Début Septembre de l'an 7 de l'ère d'Obsidienne
Septembre venait de débuter et la touffeur humide de l’été ne s’était pas encore dissipée, rendant l’atmosphère étouffante. Les épais nuages laissaient présager un violent orage et, à chaque instant, on s’attendait à voir un éclair déchirer le firmament et des trombes d’eau se répandre sur la ville.
A la nuit tombée, la pâle lueur de lune nimbait la cité d’un halo argenté, lui conférant une ambiance à la fois mystérieuse et lugubre. Aldaria la lumineuse, la fière cité aux murailles immaculées semblait métamorphosée…Ce n’était plus la ville aux beaux jardins, au splendide palais et aux luxueuses résidences des nobles et des riches bourgeois. Dès le coucher du soleil ce lieu, qui faisait autrefois la fierté de Korentin Kohan, arborait un tout autre visage, comme si les masques tombaient et révélaient ce qui se dissimulait dans la pénombre des bas-fonds.
Les artères miteuses représentaient le terrain de jeu et le lieu de prédilection d’une faune glauque et bigarrée. Aldaria la blanche n’était pas une ville innocente et pure et possédait aussi ses pauvres, ses déshérités et ses créatures de l'ombre. La nuit la transfigurait et ses quartiers malfamés grouillaient d’une foule de catins, de mendiants, de voleurs et de brigands.
Et quiconque osait s’aventurer dans ses entrailles risquait de finir la gorge tranchée ou noyé dans les eaux sales du fleuve. L’atmosphère de cette fin d’été était électrique, en particulier dans le quartier des plaisirs qui abritait tant de maisons closes, car depuis quelques mois, un mystérieux assassin rôdait en ces lieux. Il ne s’agissait point de l’un de ces vils bandits ou d’un quelconque ivrogne qui s’en prenait régulièrement aux filles de joie, mais d’un être sombre, aussi furtif qu’une ombre et qui n’abandonnait derrière lui qu’une mare écarlate.
Ces crimes abjects lui valurent le surnom de la « Mort Rouge ». Nul ne savait où et quand il frapperait mais tel un loup affamé, ce dernier dévorait ses proies. Ses victimes étaient toutes jeunes et belles, modestes filles du peuple, prostituées, servantes ou bourgeoises. Il se murmurait que les plus ravissantes des nobles pouvaient devenir une cible de choix pour ce criminel qui, tel un esthète, élevait la mort et la hideur du sang au rang d’art macabre. Car cet être sanguinaire ne se contentait pas de tuer ses proies, il les séquestrait et les torturait selon un étrange rituel, mutilant sauvagement leurs corps, avant de les achever. S’agissait-il d’un esprit en proie à la folie ou d'un génie du mal ? Nul ne savait car son identité demeurait inconnue et personne n’était parvenu à mettre fin à sa folie meurtrière. Mais l’unique certitude était que tant que ce monstre vivrait, aucune jeune fille Aldarienne ne connaîtrait la quiétude et la sécurité.
C’est par cette nuit lugubre, à l’atmosphère glauque, que Nolan décida de sortir à l'extérieur, échappant à la surveillance des lames écarlates. Son cœur était gonflé d’inquiétude car quelques heures auparavant, ce dernier avait surpris une conversation entre plusieurs servantes. Une domestique, affectée à son service, et nommée Rosalie s’était rendue en ville pour effectuer une course, mais personne ne l’avait revenue depuis lors…Celle-ci semblait s’être évaporée….
En raison de la présence de ce tueur de femmes à Aldaria, elles éprouvaient une vive angoisse à son sujet. Le petit prince connaissait Rosalie, une frêle jeune fille, à la chevelure aussi blonde que l’été, aux yeux de saphirs et au visage angélique. Celui-ci appréciait sa douceur et son infinie bonté et craignait qu’elle n’ait été enlevée par la Mort Rouge…Hélas, si tel était le cas, le sort de la malheureuse serait bientôt scellé, car ce tueur, assoiffé de sang, n’épargnait jamais ses victimes…
Un frisson d’horreur lui parcourut l’échine à cette idée. Non ! Il ne pouvait pas laisser une telle ignominie se produire et devait partir à son secours.
A la faveur de la nuit, le jeune Kohan se glissa hors de sa chambre, à pas feutrés, abandonnant la sécurité du palais, pour gagner les bas-fonds d’Aldaria. Ce dernier avait pris soin de revêtir des vêtements simples, car ses riches atours attireraient trop l’attention, et enfila par-dessus une longue cape, dont il rabattit la capuche sur sa tête pour dissimuler ses traits. En effet, son visage princier ne passerait certainement pas inaperçu et, si en temps ordinaires, celui-ci appréciait de voir les regards se tourner vers lui ; en ce moment, c’était la dernière chose qu’il souhaitait.
Afin d’enquêter et de trouver le moindre indice sur la Mort Rouge, le jeune Kohan se rendit dans le quartier des plaisirs d’Aldaria, un endroit sombre et très malsain. Les venelles obscures regorgeaient d’une multitude de prostituées, qui fixaient les badauds d’un air aguicheur, et dont les tenues légères dévoilaient des gorges rondes et lactescentes. Leurs visages arboraient un maquillage outrancier et leurs lèvres pulpeuses, aussi rouges que le sang, évoquaient le fruit venimeux de la tentation…
- Hé gamin ! ça t’intéresse de passer la nuit entre mes cuisses ? t’inquiète j’te ferai un prix ! s’écria l’une d’entre-elle à l’attention de Nolan.
Mal-à-l’aise, l'adolescent détourna le regard de ces vénustés provocantes et tenta de se frayer un chemin à travers ce labyrinthe de venelles obscures. Dans les tavernes et les maisons closes alentours, le rire gras d’hommes résonnaient et des éclats de voix parvenaient à ses oreilles. A présent, la ville était devenue le royaume des bandits, des malandrins, des catins et des assassins. Parmi eux, ce dernier ne représentait plus qu’un intrus qui risquait de graves ennuis si son identité venait à être découverte. Après tout détenir l’héritier princier était l’occasion de réclamer une solide rançon.
Pourtant, le jeune garçon était déterminé à retrouver la trace de Rosalie et de la Mort Rouge afin de faire cesser ses sinistres agissements. Mais comment retrouver seul la trace d’une jeune fille et d’un assassin dans les méandres de la cité ? Cela ressemblait à rechercher une aiguille dans une botte de foin…
En proie à cette pensée, le jeune prince continua cependant à avancer à travers l’obscurité du quartier du plaisir, tentant d’éviter de se faire racoler par les ribaudes et bousculer par les ivrognes.
Je déambulais dans les venelles sombres du quartier des plaisirs, scrutant les visages fardés des catins et des passantes, dans l’espoir de reconnaître celui de Rosalie, et réajustais la capuche de ma cape afin d’éviter le regard des curieux.
L’obscurité nocturne accentuait l’atmosphère glauque et sulfureuse de ce lieu qui, dès le coucher du soleil, s’emplissait d’une population grouillante et peu recommandable. A travers les fenêtres des tavernes et des bordels, filtraient de la lumière et quelques torches rougeâtres éclairaient les rues étroites, plongées dans la semi-pénombre.
Marchant d’un pas rapide, je coudoyais pour me frayer un passage parmi les badauds et les ivrognes, désespérant de retrouver la trace de celle que je recherchais…
Cet endroit abritait tant de tavernes, d’auberges et de bordels que je ne savais pas par où débuter ma quête. Après une longue pérégrination dans ce quartier malfamé, j’éprouvais la désagréable sensation de tourner en rond et le découragement commença à me gagner peu à peu.
Comment retrouver la trace d’une jeune fille lorsqu’on ignorait tout du monde de la nuit, de ses pièges et de ses mystères ?
Mes yeux mordorés tombèrent sur le profil d’une jeune prostituée qui, se sentant observée, tourna la tête dans ma direction et me gratifia d’un clin d’œil et d’un sourire aguicheur. Intimidé et indécis, je n’osais guère m’avancer vers elle afin de la questionner à propos de Rosalie…Du reste, accepterait-elle de me répondre ?
Je m’empressais donc de reprendre ma route, en songeant avec amertume que j’avais eu tort de me lancer dans cette traque à l’assassin, alors les indices dont je disposais étaient bien maigres…
Certes, je n’ignorais pas le goût de la Mort Rouge pour les domestiques et les filles de joie et j’espérais que quelqu’un dans l’une de ces tavernes ou ces bordels possédait l’une ou l’autre information à son sujet. Pour m’encourager, je me répétais intérieurement qu’il ne pouvait guère en être autrement. Du moins, c’était ce que je souhaitais de toute mon âme.
Ce lieu regorgeait de tant de malfrats, de voleurs et de catins, quelqu’un avait forcément vu ou entendu quelque chose…Et saurait renseigner celui prêt à le gratifier de quelques piécettes ou qui se montrerait suffisamment habile ou persuasif.
Soudain, j’entendis une voix féminine résonner derrière moi et je sursautais à l’emploi du mot « sir ». Certes, je me doutais que mon déguisement de fortune ne dissimulerait pas mon identité aux regards les plus perspicaces. Cependant, je ne m’attendais pas à être démasqué ni abordé de la sorte et ma fierté s’en trouva égratignée.
En me retournant, j’aperçus la frêle silhouette d’une adolescente, à la chevelure aussi blanche que la neige et dont les prunelles rubicondes me fixaient avec intensité. Son visage opalescent, aux traits délicats, m’évoqua irrésistiblement celui d’une poupée de porcelaine. A la vue de cette beauté juvénile, à la fois gracile et ténébreuse, un frisson me parcourut l’échine, bien qu’aucune hostilité n’émana d’elle.
Qui était-elle et que désirait-elle ? Sans compter que la mystérieuse inconnue avait deviné que j’étais à la recherche d’une personne disparue…
Je tentais de retrouver une certaine contenance et répondit, en arborant un masque de calme assuré, et un léger sourire :
- Il semblerait que mon plan pour me promener incognito dans le quartier des plaisirs d’Aldaria soit un véritable fiasco. Mais dites-moi, vous n’avez pas les yeux dans vos poches et possédez, je dois bien l’avouer un sens de l’observation très aiguisé. Je suis en effet à la recherche de quelqu’un, d’une jeune fille plus précisément…
Tout d’un coup, je pris conscience que mes paroles pouvaient paraître équivoques et prêter à confusion dans un tel contexte et je m’empressais d’ajouter :
- Mais ne vous méprenez pas ! Je ne suis point à la recherche de galante compagnie ! Je recherche une jeune domestique du palais qui a disparu depuis hier dans des circonstances troubles…
Profitant de l’occasion, je me hasardais à demander :
- D’ailleurs puisque vous paraissez très douée pour remarquer les individus suspects, peut-être l’avez vu vous croisé, elle est jeune, très jolie, blonde aux yeux bleus et portait une robe de soubrette bleue marine, ornée des armoiries du palais…Je doute qu’elle puisse passer inaperçue…Et j’étais venu en ce lieu, espérant récolter quelques indices à son sujet. Pour l’instant ma recherche s’avère infructueuse, mais je pense n’être guère doué dans ce rôle d’enquêteur, tout comme je peine à passer inaperçu….
Puis je contemplais la jeune vampiresse avec une curiosité fascinée, tant son charmant minois paraissait venir d’un autre monde.
- Je crois n’avoir nul besoin de me présenter, mais pourrais-je savoir à qui ai-je l’honneur de parler ?
