il fit tourner le nom sur sa langue, une fois, deux fois, puis le relâcha avec l'amorce d'une galante humilité.

« Cependant, si vous souhaitez adopter un patronyme éphémère, laissez-moi donc vous proposer… Enoha »

La prononciation était Lyssienne, un prénom chaud comme cette veine palpitante et le frémissement de ses longs cils, et comme le doux rebondit de sa chevelure. Le silence vint suivre ses péremptoires affirmations. Son sourire se fit plus franc d'apparence, plus simple également que le rictus joueur qu'il avait arboré.

« Mon prénom vient de La Vagabonde. Assez proche du Royaume elfique pour en être influencé »

Avec fierté, il constata avoir réussi à bannir la profonde amertume que cela lui insufflait. Il n'avait jamais aimé les elfes mais les humains de Gloria se pâmaient devant eux. Inutilement. Ne pouvaient-ils voir que les elfes n'en avait jamais rien eut à faire ? Que les humains ne leur inspirait que mépris et méfiance ?

« Je voyageais pour affaire et je n'ai pas eu de chance. Je suppose »

Il ne développa pas davantage ni ne clarifia ce qu'il supposait exactement. La réponse était suffisamment proche de la pleine vérité pour qu'il n'en subisse aucun désagrément. Il avait réellement voyagé pour affaire après tout, puisqu'il était un assassin. La mort était son commerce. Il la monnayait, lui donnait un prix réel, en pièces sonnantes et trébuchantes. Plus que l'abus d'une vie par elle-même, son irrespect en l'ôtant simplement pour son propre bénéfice pragmatique était le véritable meurtre. Une vie n'était alors plus qu'un échange, une affaire, comme toutes celles conclues chaque jour. Et c'était également un grand pouvoir…
Un pouvoir qu'il n'avait aucun scrupule à utiliser.

« Je vois »

Un instant, il avait plongé dans ses pensées. Fort heureusement, il avait l'habitude de n'écouter que d'une oreille pour ne pas perdre le fil. Bien, l'île n'était donc qu'un petit morceau de terre auquel personne ne s'intéresserait. Les chances qu'on le découvre ici étaient très minces. Dans le même temps, il avait eut de la chance que quelqu'un se trouve justement sur ce foutu bout de roche. Est-ce que c'était particulièrement louche ? En soit non… jusqu'à ce qu'on sache qu'elle était de bonne famille. Mais à moins de l'interroger de la manière forte, il suffisait juste qu'elle ne soit pas une menace et sans doute trouverait-il les réponses rapidement. Cela ne pouvait être que pour un peu de repos, si ? Sa vie ne le prédisposait pas à l'optimisme.

D'apparence détendue et sans défense, il se laissa inspecter sans sembler s'en rendre compte. Peut-être ne s'en rendait-il réellement pas compte d'ailleurs.

« Je n'y manquerais pas »

Il attendait avec impatience le retour du chanteur. Faire ça ici plutôt que de courir après lui allait. Là, il ne risquait pas de croiser quelqu'un qu'il ne fallait pas. Et s'il revenait directement dans ses griffes plutôt que de se fatiguer, alors il pouvait en profiter encore un peu. Bien qu'il ne doive pas se reposer sur ses lauriers au risque de se retrouver de nouveau dans une terrible situation, il pouvait encore jauger correctement de ce qu'il avait autours de lui. L'orgueil l'avait aveuglé, avec la dragonnière, mais la leçon était apprise. Ici ? Non il ne pensait pas être en danger. Ici il était de nouveau un prédateur. Mais la fatigue était encore bien présente. Autant ne rien brusquer sur l'heure et patienter, jouer encore la comédie.

« Je vous remercie »

Se levant avec précaution pour tester ses forces et sa résistance, il se mit debout, en faisant très attention à ses appuis. Le travail du chanteur était vraiment superbe. Ses muscles roulaient aisément, ses jointures étaient parfaites, sa queue l'équilibrait souplement. Plus de douleur, il était entier ou presque. Il n'était toujours pas humain. Dommage. Mais ce n'était pas cela qui devait l'occuper pour le moment. Après tout, il avait retrouvé tout ses morceaux. Faisant quelques pas dans la pièce, il vint prendre les vêtements qu'elle lui avait indiqué et alla s'habiller derrière le paravent. Les vêtements n'étaient pas tout à fait ajustés mais ils suffiraient pour le moment et quand il rentrerait à Athgalan, il ferait réparer son armure et le reste de son équipement.

Lorsqu'il ressorti, en nouant la dernière boucle de sa ceinture, son regard glissa vers la sortie. Un sourire lui courut et il se dirigea naturellement vers la sortie.

« M'accompagnerez-vous à l'extérieur ? Je crois que l'air marin et l'espace me feraient du bien… mais je ne voudrais pas vous fausser compagnie »

La question était de pure forme car il quitta effectivement les lieux d'un pas tranquille, toujours attentif à ne pas subitement manquer de contrôle. Sourd si on l'empêchait de faire ce qu'il avait décidé, Teotl sortit bientôt sur la terrasse et emplit ses poumons du parfum de l'iode et de la chaleur sèche. Une brise légère caressa sa peau et gonfla un instant le tissu de sa chemise. Devant lui, il n'y avait que du sable et quelques palmiers, rien qui ne fut alarmant, ou même intéressant. En revanche, la forme endormie dans les coussins sur les planches de bois, elle, était très intéressante. Dans un premier temps, il ne fit aucun commentaire, se contentant de l'observer, puis il émit un rire léger, caressant, et se détourna pour s'installer un peu plus loin. Derrière lui, sa queue tressaillait instinctivement.

Lorsqu'il reprit enfin la parole, ce fut platement, tranquillement, comme une observation bienveillante.

« Et bien il semble qu'il se soit effondré sur le pas de votre porte. Je m'en voudrais de le réveiller après ses largesses… N'est-ce pas ? »

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Elle avait lentement fermé les yeux pour se laisser transporter dans le tableau que l’homme lui décrivait de façon si exquise. Chaque phrase était une goutte de peinture qui venait éclabousser de ses couleurs et formes le détail de ce nom qu’il lui recherchait. L’étrange sensation qui coulait dans son dos, telle une caresse abstraite, aussi légère et éphémère que le son de ses lettres, s’accumulait et l’échauffait tel un feu de pailles. Plus d’une fois il effleura avec justesse sa véritable identité, faisant alors naître sur ce désir timide de jouvencelle une pluie froide de retenue et de crainte. Son souffle trembla et ses mains frémir dans la dentelle de sa robe alors qu’elle se tendait vers lui, toujours plus. Elle sentait dans les mots murmurés une audace qui la fit rosir encore alors que sa gorge se serrait et que son nez lui piquait de larmes effarouchées. Le jeu dangereux des promesses effleurées, d’idées qui lui échappaient toujours, elle, jeune fille encore prise dans les dernières embrassades d’une enfance choyée et protégée, l’affolait autant qu’elle l’amadouait.

Lorsque le nom tomba comme un fruit parvenu à maturité, longuement nourri par cette recherche et introduction poétique, Victoria ouvrit les yeux dans un long frémissement de cils humides et salés. Ses orbes au bleu outrancier renforcé par les derniers éclats de ses larmes émues, fixèrent alors l’inconnu avec un trouble apprivoisé. Un pâle sourire ourla ses lèvres avant qu’elle n’en morde la pulpe inférieure de ses dents et ne détourne, pudique, le regard vers l’autre coin de la chambre. Gorge frémissante dans le laçage de son corset, elle avala son souffle en silence alors qu’elle hochait doucement de la tête une première fois, puis une seconde sans que sa voix ne réussisse à s’échapper de sa gorge serrée d’émois. Il lui fallu prendre une expression songeuse, presque sceptique pour sauver les apparences et elle fit mine de pondérer le choix bien que son cœur en soit déjà conquis. Comment ne pas l’être !? Elle pouvait encore sentir la caresse des mots contre ses tempes, le sens aussi lourd et sirupeux qu’un miel couler et chauffer son bas ventre… Soudain, la chambre lui paru atrocement étouffante !

Passant une main dans ses cheveux, elle fit pleuvoir quelques pétales parfumées sur ses épaules alors qu’elle venait croiser les mains sur son ventre, sous la courbe de sa poitrine. Avait-elle des vapeurs ? Peut-être était-elle prise par la chaleur et l’humidité de l’île. Peut-être devrait-elle faire plus attention lorsqu’elle sortirait au soleil. Pour autant, aucune de ces excuses n’ôta le sentiment de honte et de culpabilité qui lui piquait au creux de l’estomac et lorsque le silence lui paru frôler le manque de politesse, la jeune fille prit une profonde inspiration et parvint à contrôler le timbre de sa voix tandis qu’elle soufflait :

« - Et bien en ce cas, nous garderons Enoha. »

De la suite, elle n’en garda qu’un vague souvenir tant elle s’arrachait au charme que lui procurait cet homme. Était-il réellement d’essence humaine ? Était-ce le mystère de l’immaculation qui l’intriguait et lui faisait perdre tout bon sens et prudence ? Aurait-il été n’importe qui d’autre qu’elle aurait fait descendre toute sa garde sur l’île et l’aurait-elle gardé dehors, sur la terrasse comme le voulait la bienséance. Pourquoi jouait-elle de déraison ? Si l’on apprenait, à la Cours, qu’elle avait gardé un inconnu, quasiment nu, dans sa chambre à couché ; sa réputation en serait finie. Heureusement, elle pouvait compter sur le silence de son plus proche entourage… ou n’aurait qu’à faire disparaître ceux et celles dont elle viendrait à douter une fois rentré à Calastin. Un léger soupir lui échappa avant qu’elle ne jette un rapide coup d’œil par dessus son épaule, dans sa direction, et ne vit que l’ombre projetée sur le mur par delà les panneaux du paravent.

« - Vous êtes donc lyssien ? »

Un peau assombrie par l’affection d’un soleil longuement côtoyé et les cheveux blanchis par un sel choyé depuis les flots marins. Son corps était bien fait -de ce qu’elle en avait vu- et pouvait parfaitement correspondre à celui d’un marin. L’avoir trouvé dans les racines d’une mangrove en dehors de la plupart des routes maritimes n’était pas non plus étrange si l’on partait sur cette théorie ; la plupart des lyssiens aimaient encore à parcourir les eaux inconnues pour en cartographier les moindres secrets. Songeuse, essayant là aussi de se convaincre du scénario le moins sinistre et terrible, la jeune princesse laissa son imagination vagabonder de pair avec ses maigres connaissances dans le domaine.

