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26 Février 1763


Il était bientôt temps.
D'ici quelques heures, Ivanyr arriverait en vue. D'ici quelques heures, ils seraient enfin réunis après de longues semaines de séparation. Son cœur se serra et sa fourrure se gonfla dans le vent froid du plateau alors qu'il réalisait, un sourire frêle accroché aux babines, qu'il avait rarement éprouvé une telle excitation ni un tel manque envers qui que ce soit. Son peuple n'était pas forcément attaché à ce genre de relations, mais à force de côtoyer les bipèdes il s'était pris à tomber de plus en plus sous le charme de certaines de leurs émotions, notamment des besoins filiaux qu'ils s'évertuaient de tisser et de complexifier tout au long de leur brève existence. Avant même qu'il ne puisse le réaliser, lui-même tentait de reconstituer une tribu avec des êtres plus hétéroclites les uns que les autres ! Tout cela uniquement pour avoir le confort d'une "famille". Tout cela uniquement pour avoir la force de braver les dangers qui se profilaient à l’horizon.

Il y avait bien entendu les Couronnes ainsi que les guerres, mais depuis peu ces choses nommées les Chimères s'ajoutaient au tableau. De celles-là, il n'en avait d'abord entendu que des brides ici et là au cours de ses voyages sur les côtes de Paadshaïl. Il avait fini par poser la question au dragon Kaalys qui lui avait donné davantage d'informations, mais les intentions de ces choses lui restaient vagues ou plutôt, hors de sa compréhension. Toutefois, il s'agissait d'un danger qui pesait sur l'Archipel... Un de plus. Toute cette combinaison de menace le poussait à attendre avec encore plus d'impatience l'arrivée de son ami. Non, de son frère de cœur : car Ivanyr lui était bien plus proche que ses géniteurs ou sœurs ne l'avaient jamais été et ne le seraient jamais. N'aurait-il pas été un bipède qu'il aurait volontiers partagé bien plus avec lui... L'immense graärh s'ébroua pour chasser ces pensées parasites et se concentra sur son travail. Au fond de sa grotte, il terminait les dernières installations qui permettraient d'appeler enfin cet endroit sa "maison".

Creusé par le souffle d'un dragon, escaliers sculptés par les griffes de cette même créature, il s'agissait d'une niche profonde et confortable aux meubles de bois de licorok, aux tapis et fourrures en laine de rhinocéros et bougies tirées de la graisse de baleines. L'ouverture était circulaire, semblable à l'orbite bête rocheuse, elle-même jaillissant du sol au centre de l'étroit plateau qui déchirait à son tour le flanc des hautes montagnes du Nyn Daaruth. Situé aux pieds de la Gorge du Monde, ce lieu était celui où Ivanyr et lui s'étaient fais des promesses avant leur départ pour Calastin un an plus tôt. Cet endroit était lourd de sens pour le graärh et il espérait que la découverte de cette grotte aménagée plairait tout autant au vampire. Un puissant feu brûlait dans la cheminée et Purnendu poussa le lourd fauteuil proche de cette dernière afin que son ami puisse immédiatement s'y installé lorsqu'il arriverait. Même si son corps figé dans une mort immortelle ne lui faisait pas ressentir le froid comme les autres races, il le savait friand de confort et souhaitait le lui fournir... surtout après ce qu'il lui réservait comme accueil.

Satisfait de la mise en place, le félin couleur de cendre s'assura que le sang gardé près du feu ne soit pas en train de cuir et que sa température soit idéale, puis attrapa son épaisse cape et se dirigea vers les escaliers en colimaçon qui menaient à l'entrée supérieure de la grotte. Grimpant les marches en quelques foulées nerveuses, il dépassa plusieurs petites alcôves où brûlaient d'autres bougies et brillaient quelques cristaux récupérés dans la Gorge du Monde. A mesure qu'il regagnait la surface, l'air se fit plus mordant jusqu'à venir piquer ses poumons à chacune de ses inspirations. En réponse, il gonfla sa fourrure et rentra le museau dans le col de son épaisse cape pour essayer de protéger son souffle. Sous la vive lumière de l'extérieur, mais surtout la réverbération du soleil sur la neige fraîche, Purnendu plissa des yeux et resta à l'ombre de la dent rocheuse, prenant le temps de s'habituer à la lumière dans une immobilité parfaite. Lorsqu'il fut certain de ne plus risquer un décollement de la rétine, il s'aventura dans le tapis poudreux qui l'enfonça jusqu'aux jarrets.

"- Où es-tu ... ?"

Il fouilla dans les replis de sa cape afin d'attraper, dans l'une des poches intérieures, un petit miroir d'or blanc finement ouvragé. Laissant sa magie s'écouler dans l'objet, il lui suffit de penser à Ivanyr pour voir son reflet disparaître pour laisser naître celui du vampire. De ce qu'il voyait de son environnement immédiat, ce dernier grimpait les derniers mètres du sentier étroit qui menait au plateau. Par instant, il disparaissait dans un sort de déplacement, se facilitant le trajet aux endroits les plus périlleux. Sourire aux babines, Purnendu fut heureux de posséder un tel objet et poussa un roucoulement chaud, affectueux, alors qu'il rangeait le miroir bien en sécurité. D'une puissante détente, il força la croûte gelée pour s'élancer dans une course folle au travers du vaste plateau. Tout en longueur, il avait sa partie Est déjà plongée dans une ombre bleutée alors que l'autre versant était frappé d'un soleil pâle, dégagé de tous nuages. Toutefois, à l'odeur qui flottait dans l'air battu d'un vent aussi vif que piquant, un blizzard se préparait hors de leur vue. Cette nuit, il ne ferait pas bon d'être dehors !

La course du graärh s'effectuait à quatre pattes et il laissait dans son sillage une véritable tranchée alors qu'il bondissait et usait de son large poitrail pour ouvrir une voie dans toute cette neige tombée depuis la veille. Il sentait les sous-couche crisser sous ses coussinets, révélatrices d'un danger d'avalanche, mais il continua sa course en s'efforçant simplement de limiter les échos de ses pas ou de ses râles alors que son souffle formait une buée éphémère à ses babines criblées de gouttelettes gelées. Lorsqu'il s'arrêta dans un magnifique dérapage, il surplombait l'unique accès au plateau et ses yeux scrutèrent avidement la pente raide qui s'ouvrait sur le flanc de la montagne. Les nuages de la vallée léchaient la roche pailletée de givre d'une course paresseuse, jetant des ombres fantasques en contrebas. Ce fut d'ailleurs entre deux passages de ces nappes cotonneuses qu'apparue la haute et mince silhouette de son vampire. Aussitôt Purnendu s’aplatit au sol et ramassa ses pattes sous lui alors que sa croupe commençait à se dandiner de droite et de gauche.

Ses pupilles se dilatèrent au points où seul deux minces cerceaux d'absinthes restèrent visibles dans l'immensité obscure de son regard excité. Son souffle se fit plus profond et régulier, ses oreilles se dressèrent et tiquèrent au moindre crissement de ses bottes dans la neige fraîche, au moindre bruissement de ses vêtements. Ses babines gonflèrent et ses épaules se mirent à rouler dans le processus du bond à venir... Comme douée de sa propre vie, la queue ondoyait sur le sol, balayant la poudreuse en gerbes éphémères. Quand Ivanyr fut à seulement une dizaine de mètre, son popotin se mit à remuer bien plus vite et bientôt un petit caquètement échappa à sa gorge tant l'excitation des retrouvailles le gagnait. Moustaches courbées en avant, il tricota le gel sous ses mains avec ses griffes, tapota le sol sous ses postérieurs... et enfin bondit dans une roucoulade tonitruante !

Le choc fut violent et malgré la force spectaculaire innée à tous les vampires, Ivanyr et Purnendu tombèrent cul par dessus tête dans la pente et roulèrent sur plusieurs mètres avant que l'immense félin ne contorsionne son corps pour mener leur glissade à une fin. Dans le creux de ses bras, il tenait son ami si étroitement serré contre son poitrail que toute autre personne avec un besoin de respirer aurait eut de grosses difficultés à le faire. Légèrement essoufflé par l'impact, le fauve commença aussitôt à ronronner avec force et à appliquer des retrouvailles musclées. Avec des grognements et des expirations sèches, il frotta ses joues ainsi que son museau de part et d'autre du crâne de son vampire afin d'étaler ses phéromones. De ses grandes mains, il lui malaxait le dos, tricotant les nombreuses couches de ses vêtements sans aucune retenue. Son souffle chaud au parfum de réglisse, quant à lui, s'échouait sur le visage d'Ivanyr alors qu'il lui léchait la peau d'amples et de larges coups de langue râpeuse.

"- Tu m'as... manqué..."

Murmura-t-il entre deux ronronnements presque hystériques. Ses yeux étaient toujours deux puits sombres et il avait un large sourire aux babines. Il l'attrapa aux épaules pour l'observer à bout de bras, puis vint l'enfouir à nouveau contre son poitrail et recommença à se frotter les joues contre son crâne et ses tempes avec des soupirs d'aise. Il était heureux de le retrouver, heureux d'avoir son odeur et toutes les sensations familières qu'un corps aussi familier lui apportaient après toutes ces semaines sans le voir, sans l'entendre, sans le câliner. Lorsqu'il le sentit remuer et se tortiller, Purnendu sembla se calmer et se recula pour l'observer une seconde fois, pouffant un peu de rire à le découvrir aussi échevelé et même chiffonné après leur petite partie de luge improvisée.

"- Prrrr... prrrr... prrrr..."

Il avait la gueule entrouverte, donnant plus de force encore à ses ronronnements saccadés. Ne semblant pas encore d'humeur à bouger, il continuait de malaxer le corps du vampire de ses griffes alors que sa queue venait s'enrouler avec possessivité autour de son buste en un boa de fourrure humide par la neige.

"- Comment... Comment te sens-tu ? Tu as faim ? J'ai du sang chaud à la "maison"... Prrrr ... prrr... J'ai une surprise d'ailleurs !"

Enfin, le graärh se leva et souleva son vampire avec lui dans le mouvement. Une fois l'un sur pattes et l'autre sur pieds, il s'ébroua avec enthousiasme et leva la truffe vers la gorge étroite qui menait au plateau.

"- J'espère que tu vas aimer. En tout cas, tu avais raison ; cet endroit recèle de bien des merveilles et surprises !"

descriptionL'essence du coeur est la voie aux sentiments - Achroma EmptyRe: L'essence du coeur est la voie aux sentiments - Achroma

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La bise glacée hurlait, tempêtant autours de lui et fouettant son corps déjà figé par la mort et la malédiction tandis qu'il avançait avec prudence le long du chemin invisible qui le mènerait au sommet du plateau. Par instants, le passage escarpé et abrupt le contraignait à user d'un bond afin de continuer son ascension, par d'autres, il était forcé de s'accrocher à la roche et d'attendre avant de reprendre son avancée. Son manque de souplesse ne rendait sa tâche que plus compliquée mais le vampire n'avait pas l'intention d'abandonner. Parfois, il glissait et inspirait violemment, se bloquant dans sa position avant de tâter très lentement pour retrouver un bon appui et reprendre. En ces instants précaires, il se demandait pourquoi il n'avait pas simplement demandé à Kaalys de le porter jusqu'en haut pour s'épargner tout cela. La réponse venait aisément : parce que cela revêtait un caractère psychologique à ses yeux, un caractère personnel. La première fois qu'il avait vu le sommet, c'était en compagnie de Purnendu. C'était le lieu de leur promesse mutuelle, de leur mémoire commune et de leur réunion. Y accéder autrement que par ses propres forces lui semblait être une insulte à la préciosité de son lien avec le félin. Et à ses propres forces. La dernière fois qu'il avait foulé ce plateau du pied, il était encore un anonyme incapable de se souvenir de son passé mais désormais, il revenait fort d'une connaissance bourgeonnante. Et de nouvelles expériences. Épaules en avant, luttant contre les bourrasques, il arriva enfin vers le sommet et serra les dents, poussant dans un dernier effort, impatient de retrouver son ami et guérisseur.

