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03 Mars 1763


La journée promettait d'être superbe, ce qui rendait le programme qui lui était dédié d'autant plus désagréable au regard du glacernois. Arrêté sur le pas de sa porte d'entrée, mains sur les hanches et visage offert aux rayons timides de ce début de printemps, ses yeux aussi pâles que le ciel qui le surplombait se gorgeaient du spectacle. Pas un seul nuage en vue et la brise qui passait sur la cité emportait avec elle les parfums floraux de la campagne, au-delà des grandes murailles. Après plusieurs minutes à profiter de ce petit bain de soleil, mais surtout à se convaincre de se rendre au cours particulier qui l'attendait, Sigvald Svenn s'arracha au montant de la porte d'une poussée nerveuse des reins et descendit la volée de marches pour gagner la rue principale. Ses longues enjambées lui permirent d'engloutir en un rien de temps la distance qui le séparait de la maison accordée au Conseiller Avente pour ses bons et loyaux services auprès de Délimar et ce fut en quelques coups sèchement abattus sur le battant de bois qu'il fit connaître sa présence.

Ce n'était pas la première visite qu'il accordait à l'althaïen et pourtant il ne pouvait s'empêcher d'être à chaque fois dubitatif quant à son mode de vie. N'ayant cependant jamais émis la moindre critique ou le plus petit commentaire à ce sujet, le glacernois gardait une expression stoïque alors qu'il était guidé au travers des pièces jusqu'au bureau d'étude du maître des lieux. Un œil expert pourra toutefois remarquer que l'homme traînait sensiblement des pieds, ralentissant volontairement sa marche pour grappiller quelques secondes salutaires avant de devoir s'asseoir et supporter plusieurs heures de leçons rébarbatives sur la diplomatie, l'étiquette et d'autres foutaises de noblesse glorienne... Tout cela dans l'unique but d'exercer sa force mentale de sorte à ne plus risquer d'encastrer ses interlocuteurs sur la première surface dure à disposition et ce, au moindre écart de coutume.

Ilhan Avente s'était déjà employé à lui inculquer des bases l'année précédente et le glacernois avait sincèrement cru être capable de gérer quelques débats houleux, mais avec ce qu'il s'était passé à Cordont -que ce soit avec le jeune empereur Kohan qu'en présence de leur allié le Bourgmestre Leweïnra- lui avait prouvé par a+b qu'il avait encore beaucoup de choses à apprendre dans le domaine. Le Conseiller avait donc vivement insisté pour qu'ils augmentent drastiquement les leçons et c'était la raison de sa présence aujourd'hui. Heureusement pour le Général de Délimar, il avait réussi à tourner toute cette fâcheuse situation pour obtenir un avantage des plus... singuliers. En effet, contre sa totale docilité et attention lors des cours que lui procureraient l'althaïen, ce dernier devrait s'engager en retour à suivre des entraînements martiaux sous la tutelle du Champion ! Autant dire que ce dernier avait réellement hâte de s'y mettre autant pour sortir le politicien de son petit confort, que pour lui montrer combien il était difficile de s'aventurer sur des chemins inexplorés.

D'un regard, Sigvald parcouru la pièce et s'arrêta sur la silhouette du Conseiller. Un fin sourire étira ses lèvres et il s'approcha pour lui serrer la main, veillant à toujours doser sa force dès qu'il interagissait avec cet homme. Il lui paraissait tellement frêle en comparaison ! Trouver un entraînement adapté à sa structure s'était révélé être un véritable casse-tête, mais le glacernois était certain que tous ces efforts porteraient leurs fruits... tôt ou tard.

"- Avente, êtes-vous prêt ?"

Il eut vaguement l'espoir de l'entendre répondre par la négative et pouvoir ainsi grappiller encore quelques minutes supplémentaires, mais non ; le cours n'attendait finalement que lui. Le guerrier défit la boucle de sa ceinture afin de déposer ses armes et hésita à se mettre davantage à l'aise comme il aurait pu le faire chez un autre délimarien, mais préféra finalement s'installer à la table qui était dédiée à leurs études. Il savait l'althaïen plutôt réservé, voire carrément prude et ne voulait pas le mettre mal à l'aise en sa propre demeure. D'une petite poche tenue à sa hanche, il tira un carnet aux bords élimés et aux pages noircies de nombreuses annotations, de plans grossièrement esquissés de lieux et bâtiments ainsi que de rares croquis de paysages bien plus travaillés sur quelques pages doubles. Tirant un crayon de la même poche en cuir, il les posa devant lui et leva les yeux sur son professeur.

Même si cette matinée allait être entièrement dédiée à quelque chose qui lui passait habituellement largement au dessus de la tête et qui l'emmerdait profondément, il ne pouvait pas cracher ses propres ressentis au visage du Conseiller. Ce dernier prenait sur son temps précieux afin de lui prodiguer des cours de première main, il était une sorte de sommité dans le domaine ; autant de raisons pour que le Général lui montre du respect ainsi qu'une attention accrue même s'il sentait déjà poindre un début de migraine. Lui qui tenait rarement en place... ne pas bouger pendant des heures allait être une épreuve en soit.

"- Je vous écoute. Par quoi commençons nous ? Vous m'avez pour toute la matinée, ensuite nous ferons une pause pour une collation avant que vous ne soyez tout à moi pour l'après-midi..."

Il posa les coudes sur le bord de la table et croisa les mains sous son menton, observant avec une intensité accrue l'homme à la peau sombre alors qu'une pointe de moquerie perçait dans sa voix grave et profonde.

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Dire qu’il était content de lui serait mentir. Il n’était pas très fier d’user de ses anciennes méthodes, que Délimar jugerait si viles et si peu honorables. De ces anciennes méthodes qui avaient hissé Fabius au plus haut de son pouvoir… pour mieux l’en détrôner ensuite quand il s’était avéré un usurpateur pire encore que ceux qu’il avait usurpés. De ces anciennes méthodes qui avaient su dévier quelques rares Almaréens de-ci de-là en semant le doute dans les esprits des moins fanatiques. Ces rumeurs que ses papillons aimaient tant colporter, souvent à leur propre insu. Oh non il n’en était pas fier. Mais il n’avait pas su rester les mains croisées sans dénoncer un fait qui l’écoeurait au plus haut point.

De ces faits qui l’avaient désabusé du temps de son service auprès de la famille Kohan. Seules les années de régence avaient apporté un semblant d’espoir. Vite balayé toutefois quand la noblesse avait repris ses droits et ses coutumes, ce panier de crabes et de serpents.

De ces faits qui lui avaient fait perdre toute foi, et l’avaient fait se décider à rendre son tablier de politicien, à partir dans une retraite méditative et contemplative, avant qu'une Reine ne l'appelle.

Non il n’avait su rester les bras croisés et avait donc agi. À l’ancienne. À la glorienne. Et non à la délimarienne. Deux actes seulement, cela lui avait semblé suffisant pour avoir un petit impact. Il ne voulait pas risquer plus. Ne serait-ce que parce qu’il devinait que sa Reine désapprouverait. Plus que tout, plus que les risques qu’il encourait si l’Empire ou ses ennemis l’apprenaient, c’était l’avis de sa Reine, sa réaction, qui importait. Il n’agirait donc pas plus, cela serait suffisant. Cela devrait l’être. La deuxième et dernière rumeur avait dû commencer à se répandre il y a peu. La veille tout au plus. Peut-être depuis ce matin seulement. Il n’aurait pas encore d’informations sur les répercussions et sur l’opinion du peuple. Mais bientôt… peut-être…

Dihya arriva soudain sur le pas de la porte de son bureau et le sortit de ses songes. Il lui demanda de faire entrer son visiteur et s’empressa de ranger tout courrier, tout matériel, qui trahirait ses activités de l’ombre. Bien qu’il y ait des chances que Sigvald soit maintenant au courant, depuis son entrevue avec Tryghild à ce sujet. Il n’en avait aucune idée, et n’avait aucune envie de le savoir, pour tout dire. Ses relations avec le Général avaient parfois tendance à osciller entre étranges camaraderies, respect sincère et agacement forcené. Il préférait ne pas ajouter méfiance ou, pire, désapprobation à leur palmarès déjà bien compliqué.

Quand Sigvald entra, Ilhan se leva donc et lui serra la main, notant la délicatesse de cette poigne de fer pour ne pas lui broyer la main. Enfin pas trop.

"- Avente, êtes-vous prêt ?"

J’espère que vous l’êtes aussi, répondit-il en nordique tout en offrant un sourire taquin.

Qui semblait promettre une vile torture. Depuis leurs nombreux sujets de discorde sur les événements de Cordont, que ce soit au sujet de l’altercation du nordiste avec son ancêtre vampire, ou de son attitude parfois outrancière avec le bourgmestre de Caladon, sans parler du fait de presque étrangler un empereur lors d’une discussion diplomatique – rien que d’y penser Ilhan en avait encore des sueurs froides –, l’althaïen avait imaginé mille manières de se venger de ce manque flagrant de considération pour ses cours diplomatiques.

Enfin, pour ce qu’il avait pris comme tel, sur le moment. Plus le temps avait passé, plus il avait simplement convenu qu’ainsi était fait Sigvald. Que son tempérament était de fer trempé, et qu’il était inutile de vouloir le forger autrement, à moins de le replonger dans les braises ardentes de la forge justement. Il n’en avait, pour tout dire, aucune envie. Car ce fer trempé était nécessaire au final à un Général. Non, il devait juste tremper ce fer d’un alliage supplémentaire pour que le tout s’allie en parfaite harmonie. Le tout était de trouver cet alliage. Et, jusqu’à quelques jours, il avait eu grand-peine à trouver.

Tout comme avec Tryghild, il lui fallait inventer une autre manière de procéder avec le Général. Enfin son idée avait germé. Il espérait qu’elle porterait ses fruits et deviendrait un grand arbre fertile.

