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Mars 1763


Plus elle s’époumonait, plus elle se demandais si ces projets en valaient réellement la peine. Autant était-elle consciente que ses adversaires seraient trop satisfaits de la voir abandonner, Autone ne savait plus sur quelle corde tirer pour faire pression sur le conseil. Comment faire entendre raison quand la logique ne fonctionnait pas? Elle avait besoin d’aide, s’attaquer aux choses dont les politiciens se souciaient le plus : Leur image et l’or. Alors discrètement, elle devait montrer au conseil que Caladon allait porter le mauvais rôle si elle était la dernière à interdire l’esclavage. Et si les choses devenaient soudainement plus concrètes, à Délimar, peut-être aurait-elle un argument supplémentaire.

Avril rôdait dans l’esprit de la veuve et elle regardait les vielles robes colorées qu’elle n’osât plus porter depuis presque un an. Depuis Avril, elle n’avait porté que le noir et l’or. Peut-être était-il temps de mettre fin à ce deuil, mais cela lui semblait encore trop irréaliste d’aller de l’avant. Ce n’était pas quelque chose qui se décidait ou au moins, pas comme ça.

La petite dame posa une baie à sa fenêtre, le rossignol vint aussitôt, c’était l’heure où il venait la visiter. Elle caressa son aile de l’index alors qu’il mangeait. « Dis moi rossignol, à qui devrais-je écrire? » Elle sourit en pensant à ses contacts dans la ville, puis repassa en revue des anciens contacts, mais elle ne savait plus de quel côté prendre le problème. Elle se demanda comment Délimar s’occupait de cela. Autone avait entendu qu’il était bien plus mal vu de posséder un esclave dans la robuste. Elle se souvenait aussi d’un diplomate Délimarien qui fût présent à Cordont, mais qu’elle n’avait pas rencontré. Autone avait quelques fois entendu son nom. Ilhan Avente, peut-être accepterait-il de discuter avec elle?
Autone laissa une autre baie à l’oiseau et se dirigea vers son bureau. Elle sortit papier vierge et nettoya la plume sur laquelle l’encre de la veille avait séché avant de la tremper dans l’encrier ouvert.


Sir Ilhan Avente,

Je n’ai pu vous rencontrer lors de l’incident de Cordont mais peut-être vous souviendrez vous de ma présence.

Depuis le mois de janvier, je tente de faire entendre au conseil qu’interdire l’esclavage serait la meilleure chose à faire. Vous devinerez que tous ne sont pas d’accord avec moi et je suis à court de ressources. J’ai entendu parler que Délimar avait commencé à parler d’abolition, cela dit je ne connais pas votre position sur le sujet. Si cela vous convient, j’aimerais m’informer concernant la position de Délimar ainsi que plusieurs détails concernant l’exécution de la loi, car il ne suffit pas de l’interdire, cela ne ferait que déplacer le problème en marché noir. Peut-être pourrais-je trouver des ouvertures et des réponses aux nombreuses fermetures que je rencontre.

Je vous propose de me rencontrer au moulin des Lormiers, situé à mi-chemin entre Caladon et Délimar.
Cordialement,
Autone Falkire, conseillère de Caladon



Elle laissa la lettre sécher et hésita à quel sceau utiliser. Le rossignol, pour ses affaires personnelles, l’aigle des Falkire, pour ses affaires officielles. Elle fit fondre la cire bleu clair et prit le sceau de l’aigle après réflexion.

Lettre en main, le rossignol retourna à la fenêtre et remarqua un corbeau sur un arbre. Elle sourit et siffla pour attirer son attention. L’oiseau vint à la fenêtre et laissa la petite dame attacher le message à sa patte. Elle lui sourit en lui caressant l’aile. « Va porter ce message à Ilhan Avente, à Délimar. »   Il s’envola dans un croassement.

Quelques jours plus tard, elle reçut une réponse positive et fit ses bagages, promettant à ses belles sœurs qu’elle ferait vite et que cela ne s’étendrait pas aussi longtemps que lors de l’incident de Cordont.

Elle voyagea en carriole mais profita du voyage pour monter Itarille de temps en temps. Arrivée au moulin, elle portait sa robe dorée ainsi qu’une jupe longue, noire au-dessous qui servait principalement à cacher ses chevilles en restant bien agencé avec la robe. Puisque qu’elle arrivât avant le conseiller, elle attendit à l’extérieur et nourrit Itarille.

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Bien Luther, merci pour ce compte-rendu, chuchota-t-il à travers l’anneau. Reste prudent.

Et sur ces mots, il coupa la communication avec son fou d’espion, l’un des plus fourbes et des plus audacieux que la Toile comptait. Luther tentait de s’infiltrer vers le port de Nevrast dans certaines communautés vampires. Les choses bougeaient là-bas, les vampires s’agitaient, divers groupes se formaient en leur sein et le Tisseur comptait bien observer attentivement cette évolution.

Pour tout dire, l’île entière semblait s’agiter. Les Graärhs aussi préparaient quelque chose, à coup sûr. Ilhan pestait de n’avoir qu’un seul espion sur l’île. L’homme était doué, certes, mais il ne pouvait tout surveiller. Le Tisseur n’osait toutefois envoyer d’autres membres sur cette île maudite, qui ressemblait en ces instants critiques à un volcan prêt à exploser. Luther s’était porté volontaire, mais c’était Luther… Il privilégiait toujours les missions désespérées ou suicidaires. Et il connaissait assez bien les vampires pour savoir comment passer, presque, inaperçu auprès d’eux. Avec quelques artefacts magiques bien choisis...

Ilhan s’empressa de noter dans l’un de ses carnets toutes les précieuses informations recueillies, dans son langage crypté personnel, puis scella le carnet d’un sort. Tant pis pour la taxe. Il n’avait pas le temps de sortir. Puis, posant plume et parchemins, il se permit un instant de pause et se frotta les yeux. Il fatiguait sérieusement. De plus en plus, il peinait à lire, parfois, et devait éloigner ses parchemins pour mieux les décrypter. Peut-être devrait-il songer à consulter un guérisseur. La vieillesse avait certains charmes, mais certainement pas ceux-là.

Soupirant, il s’apprêtait à replonger dans son travail, quand il aperçut soudain un corbeau voleter vers lui. L’oiseau se posa gracieusement sur son bureau sans l’ombre d’une hésitation tout en battant plusieurs fois de ses sombres ailes. En Althaïa, une vieille légende disait qu’à sombres oiseaux sombres présages… Ilhan chassa toutefois ses vieux souvenirs nostalgiques, et s’activa à dénouer le message qu’il voyait à sa patte. Aussitôt libéré, l’oiseau repartit. Ilhan ne le suivit pas longtemps des yeux et s’empressa de lire le message au sceau de l’aigle. Le sceau de l’une des conseillères de Caladon. Il pesta contre ses petites pattes de mouche, mais son humeur assombrie se réchauffa un peu à la lecture.

Bien… Bien, si Caladon voulait oeuvrer elle aussi pour l’abolition de l’esclavage. Délimar devra être la première, Ilhan y mettait un point d’honneur. Et tout était bien avancé pour que d’ici fin mars, voire avril si des événements majeurs les retardaient dans ce projet, l’abolition soit déclarée et officielle dans la noble cité. Mais si Caladon suivait peu après… Cela ferait taire les derniers récalcitrants et leur faciliterait la tâche.

Si Ilhan hésitait à sortir de la cité, surtout au vu des dangers qui rôdaient dehors, il ne se voyait pas refuser son aide pour un tel projet. Délimar avait tout à gagner, du moins beaucoup, dans cette rencontre. Mais cela voudrait dire des mesures drastiques de sécurité. Il ne répondit pas de suite, il avait besoin de l’aval de l’Intendante pour un tel risque. Il ne mit guère que quelques heures pour l’obtenir, même si, comme il s’y attendait, elle avait posé des conditions draconiennes. Mais il s’y plia sans protester, et n’avait lui-même envie de prendre aucun risque inutile dans cette entreprise de sortie.


Dame Falkire,

Je déplore effectivement de n’avoir pu vous rencontrer lors de mon passage à Cordont. Mais je me souviens parfaitement de vous, digne Conseillère de Caladon.

Je suis heureux de lire vos projets pour votre belle cité. Délimar nourrit les mêmes espoirs, en effet, et nous y travaillons ardemment. Il serait plus qu’intéressant que nous partagions nos avancées et puissions coordonner certaines de nos actions, autant que faire se pourra, sur cette question politique délicate.

Nous acceptons avec joie votre proposition et nous vous retrouverons au dixième jour de mars au moulin des Lormiers.


Avec nos plus sincères salutations
Ilhan Avente, Conseiller de Délimar



Le voyage se fit à cheval, lui rappelant douloureusement le fastidieux trajet jusqu’à Cordont. Cette fois il fut heureusement plus court. Moins ardu, le terrain étant plus plat, puisqu’ils avaient emprunté les voies par le Sud. Ilhan était sous bonne escorte de garde-loups, pas moins de dix fiers glacernois pure souche.

Ils arrivèrent, comme promis, au sixième jour de voyage, le dix mars dans la matinée. Le haut moulin se dessina devant eux et ses murs droits et fiers, sa grande roue puissante, se profilèrent bien vite sous le soleil de midi. Vêtu tout de noir, de son pourpoint bleu, et de son armure de cuir, Ilhan avait l’impression de cuire sur place et commençait sérieusement à ressentir, de nouveau, les douleurs féroces de tels voyages. Son dos le faisait souffrir et ses cuisses commençaient à le brûler.

Il se redressa toutefois et fit l’effort de prendre une posture plus digne quand il aperçut la conseillère de Caladon les attendant sur le seuil du moulin. Il la détailla rapidement du regard alors qu’ils approchaient. Robe magnifique, jupe longue, pouvant cacher toute arme au passage, la dame avait fait des efforts pour se rendre présentable, et surtout semblait avoir délaissé le noir pour quelques couleurs. Son deuil serait-il enfin fini ? Un fin sourire s’esquissa sur les lèvres d’Ilhan, en songeant à cette belle femme qui mériterait de trouver un homme digne qui pourrait l’aimer, la consoler. Il détacha toutefois son regard d’elle, et balaya rapidement les environs. Ses gardes, mercenaires de Caladon ?, les chevaux, la carriole… son regard sombre nota tout détail d’importance pouvant révéler une embuscade, un danger. Mais rien n’alerta ses sens, et même les garde-loups, dont trois avaient fait un rapide tour du campement avant de lui permettre de mettre pied à terre, semblaient confiants.

Alors, enfin, enfin !, il descendit de son cheval. Serrant les dents et se mordant la joue pour ne pas gémir de douleur. Il inspira un grand coup, avant de se retourner et d’avancer vers la conseillère, à pas lents, presque comptés. D’un geste un peu raide, il lui offrit une légère révérence, comme on le ferait à une belle dame, même s'il n'osa aller jusqu'à offrir un baise-main.

Dame Falkire, c’est un honneur de vous rencontrer enfin. J’espère que nous ne vous avons pas fait trop attendre. Et j’espère que vous pardonnerez ma mise peu présentable. La poussière de la route, voyez-vous, n’a pas voulu s’écarter à notre passage, fit-il en un fin sourire, tout en se redressant.