Bientôt, le haut du plateau commença à apparaître alors qu'il baissait davantage la tête pour résister au souffle du vent des hauteurs. Maintenant que la parois n'était plus là, l'équilibre qu'il avait eut jusque là se modifiait et qu'il s'adaptait après avoir vacillé quelques instants. Nez baissé, concentré sur son avancée, les oreilles emplies par le vent, il ne remarqua pas un instant le prédateur pelucheux qui le guettait dans la neige et lorsqu'il entendit subitement la roucoulade, et vit l'ombre tomber sur lui, le haut mage sursauta avant d'être emporté dans un cri bref et instinctif qu'il fut incapable de retenir. Percuté de plein fouet, il perdit l'équilibre et roula avec la boule de fourrure et de muscles en paniquant un bref instant, ne trouvant rien pour se retenir dans le mouvement imposé. S'effondrant contre la masse compacte du Graarh dans une plainte secouée, Ivanyr pataugea un bref instant entre ses cheveux devant les yeux, sa capuche à moitié remontée, les pans de sa cape et de sa tunique complètement emmêlés et sur lesquels il pesait sans le vouloir et la pente sur laquelle il n'avait strictement plus de prises. Hoquetant, secoué, il batailla pour se dégager les yeux puis essaya d'observer ce qui se passait. Son appui sur la glace rencontra une plaque de verglas et il glissa de nouveau, s'échouant une fois de plus dans la neige avec une injure bien sentie. Attrapé dans une prise féline, il sentit la force du Graarh qui le serrait contre lui et remercia les Déesses de ne pas avoir besoin de respirer. Sa cage thoracique ne le lui aurait pas permit. Privé d'air, il était cependant incapable de parler ou protester contre le traitement qu'on lui infligeait.

Un instant plus tard, alors qu'il tendait vaguement une main vers l'extérieur comme un naufragé, une vibration violente vint faire trembler son support et kidnappeur. Le ronronnement puissant lui coula dans les muscles, le liquéfiant rapidement sans aucune merci et avec une impitoyable efficacité. Le bras retomba et il se laissa frotter, grommelant intérieurement vu qu'il n'avait plus accès à ses conduits respiratoires pour le moment. Il souriait et grimaçait en égale mesure, à la fois ravi de revoir Purnendu et très peu appréciateur de la truffe humide qui se collait contre lui à chaque fois. Vaguement, il essayait de lui tapoter un morceau de peau (il ne savait pas bien quelle partie de son anatomie subissait la demande silencieuse, puisqu'il ne voyait plus rien ou presque) mais rien n'y faisait vraiment. Faisant finalement contre mauvaise fortune bon cœur, le vampire lui céda donc une étreinte sincère… jusqu'à sentir le premier coup de langue. Les protestations reprirent avec plus de véhémence alors qu'il subissait une toilette en bonne et due forme. Ah non alors pas la bave ! Il avait toujours des mèches qui collaient et restaient dressées en l'air après coup. Il ne voulait pas subir ça ici, en plus le gel ne ferait que tenir davantage ses cheveux dans des formes rocambolesques ! Redoublant de coups sur parties non identifiées de l'anatomie, le haut mage parvint enfin à émettre un son de protestation, qui ressemblait à un gargouillement bref et paniqué. Il aurait bien aimé produire autre chose, si possible de brillant et charismatique, mais avec ses moyens présents limités, il lui fallait faire avec. Lui aussi était très content de le voir mais il aurait été encore plus enthousiaste sans la bave.

Enfin relâché, il prit une grande inspiration et lui fit un sourire. S'apprêtant à parler, il fut de nouveau happé et gronda en le serrant cette fois-ci dans ses bras en retour. Soupirant contre sa fourrure, il prit un moment pour fermer les yeux, cette fois et se laissa emporter par le rythme de son cœur et sa chaleur. Il était bon de le retrouver. Non seulement pour ses valeurs naturelles, car Purnendu était un être aux nombreuses qualités, mais aussi parce qu'il représentait un pan insouciant de sa vie qu'il incarnait avec force et qu'il retiendrait tant qu'il serait là. Enfouit contre lui, seul le rappel de leur situation précaire en bord de plateau le ramena à la raison et il s'agita, reculant légèrement pour retrouver un espace bien à lui. Il pu enfin prendre conscience de son image, retrouver les couleurs, formes, familières et rassurantes et son sourire se fit plus franc. Son coeur se serra d'émotion, alors qu'il lui donnait une nouvelle accolade affectueuse. Un rire s'arracha à lui en sentant la queue s'enrouler sur sa taille et il la pressa avec chaleur. Son regard s'éclaira d'autant alors qu'il trouvait là la première lueur de sa vie, avant que le destin ne le porte sur les ailes de l'Inséparable. Se laissant soulever, il fit attention cette fois de ne pas marcher sur ses vêtements et chassa un peu de la neige qui s'entassait sur lui, grimaçant quand une partie s'infiltra dans son col. Sourire tendre et joueur aux lèvres, il prit enfin la parole (et savoura sa capacité à le faire comme rarement auparavant).

« En aurais-tu découvert d'autres que celles que je t'avais narré ? Des inédites ? Ou bien as-tu expérimenté mes récits de première main ? »

Il passa une main dans ses cheveux, écartant les doigts pour essayer de peigner les boucles rebelles sans réellement y parvenir. Il se tira les cheveux, essaya de lisser, de plaquer, de gratter, pour se retrouver avec des antennes qui ne lui seyait absolument pas. Avec un soupire, il haussa les épaules et préféra se concentrer sur son ami, se rapprochant pour se couper du vent grâce à sa haute et puissante silhouette.

« Montres-moi ! Si c'est coupé du vent, je serais de toute façon satisfait, j'en ai ma claque de me faire gifler en permanence et manquer me transformer en chauve-souris difforme au premier souffle. Cette montée n'est déjà pas aisé mais avec ces bourrasques c'est un véritable calvaire ! »

Jetant un regard vers le vide béant à proximité, il se fit un instant grave, puis s'adoucit. Le retrouver était une des meilleures nouvelles de ces dernières semaines. Le laisser partir vers ses propres affaires lui avait coûté. Jusqu'à présent, il ne s'était pas sentit aussi jaloux que les rumeurs sur les vampires le disaient, mais il avait réellement ressentit une certaine amertume à partir de son côté, même pour revoir Paadshail.

« Je suis heureux de te retrouver…. Aller, ne traînons pas ici ! Je vais finir par faire corps avec la glace du plateau à force ! Et racontes-moi ! Comment était ton voyage ? Qu'est-ce qui s'est passé ? Je veux tout savoir ! »

descriptionL'essence du coeur est la voie aux sentiments - Achroma EmptyRe: L'essence du coeur est la voie aux sentiments - Achroma

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Il le couvait du regard, incapable de s’arracher à l’observation minutieuse de cette silhouette qu’il connaissait pourtant sur le bout de ses griffes. Combien de fois l’avait-il contemplé durant leur année d’isolement, plus bas sur les flancs de la chaîne de montagne ? Combien de nuit à l’observer dans ses méditations, gorgeant son regard de ses traits uniques qu’il n’arrivait pas à trouver laid comme la plupart des autres sans-poils. Combien de fois avait-il laissé ses coussinets dessiner chaque muscle et chaque courbe alors qu’il couchait sur papiers sa silhouette pour en faire une étude complète ? Il en avait perdu le compte. Un soupir échappa à ses babines alors qu’il s’arrachait finalement de sa contemplation pour scruter leurs alentours immédiats, ne pouvant totalement ignorer les dangers inhérents à Paadshaïl. Si ce n’était pas une avalanche qui menaçait alors c’était un prédateur ; même si ce plateau en semblait totalement dépourvu grâce à la présence de Kaalys quelques centaines de mètres plus haut, dans la Gorge du Monde.

« - Allons-y dans ce cas… Je détesterai avoir à descendre tout en bas pour te récupérer ou te voir devenir une congère… mais les récits attendront que nous soyons au chaud, mon ami. L’air se fait rare à cette altitude pour ceux qui en ont besoin. »

Taquin, il lui passa un bras autour des épaules afin de le garder au plus près de lui, mais surtout s’assurer que sa haute et massive silhouette continue de lui servir de coupe-vent. Ils marchèrent plusieurs minutes, balayés d’un côté puis de l’autre par les rafales puissantes. Bientôt, Ivanyr pu contempler le plateau tel qu’il l’avait quitté bien des mois auparavant… à la seule différence qu’un des pics rocheux, semblable à une dent courbée, avait été déblayé de la majorité de sa neige et qu’une lampe à huile de baleine crépitait d’une flamme éternelle, bien que vacillante. Purnendu les dirigea vers cette source de lumière sans une once d’hésitation et poussa doucement le vampire à s’abriter dans cette première grotte à l’aide d’une grande main dans le creux de son dos. Il s’agissait d’une vaste entrée au sol plat et aux murs lissés par le souffle ardent de Kaalys. Il y avait un coffre dans un creux et quelques étagères sculptées à même la pierre et qui contenaient des jarres et des paquets de provisions si jamais quelqu’un se perdait ici et chercherait un refuge.

S’écartant de quelques pas, le graärh vint s’accroupir et s’ébroua énergiquement pour chasser le maximum de neige de sa tenue ainsi que de son épaisse fourrure. Doublant de volume l’espace de quelques secondes, il utilisa ses griffes comme peigne improvisé pour essayer de dompter sa fourrure humide et coula un regard amusé en direction du vampire dont la chevelure ne valait guère mieux. Conscient que c’était en grande partie par sa faute, il n’en gloussa pas moins d’un air goguenard avant qu’il ne se relève et n’approche de l’arche habilement dissimulée autant du vent que du premier regard. Silencieux, il attendit qu’Ivanyr en ait terminé avec ses propres affaires gorgées de neige et de givre, puis le laissa descendre en premier les marches de cet escalier en colimaçon. Une main posée sur la paroi intérieure, il gardait l’autre prête pour retenir son ami s’il venait à glisser, mais aucun incident ne survint et ils se retrouvèrent bientôt tout les deux sur le second palier.

« - Qu’en penses-tu ? »

Il se pencha pour saisir son expression à la découverte de cette grotte probablement inattendue dans une région aussi inhospitalière, mais qu’il avait réussi à construire pour lui, pour eux deux, comme ils se l’étaient promis et aussi pour leurs nouvelles « famille ». Sourire aux babines, Purnendu le dépassa afin d’aller étendre près du feu leurs affaires mouillées, puis désigna le siège ainsi que le sang gardé tiède. Pour sa part, le grand fauve se fit chauffer de l’eau et jeta quelques feuilles, baies et fleurs séchées pour une petite infusion acidulée qu’il agrémenterait d’un peu de sucre plus tard. Lorsqu’ils furent enfin tout deux posés, lui sur l’épais tapis avec un coussin comme dossier, ce fut enfin l’heure des histoires.

« - Par où commencer ? Hmmm... Je ne suis jamais arrivé au Domaine Baptistral comme il en avait été convenu lors de notre séparation. A mesure que je m’approchais de Néthéril, la voix que j’avais toujours entendu et considéré comme une manifestation de ma conscience s’est renforcée au point d’obstruer mon environnement et mon propre raisonnement. Lorsque j’ai repris le contrôle de mon corps et de mon esprit, j’avais déjà commis un crime atroce... »

Il marqua une pause, puis commença le long récit de ses aventures dans le bayou de Néthéril. Il parla du réveil de Rog et avoua dans un murmure coupable qu’il en était le responsable et qu’en sus de tout ça ; ils possédaient un lointain lien de parenté. C’était pour cette raison qu’il avait été si sensible au sort habilement tissé par la Couronne au fil des siècles dans l’unique but de transformer l’un de ses héritiers en un pantin pour ses plans et désirs odieux. Il enchaîna dans un même souffle avec le féroce combat qui avait suivis, la présence des sans-poils probablement venus piller ce lieu sacré, l’étrange apparition du Portail de Pierres, puis celle du karapt et de la lance chitineuse. Il raconta comment le combat s’était déroulé, combien un petit bipède difforme avait su invoqué une chose de magie gargantuesque. Combien Rog, malgré un bras et une part entière de son corps arraché avait été capable de survivre à l’avalanche vomie par le Cercle qui se révéla être un portail directement lié à Nyn-Tiamat. Et comment lui, dans un sursaut de curiosité et de désillusion naïve, avait à son tour plongé dans cette porte magique afin de poursuivre son ancêtre…

Un silence pesant succéda à cette première partie de son récit et il poussa un long et lourd soupir. C’était la troisième fois qu’il racontait ses péripéties et pas une fois il ne s’en sentait moins stupide après coup. Il se redressa pour venir tirer hors du feu son infusion, observa sa couleur et huma son parfum avant de s’estimer satisfait. Prenant un bol de bois finement ouvragé, il se servit une bonne portion et retourna s’avachir contre son coussin avec un vague grognement d’aise.