Il observa, avec un certain amusement, Sigvald sortir son petit carnet, comme un bon élève le ferait. Mais le délimarien n’avait rien du bon élève. Pas pour ces cours-là en tout cas. Mais, il avait envie de s’amuser quelque peu, alors, il commença, comme les cours précédents.

Bien. Alors nous allons revoir les protocoles impériaux, que vous semblez tant aimer et que vous avez su si bien… outrepasser… dernièrement.

Un fin sourire à la fois moqueur et féroce étira ses traits fins et racés, avant qu’il ne reprenne d’une voix lente et posée. Il préféra continuer en langue nordique, autant par respect pour l'homme en face, glacernois de souche, que par volonté d'intégration, d'adaptation. Même si son accent trainait sur quelques mots, se faisait parfois plus hésitant. Et il commença à réciter le protocole pour saluer un empereur, une princesse, un noble de la Cour… Jusqu’à ce qu’il ne tienne plus lui-même, trop amusé de ce petit jeu, et que son sourire ne finisse définitivement par le trahir.

Il posa alors une main calme sur le carnet qu’il rabattit à plat sur la table.

Inutile de noter plus avant, mon Général, je vous taquinais. J’espère que vous me pardonnerez cette… permissivité, mais c’était trop tentant.

Se disant, il ferma d’office le carnet et le poussa plus loin.

Pour ce que j’ai prévu, vous n’en aurez pas besoin. Voyez-vous, je pense que je n’avance pas de la bonne façon, que je ne procède pas comme il le faut avec vous. Vous ne tenez pas en place pendant mes cours, cela vous démange de courir au loin, et si vous comprenez parfaitement ce dont je vous parle, car je ne doute pas de votre intelligence, vous n’êtes pas fait pour… appliquer… ces rigueurs protocolaires. Parce que je ne vous les présente sans doute pas de la bonne manière.

Il se leva donc et alla chercher une petite boite en bois, ainsi qu’un grand rouleau de parchemin.

Je vais tenter de procéder autrement, de vous faire voir les choses sous un autre aspect. Un peu… Eh bien oui, je l’espère, un peu à la délimarienne.

Il offrit un petit sourire en coin à Sigvald, avant de reprendre.

Si vous êtes d’accord, nous allons donc avoir un temps de cours, avec ceci, fit-il en agitant ce qu’il tenait et en les posant sur la table. Puis nous irons ensuite dans la petite cour que vous voyez…

Il désigna celle-ci d’un signe de main.

Pour… un autre pan de mes cours. De… méditation. Cela vous semble rébarbatif, dit ainsi, mais… je tenterai de vous montrer ce qu’il en est, de l’adapter à votre caractère. Si vous l’acceptez bien sûr.

Il laissa planer un court silence, puis reprit, en déroulant le grand parchemin.

Voici un plan d’une des grandes salles du palais de Sélénia.

Puis il ouvrit la petite boite, où s’éparpillaient de petites figurines. Certaines en parfaites représentations de personnalités séléniennes. Ou presque. Disons avec les traits marquants permettant de les reconnaître. L’Empereur, les princesses Kohan, l’épouse de l’une d’elles, quelques nobles notables… D’autres étaient plus rudimentaires et ne portaient qu’un petit écriteau avec un nom. Par faute de temps. Concevoir toutes ces figurines avaient pris un temps fou…

Je crois avoir noté que vous aimiez bien les petits… soldats de bois. Nous ne jouerons pas de nouveau avec des mies de pain pour faire office de figurines. Si cela vous plait, vous pourrez remercier Shan, mon serviteur le plus âgé, qui s’est fait un plaisir de les sculpter.

Il les positionna une à une sur le parchemin qu’il avait calé avec son encrier et autres objets.

Voyez-vous, mon Général, vous avez toujours observé la Cour comme un ensemble de gens rébarbatifs, pénibles au possible, aux mœurs et coutumes abjectes et incompréhensibles. Mais en fait…

Il posa la dernière pièce.

En fait, il vous faudrait la voir… comme un tableau de guerre. Il vous faut la voir en stratège de guerre devant son plan de combat. Un plan en perpétuel mouvement.

Il leva alors les yeux sur Sigvald et lui demanda :

Est-ce que cela vous conviendrait mieux que nous abordions cela…

Il désigna son petit plateau à demi improvisé.

sous cette nouvelle approche ?

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S’il était prêt ? Autant que possible en tout cas. Ses yeux s’écarquillèrent légèrement quand le sommaire du cours lui tomba dessus avec autant de légèreté qu’une brique. Ce fut avec grande peine qu’il se retint de grimacer et il se contenta de hocher la tête en signe d’acquiescement, semblable à un condamné mené à l’échafaud. Par Loup qu’il détestait ces protocoles indigestes ! Pourquoi ne pouvait-on simplement pas se ranger aux plus simples lorsque deux partis se rencontraient ? Cela faisait gagner du temps, éviter des migraines ou des bourdes ridicules. Avec un lourd soupir, le Général se redressa et commença à prendre docilement des notes, essayant de ne pas bailler entre deux protocoles ou même de rouler des yeux lorsqu’un détail lui semblait beaucoup trop pompeux. Ce qu’il ne fallait pas inventer tout de même !

Il ne releva le nez des lignes condensées de ses petites pages que lorsque la main sombre de l’althaïen couvrit son carnet pour le lui faire déposer à plat sur la table. Haussant un sourcil circonspect, Sigvald écouta ce que son professeur improvisé pouvait bien chercher dans cette interruption. Loin de s’en plaindre dans un premier temps vu l’aspect salutaire de cette pause, il finit rapidement pas déchanter lorsque la nature de cette dernière lui fut révélé. Une taquinerie ? Il venait de se manger quinze minutes de cette merde pour… l’amusement du Conseiller ? Une veine gonfla sur la tempe et d’un spasme de sa dextre, son pauvre crayon fut brisé net en deux, ne laissant dans le silence qui suivit la taquinerie d’Ilhan qu’un petit claquement sec d’agonie boisée. Les yeux bleus du glacernois s’étaient dangereusement assombris, revêtant un lustre d’ardoise, mais il prit une profonde inspiration pour ne pas secouer l’autre comme un dattier.

Quelle ironie que ses cours lui sauve la mise cette fois ! Avec l’ombre d’un sourire aigre, Sigvald se renfonça dans son siège et croisa les bras sur son torse alors qu’il grondait :

« - On en rediscutera cet après-midi, cher Conseiller. On verra si vous aurez alors toujours le goût à la taquinerie… ou si vous apprécierez la mienne. »

A charge de revanche, donc. Retrouvant son sérieux, Sigvald observa son cahier être poussé sur un bord et hocha la tête lorsqu’il fut décidé qu’il n’en aurait plus besoin. Tant mieux ! Il n’était pas très bon avec la théorie de toute façon. Mâcher du pré-fabriqué avait toujours été un véritable calvaire, lui qui préférait le concret et le rationnel. Intrigué par la façon dont Ilhan commençait à tourner ses cours, il se redressa à mesure que son mentor s’agitait. Lorsqu’il le vit approcher avec un grand rouleau et un coffret, sa curiosité était définitivement piquée et il hocha à nouveau sobrement du chef pour lui faire savoir qu’il comprenait et qu’il avait toute son attention pour poursuivre.

Toutefois, Ilhan manqua bien de perdre son élève lorsqu’il prononça le mot « méditation ». L’archer avait aussitôt soupiré et roulé des yeux avant de se renfoncer dans la chaise et d’observer sans grande conviction la petite cour visible depuis l’une des fenêtres. Allons bon et il attendait quoi de lui ensuite : qu’il porte des perles et boive du thé en parlant de boules ? Non merci. Ce n’était, justement, pas sa tasse de thé. Gardant pour lui des propos aussi injurieux, ne voulant pas vexer son ami, il reporta son attention sur ce que contenait autant le parchemin que l’intérieur de la boite.

Il reconnaissait tout cela. Définitivement et pour le meilleur enfin de compte ! Peut-être que tous les efforts de l’althaïen n’étaient pas bon à jeter. Pour la seconde fois, Sigvald se redressa et vint fouiller dans le coffret pour observer un à un tous les pions. Il les manipulait avec une grande délicatesse et eut même un sourire appréciateur tandis qu’il caressait le grain du bois et venait même en respirer les parfums arrondis par la cire et les vernis. Cette fois, ce fut un regard taquin qu’il coula sur le Conseiller quand il répliqua du tac au tac :

« - Ce qui est bien avec la mie de pain, c’est qu’on peut la manger une fois que l’on en a terminé avec le conseil de guerre... »

Pragmatique, il esquissa un sourire plus franc avant de lui tendre les petites figures à tour de rôle après les avoir fais tourner une dernière fois entre ses doigts calleux. Il observa la salle du trône s’animer et comprit

« - Peut-être ferais-je appel à votre serviteur pour sculpter d’autres figurines… ou simplement en discuter. Je dois avouer qu’il est doué. Moi-même j’aime à travailler le bois, c’est reposant. Gratifiant, même. »

Un matériel vivant et en constante évolution, demandeur dans son entretient et son utilisation, mais qui rendait les œuvres les plus vibrantes et satisfaisantes qui soient. Du moins, de son avis. Chassant le sujet d’un signe de la main, le Général observa d’un œil critique ce prétendu champs de bataille et fronça quelque peu des sourcils.

« - Cette approche ne me semble pas plus mauvaise qu’une autre en tout cas. Peut-être est-ce la mieux pensée jusqu’à présent. Mais je vous en pris, éclairez-moi sur la suite, Avente. L’objectif final est donc de gagner le combat en ressortant de cette salle sans être blessé. Les blessures sont les impairs politiques, la victoire est l’obtention d’avantages ou de faveurs… ? Nos armes c’est… nos arguments, atouts économiques et j’en passe, donc. Quant à nos boucliers, parades et esquives, c’est la connaissance des protocoles de l’ennemi… Ai-je bon ? »

Il releva les yeux sur lui, attendant le verdict. Malgré sa bonne volonté et sa curiosité, il sentait poindre d’avance un mal sacré mal de crâne.

