Le rêve d'émeraude (PV Firindal)

Début Janvier 1763

La reine des nuées survolait cette île en forme de croissant lunaire que les humains nommaient Calastin. C’était dans cette étrange contrée au sol étonnamment ingrat et dont la surface sonnait creux que les Hommes avaient trouvé refuge et construit leurs Cités.

Keetech ne possédait qu’une connaissance imparfaite de ce peuple, du moins si on pouvait encore l’appeler ainsi, car elle avait appris que ce groupe de bipèdes s’était divisé suite à une guerre fratricide. Conformément aux récits contés par les dragons ancestraux, suffisamment âgés pour avoir côtoyé les bipèdes sur le continent perdu d’Ambarhùna ; ces créatures perpétuaient de génération en génération leurs guerres incessantes, emportant leurs confits jusqu’aux terres vierges de ce nouvel archipel. Décidément, ils n’apprendraient jamais de leurs erreurs et c’était sans doute folie et déraison que de nourrir le moindre espoir en eux.

La Saurienne se remémora l’atmosphère d’extrême tension qui régnait près du gouffre béant laissé par une ville engloutie suite à un cataclysme et sa rencontre avec le dragon nacré nommé Kaalys.

Cette dernière eut une pensée pour le jeune écailleux, si avide de connaissance, et désireux de retrouver sa sœur disparue Aiasil. L’avait-il retrouvé depuis lors ? La fille des tempêtes songea qu’elle aimerait beaucoup le revoir et l’interroger à ce sujet.

Mettant fin à son vol, elle se posa aux abords de cette vaste étendue aquatique que les bipèdes appelaient le lac d’émeraude et mira un long moment ses eaux turquoises sur lesquels le soleil faisait naître des reflets moirés. La brume entourait l’endroit lui conférant une atmosphère évanescente et le souffle du vent caressaient les herbes hautes, semblables à des vagues d’émeraude.

Vu de loin, la Saurienne devait ressembler à une montagne étincelante en raison de ses écailles brillantes et des cristaux de quartz bleutés qui décoraient son crâne et ses épaules.  

Quartzécaille avait acquis une certaine renommée sur les îles de l’archipel grâce à son pouvoir d’invoquer les tempêtes et sa stature pour le moins imposante, même si elle n'égalait pas son colérique époux en grandeur. Et sans doute, à l’instar de Verith, faisait-elle naître la crainte dans le cœur de la plupart des bipèdes à sa seule vue.

Toutefois, celle-ci ne se préoccupait guère de l’opinion des bipèdes à son égard, conservant une certaine neutralité vis-à-vis d’eux ainsi que de leurs us et coutumes qui demeuraient parfois des plus insolites pour un esprit Draconique. Malgré tout, Keetech éprouvait de la curiosité envers leurs civilisations et était désireuse d’en apprendre davantage à leur sujet. Après tout, ne disait-on pas qu’il fallait en connaitre le plus possible sur ses ennemis et que celui qui se connaissait lui-même ainsi que ses adversaires pouvaient remporter la plupart des batailles ?

S’approchant des flots, la reine des nuées y plongea son museau afin de s’abreuver et en relevant sa tête, elle put sentir grâce à son esprit Draconique l’approche d’un autre dragon. Ce n’était pas Kaalys ni aucun autre dragon qu’elle connaissait.
Ses prunelles céladon, semblables à deux immenses miroirs, se rivèrent sur le nouvel arrivant, un écailleux d’environ trois ans, à en juger par sa taille, et dont les écailles avaient la couleur du Jade.

- Bonjour jeune dragon. Comment te nommes-tu ? Mon nom est Keetech et les habitants de cet archipel me surnomment la dragonne de l’orage ou de Quartz, dit-elle d’un ton courtois en guise de présentation.

