- Aube et Crépuscule -
Les premiers rayons de soleil découpaient déjà les épines des conifères derrière lesquels ils étaient embusqués. La nuit froide et interminable, éclairée seulement de par la lumière de la lune laissait maintenant place à la douceur de l'astre des cieux. C'était le signal de l'attaque, cette fois, la proie ne leur échapperait pas. Au bord de l'une des forêts de la toundra de Nyn-Tiamat se dressait un animal gigantesque qui piétinait la neige d'anxiosité, protégé par une couche laine et d'immenses cornes, le rhinocéros laineux n'était tout de fois pas serein, il les savait proches. Les chasseurs gräarhs en étaient déjà à leur deuxième jour de traque, ils avaient pris soin de l'isoler de son groupe par une attaque synchronisée en plein milieu de la nuit une journée auparavant. Kasha'ah, l'un d'entre eux, un jeune gräarh mâle au poil long et fin aussi blanc que la neige qui les entourait, était aux cotés de trois de ses congénères embusqués. Il n'avait qu'un peu plus d'une dizaine d'année, mais il avait déjà le droit de partir dans les coins reculés de l'île avec les meilleurs chasseurs de sa tribut pour traquer et tuer le gibier. Celui là les nourrirait pendant longtemps, et sa laine serait précieuse pour les périodes les plus froides de l'année, mais surtout, surtout, la ferveur du gräarh et sa ténacité était sur le point de payer. Lorsqu'il rentrerait victorieux de sa première chasse avec les autres, il pourrait enfin prouver à sa tribut qu'il était l'un des meilleurs et qu'il méritait la place qu'on lui avait accordée. Ses pattes se resserraient autour de sa lance, ses muscles se tendaient, animés par cette promesse de gloire et d'honneur qui résidait entre les yeux de l'animal, cette promesse d'incarner la fierté de la tribut, d'attirer les femelles, de pouvoir être celui qui porterait la tribut, il en rêvait.
L'aube s'avançait déjà, c'était le signal. Les gräarh, sur le terrain, avaient une communication très limitée et Kasha'ah voyait dans le comportement de ses frères que le moment ne convenait pas, ils étaient tendus, mais suspicieux, quelque chose n'allait pas. Ce n'était pas l'état d'esprit de la proie ou même son positionnement. Il était encore un peu loin mais l'autre groupe de chasseurs devraient l'attirer vers eux sous peu, selon le plan initial. Non, il le ressentait lui aussi, il y avait comme une présence malfaisante qui s'installait dans leurs esprits, comme une épine qui s'enfonçait lentement à l'arrière de sa tête, ce n'était pas douloureux, mais cela le déconcentrait, et il lisait à l'inclinaison des oreilles des autres qu'il n'était définitivement pas le seul à ressentir cela. Après plusieurs minutes de tension pendant lesquelles les gräarh attendirent lentement l'attaque de l'autre groupe, leur attention basculant entre la recherche d'une nouvelle menace et l'analyse des comportements de la proie, le moment survint enfin. Deux autres gräarh, l'un gris tâché de blanc et l'autre sombre comme le roc se jetèrent sur le rhinocéros pour enfoncer, griffes, dague et crocs dans le cuir de son épais pelage. La bête prise pas surprise les rejeta de suite d'un puissant coup de son flanc, les attaquants, propulsés, partirent immédiatement en retraite vers Kash'ah et ses ainés. L'un deux semblait s'être blessé, mais la véritable préoccupation des chasseurs était la réaction de leur cible. Kasha'ah plongeait ses yeux dans ceux de leur immense proie, l'animal, fou de colère projetait comme prévus de charger ses deux courageux frères qui avaient pris le rôle de l’appât. Ses pattes faisaient craquer la neige et de la vapeur condensée se formait à la sortie de ses naseaux. Et ce regard, ses yeux, le gräarh y lisait la colère, la haine, puis soudainement, la peur, la terreur, la douleur.