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Si le bruit du bois se brisant devant lui manqua le faire sursauter de peu, sursaut qu’il parvint à maitriser sans bouger d’un iota et sans baisser les yeux devant la colère ardente qui grondait devant lui, il n’en perdit pas pour autant son sourire. Même s’il se fit un tantinet moins provocant.

Il ne le perdit toujours pas quand l’autre fit mention de sa possible vengeance l’après-midi même. Oh oui, il savait bien qu’il allait souffrir. Forcément ! Avec le Général en professeur, il ne pouvait que souffrir. Mais il n’en avait cure en cet instant. Ce moment était à lui, à lui seul, et dans cette pièce, c’était lui le maître. Et il saurait dompter son élève récalcitrant, foi d’Avente.

En tentant de le dompter non plus par la force, mais par l’adhésion. Lui ancrer des savoirs à coup de martinets n’était pas dans ses méthodes et répéter sans cesse le même laïus protocolaire ne servait visiblement à rien, si ce n’est à braquer le loup géant. Non, il voulait que le nordique comprenne les enjeux, les fasse siens, les appréhende totalement, même si sous un jour particulier, pour enfin les prendre en main de lui-même, pour assimiler les éléments essentiels qu’il devait savoir, s’il voulait seconder dignement son Intendante. Ilhan savait l’homme capable d’apprendre. Malgré son tempérament impulsif et son côté bourru, Sigvald n’était pas dénué d’intelligence, loin de là. Il fallait juste lui trouver la motivation d’apprendre ce qui, de prime abord, lui semblait inutile, futile et stérile.

Et quel ne fut pas son soulagement quand il vit enfin l’intérêt illuminer ce regard de glace, une fois son nouveau mode d’enseignement présenté. Il tenait là quelque chose, enfin !

« - Ce qui est bien avec la mie de pain, c’est qu’on peut la manger une fois que l’on en a terminé avec le conseil de guerre... »

Ilhan ne répondit mots, mais se contenta de pousser une petite coupelle de friandises en tout genre qui trainait sur la table. Le geste disait tout : qu’il se fasse plaisir. La maison offrait.

Shan est très doué en effet. Comme chaque membre de cette maison, même si chacun cultive des talents différents, répondit l’althaïen avec un sourire oscillant entre fierté et mille promesses.

Il préférait ne pas se prononcer quant à ces promesses muettes, qui pouvaient tout autant être plaisir des sens que plaisir mortel.

Il avait repris le langage commun, vu que Sigvald semblait le préférer pour cet entretien. et il devait avouer, même s'il commençait à bien maitriser le nordique, que la langue commune serait plus pratique pour son cours.

Il écouta ensuite la rapide analyse du général et son sourire s’élargit quand il entendit l’autre tenter, réellement, de s’approprier la méthode. Il n’aurait peut-être pas fait les mêmes comparaisons, mais peu importait. Pour une des rares fois depuis qu’ils avaient commencé ces cours, ils avançaient. Et Ilhan entrevoyait enfin la possibilité de faire entrer un peu de plomb dans cette tête de pioche. Du moins les connaissances pas si inutiles que le pensait le Général, quant à ses anciens pairs de Sélénia. Il retint un soupir de soulagement et se contenta d’ancrer son regard sombre dans celui si clair de Sigvald.

On pourrait dire cela, en effet. Je rajouterai, que les blessures, même de type impair politique, peuvent être mortelles. La mort ici est alors la perte de toute considération, de toute influence, la perte d’attention et la perte de pouvoir être écouté, la perte de pouvoir donner des conseils avisés. Ce peut être également la mort réelle. N’oublions pas que certains empereurs sont parfois sujets à la condamnation facile. Insulter la couronne peut également vous valoir une destitution de tout ce que vous possédez ou pire, et vous mettre en situation d’insécurité ou de précarité. Ou vous pouvez vous faire des ennemis… mortels… qui n’hésiteront pas à vous faire poignarder à la moindre occasion. Ou à vous faire empoisonner...

À ce dernier mot, son ton s’assombrit nettement. Et ses orbes de jais se teintèrent d’une lueur terriblement sérieuse, avant de coulisser vers les gourmandises dans la coupelle, puis de revenir sur Sigvald et de lui offrir un léger mouvement de tête.

Peut-être comprendrez-vous un peu mieux quelques-unes de mes… manies, fit-il en un sourire mi-figue mi-raisin.

C’était là un aveu à demi-mot, sa peur de l’empoisonnement qui l’avait suivi jusqu’ici. Un aveu, une confidence… Une marque de confiance. Il n’était pas bien sûr que Sigvald le comprenne ainsi toutefois.

Mais je vous rassure, ces gourmandises ont été goûtées, vous pouvez les manger en toute tranquillité.

Et comme pour appuyer ses mots, il en croqua une sans hésitation. Puis reprit, sur un ton plus sobre :

La victoire est effectivement pour certains les avantages ou faveurs de l’empereur, ou de nobles bien placés. Selon moi, la réelle victoire serait plutôt l’influence. La voix qui chuchote, conseille, guide. Le pouvoir dans l’ombre. Si vous ne deviez retenir qu’une seule chose de tous ces cours, une seule, ce serait celle-là : les ombres sont souvent plus à craindre que le mur sur lequel elles se projettent. Le pouvoir à Sélénia n’est parfois qu’illusion et ce sont les ombres qui les créent.

Il soupira, espérant que Sigvald comprenait. Et ne jugeait pas trop hâtivement l’homme qu’il avait en face de lui, un homme qui avait, au final, fait partie de ces ombres. Un homme qui pour autant était venu à Délimar pour devenir l’ombre de Tryghild. Mais une ombre qui voulait, vraiment, la servir elle, son peuple et le peuple humain.

Mais, s’il avait longtemps hésité à révéler tout cela à Sigvald, il sentait que le moment était venu que le Général comprenne vraiment ce qu’il en était. Qu’il comprenne tous les tenants et aboutissants, même si pour cela, Ilhan devait révéler une part de lui-même. De ce qu’il avait été du moins. Quoique cela pût lui coûter. Il se permit toutefois un lourd soupire, et posa sa friandise non finie sur un coin de table. Il sentait son estomac se nouer. Mais c’est d’une voix toujours aussi calme et posée, qu’il reprit, sans paraître s’émouvoir plus que cela.

Les armes sont les arguments oui. Mais de quoi sont donc formés ces arguments ? De mots premièrement. Et les mots en cette Cour sont comme les abeilles : ils ont le miel et l'aiguillon. Les mots sont des pièges, où il s'agit de prendre sans être pris. Et enfin les mots peuvent assassiner tout autant que les armes. La deuxième chose à retenir est donc que, mis à part pour quelques fats particulièrement sots, chaque mot prononcé à la Cour aura son importance et pourra être à double tranchant. Je ne vous demande pas de devenir un maître des mots. Par contre vous pouvez apprendre à décrypter ce qu’ils cachent, à lire entre les lignes… et vous pouvez apprendre, si ce n’est à en jouer comme ces nobles de la Cour, à penser à deux fois à ce que vous allez dire. À réfléchir avant de parler si ce que vous allez dire ne va pas discréditer Tryghild, la mettre en porte-à-faux, ou ruiner ce qu’elle a pu gagner. C’est pour ce point-là que j’aimerais tenter, si vous l’acceptez, de vous apprendre quelques techniques de maitrise de soi… issues de la méditation, que j’espère parvenir à adapter pour vous. Nous verrons cela après, si cela vous convient.

Il observa Sigvald, guettant un signe d’approbation. Il mettait cartes sur table, pour une des premières fois. Se mettant à nu, ou révélant tous ses motifs. Tout cela, il le faisait pour Sigvald, mais aussi et surtout pour Tryghild. Puisque tout le reste avait échoué, il espérait que la franchise directe déclencherait une acceptation pleine et entière de ces séances par le Général. Ilhan était prêt à tout lui donner. Restait à voir si Sigvald était prêt à tout prendre.

Les mots donc sont le premier élément de ces arguments. Mais les mots seraient vains, vides, inutiles, s’ils n’étaient pas alliés à un autre ingrédient primordial qui forme vos arguments. Et cet autre ingrédient n’est nul autre que…

Ilhan plissa les yeux et se rapprocha doucement de Sigvald pour presque lui chuchoter à voix basse et grave.

L’information.

Puis se redressant d’un coup, il darda un regard sombre brillant d’une lueur conquérante. C’était là son terrain à lui. Un de ses terrains de prédilection.

L’in-for-ma-tion, répéta-t-il.

Et à travers les inflexions de sa voix, on pouvait clairement entendre le Tisseur s’exprimer.

C’est ce que nous travaillerons aujourd’hui. Quant aux bouclier et parade ou esquive… Oui, le protocole est un peu de cela. Mais c’est aussi un miroir. Un pont. Le protocole vous permet de montrer que vous les connaissez, que vous connaissez leurs mœurs, de montrer que Délimar n’est pas une ville de sauvages incivilisés, comme tous ces nobles tendent à le penser. Vous me rétorquerez que vous n’avez que faire de ce qu’ils pensent. Peut-être n’avez-vous pas tort. Mais tant qu’ils considéreront Délimar comme des rustres sans une once d’intelligence, ils ne nous écouteront pas. Nos mots, ou nos armes, n’auront que peu d’éclat. Montrer que l’on connaît leur protocole, qu’on le suive ou non d’ailleurs, mais montrer qu’on les connaît, que l'on connaît leurs mœurs, nous permettra d’être écoutés, de faire entendre nos voix. Et nous aurons déjà gagné une première bataille, sans même qu’ils s’en aperçoivent. Et connaître le protocole vous permettra finalement d’obtenir quelques ersatz d’informations quand vous rencontrerez quelqu’un pour la première fois, selon la manière dont il vous aborde, vous salue, son blason ou… tout autre élément de ce genre.