A travers la pénombre nocturne, au milieu de cette myriade de tristes sires et de catins, surgit une mystérieuse jeune fille, aux yeux aussi rouges que des pierreries flamboyantes, comme envoyée par une quelconque providence.
Qui était-elle ? Je l’ignorais car son visage m’était inconnu et, bien que peu physionomiste, je me serais souvenu de cette beauté si singulière qu’elle paraissait venue d’un autre monde. Mon intuition me disait qu’elle différait des créatures patibulaires qui évoluaient autour de nous, malgré l’aura ténébreuse qui l’entourait.
Son teint de porcelaine et son regard de sang suggérait une origine vampirique. La jeune fille prit ensuite la parole, s’exprimant avec une franche assurance qui contrastait avec ses traits poupins. Ses propos me firent hausser un sourcil étonné et mes lèvres esquissèrent un sourire. Pour surprenants qu’ils étaient, je ne m’en sentis point offusqué et me contentais de répondre :
- En général, je n’ai guère besoin de me présenter, mais vous avez raison, il s’agit d’une preuve élémentaire de politesse. Toutefois, étant donné les circonstances, j’avoue que demeurer incognito ne me dérange pas, au contraire. Parfois, je me prends même à rêver de pouvoir me balader dans la ville, tête nue, sans être reconnu par quiconque.
Puis dardant, mes prunelles dorées dans les rubis de la belle, je poursuivis amusé :
- Ainsi on vous nomme « princesse ». Quelle coïncidence ! figurez-vous, chose incroyable, on ne nomme également Prince. Cela nous fait donc un point commun. Quant à mon impertinence et mon manque de subtilité, que voulez-vous, j’ai été si troublé par l’éclat de vos grands yeux que j’en ai oublié mes bonnes manières. Du reste, prendre le temps de vous connaitre et conserver un certain mystère en ce qui vous concerne peut avoir du bon.
Dès après, la petite femme, guère plus grande qu’une fillette de treize ans, prit la tête des opérations, se dirigeant d’un bon pas, plus digne d’un chef de guerre que d’une gracile demoiselle, en direction d’une taverne.
Certes, vu sous cet angle, je comprenais pourquoi celle-ci était nommée « Princesse », elle en avait les grands airs et les manières. Et bien qu’encore inexpérimenté de la gente féminine et de leurs caprices, en raison de ma jeunesse, je pressentais que cette dernière possédait un tempérament de fer, et que je ne risquais pas d’en croiser de cette espèce tous les jours. Aussi décidais-je de la suivre, n’ayant guère d’autre alternative et estimant que cette rencontre fortuite pouvait m’aider à retrouver la trace de Rosalie.
Cependant, mon esprit aguerri aux intrigues qui régnaient à la cours, et déjà avisé des bassesses de la nature humaine, savait qu’en ce bas monde rien n’était jamais gratuit…
Si chacun avait un prix, quel serait le sien ? Car en dépit de mon jeune âge, je n’étais pas assez naïf pour croire que cette jouvencelle inconnue œuvrait par pure charité…Et si je demeurais ignorant des subtilités des quartiers malfamés, mon instinct me disait que la vilenie et la ruse, étaient communes à tous les êtres, peu importe leur condition sociale, et que la courtisane comme la putain pouvaient en faire l’emploi pour parvenir à leurs fins. Seules leurs méthodes différaient.
Une fois à l’intérieur de la taverne, qui à mes yeux, ressemblait plus à une bauge infecte qu’à un endroit où passer la nuit ; Irina s’adressa au propriétaire des lieux qui nous donna la consigne de monter dans l’une des chambres.
Je suivis la « princesse » jusqu’à une petite pièce, guère plus grande qu’un débarras, qui comportait un mobilier rudimentaire, composé d’un lit, d’une armoire et d’une chaise. Toutefois étant donné la réputation de ce quartier sulfureux, il n’en fallait guère plus pour l’activité à laquelle la plupart des clients de ce cloaque se livraient.
Une fois dans la sécurité de ce lieu, la dame au regard écarlate décida de remettre les choses dans l’ordre et, tel un détective, commença à formuler diverses hypothèses concernant ma recherche :
A ces paroles, je répondis avec un sourire entendu :
- Déductions tout à fait remarquables, En effet, ce n’est pas une habituée de ce genre de lieux, mais j’ai de bonnes raisons de croire qu’elle puisse être retenue contre son gré et que ce quartier puisse comporter quelques indices qui m’aiguilleront dans la bonne direction. Celle que je recherche vit au palais et elle devait effectuer une course, les dernières personnes qui l’ont vu sont les servantes. Et sa disparition remonte à hier au soir. Ce qui est inquiétant étant donné que ce n’est guère dans ses habitudes de trainer dehors et qu’elle devait rentrer avant le coucher du soleil…
Puis je poursuivis tout en gardant le regard rivé sur la fille aux mires pourpres :
- Des gardes et des miliciens sont partis à sa recherche et ont tenté de reconstitué son itinéraire, à la recherche de quelques indices ou de témoins susceptibles de l’avoir vu. Hélas, ceux-ci sont revenus bredouilles et elle semble presque s’être évaporée…Pourtant, mon intuition me dit que ces traces mènent ici et qu’en ce lieu de perdition où tout se monnaye, des langues se délieront et des témoins feront leurs apparitions pour qui sait y mettre le prix ou se montrer suffisamment habile ou persuasif pour soutirer des informations. Sans compter qu’une servante vêtue d’une tenue brodée des insignes du palais et dotée d’une telle beauté ne passe pas inaperçue. Mon avis est que quelqu’un a forcément vu ou entendu quelque chose mais que pour retrouver sa trace, il faudra faire appel à des méthodes « non conventionnelles ». Mais le temps presse et j’ai peur que si nous tardons à la délivrer, nous ne retrouvions que son cadavre…
La remarque suivante de la « princesse » s’avéra également exacte, mais ce n’était guère difficile à deviner. Après tout, je n’étais pas des plus discrets et ma maladresse, qui révélait mon manque d’aisance à évoluer dans le monde de la nuit, ne pouvait guère échapper à l’œil aiguisé d’un bon observateur.
- En effet, j’appartiens à un monde de lumières où il faut se faire voir le plus possible et où la frivolité et le paraître règnent en maître. A l’opposé de cet univers de ténèbres où seule compte la loi du plus fort et où il faut faire profil bas si l’on désire survivre…Je crois que je n’ai guère d’autre choix que de m’y adapter.
Après cela, la jeune fille s’allongea sur le lit, attendant que je prenne une décision quant à la suite des opérations. Je demeurais silencieux, réfléchissant à quelle pourrait être la meilleure option pour retrouver Rosalie, saine et sauve, et alors que je m’apprêtais à prendre la parole ; j’entendis plusieurs coups, frappés faiblement contre la paroi du mur.
Je m’approchais et entendit une voix féminine, parlant si bas qu’elle semblait presque inaudible, et venant de la chambre d’à côté :
- Mademoiselle, Messire, écoutez-moi je vous en prie. Vous courrez tous les deux un très grand danger. Après votre départ, j’ai vu le tavernier se frotter les mains et arborer le sourire qu’il a quand il sent qu’il a flairé une bonne affaire…J’ai une chose importante à vous dire, cet homme est un monstre…Lorsqu’il croit avoir affaire à un client, qui possède un peu d’or dans sa bourse, il lui propose cette chambre pour…que celui-ci puisse faire « sa petite affaire » avec l’une ou l’autre putasse et il profite de la nuit tombée pour se rendre dans la chambre, quand tous deux sont endormis, et les trucident dans leur sommeil afin de voler la bourse d’or du client, dont le corps finira dans le fleuve. Quant à la fille, soit elle subit le même sort, soit il achète son silence avec quelques piécettes. Messire, cette crapule a remarqué que vous fixiez les filles avec attention et pense que vous désirez vous « encanailler » et ou vous dépuceler avec l’une d’entre elles et en vous voyant entrer avec cette gente demoiselle, il vous a donné à dessein cette chambre qu’il nomme « la chambre rouge ». Regardez en face de vous sur le mur, il y a une tête de sanglier empaillé…Ce n’est pas un hasard, il l’a placé là pour pouvoir espionner à travers ses « yeux » les ébats des clients ou vérifier qu’ils sont biens endormis avant de passer à l’action et d’exécuter sa monstrueuse besogne…
Je me tournais vers le mur qui se trouvait face au lit et remarquait, bel et bien, une tête de sanglier empaillé sur le mur.
La jeune fille poursuivit du même ton bas :
- J’ai entendu votre conversation et je sais que vous recherchez une jeune fille disparue…Je voudrais conclure une marché avec vous…je pense pouvoir vous aider dans votre quête car je connais la plupart des prostituées d’Aldaria, elles me font confiance et me parlerons plus facilement qu’à vous et aussi je suis informée de certaines rumeurs qui courent depuis plusieurs mois sur un individu très sombre…
A travers la paroi, je chuchotais d’une voix presque aussi basse que la sienne :
- Nous t’écoutons, que désires-tu en échange de ton aide ?
Après un bref instant de silence, elle répondit :
- Je ne désire pas d’or ni d’argent, je veux juste que vous me débarrassiez de ce monstre qui m’oppresse depuis tant d’années. Mon nom est Marjolaine et je viens d’un village pauvre, situé aux environs d’Aldaria. Rêvant d’une vie meilleure, je suis venue en ville, espérant y trouver un emploi comme servante ou domestique dans une riche demeure et gagner un bon moyen de subsistance. En arrivant, jeune et naïve, j’ai fait la rencontre de cet homme qui m’a proposé de devenir servante dans sa taverne, me faisant miroiter de bons pourboires et le fait d’être logée et nourrie. Bien entendue, j’ai accepté et mal m’en pris car la suite s’est rapidement transformée en cauchemars…A mon arrivée, il m’a conduit jusqu’à une petite chambre qui se trouve au sous-sol, prétextant me montrer l’endroit où j’allais dormir. Et aussitôt, il a fermé la porte à clé et m’a violée…
En racontant ses tragiques aventures, la voix de Marjolaine s’était brisée et des sanglots résonnèrent de l’autre côté du mur ; mais peu à peu, elle retrouva suffisamment de calme pour poursuivre son histoire.
- Mais ce que j’ignorais à ce moment-là c’est que mon calvaire ne faisait que commencer…Dès le lendemain, il vint me voir et me dit que dorénavant je lui appartenais et que je devais coucher avec des clients si celui-ci me l’ordonnait…Je refusais et il se mit à me battre. Puis, il me laissa seule dans cette pièce souterraine, me donnant à peine à manger et à boire, juste assez pour ne pas mourir de faim et de soif, et j’avais beau m’égosiller à crier et à frapper sur les murs jusqu’à en avoir les poings en sang. Nul ne m’entendait du dehors et nul ne pouvait me délivrer de mon sinistre geôlier…Sans oublier qu’il venait régulièrement me violer afin de m’apprendre la soumission et la condition d’esclave qui désormais serait la mienne. Lorsqu’il estima avoir brisé ma volonté, il « m’offrit » à plusieurs de ses clients et me fit travailler pour lui et racoler des hommes dans la rue afin de les attirer dans sa taverne. Ce monstre allât même jusqu’à me rendre complice de ses meurtres en me faisant servir d’appât à des hommes un peu plus fortunés et en les enivrant pour qu’il puisse les assassiner dans leur sommeil. Bien sûr, j’ai déjà tenté de m’enfuir mais il m’a rattrapée et m’a battu si sauvagement que j’en ai eu plusieurs côtes brisées et il m’a dit que la prochaine fois, mon corps finirait dans le fleuve…Depuis lors, j’ai si peur que je n’ose plus tenter quoique ce soit…Vous seuls pouvez m’aider, mais prenez garde l’homme est rusé et il vaut mieux le prendre à son propre jeu…
En entendant le récit de l’infortunée jeune fille, je sentis mon sang bouillonner de rage dans mes veines. Comment pouvait-on faire preuve d’une telle cruauté à l’égard d’une créature sans défense ? Je ressentais le violent désir de m’emparer de mon épée et de descendre occire ce misérable, dont les crimes m’emplissaient de répulsion…Néanmoins, ma raison me soufflait que cela ne serait probablement pas la meilleure attitude à adopter et que l’ignoble personnage avait peut-être des acolytes, prêts à nous égorger si nous agissions à découvert.