« - Je ne suis pas très fier de ce que j’ai fais… mais je ne pouvais pas ne pas essayer de rectifier mon erreur. Je l’ai donc poursuivit dans les tunnels de Vers des Glaces, je l’ai traqué jusque dans une succession de grottes effondrées où reposait un autre corps graärh, gelé et brisé… J’ai tenté de lui parler, de l’appeler à de meilleurs sentiments. Je lui ai expliqué que le monde avait changé, que notre peuple n’était plus celui d’antan et qu’il lui était possible de recommencer à neuf, loin de ses colères et de ses plans de vengeance. »

Il fit une grimace, n’ayant pas réellement besoin de continuer pour expliquer combien l’échec fut cuisant et ses idéaux utopiques balayés. Après quelques lampées de son infusion, Purnendu conta à son ami le réveil de la Seconde Couronne et ce qu’il se déroula ensuite. Il avait non seulement frôlé la mort, mais il devait ironiquement sa vie à Rog lui-même cette fois ! De quoi jeter une ombre de troubles dans les certitudes du jeune herboriste. La coupure avec ses esprits était encore une expérience traumatisante pour lui et il se retrouva à mâchouiller l’extrémité de sa queue d’un air soucieux alors qu’il émettait sans le réaliser un profond ronronnement dans l’instinct de se rassurer. Lorsqu’il arriva au moment de son histoire où il mourrait littéralement de froid sur une pente rocheuse de la chaîne de montagne, à quelques kilomètres de cette même grotte où ils conversaient, Purnendu lâcha crânement :

« - C’est à ce moment qu’un dragon m’a recueillit et soigné dans son antre. »

Il coula un regard vers Ivanyr, guettant sa réaction suite à cette révélation et se gratta le dessous du museau, songeur. Peut-être était-ce un bon point dans l’histoire pour faire une pause ? Il venait d’en raconter une belle tartine et son ami aurait probablement besoin de digérer tout cela. Il espérait juste ne pas le voir bondir sur ses pieds pour aller retourner Nyn-Tiamat tout entier et réduire en charpie les deux Couronnes, même s’il doutait de l’en savoir capable à lui tout seul.

« - Mais tu as probablement des questions… Je t’écoute et si tu en as l’envie, je continuerai ensuite car oui : il m’est arrivé encore bien d’autres choses entre temps. »

Il avait eut un début d’année drôlement chargé !

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L'ébauche d'un sourire vint frémir à ses traits alors qu'il s'accrochait à la haute silhouette velue et musculeuse de son ami, se servant sans vergogne de ce corps solide comme d'une accroche résiliente contre la violence du vent à son égard, lui dont l'équilibre n'était guère assuré. Ils étaient presque au sommet du monde et malgré sa force vampirique maudite, un plongeon lui serait sans aucun doute fatal. Marchant à ses côtés, tentant de son mieux de maintenir le cap malgré les hurlements de la bise. Un pas après l'autre, la petite équipée s'échina à rejoindre l'appeau luminescent près d'un pic rocheux, marquant sans doute l'entrée du havre dont Purnendu avait émergé pour l'accueillir. L'accueillir ou le prendre en embuscade ? Oh, peu importait réellement. Sans se faire prier, Ivanyr s'engouffra dans la grotte pour se couper du déchaînement extérieur et expira le peu d'air encore présent dans ses poumons sous le soulagement qui le noya soudain. Comme un chaude nuée glissant dans tout son corps, ses nerfs se détendirent et il vacilla, à présent dérouté par l'absence de cette poussée constante qui l'avait bousculé sans arrêt pendant toute la montée vers le sommet. Faiblement, puis avec plus de conviction, le haut mage s'épousseta, chassant des poignets de neige dure des replis de son attirail, décollant des tresses rigidifiées par le froid de ses épaules et de sa gorge. Une fois ces quelques efforts fournis, une banale palissade de sacs de sable devant une marée, Ivanyr s'intéressa à son environnement immédiat, curieux de la façon dont ce lieu avait été creusé. Les marques lui étaient, en effet, totalement inconnues. Avançant de quelques pas, il céda donc à la curiosité bien légitime qui le taraudait soudain.

Silencieux, il détailla lentement une étagère avant de se tourner de nouveau vers le félin qui émettait sur le moment un bruit tout à fait incongru. Pourquoi gloussait-il celui-là exactement ? Naïvement, Ivanyr suivit le cheminement de son regard et se défit d'un juron odieux en essayant frénétiquement de se recoiffer. Bon sang de bourrique poilue et baveuse ! Maintenant, il avait les cheveux en partie dressés sur le crâne comme une figure d'horreur hors sans vanité excessive, il n'en restait pas moins très attaché à une apparence qui lui plaisait… et avoir les cheveux hérissés sur le crâne à cause de la bave gelée d'un Graarh trop affectueux n'était pas au nombre de ses critères de beauté ! Avec force ronchonnements et imprécations, le haut mage batailla un moment avant de se résigner à user de magie pour faire au moins fondre cette infâme sculpture. Dégoulinant et humide, il finit par rejoindre le félin vers l'intérieur, le sein de la roche. Le pas méfiant, non par défiance envers son ami mais plutôt envers sa propre raideur, Ivanyr prit tout son temps pour descendre l'escalier dans lequel ils étaient engagés, une main contre la parois, l'autre frôlant la patte griffue du guérisseur qui le suivait. Une ou deux fois, ses semelles trempées glissèrent un peu sur la surface rocheuse, mais il parvint fort heureusement à rétablir son équilibre immédiatement et pu bientôt poser le pied sur l'étage inférieur sans avoir chuté une seule fois. Là, il s'arrêta enfin et observa ce qui se présentait à lui, détaillant silencieusement l'intérieur aménagé dont le confort accueillant se dévoilait à lui pour la toute première fois. Curieux et émerveillé, il se laissa absorber.

A peine sentit-il son ami lui retirer sa lourde cape, dégrafant les attaches qui la retenait tandis que lui détaillait le soin apporté à l'installation. Son pas le mena vers les veilleuses, puis vers la fourrure au sol, vers le lit… Après un tour complet de la pièce, il vint s'installer près de lui sur le tapis de fourrure, s'accolant contre la silhouette cendrée face au feu. D'une main, il vint prendre le broc de sang, de l'autre, il passait les doigts distraitement sur la fourrure de l'une des pelisses brodée de perles. Pendant que le feu crépitait, Ivanyr décocha un sourire au félin.

« On dirait un nid. C'est chaleureux. Il y a quelque chose de calme et de reposant dans l'atmosphère. Quelque chose de tranquille et de profond… »

Dommage qu'il n'ait pas de mots concrets pour réellement décrire la sensation qui l'occupait et dénouait les tensions nerveuses de ces derniers jours. Un moment, son regard se perdit dans les flammes, et il resta quelque instants attiré par le mouvement des langues ignées. La beauté de cette manifestation naturelle ne cessait de le fasciner. Dans l'âtre, il était domestiqué, bienveillant. Dehors, il était sauvage et mortel. Dans les deux cas, il aimait à le voir, y trouvant une représentation partielle de la fièvre qui menaçait de le consumer quand ses souvenirs se révélaient.

« Je n'aurais jamais cru que tu ferais quelque chose comme ça. Outre l'esthétique des lieux je… ça me touche beaucoup, que tu ai fais un nid pour nous ici. Ainsi, je saurais toujours où te retrouver »

C'était une belle conclusion à leur promesse mutuelle. Retombé dans le silence, il se fit attentif au récit de son ami, écoutant sans l'interrompre bien que le souci barra bien vite son front d'une barre dure. Lorsque Purnendu eut terminé son incroyable récit, le vampire s'accorda encore de longues minutes de pondération durant lesquelles il se partageait entre inquiétude, curiosité, et tendre tristesse pour son ami. Puis, rejetant l'immédiat intellect, le vampire déposa le broc à présent vide, puis se redressa et vint lentement caresser la fourrure contre l'épaule et le cou du félin. Son regard croisa le sien, grave et soucieux.

« Oui et Non. Dans l'immédiat, je m'inquiète surtout de ton état et de ce que tu pourrais encore me révéler »

Quand il aurait achevé son récit, en revanche, il aurait probablement de nombreuses questions : qui étaient exactement les couronnes de cendre, quels étaient leurs objectifs et leurs pouvoirs connus, combien étaient-ils, où se trouvait exactement ce portail pour Néthéril, qui était avec lui sur Néthéril, à quoi ressemblait la voix qu'il avait entendue et sa manifestation… Il était claire que, qui que ce soit ces créatures, elles étaient dangereuses et résistantes, et qu'il allait falloir se préparer sérieusement avant de penser s'occuper de leur cas. Bien qu'il comprenne le désir de paix de Purnendu, il était clair que cette pensée utopique n'était pas partagée.

« Pourquoi n'es-tu pas fier de ce que tu as fais ? Tu as suivis le code et l'éthique que tu t'es toujours donné… Tu as agit selon ta conscience… Tu n'es en rien responsable de ce que ton ancêtre était, ou est aujourd'hui. Ta conduite t'honore. Ce qu'il a fait de ton don le condamne »

Sa main cessa de bouger dans la fourrure longue et douce. De nouveau, il croisa son regard, troublé.

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L’approche le tendit d’appréhension et il observa Ivanyr d’un regard tout d’abord tiède avant qu’il ne ferme les yeux et ne frémisse à la sensation des doigts délicats dans son épaisse fourrure. Pas de griffes, pas de coussinets. La sensation était toujours étrange, mais puisque l’autre ne pouvait lui faire aucun mal avec cette main, du moins pas ainsi, alors le grand félin se mit à fondre sous chacune de ses caresses. Il avait oublié combien la sensation était plaisante et lui envoyait dans le corps de petites décharges. Avant qu’il ne s’en rende compte, Purnendu avait basculé la tête sur le côté et s’appuyait plus lourdement à la main pour accentuer les grattouilles. Sous l’épais sous-poil, la peau tressaillait et plus loin l’extrémité de sa queue balayait avec indolence le tapis. Conter le récit de ses mésaventure l’avait replongé dans une certaine perplexité, aussi se sortir de ses plus vieux instincts de préservation lui semblait difficile, presque étranger à sa personne.

Heureusement qu’Ivanyr était là… Il était l’image, l’aboutissement même, d’une année entière de dévotion et de soin. Plus encore, il était un ami. Un membre de sa tribu. Les yeux toujours clos, le grand fauve l’écouta et ses babines frémirent d’un sourire désabusé, un brin cynique alors qu’il haussait des épaules. Quoi répondre à cela ? Il ne savait pas comment il se sentait. Son esprit était dans un désordre sans nom et il n’était pas encore certains de la tournure qu’il aimerait lui faire prendre. Pour l’heure, il voulait que les doigts du vampire remontent plus haut et s’occupent de l’arrière de ses oreilles !

Quand le silence s’éternisa et que les grattouilles cessèrent progressivement, Purnendu observa le sans-poil un long moment, pupilles dilatées alors qu’il restait captivé par le jeu des flammes sur sa peau imberbe, qu’il admirait les reflets qui rendaient sa chevelure semblable à des rayons de lune liquide ou encore ses yeux, troublés par des émotions trop profondes pour que lui, Graärh, puisse les saisir et les comprendre. Toutefois, il sentait quelque chose remuer au fond de ses tripes et il leva une main pour venir glisser les doigts dans ses cheveux. Il caressa sa gorge et sa nuque de ses coussinets rêches avant qu’il n’approche le museau de son visage. Sans le quitter des yeux, Purnendu vint lui lécher les lèvres pour récolter la saveur du sang -son sang- que le vampire venait de boire. Un frisson coula dans son dos, hérissant sa crinière, puis il glissa tout aussi lentement une truffe fraîche sur la joue de son ami avant d’enfouir son large museau au creux de sa gorge à la jonction de l’épaule.

Tête penchée pour ne pas le blesser de ses cornes, le félin prit une longue et profonde inspiration. Il se gorgea de son odeur, s’accrocha à sa présence et le lien si ambiguë qui ne faisait que se renforcer à chacune de leur rencontre. Ils étaient seuls ici, perdus au sommet du monde. Une grotte qui signifiait pour eux bien plus qu’un abris ; c’était la promesse que le vampire ne l’oublierait jamais, même longtemps après sa mort. Immobile, un bas grondement d’aise lui échappa alors qu’il soufflait et relâchait finalement sa prise. Il croisa son regard, lui offrit un sourire dans le velours de ses babines puis s’adossa au mur près de l’âtre, laissant le feu lui chauffer le poil agréablement.

« - Je vais bien… ou plutôt, je vais beaucoup mieux. »

Ce qui n’était pas bien difficile étant donné l’état dans lequel il était arrivé ici. Se redressant, Purnendu attrapa dans un petit panier d’osier rangé à portée un peigne en écailles de tortue. Il fit signe à son ami de lui tourner le dos afin qu’il puisse commencer le démêlage de ses longues mèches platines. Une huile parfumée fut plusieurs fois versées sur les dents du peigne pour assouplir et réparer les cheveux malmenés par le givre salé de l’île. Même à cette altitude, l’iode pouvait parfois se sentir dans le vent. Trouvant lui-même une certaine forme de quiétude à s’occuper de son ami, l’herboriste reprit la parole après plusieurs minutes d’un silence méditatif.

