"- Autant que cela me sera possible", répondit Valmys quand il fut question de tenir Luna informée. Son visage avait pris une expression grave, tandis qu'il imaginait sans mal les divers yeux qui pouvaient passer sur le courrier de Luna. Finalement, il eut un haussement d'épaules. "Attendez-vous à devoir déchiffrer des métaphores." Un sourire entendu. Naïvement, il admettait que la proximité avec la famille royale avait dû doter Luna d'une certaine éducation, fusse-t-elle tardive. Elle comprendrait. Au pire, il les ferait évidentes, uniquement pour elle, sans être suspectes. Déjà le poème se profilait en son esprit ; quelques allusions au mariage, au voile de la mariée, aux animaux alentours... Oui, ce serait possible. Peut-être même plus aisé qu'il n'y paraissait. Le Lié de l'hermine aida la princesse des Lumières à se relever, surpris de sa légèreté, lui qui avait jadis eu tant de mal à soulever des êtres plus frêles que lui.
Luna trouva un bon public à sa description de Sélénia. C'était exactement ce que Valmys voulait entendre : un point de vue que seul quelqu'un qui vivait à Sélénia pouvait avoir, les informations qui ne se transmettaient pas au premier passant venu. Des étincelles de gourmandise pétillèrent dans ses yeux. Les pâtisseries humaines avaient beau ne pas toujours être adaptées aux régimes alimentaires elfiques, certes pouvaient trouver preneurs dans les petits coeur des oreilles pointues. Et Valmys, lui, il aimait le sucre. Le chocolat, les fruits... Les pâtisseries en elles-mêmes étaient un petit luxe qu'il découvrait depuis peu, et que Dawan avait apprécié à sa place lors du mariage. Voilà, il avait faim désormais. Il ne lui restait guère comme solution que retourner à Caladon, et faire les yeux doux à son père pour assouvir cette faim très particulière que l'on nommait gourmandise.
Avide d'informations, il demanda plus de détails sur ces fameux jardins suspendus, qui lui vendaient du rêve et l'inspiraient par leur seul nom, et sur cette place des Lumières, et l'origine de son nom. Un sourire répondit à l'enthousiasme de Luna quant à ladite place. Oui, Dawan lui avait dit qu'elle était la princesse des lumières, au cours d'un rêve. Il s'était même longuement épanché, en moult envolées lyriques. Ç'avait été un peu long, mais au moins le rêve avait été confortable.
Le jeune explorateur fut un peu déçu que l'île ne contienne rien qui demandât à être exploré. Bah ! Il en parlerait tout de même à son ami Jangali. Savait-on jamais : les Graärh devaient bien connaître cet endroit qui était leur terre d'origine, et s'il n'y avait personne à déloger à cet endroit, peut-être y avait-il quelque raison que le peuple aux multiples oreilles tenait encore secrète.
Luna le sortit de ses rêveries par une question qui le prit totalement au dépourvu. L-le connaître ? Ses yeux se firent billes, alors qu'il cherchait sur l'expression de la princesse quelque raison à sa question. Pourquoi s'intéresser à lui ? Il n'avait rien de spécial, n'était pas maître, pas proche de la royauté, n'avait été l'auteur de nul exploit, n'avait pas même affronté les plus grands dangers de ce monde.
Mais comment refuser quoi que ce soit à une bouille aussi innocente ? Comment ne pas lui conter ?
Décontenancé, Valmys chercha par où commencer, bafouilla un peu, avant de prendre une longue inspiration, et se décider à commencer par le début.
Le grand enfant qu'il était devenu conta le peu qu'il savait de ses parents : deux elfes, aux teints de Lune et de Nuit. Sa mère était un coeur blessé par des Humains à la curiosité trop brutale, une chair et une magie tourmentées par leurs expériences. Elle avait vu naître de ses entrailles un petit être aux oreilles rondes, aux traits disgrâcieux d'un humain. Ses plaies rouvertes, elle avait confié l'enfant au dernier humain qu'elle pouvait encore aborder, celui qui l'avait aidée après sa longue torture : un Enwr, du nom de Deocyne. Cet Enwr avait emmené le petit aux huits pointes de la boussole, sur l'ancien continent. Ils avaient voulu tout voir, tout explorer, tout effleurer. Ils avaient découvert des sanctuaires anciens, des manuscrits perdus. Ils avaient amoncelé les histoires, les avait transportées avec eux. Ils avaient soigné ceux qui en avaient besoin. Valmys avait grandi ainsi, l'Ordre Baptistral non pas comme éducation, mais comme façon évidente d'observer le monde. Il rappela cet épisode qu'il avait déjà énoncé : le poison du tyran blanc, les années passées au lit, à écouter le Chanteciel lui narrer le monde. Il avait fantasmé autant qu'il avait craint la fin de cette convalescence, sachant ce qu'elle indiquait. On lui avait également parlé d'un membre de sa famille, Ilyanth Neolenn, qu'il espérait pouvoir rencontrer.
Hélas, il n'en avait eu le temps. De façon plus concise, il raconta son arrivée en Tiamaranta. Son bateau s'était échoué sur Nyn-Tiamat. Il avait alors perdu les traces des autres membres de la flotte, y compris de son maître. Pendant quelques temps, il était resté sur l'île de glace, aidant son groupe à survivre, découvrant cette nouvelle maison par sa rudesse. Sitôt que la nouvelle quant au nouvel emplacement de l'Ordre baptistral lui était parvenue, il avait cherché à rejoindre les siens. Avec une grimace de douleur, il précisa juste avoir vu son voyage troublé par des pirates, avant d'enfin atteindre Néthéril. C'était sur les traces de la disparition de son maître qu'il avait rejoint Keet-Tiamat, et rencontré Aldaron. Depuis, il allait d'île en île, découvrant un peu plus à chaque fois, comme ce temple au sein de Keet-Tiamat, et...
"- ...Où sommes-nous ?"
Il avait parlé, parlé, mais n'avait pas regardé où ils allaient. Naïvement, il espérait que Luna ne le suivait pas, et qu'elle savait où ils étaient, car lui n'avait pas fait attention.