Il s’humecta les lèvres et se permit enfin de s’asseoir, préférant, pour la suite, prendre une position plus confortable. Il ne tiendrait pas debout tout le temps de ce cours.

J’espère que vous comprenez maintenant tout l’intérêt de comprendre et connaître le protocole. Mais…

Il leva une main pour lui intimer de le laisser finir.

Nous ne travaillerons pas sur cela aujourd’hui. Je sais que vous en avez assez sur le sujet. Et il me faut trouver comment l’aborder autrement avec vous.

Aveu muet qu’il ne l’avait toujours pas trouvé…

Vous avez déjà eu pas mal d’éléments en ce sens, nous y reviendrons donc plus tard, un autre jour.

Se disant, il chassa ces préoccupations d’un geste de main, comme chassant une mouche imaginaire.

Nous allons travailler aujourd’hui sur l’information. Peaufiner ce que vous savez déjà peut-être sur certains de ces personnages.

Il désigna alors les petits soldats de bois.

Nous allons pour cela jouer à un jeu.

Il sortit deux dernières figurines. Qui représentaient nuls autres que Sigvald et Tryghild.

J’espère qu’elles vous plairont et que vous serez assez indulgent avec Shan si vous trouvez à y redire, fit-il en un petit sourire taquin.

Il positionna les deux figurines sur le plateau. Tryghild devant l’Empereur, Sigvald juste sur sa droite. Il repositionna les autres figurines de la Cour à des endroits stratégiques, pour la plupart tout autour, en demi-cercle, autour du trio majeur, et quelques-unes à des endroits plus reculés. Coins, derrière un rideau, ou près de portes, dont certaines dérobées.

Voilà où vous vous trouvez. Vous êtes en infériorité numérique. Mais peut-être pas stratégique, si vous parvenez à bien analyser la situation. Vous semblez être tombés dans un piège. Pour autant… si vous connaissez bien les mors du piège qui vous retient, vous pourrez peut-être vous en défaire.

Il espérait que la comparaison continuerait de faire mouche et titillerait les sens aiguisés du Général.

Dites-moi d’abord qui, parmi eux, vous reconnaissez. Qu’est-ce que leur position vous laisse à penser. Et quels éléments étranges ou inconnus, voire inquiétants, vous interpellent.


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L’invitation silencieuse à se restaurer lui arracha un haussement de sourcil avant qu’il n’esquisse l’ombre d’un sourire désabusé et n’ignore la coupelle de friandises. Il n’était pas du genre à aimer le sucre, plus encore lorsqu’il s’agissait de ces pâtisseries althaïennes pleines de beurre et de miel au point d’en brûler la langue. Plutôt que de s’intoxiquer, Sigvald préféra se concentrer sur ce que son professeur lui disait et s’il fut satisfait de s’entendre confirmer ses hypothèses, les corrections lui firent légèrement froncer des sourcils en une expression plus songeuse, voire contrariée. La politique était bien plus impardonnable qu’il ne l’avait d’abord cru, surtout dans la Cour Sélénienne. Une blessure qui devenait mortelle ? Un simple trébuchement qui sonnait le glas de toute une famille ou un peuple ?

Un lourd soupir lui échappa et le glacernois s’adossa dans son siège, bras croisés sur son torse puissant. Les traits acérés et nobles de son visage se crispèrent sous la concentration et l’intense réflexion dont il faisait preuve sur l’instant. Il savait qu’insulter la Couronne était un crime puisque l’insulte à toute autorité était condamnable quel que soit le nom qu’on pouvait bien lui donner. Le premier qui insulterait l’Intendante, s’il ne se faisait pas rosser par cette dernière en personne, aurait alors à goûter à sa propre colère et juste punition. Toutefois, pouvait-on vraiment punir un acte de maladresse causé par l’ignorance ? Jusqu’où l’un pouvait être condamné et jusqu’à quand pouvait-il être excusé ? Ce flou semblait trop précaire, à l’appréciation seule de la tête couronnée subissant l’affront ! Quelqu’un de magnanime détournerait le regard alors qu’un dirigeant ombrageux abaisserait le couperet.

« - Avente, vous... »

Il détourna son regard du plateau pour observer le Conseiller et posa une main sur son épaule, la lui serrant avec douceur.

« - Je vous fais confiance, Avente. La seule chose que j’ai à craindre sous votre toit, c’est le gain d’une migraine ou de poignées d’amour. »

Taquin, il retira sa main après lui avoir tapoté l’épaule avec camaraderie. Il appréciait sincèrement l’althaïen, persuadé que jamais il ne trahirait -si ce n’était lui- au moins Tryghild. L’adoration du vieux politicien pour leur Intendante était transparente, parfois même embarrassante, mais au moins ne jetait-elle aucune ombre sur la sincérité de ses intentions. Prenant donc cette marque de confiance dans l’aveu de sa plus grande crainte avec autant de fierté qu’il le ferait d’un trophée de chasse, le Général hocha sobrement la tête pour l’encourager à poursuivre leur leçon.

« - Une ombre disparaît à la lumière d’un zénith. C’est une chose éphémère qui ne peut grandir que si l’on doute et l’on se rétracte hors de vue. Le soleil est la vérité, la droiture. L’ombre ne peut grandir que si elle est dissimulée à tout cela ; dans la pénombre des doutes et des incertitudes. Si l’on ne la nourrit pas, elle n’aura aucune importance, aucune influence. Si notre coeur et notre esprit sont en paix, nous n’avons pas besoin de ces murmure… Sélénia est faible, rongée jusque dans ses fondations par la peur et la corruption. Cette Archipel aurait dû être une occasion de faire table rase et pourtant nous voilà rendu... »

Il soupira et se rembrunit, cessant de ronger sa frustration et son impuissance face à ce trône jadis au sommet des peuples et maintenant ? Tout juste une chaise à langer pour un enfant couronné ! L’homme serra la mâchoire et attrapa une figurine pour s’occuper les doigts, refusant de céder à sa frustration et de se mettre à faire les cents pas dans la pièce. Tout cela ; cette politique, n’était qu’une farce. C’est pourquoi Glacern avait survécu si longtemps malgré les outrages subits par l’Empire au cours des siècles passés. C’était pour ça que Délimar s’élevait avec cette même fierté et pugnacité, infaillible et indestructible. Son peuple n’avait pas à craindre une quelconque honte ou ployer de culpabilités. Ils avançaient toujours, sous le zénith de leurs convictions. Sans jamais faillir ou ployer le genoux.

Toutefois les choses changeaient : leur nouveau territoire était trop petit pour qu’ils puissent ignorer éternellement leur voisin. Il fallait cohabiter et pour ce faire ; tous devaient faire un pas vers l’avant. Sélénia semblait encore trop engluée dans son orgueil bafoué pour le faire, alors ce sera Délimar qui aura cette noblesse de cœur et avancera, tendra la main et attendra que l’autre se décide. Soit la couronne s’étouffait dans sa fierté, soit elle descendrait de son piédestal et approcherait à son tour. Dans tous les cas, eux n’auraient rien à se reprocher. Malgré toute cette bonne volonté, Sigvald en avait déjà ras le cul de cette situation et se massa l’arrête du nez avec un vague grondement.

La suite, sur l’importance des mots, lui fit plusieurs fois rouler des yeux alors qu’il se mordait l’intérieur d’une joue pour ne pas simplement lui rabattre qu’il ne jouait jamais avec ces derniers et que chacune de ses phrases était aussi crue et sincère qu’elle pouvait l’être. Si quelqu’un s’amusait à tordre ses mots en une autre signification, c’était son cou qu’il tordrait à son tour pour lui apprendre à respecter et entendre ce qu’on pouvait bien lui dire. Mais il entendait les arguments et aussi déplaisant puissent-ils être, il ne comptait pas discréditer Tryghild d’une quelconque façon que ce soit ; même si pour cela il devait se plier à un jeu aussi écœurant et absurde que la politique sélénienne… ou celle caladonnienne.

« - Méditation ? »

Là, le Général ne cacha pas son incrédulité avant qu’il ne fronce des sourcils. Il était hors de question qu’il s’assoie pendant des heures à ne rien faire ! Ilhan avait peut-être du temps libre pour ce genre d’activités, mais lui n’avait certainement pas ce luxe. Le regard glaciale qu’il lança d’ailleurs au Conseiller valait milles mots. Heureusement, l’althaïen ne s’attarda pas sur le sujet et continua son cour comme si de rien était. A le voir s’approcher de lui, Sigvald se renfrogna davantage et crispa des épaules alors qu’il le toisait avec une sévérité grandissante. Il commençait lentement à en avoir marre de tout ce bavardage et voulait plutôt passer aux choses sérieuses. L'entendre lui répéter la même chose, en articulant comme s'il était un idiot lui hérissa les nerfs.

« - Je ne suis pas sourd. »

Grogna le Général avec mauvaise humeur alors qu’il se redressait dans son siège et posait la petite figurine à sa place attribuée. Un sourire fauve, toutefois, étira ses lèvres alors qu’il soufflait avec une indifférence feinte, lacée de dangerosité dans les inflexions aussi tranchantes que des lames de barbier :

« - Oh je suis sûr que nos armes auront autant d’éclat que l’on peut le désirer si nous venions à les lever contre l’Empire... »

Ses poings massifs se crispèrent sous un frisson de violence contenue. Les combats lui manquaient et si la guerre était une horreur qu’il ne désirait qu’en dernier recours, il ne pouvait étouffer le besoin de violence, l’adrénaline du danger lorsqu’il confrontait des adversaires à sa mesure… voire plus dangereux encore. Les vampires ou des troupes entières de piétons séléniens ? Il les prendrait de front sans faillir. Il était une arme, né et forgé pour le combat. Rester si longtemps dans une époque de paix le rendait fou. Un soupir, bref et sec, chassa ces pulsions prédatrices et il s’enfonça à nouveau dans son siège, ses yeux pâles scrutant le parchemin avec un intérêt effacé.