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Autone entendit le son des sabots approcher et tendit les rênes de sa monture à l’un de ses gardes. Elle se retourna et se redressa légèrement, observant la délégation délimarienne arriver, lui rappeler le souvenir désagréable de Cordont et de ses maladresses diplomatiques. Et elle se souvint qu’il y eût un an, elle se battait avec Matis de ne pas aller se battre contre ces hommes. Elle se demandait parfois quel homme avait porté le coup fatal. Elle espérait ne jamais l’apprendre.

La veuve fût soulagée de ne voir aucun autre conseiller Délimarien, s’étant demandé si le « nous » dont Ilhan avait référé dans sa lettre serait présent. Elle était nerveuse en terrain inconnu, le conseiller Avente était moins difficile à comprendre pour elle. Et surtout, elle n’aurait pas voulu tomber sur un Almaréen, là, elle aurait eu la mèche courte tout le long de l’entretient.

Soulagée aussi de l’absence de baise main - le Dracos sachant très bien comme les conseillers Caladoniens le faisaient à chaque rencontre et combien Autone se sentait mal à l’aise à chaque fois – Elle lui servit un sourire poli, gloussant au trait d’humour et fit sa révérence. Un mouvement qu’elle s’était toujours sentie complètement fraude et fausse à faire. Parce qu’elle avait commencé dans le contexte où Crissolorio lui avait apprit les bonnes manières, pour l’installer à la cour. Au moins, elle eût un bon maître, et des outils qui lui servirent ensuite.

« Sir Avente. Merci d’avoir accepté de me rencontrer à mi-chemin, c’est très accommodant. À vrai dire nous arrivons presque au même moment. Désirez-vous un peu de temps pour vous remettre? »

Elle ne pouvait pas se permettre d’être constamment en train de voyager et elle commençait à remarquer comment Satie se sentait déçue de son absence. Autone faisait résonner dans sa conscience les mots réconfortants d’Aldaron, qui lui avait dit d’être libre. Pourtant elle devait être quelque part entre lui et Satie pour se sentir moins coupable. Faire des compromis, sans abandonner ses ambitions, comme elle le faisait à ce moment précis. La veuve pencha légèrement la tête sur le côté avant de poursuivre, elle fronça les sourcils comme préoccupée. Elle fût guérisseuse, longtemps, elle avait vu plus d'un homme tenter de cacher sa douleur, ou serrer les dents.

« Et, avez-vous besoin de soins? À moins que les soins magiques soient contre vos croyances, ce que je respecterais. »

Avec plusieurs Délimariens aux alentours, oui, elle était nerveuse de parler de magie et se retenait de regarder autour d’elle, par peur de devoir confronter des regards de foudre.

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S’il désirait du temps pour se remettre ? Oui, il l’aurait ardemment appelé de tous ses voeux. Lui, homme prisant tant la bonne mise, toujours soucieux de faire honneur à la maison, au nom, ou à la cité qu’il représentait ! Cet accoutrement poussiéreux ne lui seyait guère. Mais il ne se voyait pas prendre le temps de se rendre plus présentable. Il ne se voyait pas faire perdre ce temps à la jeune conseillère ni même la faire attendre indûment.

C’est donc avec son énigmatique sourire qu’il répondit par la négative.

Votre offre est généreuse, mais je ne voudrais pas vous obliger à attendre encore qu’un vieil homme reprenne figure décente. Si toutefois notre… possible pestilence… ne vous incommode pas outre mesure. Je ne voudrais pas vous outrager non plus.

Se disant, il commença à défaire son armure de cuir que ses gardes lui avaient imposée tout le voyage. Par précaution, disaient-ils. Il comprenait leurs raisons, certes, mais… qu’il détestait porter une telle… chose… Chose avec laquelle il commençait presque à se débattre. Mais se figea dans son mouvement quand la jeune femme reprit la parole.

« Et, avez-vous besoin de soins? À moins que les soins magiques soient contre vos croyances, ce que je respecterais. »

Délicatesse incarnée. Pourquoi n’y avait-il pareille femme en Délimar ? Ah, oui, mère patrie de la guerre et fiers héritiers militaires…

C’est une délicate attention de votre part. Je puis vous rassurer au sujet de la magie, je n’ai aucune croyance à son encontre, si ce n’est celle de devoir en faire usage de façon raisonnée et raisonnable. C’est là une chose que Délimar a eu la sagesse d’enseigner au petit mage que je suis.

Qu’il lui était pénible que Délimar traine cette étiquette d’ennemi éternel de la magie. Si cela pouvait être vrai pour une partie d’entre eux, certains s’ouvraient à elle, du moment qu’on respectait cet art et ce don. Comme tout art et tout don devait être respecté en somme. Tryghild n’aurait jamais fait appel à un mage, même s’il n’était pas bien puissant, pour devenir l’un de ses conseillers, si elle avait été totalement contre toute magie. Les taxes, si elles vous en imposaient un usage modéré, montraient en soi que la magie n’était pas interdite. Restreinte, pour un usage réfléchi, mais pas interdite… Cela voulait tout dire.

Bon d’accord, le sujet magie restait délicat, songea-t-il en sentant l’un des gardes se raidirent quelque peu. L'un des plus jeunes. Le même garde qui vint toutefois l’aider, sans qu’il ne demande quoique ce soit à personne, pour retirer son armure. D’un sourire, il le remercia en silence. Et se permit un petit clin d’oeil à l'intention du gamin, alors que son sourire se tordait en un rictus plus amusé. Loin de s’en offusquer, l’autre haussa les épaules et finit par sourire. Ou comment parler sans paroles, à force d’avoir souvent les mêmes gardes, qu’il suspectait pour certains de se porter volontaires quand ils en avaient l’occasion tant ils revenaient souvent à ses côtés. En tout cas le gamin, s'il était frileux sur ces sujets-là, ne lui en tenait pas rigueur. Il y avait même entre eux un réel respect et un semblant d'entente.

Et vous avez un œil acéré, noble guérisseuse, pour avoir détecté mes possibles courbatures.

Et sa migraine aussi ? Et ses douleurs d’estomac ? Hum… Elle était redoutable en ce domaine. A noter avec attention dans son carnet, dans la fiche qu'il tenait au sujet de la conseillère. Oui, à noter...

Le garde finit enfin de lui ôter son armure, qu’il vint attacher à sa selle et prit la bride du cheval d’Ilhan qu’il conduisit plus loin avec les autres chevaux.

Je vous remercie de votre offre, reprit-il tout en s’inclinant légèrement. Mais je ne suis pas le seul à endurer les méfaits de l’âge et du voyage.

Il désigna d’un signe deux autres gardes d’âge mûr. Dont l’un comptait la cinquantaine passée.

Et ils seraient gênés d’accepter votre œuvre de guérisseuse. Si cela ne vous offusque pas, nous partagerons donc le même sort commun nous trois et nous ferons appel à de petites herbes aux propriétés fort intéressantes.

À ces mots, il sortit un petit sachet d’herbes médicinales qu’on lui avait offertes, contenant notamment des plantes anesthésiantes.

Je ne refuserai pas un thé ou toute autre boisson qui parvienne à en masquer le goût amer, toutefois.

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« J'ai vu pire. »  Dit-elle avec un petit sourire. Elle passa sous silence dans quels contextes elle avait subi la pestilence de certains.  « Je ne m'offusque pas à propos de ces choses. Je les respecte par principe. »

Et pour se protéger, elle avait compris en devenant noble qu'une fois bien habillée et bien mise, il était bien plus facile de se faire écouter et respecter. Autone n'aimait pas l'attitude méprisante de la noblesse, mais elle utilisait ce système à son avantage, au risque d'être complètement artificielle.

La mage fût soulagée d'entendre qu'Ilhan n'eût rien contre la magie. S'il y avait quelque chose qu'elle ne comprenait toujours pas, c'était l'acharnement de certains peuples contre la magie. Elle gloussa à la remarque sur sa perception, oui il y avait de cela un peu, mais surtout de l’habitude.

« Vous semblez seulement inconfortable. »


Elle se retint de le reprendre sur la manière dont il l'avait appelé. Noble guérisseuse, ce genre de discours lui paraissait toujours aussi ridicule. Dès qu'on l'appelait « noble dame », elle se retenait de s'esclaffer, se sentant comme une fraudeuse. Valait mieux ne pas trop y penser, pour éviter de réagir.

La veuve hocha la tête lorsque le diplomate refusa son offre. Bien, elle ne demandait que par politesse. Puis il aurait été peu aisé de guérir toute son escorte.

« J'ai pensé que nous voudrions prendre le thé. Si vous voulez me suivre? »

Elle se retourna et se dirigea vers la porte du moulin, une entrée qu’elle connaissait. Elle cogna à la porte, par principe, bien qu’on lui eût dit qu’elle pourrait entrer. Une petite dame une dizaine d’années plus âgée qu’Ilhan leur ouvrit. Le rossignol sourit à la dame qui l'accueillit en lui serrant la main. Elle et son mari s'occupaient du moulin, elle les avait déjà rencontrés. Autone demanda poliment à la dame de leur amener une théière ainsi que de l'eau chaude. Lorsqu'elle quitta la pièce, la veuve s'assied à la table qui était disposée pour eux. Elle sortit de sa bourse une petite boite métallique dans laquelle elle gardait une quantité raisonnable de thé, en cas d'urgence. Elle aimait en avoir à disposition pour chaque interaction diplomatique ou même en territoire connu, lorsque l'autre personne la rendait nerveuse. Boire quelque chose l'empêchait de montrer ses tics de langages. Autone laissa la boite sur la table en attendant que la petite dame revienne.

« Si cela ne vous dérange pas que j’entre dans le vif du sujet, je voulais vous demander où se positionnait Délimar concernant l’esclavage. Avez-vous des résistants ou des difficultés internes? Et où en êtes-vous arrivés si c’est le cas? »  

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Il ne sut s’il devait s’offusquer quand la jeune femme lui répondit avoir vu pire. N’importe quelle dame de la Cour aurait au choix nié poliment qu’il soit l’indécence incarnée, ou l’aurait envoyé aux bains avant tout entretien. Il restait là soudain en un entre-deux sans savoir si leurs odeurs corporelles d’hommes arrivant d’un long voyage l’incommodaient vraiment. Pour un peu, il y aurait eu une fontaine ou un bassin d’eau non loin, qu’il s’y serait jeté. Tout habillé.

Il préféra garder silence et hocha simplement la tête, indiquant là qu’il recevait ses propos et la remercia d’un léger sourire. Un sourire ni chaleureux ni froid, un entre-deux qu’il avait si coutume d’offrir au tout-venant qu’il n’avait pas l’honneur de bien connaître.

« Vous semblez seulement inconfortable. »

Il retint une grimace, mais tiqua de nouveau intérieurement. Là encore une dame de la noblesse n’aurait pas autant insisté sur son… inconfort et aurait offert à sa virilité malmenée la pudeur des non-dits. Pourtant, s’il sentait là les maladresses dignes des personnes peu habituées à la Cour, il entendait aussi les efforts réels qu’elle réalisait pour s’y contraindre devant lui, et surtout, elle transpirait une réelle empathie et un réel désir de le mettre à l’aise. Alors qu’ici, en ce lieu à mi-chemin entre Délimar et Caladon, en ces terres libres de l’Alliance, si loin de la Cour Sélénienne et de ses carcans engoncés, la jeune femme n’était tenue en rien de lui accorder ces quelques grâces de son ancien milieu.