« - Cette éthique… ma conscience… Ce sont justement des choses que je remets aujourd’hui en doute. Cette voix qui m’accompagnait, qui me guidait et qui m’a encouragé à être celui que je suis aujourd’hui ; il s’agissait de Rog. Il m’a modelé, construit selon ses désirs afin qu’un jour je vienne le libérer. Suis-je réellement un guérisseur ? Ne suis-je pas une fraude !? Au tout départ, j’étais un chasseur… Pas le meilleur, mais je faisais ma part… aurais-je du continuer sur cette voie ? Je m’accroche à la confiance que me portent les Esprits pour ne pas sombrer dans la folie et le doute. Si mon cœur et ma volonté n’avaient pas été miennes au moment où j’ai fais appel à eux pour m’assister sur ma nouvelle route, alors jamais le Raton-Laveur ne m’aurait élu pour me guider. »

Ses mains, comme sa voix, s’interrompirent alors qu’il soupirait. Dans un bruissement, Purnendu se pencha pour poser le museau sur la tête du vampire et ferma les yeux en s’appuyant sur lui d’une partie de son poids, visiblement dépité et moralement épuisé par les questionnements et les doutes qui l’assaillaient depuis sa rencontre avec son ancêtre.

« - Greuh. Je me fais un véritable nœud au cerveau... »

Exprima-t-il avec son flegme habituel. Un vague rire lui échappa, tel un ronronnement chaud et saccadé bien que dénué de toute joie alors qu’il passait les bras autour d’Ivanyr pour le serrer brièvement contre lui d’une forte étreinte. Lorsqu’il le relâcha, le félin était à nouveau appliqué à sa tâche ; il tressait maintenant la chevelure du vampire en un maillage complexe qui devrait le protéger des plus grosses bourrasques à l’extérieur.

« - Mais je n’ai pas tellement le temps de m’y attarder. Lorsque j’ai été suffisamment remis de ma rencontre avec les Couronnes, sous la surveillance du dragon Kaalys, je suis retourné sur la côté Est afin de recevoir mes affaires, puis je suis parti vers la Légion pour y rencontrer ma Kamda Aaleeshaan. »

Purnendu sembla hésiter, que ce soit dans le jeu de ses griffes que dans la soudaine lenteur de ses paroles. Il ne savait pas si raconter maintenant à Ivanyr tout ce qu’il avait fais pour eux auprès de la Légion serait une bonne idée. Il ne voulait pas l’accabler d’un sentiment de culpabilité et encore moins l’inquiéter davantage. Reprenant avec un ton plus adapté, le félin mit pour l’instant de côté ses doutes.

« - J’ai appris qu’un autre dragon avait visité Nyn-Tiamat et qu’il était aussi grand qu’une montagne et aussi rouge que le feu. Il s’agissait de Verith et il est en quête d’une vieille légende issue de mon peuple : le légendaire Puits des Esprits. Appelé le Baôli, ce dragon souhaite en découvrir la source pour des raisons qui me sont encore inconnues… mais la Kamda Illidim m’a donné pour mission de l’assister et de chercher cette source mystérieuse. »

La queue du graärh balayait davantage encore le sol, trahissant son excitation à pouvoir excaver une telle merveille depuis les entrailles d’une civilisation perdue. Son torse se gonfla d’une grande inspiration et il entama un léger ronron satisfait.

« - Je pense que tu peux poser tes questions maintenant. Et j’aimerai aussi entendre des nouvelles de ton côté. Comment se porte ton « jeevanasaathee » ? Est-ce que la ville de Cordont se remet de ses maux ? Plus important encore... »

Le fauve se pencha par dessus son épaule et pressa sa truffe contre sa tempe.

« - Comment vont tes transes ? As-tu toujours des cauchemars ? Tu sais, j’ai obtenu la bénédiction de l’Hippocampe… nous pouvons commencer le traitement quand tu le désires. »

Il lui donna un petit coup de langue sur la joue, émit un roucoulement affectueux avant de revenir à sa chevelure qu’il fit tenir en place d’un lacet de cuir blanchi.

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Le silence durait, perdurait et Ivanyr plongea son regard dans celui de son ami, inquiet de ses réactions. Qu'est-ce qui le tourmentait, tapis là au fond de ses prunelles ? La caresse le fit ciller, avant que le coup de langue ne le surprenne et ne le désarçonne. D'un geste pensif, il se passa la manche sur les lèvres, autant pour enlever la fine couche humide que le félin y avait laissé que de possibles traces de sang restantes. Il ne s'y était pas attendu et l'observa avec un questionnement au fond des yeux avant de se fendre d'un léger sourire et de nouer ses bras à son cou. Il lui caressa la fourrure lentement, aveugle au trouble profond de son ami mais le percevant juste assez pour l'inciter à montrer davantage la tendresse qu'il lui dédiait. Quoi que ce soit qui le rongeait, il espérait au moins pouvoir l'adoucir quelque peu. Il ne le força pas à le relâcher, continuant de caresser le poils dense et soyeux jusqu'à ce que Purnendu décide de lui-même de se dégager.

Savoir qu'il allait bien malgré les épreuves qu'il semblait avoir traversé rassura quelque peu le vampire, qui hocha la tête en simple signe de satisfaction. Il ne lui serait pas venu à l'esprit de douter de la parole de son ami. L'offre que le félin lui fit de s'occuper de ses cheveux malmenés fut acceptée de bon cœur, Ivanyr se tournant pour se mettre dos au graarh sans la moindre crainte. Le laissant le peigner, il écouta attentivement, bien que toujours bercé par le crépitement du feu et le cœur de son camarade. Le soudain poids sur le haut de sa tête lui fit lever les yeux vers la grosse truffe de Purnendu et il se fendit d'une expression incrédule. Le dos courbé et les épaules en avant à cause du poids de l'autre, il se contorsionna pour lui piquer le flanc d'un doigt.

«  Oui. Tu es toi. Peu importe d'où ça vient, tu es toi. Je comprend tes questionnements, je crois… je n'arrive simplement pas à ne pas être reconnaissant de t'avoir tel que tu es. Sans toi, qui sait dans quel état je serais ou même si je serais encore en vie ? Tu es… enfin je sais que cela ne change pas tes doutes. Mais c'est toi que je vois, quand je te regarde. »

Les bras se serrèrent sur lui un bref instant, et il soupira avant de se redresser pour le laisser reprendre son ouvrage. Pour un exemple négatif, combien pouvait-il y avoir d'exemples positifs au choix de vie de son ami ? Mais c'était à Purnendu de se convaincre. Parce qu'il était le seul à pleinement saisir la valeur qu'il accordait à l'origine même de son choix premier. Rhétoriquement, il n'aurait pas été étonné que l'autre se demande même si tous ses actes n'étaient pas négatifs dès l'instant où le moteur originel l'était. Et en théorie, cela se concevait. Pragmatiquement, lui rejetait complètement l'idée, mais en théorie… bref, il n'était pas certain de vouloir encourager l'autre sur une telle voie. Il n'avait pas envie de le déranger dans quelque chose qui s'apparentait à un deuil.

«  Rencontrer ta Kamda ? Tu n'étais pas Ashudd ? Je croyais que cela vous interdisait de revenir ? »

Par instant, l'autre lui tirait une mèche en le faisant grimacer, mais le gros de son esprit était ailleurs que sur ces petits tracas bénins. Il avait l'impression d'avoir raté un épisode dans toute cette histoire. Qu'il ait été secourut par Kaalys lui semblait logique. Du peu qu'il en avait entendu, ce n'était pas Verith qui aurait agit ainsi. Kaalys semblait être peu ou prou le seul dragon réellement doux si ce n'était réfléchit de l'archipel. Mais qu'il veuille retourner auprès de la Légion l'inquiétait, ne risquait-il pas sa vie ainsi ? Après ce qu'il venait de traverser, ce serait tout de même aussi terrible qu'absurde de finir tué par son propre peuple alors qu'il voulait probablement les aider.

La suite le fit grimacer, mais pas à cause de ses cheveux. Ainsi, il avait déjà remis les pieds au sien de la Légion, ça ne serait pas une première. Là, il ne comprenait plus rien. Du peu qu'il en savait, on ne perdait pas le statut de banni en claquant des doigts. Coi sur le moment, il décida d'attendre que l'autre finisse avant de poser ses questions. Mais en vérité, il ne semblait pas destiné à attendre bien longtemps. Le récit déjà se terminait, lui laissant l'opportunité de réfléchir puis de s'exprimer à son tour. Sur le coup, il se retrouvait quelque peu ennuyé par la tournure que prenait la chose et se rendit compte qu'intérieurement, égoïstement, cela ne lui plaisait pas vraiment que Purnendu soit retourné auprès des Médonis. C'était comme le perdre.

«  Aldaron va bien. Enfin aussi bien que possible. Cordont ne se remet pas vraiment. Je te raconterais tout en détail. Je fais encore des cauchemars, mais j'ai avancé de mon côté également. Avant cela, cependant, dis-moi tout. Comment se fait-il que tu sois de nouveau en contact avec les tiens ? C'est ce qui s'est passé avec la couronne qui t'a permis de revenir. Qu'est-ce qui va se passer, maintenant pour toi ? »

Pour nous avait-il envie de dire. Avant Purnendu n'était qu'un guérisseur et un voyageur solitaire. Si à présent il travaillait pour son Aaleeshan, pourraient-ils même rester amis tous les deux ? Au risque de le mettre en danger ? Et que dire de leurs allégeances respectives ? Était-ce vraiment une bonne idée d'évoquer Achroma auprès de lui et ce qui se passait chez les vampires ? Il n'aurait jamais imaginé tout cela lorsqu'ils étaient tous deux partis chacun de leurs côtés, et si sa voix restait la même, que le ton ne changeait pas, il attendait à présent sa réponse avec une réelle crainte autant que beaucoup de curiosité. Il n'avait pas envie de le perdre. Ni de l'affronter d'ailleurs.

«  Et moi ? Est-ce que je te reverrais après ça ? »

Cette fois, son souffle s'altéra contre son grès.

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Il aurait pu ne pas l’entendre. Il aurait pu passer à côté et rejeter la question avec son cynisme, voire son ironie habituelle. Le vampire était doué pour cacher ses émotions, le timbre de sa voix était parfaitement dosé, mais la légère altération sur la fin n’échappa guère à l’ouïe affinée du félin. Ses oreilles tiquèrent et il pencha la tête de côté alors qu’il plissait des yeux. Lentement,  il rembobina leur conversation et comprit, avec un peu de retard, où se trouvait son erreur. Il avait trop dit ou pas assez et maintenant son ami se posait des questions. Toutes plus légitimes les unes que les autres, mais dont chaque réponse apporterait probablement plus encore d’interrogations.

« - Ivanyr… Mon Ivanyr. »

Que pouvait-il lui dire pour le rassurer ? Devait-il encore une fois essayer de noyer le poisson et passer à autre chose ? Il le tourna lentement pour qu’ils puissent se faire face. Sa main se leva pour cueillir son visage au creux de son coussinet rêche qui sentait le feu de bois, le musc et cette odeur plus subtile, inimitable, de la neige. Du pouce et en veillant à ce que sa griffe n’abîme pas la peau du vampire, il lui caressa une joue. Ses yeux plongèrent dans les siens sans faillir et il su ce qu’il devait faire. Alors, avec chaleur et tendresse, il lui souffla pour lui seul :

« - Tu es ma tribu. Qu’importe mes relation avec la Légion, c’est toujours vers toi que je reviendrai. Il en était déjà ainsi avant que je devienne Ashuddh et il en sera ainsi quand je retrouverai les faveurs de mon peuple. »

Peut-être ne l’avait-il jamais dis de vive voix. Peut-être avait-il cru que les actes parleraient d’eux-même avec le temps. Il courba la nuque de sorte à pouvoir presser son front à celui de son ami et ferma les yeux alors qu’il poussait un profond ronronnement. Ivanyr était lentement, mais sûrement, devenu l’un des piliers de son monde. Tous ses plans, ses objectifs ; d’une façon ou d’une autre, ils étaient alimentés par son désir d’intégrer le vampire à sa vie et par extension à son peuple. Les minutes s’égrenèrent avant qu’il ne se redresse et ne le fixe à nouveau dans les yeux, cherchant dans ces éclats de ciels lagons la certitude qu’il avait réussi ou non à l’apaiser de toutes ses craintes.