M’éloignant du mur, je m’avançais vers la « princesse » toujours allongée sur le lit et lui demandait en lui murmurant à l’oreille:
- Cette sombre histoire me soulève le cœur, mais je suis d’avis que nous ne pouvons pas l’abandonner à son triste sort…Sans oublier qu’elle peut nous être d’une grande utilité de par sa connaissance des bas-fonds d’Aldaria. Je pense également que nous ferions mieux d’utiliser la ruse et de faire croire au tavernier que nous nous sommes endormis après une nuit d’ébats afin de l’attirer dans son piège et de jouir de l’effet de surprise…
Pendant que Marjolaine contait le sinistre récit de sa captivité, je sentis la vampiresse m’attirer vers elle, afin de guider mes gestes et feindre le plaisir dans le but de tromper l’ignoble tavernier. Durant toute cette mise-en-scène, je ressentis une certaine gêne, mêlée de crainte et mon cœur se mit à battre à tout rompre dans ma poitrine. Me retrouver seul à seul, dans la pénombre de la chambre, en compagnie de cette mystérieuse jeune fille aux yeux de braise mais à la peau de glace me déconcertait. C’était la première fois que je me retrouvais seul avec une femme, dans une situation si troublante, mais pour retrouver Rosalie j’étais prêt à jouer le jeu, dans une certaine limite bien entendu. Je n’avais nullement l’intention d’aller trop loin dans cette mascarade.
Lorsque la princesse estima qu’elle en avait fait assez pour tromper l’aubergiste, elle se tourna vers moi et me dit d’un ton acéré, en déposant un doigt sur mes lèvres, qu’elle n’était guère une fille facile à avoir :
Piqué au vif et rougissant face à cette méprise, je m’entendis répondre avec fougue :
- Mon unique but est de retrouver Rosalie et non point de me livrer à quelque acte de lubricité ! Je ne suis point homme à user de la ruse pour séduire une jeune fille et du reste je n’éprouverais aucun plaisir si celui-ci n’était pas partagé ni n’en retirerait aucune fierté. Croyez-le ou non mais je ne désirais pas aller plus loin que nécessaire pour attirer notre homme dans un guet-apens. Si conquête il doit y avoir, il faut que je sois moi-même conquis au préalable et je n’emploierais jamais des moyens déloyaux ou irrespectueux pour gagner le cœur d’une dame.
Puis je haussais un sourcil incrédule en l’entendant parler de vin :
- Du vin ma chère ? Ne s’agirait-il pas plutôt du sang de cette crapule dont vous désirez vous abreuver ? Car si j’en juge par votre peau glacée, vos yeux de sang et l’aura ténébreuse qui vous entoure, vous n’êtes probablement pas une humaine. Enfin soit, cet homme est un monstre et ce n'est surement pas moi qui désire voir une telle énergumène demeurer en vie. D’ailleurs, si j’avais écouté ma colère, je serais descendu l’occire avant la fin du récit de Marjolaine.
Néanmoins, je descendis quérir l’aubergiste et lorsque j’aperçus son regard fourbe et sa mine chafouine, je sentis un frisson de répulsion me parcourir l’échine. Ce dernier m’adressa un sourire entendu :
- On dirait bien que la demoiselle a passé un bon moment, du moins si j’en crois les gémissements qui parvenaient jusqu’à mes oreilles. Il semblerait que pour sa première fois le jeune messire se soit montré très vigoureux.
J’esquissais un sourire amusé en le fixant droit dans les yeux, songeant que ce gredin ne se doutait de rien. Si seulement celui-ci savait que j’étais aussi vierge en sortant de cette chambre qu’en y entrant.
- Mon amie désire que vous montiez, en apportant votre meilleur vin car elle désire passer une nuit mémorable. Elle n’est pas encore rassasiée des plaisirs de la nuit, mais je vous préviens c’est une femme exigeante et difficile à contenter, un seul homme ne peut lui suffire.
Le tavernier afficha un large sourire, et une lueur lubrique s’alluma dans ses prunelles sombres :
- Dans ce cas, montons là-haut tous les deux afin de la combler comme elle le mérite.
L’homme prit du vin et me suivit jusqu’à la pièce où nous attendais la princesse aux cheveux immaculés. Apparemment ce porc avait mordu à l’hameçon et la perspective d’assouvir ses désirs charnels lui faisait oublier toute prudence.
A notre arrivée, je remarquais que la jeune fille avait dévoilé certains de ses atouts physiques afin d’appâter sa proie. Par pudeur, je détournais mon regard mordoré, évitant de fixer les courbes de son corps. Dès après, celle-ci prit la parole, usant d’un ton enjôleur et de la séduction que lui conférait sa troublante beauté.
J’assistais à la scène, mi- amusé, mi- incrédule, encore un peu ignorant de ces jeux d’adulte en raison de ma jeunesse. Telle une araignée, emprisonnant sa proie dans sa toile, la princesse profita de la faiblesse de l’homme, occupé à lorgner son décolleté pour lui soutirer des informations de la plus haute importance sur cet assassin qu’on nommait la Mort Rouge. Par la même occasion, elle révéla sa véritable identité, elle était la princesse des catins de la cour des miracles. Certaines rumeurs évoquaient cette organisation criminelle basée à Gloria et étaient parvenues jusqu'à mes oreilles. Ainsi cette jouvencelle au visage de porcelaine en faisait partie…
Mon cœur ne fit qu’un bond dans ma poitrine quand j’entendis que la Mort rouge venait de trouver sa dixième proie la veille. Cela ne pouvait être que Rosalie ! Comme je l’avais craint tous les indices menaient à ce sombre tueur…Et il fallait faire vite si on ne désirait pas retrouver les restes de son cadavre, comme toutes les autres victimes !
C’est alors qu’Irina demanda à l’aubergiste s’il acceptait de lui vendre son établissement et elle me prit à témoin de cette douteuse transaction. Visiblement, le bougre pensait faire une bonne affaire et semblait désireux de quitter la cité, peut-être en raison de la menace que représentait l’assassin, ce qui a dire vrai, ne devait pas être très bon pour ses affaires.
Je hochais la tête et répondit :
- J’en suis témoin.
Et une fois le marché conclu, la princesse des catins s’empara d’une dague et avant que l’homme ait pu faire le moindre geste, elle plaqua sa main sur sa bouche et pourfendit son ventre, l’ouvrant jusqu’au cœur.
Le sang gicla, maculant la robe de la demoiselle des ténèbres qui afficha ouvertement son dégout. Moi-même, je sentis la nausée m’envahir en contemplant ce corps éviscéré, baignant dans une mare de sang.
Cependant, je n’éprouvais aucune compassion à son égard, ressentant au contraire un certain soulagement à l’idée que ce porc ne pourrait plus jamais violenter aucune femme.
Tenant toujours sa dague à la main, la princesse aux yeux de feu se tourna vers moi et m’appelant par mon véritable nom, elle me dit que pour coucher avec elle il fallait plus que des tromperies ou des flatteries et qu’il n’était pas dit que je puisse revoir ses charmes de sitôt.
- Ainsi il semblerait que nos identités respectives ne soient plus un secret, dis-je avec un petit sourire. Au moins nous n’aurons plus besoin de jouer une quelconque comédie.
Puis je plongeais mes prunelles d’or dans ses yeux de rubis :
- Et apprenez que pour naisse en moi le désir de coucher avec une femme, il en faut bien plus qu’un beau visage ou des courbes voluptueuses. Il faut une âme capable de me ravir car pour moi, il s’agit de l’union de deux cœurs avant d’être celle de deux corps. Et il n’est pas dit que vous réussissiez à obtenir le mien. Quant à apprendre le jeu de l’amour, je le ferai le moment venu et avec celle que j’aurais choisi car elle aura su me séduire. Je ne suis pas le genre d’homme à juste vouloir assouvir mes désirs charnels et à user de la ruse ou de flatterie et encore moins de la force pour parvenir à mes fins.
En cela, je me sentais terriblement différent du porc étendu sur le sol et qui représentait l’opprobre du genre masculin.
Tout d’un coup, j’aperçus une clé qui pendait à sa ceinture et je me baissais pour m’en emparer avant de me rendre dans le couloir et de l’enfoncer dans la serrure de la chambre d’à-côté. Lorsque la porte s’ouvrit, j’aperçus une jeune fille, à la longue chevelure brune et bouclée et aux yeux gris-vert.
En me voyant approcher, elle me gratifia d’un sourire timide et dit :
- Merci messire, vous m’avez délivré de ce monstre ! Comme il l’a dit des rumeurs courent en ville sur ce tueur, certains disent qu’il enlève ses proies et les retient captives dans une cachette que nul ne connait, un repaire gardé secret. Pourtant, à Aldaria certaines personnes sont très bien informées et pourraient vous aider à récolter des indices afin de retrouver sa trace, mais de grâce soyez prudent il est très dangereux ! Il y a un espion nommé « la fouine » qui est toujours au courant de tout et est les yeux et les oreilles de cette ville. C’est un vampire, j’ignore où on peut le trouver mais je sais qui peut vous renseignez. Il y a dans une maison de passe, une mère maquerelle nommée Sophy la borgne, et c’est une femme très cruelle et manipulatrice, mais si vous savez la persuadée elle vous indiquera comment trouver cet espion. Je peux vous conduire jusqu’à elle, mais en échange je veux que vous m’emmeniez loin d’ici. Si je devais encore me prostituer, je préférerai encore m’ouvrir les veines !
J’acquiesçais d’un hochement de tête :
- C’est d’accord, je t’emmène avec moi et te prendrais à mon service. Ensuite, j’ouvris les portes des autres chambres d’où sortirent des dizaines de jeunes filles et toutes poussèrent des exclamations de joie en voyant le cadavre du tavernier.
Après cela, je proposais à la princesse de suivre Marjolaine afin de récolter des indices dans cette chasse à l’assassin.
Septembre venait de débuter et la touffeur humide de l’été ne s’était pas encore dissipée, rendant l’atmosphère étouffante. Les épais nuages laissaient présager un violent orage et, à chaque instant, on s’attendait à voir un éclair déchirer le firmament et des trombes d’eau se répandre sur la ville.
A la nuit tombée, la pâle lueur de lune nimbait la cité d’un halo argenté, lui conférant une ambiance à la fois mystérieuse et lugubre. Aldaria la lumineuse, la fière cité aux murailles immaculées semblait métamorphosée…Ce n’était plus la ville aux beaux jardins, au splendide palais et aux luxueuses résidences des nobles et des riches bourgeois. Dès le coucher du soleil ce lieu, qui faisait autrefois la fierté de Korentin Kohan, arborait un tout autre visage, comme si les masques tombaient et révélaient ce qui se dissimulait dans la pénombre des bas-fonds.