Elle fut tirée de ses pensées par les pas de Tearu et elle pivota sur un pied habile, faisant virevolter sa robe autour de sa silhouette et ondoyer les boucles de sa longue chevelure. Quelques unes des pétales à ses épaules tombèrent sur le parquet autour d’elle tandis qu’elle levait un regard surpris, puis ravis sur le rescapé. Son sourire, sincère et immédiat, vint faire briller ses yeux alors qu’elle s’exclamait :

« - Je suis heureuse de vous retrouver ainsi. »

C’est à dire capable de marcher, mais surtout complètement habillé et par conséquent enfin présentable. Toutefois, son sourire se fana lorsqu’il approcha de la porte avec un naturel déstabilisant. L’entendre l’inviter au dehors pour profiter de l’air marin tout en lui faisant part de son  regret à lui fausser compagnie dans le cas contraire vinrent piquer la princesse à vif et elle serra légèrement des poings avec un petit froncement de sourcils en une mimique adorable bien que frustrée.

« - Allons ! Vous n’êtes pas raisonnable ! Vous venez à peine de… Ah !? Mais attendez moi ! »

Elle tapa légèrement du pied, mais s’empressa néanmoins de le suivre, n’appréciant pas l’idée qu’il déambule seul sur la petite île. Pourrait-il y rencontrer quelques soldats ou bien les mauvais employés de sa suite qu’elle aurait alors de graves problèmes et beaucoup d’explications délicates à donner. Dans son empressement, elle manqua de lui rentrer dedans lorsqu’il s’arrêta à hauteur du « salon » constitué des coussins, du hamac et de la table basse. L’adolescente s’arrêta de justesse et leva tout d’abord la tête vers lui avec confusion alors qu’il lui bouchait la vue sur l’objet soudain de son attention. Son rire, toutefois, vint la rendre à son tour curieuse et elle se pencha de côté jusqu’à pouvoir contempler la silhouette du baptistrel qui n’avait toujours pas quitté les coussins. Contrarié de cet état de fait, elle croisa les bras et afficha encore cette frimousse avec le nez légèrement plissé et les joues gonflées. Non, vraiment ! C’était injuste que de décider de la contrarier ainsi.

« - Oh… On dirait bien. Attendons qu’il se réveille de lui-même en ce cas. »

Elle n’avait rien de plus intelligent à répliquer et se retrouva un peu bête, observant à tour de rôle le miraculé et son sauveur. Comment pourrait-elle les tenir éloignés l’un de l’autre le temps qu’elle assouvisse sa curiosité ? Tearu sentait beaucoup trop le danger pour qu’elle tape un caprice et ne lui ordonne d’obéir, de plus cela ruinerait totalement ses efforts pour conserver l’anonymat sans pour autant lui assurer que ce plan puéril ne fonctionne… et quelque chose lui disait de ne pas trop tenter sa chance. Un frisson lui secoua le corps et elle croisa les bras autour de sa poitrine, frottant ses bras quelques secondes alors qu’elle rejoignait d’un pas léger la source de tout ses conflits internes.

« - Tearu ? »

Elle l’appela, doucement, alors qu’elle lissait l’arrière de sa robe avant de s’installer près de lui sur le bord de la terrasse. Pieds dans le sable, elle joua des orteils pour les enfouir et les remua pour créer de petites vagues sur la surface crémeuse.

« - Êtes-vous attendu quelque part ? Une famille, une épouse ou bien des amis à Calastin ? »

Elle lui offrait son profile tandis qu’elle contemplait fixement les vagues visibles depuis le couvert de quelques palmiers et dont le ressac leur parvenait entre deux brises d’air sec et iodé. Si elle s’inquiétait vraiment de son état, qu’il soit physique ou bien autre, elle était tout aussi curieuse de savoir quelle était sa situation. Bien sûr, purement par soucis d’organisation !

« - Je peux faire transmettre un message de votre part afin que l’on vienne vous chercher… toutefois, si vous n’avez pas ces moyens à disposition, je peux vous proposer de rentrer avec moi. »

Victoria chassa une mèche qui lui chatouillait la joue et la glissa délicatement derrière une oreille.

« - Nous pouvons vous déposer à Caladon… ou Sélénia, notre destination. »

Était-il un de ses vassaux ou bien un libérale de l’Alliance ? Elle souhaitait que le premier cas soit le bon, même si cela ne changerait rien à leur situation puisqu’elle mentait sur son identité et lui aussi, très probablement.

« - Nous pourrions aussi faire un crochet sur le lieu de votre… mésaventure et voir s’il est possible d’en retirer quelque chose. Peut-être trouverions nous des survivants ? »

Elle ne comptait pas partir avant un bon mois, mais elle n’était pas encore nombriliste au point d’ignorer le problème d’un autre lorsqu’il se présentait directement sous son nez. Elle tourna enfin la tête vers lui et leva les yeux pour croiser son regard, esquissant un léger sourire triste.

« - Je suis désolée que vous deviez traverser pareille épreuve. »

Elle effleura sa main de la sienne en une caresse fugace, mais néanmoins sincère. S’il avait été attaqué par des pirates ou s’il avait subit une tempête suffisamment violente pour le mettre dans cet état, elle n’osait imaginer ce qu’il était advenu du reste de l’équipage.

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Il était bien Lyssien, sans aucun mensonge d'aucune sorte. Peu importait sa naissance et ses augures, c'était à la Vagabonde qu'il appartenait. Elle lui avait offert les plus belles années de sa vie, et une famille qui l'avait accepté et protégé malgré ses origines. Lyssa était un beau souvenir, et elle avait porté nombre d'enfants aux valeurs réelles, entiers et singuliers. L'appréciation de tels adjectifs était certainement des plus ardus, mais il se prêtait à l'expérience, fort de son vécu. Teotl avait vu le pire, mais aussi contemplé le meilleur, aussi se plaisait-il à étiqueter ses anciens compatriotes ainsi. Lui-même ne se définissait pas par de tels critères, cependant. Mais il n'était certainement pas là pour ça. Sur l'instant, alors qu'il pensait à tout cela, l'image de son domaine au sein de Sélénia lui apparut sans guère d'incongruité. N'était-elle pas Sélénienne, cette jeune femme ? La corrélation était là. Il ne s'était pas présenté à ses serviteurs depuis déjà un long moment, tant il avait été accaparé par les affaires que son père lui confiait. Peut-être devrait-il prendre le temps de se présenter à ses ouailles, afin qu'ils n'oublient pas leur diligence. Mais pour l'heure, il était coincé sur une île et sans moyen immédiat de locomotion même si la mention d'un navire n'était pas tombée dans l'oreille d'un sourd. Installé à l'extérieur, il se demandait encore comment il allait conduire la suite de cette situation. Car bien que la présence de cette adorable jeune pousse s'avérait tout à fait rafraîchissante, il avait néanmoins des affaires sur le feu et ne pouvait s'étendre indéfiniment en badinage. Chaque plaisir était éphémère, son temps compté auprès de cette beauté.

« Oui ? »

L'appel lui fit tendre l'oreille, mais il ne se tourna pas vers elle. La question était naïve de prime abord mais comprenait la révélation d'informations pouvant ou non le déranger. Mais encore une fois, il avait la chance de posséder une vérité qui n'avait pas à être déformée pour convenir à ses besoins présents. Se passer de grandeur avait parfois vraiment du bon en ce monde.

« Des connaissances mais qui n'attendent pas de me voir dans les prochains jours ou les prochaines semaines »

Ses serviteurs faisaient tourner son domaine sans lui et ses détracteurs le pensait certainement mort à l'heure qu'il était. Quand aux autres, il apparaissait et disparaissait souvent, son absence ne serait nullement inquiétante. La proposition le laissa un instant songeur avant qu'il ne l'accepte, proposant alors une contrepartie manuelle en retour de cette offre de transport.

« Je ferais donc tout le voyage en votre compagnie. Je dois me rendre à Sélénia »

Sans grand mal, il retint un léger sourire. S'il répondait à sa question, il ne lui donnait pas l'information qu'elle attendait, sous-jacente. Bien qu'il admette aller à Sélénia, il n'assurait pas en être un ressortissant. Il n'était pas davantage affilié, ainsi, à Caladon ou tout autre lieu et il aurait été inutile sinon drôle de lui avouer venir d'Athgalan évidemment. Un pirate ne serait pas si bien traité.

« J'en doute… »

Il avait finalement tourné la tête vers elle mais ne lui offrait guère d'expressivité sur l'instant si ce n'était une gravité de juste mesure. Silencieux, il la laissa approcher, pensif et détaché. Attendre le réveil du maître ne serait guère utile, autant se débarrasser de lui tout de suite pour éviter de s'encombrer… à moins bien entendu qu'il fasse simplement en sorte que l'autre ne parle pas ?

« Je dois avouer que je n'ai pas reçu une telle leçon depuis très longtemps »

Là, ils ne parlaient clairement pas de la même chose. Avec un geste nonchalant, et sans hâte aucune, presque avec détachement, il retira ce qui masquait la pointe de son dard, se releva souplement dans un roulement de muscles et fit quelques pas jusqu'à se rapprocher du chanteur. La piqûre fut douce, rapide et complètement indolore, comme celle d'un moustique et il soupira lorsque sa queue chitineuse revint en place.

« Bien, voilà est réglé… je n'aime ni être interrompu, ni être le sujet d'indiscrétions. Et vous, Enoha ? Que pensez-vous des indiscrétions ? »

La question avait beau être rhétorique, elle n'en restait pas moins létale. Pourtant, tout, dans son attitude, désavouait la menace de son venin. Il avait la voix plaisante, le corps tranquille, la démarche souple mais lente et sans brusquerie et quand il s'approcha d'elle, il eut un geste galant accompagné d'un sourire en coin pour lui offrir sa main afin qu'elle se relève.