« - Je connais les protocoles. C’est juste une véritable plaie de les appliquer. »

Il n’était pas stupide, juste qu’il ne trouvait aucune logique à se plier à ce genre d’hypocrisie. La plupart de ces soit disant nobles n’avaient rien fais durant toute leur vie pour mériter une telle aisance sociale. Des rentiers et des tiques vivant sur le dos du peuple et les réserves entassées par leurs ancêtres. Comment pouvait-on lui demander de montrer le moindre respect -sincère ou non- à ces loques poudrées et parfumées !? Un lourd soupir lui échappa et il passa une main sur son visage, restant silencieux et impassible malgré la couleur d’ardoise de ses prunelles. Heureusement, la vue des figurines le tira de son humeur de plus en plus maussade et il se pencha pour les observer de plus prêt.

« - Il n’y a rien à redire. »

Elles étaient très bien comme ça. Il laissa son attention traîner sur les figurines dissimulées et pencha un peu la tête sur le côté sans toutefois interrompre son professeur sur le pourquoi de ces positions « douteuses ». Il s’en doutait ; espions, gardes du corps, intrigants en défaveur qui venaient ramasser des miettes d’informations. Un soupir lui échappa encore et il leva le nez vers Ilhan, toujours penché vers le plan de la Cour. Quand il eut les informations importantes sur cette simulation, il hocha la tête et se redressa.

« - Nous faisons face à l’Empereur Kohan. Ceux qui sont le plus proche sont les actuels favoris de la Cour, ce sont les Courtisans, non ? Ceux qui détiennent le plus d’informations et de pouvoir sur le moment. Ils peuvent changer à tout instant, selon leurs propres jeux de puissances et de complots internes. Je peux m’en intéresser, mais sans plus : même si j’obtiens parmi eux un allié, il y a de fortes chances pour qu’il ne soit plus là à la prochaine rencontre. »

Cela ne servait à rien de gaspiller son temps et son énergie. Sigvald désigna les autres figurines.

« - Près du trône doit se trouver le Chancelier. Il est souvent la voix et la volonté de l’Empereur sur les affaires d’état. Derrière la première rangée de nobles se trouvent le reste de la Cour, ceux qui ne sont ni en faveurs, ni en défaveur. »

Il montra ensuite ceux cachés à des endroits incongrus.

« - Ce sont des espions, des assassins ou des gardes d’élites en civiles. Puisqu’il s’agit d’une rencontre officielle, l’Empereur ne peut pas s’entourer d’une force armée trop importante où ce serait nous insulter en nous prêtant des intentions belliqueuses. Toutefois nous ne sommes pas les seuls dont il doit se méfier : sa Cour est un véritable panier à vipères. Ceux en faveurs et ceux en défaveurs doivent absolument grappiller des informations pour regagner ou conserver l’intérêt de l’Empereur. Ils peuvent aussi décider d’éliminer la concurrence et profiter de notre visite et d’une possible baisse dans la sécurité pour jouer leurs assassins. Voire nous rejeter la faute s’ils se font prendre et créer un beau merdier diplomatique avec des soupçons et des menaces... »

Il soupira et s’accouda à la table, posant le menton dans le creux d’une main tandis qu’il faisait tourner sur son socle une autre figurine.

« - Même si je remarque des comportements suspects, je ne peux pas bouger ou intervenir à moins qu’une action claire et volontairement hostile ne soit présentée envers moi ou Trygild… et même de l’Empereur. Si je ne fais rien alors que sa vie est en danger, nous serons associés à cet attentat. Si je bouge alors que les intentions étaient encore trop floues, je serais accusé de volontairement impliquer un tiers et créer un conflit... »

Sigvald gronda à la migraine qui enflait sous ses tempes.

« - Et même si l’Empereur sait qu’il y avait bien attentat contre lui ou nous, sans preuves irréfutables il ne peut pas risquer de se mettre la Cour à dos… justement parce que son pouvoir n’est qu’une illusion que tous ces gens alimentent comme un putain de spectacle d’ombres shinoïze. »

D’une pichenette, il coucha la figurine et regarda Ilhan d’un air ennuyé.

« - Non ? »

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S’il fut touché quand le glacernois lui confia n’avoir rien à craindre sous son toit, notamment ne pas craindre quelque fourberie empoisonnée, il se sentit hésiter entre amusement et agacement quand il évoqua des migraines ou des poignées d’amour. Les migraines en Délimar étaient souvent en lien avec les délimariens justement ! Sa maisonnée était son antre de quiétude et de… bon d’accord pour le glacernois, cette simple quiétude devait donner la migraine. Accordons-lui cela. Quant aux poignées d’amour… il n’en avait pas !

N’est-ce pas ? Il prenait soin d’entretenir son corps et était encore assez bien conservé pour son âge, non ? Son regard coulissa légèrement sur sa silhouette, avant de revenir sur le délimarien. Bon, certes, selon les standards locaux, sa musculature nerveuse n’était pas assez prononcée ni assez ferme pour ne pas paraître graisseuse. Mais tout de même ! Il préféra toutefois ne pas relever, et continua sur sa lancée, comme si de rien n’était.

Il ne répondit pas non plus quant aux ombres et à Sélénia. Il comprenait cette vision des choses. L’éclat de l’honneur pouvait parader au soleil oui, fier de sa droiture et de sa ligne de conduite sans faille, et n’avait que peu à craindre des ombres tant que cet éclat brillerait. Mais il s’agissait là d’une conception purement délimarienne. Dans les autres cités, dans les autres systèmes politiques, que ce soit en Sélénia ou à Caladon, nul éclat ne régnait vraiment. Les ombres tiraient les ficelles et faisaient tout pour prendre le pouvoir.

Ilhan n’insista pas pour autant. Tous les gestes de Sigvald, cette façon de vilipender, de se masser le nez en grognant, lui indiquaient qu’en fait le général avait compris ce qu’Ilhan tentait d’expliquer. Il n’approuvait pas, s’en trouvait peut-être même contrarié, voulant se rebeller contre ce système plutôt que d’en jouer. L’althaïen le comprenait lui-même pour tout avouer. S’il avait voulu s’en éloigner et prendre sa retraite, ce n’était pas pour rien. S’il avait accepté de venir en Delimar, ce n’était pas pour rien non plus, c’est parce qu’il avait vu ce soleil rayonnant qu’il voulait voir s’étendre à tout le continent pour en chasser les fourbes ombres. Mais pour cela, il fallait déjà comprendre les ombres et s’en jouer encore quelque temps aussi.

Heureusement, si son élève grommela encore sur les points suivants, il parvint à retrouver une certaine concentration et application pour poursuivre. De tous les " apprentis " qu’il avait pu avoir sous sa férule, Ilhan devait avouer que celui-là, entre tous, était le plus difficile. Plus compliqué encore que Tryghild et cela n’était pas peu dire !

Heureusement la suite le rassura. L'analyse de Sigvald était assez bonne, dans l’ensemble. Elle manquait de nuances, mais cela n’était pas anormal. Pour un début, c’était plutôt bon signe, et cela se révélait digne de l’esprit de stratège du général. Ilhan était soulagé d’avoir trouvé une certaine analogie avec le terrain guerrier, pour qu’enfin ils avancent. Et d’un grand pas. Comme quoi, il avait bien écouté lui-même ses cours de stratégie militaire !

Votre analyse est intéressante et a du potentiel. Notez que le Chancelier et les conseillers proches de l’Empereur peuvent ne pas toujours soutenir l’Empereur, ajouta-t-il en levant un doigt. Il vous sera donc important d’être bien renseigné sur eux, pour savoir sur quel levier appuyer si besoin. Parfois il vaut mieux les convaincre eux, avant l’Empereur. Et avant les nobles.

Ilhan accorda à Sigvald un sourire féroce. Teinté de cette nuance carnassière, quand il préparait un mauvais coup. Pas envers Sigvald toutefois. Mais plus aux souvenirs de tous les coups pendables qu’il avait pu réaliser dans cette Cour. Et de tous ceux possiblement à venir, même si cela était plus distillé et plus délicat à distance.

Pour le reste… Même si je ne reprendrais pas tout à fait les mêmes termes que vous, nous pourrions le décrire ainsi. Tout ceci montre une chose : l’intérêt de connaître un minima les personnes en présence et l’importance de détenir assez d’informations à leur sujet. La puissance c’est le savoir, disait un de mes maîtres. En l’occurrence, ici, la puissance c’est l’information.

Il désigna alors une pièce, et commença à expliquer de qui il s’agissait. Non pas en termes de titre, ou d’importance de fortune, mais en termes de nom et de visage à enregistrer, de possibilité en tant qu'allié ou en tant qu'’ennemi à jamais affilié à des intérêts peu valeureux, comment il pourrait considérer Delimar, et comment les considérer en retour. Non pas en termes de protocole et autres fadaises qui insupportaient Sigvald, mais en termes de degré de méfiance, d’affinités ou d’inimitié, et en termes d’armes aussi. Même s’il s’agissait là d’armes politiques. En termes de poids vis-à-vis de l’Empereur.

Il fit ainsi pour trois autres personnages importants, mais ne poussa pas plus.

Avec ces quatre personnages que je vous ai décrits, vous devez avoir un aperçu un peu plus fin de la situation, non ? ajouta-t-il après une bonne demi-heure de palabre. Mais ne m’en dîtes pas plus là. Nous verrons cela la prochaine fois, vous aurez le temps d’assimiler tout ce que je vous ai dit.

Il attrapa un verre près de sa carafe d’eau et en but une rasade. D’un geste, il invita Sigvald à se servir un verre lui aussi s’il le désirait, puis reprit, sans attendre.