Avant même d'avoir pu charger, la bête fut prise de convulsions alors que son pelage se teintait d'une couleur écarlate. Les gräarhs en fuite s'immobilisèrent, contemplant ce spectacle macabre en cherchant toute explication plausible, ils n'en trouvèrent aucune. L'animal n'eu pas le temps d'hurler à la mort qu'il s'effondre déjà dans la neige dans un gargouillement d'agonie, propageant la couleur sombre de son pelage entaché par le sang dans la poudreuse. Kasha'ah aurait pu facilement reconnaître les lacérations qui recouvraient le ventre de la bête, et sa gorge tranchée avec une arme bien plus imposante que leurs dagues ou leurs griffes, mais son attention était maintenant, comme celle de tout les autres, absorbée par la silouhette qui se cachait derrière le rhinocéros agonisant. Une ombre mouvante, floue, mais dans laquelle étaient visible deux traits lumineux, semblables à des yeux reptiliens qui les fixaient tout les cinq. Les chasseurs restèrent figés pendant quelques secondes, leur regard se perdant dans cette obscure abomination magique, aucun de ceux là n'avaient jamais vus de créature ou de maléfices similaires, probablement qu'aucun de la tribut n'aurait pu dire de quoi il s'agissait. L'ombre s'avança, lentement vers eux, rampant sur le cadavre de la proie. Poils hérissés, lance dressée, Kasha'ah se leva en feulant, propulsant de toutes ses forces sa lance sur la créature mystérieuse qui disparu aussitôt, comme si elle n'avait jamais existé. L'ombre n'était plus en face d'eux, mais elle semblait être partout, dans les airs, les encerclant lentement. Ils se regroupèrent, l'aiguille à l'arrière du crâne de Kasha'ah se révélait plus insistante, plus pesante, bientôt douloureuse. Il entendit comme un lourd grondement, menaçant, monstrueux qui se rapprochait et qui était maintenant.. si proche...
Les griffes de l'un de ses aînés lui attrapèrent le bras et l'entraînèrent plus loin dans la forêt. La retraite était claire et nette, quelque chose les traquait, quelque chose de puissant et d'inconnu. Les gräarhs s'enfonçaient dans la forêt sombre, espérant semer leur poursuivant. Mais Kasha'ah savait que c'était inutile, au dessus d'eux, il entendait des battements d'ailes, autour de lui, il entendait des griffes écorcher les troncs d’arbres comme un couteau dépèce un porc, il entendait ce grondement, toujours aussi profond. Et surtout cette aiguille qui perçait son esprit, et l'envahissait, perturbait ses pensées, ses mouvements, jusqu'à ce qu'une autre conscience s'éveille dans son crâne. Il courait, mais elle était toujours aussi présente, c'était comme milles voix grondantes qui retentissaient, et il y avait quelque chose de féminin dans ce chant chaotique.
“Cours, cours petit chasseur devenue proie.”
Elle ne parlait pas une langue qu'il connaissait, mais il en comprenait étrangement le sens entier, il sentait l'intention cruelle et sadique, il ressentait l'amusement de la créature. Il sautait, il grimpait, mais elle ne se faisait que plus présente, moqueuse. Il suivait ses frères, probablement vers une mort certaine, il le pressentait, tout comme la voix qui chantait dans sa tête.
“Cache toi ou affronte moi, mais cela ne te sauvera pas, tu périras.”
Jusqu'à ce qu'il s'arrêta, la forêt continuait sa fuite sans eux, les gräarh se retrouvaient piégés en bas d'une falaise abrupte. L'escalader serait pure folie, même pour un gräarh, avec une entité aussi dangereuse à leur trousse. Alors Kasha'ah et ses confrères se retournèrent. Sans échanger, armés, attendant l'arrivée du monstre. Jusqu'à ce que deux yeux argentés se révèlent d'entre les conifères, et qu'entre en scène la grande ombre. Massive, imposante, couverte d'écailles. Un immense reptile doté de pics dorsaux, de cornes, de griffes et de crocs, et d'un esprit si puissant et vaste qu'il transcendait les leurs en se mêlant impitoyablement à eux. Ses yeux luisants se posèrent sur chacun d'entre eux. Avant que la dragonne ne pousse un hurlement intimidant, la gueule grande ouverte vers eux.
“Gräarh, ne pouvez vous pas me montrer ? Ne pouvons nous pas nous connaître ? Gräarh, pour la dernière fois, êtes vous chasseurs ou proie ?”
Aïasil s'amusait de leur comportement, partagé entre la peur et l'honneur, les gräarh se préparaient pour le combat, et elle déploya ses ailes, paraissant plus majestueuses que jamais. Kasha'ah n'attaquait pas, le peur le prenait, ainsi que le respect pour cette race draconique, l'incompréhension de l'aggressivité du dragon, mais même s'il savait ses chances minces, il se défendrait coûte que coûte.