« Marcheriez-vous avec moi ? »

Il ne lui laissait pas tout à fait le choix bien entendu mais elle pouvait le surprendre, il n'aurait gagé de rien après ses récents déboires. Pourtant, alors qu'il l'observait attentivement, il était presque certain qu'elle ne se risquerait pas à refuser. Pour autant, il conservait son attitude plaisante et ouverte, lui laissant une promesse de liberté sur le bout des doigts, sans pour autant retirer le tranchant qui la menaçait. Du peu qu'il en voyait, elle semblait intelligente et moins sotte que la majorité des femelles de son âge…

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Les réponses venaient les unes après les autres, toutes plus sibyllines et aucune ne se révéla satisfaisante. Elles étaient courtoise et si d’apparence elles répondaient exactement à ce que Victoria avait demandé, elles étaient creuses d’informations réelles. L’homme qui lui faisait face était doué avec les mots, plus encore avec les mensonges ou les semi-vérités. L’adolescente pris conscience qu’elle allait devoir monter le niveau si elle ne voulait pas se faire croquer toute crue dans leurs échanges ! Inconsciente de combien cette métaphore pouvait devenir réelle si elle effectuait les mauvais pas dans cette valse dangereuse, elle se contenta d’un sourire candide et ravis à la nouvelle qu’ils feraient le trajet ensemble. Il ne lui restait qu’à expliquer comment elle l’avait trouvé sans ameuter toute sa garde. Pour cela, elle allait devoir s’assurer que son adorable, mais ô combien tête de linotte qui lui servait de cousine ne fourche pas de la langue pendant le trajet du retour… où elle aurait de bien fâcheuses explications à fournir ! Sans parler que son invité aurait probablement de toutes aussi fâcheuses excuses à fournir de son côté.

Songeuse, elle mit quelques secondes à remarquer le malaise qui la gagnait depuis le début de leur conversation. Une sensation diffuse qui toutefois, la fit tiquer intérieurement même si elle fut encore incapable de mettre le doigt dessus. Était-ce le manque d’expressivité de Tearu ou bien l’ambiguïté de ses propos depuis son éveil ? Lorsqu’elle le vit retirer ce qui cachait son dard, Victoria croisa instinctivement les bras sur son estomac et l’observa avec une prudence encore troublée, incertaine sur l’attitude à adopter. L’aura de menace qui planait autour de l’inconnu s’épaississait alors que la jeune princesse sentait ses nerfs venir fleurer sa peau d’une nouvelle sensibilité. Puis cela fit jour dans son esprit : ce calme apparent n’était pas celui d’un être mis en confiance, mais davantage celui d’un prédateur se sachant au sommet de la chaîne alimentaire ! De ses grands yeux bleus, Victoria continua d’observer son profil racé, béni par les Déesses d’une beauté frappante alors qu’il approchait du chanteur endormi.

Le dard plongea avec une douceur trompeuse. L’aiguillon s’enfonça dans la nuque comme un couteau dans du beurre et s’en alla tout aussi simplement rejoindre sa place première. Pas de sang, aucune violence dans l’acte. Une aisance écœurante en réalité, une cruauté si naturelle qu’elle dépassait l’entendement humain. Un souffle s’échappa des lèvres sombres de l’assassin, bruit d’aise voire de soulagement qui retourna l’estomac de l’adolescente. A ses pieds, la silhouette allongée frissonna, fut prise d’un spasme, puis d’un second avant de s’immobiliser… pour ne plus jamais avoir à bouger de nouveau.

A quelques mètres seulement de la scène, Victoria Kohan sentit son cœur s’accélérer et sa raison vaciller. Alors que son nez lui picotait, les bords de sa vision se brouillèrent des larmes salées d’un effroi viscéral et qui menaçaient de rouler de ses cils écarquillés pour dévaler le long de ses joues pâles. Toutefois, une vive morsure appliquée sur l’intérieur de sa joue l’empêcha de céder à l’hystérie. Un sursaut de volonté, peut-être même d’orgueil, alors qu’elle refusait catégoriquement de paraître aussi pitoyable et faible aux yeux de quiconque… et surtout pas de cet homme. La jeune princesse ravala donc sa panique et verrouilla farouchement les cauchemars que cet incident menaçaient de faire remonter à la surface de sa conscience éprouvée. Gorge sèche, elle prit plutôt une longue et silencieuse inspiration afin de calmer le léger tremblement de ses mains, puis s’arracha à la contemplation du cadavre pour observer la main tendue vers elle.

Qu’on l’accuse de naïveté par sa jeunesse, elle n’était toutefois pas candide au point d’ignorer la menace lovée dans chaque inflexion de la question. Assise sur le bord de la terrasse, tête relevée en direction de l’assassin, elle portait le masque d’une stupeur à peine feinte. Pour chaque pas qu’il avait engagé en sa direction après son meurtre, Victoria s’était ressaisie bien que son cœur continua de jouer les oisillons effarouchés et que ses genoux, aux jambes repliées sous elle, ne soient restés de coton. Pelotonnée sur le bord de sa terrasse, pieds dans le sable et robe étalée comme une corolle de fleur blanche, elle retint brièvement son souffle tandis qu’elle laissait un sourire fleurir sur ses lèvres roses.

« - En voilà une question. »

La princesse fut heureuse de ne pas entendre sa voix trembler. Consciente que le moindre faux pas lui vaudrait la même piqûre que le Cawr, elle se mit à compter la rythmique de ses réponses et de ses actes comme on le ferait d’une valse impériale. Un, deux trois. Un, deux et trois… Elle glissa sa main dans celle de l’homme, aussi légère qu’un oiseau posé sur sa branche. De son autre main, elle ramassa les plis de sa robe sans se presser, le geste emprunt de grâce. Lorsqu’elle fut prête, elle fit peser davantage sa main dans la sienne et profita de l’impulsion que lui offrit Tearu pour bondir sur ses pieds et se retrouva, brièvement contre lui. Leur corps s’effleurèrent, juste le temps d’un souffle, avant que l’adolescente ne recule sans le lâcher et n’ajuste de sa main libre le drapé de sa robe. De quelques petites tapes légères, elle chassa le sable de ses rubans, puis leva ses doigts fins à son front pour arranger quelques mèches que le vent avait retiré de ses tresses.

Une, deux trois. Un, deux… trois. Elle plongea son regard dans le sien et fronça délicatement les sourcils. Comme dans une danse, c’était l’homme qui menait. Maintenant plus que jamais, elle devait jouer selon ses règles où elle trébucherait lamentablement. Ce fut toutefois avec sincérité qu’elle lâcha de ce même ton plaisant :

« - Les indiscrétions m’insupportent. Elles ne sont que le fruit d’oisiveté et de bêtise. Un esprit occupé n’a pas le temps de fureter dans la vie d’autrui et d’y créer des interruptions malvenues. »

Sa main échappa aux doigts de l’assassin, mais uniquement pour glisser le long de son bras avant de se glisser sous ce dernier. D’un pas léger, Victoria se rangea au côté de son invité et commença à marcher sur la plage. Ils quittèrent toutefois le sable chauffé par le soleil tropical pour gagner celui humide des vagues. Pieds dans quelques centimètres de vagues paresseuses, l’adolescente envoyait parfois quelques petites gerbes d’écumes devant elle et tenait le bras de sa robe légèrement remonté sur ses chevilles graciles.

« - Désirez-vous mener la balade  jusqu’au lieux où je vais ai trouvé ? Peut-être trouverons nous dans les racines de la mangrove quelques unes de vos affaires. Rassurez vous, la majorité se trouve dans ma chambre, dans un coffret sur la commode. »

Toutefois, elle espérait ne pas tomber sur les anciens morceaux de son corps. Elle avait déjà suffisamment peur de celui, entier, qui était en train de refroidir dans ses coussins… Comment allait-elle expliquer la mort d’un Maître Baptistrel sur sa terrasse !? L’angoisse vint la saisir de nouveau avec ses griffes glacées et elle sentit un frisson lui courir le long du dos. Ses doigts étaient déjà gourent de terreur tandis que sa gorge se serrait dès qu’elle glissait un regard discret vers l’adulte. Quand allait-il la tuer ? Non, il avait besoin d’elle pour rentrer à Sélénia alors agirait-il une fois en vue du port impérial ? Probablement, ce qui lui laissait un peu de temps pour s’organiser. Mais ce Baptistrel tout de même ! Que dire ? Que faire ? Une fièvre équatoriale, peut-être y croiront-ils. Elles étaient réputées pour être soudaine et souvent mortelles. Et ensuite ? Devaient-ils enterrer le corps ici ou le préserver dans la glace et le ramener ? Non… il ne fallait pas que le Domaine apprenne ce qu’il s’était passé où ça en serait fini de la Couronne ! Elle prétexterait qu’il serait plus respectueux d’enterrer le Cawr en vue des étoiles ou quelque chose comme ça.

Ses pensées s’interrompirent lorsqu’elle remarqua une étrange créature dans les vagues, ballottée d’avant en arrière dans le sable gris. Elle ne se souvenait pas d’en avoir jamais vu et la fraîcheur de cette nouvelle rencontre l’interpella plus qu’elle ne l’aurait dû en temps normal. Peut-être voulait-elle échapper à sa réalité quelques secondes. Juste une petite bulle de déni pour garder son sang-froid… juste quelques secondes.

« - Attendez, Tearu. Ceci… ? »

Elle lâcha son bras et s’approcha. Laissant tomber sa robe dont le bas s’engorgea aussitôt, elle plongea sans crainte les mains dans l’eau pour y pêcher ce qui s’avéra être une étoile de mer. La créature à cinq branche possédait une chair orangée aux contours mouchetés d’une couleur plus sombre, presque corail. Fascinée, oubliant l’espace de quelques secondes sa situation et l’horreur qu’ils venaient de laisser derrière eux, la jeune fille éleva l’animal au dessus de sa tête afin que les rayons du soleil révèlent toutes ses subtilités. Plusieurs gouttes tombèrent sur son visage et dans ses cheveux alors qu’un sourire incrédule illuminait ses traits délicats.