J’espère que vous comprenez l’intérêt de connaître les autres membres de la Cour. Et que cette approche vous semble moins rébarbative. Nous n’irons pas plus loin pour ce cours. Je vous laisse déjà ruminer tout cela, et vous me direz si vous souhaitez que nous continuions ainsi pour les prochaines fois. Nous réviserons vos acquis sur certaines personnalités de la Cour et analyserons diverses situations de cet acabit. Vous verrez sans doute votre analyse s’aiguiser de plus en plus au fur et à mesure que vous en saurez plus sur tout ce petit monde-là, fit-il tout en désignant les pions d’un large geste de la main.

Puis il attrapa une figurine qui était restée dans l’ombre, près d’une porte, sagement en attente, dans sa livrée de serviteur.

Il y a toutefois quelques autres personnages que je vais vous présenter lors de certains cours, dorénavant.

Il s’humecta les lèvres, autant pour les hydrater après avoir tant parlé, que pour peser ce qu’il s’apprêtait à révéler.

Ce que je vais vous dire sur ces personnages en particulier devra rester secret. Pour leur sécurité. Quand je vous en aurai dit plus, je pense que vous comprendrez les enjeux.

Se disant, il darda un lourd regard sombre sur le glacernois. Il allait révéler certains de ces pions. Avec leur accord bien entendu. Mais il lui semblait nécessaire que Delimar connaisse certains de ses alliés en place. Car le Tisseur n'était pas éternel d'une part et parce qu'Ilhan ne serait pas toujours avec eux à Sélénia. Le temps était venu pour eux de savoir certaines choses. La Toile en avait longuement discuté et avait jugé important que certaines personnes choisies à Delimar soient au courant. Pas de tout. Et l'information serait distillée entre les deux personnes choisies, Tryghild et Sigvald. Il savait en l'occurrence Sigvald peu sujet à révéler de tels secrets, là où Tryghild ne savait les cacher. Le général serait peu amené à parlementer à la Cour, mais plus à observer. Il pourrait alors trouver une précieuse aide en certaines araignées.

Il inspira profondément avant de se lancer.

Cet homme se nomme Roland. Il est serviteur à Sélénia. On se méfie un peu de lui, car il a servi sous mon office pendant de longues années. Je l’ai acheté, pour tout avouer, pour lui sauver la vie après qu’il ait tenté de voler le noble seigneur qu’il servait alors.

Se disant, il eut un sourire bien amer.

Il tentait de voler de la nourriture, fit-il en levant les yeux sur Sigvald. J’ai songé qu’il était stupide qu’il soit mutilé pour un vol tout aussi stupide. Il est donc entré à mon service. C’est un homme libre, je vous rassure, je ne suis pas de ces esclavagistes qui aiment profiter de la misère d’autrui. Bref, rajouta-t-il en chassant une mouche imaginaire d’un geste de main. Toujours est-il que cet homme reste toléré au service de Sélénia, et parvient parfois à s’infiltrer dans cette salle sans qu’on le remarque, en bon serviteur attendant les ordres. Ils le croient tous simple d’esprit, car il ne parle pas. Du moins la plupart le croit ainsi.

Son sourire se tordit alors de nouveau en rictus prédateur.

Ce qu’ils ne savent pas c’est que Roland parle très bien. Il a juste fait vœu de silence… Il ne me parle qu’à moi. Ou à tout homme qui serait envoyé par moi.

Il appuya ses mots d’un lourd regard sur Sigvald.

Il détient de précieuses informations. Et il pourra être d’une grande aide si jamais. Si vous êtes à Sélénia, et que vous avez besoin d’une information capitale ou d’une aide d’urgence, il répondra. Je puis vous l’assurer. Si vous le voyez dans la salle, il saura vous aiguiller, même si discrètement. Vous pourrez compter sur lui.

Il reposa le pion d’un air calme, parvenant à réprimer le frisson qui le parcourut.

Je pense que vous comprenez que je mets là la vie de cet homme entre vos mains. Mais cela me paraît nécessaire que vous connaissiez vos alliés. Même si politiquement il ne vous sera d’aucune utilité, il sera précieux pour bien d’autres choses.

Puis, il se claqua les mains d’un air presque joyeux soudain, et se leva en sautant presque de son siège de taille délimarienne.

Allez, maintenant il est l’heure de la… méditation, chuchota-t-il presque d’un air taquin. À moins que vous ayez des questions sur le sujet ? Sinon, allons dans la cour, nous y serons plus à l’aise.

Et d’un geste, il invita Sigvald à sortir par la baie vitrée.

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Sa concentration ne faiblissait pas, mais il en avait déjà marre de rester assis à ne faire que parler. Le sujet était important, intéressant même une fois que l’althaïen avait su comment le tourner pour le garder occupé, mais ça ne suffisait pas. Les explications allaient en s’éternisant et si les informations restaient capitales, la voix composée d’Ilhan en était presque soporifique. Assis sur une chaise trop confortable, forcé à contempler un plateau de jeu avec des figurines, Sigvald lançait des coups d’oeil de plus en plus fréquents vers l’extérieur. Ne pouvaient-ils pas parler tout en s’exerçant à quelque chose de plus physique et surtout en dehors de quatre murs ? L’odeur des pâtisseries lui soulevait presque le cœur et il commençait à avoir des courbatures dans les jambes à force de rester assis aussi inconfortablement… ou trop confortablement en réalité. Quel paradoxe.

Détachant pour la énième fois son regard de la fenêtre, le Général posa les yeux sur la statuette du prénommé Roland. L’insistance avec laquelle Ilhan précisa combien son rôle et son identité devaient rester secrètes n’étonnait qu’à moitié le glacernois. Même s’il répugnait ce genre de méthode, il n’était pas étranger aux espions et le fait d’obtenir des informations dans le camps adverse s’avérait souvent décisionnaire en temps de guerre. De nouveau pleinement attentif, il prit la figurine du concerné et l’observa avec gravité. Si son double jeu était en effet découvert, sa vie ainsi que celle de son entourage serait en péril. Savoir qu’ils avaient des agents loyaux dans la Cour sélénienne était une bonne chose, grâce à cela peut-être pourraient-ils évité une autre guerre vide de sens et la mort de bien des leurs.

La paix était une période d’ennuis et d’un fort sentiment d’inutilité pour lui qui n’avait été conçu et élevé que pour combattre et protéger. Défaire les vampires, lutter contre l’oppresseur almaréen, puis le Tyran Blanc et aujourd’hui les Chimères. Que deviendrait-il si l’Archipel connaissait un age d’or de commerce, d’entente et de développement ? Mais il devait penser à son peuple, à son fils et son petit-fils ; toutes ces générations futurs qui méritaient un peu plus de calme et de bonheur… probablement. Les yeux pâles fixés sur la petite figurine, il la reposa et se leva à son tour. Sans avoir l’air de partager l’enthousiasme de l’althaïen, il posa une main sur son épaule et le tourna vers lui pour qu’ils se fassent face.

« - Ce Roland… S’il vous ait précieux, Ilhan, alors il l’est aussi pour Délimar. »

Il se pencha pour qu’ils puissent être à hauteur l’un de l’autre et la prise du glacernois vint se raffermir sur l’épaule du Conseiller, sans pour autant devenir douloureuse, elle pesait à l’image du sérieux qui sonnait dans la voix rauque et grave du blond :

« - Si jamais vous suspectez que sa couverture est compromise ou quoi que ce soit qui le mettrait en danger ; rapatriez-le à Délimar sur l’instant. Nous le protégerons, nous l’accueillerons comme un frère longuement disparu. Lui et sa famille s’il en a une seront les bienvenus. Nous lui trouverons un travail, ici ou dans une autre ville de l’Alliance, mais nous ne l’abandonneront pas. Compris ? »

Sigvald relâcha son épaule et se redressa pour avancer jusqu’à la baie vitrée qu’il franchi. Une fois à l’extérieur, il s’étira de tout son long avec un grognement viscéral de bien être. Effectuant quelques mouvements d’échauffement, il regarda autour de lui et revint au Conseiller.

« - En ce qui concerne la méditation, j’espère que vous ne comptez pas m’asseoir en tailleur sur un coussin à fermer les yeux ou encore à gesticuler dans le vide comme on vous surprend parfois à le faire ? »

Il haussa un sourcil dubitatif, guère convaincu par ces deux propositions. Autant la seconde pourrait encore passer, puisqu’il aurait là l’occasion de se dégourdir les jambes, autant la première était déjà hors de question ! Il venait de passer une heure assis à ne rien faire, il n’allait certainement pas rempiler un second service. Il se massa la nuque et soupira alors qu’il lâchait d’un ton déjà las :

« - Avente… Vous savez comment je médite ? Je fais du tir à l’arc sur cible immobile. Je vais au calme, je pose une cible évidente à une centaine de mètres et je m’applique à quelques exercices de respiration tout en usant d’un arc long de siège. Ca s’appelle rentabiliser son temps, mon vieil ami. Je me muscle, je m’entraîne à l’arc et je fais le vide de tout ce qu’il m’entoure le temps d’une heure ou deux. Si je suis vraiment trop énervé pour ce genre d’exercice, je vais « méditer » en dehors de la ville avec Mjollnir ou Amarok ; galoper à toute vitesse, laisser le vent emporter les pensées et les tracas, n’avoir rien d’autre que la fusion entre soit et sa monture… Encore une fois ; rentabiliser. »

Il haussa un sourcil et croisa les bras. Visage impassible, n’affichant ni mépris ou agacement, Sigvald attendait des arguments logiques et des faits implacables pour lui faire changer d’avis sur la question.

« - Essayez donc de me convaincre que vos pratiques sont les plus adaptées, je vous écoute. »

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Clairement le Général ne tenait pas, ou plus, en place. Si sa nouvelle méthode semblait avoir eu quelques mieux, elle n’en était par pour autant parfaite. Toutefois Ilhan finit son cours comme prévu. Et nota de réfléchir à comment renforcer l’intérêt du glacernois la prochaine fois. Peut-être devrait-il garder la première partie, qui avait semblé capter toute son attention. Mais il lui faudrait trouver comment rendre la deuxième plus intéressante pour le nordique. Heureusement Sigvald l’écouta de nouveau pleinement quand il fut question de Roland. Le Tisseur aurait détesté révéler de telles informations dans le vide.

