- 12 Février 1963, 17h - Nevrast
Les embruns de la mer gelée caressaient l'odorat acéré de l'elfe à la peau de cendres. Ici, à Nevrast, Aldaron était venu chercher des réponses, un lien. Et il renterait avec tant d'autres choses. Les tracas s'agglutinaient comme dans un entonnoir, bouché à outrance, alors que leurs ennemies les chimères approchaient, telles des ombres qui feraient revenir le marteau de la guerre et l'enclume des dépouilles jonchant le sol, terrassées. Il poussait un soupir, là, portant un regard d'émeraude sur les montagnes, en directions d'Aerthia. Le manque de son Inséparable se faisait sentir et les environs étaient devenus tristement ternes. Combien de fois avait-il songé envoyer paître la promesse qu'il avait fait à l'Aîné que de rester en sûreté, pour le rejoindre. Juste... Le retrouver ?
Il était devenu trop sage pour ce genre d'excès de naïveté. Alors, ici, il restait et attendait alors que le monde lui devenait si terne, presque gris tant il perdait des attrait jour après jour, heure après heure. Même l'avenir luisemblait morose et sans issue. Y aurait-il un lendemain, après ces vestiges d'Armada ? Ou nourriraient-ils ces terres encore inconnues de leur sang ? Ce monde n'était pas clément pour les enfants des dieux. Elfes, vampires, humains... Tous avaient quitté leur terre d'origine pour le continent, et même celui-ci vint à les recracher comme des nourritures avariés pour les contraindre dans une errance funeste. Jusqu'ici. A Tiamaranta, où là encore, la route serait longue pour le calme et la paix. Peut-être n'était-ce qu'une utopie, au fond, stérile ? De paix, il n'y aurait jamais ? Pourquoi y croire ? Il n'y parvenait plus. Pas après Morneflamme. L'Ordre ne régnerait jamais sans le Chaos. Il aurait beau lui cracher dessus et vouloir éradiquer, s'il y parvenait, il gangrènerait.
C'était pour cela qu'Aldaron deviendrait Capitaine des Contrebandiers : si le Mal ne pouvait disparaître, alors il préférait le choisir et avoir un pied à l'intérieur pour, à défaut de le contrôler, l'orienter, lui donner une direction plus propice à chacun. Ainsi avait-il fait ce choix litigieux, mais comment oserait-il le dire à Tryghild, à Delimar, au monde ? Jamais. Il avait pris la décision de se cacher sous les traits d'Elendil Voronwë, son Maître des Arsenaux au sein du Marché Noir qui gérait les relations avec la Confrérie. Ce serait lui, le nouveau Capitaine, connus de tous, haï, pourchassé par ceux qui luttaient contre la piraterie. Et sous le masque, Aldaron se cacherait, tirant les ficelles de cette contrebande, agrandissant l'ombre que tant craignaient stupidement, de son organisation.
Alors non, il ne le dirait pas, mais même sans le dire, comment pourrait-il seulement regarder Tryghild dans les yeux ? Il savait mentir et il le faisait fort bien. Aussi y serait-il contraint et réussirait, mais c'était dans don cœur que cela remuait, perplexe. Être une ombre, par delà les frontières d'un pays ou d'une alliance, imposait qu'il soit allié avec ceux qui étaient des ennemies ou pourraient devenir. Et il pouvait se battre contre ceux qui pourraient un jour devenir des alliés, ou l'étaient d'ores et déjà. N'était-ce pas ce qui se produisait ? En prêtant son concours à la Confrérie, ne luttait-il pas contre la volonté de Délimar qu'était d'éradiquer la piraterie ? Il n'avait jamais vraiment craint d'être vu comme le méchants de l'histoire, le volcan n'avait pas laissé de lui un être immaculé. Il était corrompu et certains moyens étaient nécessaire à certaines fins. L'elfe avait seulement un peu moins de morale que la moyenne, tout en faisant preuve d'une irrépressible rigueur dans d'autres situations.
Intérieurement, il priait pour que l'Intendante ne l’apprenne jamais. Et que dire des vampires où il était en train de propulser son futur époux, et Achroma, sur le Trône Noir controversé ? Son inquiétude croissait et ce n'était pas le seul fait de ces licornes qui couraient dans la dangereuse forêt... Puis il y avait les nouvelles de Keet-Tiamat que son fils, Valmys, lui avait rapportées, et qui venaient se nouer autour de ce qui s'était produit à Netheril, près du Canyon et dont le graärh Jangali leur avait fait le récit. Un sourire de plus, l'elfe se massait les tempe et rentrait à l'abri de la bâtisse de pierre pour se poser sur le coussin confortable près du feu, posé sur un tapis brodé. Peu de luxe, mais bien assez pour lui. Une part de lui savait qu'il devait informer l'Intendante de ce qu'il avait découvert à Licorok et la mauvaise nouvelle dont son fils lui avait fait part, à propos de l'expédition sur Keet-Tiamat. Une autre part ne se sentait pas près de parler à Tryghild, pour leur, alors qu'il venait de sceller un pacte de collaboration avec Nathaniel et qu'Ivanyr lui manquait. Son absence l'accablait.
Il fermait les yeux, se figurant mentalement le Seigneur des Chèvres, sa chevelure bouclée et son bouc caprin. Et lorsqu'il tomba en transe, son être se détacha.
12 Février 1963, 17h - Délimar
Telle une ombre dans les ombres, son corps se matérialisait dans le dos du spirite du dauphin. Oh que c'était fourbe... Oh que ça allait être divertissant... D'une voix douce mais assurée, il salua l'humain d'un courtois : « Bonjour Ilhan. » Voilà de quoi faire sursauter le pauvre Conseiller auprès duquel il était apparu, alors que celui-ci était affairé à un bureau pour rédiger une lettre. Cryptée de surcroît. Par respect, Aldaron avait détourné le regard et même tout le corps dans un second temps. S'éloignant d'une proximité qu'il n'aurait pas risqué avec Tryghild, pour une telle arrivée, au risque de se prendre une beigne bien sentie et méritée. Il faisait dos à l'althaïen pour que celui-ci se remette tranquillement de la surprise. Jouer ainsi lui arrachait un petit sourire en coin, amusé... Qui se fana immédiatement lorsque la garde entra en trombe à l'intérieur de la pièce, craignant à une catastrophe. Ilhan avait crié ?
Calme et charismatique, l'elfe tachait de ne perdre rien de sa superbe alors qu'il levait les mains pleine d'une pseudo innocence. En son for intérieur, il était plié de rire. Il n'avait pas aimé sa sinistre journée, Ilhan lui mettait du baume au cœur sans le savoir.
« Tout va bien, messieurs. Ce n'est que moi. Promis la prochaine fois, je passerai par la porte pour rentrer. » C'était un mensonge malgré lui. Son sort ne lui permettait pas de déterminer où la cible se trouvait. Ilhan aurait très bien pu être en train de prendre son bain ou au beau milieu d'une scène dangereuse. Il était attaché à une personne, son sort, et non pas un lieu... Ce qui rendait les choses parfois cocasses. « Je viens vous apporter des nouvelles de Nyn-Tiamat et de Licorok. » Cette fois, il avait tourné son regard vers Ilhan pour s'adresser à lui.