« - Vous savez de quoi il s’agit ? Quelle drôle de créature… je n’en avais encore jamais vu. »

Se tournant vers l’homme, elle tendit sa trouvaille pour qu’il puisse l’observer à son tour. Ce fut avec beaucoup de délicatesse qu’elle la reposa dans l’eau lorsqu’il lui vint à l’esprit qu’elle était probablement en train de la faire suffoquer. Mains croisées dans le dos, légèrement penchée pour continuer de l’observer au travers du reflet de l’eau, Victoria perdit son sourire et parla d’un ton qui se voulait léger, mais dont les intonations s’alourdissaient d’une certaine fatalité amère :

« - A la voir ainsi, balancée entre deux vagues… j’en viens presque à l’envier. Quelle vie facile semble-t-elle avoir ! Elle est jolie, gracile et elle paraît totalement inoffensive. Regardez-là, Tearu : elle se laisse porter par le courant, totalement impuissante. Bercée dans le ressac immuable des marées, elle n'a aucun chois et semble ne rien faire de ses journées. Mais ce n’est qu’une illusion puisque en réalité, chaque seconde de chaque minute est une véritable lutte pour la survie. Sa survie. Il y a tant de prédateurs là, dehors et qu’a-t-elle pour se protéger d’eux ? Elle n’a pas de dents ou de griffes, ni de dard pour attaquer. Elle n’a pas de carapace pour se cacher et sa beauté ne suffira pas, à elle seule, pour amadouer les plus dangereux de ses ennemis. Comment fait-elle dans ce cas ? Comment ne pas finir victime d'appétits qui la dépassent ? »

Parlait-elle seulement encore de l’étoile de mer ? Un léger sourire étira ses lèvres quand elle se redressa et leva les yeux sur l’assassin. Elle glissa à nouveau son bras sous le sien et reprit d’un pas léger leur balade, laissant la créature être emportée au large, captive d’un courant plus fort dans le bras d’un banc de sable. Bientôt, la jungle avait rattrapé la plage et ils purent profiter de son ombre bienfaitrice et du chant de quelques rares oiseaux, invisibles dans la futaie.

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Devrait-il cueillir cette délicate fleur ou allait-elle enfin se décider à briller pour son salut ? Il attendit encore quelques instants, une poignée de battements de cœur effarouché de celle qu'il avait baptisé en ce jour à mi-chemin entre miel et aloès. Fort heureusement pour tous deux, elle répondit, lui tira l'ébauche d'un sourire, le frémissement d'une entournure de lèvres assurées et sensuelles. Il referma à peine sa main sur celle, délicate et frêle, qu'elle y glissa, courbant son autre bras dans son dos, contre ses reins, en une posture distinguée souvent enseignée aux nobles. Se prêtant au jeu, il ne la pressa aucunement, se redressant lentement tandis qu'elle s'élevait à son tour vers lui. L'impulsion était là, mais justement dosée pour ne pas la tirer abruptement. Ils se frôlèrent et sa proximité bruissa de son parfum, de l'odeur de sa peau, de l'iode légère d'une sueur discrète, de l'huile de ses cheveux au blond doré, avant qu'elle ne recule de nouveau, sagement. Lui se tenait là, un bras toujours plié au creux des reins, jambes jointes en une attente souple et détendue quoi que gracieuse, sa main libre toujours présente, son regard aveugle dans le sien. Sa réponse lui valut les quelques notes d'un rire contenu et chaud.

« Sensible »

Mais pas tout à fait juste. Toutefois le petit oiseau chantait bien. Il n'avait pas envie de la détromper. Derrière la pointe vénéneuse qu'elle avait esquissé plus tôt comme l'on découvre une superbe cuisse, elle restait tout de même fort loyale à son image. Était-ce une illusion ? Il ne pensait pas. Il ne le pensait plus, en vérité. Elle avait du potentiel, à priori, mais elle était encore fragile. Cela restait néanmoins attractif. Une nouveauté, un art moderne. Peut-être même un passe-temps agréable au fond. Il lui offrit son bras, et la guida sur le chemin sablonneux de la plage jusqu'à cette ligne irrégulière et humide qui constituait la dentelle d'écume qui s'échouait sur l'île, portée par le roulis des vagues. Il aimait ce son, le soupire de l'eau et le cri des mouettes, un léger vent iodé et la chaleur qui s'échouait sur son corps et lui susurrait ô si délicieusement qu'il était en vie. En vie ! Et que cette vie était douce et agréable. Il allait définitivement devoir être plus prudent et en prendre soin. Il devait atteindre ses objectifs avant tout. Mais il était clair que pour l'heure le danger restait moindre, fort heureusement. Et puisqu'il était en vie, il allait en tirer de nombreuses leçons.

« Peut-être. Nous verrons cela »

Si le principal avait été sauvé, cela lui allait déjà très bien. Pour avoir vécu un temps comme miséreux et un autre comme scion du Souffle, il n'était pas attaché aux choses matérielles. Alors qu'ils marchaient tous deux vers le lieu de son naufrage, la jeune femme s'arrêta de nouveau, s'attirant un simple mouvement curieux de la tête de la part du scorpion. L'observant faire cette découverte sans la moindre malveillance, il hocha la tête à la question et lui confia le nom de cette délicate créature. Il en existait sur le vieux continent, dans les eaux de Lyssa entre autre chose. Elle avait une couleur plus vive cependant, plus vibrante que celles dont il avait précédemment l'habitude. Silencieux, il observait avec une grande attention les chatoiements orangés sous la surface de l'eau. Ce seul contact allégeait grandement sa tension, sans doute à tord. Il ne devait pas sommeiller. Reportant son attention sur la fille, il se redressa et considéra ses paroles quelques instants. Sans répondre, il lui offrit de nouveau son bras et ils reprirent leur cheminement. Ce ne fut qu'à l'ombre des arbres qu'il rompit son silence.

« Les étoiles de mer possèdent, pour certaines sous espèce, des venins, paralysants ou mortels. Elles évoluent, comme toutes créatures en ce monde, se servant du danger pour changer, pour s'adapter. Ainsi Vie fit-elle le monde animal »

Sa voix était tranquille, docte et composée.

« Leur apparente faiblesse est parfois leur plus grande force, car elles sont mésestimées. Une carapace avoue la capacité défensive de son porteur. Une rangée de dents en rasoirs avoue la capacité à trancher la chair. Un dard avoue la capacité à piquer. Ce sont des éléments que les autres animaux peuvent voir, comprendre et surveiller. Mais comment surveiller une arme invisible ? »

Bientôt, le sable et la terre se firent meublent et sensiblement pliant. La mangrove était là, avec son entrelacs de racines tordues, son ombrage et l'inimitable parfum de sa vase. Si proche de Keet-Tiamat, ce n'était guère étonnant. Dans ces flots troubles se dissimulaient des poissons, des nids et bien d'autres créatures. Il la laissa lui indiquer exactement l'emplacement où elle l'avait découvert et là, il la relâcha pour examiner avec attention la zone. Se mouvant avec d'infinies précautions, le pied sûr, l'immaculé fit le tour de l'ensemble en repêchant quelques objets mais s'avoua satisfait de ne trouver aucune de ses principales possessions au fond de la vase. Il ne possédait que peu de choses réellement intéressantes, tout ce qu'il récupérait de plus serait simplement du temps gagné et rien d'autre. Et un inconfort de moins. Mais ça n'avait aucune autre utilité. Alors qu'il songeait à promener son petit oiseau ailleurs, un mouvement et une forme suspecte, dans l'eau, attirèrent son attention. Se portant à la rencontre de la chose, il resta un instant songeur en l'observant avant de la tirer des flots.

« Les bras m'en tombent... »

Il en releva un, d'où pendait encore des lambeaux de chair et qui semblait tressauter par moment, comme un serpent auquel on aurait coupé la tête. La chair avait disparue en plusieurs endroits, un des doigts manquait sur la main attachée, mais ces tremblements l’interpellait tout de même. Avec un 'hm' songeur il déposa ce qu'il tenait de l'autre main sur la rive et plia la main pour faire béer la déchirure des tendons de son ancien poignet jusqu'à voir une petite pince apparaître. Quelque chose bougea dans les chairs gonflées d'eau de mer et il soupira avant de tirer de là un crabe des mangroves à la carapace tâchée de vase.

« Je m'en doutais »

Il hésita, puis réintégra le crabe dans son nouvel habitat avant de caler le bras dans l'eau, sous une fourche de racines apparentes pour qu'il ne bouge pas trop. Un instant, il s'était demandé s'il n'allait pas pouvoir pêcher avec ça mais ce serait sans doute difficile. Il n'était pas bien certain des poissons qu'il attraperait. Et, étrangement, la pensée de manger du poisson le répugnait sur le moment. Curieux. Le poisson était un met secondaire certes mais c'était un met courant à Lyssa par exemple, qui avait basé toute son existence sur ses pêcheries, les seules du vieux continent. L'art Lyssien de la mer avait été salutaire lors de l'exile. Il n'avait jamais craché là dessus jusqu'à présent. Sans doute le contre coup de revenir après être passé si près des portes de Mort.

« Je n'ai pas le cœur à la priver d'un bon déjeuner. Quittons ce lieu »

Adressant une courte prière à Mort, il se détourna pour pouvoir récupérer les effets repêchés, et pour l'écarter elle du festin marin.

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Ses pieds nus, mouillés par les vagues, s’habillèrent en mocassins de sable blanc alors qu’ils gagnaient le couvert des arbres. Les ombres de palmiers jetèrent sur leurs silhouettes des esquilles de soleil et portèrent sur eux un vent bien plus frais à l’iode moins étouffante. De subtiles notes fleuries s’ajoutèrent alors que le chant du ressac s’intensifiait à mesure qu’ils approchaient de la mangrove. Tête légèrement penchée afin de surveiller où elle mettait les pieds, Victoria écoutait avec une grande attention les paroles de son escorte et esquissa l’ombre d’un sourire entendu aux conseils subtilement dissimulés. Il n’était pas étonnant qu’un spirite du scorpion lui suggère d’user de poisons pour se défendre et il était vrai que cette arme était la préférée de bien des Courtisanes. Peut-être devrait-elle s’y intéresser lorsqu’elle rentrerait à Sélénia, mais pour l’heure c’était davantage l’aspect du bluff et des fausses apparences qui l’intéressait. Un jeu dont elle était déjà beaucoup plus familière.

Les arbres aux racines tortueuses, véritable forêt de lianes rigides érigées vers un ciel de plombs, se révélèrent après un virage serré sur la côte de plus en plus agitée. Le sable devint plus solide bien que spongieux, puis ce ne furent que la calcification de déchets végétaux comme une immense éponge noire lustrée aux millions d’alvéoles sur la surface. Rigide, bien que poreuse, elle s’éventrait parfois en ravins et cratères où l’eau saline stagnait en flaques bouillantes. Ici et là, des zones plus profondes abritaient des crevettes et des poissons captifs de la dernière marée ou d’une vague trop haute qui les aurait échoués là, dans l’attente d’une longue agonie ou d’une prochaine libération. Ce lieu avait la particularité de freiner la marée et de réguler la virulence des vagues lorsque le vent se levait. Barrière végétale, elle était à la côte ce que les récifs de corail étaient aux fonds marins ; un lieu de vie foisonnante et complexe.