« - C’est une longue histoire et il nous faut remonter un an en arrière maintenant, après la découverte de ma tribu natale anéantie par les vampires. Lorsque je suis parti rejoindre la Légion pour savoir ce qu’il s’était réellement passé, je ne suis pas devenu réellement un Ashuddh. »

Ses babines se courbèrent d’une légère grimace et il prit les mains d’Ivanyr entre les siennes, engloutissant de ses doigts puissants les phalanges graciles de l’humain en comparaison. Au fond de ses lacs d’absinthe, il n’y avait plus le pétillement de moquerie et de légèreté. Il n’y avait qu’un sérieux mortel et peut-être un éclat d’inquiétude alors qu’il poursuivait ses révélations :

« - J’ai effectivement rencontré la Kamda Illidim et j’ai bien découvert ce qui était arrivé à mon géniteur Vaakin et au reste de la tribu. Mais ce n’est pas la seule chose que j’ai appris. J’ai compris à quel point les tensions entre mon peuple et le tiens étaient profondes et que rien de ce que je pourrais dire ne convaincrait qui que ce soit de ton innocence. Je savais que ta découverte ne serait plus qu’une question de temps et qu’à ce moment tu serais probablement abattu sans autre forme de procès… et moi avec. »

Sa voix se fit plus rauque, contenant difficilement sa colère. Ses moustaches frémirent alors qu’il prenait une profonde inspiration et poursuivait sans lui lâcher les mains.

« - J’ai alors décidé de prendre les devants et révéler moi-même ton existence à la Kamda. Elle ne fut pas heureuse, comme tu peux t’en douter mais j’ai réussi à la convaincre de parier avec moi sur l’avenir. En échange d’un sauf-conduit qui nous permettrait de quitter l’île pour rejoindre Calastin et la promesse de pouvoir un jour racheter ma trahison ; je devais accepter deux clauses. Déjà, je me devais d’endosser le plus haut rang de trahison et devenir un Ashuddh, puis je devais collecter le plus d’informations possible sur les Sans-poils afin de les lui rapporter. »

L’extrémité de sa queue se mit à s’agiter nerveusement. Avec un soupir bref, il ajouta d’une voix plus basse, plus rauque aussi :

« - Je savais que l’on finirait par revenir tôt ou tard à Paadshail. Il n’y avait aucune certitude que l’on trouve ta famille à Caladon ou ailleurs en Calastin. Il n’y avait aucune garantie que ma présence y soit tolérée et que je ne finisse pas en esclavage. Je savais que dans un cas comme dans l’autre, nous passerions à nouveau ici et je me devais de nous sécuriser un passe-droit. En tant qu’Ashuddh de rang 3, ma vie ne valait pas mieux que tout nuisible… et il m’aurait été impossible de te protéger dans ces conditions. Avec les faveurs de la Kamda, il m’était possible de travailler lentement, mais sûrement, à ton acceptation au sein de mon peuple. Et avec toi en fer de lance, il ne serait plus qu’une question de temps pour que le reste de ceux qui te suivent soient aussi reconnus comme différents de tous ces esclavagistes. »

Il fit un pause, le temps de retrouver son souffle et de laisser Ivanyr absorber les informations.

« - Mais je n’ai pas seulement agis pour toi et moi… Mon peuple a ses propres torts dont celui d’oublier qui il était jadis ! Des erreurs qui ne nous concernent plus, des fautes qui ont été oubliées et une puissance que l’on s’est volontairement retirée. Jusqu’à présent cela n’avait pas tant d’impacte que nous étions le seul peuple pensant sur l’Archipel, mais depuis votre arrivée nous sommes trop faibles, dispersés et désorganisés. Pour survivre aux Pirates, aux Vampires et à tous les esclavagistes indépendants ; nous devions remonter la pente et combler l’écart technologique qui nous séparent de vous tous. »

Son regard s’arracha au sien pour parcourir les piles de livres soigneusement rangées contre les murs de roche nue.

« - J’ai profité de mes voyages pour collecter et traduire autant d’ouvrages qu’il m’était possible de le faire. Je devais éduquer mon peuple et c’était ça le prix que me demandait de payer la Kamda pour nous laisser la vie sauve ; mieux encore pour m’offrir l’opportunité de retrouver mon rang de kisaan dans le peuple. »

Il le regarda à nouveau, sachant qu’il comprendrait l’importance que cela revêtait.

« - Et elle fut satisfaite des fruits de ma mission, Ivanyr. Tellement même qu’elle me confia un artefact qui pourrait localiser le Puits des Esprits. Ce fut à moi qu’elle demanda d’aider le Dragon de l’Ire dans sa quête… et de possiblement m’engager sur la voie des Naayak. Imagines-tu ? Posséder un tel poids au sein de la Légion serait inespéré pour t’intégrer et possiblement rapprocher nos peuples… je ne suis pas naïf au point de croire que c’est une chose qui se fera d’un claquement de griffes, mais c’est prometteur. »

Une légère étincelle avait brillé dans ses yeux avant qu’il ne retrouve son calme et ne soulève les mains du vampire pour y frotter le côté de son museau avant d’en mordiller les phalanges tendrement.

« - Si je ne t’en parlais pas… et bien c’est parce que tu avais déjà beaucoup à gérer de ton côté. Tes cauchemars, ta perte de mémoire ? Tu as ensuite retrouvé ta moitié liée avec Aldaron, puis les choses se sont précipitées avec Cordont et nos affaires respectives. Es-tu fâché ? Déçu ? »

Ses oreilles se couchèrent piteusement vers l’arrière et il posa sur lui un long regard de chaton battu avec les pupilles dilatées et les babines gonflées. Il connaissait bien Ivanyr, mais lui pardonnerait-il d’avoir gardé si longtemps le silence et avoir agis sans son accord sur autant de sujets si délicats ? Il l’espérait. De tout son coeur. Si non et bien, il prendrait le temps nécessaire pour se faire pardonner et regagner sa confiance du-t-il s’y atteler pour les prochaines décades.

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Il voulait le croire, penser qu'il reviendrait toujours mais quelque chose l'en empêchait. Peut-être était-ce simplement le désenchantement de tout ce qu'il avait découvert depuis qu'ils avaient quitté cette île. Jamais Purnendu n'avait montré les mêmes inclinaisons que les humains ou les vampires. Peut-être était-ce cela qui les différenciait tant des peuples du vieux continent. Il n'en savait pas grand-chose en fin de compte. Hochant doucement la tête, il décida simplement de lui accorder sa confiance, une fois de plus, malgré la raison qui le prévenait que ce ne serait qu'une façon de se mettre en danger. N'était-ce pas le but même de la confiance que de s'exprimer même lorsque la logique restait méfiante ? Son regard rencontra le sien, et il attendit, silencieux, que le félin explique. Il lui laissa tout le temps qu'il nécessitait pour lui conter la vérité, prunelles assombries d'amertume. Que se serait-il passé si sa matriarche n'avait pas accepté de prendre le pari ? Aurait-il vu débarquer, à la place de Purnendu, une armée de Graarh pour le tuer sans la moindre explication ? Aurait-il cru que son ami l'avait trahit, ou se serait-il cramponné à la certitude qu'il y avait une réelle affection entre eux et que jamais il ne lui ferait cela ? Il n'aimait pas ce qu'il entendait mais il n'avait pas l'intention de l'interrompre avant qu'il n'en ait fini.

Sourcils froncés, il lui était en vérité difficile de ne pas objecter immédiatement, ou même de simplement croiser les bras, se replacer. Quelque chose clochait dans ce qu'il entendait. Travailler à son acceptation ? N'avait-il donc pas même la chance de prouver lui-même ce qu'il pouvait être et valoir ? Un léger soupire passa ses lèvres. Non. Purnendu pensait certainement au mieux mais il prouverait lui-même ce qu'il valait, sinon ce serait forcément faux et biaisé. Il était le seul à pouvoir montrer ce qu'il était. Quant à la satisfaction de sa matriarche ? Il n'était pas vraiment surpris mais ne savait pas encore si c'était une bonne chose. Bien sûr que récupérer des ouvrages avec de nouvelles connaissances devait l'avoir mit de bonne humeur. Il ne voulait pas le lui dire, parce que même en étant un voyageur et une forme d'ermite, Purnendu restait un Graarh, douter ouvertement de sa dirigeante ne produirait rien de concrètement positif et il n'avait pas besoin de son approbation sur ses idées. Il avait une très nette conscience d'être beaucoup moins enthousiasmé que lui sur tout ce récit et savait que son ami n'avait aucune mauvaise intention, aussi ne voulait-il pas le doucher sans aucune raison. La question lui tira un sourire cynique, comme si le félin avait quand même pu lire dans ses pensées.

« Ni l'un ni l'autre »

Il était méfiant, ce n'était pas la même chose. Pour détourner un peu la conversation, puisqu'il n'avait pas l'intention de lui confier le fond de sa pensée, le vampire lui posa quelques questions sur ce fameux Puits des Esprits et ce dont il s'agissait, pourquoi exactement ils cherchaient à le trouver. Tout cela ressemblait à une carotte pour le faire avancer de la part d sa dirigeante mais après tout, pourquoi pas ? Il était curieux de savoir ce que pouvait être cet objet ou ce lieu. Cela lui disait vaguement quelque chose, des contes que son ami lui avait déjà transmis mais les contes n'étaient jamais ni précis ni exacts alors autant s'y intéresser plus pragmatiquement, non ? Laissant le graarh emplir le silence de sa voix, il ne le relançait que d'une remarque ou d'une question de temps en temps. L'amertume commença peu à peu à s'atténuer au profit de la curiosité. Ce puits des esprits ressemblait à un lieu d'importance capitale pour le peuple natif mais de façon plus générale pour la magie. Se pourrait-il alors qu'il s'agisse d'un potentiel remplacement pour le filtre de la haute magie qu'étaient les dragons ? Puis, lorsqu'il eut épuisé tout ce qui lui venait à l'esprit, il soupesa un moment dans le silence ce qui lui avait été confié. Il y avait beaucoup d'informations, mais cela n'effaçait pas entièrement sa méfiance à l'égard de la matriarche graarh.

Ne pouvant cependant rien y faire, il décida au contraire d'agir sur ce qui était à sa portée. Aussi décida-t-il de conter ses propres cheminements, depuis Nevrast jusqu'à Aërthia. La seule chose qu'il laissa de côté fut la fonction qu'il avait acquise auprès de son peuple. Il ne cacha rien de sa décision de retourner plus tard dans la forêt afin de mettre fin à la menace de la Licorne, ni de la guerre civile qui grondait chez les vampires. Il l'observait attentivement, pour jauger de ses réactions. Puis lorsque lui-même n'eut plus rien à en dire, il revint à la proposition faite un peu plus tôt par son ami, au sujet du traitement qu'il lui offrait.

« Pourrais-tu m'en dire plus sur la manière dont tu voudrais procéder ? »

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Ni l’un, ni l’autre ? Et bien, voilà une réponse à laquelle il ne s’attendait pas. Un peu dubitatif, ne sachant pas s’il s’agissait du lard ou du cochon, le graärh pencha la tête sur le côté avec une paire d’oreilles relevée et l’autre couchée pour marquer combien cette réponse prudente, voire carrément évasive, le troublait. Avaient-ils un problème ? Quand bien même il lui brûlait les babines d’en savoir plus, il n’osa pas presser son ami et préféra le laisser y revenir de lui-même. Ils avaient le temps après tout, lui ne comptait pas repartir de si tôt et puis comment blâmer le silence d’Ivanyr lorsque l’on savait la somme effarante d’informations qu’il avait dû encaisser depuis leurs retrouvailles ? Non décidément, il valait mieux qu’il attende ; le vampire se confierait si ça finissait par trop lui peser et dans le cas contraire c’est qu’il n’y avait pas à s’inquiéter. Purnendu poussa un soupir inaudible qui remua sa grosse truffe et alors qu’il reprenait ses caresses dans les cheveux tressés, il s’appuya contre l’âtre afin de sentir la chaleur cuisante imprégner son épaisse fourrure.

Le changement de sujet fut le bienvenu et il s’y plia de bon cœur car après tout ; quoi de mieux pour l’amadouer que lui demander des histoires concernant son peuple !? Rien, si ce n’est des Histoires concernant l’herboristerie ou, plus récemment ; l’alchimie. Mais le premier sujet restait son préféré et de loin. De sa voix riche à la diction rendue parfaite par l’exercice et l’enseignement prodigué par le vampire, le graärh entama l’ancienne et presque oubliée légende du Bâoli. Il s’agissait d’un puits d’énergie, une frontière entre notre monde et celui des Esprits-liés. Communément associée à la légende de la Tribu des Cendres, le puits est considéré comme un lieu maudit où sommeillerait un terrible danger et dont il ne faut absolument pas s’approcher, car une malédiction y transformerait le plus vaillant et respectable Naayak en un misérable Ashuddh.