Il rejeta alors d’une pichenaude mentale toutes ses petites remarques mesquines de nobliau et força son sourire à s’étirer avec plus de sincérité.

Inconfortable est le bon mot en effet, répondit-il d’une voix basse, presque en un murmure.

« J'ai pensé que nous voudrions prendre le thé. Si vous voulez me suivre? »

Voilà qui était une excellente idée. Voilà qui montrait ce qu’il avait pressenti : un sens de vouloir bien accueillir et de mettre l’autre à l’aise. D’un hochement de tête, il lui indiqua obtempérer et la suivit à pas comptés. Il avait mal, plus qu’il ne voulait l’avouer. Plus que ses gardes ne le montraient. Mais… Par tous les esprits, qu’il avait mal.

Quand il entra, il observa qu’elle avait tout prévu. Quand bien même elle n’était pas chez elle, elle avait apparemment déjà fait connaissance avec les gens du moulin et leur avait demandé l’hospitalité pour eux. Ilhan salua les occupants du moulin d’un signe de tête en un sourire plus doux et son regard sombre fit le tour du lieu, notant toute sortie, toute cachette, tout danger potentiel, d’un coup d’oeil rapide. Quand il fut sûr qu’aucun piège particulier ne semblait l’attendre, il s’installa en face de la jeune conseillère et l’observa faire sans un mot. Il posa lui-même son sachet d’herbes médicinales sur la table et tenta, difficilement, impossiblement, de trouver une pause un tant soit peu confortable. Ou non douloureuse.

« Si cela ne vous dérange pas que j’entre dans le vif du sujet, je voulais vous demander où se positionnait Délimar concernant l’esclavage. Avez-vous des résistants ou des difficultés internes? Et où en êtes-vous arrivés si c’est le cas? »  


À ces questions, Ilhan tourna son regard tout autour de lui. Il mourait d’envie de sortir son orbe d’ombre glyphé pour les confiner dans un dôme, qui leur permettrait de parler sans oreille indiscrète. Mais d’une part, il doutait que cette magie, d’origine vampirique, soit bien perçue, d’autre part, cela pouvait être pris comme outrageant pour Caladon. Il força son regard sombre à se poser de nouveau sur la conseillère et pour quelques secondes garda le silence. Pesant, intérieurement, le pour et le contre de parler. Mais…

Mais il n’avait pas fait tout ce chemin pour se taire. Et leur projet à Délimar était suffisamment bien avancé pour qu’il n’ait plus grand-chose à craindre. Tout était presque prêt. Et au point où ils en étaient, plus rien ne pourrait contrecarrer leur programme de révolution légale.

Délimar s’est toujours positionné contre l’esclavage. De tout temps. Il existait déjà des lois contre l’esclavage de toute race consciente en Glacern et cette loi a perduré à Délimar. L’Intendante et ses conseillers n’ont jamais été pour l’esclavage. Il est… dommageable… que les esclavagistes se soient engouffrés dans une brèche, une sorte de.. vide juridique… pour imposer l’esclavage des graärh dans la noble cité de l’honneur.

Il ne risquait rien à dire cela. C’était déjà un discours qu’il avait tenu, et qu’il tiendrait encore. Pour les deux autres questions… Cela était un peu plus délicat.

Mais la vieille femme du moulin revint, avec théière d’eau bouillante et tasses. Sur un petit plateau où trônaient aussi pain, beurre et sel. Des mets simples, bien éloignés des friandises délicates qu’il raffolait tant, mais… si attentionnés. Ce geste, simple, dans toute sa modestie, toucha Ilhan en plein coeur, sans qu’il ne s’attende à ce coup-là. La vieille femme posa son petit plateau en silence, leur offrit un sourire radieux et jovial, alors qu’elle disposait tout son attirail sur la table.

Merci, offrit Ilhan en lui touchant doucement le bras pour la forcer à rencontrer son regard. Je suis honoré de votre accueil.

Tout l’honneur est pour moi, Messire, fit la vieille dame, avant de s’empresser de sortir.

Ilhan reporta son attention sur Autone, et prit une profonde inspiration avant de reprendre, d’une voix calme et posée :

Quant à des résistants et des difficultés… Bien évidemment, nous en avons eus.

Il sortit alors un parchemin de sous sa manche, qu’il avait conservé dans son brassard spécifiquement adapté à cet effet, et le lui posa sur la table, près de sa main. Il se garda bien de faire le service, non pas qu’il se pensait trop noble ou trop viril pour se faire, mais il préférait éviter de renverser du thé partout.

Je vous ai retranscrit là tout notre programme pour mener le projet d’abolition de l’esclavage des graärh à terme. Nous avons tenté de mener cette bataille sur plusieurs fronts : meilleure connaissance des graärh, rapprochement avec ce peuple, propagande d’informations au sein de Délimar concernant les graärh, concernant l’esclavage en général, concernant ses méfaits insidieux, propagande vantant les avantages d’un système sain sans esclavage, avantages commerciaux et de taxes sur certains commerces très prisés actuels, qui devraient contrebalancer les pertes pour les esclavagistes, encouragement à des commerces sains par des avantages sur les taxes…

C’était là, finalement, une des forces de Délimar. Par son système poussé de taxes, la cité pouvait se permettre de filtrer ce qu’elle voulait laisser entrer ou non en baissant certaines ou augmentant d’autres. Un point que Caladon ne pourrait que difficilement imiter. Mais la cité du Marché Noir trouverait bien une autre astuce marchande…

Rachat des esclaves et, enfin, libération de ces derniers, puis mesure d’intégration et de rapatriement de ces esclaves, au choix de ceux-ci. Tout est détaillé dans le parchemin, si vous avez besoin d’argumentaire particulier…

Se disant, il lui offrit un fin sourire taquin. Par ses mots et ce petit sourire, il lui indiquait savoir les raisons précises de sa présence ici : l’hostilité du Conseil de Caladon quant à ce projet, l’impasse devant laquelle la jeune femme se trouvait pour l’instant. Le Tisseur avait réussi à exfiltrer quelques informations sur la situation de Caladon à ce sujet. Mais il avait cru comprendre aussi que les choses allaient bouger. Même si Aldaron n’était plus bourgmestre, il savait l’elfe contre l’esclavage lui aussi, et qu’il appuierait un tel projet si Autone parvenait enfin à le présenter, avec tous les arguments à l’appui.

Et il était dans l’intérêt de Délimar que Caladon approuve ce projet et suive Délimar dans cette voie délicate. Il était dans l’intérêt de Délimar de partager ses argumentaires. Même si la jeune femme devrait ensuite les adapter à la Revenante.

Il lorgna le pain, le beurre et le sel qui le tentaient bien aussi, mais un regain de décence le retint. Et il préférait boire son thé médicinal avant aussi.

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Autone offrit un hochement de tête et un sourire à la dame, Autone souffla un simple « Merci »  lorsque la théière se posa sur la table. Elle remarqua la politesse du conseiller et l’apprécia, un peu étonnée de ne sentir aucun mépris de sa part. Peut-être avait-elle passé trop de temps à Gloria, mais elle était habituée à des nobles dégoutés du petit peuple. La conseillère ouvrit la petite boite de thé et choisit une fleur, qu’elle laissa tomber dans l’eau chaude. Elle referma la théière et, intéressé, releva la tête pour écouter les solutions que Délimar avait mise en place. Elle ouvrit ensuite le parchemin pour le parcourir, alors que la fleur de thé prenait son temps pour s’infuser dans l’eau.

Autone gloussa au dernier commentaire et sourit, les yeux sur le parchemin, avant de le refermer et de le reposer sur la table. « J’ai passé beaucoup de temps à écrire et à préparer des arguments, à pratiquer la rhétorique. J’ai même pensé à donner des raisons économiques à mettre fin à cette pratique, afin de convaincre mon adversaire par son propre langage. Je ne vais pas me mettre à distribuer des pots de vins, quelque soit le profit qu’ils voient à cette situation, cela sera plus élevé que ce que je ne puisse leur offrir. »   Elle ouvrit la théière pour sentir l’odeur du thé qui était prêt à être servi. « Servez-vous, je vous en prie. » Dit-elle en pointant de son regard les pâtisseries qu’Ilhan semblait lorgner. Elle prit la théière et servit le diplomate avant de verser le thé dans sa propre tasse. « C’est effrayant de voir ce qui s’est passé dans le royaume vampirique lorsque la princesse a tenté de mettre fin à l’esclavage. C’est peut-être une crainte des résistants. Mais les vampires ont toujours eu des esclaves…les humains au contraire…Et c’est bien ce qui rend la situation incompréhensible pour moi. J’imagine qu’il sera plus aisé de racheter les esclaves de Délimar que ceux de Caladon…qui seront nécessairement plus nombreux. Autrement dit, je suis dans une impasse. »  

Elle porta la tasse à ses lèvres pour apprécier une douce première gorgée. Chaleur qui n’était occasionnelle en voyage. Autone reposa sa tasse avant de poursuivre. « J’ai pensé à une dernière arme, à double tranchant. Sinon l’or, le marteau du politicien est son image. Selenia a déjà interdit l’esclavage, il n’en est même pas question chez les elfes et Délimar ne saurait tarder. Cela ferait une bien piètre image à Caladon et à ces résistants, d’être les derniers à accepter l’abolition. Leur faire sentir qu’elle est inévitable et que bientôt, toutes les cités seront vues comme plus progressistes que Caladon pourrait leur faire changer d’avis, par crainte de voir leur image se ternir. Mais ils pourraient aussi voir un attrait économique à être un jour la seule ville où ce marché pourra subsister. »  Elle prit une seconde gorgée, une aigreur dans la gorge à l’idée de sa belle citée possédée et infestée par les pirates.

« Avec de la chance, peut-être seront ils assez intelligents pour comprendre que cet or là irait dans les poches des pirates et non dans celles de l’état. Nos citoyens qui donneraient leur or à des pirates…Nécessairement cela fait moins d’or à dépenser localement, et cela empêche la roue de tourner. L’esclavage deviendrait alors une dépense pour Caladon et non un profit. Si les projets de Délimar devenaient plus concrets à leurs yeux, peut-être mes pressions se feraient-elles sentir plus urgentes? »  

Ce plan lui semblait logique, mais elle devait penser à la retombée. Il était difficile de convaincre ses adversaires et elle avait l'impression d'avoir affaire à des murs de pierre.  Peu importe combien elle croyait avoir raison, ils restaient immuables.  Et elle devait recommencer chaque fois, trouver une nouvelle manière de les contourner, de se battre contre eux. Mais elle était prête à aller jusqu'au bout pour les démolir. Elle était prête à construire toute une machinerie s'il le fallait.