Les artères miteuses représentaient le terrain de jeu et le lieu de prédilection d’une faune glauque et bigarrée. Aldaria la blanche n’était pas une ville innocente et pure et possédait aussi ses pauvres, ses déshérités et ses créatures de l'ombre. La nuit la transfigurait et ses quartiers malfamés grouillaient d’une foule de catins, de mendiants, de voleurs et de brigands.
Et quiconque osait s’aventurer dans ses entrailles risquait de finir la gorge tranchée ou noyé dans les eaux sales du fleuve. L’atmosphère de cette fin d’été était électrique, en particulier dans le quartier des plaisirs qui abritait tant de maisons closes, car depuis quelques mois, un mystérieux assassin rôdait en ces lieux. Il ne s’agissait point de l’un de ces vils bandits ou d’un quelconque ivrogne qui s’en prenait régulièrement aux filles de joie, mais d’un être sombre, aussi furtif qu’une ombre et qui n’abandonnait derrière lui qu’une mare écarlate.
Ces crimes abjects lui valurent le surnom de la « Mort Rouge ». Nul ne savait où et quand il frapperait mais tel un loup affamé, ce dernier dévorait ses proies. Ses victimes étaient toutes jeunes et belles, modestes filles du peuple, prostituées, servantes ou bourgeoises. Il se murmurait que les plus ravissantes des nobles pouvaient devenir une cible de choix pour ce criminel qui, tel un esthète, élevait la mort et la hideur du sang au rang d’art macabre. Car cet être sanguinaire ne se contentait pas de tuer ses proies, il les séquestrait et les torturait selon un étrange rituel, mutilant sauvagement leurs corps, avant de les achever. S’agissait-il d’un esprit en proie à la folie ou d'un génie du mal ? Nul ne savait car son identité demeurait inconnue et personne n’était parvenu à mettre fin à sa folie meurtrière. Mais l’unique certitude était que tant que ce monstre vivrait, aucune jeune fille Aldarienne ne connaîtrait la quiétude et la sécurité.
C’est par cette nuit lugubre, à l’atmosphère glauque, que Nolan décida de sortir à l'extérieur, échappant à la surveillance des lames écarlates. Son cœur était gonflé d’inquiétude car quelques heures auparavant, ce dernier avait surpris une conversation entre plusieurs servantes. Une domestique, affectée à son service, et nommée Rosalie s’était rendue en ville pour effectuer une course, mais personne ne l’avait revenue depuis lors…Celle-ci semblait s’être évaporée….
En raison de la présence de ce tueur de femmes à Aldaria, elles éprouvaient une vive angoisse à son sujet. Le petit prince connaissait Rosalie, une frêle jeune fille, à la chevelure aussi blonde que l’été, aux yeux de saphirs et au visage angélique. Celui-ci appréciait sa douceur et son infinie bonté et craignait qu’elle n’ait été enlevée par la Mort Rouge…Hélas, si tel était le cas, le sort de la malheureuse serait bientôt scellé, car ce tueur, assoiffé de sang, n’épargnait jamais ses victimes…
Un frisson d’horreur lui parcourut l’échine à cette idée. Non ! Il ne pouvait pas laisser une telle ignominie se produire et devait partir à son secours.
A la faveur de la nuit, le jeune Kohan se glissa hors de sa chambre, à pas feutrés, abandonnant la sécurité du palais, pour gagner les bas-fonds d’Aldaria. Ce dernier avait pris soin de revêtir des vêtements simples, car ses riches atours attireraient trop l’attention, et enfila par-dessus une longue cape, dont il rabattit la capuche sur sa tête pour dissimuler ses traits. En effet, son visage princier ne passerait certainement pas inaperçu et, si en temps ordinaires, celui-ci appréciait de voir les regards se tourner vers lui ; en ce moment, c’était la dernière chose qu’il souhaitait.
Afin d’enquêter et de trouver le moindre indice sur la Mort Rouge, le jeune Kohan se rendit dans le quartier des plaisirs d’Aldaria, un endroit sombre et très malsain. Les venelles obscures regorgeaient d’une multitude de prostituées, qui fixaient les badauds d’un air aguicheur, et dont les tenues légères dévoilaient des gorges rondes et lactescentes. Leurs visages arboraient un maquillage outrancier et leurs lèvres pulpeuses, aussi rouges que le sang, évoquaient le fruit venimeux de la tentation…
- Hé gamin ! ça t’intéresse de passer la nuit entre mes cuisses ? t’inquiète j’te ferai un prix ! s’écria l’une d’entre-elle à l’attention de Nolan.
Mal-à-l’aise, l'adolescent détourna le regard de ces vénustés provocantes et tenta de se frayer un chemin à travers ce labyrinthe de venelles obscures. Dans les tavernes et les maisons closes alentours, le rire gras d’hommes résonnaient et des éclats de voix parvenaient à ses oreilles. A présent, la ville était devenue le royaume des bandits, des malandrins, des catins et des assassins. Parmi eux, ce dernier ne représentait plus qu’un intrus qui risquait de graves ennuis si son identité venait à être découverte. Après tout détenir l’héritier princier était l’occasion de réclamer une solide rançon.
Pourtant, le jeune garçon était déterminé à retrouver la trace de Rosalie et de la Mort Rouge afin de faire cesser ses sinistres agissements. Mais comment retrouver seul la trace d’une jeune fille et d’un assassin dans les méandres de la cité ? Cela ressemblait à rechercher une aiguille dans une botte de foin…
En proie à cette pensée, le jeune prince continua cependant à avancer à travers l’obscurité du quartier du plaisir, tentant d’éviter de se faire racoler par les ribaudes et bousculer par les ivrognes.
Irina Faust a écrit:
Aldaria. Ville de faste et de lumière. Siège d'un pouvoir qui fut contestateur de celui qui résidait à Gloria. Siège de tant de changement au file du temps et de tant d'inspiration pour les humains.
Et pourtant, Aldaria, comme son aînée, Gloria, possède un domaine qui refuse de simplement se plier aux exigences des grands de ce monde. Un monde à part entière. Un monde avec ses propres règles et ses propres principes d'étiquette. Certains le qualifie de brutale et cruel. Pour moi, ce monde ne fait qu'appliquer les règles les plus élémentaires de la survie. Celles de l'efficacité, du plus malin et du plus apte.
Toutefois, il arrive que certains, parce que notre monde permet un certains nombre de liberté, se pense au dessus des autres et se mette à suivre la voie du sang et du massacre.
Je m'étais déplacée depuis mon domaine des ombres en visite de "courtoisie" chez certains de mes collaborateurs locaux. Loin d'avoir une main mise sur ce qui ce passe en cette citée de lumières et d'illusion, il me fallait parfois me déplacer par moi même pour régler un certains nombres d'affaires et rappeler à mes débiteurs que je les garde à l’œil.
Sauf qu'en arrivant, je n'ai guère tardé à entendre parler d'un individus que les locaux appelle la Mort Rouge. Un être qui s'adonnait au massacre que certains qualifie de gratuit de jeunes femmes d'origine modeste, singeant ensuite l'art en les mettant dans des situations grotesques. Un art que j'eus tôt fait de trouver personnellement vulgaire et malvenu, tandis que j'entendais les descriptifs de l'état dans lequel les corps avaient été retrouvé, lorsqu'ils étaient retrouvé plusieurs jours après leur disparition.
J'avais donc choisit de prolonger mon séjour, car un tel énergumène est en général une mauvaise représentation de notre monde, et je ne pouvais décemment pas le laisser agir plus longtemps. Les assassins passaient pour des tueurs sanguinaires à cause de lui, les voleur, souvent associé, à tord ou à raison, aux kidnapping, et avec eux, toutes les autres professions de l'ombre.
Judhein et Tirius avaient, d'un commun accord, décidés de ce joindre à moi pour cette traque.
Nous sortîmes donc de la taverne ou nous avions prit les chambres le temps de notre séjour. La nuit avait fait revêtir ses habits de lumières à la haute ville, tandis que les bas quartiers rougeoyaient à peine avec ces quelques flambeaux à droite et à gauche. Un choix courant pour ceux qui vivaient dans ces lieux, car cela nous permet bien des choses.
Je me mis a errer dans les ruelles, ma sombre dague dans le replis de l'un de mes manches, prêtes à bondir dans ma mains si je devais en avoir besoin, si la Magie ne pouvait me suffire.
Je me faufilait donc parmi les ombres, guettant celui qui était ma proie de cette nuit, mais également ce qui sortait de l'ordinaire.
Mais ce qui attira finalement mon attention, ce fut une silhouette qui avançait dans les rues en essayant de ce faire discret, dans un monde ou cela ne fait qu'attirer d'avantage l'attention. Et c'est une fille de joie qui attira encore plus l'attention sur lui, tandis qu'il s'éloignait.
Voila bien un comportement des plus étrange. Je décidais donc de le suivre un moment, ne serait ce que pour m'assurait qu'il ne s'agissait pas de ma cible qui s'avèrerait en faite n'être qu'un novice.
De rapide éclair de lumière sur son visage me permirent de voir qu'il s'agissait là d'un jeune homme, à peine à l'orée de l'âge adulte et encore dans l'enfance. Mais porteur de promesse d'une beauté à venir qui saurait, avec le temps, ravir le cœur de plus d'une femme. Il était même possible qu'il fasse rougir certaines, mais cela serait m'avancer bien loin que d'en être certains.
J'avançais donc à son rythme, à une bonne distance pour qu'il ne puisse me voir facilement, mais pas trop loin pour ne pas risquer de le perdre. Et après un moment, je déduisis rapidement qu'il n'était pas celui que je cherchais, mais plutôt qu'il était lui même en quête de quelque chose, si ce n'est quelqu'un.
Une telle silhouette pouvait être des plus appétissant pour nombre de personne. Je décida donc de m'approcher avant qu'il ne soit trop tard et qu'il tombe entre de mauvaise griffe.
Et je vins murmurer par dessus son épaule.[/i]
-Ce n'est pas ainsi que vous passerez inaperçu, Sir. Vous ne faites qu'attirer l'attention sur vous, et il est possible que celle que vous recherchez, si elle se trouve en ces lieux, ne vous échappe.
Je lui adressais un sourire amusé. Ni bienveillante ni hostile.
Je déambulais dans les venelles sombres du quartier des plaisirs, scrutant les visages fardés des catins et des passantes, dans l’espoir de reconnaître celui de Rosalie, et réajustais la capuche de ma cape afin d’éviter le regard des curieux.
L’obscurité nocturne accentuait l’atmosphère glauque et sulfureuse de ce lieu qui, dès le coucher du soleil, s’emplissait d’une population grouillante et peu recommandable. A travers les fenêtres des tavernes et des bordels, filtraient de la lumière et quelques torches rougeâtres éclairaient les rues étroites, plongées dans la semi-pénombre.
Marchant d’un pas rapide, je coudoyais pour me frayer un passage parmi les badauds et les ivrognes, désespérant de retrouver la trace de celle que je recherchais…
Cet endroit abritait tant de tavernes, d’auberges et de bordels que je ne savais pas par où débuter ma quête. Après une longue pérégrination dans ce quartier malfamé, j’éprouvais la désagréable sensation de tourner en rond et le découragement commença à me gagner peu à peu.
