Demeure d'Ilhan - 8 janvier 1763
Sa maisonnée n’était qu’agitation. Une agitation ordonnée qui n’avait rien de frénétique, mais une agitation quand même. Luna Kohan était en visite diplomatique à Délimar et s'était enquis d'une visite de courtoisie chez son ancien conseiller. Dihya, sa régente de maison, avait alors fait les choses en grand. Quand bien même leurs finances frisaient le zéro absolu, tous avaient voulu que cette visite, placée sous le sceau d’anciennes amitiés, ou du moins de bonnes relations cordiales, puisse rendre honneur à la princesse. Ilhan avait honte de savoir que ses propres employés avaient voulu se cotiser pour payer les frais que cela occasionnait. Mais ils avaient tant insisté… Il avait senti qu’un refus trop catégorique les aurait blessés. Alors il s’était assis sur son orgueil mal placé, une fois encore, et les avait laissé faire. Notant toutefois les frais dépensés, qu’il comptait bien rembourser un jour. Sous une autre forme peut-être. Une augmentation sûrement… si le comptable que lui avait proposé Tryghild redressait la situation et lui permettait de remettre les choses à plat.
C’était donc agitation pour tout préparer. Rien qui ne soit outrancier, rien qui ne soit démesuré. Non la maison Avente restait sobre, noble, digne, et restait l'incarnation du raffinement, telles que le voulaient les mœurs de leur ancienne ville perdue. De délicates senteurs d’encens embaumaient de douces flagrances la maisonnée, sans pour autant devenir oppressantes. Les murs se paraient de quelques décorations florales et de belles soieries althaïennes, que la femme de Shan et Dihya avaient tissé toutes deux, exprès pour l’occasion. Elles comptaient bien en faire cadeau à la princesse et lui confier quelques soieries tissées à l’althaïenne pour la Cour de Sélénia. Dont quelques-unes spécifiquement dédiées à la jeune princesse Victoria, encore restée à Sélénia. Dihya avait préparé quelques mets sucrés dont elle avait le secret, chocolats à la menthe, et, nouveauté, chocolats fourrés à la liqueur spécifique d'Althaïa, caramels légèrement salés, et gâteaux à l’amande en forme de cône ou de demie-lune. Du thé à l’althaïenne, macéré avec des feuilles de menthe tout entières et du sucre en quantité, les attendait. Tout était paré.
Même les membres de sa maisonnée. Même Dimitri, son fidèle garde du corps comme il s’était attitré le titre, avait fait un effort de présentation. Ilhan lui avait toutefois demandé de ne pas trop se montrer. Il ne voulait pas que l’homme effraye la princesse par sa présence. Tous étaient ainsi prêts, nerveux, et piétinaient, attendant l’arrivée tant désirée. Quand enfin les carillons de la porte chantèrent au vent alors qu’on en agitait la petite corde. Tous s’empressèrent de rejoindre le vestibule d’entrée. Ilhan les accompagna. Cette fois-ci, il se devait d’accueillir son invité lui aussi. D’un signe de tête, il enjoignit Dihya à ouvrir la porte.
La jeune femme obtempéra et s’empressa de saluer leur invitée d’une belle révérence.
– Que le soleil illumine votre journée, noble invitée, fit-elle en un salut typique d’Althaïa, la tête baissée.
Elle se redressa, mais ne releva pas les yeux pour autant. Pas tant que la princesse ne lui ordonnait pas, rang obligeait. Tous imitèrent Dihya, sauf Ilhan qui observait la scène avec un doux sourire. Il connaissait assez Luna Kohan pour savoir qu’elle n’était pas formelle sur le protocole, mais ses gens avaient tenu à le suivre.
– Dihya est mon nom et nous sommes en ce jour à votre service.
Ilhan s’avança enfin d’un pas, et offrit à son tour une révérence en guise de salut à la princesse. Même si elle ne fut pas aussi marquée que lorsqu’il était conseiller des Kohan. Une très légère différence, mais qui suffisait pour qui le connaissait à comprendre le message. " Je respecte le protocole, reconnais votre rang, mais ne vous accorde toutefois pas mon allégeance. "
– C’est un honneur que de recevoir votre visite, Princesse Kohan, fit-il enfin de sa voix grave et posée, en un léger sourire. Je vous en prie, notre maisonnée vous est ouverte.
Et dans un geste, il lui indiqua d’entrer tout en se redressant. Réfrénant une grimace lorsque son dos protesta.