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Ilhan prit sa tasse entre ses mains, tout en écoutant les réponses de la Conseillère. Il attendit toutefois qu’elle goûtât le thé, avant d’en avaler une gorgée lui-même. Il était à son goût, parfaitement macéré sans être trop fort non plus. Il lui manquait un goût sucré pour l’accompagner, mais peu importait. Ce qu’il avait était déjà plus que ce à quoi il s’attendait en un tel lieu. Il s’empara d’une petite plante anesthésiante dans son sachet médicinal et la mâchonna tout en l’écoutant. Retenant une grimace au goût particulièrement amer. Puis s’empressa de reprendre quelques gorgées de thé une fois la plante avalée, pour en faire passer le goût infect.

Comme je le disais, reprit-il enfin, quand elle sembla en avoir fini, les argumentaires que je vous ai exposés sont ceux de Délimar et sont effectivement à adapter à Caladon. Je me suis basé sur les spécificités de Délimar : l’honneur, et donc considérer les Graärh comme des êtres dotés d’honneur eux aussi et d’un système de valeurs très proche, et comme de valeureux guerriers ; les taxes comme système de contrôle du marché, et appliquer ce contrôle sur ce que nous ne voulons plus voir s’épanouir, pour favoriser les marchés porteurs de valeurs dignes de Délimar.

Il lorgna de nouveau les mets à grignoter, mais ne s’y risqua pas. Pas tant que personne n’en avait goûté pour vérifier que rien n’était empoisonné. Même si sa raison lui disait qu’il n’y avait aucun risque de ce genre en un tel lieu… ses vieilles habitudes et sa paranoïa exacerbée avaient la vie dure. Il se contenta donc de reprendre une gorgée de thé, le regard se perdant un peu dans le vague, alors qu’il réfléchissait à la mode Caladon.

En Caladon, l’argent et l’opinion publique sont deux grands attraits et des valeurs de force dans votre cité. Basez-vous sur eux en effet. Concernant l'or, vous pouvez en user comme arguments certes.

Il sentait la plante anesthésiante oeuvrer. Et comme toujours chez lui, en plus de chasser ses douleurs, elle avait tendance à faire chavirer son esprit dans des idées sans fin. Il entrevoyait presque une myriade d'arguments à servir à Caladon...

Par exemple, l’on pourrait appuyer le fait qu’un esclave n’a pas de salaire. Ce qui certes revêt une économie à court terme, mais est aussi une grande perte économique à moyen et long terme. Car qui dit pas de salaire, dit pas de consommation, aucun pouvoir d’achat. Le système stagne et seule une minorité de propriétaires consomment réellement. Alors que si les esclaves sont en fait des employés et ont un salaire, ils achètent, consomment, payent un loyer. Par un système d’emplois, on crée un pouvoir d’achat certes modéré à l’unité, un employé consommera sans doute moins qu’un propriétaire, mais le pouvoir d’achat total devient plus impactant quand vous le prenez en masse, les employés consommeront en masse bien plus que des propriétaires.

Il sentait qu'il devait exprimer ces idées, s'il ne pouvait les coucher sur papier, ou sa tête allait exploser. Quitte à faire imploser son interlocutrice sous son soudain flot de paroles.

Deuxième point à soulever : ce que le propriétaire payera en salaire, il ne le payera plus en nourriture, vêtements, il pourra d’ailleurs récupérer un loyer, et des consommations… Avec un peu d’intelligence, un propriétaire ou un commerçant récupérera vite au centuple ce qu’il a perdu en salaire. Par le salaire que d’autres auront versé à ses clients… et cela créera alors un cercle vertueux de consommation et de pouvoir d’achat. Troisième point : perdre le marché d’esclaves est une perte peut-être sur le court terme, mais cela peut créer un plus grand nombre de marchés à moyen terme. Ils pourraient réfléchir à faire payer… des formations poussées, ou des mises en relation d’employeurs et employés... Il peut y avoir tout un commerce de services à développer autour de ce sujet-là… qui ne se développeraient jamais avec l’esclavage.

Il reprit un peu de thé, songeur, sentant son esprit s’échauffer, sa gorge s’assécher, bien trop lente à exprimer toutes les idées qui lui venaient.

Votre deuxième arme argumentaire : l’opinion publique. Vous pouvez les assurer que si en Délimar l’abolition est votée, et je suis assez sûr qu’elle le sera, le commerce entre Caladon et Délimar en pâtira. Nous sommes un allié important, même si pas forcément le plus crucial économiquement. Mais il en sera de même pour de nombreux autres alliés économiques. Quant à penser que des Caladoniens voudraient conserver ce marché s’il devient unique… Comment le pourraient-ils seulement ? Ce serait bien trop risqué ! Si l’abolition est votée en Délimar, ce n’est pas seulement la vente qui en sera interdite. Mais aussi la possession… Tout comme cela l’est d’ailleurs à Sélénia. Et tout comme cela le sera bientôt partout ailleurs. Les Caladoniens gardant ce marché verront leur terrain de jeu sacrément restreint s’ils ne peuvent plus vendre qu’en Caladon. Ou aux pirates. Mais les pirates n’iraient pas acheter…

Un petit sourire sardonique lui échappa, alors qu’il retenait sa pensée de s’exprimer jusqu’au bout. " Ils n’achetaient pas, ils volaient ce qu'ils convoitaient... "

Et enfin, si tous ces argumentaires ne suffisent pas, vous pouvez vous servir de l’or autrement. Racheter les esclaves peut être cher. Mais d’une part Caladon peut procéder autrement, comme se contenter de convertir les esclaves en affranchis devenant employés. Libre à chacun de décider de rester, de partir, de garder ses esclaves affranchis ou pas… D’autre part, Caladon a une autre arme tout aussi puissante que les taxes de Délimar. En sous-main.

Le Marché Noir. Il eut la décence de ne pas en donner le nom. Pas ici. Pas dans ce moulin. Heureusement la plante anesthésiante, si elle avait le pouvoir de délier ses idées, n'avait pas l'effet néfaste de délier de façon incontrôlée sa langue. Mais le regard qu’il ancra dans celui de la conseillère en disait long. Aucune preuve formelle n’indiquait réellement la renaissance de cet ancien système. Mais... Caladon la Revenante n’était pas la seule à être revenue, il le savait. Il n’avait pas de preuve, mais il savait observer, écouter, il avait des yeux et des oreilles un peu partout, même si pas encore près de la Triade. Il était inutile de lui mentir.

Il serait peut-être bon de réfléchir comment cette... sous-main… pourrait aider votre projet. Et là, ce n’est pas à moi de vous souffler les réponses, fit-il avec un petit clin d’oeil taquin.

Il but une autre gorgée.

Je suis désolé, je m'enflamme dans des argumentaires qu'il ne me revient pas de donner. Mais je vais vous faire une confidence. Si, admettons, un quelconque politicien était à votre place, voilà comment il pourrait oeuvrer, selon l’appui qu’il aurait obtenu, dans l’ombre, de ce système souterrain.

Inutile de dire que le politicien dont il parlait n’était nul autre que lui. Il n’allait pas l’avouer à haute voix.

Il commencerait par avancer ses arguments, du moins impactant au plus impactant, à tous les membres à convaincre, un à un. Pour ce faire, il irait les voir, chacun d'eux, en privé : il irait leur rendre des visites de courtoisie, il irait leur serrer la main au détour d’un conseil ou il les inviterait à une belle réception purement amicale, et au détour d'une conversation avancerait ses arguments l'air de rien. Il gagnerait ses partisans en se les alliant par des liens sociaux d’intérêt mutuel. Pour ceux qu’il ne pourrait rallier, il tenterait de voir s’il possède quelques moyens de pression sur certains d’entre eux, et en userait pour les obliger à soutenir le projet. Puis il garderait ses pots-de-vin pour les plus récalcitrants qu’il pourrait soudoyer et pour lesquels il n’aurait aucun autre moyen de… corruption… Il tenterait de s’assurer ainsi une majorité. Un peu plus, au cas où. Il y a toujours quelques esprits lunatiques qui savent changer d’avis au dernier moment… ou qui auraient pu trouver plus offrant… Et seulement alors quand il aurait pris toutes ces précautions, il demanderait à mettre le projet à l’ordre du jour d’un conseil pour lancer la mesure.

Il avait l’impression de lui donner soudain un cours élémentaire de politique. Mais peut-être était-il plus coutumier que la jeune femme de ces mœurs un peu particulières, qui consistaient alors en un jeu de pouvoir en usant des réseaux d’alliance, de partisans véritables, de pressions en tout genre, ou de corruptions si nécessaires. Mais après tout, songea-t-il, il avait fait ses premières armes à Gloria, ni plus ni moins, et avait vite appris toutes ces ruses, toutes ces fourberies aussi. Et la jeune femme n’avait pas eu de mentors aussi retors que les siens après tout.

Mais bien entendu, c’est à vous de jouer maintenant, chère Conseillère, ajouta-t-il pour conclure, son sourire taquin revenant en force.

Un sourire qui se fana bien vite alors qu’un cri rugit dehors. Il lâcha sa tasse et se leva d’un bond, le coeur battant. Un garde l’appelait. Et cet appel sonnait l’urgence. Un autre garde entra en trombe, balaya la pièce du regard et s’avança vers lui. Bientôt suivi d’un des gardes d’Autone.

À couvert, Conseiller, fit le délimarien dans un nordique rude. Nous sommes attaqués.

Ilhan agrippa la jeune femme du regard et les deux personnes habitant le moulin et leur intima de le suivre et d'obtempérer aux conseils du garde, qu'il traduisit. Celui-ci leur indiqua de se protéger dans une alcôve. Ils n’eurent guère le temps de l’atteindre toutefois qu’une ombre surgit par une des ouvertures servant de fenêtre et sauta presque sur eux. Le garde parvint à s’interposer et un combat s’engagea. Ilhan manqua se tétaniser sur place quand il comprit qu’ils avaient affaire à une attaque de possédés. Des chimères. Des chimères dans le corps d’humains désormais perdus, l’esprit aliéné. Le coeur au bord des lèvres, son regard sombre scruta les alentours. L’alcôve était hors d’atteinte, et le délimarien leur bouchait la sortie en tentant de repousser la chimère hors du moulin. Aussitôt le garde de Caladon renversa la table et les invita à se protéger derrière. Ilhan s’empressa d’attraper Autone et de l’attirer avec lui vers cet abri de fortune. Peu sûr toutefois que cela suffise.

Et en effet, déjà une deuxième chimère sautait à l’intérieur. À deux pas à peine de leur petit abri...

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Il avait du cran, de l’accuser sans gêne aucune de son affiliation avec le marché noir. Que croyait-il? Que le marché noir était tout puissant? Qu’il lui donnerait gentiment l’or d’acheter tout le monde qui ne fût pas en accord avec elle? Autone se retint de rouler les yeux plus haut qu’un dragon et garda un regard ainsi qu’un visage de marbre. Il n’y avait pas qu’elle, dans ce marché immense et surtout, elle n’y était pas à la tête. Elle avait demandé l’appui d’Aldaron, mais il ne dirigeait ni le marché, ni Caladon comme un Monarque. Qui plus est, elle n’était pas venue demander un cours de politique, elle était venue demander à Délimar de faire pression. Autone avait déjà l’intention de faire des visites de courtoisie, trouver les insectes de chaque conseiller, de les faire chanter s’il le fallait, mais elle n’utiliserait pas cette arme maintenant. Puisque Dracos le savait, elle avait elle-même bien des insectes et une réputation douteuse. Qui n’avait pas les mains tachées de sang, à présent? La survie demande à tâcher les mains et les peuples de ce monde avaient tant traversé.