Il ne fut guère étonné de la proposition du Général quant à accueillir Roland en Delimar si la situation l’exigeait. Mais elle le toucha tout de même en plein coeur. Il avait espéré effectivement que Delimar accueille toute araignée en détresse qui aurait oeuvré dans l’ombre pour la cité, mais qui aurait besoin d’un refuge. Il fut soulagé de l’entendre haut et clair. Le Tisseur pouvait mourir en paix, sa Toile aurait un refuge où se rapatrier. C’était là un grand réconfort. Ilhan hocha simplement la tête d’un air grave et presque solennel à cette proposition. Il avait envie de rétorquer, qu’il y avait nombre de Roland dans pareille situation, mais retint sa langue. Il espérait que le Nordique en ait conscience. Mais ce serait faire offense à l’intelligence du Général que de penser qu’il n’avait pas compris la véritable identité de l’althaïen en face de lui et son véritable jeu. Même si le glacernois ne savait pas tout, il devait, depuis le temps, se douter de beaucoup.

Mais mieux valait revenir sur leur sujet présent. Le temps tournait. Une fois dehors, Ilhan inspira profondément l’air frais qui le rasséréna. Il ferma un court instant les yeux pour s’imprégner de chaque sensation, celle du vent sur son visage, celle du soleil qui réchauffait sa peau, celle des effluves charriés par l’air mêlant mille arômes dans son sillage, toutes les saveurs de la cité mêlées à celle de l’océan non loin, celle du bêlement d’une de ses chèvres, Hypolite dirait-on. Puis après ce petit instant de réconfort, il rouvrit les yeux et écouta le nordique.

Il réprima une grimace à ces mots. Gesticulations… Il avait envie de rétorquer qu’il s’agissait plus que de simples gesticulations, mais il se contenta de prendre une autre profonde inspiration et de ravaler toute réplique acide qui lui venait. Nul besoin de cracher son venin en cet instant. Ce serait contre-productif. Même si les propos crus du glacernois pouvaient être blessants parfois, souvent, quand bien même ce dernier n’en avait nulle intention.

Il l’écouta simplement lui parler de sa "méditation" au tir à l’arc. Ce que Sigvald appelait méditation s’en approchait peut-être, mais était loin d’atteindre les sommets qu’un véritable entrainement en la matière pouvait offrir. Et quand on voyait les capacités de maitrise du nordique, plus qu’impulsif, on ne pouvait que constater que cette méthode ne suffisait pas. Toutefois, cette histoire d’arc, de rentabiliser son temps en exerçant son corps et son esprit, donna une idée à Ilhan. C’était un gros pari, d’autant plus qu’il ne maitrisait pas totalement lui-même ce qu’il allait lui montrer. Mais cela ne pourrait qu’aviver l’intérêt du nordique, tout en lui permettant de commencer à toucher du doigt le véritable art méditatif.

Vos pratiques sont approchantes certes, mais elles ne vous permettent que d’atteindre la superficie de cet art. Mes gesticulations sont bien plus que cela. Je les ai apprises auprès d’un Maître en la matière, qui est encore un mentor pour moi d’ailleurs. Savez-vous comment il me les a apprises ?

Un vague sourire étira ses traits tandis que le souvenir affluait.

En me mettant au milieu de braises ardentes. Tant que je ne parvenais pas à maitriser parfaitement le mouvement, je me brûlais immanquablement.

Tout en parlant, il défit son pourpoint, qu’il déposa sur une pierre élevée. Enleva ses chausses d'intérieur puis releva ses manches. Il resta ainsi pieds nus, en braies et simple tunique.

Inutile de vous dire que j’ai récolté nombre de brûlures, mais je maitrise maintenant le geste à la perfection. Car j’en ai compris l’équilibre et la force.

Se disant, il effectua la position de la grue rapidement en une souplesse insoupçonnée pour un petit bureaucrate. Il ne garda pas la pose indéfiniment toutefois. Non pas par fatigue, mais parce qu’il avait autre chose en tête.

Ces gesticulations, que j’appelle danses méditatives plutôt, me permettent de me connecter à la nature, à mon environnement certes, comme vous le faites lors de vos ballades, mais loin de faire simplement le vide en moi, elles me connectent à moi. À mon corps d’abord, en m’obligeant à en prendre pleinement conscience et à en gagner pleinement le contrôle pour en obtenir un équilibre parfait. Et en obtenant l’équilibre du corps, je parviens peu à peu à l’équilibre de l’esprit. Ces gesticulations me permettent de plonger en moi, au plus profond de moi, sans rien me cacher, sans me voiler la face, en ôtant tout masque que j’aime tant offrir aux autres. Je me reconnecte à moi-même, et au monde. En un tout, puissant, irradiant, qui me donne ensuite la force de lutter, d’avancer, jour après jour, de continuer, envers et contre tout.

Il révélait encore une fois beaucoup de lui en cet instant pour faire comprendre son message au loup. Il espérait que cette confiance qu’il lui accordait ne serait jamais trahie. Lui qui avait eu si grand mal à se décider à faire, peut-être, un peu confiance.

Ces gesticulations m’apprennent à obtenir une plus grande maitrise de moi. Et sans elles, sans doute ne serais-je pas devant vous en cet instant.

Sans elles, sans doute n’aurait-il pas réussi ce qu’il avait entrepris. Sans doute se serait-il fait démasquer, ou aurait-il complètement craqué pour mieux se faire tuer.

Je ne suis pas de forte constitution Sigvald. Mais je suis sûr que mon esprit aura la force que mon corps n’a pas. J’aime à penser que j’arriverai à résister à la torture et que mon corps cédera avant mon esprit, avant que je n’aie révélé tous mes secrets. Peut-être me trompé-je. Et je préfère n’avoir jamais l’opportunité de vérifier mes assertions.

Il baissa les yeux un court instant, puis se positionna devant Sigvald.

Mais vous avez raison, ces pratiques ne vous sont certainement pas adaptées. J’ai peut-être une idée vous concernant. À Cordont, comme vous le savez, j’ai rencontré un Graärh qui m’a montré un de leurs arts de combat à mains nues. Cette technique a de grandes similitudes avec mes danses méditatives. Elle requiert elle aussi une grande maitrise de son corps, de son équilibre et donc de soi. Peut-être vous plairait-il de l'apprendre ? Et peu à peu, je pourrais vous conduire à une technique spirituelle à pratiquer en même temps que ces exercices ?

Il se positionna alors face à face à Sigvald et se mit en une position d’équilibre. D’un geste, il invita Sigvald à l’imiter. Puis il fléchit un genou en avant, tendant une jambe un peu en arrière, tout en mettant son profil de trois quarts.

Je tiens à vous prévenir. Je ne vous montrerai que des mouvements de base, nous ne pratiquerons pas réellement de combat à mains nues. Je ne suis qu’un débutant dans cette pratique, et sans maitre Graärh pour continuer à m’apprendre, j’avance lentement dans cet art. D’autant plus que notre morphologie particulière nécessite des aménagements dans les mouvements.

Il leva les deux mains devant lui, paumes en avant, tout en veillant à ce que Sigvald suive les mouvements, puis repoussa une des paumes sur le côté, tout en portant son poids sur un pied et en tournant son corps d’un quart de l'autre côté.

Concentrez-vous sur les muscles de vos bras, les muscles de vos jambes. Sentez-les s’étirer, réagir, vibrer. Vous êtes ce muscle, vous êtes cette jambe. Concentrez-vous sur eux, ressentez tout ce qu’ils ressentent. Maintenant de l’autre côté.

Et ils firent ainsi plusieurs mouvements de cette technique de combat, de plus en plus complexes et rapides. D’une voix profonde et grave, Ilhan invita son hôte à plonger dans son corps, dans chaque sensation de chaque mouvement, à suivre le geste par la pensée, à ressentir. Puis à sentir les mouvements du vent sur sa peau à chaque geste, la terre sous ses pieds à chaque mouvement, l’invitant à inspirer et expirer au bon moment et à sentir l’air l’imprégner de sa force, s'insuffler dans ses poumons, à sentir son coeur pulser au même rythme.

Au bout d’un certain temps, il s’arrêta, à la limite d’être essoufflé de parler en même temps que l’effort, même s’il avait été peu intense. S’arrêtant il se permit de s’asseoir en tailleur et de prendre de profondes inspirations. Puis une fois son rythme cardiaque calmé, il releva les yeux sur le nordique.

Je vous l’avais dit, nous n’en aurions pas pour longtemps. Qu’en avez-vous pensé ? Souhaiteriez-vous continuer cette voie-là aussi ?

Pas aujourd'hui toutefois. Doucement, à gestes lents, il se releva, et l'invita à entrer.

descriptionDe plume et d'épée - PV Ilhan EmptyRe: De plume et d'épée - PV Ilhan

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Les althaïens étaient censés être la définition même du raffinement parmi les peuples humains, toutefois alors que l’un de ses représentants les plus emblématiques lui sortait que ses premiers cours de méditation se faisaient sur un tapis de braises ardentes, Sigvald ne pu s’empêcher de revenir sur cette affirmation avec un brin de scepticisme. Sourcils froncés, les muscles puissants de sa haute silhouette se crispèrent alors qu’il jetait un deuxième regard autour de lui, méfiant. Il fut quelque peu rassuré de ne voir, justement, aucun cercle de charbons ou d’autres outils -comme des planches à clous- que l’on s’attendrait plutôt à trouver dans certains donjons avec chevalets et tenues de cuir plutôt qu’en plein jour et au centre d’une ville remplie d’honnêtes gens. Un soupir lui échappa et il secoua la tête de droite et de gauche, encore guère convaincu. Si le dauphin voulait vraiment l’intéresser, il allait devoir s’y prendre autrement. Le Général n’était pas le genre d’homme à reculer devant l’effort, il était d’ailleurs un fervent partisan du principe où suer sang et eau pour atteindre un objectif était la clé à toute réussite… mais cela ne signifiait pas qu’il irait patauger volontairement dans un feu de camps ou autres supplices gratuits simplement pour savoir comment faire la… quoi exactement ?