Comment retrouver la trace d’une jeune fille lorsqu’on ignorait tout du monde de la nuit, de ses pièges et de ses mystères ?
Mes yeux mordorés tombèrent sur le profil d’une jeune prostituée qui, se sentant observée, tourna la tête dans ma direction et me gratifia d’un clin d’œil et d’un sourire aguicheur. Intimidé et indécis, je n’osais guère m’avancer vers elle afin de la questionner à propos de Rosalie…Du reste, accepterait-elle de me répondre ?
Je m’empressais donc de reprendre ma route, en songeant avec amertume que j’avais eu tort de me lancer dans cette traque à l’assassin, alors les indices dont je disposais étaient bien maigres…
Certes, je n’ignorais pas le goût de la Mort Rouge pour les domestiques et les filles de joie et j’espérais que quelqu’un dans l’une de ces tavernes ou ces bordels possédait l’une ou l’autre information à son sujet. Pour m’encourager, je me répétais intérieurement qu’il ne pouvait guère en être autrement. Du moins, c’était ce que je souhaitais de toute mon âme.
Ce lieu regorgeait de tant de malfrats, de voleurs et de catins, quelqu’un avait forcément vu ou entendu quelque chose…Et saurait renseigner celui prêt à le gratifier de quelques piécettes ou qui se montrerait suffisamment habile ou persuasif.
Soudain, j’entendis une voix féminine résonner derrière moi et je sursautais à l’emploi du mot « sir ». Certes, je me doutais que mon déguisement de fortune ne dissimulerait pas mon identité aux regards les plus perspicaces. Cependant, je ne m’attendais pas à être démasqué ni abordé de la sorte et ma fierté s’en trouva égratignée.
En me retournant, j’aperçus la frêle silhouette d’une adolescente, à la chevelure aussi blanche que la neige et dont les prunelles rubicondes me fixaient avec intensité. Son visage opalescent, aux traits délicats, m’évoqua irrésistiblement celui d’une poupée de porcelaine. A la vue de cette beauté juvénile, à la fois gracile et ténébreuse, un frisson me parcourut l’échine, bien qu’aucune hostilité n’émana d’elle.
Qui était-elle et que désirait-elle ? Sans compter que la mystérieuse inconnue avait deviné que j’étais à la recherche d’une personne disparue…
Je tentais de retrouver une certaine contenance et répondit, en arborant un masque de calme assuré, et un léger sourire :
- Il semblerait que mon plan pour me promener incognito dans le quartier des plaisirs d’Aldaria soit un véritable fiasco. Mais dites-moi, vous n’avez pas les yeux dans vos poches et possédez, je dois bien l’avouer un sens de l’observation très aiguisé. Je suis en effet à la recherche de quelqu’un, d’une jeune fille plus précisément…
Tout d’un coup, je pris conscience que mes paroles pouvaient paraître équivoques et prêter à confusion dans un tel contexte et je m’empressais d’ajouter :
- Mais ne vous méprenez pas ! Je ne suis point à la recherche de galante compagnie ! Je recherche une jeune domestique du palais qui a disparu depuis hier dans des circonstances troubles…
Profitant de l’occasion, je me hasardais à demander :
- D’ailleurs puisque vous paraissez très douée pour remarquer les individus suspects, peut-être l’avez vu vous croisé, elle est jeune, très jolie, blonde aux yeux bleus et portait une robe de soubrette bleue marine, ornée des armoiries du palais…Je doute qu’elle puisse passer inaperçue…Et j’étais venu en ce lieu, espérant récolter quelques indices à son sujet. Pour l’instant ma recherche s’avère infructueuse, mais je pense n’être guère doué dans ce rôle d’enquêteur, tout comme je peine à passer inaperçu….
Puis je contemplais la jeune vampiresse avec une curiosité fascinée, tant son charmant minois paraissait venir d’un autre monde.
- Je crois n’avoir nul besoin de me présenter, mais pourrais-je savoir à qui ai-je l’honneur de parler ?
Irina Faust a écrit:Le monde des Ombres n'est pas un monde de tendresse. Certains se permettent certaines romance, se la joue grand seigneur et parfois, exagèrent leurs actes, mais il est des choses que ceux qui le fréquente réellement savent qu'il faut cacher.
Le jeune homme se retourna alors que je l'interpellais dans cette nuit tombée et sembla pour le moins peunôt d'avoir ainsi été percé à jour par une parfaite inconnue et aussi rapidement.
Je le regardais des pieds à la tête et hochait doucement de la tête.
Il semblait penser que les gens associeraient sa recherche à la recherche de bonne compagnie. Cela pouvait être vrai pour beaucoup. Mais je fréquentais suffisamment les filles de joies et leurs établissements pour reconnaître ceux qui veulent profiter d'une nuit de pur plaisir avec une fille d'un moment et ceux qui recherchent autre chose.
Ce jeune homme me fit ensuite la description d'une jeune femme et je ne pus m'empêcher de sourire, retenant de justesse un rire fou, tandis qu'il me demandait qui j'étais.
Je pris un instant pour réfléchir à la réponse que j'allais donner à ce jeune impudent.
-Même si vous pensez que les gens vous reconnaissent, il est toujours bon de se présenter avant de leur demander leur nom.
En d'autres circonstances, je me serais offensée de votre manque de civilité. Mais vu l'urgence de votre demande et les rumeurs qui circulent en ce moment, je vais vous accorder une exception.
L'on m'appelle Princesse. Pour en savoir plus, il va vous falloir gagner le droit de l'obtenir. Et cela n'est pas chose aisée. Cela sera votre punition, aussi bien pour votre ignorance que pour votre manque de subtilité.
J'arrêtais un vague regard autour de nous et lui fit signe de me suivre tandis que je me dirigeais vers un établissement un peu plus calme que les autres. Je ne pris même pas le temps de vérifier si il me suivait ou pas. De part son comportement, il était clair que j'étais sa meilleure chance pour retrouver celle qu'il cherchait.
J'entrais dans la taverne et déposait quelques pièces sur le comptoir, devant le tavernier qui nous adressa un regard lourd, mais surtout blasé. Puis il montra de la tête l'escalier.
-Troisième porte à gauche.
Je suivis la consigne et montais à l'étage, ouvrit la porte dite et entrait avant de m'assoir sur le lit qui se trouvait là.
La pièce n'était guère grande. Juste assez pour permettre d'y trouver un lit, une armoire et une chaise en bois grossier.
-Bien. Alors, commençons les choses dans l'ordre.
De part votre description, la personne que vous recherchez n'est pas une habituée de ce genre de lieux. J'en conclus donc que vous soupçonnez qu'elle s'y trouve contre son grès. Je ne demandais pas si j'avais raison ou tord. J'étais sûr d'être dans le vrai. Je posais donc là la base d'une réflexion à venir. Vit-elle habituelle au palais ou en ville? Que faisait-elle la dernière fois que les personnes la connaissant l'on vu? Une course pour le Palais? Ces questions avaient un but simple, mais nécessaire. Elles permettraient d'orienter la recherche à venir et de remonter les dernier faits et gestes de la disparue. Il fallait donc que ce jeune homme se penche là dessus.
-Ensuite. Pour ce qui est de la discrétion, je doute que vous soyez de ces gens qui soient amenés régulièrement à se cacher des autres. Je dirais même que votre vie doit se passer sous le regard de nombreuses personnes. Donc, il n'est pas étonnant que vous soyez aussi maladroit dans ce monde qui vous est tellement étranger. Vous avez apprit des mœurs qui ne sont pas celle de ces rues. Mais, afin de nous faire gagner du temps, je vais vous donner un conseil simple pour progresser ici sans risquer de vous retrouver avec un couteau sous la gorge, la prochaine fois que vous vous promènerez en ce genre de lieux.
N'affichez pas que vous recherchez quelque chose. Donnez l'impression de savoir ou vous allez, mais ne regardez jamais les gens dans les yeux. Ici, c'est soit que vous êtes un pigeon à plumer, soit un inconscient venu chercher la provocation. Et la plus part des grosses têtes en ces lieux n'en ont pas des masses dans le crâne. Cela leur suffiraient à vouloir vous tuer sur place sans plus de raison.
J'avais posé un bras sur la tête de lit et je laissais ma tête reposer dessus, m'allongeant légèrement sur le lit. Il n'était pas de grande qualité, mais il était suffisamment confortable pour pouvoir passer une nuit des plus agréables. Ce qui me surprenait quelque peu, au vu de l'établissement.
Il serait peut être intéressant d'investir un peu dedans, ne serait-ce que pour avoir un endroit sûr lorsque je dois venir en ces lieux.
Je jetais un regard à jeune homme et attendit.
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A travers la pénombre nocturne, au milieu de cette myriade de tristes sires et de catins, surgit une mystérieuse jeune fille, aux yeux aussi rouges que des pierreries flamboyantes, comme envoyée par une quelconque providence.
Qui était-elle ? Je l’ignorais car son visage m’était inconnu et, bien que peu physionomiste, je me serais souvenu de cette beauté si singulière qu’elle paraissait venue d’un autre monde. Mon intuition me disait qu’elle différait des créatures patibulaires qui évoluaient autour de nous, malgré l’aura ténébreuse qui l’entourait.
Son teint de porcelaine et son regard de sang suggérait une origine vampirique. La jeune fille prit ensuite la parole, s’exprimant avec une franche assurance qui contrastait avec ses traits poupins. Ses propos me firent hausser un sourcil étonné et mes lèvres esquissèrent un sourire. Pour surprenants qu’ils étaient, je ne m’en sentis point offusqué et me contentais de répondre :
- En général, je n’ai guère besoin de me présenter, mais vous avez raison, il s’agit d’une preuve élémentaire de politesse. Toutefois, étant donné les circonstances, j’avoue que demeurer incognito ne me dérange pas, au contraire. Parfois, je me prends même à rêver de pouvoir me balader dans la ville, tête nue, sans être reconnu par quiconque.
Puis dardant, mes prunelles dorées dans les rubis de la belle, je poursuivis amusé :
- Ainsi on vous nomme « princesse ». Quelle coïncidence ! figurez-vous, chose incroyable, on ne nomme également Prince. Cela nous fait donc un point commun. Quant à mon impertinence et mon manque de subtilité, que voulez-vous, j’ai été si troublé par l’éclat de vos grands yeux que j’en ai oublié mes bonnes manières. Du reste, prendre le temps de vous connaitre et conserver un certain mystère en ce qui vous concerne peut avoir du bon.
Dès après, la petite femme, guère plus grande qu’une fillette de treize ans, prit la tête des opérations, se dirigeant d’un bon pas, plus digne d’un chef de guerre que d’une gracile demoiselle, en direction d’une taverne.
Certes, vu sous cet angle, je comprenais pourquoi celle-ci était nommée « Princesse », elle en avait les grands airs et les manières. Et bien qu’encore inexpérimenté de la gente féminine et de leurs caprices, en raison de ma jeunesse, je pressentais que cette dernière possédait un tempérament de fer, et que je ne risquais pas d’en croiser de cette espèce tous les jours. Aussi décidais-je de la suivre, n’ayant guère d’autre alternative et estimant que cette rencontre fortuite pouvait m’aider à retrouver la trace de Rosalie.