C’était pour cette raison que Victoria aimait tant s’y promener, car elle y trouvait toujours quelque chose de nouveau à contempler et parfois même à attraper pour satisfaire sa curiosité et ses caprices. Prenant la tête de leur petite expédition, ils ne tardèrent pas à arriver sur les lieux où elle l’avait repêché et s’arrêta à quelques pas des racines les plus denses où la vase sous l’eau portait une odeur trop forte pour son nez sensible et guère habitué à pareils effluves. Se penchant lestement, Victoria amassa le bas de sa robe afin qu’elle ne se souille pas des résidus odorants et s’approcha à petits pas prudent chaque fois que l’homme retrouvait l’une de ses possessions. Elle le félicitait avec un sourire, à la fois soulagée qu’il puisse encore récupérer ses affaires, qu’inquiète de la nature exacte de ses trouvailles ; cet homme était bien assez dangereux comme ça, pourquoi lui donner de nouveaux outils et raisons de l’être davantage ?

Ses protestations restèrent toutefois muettes, car le dard du scorpion ondoyait toujours dans le dos bien fait de Tearu. Espérant qu’ils en aient terminé ici, elle fronça son petit nez d’une adorable mimique lorsqu’elle le vit approcher d’un entrelacs particulièrement dense et immergé. Avait-il trouvé quelque chose ? Intriguée par son comportement, mais encore incapable de voir ce dont il s’agissait, Victoria pencha la tête sur le côté dans une interrogation silencieuse et se figea immédiatement lorsqu’il lui fit face avec sa trouvaille entre les mains. Son teint se fit livide et ses doigts, crispés dans les replis de sa robe, se mirent à trembler légèrement. L’homme tenait ce qui avait été l’un de ses bras, probablement détaché à son corps supplicié lorsqu’il flottait dans la mangrove, peu de temps avant qu’elle ne le sauve. La chair sombre avait viré au gris de vase, boursouflée, cloquée et parfois détachée de l’os en lambeaux spongieux et rongés, elle semblait encore palpiter de vie.

Victoria sentit l’acide d’une bile aigre lui brûler le fond de la gorge, mais ce fut un rire et non pas un cri qui lui échappa à cette vue écœurante. D’abord nerveux et saccadé, son rire manqua de s’essouffler mais fut relancé en des notes plus riches et naturelles, lacées avec l’influence du Paon. Le commentaire de Tearu lui faisait enfin sens et cette touche d’humour noir, voire carrément glauque, détendit tout son corps de la pression et de l’angoisse ressenties depuis le meurtre du Cawr. La scène paraissait totalement absurde : un homme avec ses deux bras fonctionnels, ayant frôlé quelques heures plus tôt une mort certaine, tenait maintenant son ancien bras gauche et avait même le culot de placer une note d’humour à son sujet !? Si elle ne décidait pas d’en rire, la jeune princesse était certaine de se mettre à pleurer. Hors quelque chose lui disait que Tearu n’aimait pas les femmes geignardes et pitoyables.

Son rire s’étrangla toutefois lorsque l’homme manipula l’articulation du poignet, révélant d’abord les tendons puis le blanc lustré du cartilage et des ossements. Victoria sentit son ventre se soulever, mais elle conserva avec brio un sourire ainsi qu’une expression, à défaut d’enjouée, au moins neutre. Ravalant son dégoût et son horreur, elle posa les mains sur ses genoux et vint s’accroupir aux côtés du bras après avoir soigneusement lissé sa robe. La vue de la petite pince lui arracha un hoquet et elle posa une main devant ses lèvres, cachant sa grimace. Un crabe !? Ce n’était guère étonnant, mais néanmoins répugnant surtout que ses petites mandibules continuaient de nettoyer le devant de sa bouche comme s’il finissait une bouchée particulièrement juteuse. Une fois encore, un haut-le-cœur envoya dans sa gorge une bile aigre et elle peina à déglutir alors que Tearu s’en allait coincer le bras dans une fourche de racines pour laisser la faune locale s’en repaître. Ne pouvait-il pas l’enterrer ? A son tour, elle se releva et glissa une mèche derrière son oreille.

« - Vous avez raison. C’est définitivement un déjeuner qui a dû coûter un bras. »

La remarque lui échappa avant qu’elle ne puisse y réfléchir à deux fois et elle sentit ses joues chauffer légèrement à cet humour peu familier. Elle coula un regard vers l’assassin tandis qu’il ramassait ses effets, puis l’accompagna hors des mangroves pour regagner le centre de l’île. Aux premières lignes d’arbres côtiers constituées principalement de cocotiers et de palmiers en éventail, ils trouvèrent sur les hauteurs d’une colline quelques bougainvilliers en fleurs et une herbe rase, étendue sur le sol sablonneux comme un réseau aux brins engorgés et moelleux. A cette altitude, ils avaient une belle vue sur la majorité de la minuscule île, simple fragment d’une série plus grande qui s’étalaient dans l’océan jusqu’à perte de vue. Dans la crique, l’on pouvait voir le navire aux voiles repliées et aux mâts tanguant sous le ressac. Le drapeau sélénien battait la proue tandis que les gueules sombres des canons magiques luisaient sous le soleil.

« - Tearu, avec les récents événements, j’aimerai vous reposer une question et cette fois, j’attends une réponse franche. »

Elle se tourna vers lui et leva une main pour retenir sa chevelure qui s’envolait dans la brise tiède. Ses yeux s’ancrèrent dans les siens sans détours. Sa robe claquait autour de ses chevilles alors qu’un ruban et des fleurs s’envolèrent d’une de ses tresses pour tomber plus loin, accrochés dans les branches basses d’un buisson. Sa voix restait douce, arrondie de douceur et de sa jeunesse, mais elle portait déjà les inflexions de celle qui avait ou aurait d’ici peu l’habitude de commander et de se faire obéir. A savoir si cela fonctionnerait aujourd’hui, c’était une autre histoire ! Mais elle se devait d’essayer.

« - Désirez-vous toujours m’accompagner jusqu’à la capitale ou préférez-vous être déposé plus bas sur la côte ? »

Elle ne comptait pas le dénoncer, ni le jeter aux fers dès qu’ils seraient dans les eaux de l’Empire, mais elle ne pouvait pas non plus empêcher les serviteurs et encore moins ses soldats de réfléchir et, fatalement, de faire 2+2 à un moment donné. Ils allaient avoir plusieurs jours de voyage, la mort du baptistrel éveillerait des soupçons, plus encore avec l’équipement que transportait l’inconnu et, de façon plus incriminant bien que totalement raciste ; sa queue de scorpion. Le tout n’encourageait pas à donner une image très innocente de Tearu, hors elle savait que le capitaine de sa garde était un homme particulièrement rigoureux et parfois même obtus. Quand il avait une idée en tête, il ne l’avait pas ailleurs.

Étrangement aussi, elle ne désirait pas voir le miraculé se confronter à l’équipage et encore moins être abattu au moindre soupçon d’une garde trop zélée. Cela rendrait d’un côté la mort du Cawr totalement inutile et de l’autre la mettrait elle dans une situation bien trop délicate pour qu’elle reste à son goût. La raison voudrait qu’elle en profite pour le dénoncer et s’éviter, plus tard, un possible chantage. Toutefois, il y avait quelque chose de magnétique chez cet homme ; le danger qu’il exsudait semblait sous contrôle, dicté par une logique plutôt qu’une pulsion aveugle. Elle voulait gratter le vernis qu’il lui opposait avec sa bonne tenue et ses discours. Elle voulait voir ce qu’il se cachait en dessous, succomber à une curiosité étrangement morbide. L’expression neutre bien que son regard soit rempli d’une honnête détermination, l’adolescente ajouta avec aplombs :

« - Votre compagnie me plaît et justement parce qu’elle me divertie, je n’aimerai pas que certaines circonstances viennent à m’en priver sur le long terme. Voyez-vous, ce navire comporte ma garde personnelle, l’équipage en plus de mes serviteurs. Je crains qu’un séjour prolongé en leur compagnie ne soulève quelques… difficultés concernant l’incident du patio. »

D’où lui venait cette curiosité ? Ce besoin de poursuivre cette valse mortelle avec cet inconnu ? Le moindre faux pas risquait de signer son arrêt de mort. Une piqûre, une seule ; voilà tout ce qu’il suffirait pour arrêter leur jeu. Un faux pas et il aurait une ascendance définitive sur elle. Une erreur dans le tempo et il se lasserait, lui échapperait et elle ne le reverrait jamais plus dans le meilleur des cas. A quel moment avait-elle commencé à s’y intéresser ? Lorsqu’il avait tué le Cawr et l’avait épargné ? Quand ils avaient échangés sur l’étoile de mer ou tout à l’heure avec le bras ? Une fissure après l’autre dans le barrage de cette part d’ombre qu’elle enfouissait depuis l’enfance. La peur de finir comme son géniteur, l’angoisse permanente de marcher sur ses pas sans le réaliser… Un bandeau sur les yeux, funambule au dessus du gouffre d’une folie qu’elle se construisait toute seule, Victoria cligna des yeux et ne pu cacher, l’espace d’un instant, cette fascination tordue, terrifiée et encore inavouée. Rapidement toutefois, elle retrouva un visage neutre et fronça délicatement des sourcils.

« - Je n’ai malheureusement pas encore l’autorité de me faire totalement obéir par le capitaine de ma garde. De ce fait, je pense qu’il serait plus prudent pour votre sécurité que vous débarquiez sur les ports de l’Alliance plutôt que ceux de l’Empire. »

Elle se détourna pour observer le navire et pointa du doigt les flancs arrondis de ce dernier pour ajouter avec un brin de sarcasme :

« - Ou bien vous attendez la nuit et volez une de ces chaloupes pour gagner la côte quand bon vous semble. »

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Le trait d’esprit le surpris, avant qu’il ne se fende d’un sourire chaleureux mais évanescent et d’un mouvement de la tête pour saluer l’initiative. Voilà qui était plaisant à entendre et une très bonne tactique face à ce qu’il venait de lui infliger. La façon de réagir d’une créature confrontée à sa conception de l’horreur et du répugnant en disant en général plus long sur son caractère que cette conception elle-même. Comme aucune créature en ce monde ne naissait égale et équitable face aux autres, comparer l’essence d’un sentiment relevait de l’irraison de la même manière que l’était l’idée de comparer un poisson et un écureuil et de les jauger sur leur capacité à grimper aux arbres. La réaction en elle-même n’était pas plus exacte à analyser mais elle donnait plus de justesse et de nuance à la substance dont était fait le sujet. Du moins était-ce son avis personnel. La laissant se découvrire dans la pudeur du silence, le scorpion la guida hors de l’espace humide et vaseux de la Mangrove pour regagner le sable fin, puis l’herbe rase du centre de la petite île, où la chaleur du soleil chauffait les fins grains comme un souffle tiède tandis que le vent frais venait alléger le poids des rayons sur la nuque. En vu du navire impérial, Teotl se prit à l’étudier en silence.