Puisqu’elle laissait toujours ses interlocuteurs aller jusqu’au bout de leurs idées avant d’ouvrir la bouche, elle n’eût pas l’occasion de rétorquer quand elle entendit les cris de combat à l’extérieur. Une partir d’elle se sentait rassurée, une fois qu’ils se seraient débarrassés de la menace, l’heure ne serait plus à se défendre de faire partie du marché noir. Cependant la conseillère ne montra rien de ce soulagement et retourna rapidement la tête, l’air inquiète. Son réflexe fût de faire un pas vers la porte, soucieuse avant de se retourner, croisant le regard apeuré du conseiller.

Autone s’apprêta à poser les poings au sol pour former un mur de force quand une ombre surgit par la fenêtre. Le combat s’engagea entre le garde Délimarien et la chimère. Autone grogna un peu, Marcus n’aurait pas paniqué, lui, si elle avait lancé une boule de feu. La conseillère releva ses jupes et extirpa ses dagues. Elle se sentit attirée derrière la table et se retrouva accroupie. Le rossignol servit un regard perçant à Ilhan, celui d’une mère en colère contre la bêtise d’un enfant. Réflexes indomptables, que de réprimander sans dire un mot un seul. Ses deux dagues dans les mains, elle se releva, grimpa avec agilité sur le peu de surface latéral libre sur la table renversée et bondit*, se retrouvant derrière son ennemi, elle s’approcha pour l’avoir au corps à corps. Le rossignol vint planter givre du soir et printemps étrange dans les entrailles du possédé, horrifié de ne pas voir d’autre solution immédiate. Elle sentit la vie quitter le corps au même moment que ses dagues en sortaient. L’imbrisée versa une larme, regrettant immédiatement son action. Elle aurait dû avoir le réflexe d’user de magie, elle aurait dû y penser. Ses yeux s’écarquillèrent, elle était plantée là, quelque chose s’infiltrait dans sa tête, voulait prendre son corps en otage. Elle le sentait, sa conscience qui prenait de moins en moins d’espace, comme une voix s’amuïssant sous la pression. La Falkire jeta ses armes au bout de ses bras, elle croisa le regard du conseiller, de sa garde, de la garde Délimarienne.

« Elle va prendre le dessus, immobilisez-moi, je ne pourrai pas lui résister longtemps. » Autone hurla, si ce n’était de douleur, de force, de combat. « La chimère, elle…dépêchez-vous… » Tout son esprit rassemblait ses forces à ne pas laisser cette chose prendre possession d’elle. Marius, son escorte, la prit par les bras, l’immobilisa. Autone croisa les yeux du conseiller, n’était-il pas mage? Ne pouvait-il rien lui envoyer comme magie?

Sort :

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En d’autres temps, d’autres lieux, et surtout d’autres circonstances, Ilhan aurait pu se sentir troublé et outragé de voir une dame relever ses jupes ainsi devant lui. Mais considérant d’où venait la dame en question… et surtout considérant la situation et les armes qu’elle en sortait… il avait de toute façon bien plus urgent à penser que de discourir sur les manquements aux bonnes mœurs de cette gente dame.

Il ne réfléchit même pas au fait que, si elle était armée ainsi, elle savait certainement se défendre et n’était nullement comme nombre de ces belles nobles éplorées et perdues en pleine bataille. Il avait réagi à l’instinct et l’avait attirée avec lui à l’abri. Elle pouvait toujours lui faire les gros yeux… au moins il n’avait pas agi comme un mufle ou comme un total pleutre en laissant une femme se débrouiller et en se cachant seul à l’abri ! Certes, sans doute préférait-elle les preux chevaliers. Mais il n’en avait ni l’épée ni l’allure. Non, tout ce qu’il avait pour lui en de telles circonstances… C’était un petit brin de magie, bien maigre toutefois, et son esprit. Son intelligence, son sens tactique… comme lorsqu’il faisait une partie de jeu stratégique. Il avait souvent l'avantage... sauf quand il laissait son partenaire délibérément gagner en fait, pour ne pas offusquer ledit partenaire… Bref ! Sa façon de combattre à lui était la ruse et la finesse. Ce qui demandait du recul et de pouvoir se cacher, réfléchir, pour mieux agir avec doigté, en se jouant d’illusions et autres duperies.

Il ignora donc le regard noir qu’elle lui offrit. Et pesta intérieurement quand il la vit aussitôt s’élancer par-dessus la table en plein combat. Bon certes, elle était agile, douée et son geste était beau. Mais… Diantre, elle aurait pu laisser leur garde se battre ! Si elle se faisait blesser, qui allait-on accuser ? Et pire si elle se faisait tuer ! Il allait devoir…

Rien du tout, corrigea-t-il aussitôt en son for intérieur, en voyant leur nouvel attaquant, froidement abattu, tomber à terre. Il n’avait pas eu besoin d’intervenir, qu’elle avait réussi à les défaire de cet adversaire. Enfin si, sans doute allait-il devoir la consoler, tant elle semblait soudain abattue elle-même par son geste. N’avait-on pas idée aussi ? Elle aurait pu laisser leurs gardes les protéger ! Ils s’étaient eux-mêmes défaits de leur adversaire. Au-dehors rugissaient encore quelques clameurs de combat, mais déjà ils diminuaient. Compter sur les délimariens pour maitriser tout adversaire !

Il fit un pas vers elle, quand… elle jeta soudainement ses armes et leur cria de la maitriser. Posséder ! Elle allait se faire posséder ! Ilhan siffla entre ses dents, une onde d’agacement montant d’un cran et une aigreur lui brûlant l’estomac. Il ne manquait plus que cela. Et hors de question de tuer la conseillère pour la déposséder ! Cette fois…

Cette fois, il lui fallait agir. Et vite. Déjà le garde du corps d’Autone lui avait saisi fermement les bras. D’un regard, il intima au garde délimarien de l’imiter et de l’aider à maitriser ce qui pouvait devenir une furie ou une anguille. Vu l’agilité dont elle avait fait preuve précédemment… Deux solides gaillards pour la tenir ne seraient pas de trop.

Tenez-la bien. Sans la blesser si possible. Je tente de trouver un moyen… Il nous faut déjà gagner du temps...

Il lorgna vers les issues et vers l’extérieur où des échauffourées avaient toujours lieu. Il se dirigea alors d’un pas vif vers l'entrée, posa les deux mains sur le sol et créa un mur de pierre à la place de la porte défoncée. De quoi leur permettre de s’isoler un court laps de temps, si jamais une autre chimère tentait de s’infiltrer avant que les autres gardes à l’extérieur ne maitrisent totalement leurs ennemis. Il répéta l’opération vers la fenêtre. Il n'étaient plus éclairés que par la seule lumière du feu encore crépitant dans la petite cheminée. Puis enfin il se tourna vers Autone.

Elle semblait lutter, mais déjà ses yeux se faisaient vitreux. Elle allait réellement perdre contre la chimère et se faire posséder. À part tuer le corps possédé, il connaissait deux autres moyens pour tenter de libérer quelqu’un, d'après ce qu’il avait lu des comptes-rendus à ce sujet. La magie… Mais les sorts qu’il connaissait n’étaient guère destinés à se lancer sur quelqu’un. Pas sans dommage. Il ne connaissait pas vraiment de sorts de soin. Et vu sa piètre endurance… il risquait fort de perdre connaissance avant d’avoir pu lancer suffisamment de magie sur elle pour la libérer. Ou… les arts de l’esprit. Il avait, dans cette branche-là, une possibilité. Il ne savait si cela marcherait… Cela n’avait pas été vraiment créé pour cela. Mais…

Mais… après tout… En théorie…

Je vais devoir l’approcher de près, la toucher. Si elle pouvait bouger le moins possible.

Mais déjà elle commençait à s’agiter, à tenter de s’échapper. Le regard de la jeune femme se fit plus haineux, plus viscéralement meurtrier. Oui… Ils avaient intérêt à bien la tenir. Car s’ils la lâchaient, elle les tuerait. Sans une once d’hésitation. Et vu ce qu’il s’apprêtait à faire, il serait le premier.

Il devait toutefois essayer. Il n’y perdait rien. Enfin si… Le sort était risqué. Pour lui, plus que pour elle. Le sort était épuisant, au mieux. Il serait bon pour une bonne migraine dans le meilleur des cas. Dans le pire… Une possible perte de connaissance en puisant toute son énergie. Et il serait totalement à la merci d’une attaque extérieure, son esprit serait focalisé sur la jeune femme et serait totalement vulnérable. Mais… La vie de la jeune femme était en jeu.

Ilhan inspira et expira profondément et avança à pas comptés, rassemblant toutes ses forces mentales et sa volonté pour les focaliser sur un seul et unique but : lancer ce sort si longuement conçu… qu’il n’avait jamais lancé dans un tel cas encore. Son animis protego… Cela devait marcher. Il ne pouvait échouer. Il n’avait pas le droit d’échouer ! Il banda toute sa volonté, sentant son regard se durcir, son esprit braqué sur son unique objectif.

Il posa alors doucement son front sur celui d’Autone et projeta sa force mentale sur elle, comme tentant de renforcer la sienne, de l’extirper de la brume dans laquelle elle s’enlisait, comme pour former une sorte de bouclier autour du peu de conscience qu’il restait à la jeune femme. Il projeta ce bouclier mental vers elle de toute sa puissance, de toute sa volonté, visant ce qu’il sentait encore pulser d’elle en son esprit. Car elle était encore là. Elle avait lutté, et luttait encore. À lui de l’aider, de la tirer vers la conscience et de lui donner la force de chasser cet envahisseur… De chasser cette brume, cette noirceur…

Il la sentit, là, loin, si loin, et pourtant bien présente. Comme s’éteignant, mais se raccrochant. Alors, dans un ultime effort il projeta son esprit, son bouclier mental, encore un peu plus loin, comme lui tendant une main. Une main fébrile, il le sentait. Il avait vaguement conscience que son corps commençait à trembler, qu’une lumière douloureuse palpitait derrière ses paupières, qu’une migraine carabinée menaçait et que son front perlait d’une petite suée. Mais non il ne devait pas lâcher, il devait… Là, il la tenait. Alors il tira. Mentalement il tira de tout le peu de force qu’il lui restait, les englobant tous deux comme il pouvait dans cet écrin de force mentale qui, il l’espérait, les protégerait encore un peu… et permettrait à la jeune femme de se libérer. Encore un peu…

Juste… Encore… un petit effort...