« - Personnellement, je ne crois pas en cette version. Du moins, je pense que la vérité s’est déformée au cours des âges. Ce lieu est effectivement maudit, mais pas pour les mêmes raisons. Un terrible malheur s’est abattu sur le Bâoli et effectivement ce doit être lié à la Tribu des Cendres, peut-être même aux Couronnes, mais il faut savoir qu’il existe aussi une version plus éparse encore et qui relierait le puits à la Tribu de l’Or. Dans cette version, il apparaît comme un lieu vertueux, un endroit sacré et entièrement dédié à la vénération des Esprits-Liés. »

De son avis, et il le partagea de vive voix, le Bâoli était à l’origine comme cité dans cette version de la légende. Un lieu fabuleux de communion et de respect qui avait été ensuite désacralisé à cause des actes de certains, menant à la première version de la légende autant pour faire peur auxles générations suivantes, qu’enterrer une fois de plus la honte ressentie par ses ancêtres. Et cette théorie était alimentée par une ultime version de la légende, un fragment presque oublié qu’il avait eut beaucoup de mal à collecter dans son intégralité. D’une voix profonde et rocailleuse, lacée de ronrons et de fugaces roucoulades, il murmura en commun avec toutefois quelques mots graärh qu’il ne parvenait pas à traduire :

« - Bâoli, sous la surveillance des Purohit Rakshak, vit son eau se tarir, face aux Needs Ashuddh. A cinq, la tête couverte d’or ils rentrèrent, à quatre la tête couverte de cendres ils sortirent. Alors s’éveillant le plus terrible prédateur. Alors se répandit la cendre. »

Un moment silencieux après ces paroles bien sinistres, Purnendu se gratta le dessous du museau. Il avait beaucoup de théories sur ce fragment de légende, mais voilà le soucis : ce n’était que des théories et il n’avait malheureusement pas grand-chose d’autre pour les consolider. Pas encore tout du moins, car si ce que sa Kamda lui avait ordonné de chercher était réellement le Bâoli alors nombre de ses interrogations et hypothèses trouveraient leurs réponses. En ayant terminé, ce fut au tour d’Ivanyr de conter ses propres histoires et pérégrinations au travers de l’Archipel. Lorsqu’il fut mention de la légendaire licorne et de l’incendie qu’ils avaient causé dans la forêt de Licorok, le félin gris ouvrit des yeux ronds, incrédule, avant de partir dans un grand éclat de rire.

« - C’est tellement… Tellement toi !!! Kr kr kr… Te rends-tu compte de l’importance de tes actes pour mon peuple !? Personne n’avait encore vécu cette rencontre et en vivre pour la raconter... »

Il frotta affectueusement son museau à son petit nez, hilare.

« - La prochaine fois, laisse moi t’accompagner, veux-tu ? Et peut-être pouvons-nous même user de cet acte comme d’une épreuve pour te faire accepter par mon peuple ! Si tu reviens victorieux et si c’est la carcasse d’une véritable licorne que tu poses aux pattes de la Kamda Aaleeshan Illidim !? Personne n’osera te refuser un titre auprès de la Légion, car de mémoire graärh personne n’a pu blesser et encore moins vaincre cette créature. »

Il se sentait aussi excité qu’un graärhon à l’idée cette fabuleuse chasse à la licorne.  Il y avait des dangers et il faudrait que tous se préparent sérieusement pour une telle aventure, mais il voulait la faire ; voir ce monstre et l’étudier, le disséquer même ! Et si Ivanyr devenait un Naayak par dessus tout le reste !? Un frisson coula dans sa fourrure, la lui faisant gonfler quelques instants avant qu’il ne retrouve son sérieux et sa concentration lorsqu’il fut question du traitement qu’il souhaitait appliquer à l’esprit d’Ivanyr. Se déplaçant pour lui faire face, il s’installa en tailleur devant lui et glissa ses mains dans les siennes, refermant ses doigts et griffes en veillant à ne pas le blesser.

« - Je voudrais procéder en plusieurs étapes. La première serait de nous familiariser avec ce nouveau traitement. Calibrer, en quelque sorte, mes visites dans ton esprit ; combien de temps je dispose, jusqu’à quelle profondeur et intensité de mes fouilles puis-je me permettre. Je ne sais pas quels effets tu éprouveras lorsque j’agirai alors j’aimerait m’assurer que tu sois confortable avant de passer à l’étape suivante. Ensuite, je souhaite trouver ces souvenirs tel que tu m’en décris les fantômes qui te hantent. Rien que cette étape peut prendre du temps. De là, je les étudierai un à un, puis je souhaiterai voir avec toi un cheminement à prendre au travers d’eux ; du moins traumatisant au plus… difficile, dirons-nous. Je voudrais que l’on soit prudent et que ta mémoire te revienne graduellement avec, entre chaque découverte notable, une pause pour que tu poursuives ce que tu fais au quotidien, il est important d’encrer ta réalité et de ne pas risquer que tu sois submergé et perde la notion entre le vrai et le souvenir. »

Il marqua une légère pause, puis ajouta en frottant ses coussinets à ses doigts.

« - Enfin, si un souvenir est trop dur à récupérer, et avec ta permission, je l’effacerai soit partiellement pour le rendre plus vivable, soit totalement. Il est des choses qu’il est bon de ne plus se souvenir et souvent l’esprit mortel s’en charge très bien tout seul… mais toi, en tant que vampire, je peux comprendre que ce ne soit pas aussi simple. »

Il pressa son front au sien avec un soupir dans les babines.

« - Qu’en penses-tu ? J’ai besoin de ta complète coopération. Tu ne dois pas me garder des informations ou des ressentis secrets.Comme au tout début de notre relation ; il faut que l’on soit honnête l’un envers l’autre car une erreur pourrait avoir de très graves conséquences sur ta psyché. »

Purnendu se redressa pour le regarder droit dans les yeux.

« - Si tu es d’accord, nous pouvons essayer maintenant ou attendre quelques jours. »

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Alors qu’il écoutait son récit, une certitude fit jour pour lui : ce que contait Purnendu lui semblait davantage les deux facettes d’une même chose, d’un même événement, d’un lieu, plutôt que deux idées séparées. Deux éléments qui faisaient partie d’une même histoire mais qui n’était pas cette histoire. Le graarh semblait avoir semblable opinion, lui aussi. Des éléments de l’histoire donc, mais pas l’histoire au complet et qu’est-ce que le Baoli recelait réellement ? Un lieu fabuleux de communion et de respect, un lieu sacré, disait Purnendu mais quoi donc, quel pouvoir, réellement, avait-il ? Il doutait qu’il s’agisse-là de magie, à moins que, justement, il ne s’agisse de magie, pour expliquer l’inexplicable de la légende. Mais cela allait mal avec l’idée de vénération des esprits-liés cependant. Il ne s’ouvrit pas de cela. Non qu’il refusa sa proximité à son ami, sur ces questions, mais il ne voyait guère vers quel horizon irait des spéculations dont il pourrait partager la teneur. Il n’avait pas même d’hypothèse réelle, en fin de compte, simplement cette intuition, cette ébauche sans lendemain. Mieux valait encore l’entretenir de ses propres expériences, et espérer qu’il soit d’une plus grande aide que lui-même ne l’était au devant de ses interrogations sur le Baoli.

Il ne s’attendait pourtant pas à ce que la réaction instinctive du félin soit de se gausser en apprenant ses mésaventures. D’humeur houleuse, le vampire pinça les lèvres et grinça sans la moindre joie en réponse à l’hilarité de son comparse.

Je me rend surtout compte que j’ai laissé cette saleté en vie alors que je voulais la tuer et que j’en avais la chance

Et il ne cesserait pas de ruminer cela avant d’en avoir fait une descente de lit. Avoir été forcé de battre en retraite l’insupportait profondément, occultant toute autre considération. Non, il ne se rendait pas compte de l’importance que cela pouvait bien avoir pour le peuple natif. Il n’avait aucune idée de la relation exacte des félins avec les créatures de la forêt, mais croyait Purnendu sur parole quand il affirmait qu’il s’agissait d’un grand danger. que personne n’en ait réchappé ne l’étonnait pas, maintenant qu’on l’en informait. Eux aussi avaient bien manqué décéder. Son aigreur ne vint à s’adoucir qu’à la mention de sa possible acceptation par la Légion. Si achever ce qu’il avait commencé pouvait effectivement permettre sa reconnaissance par les graarhs, il n’était que plus motivé encore à entreprendre cette quête. Pour le moment, personne, au sein des peuples exilés, n’avait réussi à réellement entrer en symbiose avec les natifs. Lui y parviendrait. Non seulement pour les siens mais aussi parce qu’il y tenait, pour sa relation avec Purnendu. Ce serait une satisfaction supplémentaire lorsqu’il verrait cette créature morte. Car il la verrait morte quoi qu’il arrive. Il l’avait juré. Il ne demandait pas qu’on comprenne, lui comprenait bien assez.

Pourquoi pas. Un guérisseur nous a grandement fait défaut, la dernière fois

C’était peu dire. Un guérisseur serait indispensable en vérité. Licorock était un collet, une gueule dangereuse pour eux tous. Il ne ferait pas la même erreur qu’Irina Faust. Lorsque le moment serait venu, il vaincrait en ayant prit toutes les précautions possibles. Une de ses précautions, d’ailleurs, était sa propre stabilité mentale et le graarh pouvait sans doute l’aider à ce sujet précis. Ce qu’énonçait le guérisseur faisait sens, même pour un non initié mais cela faisait naître une question primordiale : sur combien de temps devait se dérouler ce traitement ? Son temps auprès de son ami était hélas compté en raison des plans qu’il devait surveiller, dont la mise en place dépendait énormément de lui, de sa présence. Néanmoins, sur l’instant, il se contenta de hocher la tête. Le principe lui convenait, après tout. Lentement, il ferma les yeux, pressant son front au sien. Etait-ce aussi simple ? Pouvait-il vraiment récupérer ses souvenirs aussi aisément ? Cela semblait plus à sa portée que jamais auparavant. Il voulait savoir. Connaître ce qu’il avait oublié. L’idée même le hantait depuis des années. Que soudainement le but soit si proche était déconcertant, au fond, autant qu’enthousiasmant. Lorsqu’il releva à son tour le regard vers lui, il hocha de nouveau la tête.

Je suis d’accord. Je veux essayer

Un instant de silence passa avant qu’il ne complète, sourcils froncés.

Cependant, je dois savoir si ce traitement m’immobilisera ou non, car je ne pourrais pas rester ici plus d’une semaine ou deux. J’ai… des tâches qui m’attendent, qui ne peuvent être ignorées. Je ne voudrais pas bâcler quoi que ce soit ou abandonner à mi-chemin. Si ce n’est pas le cas, alors je te propose de commencer immédiatement

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Il attendit patiemment, occupé qu’il était à contempler le bleu céruléen des orbes vampiriques quand bien même étaient-ils couverts de leurs paupières. Des yeux qu’il connaissait par cœur maintenant. Des yeux qui avaient vu tant de choses en l’espace d’un millénaire et qui avaient décidé de tout oublier par auto-préservation. Des yeux capables d’aimer et de haïr en des proportions qui dépassaient totalement le graärh. Des yeux magnifiques, pensa-t-il avec un léger ronronnement au creux de la gorge. Des yeux qu’il ne voudrait jamais voir disparaître sous le voile de Mort. Des yeux qu’il voulait garder autant que possible rivés sur lui lorsqu’ils étaient ensembles et qu’il voulait savoir chercher sa silhouette sur la ligne d’horizon lorsqu’ils étaient séparés. Lorsqu’il s’ébroua mentalement et chassait ces pensées absurdes, Ivanyr lui disait être d’accord et vouloir essayer cette nouvelle expérience. Dans le silence qui suivit, Purnendu se leva et alla fouiller dans sa malle sans fond afin d’en sortir un porte-encens taillé dans un os de baleine. Triangulaire, il ressemblait à une conque torsadée et portait les dessins de plusieurs Esprits intimement liés à Paadshail pour leur abondance sur l’île autant que leurs pouvoirs excessivement appréciés.