C’était une belle bête, frégate puissamment armée battant pavillon Sélénien, peut-être un poils trop voyante dans ces eaux méridionales et si proches des terrains de chasse des pirates. Hisser si haut les couleurs était une invitation à être pillé. Mais il doutait heureusement que cela arrive pour l’heure, la confrérie avait d’autres choses en tête. Avisant un coin confortable contre un palmier, le scorpion s’installa et tourna la tête dans la direction de la voix de l’humaine. L’ombre de l’amusement peignit ses traits sans toutefois en rompre la composition. Une réponse franche hein ? Avait-elle conscience que la vérité n’était pas une belle toile de maître ? Il était définitivement diverti par cette jeune personne et un peu plus à chaque minute qui passait entre eux. Silencieux, il la laissa aller au bout de ses pensées, sans rien dire, sans rien montrer. Quelle adorable inquiétude que celle-ci. Toutefois, il n’avait aucune intention de retourner au sein de l’Alliance pour le moment, après ce qui lui était arrivé. Elle alla au bout de sa pensée alors que lui observait sans rien faire, ne semblant pas plus inquiet que cela. Et c’était le cas. Bien qu’une saine méfiance persistait, Sélénia était un terrain de jeu connu et maîtrisé et ça le changeait agréablement.

Je vais rentrer avec vous à la capitale

Mais il ne comptait pas lui dire comment il allait s’y prendre, à une exception près.

Le Cawr va avoir insisté pour rester encore un peu en ce lieu, pour profiter de sa sérénité afin de méditer et de ressourcer ses sens vibratoires. Il se sera excusé tôt auprès de vous de ne pouvoir vous accompagner et a préféré s’isoler sans plus attendre. Vous ne souhaitiez pas aller contre les voeux d’un maître chanteur

Cela semblait être une simple histoire qu’il lui narrait mais l’ordre sous-jacent était aussi naturel que tranquille. Elle allait apprendre rapidement à mentir si elle ne savait pas le faire. Tout était une affaire de gérer son physique et son histoire. Ainsi, celle-ci était juste ce qu’il fallait pour ne pas inciter les gardes à en savoir davantage. Par nature, la soldatesque ne se mariait guère avec la douceur et la sensibilité des gardiens du savoir. Attrapant une tige, il décida de s’occuper les mains par un tressage simple et souple pendant qu’il lui parlait, lui inculquant les quelques éléments de la suite de son aventure. Tout comme pour le Cawr, il ne fallait pas trop en faire, sa couverture était déjà très solide au sein du royaume de la lune, comme elle le découvrirait relativement vite s’il l’accompagnait. Forcément, il allait être reconnu en arrivant à la cour mais ça lui allait très bien. L’histoire était divertissante et stupidement bien faite autant pour sa réapparition que pour la jeune femme qui en profiterait forcément. Il n’était pas rosse avec les petits oiseaux qui chantaient bien lorsque ceux-ci n’étaient pas dangereux.

Si vous faisiez un arrêt dans un port de l’Alliance, subitement, cela serait étrange. Mais dites moi… une garde soupçonneuse, une frégate fort bien armée avec les derniers modèles de canons magiques, et le blason royal sur votre pavillon… Je vous prenais pour une fille de marchand au mieux, Enoha, mais l’êtes-vous réellement ?

Il laissa passer quelques instants d’un silence qui, pour lui, était parfaitement relaxé. Puis eut un sourire permissif et vint nouer le tressage végétal dans ses cheveux avec des gestes assurés.

Lorsque notre petite balade sera achevée nous rentrerons et vous irez immédiatement à l’intérieur pour vous assurer que votre amie dort encore. Je resterais dehors, pour continuer de profiter de l’air et quand vous ressortirez, je serais entrain de réarranger vos coussins. Vous me présenterez puis nous verront pour visiter votre navire. Dans combien de temps désirez-vous quitter cette île exactement ?

Ses mains vinrent reposer légèrement sur ses frêles épaules.

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Elle se tourna pour lui faire à nouveau face et leva sur lui un regard qui ne vacillait pas. Le bleu lagon de ses prunelles était encore clair d’innocence et de candeur, mais portait la profondeur d’une farouche détermination et l’éclat d’une vive intelligence. Et comme la crique qui se peignait derrière sa frêle silhouette, il y avait dans le remous de ses grands yeux une part d’ombre encore à peine effleurée. L’entendre lui affirmer qu’il viendrait à la capitale avec elle fit ciller son corps, mais elle ne baissa pas le nez et ne rentra pas les épaules malgré son inquiétude grandissante. Silencieuse et attentive, elle écouta la suite et si le début sembla la troubler d’inconfort, l’adolescente rattrapa bien vite le fil logique et une lueur de compréhension brilla bien vite dans son expression tandis qu’un léger sourire ourlait finalement ses lèvres pleines.

Elle comprenait l’ordre et la menace sous l’histoire et derrière le mensonge ainsi tissé, elle appréciait la subtilité qui s’en dégageait. A son tour songeuse, elle laissa son attention dériver sur les mains de l’assassin qui assemblaient des tiges d’herbes. A l’image du tressage qu’il était en train d’effectuer, tout ce qu’il venait de dire se tiendrait parfaitement ! Il ne serait pas étonnant qu’après une opération aussi lourde, un maître chanteur désire l’isolement afin de se ressourcer quelque part. Tearu avait été dans un état tel que personne d’autre qu’un Cawr aurait pu le remettre, littéralement, sur pieds. De même, comme personne ne viendrait contester sa parole à elle, vraisemblablement fille d’un bourgeois ou d’un noble, personne n’irait non plus chercher confirmation auprès du-dit Baptistrel au risque de perturber ses précieuses vibrations. Tout ce qu’il restait à faire était de maintenir la même version de l’histoire de A à Z sans faillir.

L’approche de Tearu plongea la jeune fille dans son ombre et elle leva la tête vers lui avec surprise, ne s’attendant pas à ce qu’il comble la distance entre eux d’une façon si cavalière. Un instant, elle s’en voulu d’avoir baissé ainsi sa garde, puis se rappela qu’elle ne pourrait de toute façon rien faire pour se protéger s’il prenait l’envie à cet homme de l’agresser sérieusement. Qu’il soit un vampire, un de ces immaculés ou tout simplement un humain ; il s’agissait d’un adulte entraîné à tuer et en parfaite condition physique. Que pourrait-elle faire ? De la magie ? Ses mains tremblaient déjà et son cœur battait la chamade alors qu’elle restait immobile à le contempler. Ses yeux ne flanchaient toujours pas, car elle se refusait en tant qu’héritière de la couronne Impériale à baisser les yeux devant qui que ce soit, mais c’était bien là la seule bravade dont elle était actuellement capable.

Ses paroles. Sa voix. Un idiot aurait pu penser à une conversation tout à fait banale. Un homme qui pointe des détails intrigants tout en faisant preuve, au mieux, d’une saine curiosité à leur égard. Mais Victoria entendait dans les inflexions chaudes et plaisante de son timbre la caresse mortelle de quelque chose de bien plus dangereux. Elle ne bougeait pas alors qu’il nouait dans ses mèches le tressage d’herbes et elle ne bougea toujours pas lorsqu’il fit peser sur ses fines épaules le poids de ses mains. La peau de la jeune damoiselle était chauffée par le soleil et d’une douceur encore prise dans l’enfance. La dentelles des bretelles qui ornaient sa robe et le nœud des rubans purent chatouiller les doigts de Tearu au même titre que les boucles blondes qui coulaient librement dans son dos délicat.

Rien ne semblait menaçant dans les paroles ou les gestes de cet homme et pourtant Victoria avait l’impression d’être entre les pinces d’un terrible prédateur. Toujours plongée dans son ombre, surplombée par sa haute silhouette athlétique, elle se sentait terriblement en danger. Sa gorge était sèche, nouée au même titre que son estomac. Ses genoux lui semblaient soudain de coton et pourtant… pourtant elle avait étrangement chaud dans le bas de son ventre. Ses reins étaient noués, mais pas de terreur. Il y avait quelque chose d’autre en elle qui grattait sous la surface de sa conscience. Et ça, peut-être même plus que Tearu, lui faisait peur.

Réalisant que son silence allait passer pour de la faiblesse et sachant d’instinct que la faiblesse ne conviendrait pas dans cette danse invisible qu’elle menait avec cet homme, l’adolescente leva ses mains et fut soulagée de voir qu’elles ne tremblaient plus alors qu’elle venait doucement, mais fermement, repousser celles qui traînaient sur ses épaules. Un, deux trois. Un, deux et trois ! Comme les pas d’une danse, elle devait continuer à avancer. Il avait peut-être l’ascendant, comme un partenaire lors d’une valse, mais il lui restait encore une belle marge de manœuvre pour affirmer son identité. Sa valeur.

« - Votre cadeau me plaît. Votre hardiesse, moins. »

Ce fut un regard froid qu’elle lui lança alors qu’elle se détournait de moitié afin de s’écarter de quelques pas. A l’aveuglette, elle caressa la couronne qu’il venait de lui offrir et sentit son cœur louper un battement aux sous-entendus qu’un tel présent impliquait. Avait-il compris qui elle était réellement !? Était-ce une bonne ou une mauvaise chose ? Il pouvait essayer de la garder dans ses bonnes grâces s’il cherchait plus tard à utiliser son influence ou bien il pouvait la prendre comme otage et s’en tirer avec une belle somme ! Non, il ne semblait pas être ce genre d’homme ; de ceux à espérer des choses aussi éphémères. Il n’était pas non plus stupide pour croire qu’en tant que femme à la Cour de Sélénia, toute princesse soit-elle, elle avait le moindre poids politique. Alors quoi ?! A quel jeu jouait-il maintenant ? Elle devait comprendre pour ne pas se faire totalement dominer et perdre toute initiative dans leur relation.