L'archipel de Tiamat. Un immense terrain de jeu si il en est. Il y a tellement de chose à voir ici que chaque jour est, pour le jeune dragon de Jade, un jour de découverte et de nouveauté. Les terres d'Ambarhùna lui manquaient certes, mais il ne se laissait pas aller à la nostalgie et profitait de chaque découverte qu'il pouvait faire. Il avait déjà croisé de nombreuses personnes, humain comme elfe ou même vampire. Certains était même des Sainnûr, cette toute nouvelle peuplade qui émergeait de chez les elfes et les vampires. Un espoir nouveau pour ces deux peuples? Il n'en savait rien. Alors il se contentait d'observer le déroulement des choses autour de lui. Il n'était pas là pour juger. Et il ne le souhaitait aucunement. Car qui commençait à juger les gens prenait également le risque de devoir les affronter et de devenir ce que les humains et les autres peuples appellent un ennemi. Ce qu'il ne souhaitait pas. Il avait bien mieux à faire que de vouloir chercher querelle à d'autres personnes pour quelque raison que ce soit.
Et puis,  il avait beau avoir une espérance de vie particulièrement longue devant lui, il ne voulait pas gâcher la moindre journée en futilité. Les Chimères avait déjà manqué de le priver de sa liberté à deux reprises, il ne souhaitait aucunement se limiter lui-même.

C'est donc pour cela que chaque jour, il parcourait un recoin de l'archipel et aujourd'hui, il avait choisi de s'aventurer vers le couchant de l'archipel et plus particulièrement la région autour de ce que les bipèdes appellent communément le Lac d’Émeraude. L'Intrépide savourait le frottement de l'air sur ses écailles et contre ses ailes. Il aimait cette liberté si particulière qu'il ne s'en privait pas un seul instant. Dès qu'il le pouvait, il prenait son envol pour rejoindre les cieux. Qu'il pleuve, qu'il vente ou qu'il neige, rien ni personne ne le priverait de ce doux plaisir de pouvoir évoluer dans les airs comme bon lui semblait.

Cependant, alors qu'il volait, un détail attira son attention, le tirant de son amusement et le ramenant à l'instant présent. Des reflets cristallins attiraient en effet son attention, en bordure de l'étendue d'eau douce. Haussant un sourcil, il essaya de voir un peu mieux ce qui pouvait se tenir là. Il eu d'abord l'impression de voir une montagne. Or, de ce qu'il avait entendu, cette île n'avait que très peu de montagne, pour ne pas dire aucune. Et justement, aucune ne devait se trouver en bordure de ce lac. Cela devait...
Diantre, voilà que le massif se met à bouger. C'est subtil, mais quelque chose se tourne vers Firindal. Il le ressent au tréfonds de lui. Il se concentre sur tous ses sens et sur son esprit. Finalement la réponse se présente d'elle-même. Un dragon. Et pas n'importe quel dragon. Un dragon sauvage, non lié. Il n'y en avait pas beaucoup sur ces terres et sous ces cieux. Trois tout au plus. Et chacun d'entre eux avait un nom connu de tous. Ce dragon ci n'était pas de la couleur de la flamme. Il ne pouvait donc s'agir de l'Ire. Loin de là. Pourtant, la taille de ce dragon avait de quoi imposer le silence et le respect. Oui. Keetech. La dragonne des Nuées. La compagne du Dragon de la Colère. La Dragonne de l'Orage. Des noms qui résonnaient dans l'esprit du jeune dragon qui ravala immédiatement sa fierté. Il était en présence d'une aînée. Se présenter était la moindre des choses.
Immédiatement, il infléchit sa trajectoire, se laissant planer avec une douceur et un silence profond, étendant ses ailes pour augmenter sa portance et ralentir au maximum. Ainsi, arrivée à quelque distance de l'Aînée, il put se poser sans risquer de lui rentrer dedans par inadvertance.
Sans laisser le temps au plus jeune de se présenter et de présenter ses respects, la Mère des Tempêtes se présenta, après avoir demandé son nom au jeune arrivant.