Cependant, mon esprit aguerri aux intrigues qui régnaient à la cours, et déjà avisé des bassesses de la nature humaine, savait qu’en ce bas monde rien n’était jamais gratuit…
Si chacun avait un prix, quel serait le sien ? Car en dépit de mon jeune âge, je n’étais pas assez naïf pour croire que cette jouvencelle inconnue œuvrait par pure charité…Et si je demeurais ignorant des subtilités des quartiers malfamés, mon instinct me disait que la vilenie et la ruse, étaient communes à tous les êtres, peu importe leur condition sociale, et que la courtisane comme la putain pouvaient en faire l’emploi pour parvenir à leurs fins. Seules leurs méthodes différaient.
Une fois à l’intérieur de la taverne, qui à mes yeux, ressemblait plus à une bauge infecte qu’à un endroit où passer la nuit ; Irina s’adressa au propriétaire des lieux qui nous donna la consigne de monter dans l’une des chambres.
Je suivis la « princesse » jusqu’à une petite pièce, guère plus grande qu’un débarras, qui comportait un mobilier rudimentaire, composé d’un lit, d’une armoire et d’une chaise. Toutefois étant donné la réputation de ce quartier sulfureux, il n’en fallait guère plus pour l’activité à laquelle la plupart des clients de ce cloaque se livraient.
Une fois dans la sécurité de ce lieu, la dame au regard écarlate décida de remettre les choses dans l’ordre et, tel un détective, commença à formuler diverses hypothèses concernant ma recherche :
A ces paroles, je répondis avec un sourire entendu :
- Déductions tout à fait remarquables, En effet, ce n’est pas une habituée de ce genre de lieux, mais j’ai de bonnes raisons de croire qu’elle puisse être retenue contre son gré et que ce quartier puisse comporter quelques indices qui m’aiguilleront dans la bonne direction. Celle que je recherche vit au palais et elle devait effectuer une course, les dernières personnes qui l’ont vu sont les servantes. Et sa disparition remonte à hier au soir. Ce qui est inquiétant étant donné que ce n’est guère dans ses habitudes de trainer dehors et qu’elle devait rentrer avant le coucher du soleil…
Puis je poursuivis tout en gardant le regard rivé sur la fille aux mires pourpres :
- Des gardes et des miliciens sont partis à sa recherche et ont tenté de reconstitué son itinéraire, à la recherche de quelques indices ou de témoins susceptibles de l’avoir vu. Hélas, ceux-ci sont revenus bredouilles et elle semble presque s’être évaporée…Pourtant, mon intuition me dit que ces traces mènent ici et qu’en ce lieu de perdition où tout se monnaye, des langues se délieront et des témoins feront leurs apparitions pour qui sait y mettre le prix ou se montrer suffisamment habile ou persuasif pour soutirer des informations. Sans compter qu’une servante vêtue d’une tenue brodée des insignes du palais et dotée d’une telle beauté ne passe pas inaperçue. Mon avis est que quelqu’un a forcément vu ou entendu quelque chose mais que pour retrouver sa trace, il faudra faire appel à des méthodes « non conventionnelles ». Mais le temps presse et j’ai peur que si nous tardons à la délivrer, nous ne retrouvions que son cadavre…
La remarque suivante de la « princesse » s’avéra également exacte, mais ce n’était guère difficile à deviner. Après tout, je n’étais pas des plus discrets et ma maladresse, qui révélait mon manque d’aisance à évoluer dans le monde de la nuit, ne pouvait guère échapper à l’œil aiguisé d’un bon observateur.
- En effet, j’appartiens à un monde de lumières où il faut se faire voir le plus possible et où la frivolité et le paraître règnent en maître. A l’opposé de cet univers de ténèbres où seule compte la loi du plus fort et où il faut faire profil bas si l’on désire survivre…Je crois que je n’ai guère d’autre choix que de m’y adapter.
Après cela, la jeune fille s’allongea sur le lit, attendant que je prenne une décision quant à la suite des opérations. Je demeurais silencieux, réfléchissant à quelle pourrait être la meilleure option pour retrouver Rosalie, saine et sauve, et alors que je m’apprêtais à prendre la parole ; j’entendis plusieurs coups, frappés faiblement contre la paroi du mur.
Je m’approchais et entendit une voix féminine, parlant si bas qu’elle semblait presque inaudible, et venant de la chambre d’à côté :
- Mademoiselle, Messire, écoutez-moi je vous en prie. Vous courrez tous les deux un très grand danger. Après votre départ, j’ai vu le tavernier se frotter les mains et arborer le sourire qu’il a quand il sent qu’il a flairé une bonne affaire…J’ai une chose importante à vous dire, cet homme est un monstre…Lorsqu’il croit avoir affaire à un client, qui possède un peu d’or dans sa bourse, il lui propose cette chambre pour…que celui-ci puisse faire « sa petite affaire » avec l’une ou l’autre putasse et il profite de la nuit tombée pour se rendre dans la chambre, quand tous deux sont endormis, et les trucident dans leur sommeil afin de voler la bourse d’or du client, dont le corps finira dans le fleuve. Quant à la fille, soit elle subit le même sort, soit il achète son silence avec quelques piécettes. Messire, cette crapule a remarqué que vous fixiez les filles avec attention et pense que vous désirez vous « encanailler » et ou vous dépuceler avec l’une d’entre elles et en vous voyant entrer avec cette gente demoiselle, il vous a donné à dessein cette chambre qu’il nomme « la chambre rouge ». Regardez en face de vous sur le mur, il y a une tête de sanglier empaillé…Ce n’est pas un hasard, il l’a placé là pour pouvoir espionner à travers ses « yeux » les ébats des clients ou vérifier qu’ils sont biens endormis avant de passer à l’action et d’exécuter sa monstrueuse besogne…
Je me tournais vers le mur qui se trouvait face au lit et remarquait, bel et bien, une tête de sanglier empaillé sur le mur.
La jeune fille poursuivit du même ton bas :
- J’ai entendu votre conversation et je sais que vous recherchez une jeune fille disparue…Je voudrais conclure une marché avec vous…je pense pouvoir vous aider dans votre quête car je connais la plupart des prostituées d’Aldaria, elles me font confiance et me parlerons plus facilement qu’à vous et aussi je suis informée de certaines rumeurs qui courent depuis plusieurs mois sur un individu très sombre…
A travers la paroi, je chuchotais d’une voix presque aussi basse que la sienne :
- Nous t’écoutons, que désires-tu en échange de ton aide ?
Après un bref instant de silence, elle répondit :
- Je ne désire pas d’or ni d’argent, je veux juste que vous me débarrassiez de ce monstre qui m’oppresse depuis tant d’années. Mon nom est Marjolaine et je viens d’un village pauvre, situé aux environs d’Aldaria. Rêvant d’une vie meilleure, je suis venue en ville, espérant y trouver un emploi comme servante ou domestique dans une riche demeure et gagner un bon moyen de subsistance. En arrivant, jeune et naïve, j’ai fait la rencontre de cet homme qui m’a proposé de devenir servante dans sa taverne, me faisant miroiter de bons pourboires et le fait d’être logée et nourrie. Bien entendue, j’ai accepté et mal m’en pris car la suite s’est rapidement transformée en cauchemars…A mon arrivée, il m’a conduit jusqu’à une petite chambre qui se trouve au sous-sol, prétextant me montrer l’endroit où j’allais dormir. Et aussitôt, il a fermé la porte à clé et m’a violée…
En racontant ses tragiques aventures, la voix de Marjolaine s’était brisée et des sanglots résonnèrent de l’autre côté du mur ; mais peu à peu, elle retrouva suffisamment de calme pour poursuivre son histoire.
- Mais ce que j’ignorais à ce moment-là c’est que mon calvaire ne faisait que commencer…Dès le lendemain, il vint me voir et me dit que dorénavant je lui appartenais et que je devais coucher avec des clients si celui-ci me l’ordonnait…Je refusais et il se mit à me battre. Puis, il me laissa seule dans cette pièce souterraine, me donnant à peine à manger et à boire, juste assez pour ne pas mourir de faim et de soif, et j’avais beau m’égosiller à crier et à frapper sur les murs jusqu’à en avoir les poings en sang. Nul ne m’entendait du dehors et nul ne pouvait me délivrer de mon sinistre geôlier…Sans oublier qu’il venait régulièrement me violer afin de m’apprendre la soumission et la condition d’esclave qui désormais serait la mienne. Lorsqu’il estima avoir brisé ma volonté, il « m’offrit » à plusieurs de ses clients et me fit travailler pour lui et racoler des hommes dans la rue afin de les attirer dans sa taverne. Ce monstre allât même jusqu’à me rendre complice de ses meurtres en me faisant servir d’appât à des hommes un peu plus fortunés et en les enivrant pour qu’il puisse les assassiner dans leur sommeil. Bien sûr, j’ai déjà tenté de m’enfuir mais il m’a rattrapée et m’a battu si sauvagement que j’en ai eu plusieurs côtes brisées et il m’a dit que la prochaine fois, mon corps finirait dans le fleuve…Depuis lors, j’ai si peur que je n’ose plus tenter quoique ce soit…Vous seuls pouvez m’aider, mais prenez garde l’homme est rusé et il vaut mieux le prendre à son propre jeu…
En entendant le récit de l’infortunée jeune fille, je sentis mon sang bouillonner de rage dans mes veines. Comment pouvait-on faire preuve d’une telle cruauté à l’égard d’une créature sans défense ? Je ressentais le violent désir de m’emparer de mon épée et de descendre occire ce misérable, dont les crimes m’emplissaient de répulsion…Néanmoins, ma raison me soufflait que cela ne serait probablement pas la meilleure attitude à adopter et que l’ignoble personnage avait peut-être des acolytes, prêts à nous égorger si nous agissions à découvert.
M’éloignant du mur, je m’avançais vers la « princesse » toujours allongée sur le lit et lui demandait en lui murmurant à l’oreille:
- Cette sombre histoire me soulève le cœur, mais je suis d’avis que nous ne pouvons pas l’abandonner à son triste sort…Sans oublier qu’elle peut nous être d’une grande utilité de par sa connaissance des bas-fonds d’Aldaria. Je pense également que nous ferions mieux d’utiliser la ruse et de faire croire au tavernier que nous nous sommes endormis après une nuit d’ébats afin de l’attirer dans son piège et de jouir de l’effet de surprise…
Irina Faust a écrit:J'écoutais attentivement les réponses du Prince, tandis que j'étais allongé sur ce lit. Ses réponses dans la rues m'avait donné une idée sur l'identité de ce jeune homme et son approche du problème me dévoilait désormais une façade de sa personnalité. Il était homme à reconnaitre son ignorance, mais pas à rester sur ces acquis. Un être qui peut gagner ma considération. Mais je m'abstenais de le lui dire. Après tout, je ne suis pas femme à crier sur les toits mon manque de considération pour les civilisations et les gens. Toutefois, je prenais note de ceux qui parvenaient à me faire voir leurs aspect les plus positifs.
Puis des coups légers, portés sur le mur depuis la chambre d'à côté me détourna l'attention. Il ne s'agissait clairement pas des coups contre le mur d'un couple s'adonnant aux plaisirs de la nuit. Au contraire. Il s'agissait là de coups portés pour attirer notre attention. Aussi j'écoutais avec attention. Je laissais le jeune Prince répondre, préférant m'abstenir de faire la moindre remarque pour le moment.
