Au large du port

L'heure du repas de midi.... Cynoë, allongé sur une plage non loin du port, sentait fortement l'engouement des bipèdes à vouloir remplir leur estomac. Outre de sentir les odeurs alléchantes des repas qu'on préparait un peu partout, le dragon violine sentait bon nombre de pensées, qui exprimaient la faim, l'envie de s'exploser la panse et bien d'autres émotions qui étaient synonymes du besoin de se nourrir. Rapidement, il rétracta son esprit pour ne plus avoir à capter des éléments ''parasites''. Puis , il s'étira, ouvrant ses mâchoires dangereusement équipées de crocs, pour lâcher un bâillement silencieux. Cela fait, il se redressa et contempla l'horizon lointain, qui se perdait dans le bleu saphir de la mer.

Son attention se portait sur une vieille coque d'un vieux brick, pourri du pont à la quille et dépourvu de mâts, qui flottait on se demandait par quel miracle. Et d'ailleurs, pourquoi le dragon regardait cette coque de noix bonne à démolir comme cela ? Et bien, tout simplement que le dragon avait besoin de se faire un peu les griffes sur une coque en bois. Car depuis sa rencontre avec un certain pirate, en la compagnie de son lié, le saurien améthyste estimait qu'il avait besoin d'apprendre à mieux se battre sous l'eau, contre un navire. Alors, que de mieux pour commencer sur une future carcasse boisée ? D'accord, en peu de temps, il achèvera le malheureux navire, qui avait connu son heure de gloire lors de la Traversée. Mais voilà, il allait servir pour une autre, belle et dernière cause, à savoir, apporter quelques menues connaissances à un saurien en mal d'apprendre toujours un peu plus pour mieux savoir se battre.

Etirant une dernière fois ses ailes, le reptile ailé serpentin rejoignit l'eau et se laissa glisser sous les flots, pour préparer son assaut sous-marin.

L'eau était froide, assez froide même et ce, en raison de la saison. Mais le dragon en avait cure. Ses écailles qui le couvraient de la pointe du museau jusqu'au bout de sa queue crocodilienne le protégeaient assez de l'eau glaciale. Il n'était pas comme les bipèdes humains qui tombaient rapidement malade dès que le froid était impossible à gérer pour leur corps. En même temps, pour se protéger de l'air frais, ils devaient se vêtir, alors pour se protéger de l'eau, hormis la magie ou alors certains genres d'artefacts pour les protéger, la nature ne les avait pas généreusement dotés de protection naturelle. Mais passons outre les immenses différences qui creusaient un fossé à la profondeur infinie entre les deux espèces. Le dragon n'était pas à ce genre d'études aujourd'hui.

Aujourd'hui, il voulait parfaire ses acquis de combat... sous l'eau. En somme, il envisageait plus d'étendre ce qu'il avait effleuré que de les perfectionner. D'où la présence d'un brick qui avait bien vécu. Et puis de toute façon, on ne pouvait pas dire non à un dragon. Au mieux, ce navire aurait fini en tas de bois pour une cuisine quelconque. Autant qu'il connaissant la fin de sa vie en coulant honorablement dans la mer. Et donc, aujourd'hui, le dragon violine allait voir comment mieux attaquer une coque sous l'eau.

Un brick n'était pas d'une taille considérable en comparaison de celle du dragon. Mais il ne fallait pas précipiter les choses. Cynoë, sous l'eau, ondulait comme un prédateur des profondeurs, guettant la surface. Les repères sous-marins n'étaient pas les mêmes, tout comme la perception visuelle. Et comme l'eau du port n'était pas franchement clair. Prenant son temps, le saurien nageur trouva l'ombre du navire à la surface, nageant un peu sur le côté. Puis, d'un mouvement d'ailes, brassant l'eau en arrière, il remonta vers la coque, l'étudiant. Il remarqua alors ce qu'on appelait la quille et à voir comment elle était disposée sur la coque, le dragon comprenait encore mieux son importance : elle était la colonne vertébrale du navire. Puis, doucement, il la toucha du bout du nez, avant d'y planter les dents. Ce ne fut guère idéal en voyant qu'il n'aurait guère de prise s'il essayait avec les crocs. Autant se réserver pour le gouvernail pour un coup de dents.