-Honorée Keetech, mon père et ma mère m’ont appelé Firindal, fils de Moebius et d’Ashy. Également lié à la Princesse Orfraie Ataliel. Firindal avait entendu les rumeurs comme quoi les dragons libres n’aimaient guère le Lien. Il ne comprenait pas pourquoi, mais il ne leur jetait pas la pierre. Loin de là Il savait également qu’avouer être lié n’était pas forcément la meilleure des idées, en fonction de l’humeur du dragon en face. Mais il refusait de mentir à une dragonne à qui il doit le respect. Même par omission. Il préférait être franc et qu’elle sache que même avec le lien, le jeune dragon ne proférait que la vérité ou se tairait. Est-ce que cela paierait ? Il n’en savait rien, mais il croisait mentalement les griffes pour que oui.
En se présentant, Firindal avait suivi les méthodes draconniques pour marquer son respect à son aînée et avait veillé à rester à sa place. La suite irait donc au rythme que la dragonne choisirait. Il ne tremblait pas, mais il devait reconnaître qu’il ne s’attendait pas à pareille rencontre en pareil lieu.

Le jeune dragon aux écailles couleur de jade s’était adressé à elle d’un ton empreint de politesse, comme il se devait face à son ainée et la Saurienne jugea cette aménité appréciable, surtout venant d’un dragon lié. Contrairement aux dragons sauvages, nés libres, Firindal n’avait pas reçu une éducation draconique et son esprit s’était sans doute domestiqué suite au contact prolongé avec les bipèdes.

Dès son arrivée, l’écailleux couleur d’émeraude avait pris soin d’informer son interlocutrice de son lien avec une princesse nommée Orfraie Ataliel, probablement pour mettre en exergue l’importance que cette union revêtait à ses yeux. Et bien que peu au fait de la politique Bipédique, Keetech se rappela avoir déjà entendu ce nom; toutefois, l'écailleuse ne possédait que des informations fragmentaires à propos de l’Ataliel, hormis qu’il s’agissait d’une princesse et surtout d’une dragonnière respectée.

Depuis son arrivée sur Ambarhùna, Verith n’avait cessé de mettre en garde sa compagne contre les méfaits du Lien, lui recommandant de se méfier des deux-pattes, capables à ses yeux des pires perfidies et, bien entendu, ce dernier abhorrait les dragonniers, jugés coupables de l’asservissement des dragons.

Et pour couronner le tout, l’Ecarlate considérait les dragons liés comme des imbéciles qui s’étaient fait duper ou des victimes de la manipulation Bipédique. Keetech, quant à elle, se montrait plus nuancée dans ses jugements et préférait se faire ses propres opinions sur un sujet plutôt que de se fier uniquement à l’avis d’autrui, fusse-il son bien-aimé.

En dépit de son statut de dragon lié, Firindal semblait heureux et en bonne santé car ses écailles d’un vert éclatant luisaient sous la caresse des rayons du soleil comme autant de pierres précieuses. Etant donné sa courtoisie et sa présence qui paraissait être de bon aloi, pourquoi ne pas en profiter pour discuter et se forger une opinion sur le lien en entendant le témoignage de l’un des intéressés ?

Né d’un œuf destiné à se lier et ayant grandi aux côtés de sa liée, le dragon de jade devait posséder une vision des choses profondément dissemblable de la sienne et de celle des dragons sauvages en général ; néanmoins, c’était ce point qui pouvait donner à leurs échanges une teneur des plus enrichissantes.

Quartzécaille était prêt à l’écouter sans émettre de jugements et à s’intéresser à son opinion, aussi atypique et farfelue, puisse-t-elle apparaître de prime abord. Bien que n’adhérant nullement au principe du Lien, elle se montrait moins radicale dans sa conception que Verith qui désirait l’abolir purement et simplement.

- Je suis également honorée de faire ta connaissance Firindal, fils de Moebius et d’Ashy. Bien que je ne connaisse pas tes géniteurs, ils t’ont bien nommé et ton regard semble plein de sagesse malgré ton jeune âge. Si tu le veux, nous pouvons profiter de cette rencontre pour discuter et échanger sur divers sujets. Je suis une dragonne sauvage, originaire d’un continent lointain, situé par-delà les océans et peuplé de nos congénères et je ne possède que des informations lapidaires à propos du Lien, du moins je n’ai jamais entendu un lié me donner son opinion sur la question.