La proposition que nous faisait l'inconnue était alléchante pour ceux qui ne connaissaient pas le monde des ombres. Mais dans ma posture de Princesse de ce monde, je ne pouvais me permettre cette innocence.
Je me plaçais donc dos au mur, afin d'écouter discrètement et accueillit la présence du jeune homme contre moi, afin qu'il puisse écoutait également. Tandis que la dénommée Marjolaine nous expliquait la situation, je caressais doucement mon "client" et le guidait, mais sans toutefois pousser la comédie trop loin et trop vite. Il fallait que nous ayons le temps d'écouter et de réfléchir.
Lorsqu'elle nous décrivit la tête de sanglier, j'y portais mon attention et y sentit en effet une fine trace de magie. Suffisamment léger pour passer inaperçu pour qui ne s'y attendait pas, mais qui passait difficilement une inspection rigoureuse. L'homme avait étudié son projet et semblait prêt à accueillir ses proies comme il le prévoyait.
Je plissais les yeux, feignant le plaisir. Une chose que j'avais apprise à faire depuis bien longtemps. Et lorsque le jeune homme m'eut murmuré sa proposition, je posais un doigt sur ses lèvres, un sourire charmeur sur les miennes et déclarais tout haut:
-Je ne suis pas une fille si facile à avoir, mon tout beau. Vas donc demandé à ce brave tavernier de nous monter une bouteille de son meilleur vin. Et ce doit être lui qui nous l'amène. Je refuse que ce soit une va-nu-pied qui nous l'amène. Nous avons payer pour le service, et je veux le meilleur de ce qu'il peut nous offrir.. Et il va falloir que tu apprennes à me conquérir si tu espère pouvoir atteindre ton but.
Mensonge? Vérité? J'étais suffisamment sûr de moi pour savoir que ce ne serait pas le premier venu qui pourrait déjoué ma comédie. Maintenant, il restait à savoir si le jeune prince saurait répondre à ma réplique comme je l'entendais.
Je le laissais donc partir, lui adressant juste un sourire charmeur en me languissant dans le lit, à l'adresse de l'observateur qui ne manquerait pas de vérifier ou cela en était concernant ses proies.
Je devinais allègrement le temps qu'il faudrait à mon compagnon d'un soir pour descendre, transmettre ma demande et remonter. Je me préparais donc en conséquence, dévoilant juste ce qu'il fallait pour aguicher ma propre "proie" et mais trop pour ne pas tout déballer d'un seul coup.
Je laissais ainsi entendre qu'il faudrait mériter le reste.
La porte s'ouvrit bientôt de nouveau, laissant entrer non pas une, mais deux silhouettes. Ce brave Prince et le tavernier qui n'avait guère trainé à le suivre avec une bouteille et deux verres. Le temps c'est de l'argent, et ce genre d'individus n'est pas homme à le perdre inutilement. Il savait qu'il devait répondre à ma demande sans quoi, nous risquions de partir et donc, qu'il perde l'argent qu'il convoitait.
Je me redressais légèrement et leur adressais un sourire faussement gêné.
-Dites moi, Maître Tenancier! Commençais-je en activant délicatement l'enchantement de ma bague et en me caressant la base du cou, pour la mettre bien en évidence, ainsi que le collier qui m'enserre à chaque instant la base de mon cou, mais surtout pour détourner l'attention. Je le soumettais à ma volonté, avec une voix suave à souhait, afin de le charmer. J'ai ouïe dire que le commerce était bon dans cette ville. Pensez vous qu'une jeune personne comme moi aurait une chance de trouver un endroit ou s'installer et profiter de son commerce?
Je parlais son langage, et cela n'avait qu'un seul but, détourner son attention et affaiblir sa potentiel garde quand à ce que je pouvais entreprendre par la suite. Et je sût que j'avais fait mouche lorsque le malotru se redressa, le regard légèrement vaseux, et m'adressa sourire.
-Je vous le déconseille, ma p'tite. Avec la Mort Rouge qui traine en ville, une créature aussi ravissante que vous serait l'une des première cible de cet individus.
-Ah? Et pouvez vous m'en dire plus sur lui?
J'indiquais le siège au tavernier, en me redressant et en m'appuyant sur ma robe, dévoilant la naissance d'un décolté, montrant une jeune poitrine, encore largement dissimulé sous les tissus, mais suffisamment suggéré pour continuer de détourner l'attention.
-Je ne sais pas grand chose en ce qui le concerne. Je sais juste qu'il a déjà choisit neuf jeune femmes, toute extraction confondu, pour ses "arts" et qu'elles ont été retrouvée dans un état macabre.
Il se murmure même qu'il aurait peut être trouver sa dixième hier soir, étant donné que les gardes du château sont descendu en ville pour poser des questions. Mais ils ne risquent pas de trouver grand choses. Les gardes ne sont pas la bienvenu en ville. Ils profitent de nos taxes pour s'engraisser sur notre dos, comme les nobles, mais en pire.
Et comme les autres, ils la retrouveront après quatre jours d'absence, morte, dans un coin de la ville.
Et oui. Lorsque les gens se sentent en confiance et ne voient pas le piège qui les attend, ils ont tendance à en dire plus qu'il ne le faudrait pour leur bien. Mais c'était le signe que je pouvais faire ce que je voulais de cet homme. Et puisqu'il s'adonnait à des plaisirs que j’interdisais personnellement dans mes établissements à Gloria, il en payerais le prix, ne serait-ce que parce qu'il à voulut faire de moi, l'une des Princes de la Cours des Miracles de Gloria, sa proie.
Il était donc temps que je m'établisse ici aussi.
-Je recherche un établissement à acquérir et le votre me semble parfait. Accepteriez vous de me le céder, Maître Tenancier?
-Bien sûr.
Je me redressais alors et regarda le jeune Prince.
-Ici, nous ne parlons pas pour quelques piécettes. Nous parlons lorsque nous nous pensons en sécurité et que le gain est suffisant pour nous délier la langue.
Je puis vous prendre pour témoin de la transaction entre cet homme et moi?
Lorsque j'eus l'approbation du jeune homme, je me levais et m'approchais du tavernier, le surplombant de ma faible hauteur, passant une mains délicate sur son visage. Mes paroles changèrent alors, prenant non plus le ton du charme, mais le ton du souverain ou, en l’occurrence, de la souveraine.
-Tu as cibler la mauvaise personne, en t'attaquant à la Princesse de la Cours des Miracles. Et cela se paye toujours au prix fort. Tout ce qui était à toi est désormais à moi.
Ce disant, je plaquais une main sur sa bouche et de l'autre, je vint planter ma dague avec une lenteur infinie dans sa bedaine, en remontant lentement jusqu'à atteindre son coeur, que je perçais alors d'un pivotement de mon arme.
Je me reculais lentement, constatant que le sang de ce port avait coulé sur ma robe. Je regardais cela avec un dégoût non dissimulé.
-Un nettoyage de fait. Allez donc chercher cette enfant de la chambre d'à côté. Désormais les filles de cet établissement sont miennes et les choses vont changer. Je pense qu'elles en seront satisfaites.
Par elles, j'entendais les gens de cette ville. Un porc venait de périr et déjà, j'étais prête à fondre sur le suivant, à savoir la Mort Rouge. En cette instant, je le savais, j'étais une prédatrice à tout les niveaux, mon arme encore dans la main.
-Ah! Et apprenez une chose, Sir Kohan. Pour coucher avec moi, il faut bien plus que des flatteries ou tromper l'entourage. Je puis vous apprendre bien des choses, mais l'on ne me touche que rarement. Alors considérez ce que vous avez vu ce soir comme une grande générosité de ma part. Il n'est pas dit que vous revoyez cela de si tôt.
Pendant que Marjolaine contait le sinistre récit de sa captivité, je sentis la vampiresse m’attirer vers elle, afin de guider mes gestes et feindre le plaisir dans le but de tromper l’ignoble tavernier. Durant toute cette mise-en-scène, je ressentis une certaine gêne, mêlée de crainte et mon cœur se mit à battre à tout rompre dans ma poitrine. Me retrouver seul à seul, dans la pénombre de la chambre, en compagnie de cette mystérieuse jeune fille aux yeux de braise mais à la peau de glace me déconcertait. C’était la première fois que je me retrouvais seul avec une femme, dans une situation si troublante, mais pour retrouver Rosalie j’étais prêt à jouer le jeu, dans une certaine limite bien entendu. Je n’avais nullement l’intention d’aller trop loin dans cette mascarade.
Lorsque la princesse estima qu’elle en avait fait assez pour tromper l’aubergiste, elle se tourna vers moi et me dit d’un ton acéré, en déposant un doigt sur mes lèvres, qu’elle n’était guère une fille facile à avoir :
Piqué au vif et rougissant face à cette méprise, je m’entendis répondre avec fougue :
- Mon unique but est de retrouver Rosalie et non point de me livrer à quelque acte de lubricité ! Je ne suis point homme à user de la ruse pour séduire une jeune fille et du reste je n’éprouverais aucun plaisir si celui-ci n’était pas partagé ni n’en retirerait aucune fierté. Croyez-le ou non mais je ne désirais pas aller plus loin que nécessaire pour attirer notre homme dans un guet-apens. Si conquête il doit y avoir, il faut que je sois moi-même conquis au préalable et je n’emploierais jamais des moyens déloyaux ou irrespectueux pour gagner le cœur d’une dame.
Puis je haussais un sourcil incrédule en l’entendant parler de vin :
- Du vin ma chère ? Ne s’agirait-il pas plutôt du sang de cette crapule dont vous désirez vous abreuver ? Car si j’en juge par votre peau glacée, vos yeux de sang et l’aura ténébreuse qui vous entoure, vous n’êtes probablement pas une humaine. Enfin soit, cet homme est un monstre et ce n'est surement pas moi qui désire voir une telle énergumène demeurer en vie. D’ailleurs, si j’avais écouté ma colère, je serais descendu l’occire avant la fin du récit de Marjolaine.
Néanmoins, je descendis quérir l’aubergiste et lorsque j’aperçus son regard fourbe et sa mine chafouine, je sentis un frisson de répulsion me parcourir l’échine. Ce dernier m’adressa un sourire entendu :
- On dirait bien que la demoiselle a passé un bon moment, du moins si j’en crois les gémissements qui parvenaient jusqu’à mes oreilles. Il semblerait que pour sa première fois le jeune messire se soit montré très vigoureux.
J’esquissais un sourire amusé en le fixant droit dans les yeux, songeant que ce gredin ne se doutait de rien. Si seulement celui-ci savait que j’étais aussi vierge en sortant de cette chambre qu’en y entrant.
- Mon amie désire que vous montiez, en apportant votre meilleur vin car elle désire passer une nuit mémorable. Elle n’est pas encore rassasiée des plaisirs de la nuit, mais je vous préviens c’est une femme exigeante et difficile à contenter, un seul homme ne peut lui suffire.
Le tavernier afficha un large sourire, et une lueur lubrique s’alluma dans ses prunelles sombres :
- Dans ce cas, montons là-haut tous les deux afin de la combler comme elle le mérite.
L’homme prit du vin et me suivit jusqu’à la pièce où nous attendais la princesse aux cheveux immaculés. Apparemment ce porc avait mordu à l’hameçon et la perspective d’assouvir ses désirs charnels lui faisait oublier toute prudence.
A notre arrivée, je remarquais que la jeune fille avait dévoilé certains de ses atouts physiques afin d’appâter sa proie. Par pudeur, je détournais mon regard mordoré, évitant de fixer les courbes de son corps. Dès après, celle-ci prit la parole, usant d’un ton enjôleur et de la séduction que lui conférait sa troublante beauté.