Il se laissa un peu couler et décida d'user d'une autre arme, ses griffes. Là, il trouva aisément plus de prise et s'amusa même à tirer et pousser la quille, maintenant qu'il la tenait, ses griffes plantés dans le bois de cette quille... Bon, à moins de dispenser de beaucoup d'énergie pour faire chavirer la coque, ce serait là une bonne solution pour prendre à partie des navires de taille petite. Pour une frégate, Cynoë comprenait qu'il devrait user d'une autre méthode. Labourer sur les côtés de la quille pour provoquer des voies d'eau était une bonne idée, quoiqu'un peu laborieuse. Il décida aller de tester le coup de queue.

Il pivota et s'arc-bouta violemment, frappant la coque du vieux brick. Le flanc lâcha un gémissement après plusieurs craquement violents. Le dragon avait réussi à éventrer quelques planches. Un peu dubitatif, le dragon regardait le résultat. Là aussi, cela serait utile contre des coques de cette taille, mais pour des vaisseaux de plus grande taille, il lui faudra trouver une autre astuce. Car sous l'eau, il pouvait être à l'abri, mais sa taille était telle qu'il serait une belle cible pour les équipages. Il faudrait voir comment il pourrait rester à l'abri de la coque même.

Doucement, le vieux navire commençait à prendre de la gîte. Cynoë restait là à regarder la coque s'enfoncer doucement dans l'eau, prenant note des sons qu'il pouvait entendre dans l'eau. Manquait plus que le cri des membres d'équipage bipède qui servaient d'ordinaire à bord. Mais il n'allait pas exiger d'avoir des cobayes pour tester cela, au risque de leur faire perdre la vie pour rien. Sauf peut-être s'il exigeait d'y mettre des prisonniers, ou de possibles condamnés à mort. Mais du point du jeune saurien, ce ne serait guère éthique, même si cela viderait les prisons. Agir de la sorte serait guère une bonne image de sa part, vu qu'il n'avait commis ce genre de forfait jusqu'ici. Et puis, il était le lié de l'Empereur, l'image même de Sélénia. En agissant de la sorte, il ne vaudrait alors pas mieux que les êtres infâmes...

Mais passons ce bref instant d'épisode mental. Le saurien se concentra sur la coque qui sombrait doucement. Il refit surface, soufflant une brève et intense brume vaporeuse. Il n'y avait que sa tête qui faisait surface, lui donnant l'allure d'un immense crocodilien violacée couvert de cornes et de crête. Et doucement, le navire à l'agonie sombrait, se couchant un peu plus sur le flanc.

Cynoë nota bien des détails, allant du craquement des cordes ; certaines se rompirent, en passant par les voiles qui prenaient de drôles de formes, et au gémissement grandissant du bois qui composait le navire. Puis la position de la coque.... bien des choses qui s'imprimaient dans l'esprit du jeune dragon, qui en fera une étude une fois au sec. Bien entendu, il trouverait cela plus constructif s'il pouvait faire l'essai sur d'autres coques pourrissantes, pour parfaire ses connaissances maritimes. Mais il ne devait pas encombrer le fond marin avec des épaves ; ce serait dangereux pour les autres et un risque pour les pêcheurs locaux, pour leurs filets ou leurs lignes...

Le navire termina de couler, roulant à moitié, quitte à se retourner, avant de définitivement sombrer. Une fois que tout fut englouti, il ne restait plus quelques morceaux de bois flottant à la surface, quelques cordes en lambeaux et un bout de voile qui s'enfonça doucement sous les écueils, rejoindre son dernier tombeau, comme pour aller recouvrir d'un linceul la coque qui terminait de s'enfoncer vers le fond marin.

Cynoë fut amplement satisfait et nagea pour rejoindre sereinement la côte toute proche.