Malgré la distance qu’elle imposa entre eux, Victoria pouvait toujours percevoir la chaleur de ses mains sur ses épaules et sentit ses propres joues chauffer délicatement. Pourtant elle garda une expression neutre, pleine de noblesse car elle ne voulait pas s’embarrasser davantage.  Et puisqu’il ne la confrontait pas directement sur son identité, elle pouvait toujours s’amuser sur les prétendus secrets qu’ils voulaient, l’un et l’autre, conserver. Il avait jusqu’à présent habilement détourné ses questions, ne donnant que le strict minimum comme informations et d’une façon telle qu’il était impossible de savoir s’il s’agissait d’une vérité complète ou partielle. Elle aimait cela et l’enviait aussi alors qu’elle apprenait encore les ficelles d’une telle capacité. Ce fut d’une voix à nouveau chaude et légère qu’elle reprit la conversation :

« - Concernant vos suppositions, pourquoi ne serais-je pas une fille de marchand ? La bourgeoisie peut s’allier avec la noblesse, voire la royauté. Peut-être suis-je une fille d’un haut émissaire de la Hanse promise à un cousin de l’Empereur… Et disons que ce navire est celui que mon promit me prêterait pour mes déplacements ! Peut-être n’est-ce pas le temps exécrable de Sélénia que j’évite en me cachant ici, mais peut-être est-ce mes propres fiançailles. Je suis Ehona après tout, non ? »

Elle pouvait être qui elle voulait avec ce nom. Ici sur cette île connue de personne, en dehors des terres de Sélénia ou même de l’Alliance. Glissant les doigts dans son épaisse chevelure, Victoria perdit le sourire qui avait accompagné ses paroles pour retrouver une expression plus songeuse. Les mèches bouclées, encore parsemées de rubans et de fleurs, furent assemblées par dessus l’une de ses épaules et elle commença à les tresser pour que le vent cesse de les emmêler.

« - Pour ce qui est de notre départ, je pense qu’il faudra l’organiser dès demain à l’aube. Nous profiterons de la marée pour les manœuvres. »

Victoria regarda le soleil qui tombait dangereusement bas sur la ligne d’horizon.

« - Ma garde croira mes paroles lorsque je vais lui assurer que le Cawr s’est isolé en pleine nature pour se ressourcer, mais si ce dernier venait à louper trop de repas alors les soupçons reprendraient malgré tous nos efforts. Je ne pourrais pas tenir mon amie éternellement endormie eut égard à sa propre santé et de la même façon que l’absence prolongée du baptistrel éveillerait les soupçons, le sommeil forcée de Lucinda ne paraîtra pas plus logique. »

Elle le regarda et lui fit un léger sourire.

« - Nous pourrons passer la nuit dans le navire en ce cas. Vous aurez votre propre cabine et intimité. »

Et l’adolescente espérait avoir un verrou plus solide à la porte dans la sienne, de cabine. Lissant le devant de sa robe, elle rejeta dans son dos sa tresse et pointa du doigt un autre chemin qui s’enfonçait dans le cœur de l’île et faisait une boucle pour revenir là où se trouvait sa « demeure ». De même, elle désigna une chaloupe qui quittait le navire pour rejoindre la côte. Il s’agissait de son personnel qui venait probablement préparer le repas du soir.

« - Nous devrions rentrer où nous allons servir de festins aux insectes. »

Comme le cawr une fois que Tearu s'en serait débarrassé...

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Il n'eut qu'un léger mouvement de la tête sur le côté, mais toute sa posture déclamait tant son amusement que son sain scepticisme. L'Empereur n'avait plus de cousin depuis plusieurs années après tout, la Hanse était si vaniteuse qu'elle préférerait afficher ses couleurs plutôt que celle de la couronne, et aucune fiançailles d'importance n'avait été annoncé dernièrement. Elle avait néanmoins raison, maintenant qu'il avait la certitude de sa réponse, elle pouvait bien s'inviter la vie qu'elle voulait. Il n'irait pas la traquer jusqu'à la faire admettre. Elle retrouverait bien assez vite sa couronne aussi n'avait-il pas de raison de hâter la chose. Surtout s'ils partaient le lendemain. Bien, il n'avait aucune raison de rester ici après tout et il était grand temps que la suite se profile. Ceux qui l'avait envoyé à la mort devaient jubiler de leur réussite, mais il allait leur prouver avoir plus de chance que de bon sens. Hochant la tête à l'invitation, il ouvrit la marche d'un pas souple. Ils atteindraient la demeure avant que le personnel ne soit là, lui donnant le temps d'emporter le cadavre pendant qu'elle se préparait à la suite. Le vent commençait à fraîchir plus franchement, à devenir sensiblement coupant, revivifiant les insectes qui sortaient pour trouver leur pitance.

Se séparant d'elle à l'arrivée, il fut satisfait d'avoir tout juste le temps nécessaire à ses ambitions et il revint pour trouver la jeune humaine auprès d'un homme d'âge mur portant les armes ainsi que d'une autre jeune personne de la bonne société. Se parant d'un sourire courtois, il s'approcha lentement, avec une évidente précaution, gardant une main contre le mur et tournant souvent la tête de droite et de gauche, semblant attentif à tout. Il se souvenait de sa manière de fonctionner quand il était complètement aveugle et n'avait guère de mal à la reproduire désormais à l'identique. Son rôle du naufragé reconnaissant était simple et c'était souvent les jeux les plus simples qui fonctionnaient le mieux, au regard des autres. Et comme de juste, après un repas correct, ils furent conduits jusqu'au navire pour y passer la nuit. Seul dans sa cabine, il évalua les chances de pouvoir atteindre les quartiers de l'humaine sans éveiller de soupçons et décida que pour la soirée, cela ne valait pas le coup. Il fallait attendre et la laisser réfléchir, il lui avait donner plus que son content de matière à moudre au moulin de ses jeunes pensées, non ? Il resta sage et profita de sa nuit autant qu'il le pu, en ayant également besoin. Dormir fut salvateur en effet et lorsqu'il s'éveilla le lendemain, ce fut au son du départ.

Pour autant, il décida de ne pas se montrer immédiatement. S'étirant sur sa couche, le pirate ferma les yeux et fit le vide, cherchant à se concentrer. Il devait réfléchir au calme, trouver comment s'organiser pour la suite. Il y avait plus d'un mois de mer jusqu'à Sélénia. Il pouvait faire prévenir son domaine au sein de l'Empire dès qu'ils atteindraient Calastin, pas avant, et devrait faire très attention que ses ennemis ne le repère pas avant que ce ne soit le bon moment. Lorsque midi vint, il décida enfin de se montrer, prétextant une grande fatigue après la terrible épreuve qu'il avait subie. Durant tout le voyage, il resta en retrait et tranquille, afin de ne pas attirer l'attention. Le navire était un espace trop restreint pour qu'il se permette quoi que ce fut de fantaisiste. Il travailla cependant à maintenir sa forme autant qu'il le pouvait, n'aimant pas l'idée de rester inactif pendant tout ce temps. Puis, lorsque les côtes Séléniennes approchèrent enfin, Teotl décida d'expédier enfin le message qu'il avait préparé, puis de rassembler son jeu pour l'arrivée dans la capitale. Ici, les masques tombaient, ceux qu'ils avaient portés durant le voyage, sur l'île, quand ils discutaient, mais il avait encore des masques dans son escarcelle et en abandonnait un pour en récupérer un autre.

Leur arrivée au port d'Azzuréo ne fut pas celle qu'il imaginait. Immédiatement, en voyant l'activité du port, Teotl, habitué à ces considérations, comprit que quelque chose clochait. Mais quoi exactement ? Il était bouillant d'activité, ce port. La guerre avait-elle finalement été déclarée avec les cités libres ? Non ça ne ressemblait pas à une clameur de guerre, plutôt… à une profonde excitation. Mais depuis le pont, impossible de véritablement savoir de quoi il retournait. Dès qu'ils arriveraient à terre néanmoins ? Cela changerait. Pour le moment, il décida d'attendre et de rejoindre la petite princesse, la laissant mener ce retour triomphant.

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Le retour au camp s’effectua dans un silence pensif, du moins pour la jeune fille. Marchant d’un pas leste aux côtés du meurtrier, elle faisait mine de surveiller où elle mettait les pieds bien que son regard resta trouble et guère attentif, en réalité, à ce qui l’entourait. Elle avait toutefois confiance en son escorte pour lui éviter tout obstacle fâcheux et lorsqu’elle fut aux abords de la petite villa d’osiers et de rondins, elle sembla enfin retrouver la pleine conscience de son environnement. Laissant Tearu à ses affaires -fort macabres au demeurant- elle s’en alla dans un premier temps dans la salle d’eau pour rincer son corps du sable et du sel ainsi que de la sueur récoltés lors de leur promenade. Une fois présentable, elle retourna dans sa chambre où elle détacha sa pauvre cousine et l’allongea d’une façon moins embarrassante pour elle. Quelques petites claques suffirent à la sortir de son sommeil magique et face à ses airs d’oiselle effarouchée, Victoria lui expliqua brièvement que la fatigue et l’angoisse avaient eut raison d’elle et que sans plus de manière, elle avait dormi plusieurs heures au lieu de s’occuper des besoins de leur invité et de sa princesse. Satisfaite de la voir aussi confuse que contrit, Victoria joua la carte de la clémence et lui pardonna cet écart étant donné les conditions exceptionnelles dans lesquelles elles se trouvaient.

Assurée que sa dame de compagnie n’oserait plus poser de questions ou de soupçons sur Tearu de peur d’être encore en faute, l’adolescente alla aux devant de son Capitaine de la Garde. Elle en était à le mettre au courant des récents événements lorsque l’assassin réapparu. Le voir jouer les aveugles et les affaiblis manqua de lui arracher un gloussement, mais la jeune princesse se retint et n’afficha qu’un masque de douce inquiétude saupoudré de son éternelle candeur. N’ayant pas à craindre que l’on remette en doute sa parole, Victoria dressa le tableau convenu avec l’immaculé concernant la disparition du baptistrel et s’annonça fatiguée de cette île maintenant qu’elle en avait fais le tour. Puisque son « caprice » était terminé, ils pouvaient dès lors rentrer à Sélénia où elle endosserait à nouveau son rôle de Princesse. Cloîtrée dans le Palais, elle ne reverrait probablement plus cet homme dangereux et finirait par reléguer cet incident parmi les nombreux autres cauchemars qui hantaient ses nuits.