J’assistais à la scène, mi- amusé, mi- incrédule, encore un peu ignorant de ces jeux d’adulte en raison de ma jeunesse. Telle une araignée, emprisonnant sa proie dans sa toile, la princesse profita de la faiblesse de l’homme, occupé à lorgner son décolleté pour lui soutirer des informations de la plus haute importance sur cet assassin qu’on nommait la Mort Rouge. Par la même occasion, elle révéla sa véritable identité, elle était la princesse des catins de la cour des miracles. Certaines rumeurs évoquaient cette organisation criminelle basée à Gloria et étaient parvenues jusqu'à mes oreilles. Ainsi cette jouvencelle au visage de porcelaine en faisait partie…
Mon cœur ne fit qu’un bond dans ma poitrine quand j’entendis que la Mort rouge venait de trouver sa dixième proie la veille. Cela ne pouvait être que Rosalie ! Comme je l’avais craint tous les indices menaient à ce sombre tueur…Et il fallait faire vite si on ne désirait pas retrouver les restes de son cadavre, comme toutes les autres victimes !
C’est alors qu’Irina demanda à l’aubergiste s’il acceptait de lui vendre son établissement et elle me prit à témoin de cette douteuse transaction. Visiblement, le bougre pensait faire une bonne affaire et semblait désireux de quitter la cité, peut-être en raison de la menace que représentait l’assassin, ce qui a dire vrai, ne devait pas être très bon pour ses affaires.
Je hochais la tête et répondit :
- J’en suis témoin.
Et une fois le marché conclu, la princesse des catins s’empara d’une dague et avant que l’homme ait pu faire le moindre geste, elle plaqua sa main sur sa bouche et pourfendit son ventre, l’ouvrant jusqu’au cœur.
Le sang gicla, maculant la robe de la demoiselle des ténèbres qui afficha ouvertement son dégout. Moi-même, je sentis la nausée m’envahir en contemplant ce corps éviscéré, baignant dans une mare de sang.
Cependant, je n’éprouvais aucune compassion à son égard, ressentant au contraire un certain soulagement à l’idée que ce porc ne pourrait plus jamais violenter aucune femme.
Tenant toujours sa dague à la main, la princesse aux yeux de feu se tourna vers moi et m’appelant par mon véritable nom, elle me dit que pour coucher avec elle il fallait plus que des tromperies ou des flatteries et qu’il n’était pas dit que je puisse revoir ses charmes de sitôt.
- Ainsi il semblerait que nos identités respectives ne soient plus un secret, dis-je avec un petit sourire. Au moins nous n’aurons plus besoin de jouer une quelconque comédie.
Puis je plongeais mes prunelles d’or dans ses yeux de rubis :
- Et apprenez que pour naisse en moi le désir de coucher avec une femme, il en faut bien plus qu’un beau visage ou des courbes voluptueuses. Il faut une âme capable de me ravir car pour moi, il s’agit de l’union de deux cœurs avant d’être celle de deux corps. Et il n’est pas dit que vous réussissiez à obtenir le mien. Quant à apprendre le jeu de l’amour, je le ferai le moment venu et avec celle que j’aurais choisi car elle aura su me séduire. Je ne suis pas le genre d’homme à juste vouloir assouvir mes désirs charnels et à user de la ruse ou de flatterie et encore moins de la force pour parvenir à mes fins.
En cela, je me sentais terriblement différent du porc étendu sur le sol et qui représentait l’opprobre du genre masculin.
Tout d’un coup, j’aperçus une clé qui pendait à sa ceinture et je me baissais pour m’en emparer avant de me rendre dans le couloir et de l’enfoncer dans la serrure de la chambre d’à-côté. Lorsque la porte s’ouvrit, j’aperçus une jeune fille, à la longue chevelure brune et bouclée et aux yeux gris-vert.
En me voyant approcher, elle me gratifia d’un sourire timide et dit :
- Merci messire, vous m’avez délivré de ce monstre ! Comme il l’a dit des rumeurs courent en ville sur ce tueur, certains disent qu’il enlève ses proies et les retient captives dans une cachette que nul ne connait, un repaire gardé secret. Pourtant, à Aldaria certaines personnes sont très bien informées et pourraient vous aider à récolter des indices afin de retrouver sa trace, mais de grâce soyez prudent il est très dangereux ! Il y a un espion nommé « la fouine » qui est toujours au courant de tout et est les yeux et les oreilles de cette ville. C’est un vampire, j’ignore où on peut le trouver mais je sais qui peut vous renseignez. Il y a dans une maison de passe, une mère maquerelle nommée Sophy la borgne, et c’est une femme très cruelle et manipulatrice, mais si vous savez la persuadée elle vous indiquera comment trouver cet espion. Je peux vous conduire jusqu’à elle, mais en échange je veux que vous m’emmeniez loin d’ici. Si je devais encore me prostituer, je préférerai encore m’ouvrir les veines !
J’acquiesçais d’un hochement de tête :
- C’est d’accord, je t’emmène avec moi et te prendrais à mon service. Ensuite, j’ouvris les portes des autres chambres d’où sortirent des dizaines de jeunes filles et toutes poussèrent des exclamations de joie en voyant le cadavre du tavernier.
Après cela, je proposais à la princesse de suivre Marjolaine afin de récolter des indices dans cette chasse à l’assassin.
Irina Faust a écrit:Le cadavre se tenait là, inerte et sans vie. A jamais condamné à la mort. Les Esprits eussent-ils existé, il aurait été probable qu'il puisse se réincarner. Mais désormais, je doute fort qu'il puisse revenir un jour.
J'avais laissé le jeune Prince ouvrir les portes des chambres et en faire sortir les jeune femmes. Visiblement, il était soucieux de les prendre avec lui au palais. Mais il fallait l'arrêter avant que lui et ces pauvres filles ne se retrouvent dans une situation embarrassante. Ses actions risquaient fortement d'embarrasser aussi bien la Famille Royale que la Régence et le reste de la noblesse Aldarienne. Et, bien que je trouve cela stupide au possible, nous ne pouvions nous permettre cela.
-Jeune Nolan. Je me dois de vous arrêter dans votre élan. Bien que cela parte d'un bon sentiment, vous ne pouvez les emmener au palais ainsi. Bien que vous les libériez, elles ne sont pas prête pour se plier aux regards des gens de court.
Je ne vous demanderais pas de me faire confiance. De toute façon, cela serait absurde. Mais voila ce que je vous propose. A vous et à ces filles. Je ne pourrais rester éternellement à Aldaria. Or, il faut quelqu'un pour tenir cette auberge. Je compte la confier à ces filles. Tout ce qu'elles auront à faire, c'est de me rendre compte de la situation une fois par moi, et de me faire parvenir les recettes légales dégagées par l'établissement. Auxquelles, bien sûr, ont aura soustrait leurs salaires, plus les frais d'entretiens de la bâtisse. Pour leur sécurité, je m'arrangerais pour que l'un de mes hommes soit posté en permanence ici. Ainsi, personne ne pourra poser la main sur elle sans risquer gros. Et lorsque je dis gros, je pense que je n'ai pas besoin de vous faire un dessin.
Celles qui voudront partir, partiront, avec une indemnité substentielle que je leur donnerais avant mon départ. Celles qui voudront rester, bénéficieront du gîte, du couvert et du salaire, le tout en tout indépendance. Et comme je le disais, elles ne devront que me rendre compte de ce qu'il se passe. Je ne leur imposerais aucune autre règle, en dehors de celles qu'elles choisiront pour leur établissement. Et pour celles qui voudront monter servir au palais, je m'arrangerais pour qu'une matrone viennent les former à la vie de château. Mais il faut que vous compreniez qu'il s'agit d'une vie tout aussi dangereuse que celle des bas fond, avec des dangers bien largement différents de ce à quoi vous êtes habitué ici. Ici, un faux pas vous vaudra des moqueries pendant quelques jours, là haut, cela peut vous couter la vie, dans le pire des cas. Je pense que le jeune homme ici ne pourra le nier. Les nobles peuvent être bien plus cruels que les hommes de la ville.
J'appartiens aux mondes des ombres, mais sachez bien une choses, vous toutes. Je n'ai qu'une parole, et pour moi, ma parole à force de loi. Je vous laisse choisir.
Je portais un nouveau regard sur les traces de sang qui maculaient ma tenue et grinçais des dents.
-Par contre, est ce que l'une d'entre vous aurait une robe de rechange, pour ce soir? Je ne me vois pas me promener ainsi toute la soirée. Ensuite, nous pourrons vous suivre, jeune Marjolaine. Je crois que je vais devoir avoir une petite explication avec cette fouine. Je n'aime pas beaucoup les imbéciles qui piétinent mes plats de bande, ni ceux de mes confrères. Alors, avant que le Princes des Assassins ne décide de venir régler cela par lui même, je vais devoir agir. Et rapidement.
Ces deux derniers mots sonnèrent comme une condamnation à mort, sifflant comme l'épée qui s'abat sur le cou du coupable. Définitif et irrémédiable.
Les imbéciles se trouvent partout, et visiblement, les gredins d'Aldaria n'en étaient pas exempt. Ils avaient laissé faire une menace pour leurs entreprises, qui risquait de rapidement faire capoter bon nombre de projet, si il n'était pas juguler encore plus vite.
Je défis la robe qui m'habillait jusque là, la laissant choir sur le sol, me retrouvant aussitôt en sous vêtements, sans la moindre gêne à l'égard des personnes présentes.
Une jeune fille, d'environ treize quatorze ans m'apporta une de ses tenues, le regard incertains.
-On est vraiment libre? Demanda-t-elle.
-Oui. Si vous restez, vous serez sous ma protection. La protection de l'une des Princesses de la Cours des Miracles de Gloria. Cela ne vous dit peut être rien, pour vous qui vivez à Gloria, cela ne signifie probablement rien, mais sachez que cela signifie que j'ai ce qu'il faut pour protéger ceux et celles qui choisissent de vivre sous ma protection. Déclarais-je la laissant m'habiller.
Une fois vêtue, je m'approchais du Prince et prononçais mes paroles pour sa seule oreille.
-Je suis heureuse de voir que vous n'êtes pas hommes à voler à droite ou à gauche. Cela évitera bien des ennuis au royaume, et des années de bonheur pour celle qui deviendra votre épouse à l'avenir.
Mais ce que je puis vous apprendre peut, en fonction de ce que vous choisissez d'apprendre, soit vous préserver la vie, soit vous aider à combler une femme, sans nécessairement faire un étalage de luxure ni de débauche excessive. Le tout avec un raffinement pouvant faire rougir d'envie bien des dames de la court. Réfléchissez y bien.
Je commençais doucement à descendre l'escalier.
-Venez mon enfant. Montrez nous le chemin jusqu'à cette fouine. On va avoir une petite discussion avec lui.
Lorsque je parviens en bas de l'escalier, je remarquais que Judhein se tenait là. Il me salua de la tête et s'approcha.
-J'ai fait choux blanc, Princesse.
-Nous avons quelque chose ici. on va se rendre chez quelqu'un qui nous en apprendra plus. J'aurais besoin de tes talents pour ça.
-Avec plaisir, Princesse.
Le sourire qu'affichait le vieil assassin ne présageait rien de bon pour celui que l'on passerait à la question.