Il était à sélectionner le bon cône de résine à brûler lorsque la voix grave du vampire déchira le silence avec une étonnante douceur. Ses oreilles tiquèrent et il regarda son ami par dessus son épaule, enfouissant par la même occasion son museau dans l’épais collier de fourrure qui cerclait sa gorge. Respirant son propre parfum composé d’herbes médicinales, de neige fondue et de musc félin, il eut un sourire aux babines et ne répondit pas tout de suite. Il leva plutôt sa main libre pour l’inviter à le rejoindre et le fit s’allonger sur la couchette dont le matelas de pailles et de crins de rhinocéros laineux était moelleux, un sentiment renforcé par les nombreuses couvertures et coussins à disposition. Il souleva le couvercle de l’encensoir et continua ses préparations pendant quelques minutes, laissant sa longue queue balayer le sol en un rythme qui lui était propre. Quand les premiers volutes d’une fumée dense et bleuté s’élevèrent dans l’air en une spirale indolente, le graärh se tourna vers son patient et vint s’asseoir à son chevet, un large coussin sous lui pour lui apporter un peu plus de confort durant la cession. Enfin, sa voix rauque s’éleva dans un souffle de réglisse :

« - Nous allons procéder souvenir par souvenir. Les premiers jours seront en cessions courtes, pour nous calibrer. Cela va durer un peu moins d’une semaine si tout se passe bien. Lorsque nous explorerons un véritable ‘cauchemars’ alors cela prendra peut-être plusieurs jours supplémentaires où une interruption ne sera pas dangereuse pour toi, mais nous imposerait de recommencer depuis les bases. »

Il posa une main sur son front, laissant son large coussinet couvrir ses yeux alors qu’il l’invitait à plonger dans une transe vampirique. Ivanyr n’avait pas besoin de penser à grand-chose en particulier pour cette première expérience. Il suffisait qu’ils explorent la mémoire immédiate, par exemple celle qui gardait encore vivace l’escalade du mage sur les flancs escarpés de la montagne. Ainsi dans la quiétude de la grotte, rythmée par le souffle du grand félin et le crépitement du feu dans l’âtre, le graärh plongea dans le labyrinthe des pensées du vampire millénaire. Pour Prunendu ce fut comme entrer dans l’antichambre d’un lieu infiniment plus vaste. Il n’y avait pas de sons ou de lumière à proprement parler, car les cinq sens n’existaient plus de la façon dont on les imaginait… ou plutôt, c’était l’imagination qui prenait le relais sur les nerfs et autres capteurs habituellement demandés dans le monde physique. Ainsi ce n’était pas ses vibrisses qui sentaient le courant d’air impalpable, mais le souvenir ou l’idée qu’un tel vent devrait exister dans un endroit aussi vaste ouvert de couloirs, d’arches, de terrasses et de coursives.

Palace de souvenirs innombrables, l’architecture était la plus exquise qui soit et représentait un arlequin de cultures et d’essences combinées en un ensemble déroutant, presque hypnotique. On retrouvait des colonnades elfiques d’une époque longtemps oubliée, des vasques et fontaines aux parfums fugaces d’une campagne humaine, souvenirs mélancoliques noyés dans les remous enchanteurs, trompeurs. Il venait d’une terrasse la clameur d’une guerre antique et l’on entendait par delà le vacarme des armes, le rire et les chants de quelques balades glacernoises, telle une farouche escale entre deux arches jumelles. Malgré ces appels et promesses cachées dans les replis d’un esprit millénaire, bien des accès semblaient condamnés par des chapes de ténèbres insondables tandis que d’autres, a contrario, miroitaient comme le plumage paradisiaque d’oiseaux inséparables. Ces portes, ou couloirs, pulsaient d’une lumière et d’une chaleur qui serra le cœur du graärh malgré son incapacité à éprouver de telles intensités émotionnelles. Les autres lui firent hérisser les poils le long de l’échine.

Il les ignora tous et resta aux abords du ‘palier’ de la mémoire afin de chercher les fenêtres qui s’ouvraient sur des souvenirs récents et qu’il espérait inoffensifs. Comme des milliers d’ailes qui battaient un air froid et statique, Purnendu n’eut qu’à tendre une main pour saisir avec délicatesse un fragment qui passait à sa portée. Dès que ses griffes accrochèrent la trame de la pensée qui régissait tout ce monde évanescent où le tangible n’était qu’un effort de volonté, il pu sentir la réalité autour de lui frémir. A son tour immobile, il changea sa prise pour venir cueillir en coupe le souvenir. Il laissa ses paumes se remplir de pensées, de ressentis et de détails comme un filet de sable ininterrompu qui coulerait entre ses doigts courbes et sa fourrure dense. Pourtant, jamais il n’arriva au terme de cette fine cascade, filet continu dans la toile mirifique qui tournait en boucle le même moment encore et encore. Après un instant à observer le phénomène, il approcha son museau pour plonger les yeux dans la surface lisse et vit au travers d’Ivanyr un fragment de son ascension.

Plusieurs minutes s’égrenèrent jusqu’à former une heure complète avant que le graärh ne relâche les pouvoirs de l’Hippocampe comme autant de petits grappins intangibles sur l’esprit de son ami. Il n’avait que légèrement altéré le souvenir en changeant le climat confronté lors de cette traversée fastidieuses du Nyn Daaruth. Lorsqu’ils retournèrent à la réalité et prirent le temps de doucement se synchroniser avec cette dernière, Purnendu engagea avec son ami un compte rendu des expériences qu’ils avaient tous deux expérimentés pour la première fois. Le guérisseur prit de nombreuses notes, noircissant les pages de plusieurs feuillets avant de s’estimer satisfait. Après une pause pour se dégourdir les jambes et discuter d’autres choses moins sérieuses ou compliquées, ils recommencèrent une nouvelle session qui s’étendit cette fois sur plusieurs heures et qui s’attaqua à un souvenir plus conséquent bien que toujours inoffensif. Tel un orfèvre, le félin cendré veillait à modifier les souvenirs qui lui étaient offerts avec des suggestions plutôt que des changements évidents qui détonneraient fatalement. Après tout, il ne travaillait que sur une parcelle et comme un artiste sur une tapisserie bien plus vaste et complexe, il ne pouvait pas broder librement sans risquer d’endommager l’ensemble une fois la pièce remise en place.

Plusieurs jours passèrent et bien des carnets furent remplis, rayés et corrigés jusqu’à ce que le graärh s’estime satisfait et suffisamment confiant pour s’attaquer à son tout premier ‘cauchemars’. L’Hipoccampe était un esprit de subtilité et d’altération. Il touchait l’esprit des autres de ses pouvoirs immenses, mais changeait aussi intrinsèquement la mémoire et le corps de celui qu’il honorait. Purnendu avait rapidement compris que sa mémoire était à présent parfaite, chacun de ses sens était devenu une grange de mémoire infaillible et son propre palais mental était à présent aussi vaste que l’inlandsis bien qu’il soit beaucoup plus fertile et accueillant ! Ainsi au bout de ces quelques jours d’étude appliquée, il lui était presque devenu naturel d’entrer en symbiose avec l’esprit d’Ivanyr, ce qui lui donnait l’amplitude nécessaire pour adapter, couper et recoudre les prochains souvenirs tel un chirurgien ou un maître tailleur. En ce jour unique, c’était un encens aux volutes teintés de mauve qui serpentait paresseusement autour de ses cornes jusqu’à s’amasser dans l’air tiède et douillet de la grotte. Purnendu avait les yeux clos, une main posée sur le front de son ami et l’autre ouverte sur son genoux avec le pouce et le majeur joint en une posture de méditation. Assis sur le large coussin, dos droit et truffe penchée dans son épais collier de fourrure, il s’apprêtait à plonger dans un ‘cauchemars’ qu’ils avaient tout deux décidé quand il sentit une main se fermer sur son poignet.

La voix qui s’éleva dans l’air immobile le fit se tendre instinctivement. Si le timbre était toujours celui de son patient, s’il n’y avait aucune hostilité dans les courbes riches et profondes de son accent, Purnendu savait sans une once de doute qu’il ne s’agissait pas d’Ivanyr. Ou pas tout à fait. Ses propres yeux s’ouvrirent et tombèrent dans deux flaques céladon antiques, patinées par un millénaire d’usures et d’expériences. Il confronta un masque familier et pourtant étranger dans ses milliers de subtilités. Les yeux vifs du graärh, habitués à compter ce genre de détails chez ses frères et sœurs, ne pouvaient ignorer ceux qui se présentaient à lui sur l’instant. Son cœur fit un bond quand il comprit qui lui faisait face et un vague sourire ironique ourla ses sombres babines. Il ne chercha pas à fuir le contact et se rapprocha même pour contempler cet homme dont il entendait tant de choses sans jamais avoir pu réellement le croiser. Enfin, un léger rire secoua ses épaules quand il souffla avec une brusquerie dénuée de méchanceté :

« - C’est un plaisir de te rencontrer enfin, Achroma. »

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Il se laissa guider vers la couche et avant de s’y installer, déboucla les nombreuses sangles composant les pans hybrides de sa mise et déposa plusieurs pans de tissus inutiles à terre avant de s’installer, en simple chemise blanche et pantalon, retirant même ses bottes bordées de croûtes neigeuses afin de ne pas salire l’alcôve. Cheveux lovés sur une épaule, il ferma les yeux un bref instant, cherchant la position la plus confortable pour lui. Il le remercia dans un souffle, en sentant la main griffue lui relever la tête pour déposer un coussin moelleux sous elle. Trouver le chemin de la transe fut plus complexe que d’abandonner son corps au repos, et il nécessita de longues minutes avant d’entrer dans l’état mental que requérait cette aptitude. La transe n’avait jamais été son alliée, elle apportait souvent plus de questionnements et de spectres que de repos, et néanmoins, il s’efforça de la rendre profonde, se confiant aux soins de son meilleur ami. Pendant encore quelques instants, de parasitiques pensées affleurèrent à son esprit avant que le vide ne prenne le dessus. Un vide précurseur du songe vampirique tant redouté par le revenant.

Guidé par la suggestion du félin, son être se tourna vers la pente enneigée, et il se vit escaladant le flanc du mont afin de parvenir jusqu’au plateau. L’air était prégnant de milliers de voix différentes, d’appels et de conversations qu’il ne comprenait pas mais qu’il savait dirigées vers lui. Il n’y avait pas réellement traces de Purnendu, pour lui, mais il sentait, comme une foi plus que comme une logique, sas présence. Par simple impulsion motrice, il grimpa sans se poser de questions. Tandis qu’il avançait avec prudence, une sensation impossible à décrire, comme un tremblement interne impromptu, vint à le prendre et faucha sa volonté d’avancer pendant une poignée de secondes. C’était perturbant. Il avait l’impression que quelqu’un l’observait. Un spectateur invisible. Purnendu ? Il tourna la tête, ou pensa le faire. Il n’y avait rien.

Puis il revint au monde réel comme on sort d’un songe. Quelques instants lui furent nécessaires pour retrouver sa réalité, et il se releva afin de converser de ce qu’ils venaient d’expérimenter. La transe suivante fut moins ardue à invoquer, le replongeant promptement dans cette montée vers le plateau. C’était un point d’accroche simple pour lui, un fragment de mémoire aux connotations positives, pleines d’espérance. Propices. Il fut moins perturbé, en revenant à lui, cette fois-là. La confiance s’installa quant aux circonstances du traitement, si ce n’était son issue. Lorsqu’ils en arrivèrent à aborder le premier de ses spectres, le vampire réussissait à entrer en transe sans mal et ne ressentait plus tant d’appréhensions à s’offrir au sommeil. Il inspira profondément l’encens parfumé et se laissa sombrer rapidement, avec un espoir fou.

Il sentit l’obscurité le prendre, il sentit le vide puis le chemin enneigé apparaître devant lui et s trouva coupé court dans l’élan de sa marche par une silhouette familière debout au milieu de l’étroit passage qui conduisait vers le sommet. Il ouvrit la bouche sans qu’aucun son n’en sort, puis sentit le souvenir s’étioler dans de douces ténèbres protectrices. Sous la patte, les yeux de l’Aîné s’ouvrirent doucement, et il vint serrer le poignet musclé d’une poigne qui n’avait rien à lui envier.

Abstenez-vous

Rien, dans le ton ou la diction n’était agressif, pour autant, il y avait quelque chos de fondamentale, dans cette voix, qui sourdait de son habitude à être obéit. Il lui retira la main, plongea son regard dans le sien, tandis qu’il se relevait sans pompe aucune. Aucun geste forcé, mais tous portant en eux la marque d’une éducation de prince. La curiosité du natif alluma une douce lueur amusée dans les yeux du millénaire.

Un plaisir, vraiment ?