Sort : Mur de pierre :


Sort unique : Animis protego :

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Cette impression de tomber, tenter d’éviter la chute mais rester immobile, parce qu’il n’y avait ni trou, ni falaise, ni océan. Rien qu’un immense néant et l’impression de sombrer, de disparaître. Elle aurait pu le comparer à une brume noire, mais c’était bien plus immense, sans début, sans fin, que le brouillard qui s’estompait dans l’air. Il n’y avait que cette immense noirceur, l’angoisse du néant. Cette petite impression qu’elle avait eue déjà, à morneflame, qu’une partie d’elle s’estompait jusqu’à disparaître entièrement. Quand elle fût privée de sa magie, pendant plusieurs jours, elle avait ressenti ce malaise au fond de sa poitrine, cette angoisse sans réelle anxiété. Juste un manque, puis elle s’y était habituée, elle avait oublié sa magie, avait presque fait le deuil.

À quoi se raccrocher? L’espoir n’était pas adéquat, il lui fallait croire en sa force, tout en voulant être trop faible pour heurter ses alliés. Oui, ses bras étaient trop faibles, une fois immobilisée, la chimère ne pourrait rien contre eux. Elle avait besoin de ses mains pour ses sorts. Autone sentait ses paupières se fermer, elle les garda mi closes, fixa son attention sur la théière renversée. La réalité, comme point d’attache, peut-être? La jeune femme prit une grande respiration, écouta son souffle, répéta le son dans sa tête. Elle vida son esprit, mais la sensation de vide était l’écho que son corps lui renvoyait. Autone laissa ses paupières retomber sur ses yeux, elle tremblât pendant quelques secondes, puis tout mouvement cessât.
Lorsqu’elle ouvrit les yeux, elle servit le regard le plus haineux qu’elle n’eût jamais montré à Ilhan. Puis elle sentit la poigne de son escorte se relâcher, au lieu de se resserrer comme il l’aurait dû, en réaction à son immobilité soudaine. Le corps en profita pour tenter un geste rapide et brusque, qui fût maîtrisé aussitôt. De la force, Autone en avait, mais pas de ce type-là. La chimère en panique se mit à s’agiter, de tous les sens et par toutes les techniques possibles. Elle était encore habituée à son corps précédent qui fût suffisamment puissant. Il n’y avait rien à y faire, les bras faibles d’Autone ne pouvaient rien contre la poigne de deux hommes.
Quand Ilhan approcha, elle voulut le frapper avec sa tête, mais Marius l’attrapa par les cheveux, gêné du geste humiliant, mais quel autre moyen avait-il? Il avait déjà une main occupée à tenir son bras. La chimère regarda Ilhan dans les yeux, le défiant du regard.

***

Tout était si sombre, il y avait encore cette impression de chute, d’être présente mais de se noyer en elle-même, de ne pas parvenir à la surface, peu importe combien elle s’agitait. Son esprit tremblait, tremblait et résistait, restant comme accroupie en elle-même. Serait-ce sa dernière sensation? Le dernier instant de son esprit dans ce corps? S’ils la tuaient, simplement, comme elle l’avait fait? Serait-ce simple justice?

Autone releva le menton, quelque chose se formait autour de son esprit. De la magie? Elle la sentait, comme lorsqu’elle avait franchi la porte de morneflâme et que la trame s’était remise à couler dans son corps. Comme un bouclier, quelque chose de fort, de grand. L’espoir la traversa, elle se releva. Ilhan? Ce ne pouvait-être que lui.


« Avente? »
murmura-t-elle, sans savoir si son corps prononcerait ces paroles. Les mots traversèrent le matériel, elle avait percé la coquille de la possession. Elle tendit une main faible vers la sienne, le néant la poussait à contresens, elle persista jusqu’à le toucher du bout des doigts, poussa encore et enfin il l’attrapa, la tira.

Elle émergea en écarquillant les yeux, son corps cessa toute lutte que la chimère eût fait précédemment. Marius, embarrassé, lâcha ses cheveux. Elle-même se retrouvait dans une situation gênante, tenu par ses deux gardes, le front contre celui d’Ilhan et maintenant, décoiffée. Les gardes réagirent plus rapidement qu’Autone, lorsqu’ils virent des signes d’agressivité chez le conseiller Délimarien. Pourtant la chimère ne tenait pas d’attaquer…Elle voulait s’enfuir. Était-elle épuisée? Alors que les gardes la lâchèrent pour rattraper le corps possédé du conseiller, Autone les suivit, courant malgré sa faiblesse. Elle s’arrêta devant le conseiller immobilisé et reprit son souffle. Pas que la course était longue mais qu’elle se sentait faible. Autone pressait la trame d’être de son côté, elle avait besoin d’elle plus que jamais. Il n’y avait qu’un moyen de faire cela, et ensuite elle ne serait plus fonctionnelle.
Le rossignol approcha ses paumes près du ventre du tisseur. Elle observa la lumière faible s’intensifier doucement, mit tout ce qui lui restait de forces dans ce sort. Elle lui transmit toute la magie que la trame lui permettait de faire circuler.

Est-ce qu’elle avait oublié de respirer? Le souffle lui semblait court. Elle était fatiguée, sentait son corps qui ne pouvait plus combattre. La lumière clignota quelques fois avant de s’éteindre, Autone tomba sur le sol, sombra dans le sommeil.


Sort de soin :

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Alors que son esprit attrapait mentalement celui d’Autone, il sentit son emprise se faire plus forte et la présence de la jeune femme se densifier. Il la sentit chasser les ténèbres et le froid qui l’envahissaient, il la sentit reprendre possession de son esprit, il la sentit…

Il sentit soudain un grand froid, dense, épais, vorace, venir l’engloutir en arrière-fond. Comme si le froid avait glissé pour pénétrer derrière son propre bouclier, pour venir s’infiltrer dans ses propres rangs… dans son propre esprit ! réalisa-t-il abruptement. Ce froid, cette glace qui emprisonnait ses sens, ce n’était plus en elle, mais en lui ! C’était… la chimère… le happait lui, puisqu’elle n’avait pas pu happer Autone. Trop affaibli par son sort, trop éprouvé et ayant projeté toute sa force mentale pour protéger l’esprit de la jeune femme, Ilhan avait laissé le sien totalement à la merci de la chimère, comprit-il. Pas qu’il aurait pu faire autrement cela dit. Et voilà que…

Il sombrait. Sans parvenir à se retenir à quoi que ce soit, sans parvenir à former un bouclier mental pour se protéger et repousser cette fourbe attaque.

Il avait… si froid. Il faisait… si dense. Si noir. Si… Tout n’était plus que néant. Et il sombra dans les limbes du vide.

***

Razkar ouvrit les yeux. Et se retrouva front contre front, yeux dans les yeux, face à sa précédente victime. Une victime qui avait semblé bien fragile physiquement. Il l’avait choisie en un instinct désespéré et avait été dépité de se retrouver en un corps si frêle. Mais sa victime actuelle était pire encore. Il sentait les douleurs de ce corps plus âgé, les réticences de ses articulations, les fourbures de son dos… maudit soit-il ! Ce fourbe être avait réussi à le chasser de l’esprit de la femme et l’avait forcé à aller de mal en pis en le possédant lui !

Mais voilà au moins une douce vengeance. Ah il s’était cru plus fort en voulant le déposséder de sa victime et voilà que de sauveur, cet être pathétique devenait victime à son tour ! Oh oui délicieuse vengeance que celle-ci. Et, même si ce corps était d’une faiblesse affligeante, il pourrait peut-être encore se venger de cette maudite femelle qui maintenant le regardait. Le visage d’Ilhan se tordit alors en un rictus mauvais et son regard d’ordinaire si brillant se ternit d’une lueur malveillante. Il grogna dans un son de gorge profond, prêt à se ruer sur la jeune femme, toute griffe dehors…

Quand son regard aperçut soudain les deux hommes, dont un de taille impressionnante, un colosse par rapport au nain qu’il habitait, l’observer et commencer à se mouvoir vers lui. Oh non mauvais, mauvais. Les combats précédents l’avaient bien trop éprouvé. Il ne pourrait jamais… Non jamais, pas avec cette carcasse déplorable. Fuir, il devait fuir… Tant pis pour sa vengeance. La femelle paierait plus tard.

Mais à peine esquissa-t-il un mouvement, que déjà des bras puissants le happèrent. Razkar grogna de plus belle, jura, s’échina à se libérer en se tortillant de tout côté. En vain. Leur prise était trop forte. Il sentait son pauvre corps s’essouffler. Encore un peu et ce coeur allait lâcher. Même s’il détestait ce faiblard, il en avait encore besoin. Il aperçut alors la femme devant lui et la foudroya d’un regard haineux. Puisque c’était là tout ce qu’il lui restait. Il lui offrit son rictus le plus mauvais, qui promettait mille souffrances, quand bien même ce ne serait pas lui qui les lui offrirait.

Et soudain, une brûlure intense le frappa de plein fouet. Razkar hurla sous la douleur, se convulsa entre les bras qui le tenaillaient, invectiva, jura, de tous les noms, ses tortionnaires, leur promettant une mort prochaine quand leurs maitres viendraient. Il hurla, encore, et encore, à s’en casser les cordes vocales. Ce qui certainement fut le cas, mais les sorts de soin aidant, les cordes se réparaient dès qu’il les usait. Mais bientôt ses cris ne furent plus que gémissements et ses gémissements moururent en un souffle. Il sentit le corps possédé s’effondrer alors que la trame le déchirait de toute part. L’enveloppait de sa puissance, l’avalait tout entier, pour le disperser dans son immensité. Et le faire disparaître à tout jamais.

***

Il sentit une brise sur sa joue. Une petite tape.

Avente, réveillez-vous. Allez, réveillez-vous. Revenez. Allez, Avente, faisait une voix aux accents nordiques.

Il papillonna des yeux, mais peina encore à les ouvrir vraiment.

Une autre petite tape. Puis une gifle puissante cingla sa joue en un va-et-vient violent. Ses orbes noirs s’ouvrirent tout aussi abruptement et tombèrent sur des perles azur l’observant d’un air féroce et inquiet tout à la fois. Ingmar. Un des garde-loups.

C’est pas trop tôt. Un peu plus et j’ai cru que vous étiez mort. Comment on aurait expliqué ça au Général, hein ?

Le ton bourru, sous ses accents farouches, dénotait toutefois un réel soulagement, et Ilhan sourit d’abord pour toute réponse. Avant de croasser :

Vous lui auriez dit que sauver la peau du fou que je suis est mission impossible.

J’aime les missions impossibles, lui répondit l’autre en lui tendant une main pour l’aider à se relever.

D’un geste preste et étonnamment agile, Ilhan attrapa la main et se remit sur ses deux jambes. Et fut étonné de ne ressentir… aucune… douleur. Plus de fourbure. Plus de mal de dos. Ni même de mal de crâne. Avec le sort dont il avait usé, il aurait dû pourtant ressentir une terrible migraine... mais rien. Rien de rien ! exulta-t-il presque.

Avant de se souvenir brusquement. La chimère l’avait possédé alors qu’il libérait tout juste Autone.

La chimère… murmura-t-il soudain l’air sombre.

Morte, je pense. Vous avez hurlé, la guérisseuse vous a…

Le garde émit un geste de main le désignant de haut en bas, avec une moue un peu dégoûtée, mais sans haine par ailleurs ni reproche.

Avec sa magie. Et vous vous êtes effondrés tous les deux. Personne n’a été possédé ensuite. Donc je pense qu’elle est morte.