La première soirée fut solitaire, car les capitaines -qu’ils soient de sa garde ou du navire- s’étaient mis d’accord pour tenir l’inconnu à l’œil et refusèrent que la jeune fille ne sorte de sa cabine une fois le couvre-feu établi. Les jours qui suivirent prouvèrent à tous que Tearu n’était ni un sauvage, ni armé de mauvaises intentions à l’égard de la jeune tête couronnée. Progressivement, les soldats relâchèrent leur attention mais ne s’avouèrent jamais totalement confiant en sa présence et gardèrent sur lui une prudence mesurée. Victoria pour sa part, fut incapable de se tenir à ses résolutions et le fit parfois mander afin qu’ils partagent un repas ou conversent sur le pont supérieur à l’ombre d’un parasol et autour d’un thé. Elle lui demanda de conter des histoires du vieux continent, celles de sa propre traversée jusqu’à l’Archipel et le questionna sur ce qu’il savait de la magie ou encore des secrets qui résidaient sur ces îles. Puisque le passé récent autant que l’avenir semblaient être des sujets sur lesquels le scorpion restait évasif et discret, la Princesse avait décidé d’un nouvel angle d’attaque pour mieux connaître ce mystérieux et dangereux inconnu. Tant qu’elle le pouvait encore.

Aux jours se succédèrent les semaines et bientôt ils arrivèrent dans les eaux familières de l’Empire, confrontant un hiver glacial et des matinées embrumées. Ce fut dans une de ces aubes frileuses que le Capitaine du navire approcha la Princesse et sa dame de compagnie, toutes deux pelotonnées près d’un brasero à contempler le levé d’un soleil timide autour d’une tasse de thé fumante et d’un plateau d’échec. Plusieurs échanges par correspondance magique avaient lieu depuis leur entrée sur le territoire impérial et la Princesse avait appris la nouvelle du Golem de Diamant ainsi que du retour triomphant de son frère. La ville était en fête et Victoria comptait bien profiter de l’occasion pour redorer sa réputation. Ne laissait dépasser de son épaisse cape en vison que le bout de son nez et de ses doigts gantés, une buée fugace échappait à chacun de ses souffles lorsqu’elle échangeait quelques phrases avec sa cousine. Elle semblait d’excellente humeur à la perspective de retrouver d’ici quelques heures la chaleur et le confort du Palais. L’approche du soldat vint toutefois ternir ses espoirs quand il annonça d’un ton aussi raide que sa posture :

« - Princesse, je crains que la marée ne nous permettra pas de rejoindre le port d’Azzuréo avant la nuit.
- Oh. Je vois... »

Victoria fronça les sourcils, puis déplaça un pion sur le plateau et laissa le tour à Lucinda qui se pencha pour estimer ses chances afin de saisir le cavalier de son amie. Il y eut un silence avant que la Princesse ne reprenne d’une voix doucereuse :

« - Capitaine ? Je ne suis pas familière avec les marées, pourriez-vous m’expliquer un détail je vous pris ?
- Bien sûr, votre majesté.
- Est-ce que la marée commande à ce bateau ?
- Hum… Je crains de ne pas comprendre. »

Un soupir à peine audible lui échappa alors qu’elle remettait une mèche de cheveux derrière son oreille, la pointe de cette dernière rougie par le froid malgré l’épaisse capuche qui couvrait les boucles blondes.

« - Vous avez dis que la marée ne nous « permettrait » pas de rejoindre le port. Donc, est-ce que la marée commande à ce bateau ?
- Non, Princesse.
- Et si j’ordonnai que l’on vous jette par dessus bord, est-ce que la marée y penserai à deux fois avant de vous fracassez contre les récifs ?
- … Non, Princesse. »

Elle leva les yeux sur l’homme et haussa un sourcil tandis que son visage, lisse de toute émotion, exacerbait la froideur de son regard.

« - Et bien peut-être devriez-vous vous inquiéter un peu moins de la marée qui a déjà arrêté son choix quant à votre sort et vous inquiéter davantage à mon propos qui suis encore en train de le considérer.
- Je… Je vous présente mes excuses ! Nous arriverons au Port d’Azzuréo avant le milieu d’après-midi. »

Blême, le Capitaine d’équipage tourna les talons et s’éloigna d’un pas vif, laissant Victoria le cuir d’un regard méprisant jusqu’à ce qu’il disparaisse de sa vue. Décrochant finalement son regard, elle retourna sa pleine attention sur le plateau de jeu et poursuivit son loisir de bien meilleure humeur, assurée que le navire atteindrait Sélénia comme elle l’avait décidé et pas autrement. Dussent-ils user de la magie des Esprits-Liés ou de la Trame, s’épuiser au travail ou seuls les Déesses savaient quoi ; elle n’en avait rien à faire. Son retour en son Royaume devrait se faire sous les meilleurs auspices afin que sa réputation n’en souffre pas. Elle s’était longuement absenté et profiter de la bonne nouvelle pour y associer son visage était une occasion qu’elle ne devait absolument pas manquer.

Lorsque les plus hautes tours de la capitale s’élevèrent sur la ligne d’horizon, lorsque les mâts des innombrables navires amarrés se dressèrent à l’attention du Vigie comme autant d’ailes drapées dans le Port d’Azzuréo, la cloche d’alerte sonna et tout l’équipage se mit en action pour préparer leur fastueuse arrivée. Victoria descendit pour sa part dans sa cabine afin de changer de tenue, elle troqua la lourde cape de vison et la robe verte sombre pour un ensemble bien plus régalien fait d’un bleu pâle piqué de blanc, filé d’argent et garni de minuscules perles. Des notes prunes en la forme de boutons de fleurs brodés sur les pourtours de sa gorge et de ses manches relevaient les touches brunes et beiges des branchages cousus dans les plis de sa robe, formant un paysage hivernal sur la coupe austère bien qu’élégante qui paraît la jeune Princesse. Ses cheveux étaient relevés en un épais et complexe chignon, dégageant sa nuque gracile couverte d’un épais col en fourrure de lapin blanc moucheté de gris. Cela faisait plusieurs jours qu’elle n’avait pas eut le temps de côtoyer Tearu et alors qu’elle approchait du flanc bâbord de leur pont principal, attendant que le bateau ne s’amarre sur le quai réservé à la famille impériale et ses hôtes de marque, elle chercha dans la foule assemblée derrière la silhouette devenue familière.

Au moment même où elle posait le pied sur la rampe, ses yeux croisèrent enfin celui de l’inconnu et bien qu’ils furent couverts par son bandeau, sans une once de crainte, immobile le temps d’un souffle, elle s’ouvrit au silence d’un aveu, totalement et rien que pour lui. A l’azure de ses iris couvait une maturité bien trop grande pour son âge, trop lourde certains diront même, pour ses fines épaules. Il pesait, à l’ombre de ses pupilles, une résignation toute régalienne, car elle savait que la cage d’or s’ouvrait à elle et que ses ailes, une fois de plus, lui seront sectionnées. C’était en toute conscience qu’elle avancerait toutefois, en toute connaissance que la liesse qui l’accueillait n’était qu’une maigre récompense pour tous les sacrifices qu’elle devrait faire au long de son existence. Si jeune et déjà accoutumée du véritable fardeau que son rang lui imposait, loin des rêves d’enfants, des contes et de l’innocence que ses boucles blondes pouvaient leurrer à l’en croire encore doté. De cet échange, elle offrit à Tearu un sourire fugace qui peigna l’immensité bleu de ses orbes d’une mélancolie inavouée, voire d’envie pour ce souffle de liberté goûté et apprécié dans le mirage de cette île tropicale, mais qui s’estompa sitôt que la Princesse battit de ses longs cils.

Sa dame de compagnie apparue aux côtés de l’homme et lui tendit une pièce de soie soigneusement pliée dans une toile de lin pour la protéger de l’embrun iodé et d’autres intempéries qui pourraient en abîmer la fibre délicate. Le carré de soie se composait d’un noir qui possédait lui-même des reflets bleu roi profonds et vibrants bien que le plus saisissant à son propos soit la broderie qui couvrait la majorité de sa surface. Il s’agissait d’une pièce délicate, foisonnante de couleurs et de détails, cousue d’une finesse extrême avec des fils de première qualité tant par la saturation de leur pigmentation que la douceur et la finesse de leur composition. Au centre se trouvait un crâne humain dans des teintes brunes, terre de sienne et beige. La justesse d’anatomie laissait penser que la Princesse avait longuement étudié le sujet pour apporter le plus de réalisme possible, fouillant dans les rares ouvrages de chirurgie à disposition sur le navire. De part et d’autre du crâne, de plantureuses pivoines se présentaient dans un dégradé de rose pâle avec quelques bourgeons et brins d’herbes pour une touche délicate de vert. Afin de complémenter la pièce principale, la broderie se poursuivait avec le motif d’un squelette de poisson carnivore, reconnaissable au crâne effilé et aux dents acérés. Cousu dans une posture arquée, il suivait la courbe du crâne avec les arrêtes écartées et l’orbite vide brodé comme une spirale sinistre. A son opposé, sous la mâchoire, un sublime scorpion courbait son dard et présentait ses redoutables pinces. Dans les mêmes teintes sépia que l’ensemble de la broderie, il s’agrémentait de ci et de là de fils jaunes et or pour donner à la carapace une brillante chitineuse impériale.

La jeune femme, une fois la faveur délivrée, fit une petite révérence et s’en alla rejoindre la procession qui suivait la Princesse Victoria comme une deuxième ombre. Cette dernière descendait à présent la plateforme, une main gracieusement posée sur le bras du Capitaine de sa garde, l’autre tenant le bas de sa somptueuse robe pour éviter de se prendre les pieds dedans. Chaque pas faisait danser ses boucles blondes autour de son visage et de sa gorge gracile alors que le soleil faisait scintiller les diamants captifs de sa tiare. Elle avait choisi cette ornementation en toute connaissance de cause, de même que les couleurs de sa tenue en hommage à ce qui causait toute cette liesse et célébration : le golem de diamant que son frère ramenait triomphalement à Sélénia. Silhouette éthérée, elle offrit à la population assemblée autour des quais des sourires éblouissants. Lorsque ses souliers touchèrent le plancher, elle éleva une main pour les saluer, puis marcha jusqu’au carrosse qui devait la conduire jusqu’au Palais. Avant que la portière ne se referme, elle chercha une dernière fois la silhouette de l’immaculé dans la foule, mais fut incapable de le trouver et ce fut avec un léger pincement au cœur qu’elle tourna pour de bon le dos à ces souvenirs.

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