Sa curiosité personnelle était une observation songeuse, soupesant la grande silhouette et ce qu’elle dégageait. Sa vulnérabilité physique ne le gênait nullement. Il avait à quel point Purnendu tenait à Ivanyr. Il savait qu’il était sauf. Le natif ne lui ferait aucun mal, au contraire il désirait aider l’autre facette de son être, il était attaché à lui… oh oui, très attaché. Il le relâcha, lui rendant son poignet avec bonne volonté puis soupira profondément.

Tu ne crains donc nullement de me voir à la place d’Ivanyr ? Cela serait pourtant naturel

Se relever tout en évitant le graärh n’était pas aisé mais il s’en accomoda et parcourut la pièce afin de l’observer avec une immense attention. Lui n’avait pas accès à tout ce qu’Ivanyr vivait, comme Ivanyr n’avait pas accès à l'entièreté de sa mémoire. Et il n’avait donc pas encore vu ce lieu. Cela l’intéressait pourtant énormément. Ce n’était pas tous ls jours qu’une nouvelle culture se dévoilait pour lui dont la vie s’étendait sur un âge. Dommage qu’il ne soit pas là pour cela…

Je sais que vous ne cherchez qu’à aider Ivanyr

Il se détourna de l’âtre pour le contempler, sa silhouette en négatif des flammes, la danse ignée le nimbant d’une aura chaleureuse, donnant à ses cheveux une teinte plus soutenue, à sa peau un ombrage de cendres. Purnendu ne voulait qu’aider son ami, mais il allait au devant d’un catastrophe s’il poursuivait son exploration. Et bien qu’il ne désire en rien couper Ivanyr de son ami et guérisseur, il se devait d’intervenir. C’était là son rôle.

Cependant, vous devez avoir conscience, qu’en cherchant ainsi au travers de sa mémoire, vous le tuerez. Vous nous tuerez

C’était violent, direct, sans enrobage. Il voulait être violent, direct et sans enrobage.

Arracher une âme au royaume de Mort est un acte terrible et infiniment douloureux pour la victime. Une expérience traumatique d’une ampleur inimaginable car il n’y a aucune enveloppe de chair pour atténuer l’impact des sévices. L’âme est directement atteinte. Mais pour moi, ce fut pire encore, car on m’enchaînait à une existence faite de tourments et de dévastation

Il revint lentement vers le graärh et s’assit près de lui, l’invitant à faire de même. Il l’observa méticuleusement, dans les yeux, son sourire ne vacillant jamais.

Je me suis suicidé, Purnendu. Et je ne voulais pas revenir. Je me suis battu tout du long, mais le pouvoir qui tirait mon âme vers ce monde était plus fort encore que je n’étais. Quand j’ai compris cela et que je me suis résigné, mon dernier acte de préservation fut de mettre sous clef mes souvenirs, ce qui avait causé mon trépas

Comprenait-il ? Voyait-il la destination de ce voyage à deux au travers duquel il le guidait à présent ?

En venant travailler sur les souvenirs d’Ivanyr, vous risquez d’endommager la protection que j’ai construite et ainsi de libérer les souvenirs les plus insupportables qui étaient miens autrefois. Et je crains qu’Ivanyr ne soit pas plus prêt que moi à les supporter. Nous sommes… encore trop faible pour cela. Peut-être est-ce même sans espoir, peut-être cette force ne sera-t-elle jamais nôtre… Je vous conjure de prendre d’extrêmes précautions dans votre traitement…Pour son bien comme pour le mien

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Il l’observa en retour sans ciller, de cette fixité propre aux animaux. De l’intelligence vive dans ses orbes d’absinthe, voilà tout ce qui le séparait d’un véritable smilodon de Néthéril. Silhouette massée au dessus de la couchette, il plongeait le vampire dans l’ombre et ne laissait voir dans le contour de son faciès bestial que deux orbes luisants et aux pupilles dilatées. A mesure que le vampire se redressait, lui recula sans jamais totalement l’abandonner. La fourrure frôla le tissu, son souffle caressa la peau pâle, puis enfin il se déplaça dans un silence feutré mais sans jamais le lâcher des yeux, sans jamais rompre le fil de leur regard croisés. L’ourlet amusé à ses babines persista même lorsqu’il répondit du tac au tac :

« - Bien sûr. Pourquoi ne le serait-ce pas ? »

Il le toisa sans cruauté de la tête aux pieds, nota les subtilités dans ses mouvements, dans sa posture. Il savoura la richesse de son langage corporel et s’imprégna de la personnalité qui se peignait à mesure des minutes, gorgeant de détails son attention avide, puis il pencha la tête de côté et l’observa à nouveau, comme sous une nouvelle aube. Achroma avait-il tant l’habitude de décevoir ceux qui le rencontraient à nouveau pour qu’il s’étonne réellement lorsque quelqu’un prétendait être heureux de le voir ? C’était… triste. Oui, voilà une réaction bien triste et le graärh se retint de venir l’enfouir dans sa fourrure pour l’y réconforter à grands renforts de ronrons. Quelque chose lui disait que l’antique immortel n’aimerait pas forcément le geste, même si l’intention en serait louée. Purnendu aimait toutefois cette lueur amusée dans les yeux bleus et il se redressa avec une souplesse toute féline pour que son museau arrive à hauteur du visage plat et ce afin de mieux l’observer. Son haleine de réglisse se glissa entre eux lorsqu’il reprit avec entrain :

« - Je suis heureux de rencontrer l’autre visage de mon frère. Tu es lui et il est toi. Pourquoi ne serais-je pas heureux alors ? J’ai toujours été impatient de faire ta connaissance sans jamais savoir comment te faire parvenir mon vœux.  »

Quand la poigne lâcha son poignet, il accentua son sourire de plus bel et secoua doucement le museau de droite et de gauche en un geste désabusé. Il le laissa aller à sa visite et se pencha pour remettre les couvertures et les coussins à leur place. Quand il lui fit à nouveau face, ce fut en croisant les bras sur son large poitrail, la queue balayant le sol d’amples mouvements paisibles. Il répliqua avec un calme inébranlable :

« - Tu es le pendant d’Ivanyr. La seconde face d’une même pièce. Tu veilles sur lui lorsque je ne suis pas là, tu cherches à le guider et à le protéger des autres, de ce nouveau monde mais surtout de lui-même... et aujourd’hui encore, tu viens à moi pour le préserver, n’est-ce pas ? »

Il ne fallait pas être un génie pour le comprendre. Si l’Ancien était une menace pour sa nouvelle personnalité, il lui aurait causé du mal bien avant de venir s’isoler sur une montagne avec un être aussi protecteur et farouche que l’était le graärh. Aucun d’eux ne désirait en venir aux mains et il n’y avait dans tous l’univers aucune raison pour que ce soit le cas. Ils étaient beaucoup trop intelligents, l’un et l’autre, pour conclure leur relation sur une solution aussi vulgaire que déplaisante. Si une séparation devait avoir lieu, elle se ferait au cours d’une discussion douce-amère aux parfums d’adieux et de regrets. Purnendu espérait simplement ne pas en venir là tout court et vint enfouir ses craintes loin, très loin au fond de son coeur. L’affirmation qui suivit lui tira un rire chaud, caressant comme la fourrure qui ornait ses babines entrouvertes. La voix rauque semblait émettre un ronronnement saccadé alors qu’il venait s’asseoir sur l’accoudoir du large fauteuil qui occupait la majeur partie du salon, près de l’âtre.

« - En effet. Je ne veux que son bien. »

Et la suite coupa court à son hilarité bonne enfant. La violence des mots étaient volontaires et le graärh cessa avec ses airs de peluche et retrouva autant dans sa posture que son regard le lustre du prédateur et du survivaliste. Il contempla Achroma avec prudence, mais point de méfiance. Il le savait honnête, mais chercha tout de même à décrypter le sens de ses avertissements, à les peser et les sous-peser pour cerner dans leurs courbes quels secrets pourraient bien s’y cacher. Les sans-poils aimaient couvrir leurs mots de sous-entendus, de cachettes pour faire entrer d’autres subtilités, d’autres métaphores. Autant de messes basses que beaucoup de graärh ignoraient par candeur disaient certains, mais surtout par un gouffre culturel que les autres races usaient et abusaient à leurs avantages. Pour autant il ne décela rien de tout cela et hocha la tête pour enjoindre l’autre à développer.

Ce qu’il apprit le laissa pensif et quelque peu dérouté. La religion des humains, des elfes et des vampires ne lui était pas totalement inconnue, mais elle ne lui était pas pour autant familière. Ces Déesses qui représentaient les éléments du monde, du Premier et du Dernier Souffle lui avaient toujours paru… étranges, incomplètes même. Convaincu que les « Dieux » n’existaient pas au sens que les autres races l’entendaient et qu’il n’y avait de tangible que la Trame et les Esprits-Liés, Purnendu avait préféré garder ses convictions pour lui et laisser les autres aux leurs en bonne entente et courtoisie. Comme il l’avait lu quelque part dans une bibliothèque de Caladon : ‘La religion, c’est comme une verge. Il n’y a pas de problème à en avoir une, ou à en être fier. Toutefois ce n’est pas une raison pour l’imposer en public et encore moins de penser avec.’ Fort de cette leçon en concordance avec sa propre ligne de conduite, le graärh s’était bien vite désintéressé de ces états d’âmes, de Mort, de Vie, de réincarnation ou encore de royaumes souterrains et était retourné à ses affaires.

Malheureusement pour lui, il était difficile de regarder ailleurs quand la preuve vivante -ou peu s’en faut- de toutes cette théologie dédaignée lui était mis directement sous le museau. Un long et lourd soupir secoua l’imposante masse de fourrure alors qu’il se levait et venait s’asseoir près de lui. Sa queue s’enroula autour de la taille du vampire pour l’attirer plus près et il posa le bout de sa truffe contre son épaule afin de respirer son odeur à chacun de ses souffles. L’entendre parler d’un suicide causé par une longue vie de sacrifices et de souffrance lui arracha un grognement et il lui mordit en douceur l’épaule, pas plus fort qu’un pincement, avant de passer un coup de langue rêche sur son cou. Le suicide était l’un des actes les plus déshonorant qu’un graärh de la tribu trand puisse exécuter, mais il ne jugeait pas Achroma. Quelle légitimité aurait-il à le faire ? Il n’était pas lui. Il n’avait pas connu ses épreuves, ne les avait pas partagé. Il n’avait même pas fais partie de sa vie à ces moments décisifs ! Toutefois, cela le peinait de l’entendre maintenant, car il l’affectionnait et le chérissait.

« - Mais tu n’as pas totalement réussi. »

La conclusion à tous ces aveux fut énoncée d’une voix douce et sans critique. Il leva les yeux sur lui sans se déloger de son épaule. Ses moustaches lui chatouillaient certainement le cou à chaque fois que le félin parlait.

« - Cette protection a des fuites, Achroma. Elles sont minimes, mais elles prennent de drôles de formes et hantent Ivanyr dans ses longues veilles, mais aussi dans ses plus profondes transes. Elles le rongent et l’usent comme un courant d’eau sur le calcaire. »

Il se redressa et le couva d’un regard tendre bien que soucieux.

« - De toi à moi, je ne cherche pas réellement à rendre la mémoire à Ivanyr. Je pense qu’il est plus important pour lui de se focaliser sur le présent et de se concentrer sur l’avenir. Hors les fuites dont on parle le retiennent comme des chaînes et des boulets. J’ai peur qu’il finisse par se noyer, par confondre réalité et ‘fiction’. Je cherche simplement à visiter ces étranges cauchemars et trouver un moyen de les rendre aussi inoffensifs et vulnérables sous son regard qu’un hérigivre en été. »

Prunendu lui prit les mains, glissa les doigts sur ses coussinets doux et chauds.

« - Aide moi. Soit mon guide et ma lumière pour clore ce chapitre une bonne fois pour toute. Aide moi à dresser pour de bon une protection infaillible. Je suis béni par l’Hippocampe, je peux modifier, voire totalement effacer ses souvenirs. Tu dis ne pas avoir la force, mais tu n’es plus seul. Nous pouvons naviguer ensemble, n’est-ce pas ? »

Il pressa son front au sien. Frotta le sommet de son museau à son nez.

« - Et nous le ferons. Nous allons offrir à Ivanyr la vie qu’il mérite. Celle que tu méritais sur l’ancien continent et qui t’a été si longtemps refusée. Laisse moi t’offrir ton repos, Achroma. Nous ferons des séances espacées et j’aimerai que tu sois là à chaque fois. Enseigne moi qui tu étais afin que je puisse protéger Ivanyr de lui-même. »

Purnendu plongea son regard dans le sien sans faillir.

« - Nous serons prudent et nous réussirons. »

Une promesse, dans un lieu qui était le symbole même de cette valeur.

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