Dame Falkire, souffla aussitôt Ilhan en se tournant vers la jeune femme, auprès de qui son garde était.

Il tentait de la réveiller, en vain. Ilhan s’approcha alors.

Puis-je ? demanda-t-il à Marius.

Après un signe d’acquiescement de sa part, Ilhan s’agenouilla, et posa une main sur son front.

Il me faudrait un peu d’eau peut-être, demanda-t-il.

On allait éviter la méthode gifle. Hors de question de frapper une femme !

Aussitôt on lui amena une cruche d’eau. Il déchira un bout de la manche de sa sous-tunique, puis l’imbiba d’eau et tamponna doucement le visage de la jeune femme.

Dame Falkire, appela-t-il de sa voix chaude. Revenez à nous. Réveillez-vous. Un petit effort. Dame Falkire… Autone, souffla-t-il, tout en continua ses gestes doux et attentionnés, se permettant une légère caresse sur les cheveux épars.

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Quelque chose de froid se posa sur sa joue, elle voulait encore rester là, dans cet état de repos inconscient. Son visage se rafraichissait, on aurait dit que Leto était venu l’éveiller. Autone fronça les sourcils, mais non, ça ne pouvait pas être Leto, puisque quelqu’un appelait son nom. Aux dernières nouvelles, les chiens ne parlaient pas. Son prénom d’ailleurs? Quel homme l’appelait par son prénom. Aldaron? Non, Aldaron ne la réveillait pas. Aucun homme ne la réveillait. La panique prit soudain possession de sa poitrine, Autone ouvra brusquement les yeux et appela sa dague, qui apparut dans sa main. Elle l’agrippa dans la même seconde où elle la relâcha, quand elle réalisa qui se tenait devant elle. Pendant quelques secondes, elle fixa Ilhan, confuse, puis sembla enfin comprendre où elle était.

« Conseiller Avente, pardonnez-moi, je croyais m’éveiller chez moi, j’étais effrayée… »


Effrayée qu’un homme soit au-dessus d’elle pendant qu’elle dormait paisiblement dans sa chambre. Elle avait normalement une dague tout près d’elle dans sa chambre, mais Printemps étrange était au sol, bien loin d’elle. Autone s’assied et ramena ses jambes contre son corps. « Il y avait une chimère… Un groupe de chimère, est-ce que tout le monde va bien? Oh non… »

Ses yeux se posèrent sur le cadavre qui était entièrement sa faute. « J’aurais dû user de magie dès le départ, j’ai agi trop vite, j’aurais dû penser... » La conseillère sentait son esprit s’éparpiller, les évènements revenaient de manière aléatoire, elle tentait de les placer en ordre chronologique. La jeune dame regarda le sol, elle devait vraiment cesser d’être aussi téméraire. Si elle avait laissé le garde Délimarien s’occuper de la chimère, que serait-il arrivé? Autone releva la tête, soutenant le regard du conseiller. « C’était vous, non? Vous étiez dans mon esprit…comment…Je n’aurais pas résisté sans votre aide, n’est-ce pas? »

Lorsqu’il y aurait plus de chimères, elle ne pourrait pas prendre le temps d’envoyer de la magie à chacun d’entre eux, pour les libérer de leur possession. Elle était tombée inconsciente rien qu’après une seule intervention auprès d’Ilhan, si elle devait se retrouver sur un champ de bataille avec les centaines de possédés…Et bien des centaines d’innocent allaient mourir par la faute de ces chimères. Elle était prête à risquer de tomber inconsciente pour certaines personnes…plus importantes. Mais c’était cruel, si cruel. Elle aurait été tuée si elle n’avait pas été conseillère. Ilhan aussi. La petite femme se battait contre cette hypocrisie du hasard et pourtant, il se jouait d’elle. Dans le contexte où elle ne pouvait sauver qu’un possédé, elle allait forcément choisir la personne qui en valait la peine pour elle, aussi injuste cela était. Autone serra sa robe dans sa main, son cœur se tordait de culpabilité. Heureusement, il s’agissait d’émotions appropriés à montrer même devant une instance diplomatique. Elle aurait pu mettre son masque de fer, avoir l’air indifférente mais passer pour une tueuse de sang froid n’était pas une bonne idée. Surtout à voir comment elle avait exécuté le pauvre homme. Faire preuve de retenu, oui, mais ne pas rester de marbre.

« Si seulement il y avait un moyen de prévenir ces possessions à l’avance… »
Pensa-t-elle à voix haute avant de soupirer. Cela signifierait de faire des recherches sur un sujet que nul ne connaissait encore. À quoi bon tenter de créer des enchantements de protection contre des créatures qui passaient outre tout enchantement et toute magie. Néant avait-elle une faiblesse? Peut-être faudrait-il commencer là.
« Je devrais vous remercier. Et…m’excuser aussi. Je n’aurais pas dû intervenir, au départ. Mais encore, je ne sais pas ce qui se serait passé si …Peut-être aurait-il possédé l’un des gardes. Cela aurait fait bien plus de dégâts. »

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Personne n’eut le temps de réagir qu’une dague apparut dans la main de la jeune femme, soudain totalement éveillée. Ilhan sentit un bras puissant l’enserrer par le torse, prêt à le tirer vers l’arrière, mais tous se figèrent dans le mouvement, quand Autone relâcha sa dague. Encore un peu, et elle se faisait décapiter par l’épée délimarienne sans autre forme de procès. Et le garde d’Autone aurait répliqué en foudroyant le délimarien de sa dague. Il s’en était fallu d’une seconde tout au plus pour que la scène tourne au drame. Ilhan remercia intérieurement les réflexes des guerriers qui avaient su arrêter leur geste à temps. De même qu’il remercia les réflexes et la lucidité de la jeune femme qui avait su, elle aussi, réaliser sa méprise. Et qui, fort heureusement, n’était plus chimère.

D’un simple hochement de tête, il ordonna au garde de le relâcher. Les deux hommes baissèrent leurs armes et Ilhan se permit une longue et profonde inspiration, prenant seulement conscience qu’il s’était aussi arrêté de respirer. De longues secondes durant, le silence s’étira, tandis qu’Ilhan et Autone s’observaient, confus, troublés, hésitant.

« Conseiller Avente, pardonnez-moi, je croyais m’éveiller chez moi, j’étais effrayée… »

Il hocha simplement la tête en un geste négatif, et chassa l’air de sa main d’un geste négligent, signifiant sans un mot qu’il n’y avait pas de mal. Même s’il s’en était fallu de peu.

La jeune femme reprenait ses esprits et les questions fusèrent. Mais Ilhan n’eut guère le temps de répondre. Tout à sa confusion, l’esprit encore en effervescence apparemment, Autone enchainait. Et déjà se fustigeait du meurtre qu’elle avait commis. Qu’elle avait dû commettre.

Ilhan suivit son regard vers le cadavre et se retint de vomir tripes et boyaux plus loin. Il devait avouer qu’elle avait eu le geste sûr, sans hésitation aucune. Un geste d’assassin chevronné presque. Il ne l’aurait jamais cru capable d’un tel acte, d’une telle maitrise de la dague, d’une telle… Son regard sombre revint sur la jeune femme, préférant se focaliser sur elle plutôt que sur le corps à terre. Nulle condamnation dans son regard. Nul écoeurement non plus. Elle avait fait ce qu’il y avait à faire pour rester vivante. Pour qu’ils restent vivants. Ni plus ni moins. Non, seule une certaine tristesse éclaira ses orbes d’ébène, alors qu’il prit enfin la parole, d’une voix grave et posée :

Ne vous fustigez pas. Vous nous avez sans doute sauvés.

Peut-être leurs gardes auraient-ils pu intervenir à temps. Ou peut-être pas. Ils ne le sauraient jamais et se poser la question maintenant lui semblait inutile. Les " et si " ne faisaient que vous tourmenter sans apporter aucune réponse constructive.

Vos réflexes sont admirables et redoutables, ajouta-t-il en un sourire se voulant taquin, en faisant référence aussi à la menace de sa dague à son réveil. N’oubliez pas que ce sont ces réflexes qui vous ont maintenue en vie jusque-là et qui ont maintenu en vie peut-être aussi ceux que vous aimez. Je n’ai rien à vous pardonner. Inutile de se demander ce qu’il se serait passé si nous avions agi autrement. Les sentiers de nos choix possibles sont parfois étroits et pire aurait pu se produire si nous n’avions pas fait ce que nous avons fait. Faisons de notre mieux et nous ferons ce que nous devons.

Et il parlait en connaissance de cause. Combien de fois s’était-il tourmenté en regardant droit dans les yeux Fabius alors qu’il le trahissait sans vergogne. Il chassa rapidement ses pensées inopportunes.

C’est ce que vous avez fait. Vos doutes et vos remords sont tout à votre honneur, et je ne vous demande pas de les oublier non plus, car ils sont là le signe de votre humanité. Chérissez-les, mais ne vous tourmentez pas outre mesure. Nous honorerons cet homme mort pour que son âme repose en paix. Et la vôtre pourra s’apaiser aussi.

Il se leva alors, étonnamment sans aucune douleur. Il en aurait presque sauté de joie et avait envie de tester cette nouvelle agilité, cette nouvelle force vivifiante qu’il sentait courir en lui. Il avait envie de courir cent lieux, de tenter de saisir cette épée, de défier le monde entier. Mais ce n’était pas le moment de se laisser aller à des humeurs d’enfant. Alors, au lieu de cela, il se contenta de lui tendre une main, avec un doux sourire, en une invitation à l’aider à se relever, dans un calme stoïque sans faille qu’il était loin de réellement ressentir au fond de lui.

N’oubliez pas, Dame Autone Falkire. Notre passé nous forge, notre présent nous lie et nos intentions enfantent notre avenir.

Et sa voix grave baissa encore d’un ton prenant des accents tout à fait althaïens. C’était là la devise des Avente. C’était là une phrase qui l’avait suivi toute sa vie, et qui lui avait permis de faire la paix avec lui-même, avec les actes parfois abjects qu’il avait dû commettre, pour le plus grand bien de tous, pour la Grande Oeuvre. Des actes qui l’avaient hanté tout de même, malgré toutes ses bonnes intentions, mais qu’il avait su accepter, car en ces temps troublés, ses actes le définissaient tout autant que ses intentions derrière et étaient le signe d’un homme voulant agir, aider, quand bien même il faisait des erreurs.

Et oui, c’était moi dans votre esprit. Je ne sais si vous auriez résisté sans mon aide. Mais je n’ai pas voulu faire le pari. J’ai, moi aussi, agi, à ma manière, sans penser, en faisant fi des " et si ". Dans ces moments-là, l’instinct prime sur tout, Dame Falkire. Et parfois l’instinct nous sauve.

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Se fustiger? Peut-être un peu, mais principalement, elle se demandait s’il était possible de trouver un moyen d’éviter les possessions, avant qu’elles n’arrivent. Cela leur donnerait un avantage, un coup d’avance, s’il devait y avoir une bataille ou…

Une pensée se posa sur l’imbrisée. La guerre, elle n’avait jamais réellement cessé. Un sourire mélancolique répondit à la taquinerie.
« Et sans en avoir le pouvoir, on aimerait pouvoir protéger tout le monde… »  
Autone pensait à tous les possédés qui ne seraient pas libérés, mais tués et à tous ceux qu’elle aimait et qu’elle n’avait pas sauvé. Elle avait protégé ses enfants à tous les prix et avait oublié de protéger son propre mari. Si elle avait su, elle aurait pu lui mentir, l’enfermer et détruire toute la beauté qu’ils avaient créés ensembles.