Keetech s’était déjà entretenu sur le Lien avec Kaalys, le dragon nacré, mais au moment de leur rencontre, ce dernier avait retrouvé sa liberté et lui-même se posait d'innombrables questions sur cette mystérieuse magie capable de fusionner l’âme d’un bipède et d’un dragon.

Le respect. L'une des bases des relations entre dragons de générations différentes. Sans cela, un Ancestral pourrait tuer un jeune dragon comme Firindal d'un simple claquement de queue. Ce que le jeune saurien de Jade préférait éviter autant que faire se peut. Alors, il prenait le partie d'honorer les dragons plus ancien très à cœur, qu'ils soient lié ou libre.

Visiblement, l'attitude qu'il eut à l'égard de Keetech semblait avoir convenu à la situation et aux attentes de la Dragonne de l'Orage qui l'accueillit avec un certains respect en retour, reconnaissant également ne pas connaître les parents du jeune dragon, avant d'annoncer qu'elle était disposer à échanger avec son puis-né de choses diverses et variées, et notamment du Lien. D'après ses dires, aucun dragon lié de s'était encore ouvert à ce sujet. Soit elle n'en avait pas encore rencontré, soit, lorsqu'elle en eu rencontré un, le sujet ne s'était pas présenté dans la discussion. Mais cela n'avait pas à être débattu pour le moment. L'Aînée lui offrait l'opportunité d'apprendre d'une dragonne libre, il ne fallait donc pas laisser l'occasion lui échapper.

"Cette sagesse que vous évoquez est le fruit de mon histoire et de l'éducation que j'ai reçu de deux sources différentes, mais également profondément enrichissante, l'une comme l'autre. La première, que je partage avec l'ensemble de notre race, n'est autre que notre mémoire ancestrale qui m'a montré les choses à plusieurs reprises, m'apprenant ce que tout dragon se doit de savoir. Que nous sommes des êtres exceptionnels et notre tâche en ce monde est de tamiser la Trame afin d'en affiner les énergies pour permettre la création de merveille. Nous sommes à la fois le coeur et l'instrument de ce monde. Sans nous, le monde se meurt. Pourtant, il n'est pas notre jouet ou notre outil. Nous n'en somme que les garants. Firindal s'allongea le long de l'étendue d'eau et vint boire une gorgée avant de reprendre. La deuxième sources de mon éducation est ma Liée qui m'a permit de voir le monde sous divers vue et de chercher à comprendre d'avantage encore ce qui m'entoure.
Dans tout cela, mon seul regret est de ne pas avoir pu connaître mes propres parents, bien que je sache qui ils sont. Mon oeuf leur a été subtilisé alors qu'il était dans leur nid. Lorsque j'ai pris conscience des choses, je me trouvais dans les bras de ma chère Orfraie.
Pour ce qui est du Lien, je serais enchanté de pouvoir répondre à vos questions, à la hauteur de ce que j'en sais et de ce que j'en comprend. Toutefois, j'aurais également une petite question. Pourquoi, alors que les dragons non liés possèdent une telle puissance et un tel niveau d'intelligence, pourquoi vous vous appelez vous même des dragons sauvages? D'après les connotations des langages que je comprend, cela représente quelque chose de négatif. Comme une dégénérescence d'un état vers une version amoindrie ou primaire.

La question prenait sa source dans cette ambiguïté du terme sauvage. Car, après tout, les peuples désignent effectivement les autres races comme des sauvages, comme quelque chose de négatif. Cela titillait la curiosité du Jade qui portait désormais sont regard curieux vers cela de Keetech, tandis qu'il attendait la réponse de la dragonne, ainsi que ses questions. Il lui répondrait alors de manière aussi franche que possible.