Autone accepta la main du conseiller et se releva. Elle le regardait sans savoir quoi répondre à cette devise toute faite, puis hocha la tête avec une mine inquiète au visage. Le futur était teint de peur, elle cherchait l’espoir mais c’est l’impuissance qui lui répondait. L’impuissance devant la guerre, devant l’esclavage, devant tous les fers qui enfermaient la liberté et la beauté et devant la culpabilité de son propre peuple concernant les injustices commises aux Graärhs.


« Je vous remercie pour votre clémence, conseiller Avente… »  


Ou Ilhan? Il l’avait entendu l’appeler par son prénom, mais elle préférait ne pas franchir de limites dont elle ne connaissait toujours pas les lignes pour l’instant.

« Je n’ai jamais rencontré ce genre de magie. Sans vous je ne serais probablement pas en vie, je vous en suis reconnaissante. Mais savoir quelqu’un entrer dans son esprit peut être inquiétant. Puis-je savoir ce que vous fait? »  


Implicitement, elle tentait de ne pas être impolie en disant qu’elle sentait son intimité légèrement envahie à l’idée que quelqu’un ait pu lire son esprit. Aramis aurait pu lire son chant nom et ne l’avait jamais fait, justement par respect pour elle. Et outre les secrets et mensonges incriminants dont Ilhan avait déjà prononcé les soupçons, elle avait son jardin secret qui n’avait rien d’incriminant mais rien non plus de glorieux. Hors de question d’être aussi vulnérable devant un conseiller de Délimar.

Ses yeux se posèrent sur le corps inerte à nouveau. Avec tout cela, ils n'avaient pas pu discuter du sujet pour lequel ils s'étaient déplacés à la base.

«Il faudra retrouver les familles à qui appartiennent les corps, afin de leur offrir la chance de brûler leurs morts. »

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Protéger tout le monde… Douce utopie, songea-t-il. Il n’en dit mot toutefois. La jeune femme semblait bien consciente de l’impossibilité de ce beau rêve. Et il était inutile de lui miner le moral plus qu’il ne l’était déjà. Elle semblait tout juste se remettre du choc, tout doucement, il préférait taire toute pensée malheureuse qui risquerait de la replonger dans la tristesse ou l’apathie.

Lui, pour sa part, préférait se focaliser sur une autre utopie, tout aussi folle, mais un tant soit peu plus accessible : protéger tout le peuple humain. Tout le monde ne pourrait être chaque jour, chaque seconde, en sécurité. En cet archipel sécurité était un mot qui avait perdu tout sens. Non, mais il pouvait faire en sorte que le peuple humain trouve un rempart, derrière lequel survivre et se redresser. Qu’il se relève de toutes ces épreuves et retrouve la force qui était sienne. C’était ce à quoi il oeuvrait chaque jour. En Delimar. Et au sein de la Toile, avec toutes ses araignées.

Il laissa le silence s’installer entre eux alors qu’elle se relevait, et se contenta de l’observer d’un air faussement calme. Silence qu’enfin elle rompit en répondant à ces précédentes paroles.

« Je n’ai jamais rencontré ce genre de magie. Sans vous, je ne serais probablement pas en vie, je vous en suis reconnaissante. Mais savoir quelqu’un entrer dans son esprit peut être inquiétant. Puis-je savoir ce que vous fait? »  

Ce qu’il avait fait ? Ilhan haussa d’abord un sourcil à cette question inattendue. D’entre toutes, il ne s’était pas attendu à celle-là. Il ne répondit pas de suite, et déjà elle reprenait, en parlant des morts et de leurs familles. Il hocha d’abord simplement la tête, puis échangea un long regard avec son garde délimarien. Sans un mot, il lui indiqua d’un geste de la main les corps juchés sur le sol de la maison, puis ceux au dehors. D’un autre, il lui indiqua de les emmener sur le côté du terrain. Le glacernois acquiesça d’un signe de tête, prit le premier corps dans ses bras, sans grand effort apparent, et alla chercher ses comparses pour l’aider.

Ilhan reporta alors son attention sur la jeune conseillère en face de lui.

Ce genre de magie est un sort… que j’ai créé il y a peu. Enfin pour être plus exact, sur lequel je travaille depuis longtemps, mais il n’est réellement apte à être utilisé que depuis peu.

Il tut le fait qu’il existait en fait un autre sort, et que celui-ci n’était que son pendant, la protection contre le premier, le remède au poison en quelque sorte. Dans sa famille, où des secrets d’empoisonneur se répétaient de génération en génération, il était toujours coutume de dire qu’à tout poison créé il fallait en avoir aussi le remède. Ilhan avait appliqué cet adage à tout domaine.

Je ne suis pas maitre mage, la magie n’est pas mon domaine de prédilection. Je ne lui ai sans doute pas accordé toute l’attention requise, concéda-t-il à dévoiler.

Ce n’était de toute façon un secret pour personne. Il était mage, mais tout mage assez puissant pouvait aisément percevoir ses capacités plus limitées en la matière. Il se souvenait encore de sa longue conversation avec Achroma au sujet de la trame et de la vision que ce grand mage en avait...

Il m’a fallu des années, presque toute une décennie, pour parvenir à ce sort-là. Je ne suis pas réellement entré dans votre esprit. Pas tout à fait.

Ce n’était pas avec ce sort-là qu’il le ferait en tout cas. Il avait usé de son protego animi sur Autone, pas de l’autre. Mais de cet autre sort, il n’allait nullement lui en parler.

J’ai juste… projeté ma volonté, ma force mentale si vous voulez, dans votre esprit. Je me suis projeté en vous par volonté, comme pour… ériger un bouclier mental. Et vous permettre de vous extirper de l'emprise de la chimère. Ou comme si… comme si je vous lançais une corde. Je n’ai rien vu en votre esprit, si cela peut vous assurer.

Et il ne mentait pas. Il n’avait pas lancé son sort d’animis revelare, il n’en avait eu ni le temps ni la force. Il avait été entièrement focalisé sur son objectif, sur la volonté de protéger son esprit. Toutefois, qu'elle nourrisse de telles craintes signait là l'aveu qu'elle avait bel et bien quelque chose à cacher. Certes, chacun avait son jardin secret. Mais certaines personnes plus que d'autres... Et selon lui, Autone Falkire était de ceux-là. Il devrait songer à mieux la surveiller à l'avenir...

Je n’aurais pas osé violer vos pensées ainsi, offrit-il en un sourire.

Pieux mensonge toutefois. Si un jour il y était acculé, si un jour il le fallait, il le ferait, il le savait, nécessité ferait loi. Mais il n’allait certainement pas non plus le lui dire. Il n’avait nulle envie de nourrir sa méfiance. Ce n’était pas le moment.

Sur ce, les corps avaient tous été rapatriés en un coin du terrain. Ilhan aperçut son garde lui faire signe que tout était sécurisé et le conseiller invita alors Autone à sortir.

Tentez de les identifier, ordonna-t-il alors à ses hommes, prenant les commandes de la situation sans aucune hésitation.

En homme capable de commander, habitué à organiser, et à se faire obéir. Et, quand bien même il n'était ni général ni militaire, en cet instant les délimariens de son escorte obtempérèrent sans un mot.

Puis préparons les corps au transport. Si nous savons de quel village ou cité ils viennent, nous les y conduirons sans attendre. Sinon nous rapatrierons les dépouilles à Delimar et ferons une annonce aux villages autour ou organiserons leurs funérailles si personne ne réclame les corps.

Puis il se tourna vers les habitants du moulin.

Vous n’êtes sans doute plus en sécurité ici. Le moulin est certes utile et un lieu stratégique, mais en attendant de pouvoir réparer les dégâts occasionnés et de pouvoir en organiser la sécurité, Delimar vous invite en sa demeure pour y trouver refuge. Vous y serez traités dignement et nous pourrons aviser de la suite vous concernant en toute tranquillité.

Il vit les occupants du moulin se regarder, hésitant, mais n'attendit pas vraiment leur réponse. Sa Reine ne lui pardonnerait jamais d'avoir laissé ces gens en une telle situation. Il les emmenait avec lui. Ils aviseraient ensuite.

Préparez vos affaires. Nous partons d'ici une heure.

Et enfin retournant son attention vers la conseillère caladonienne.

Je crains que nous ne pussions continuer notre conversation en de telles circonstances. Vous n’avez sûrement plus l’esprit à de telles questions et nous avons plus urgent à régler. Nous pouvons reporter, ou nous entretenir de la suite par courrier. Il vous est également possible, si vous le souhaitez, de nous suivre. Jusqu’au village de ces pauvres malheureux, si nous parvenons à identifier d'où ils viennent, ou jusqu’à Delimar.

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« Je comprends mieux. »


Répondit la conseillère, rassurée de ne pas avoir été lue tout entière. Était-il honnête? À ce moment, elle s’inquiétait plus pour sa réputation liée à son passé qu’elle ne l’aurait dû. Ilhan avait, après tout, prononcé des allégations très directes quant à son affiliation au marché noir. Mais ce n’était pas ce qui l’inquiétait, elle préférait être détestée par Délimar pour sa corruption et pouvoir garder la tête haute que de leur donner une seule raison de la couvrir de honte. Un sentiment dont elle était la seule autrice et conservatrice.  

Peut-être avait-elle été sauvé par la cloche? Elle n’avait jamais eu à répondre aux accusations, mais finalement, c’était cher payé. Elle aurait voulu pouvoir lui faire confiance, ne pas s’en soucier, mais elle devait alerter Aldaron à son arrivée qu’Avente avait ses doutes concernant le marché noir et cette simple confrontation n’était qu’un premier geste.

« Je vous remercie pour votre initiative, conseiller. Je déplore que notre conversation ait dû s’interrompre aussi abruptement. Cependant nous auront d’autres occasions de nous entretenir et vous m’avez fourni de précieuses ressources pour cette cause. »  

Elle inclina légèrement la tête comme signe de reconnaissance, puis la releva. La maîtresse du moulin s’avança vers elle et prit sa main, lui offrant un sourire d’aurevoir. Une vielle dame bienveillante qui agissait comme la grand-mère de tout le monde.

« Un jour ces terres seront sécuritaires à nouveaux et vous pourrez rentrer. Si vous manquez les récoltes et que l’hiver est trop difficile, contactez-moi et je vous viendrai en aide. »
Lui dit elle doucement avant que la dame ne quitte pour plier bagages. Elle voulait créer un monde ou ces gens pourraient vivre en paix.


« Je vais rentrer à Caladon, mais je vous écrirai, conseiller. » Un sourire discret passa sur le coin de ses lèvres. « J’espère que le corbeau ne vous a pas importuné. »
Elle fit une courte révérence avant que Marius ne lui offre son bras. « Aurevoir, sir Avente, je vous souhaite une route tranquille. Autant qu’il soit possible. »  

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