L’homme pencha la tête sur le côté, haussant un sourcil interrogatif et quelque peu perplexe en voyant Ilhan se hisser sur une jambe et adopter une position des plus intrigantes. Cette posture avait autant de failles que le sous-sol de Calastin avait de tunnels ! Mais il devait admettre que l’autre se révélait d’une souplesse insoupçonnée pour son âge et sa stature. A cela, le glacernois émit un léger grognement approbateur en se retenant de claquer une remarque acerbe en liaison directe avec les rumeurs qui planaient autour de l’althaïen. Non, ce ne serait pas charitable de sa part que de le taquiner avec ça. Un sourire lui vint toutefois lorsqu’il réalisa, en écoutant le conseiller, combien ce dernier avait mal pris le fait qu’il nomme ses ‘danses méditatives’ comme gesticulations. Se mordant l’intérieur d’une joue pour ne pas en rire, le guerrier se rapprocha pour mieux l’observer. Le petit homme ne l’avouera probablement jamais, mais l’entendre répéter ce mot pour la troisième fois était une preuve imparable : il était vexé comme un poux. Sigvald nota dans un coin de son esprit qu’il lui faudrait se faire pardonner où il n’en entendrait pas la fin !

Il l’écouta donc, essayant d’adoucir l’humeur de l’althaïen en se montrant d’une attention irréprochable. Le chasseur se retint de lui dire que chevaucher à cru un canasson glacernois, tirer à l’arc en mouvements ou encore s’allonger sur le flanc de sa monture à plein galop pour ramasser un lapin de trente centimètre dans les hautes herbes : tout cela forçait le cavalier à avoir une conscience aiguë de son ‘soit intérieur’ ainsi que de son équilibre. Il garda donc le silence et hocha sobrement du chef pour montrer qu’il écoutait toujours. Déjà chipoter n’était pas son genre, mais à plus forte raison lorsqu’il n’était pas là pour savoir qui avait la plus grosse… méthode de méditation. Et il en fut récompensé d’une certaine façon, car jamais encore Ilhan ne s’était à ce point révélé à lui. Ses traits s’adoucirent et le bleu de ses yeux afficha un respect nouveau et sincère. La richesse multiculturelle était la nouvelle force de Délimar après tout. Sans les perversions et les défauts de Caladon, leur cité grandissait du savoir de tous les peuples qui en faisaient les fondations. Althaïens compris.

« - Seul Loup sait combien vous avez besoin de cette force pour nous supporter... »

Glissa-t-il avec une étrange douceur dans la voix, sourire cynique aux lèvres. Même s’il n’en parlait pas beaucoup et le montrait encore moins, Sigvald avait cruellement conscience des efforts colossaux que déployait le dauphin chaque jour de chaque année pour les aider à avancer sur la voie politique. Tryghild faisait elle-même de gros efforts, mais ils ne seraient rien sans le petit althaïen derrière qui la soutenait à bout de bras, presque avec fanatisme selon certaines sources. N’en disant pas plus, il posa une main sur son épaule pour la lui serrer. Il veilla à transmettre son soutient sans pour autant lui broyer l’articulation. Ilhan faisait parti de sa meute et le premier à lever ne serait-ce que le petit doigt sur le conseiller subirait les foudres de tout Délimar… et plus particulièrement les siennes. Grognant pour chasser cet élan d’émotivité qui n’avait pas vraiment lieu en cet instant, il s’écarta et s’étira de nouveau pour chauffer les muscles de son dos et de sa nuque. Il avait hâte de s’y mettre.

Entendre parler de Cordont manqua de lui assombrir l’humeur, mais il s’ébroua mentalement et se positionna devant son professeur pour l’observer prendre une nouvelle pose. Lui-même jeta d’abord des regards autour de lui pour s’assurer que personne ne le verrait faire le singe dans la cour privée du Conseiller diplomatique. Avec réticence et force de soupirs, Sigvald se mit en position. Il bougeait à quelques secondes d’écarts de l’althaïen, prenant le temps d’analyser sa posture avant d’engager la même. Malgré sa grande taille et sa musculature, il restait particulièrement agile et n’eut aucun mal à suivre le dauphin, position méditative après l’autre. A mesure qu’ils avançaient dans l’exercice, le glacernois se sentait bouillir d’impatience mais se fit violence pour ne pas s’ébrouer et embarquer son compatriote vers des activités plus musclées afin de se décharger de la tension qui s’accumulait. Serrant les dents, il ferma les yeux et s’efforça de penser à ses muscles, au battement de son cœur. Il devait plonger en ‘dedans’ à ce qu’il semblait et ce fut bien plus difficile qu’il ne l’aurait cru.

Son entraînement de soldat, d’arme vivante, l’empêchait de faire totalement abstraction de son environnement. Une part de lui était toujours aux aguets, prête à bondir pour contrer une menace et protéger ceux qui étaient sous sa responsabilité. Même au cœur de Délimar, même dans le lit qu’il partageait avec son épouse : jamais Sigvald ne dormait-il complètement. Le moindre bruit qu’il ne reconnaissait pas suffisait à le faire se tendre et guetter jusqu’à identifier la source et la classer -ou pas- dans les non-dangereuses. Et là, dans la cour de l’althaïen, il y avait trop de bruits parasites, trop de données inconnues pour qu’il puisse méditer de la manière qu’on attendait de lui. Sourcils froncés et masque de concentration intense crispé sur son visage sévère, le glacernois finit par rouvrir les yeux et se redressa brusquement. Immobile, il observa les alentours avec un calme trompeur et s’assura que chaque chose soit à la même place qu’au moment où il avait cessé de les surveiller. Une fois qu’il fut certain que tout soit sous contrôle, il pu se détendre et se tourna pour faire face à son hôte.

« - Je peux comprendre le principe et l’idée qu’il y a derrière... »

Il parlait lentement, pesait chacun de ses mots de sorte à ce qu’ils transmettent exactement ce qu’il ressentait.

« - Mais je ne pense pas être capable de me plaire dans ce genre d’exercice. Il demande un trop grand abandon de soit, une trop grande relaxation... »

Sigvald se massa la nuque et leva les yeux vers le ciel au bleu délavé par un soleil radieux. Il prit une longue et profonde inspiration, gorgea ses poumons du parfum d’iode, de poussière et celui de l’encens qui enveloppait si délicatement cette demeure. Quand il reprit la parole, ce fut avec davantage de difficulté alors qu’il essayait réellement de transposer son ressenti en des mots. Malheureusement, son vocabulaire ne possédait pas toutes les nuances et les subtilités nécessaires. Il en ressortait frustré, mais pas humilié. Le guerrière se savait ne pas être homme de lettre, ses points forts se trouvaient ailleurs et ça lui convenait parfaitement. Toutefois, il regrettait sur l’instant d’être ainsi muselé.

« - Avente, vous avez besoin de défaire votre esprit des problèmes de ce plan, sans quoi votre cervelle finirait par surchauffer, fondre et couler de tous vos orifices. »

Il haussa des épaules à cette comparaison particulièrement crue et poursuivit :

« - Plonger en vous, réduire votre environnement à seulement votre être, atrophier votre perception et ne songer qu’à votre équilibre et noyau intérieur… je peux voir combien c’est vitale pour un homme dont l’esprit est son arme principale. Mais je ne peux pas y parvenir. Je ne suis pas fait pour ça. »

Il lui attrapa le bras pour l’empêcher de rentrer et lui demanda simplement d’appeler ses serviteurs pour qu’ils amènent ce que le glacernois avait fais mander depuis les armureries de la caserne. L’objet avait du être livré depuis le temps et puisqu’ils en avaient terminé avec les leçons de l’althaïen, autant suivre avec la sienne. Il avait longuement réfléchi à quel genre d’entraînement il pourrait fournir à Ilhan afin de le rendre un peu plus débrouillard sur le champs de bataille et il en était venu à une seule conclusion : le tenir aussi loin que possible du front.

« - Je suis monté sur mon premier cheval à l’âge de quatre ans. A six ans on me faisait tenir mon premier arc et ma première épée. De vraies armes, j’entends. Celles en bois me servaient de jouet lorsque je ne savais même pas encore tenir debout. »

Il vit approcher un serviteur qui tenait à deux bras un long coffre de bois cerclé de métal, il faisait une vingtaine de centimètres de haut, pour presque deux mètres de long et une quinzaine de large. Sur le dessus, un plus petit coffre rectangulaire, tout aussi plat et large trônait. D’une seule main, le glacernois se saisit des deux objets et alla les déposer sur une pierre plate.

« - J’ai été éduqué et façonné pour être le Champion de Tryghild, pour être l’épée défendant le peuple de Glacern. Je n’ai aucun autre but dans la vie et je n’aspire à rien d’autre en mon plus profond désir. Posséder une famille est une richesse que je n’avais jamais espéré et si je chéris ce luxe qui m’est offert, je ne peux oublier ma raison première de vivre. »

C’était certainement à son tour de s’ouvrir et d’épancher un peu la confiance qu’il accordait à l’althaïen. Donnant-donnant. Il baissa les yeux sur lui avec sévérité.

« - Il m’est impossible de m’abandonner à cette méthode de méditation. Plus que de me sentir vulnérable dans ce qu’elle requiert de moi lors de sa pratique, je… j’ai l’impression de devoir sectionner une part entière de moi-même. M’abandonner à ce point est une notion presque… contre-nature. »

Vaguement mal à l’aise, il haussa encore des épaules comme pour chasser le sentiment que pour dédramatiser la profondeur de ses aveux. Sigvald préféra en revenir aux deux coffres et ouvrit d’abord le grand qui contenait un superbe long feutonnerre. La gueule était sculptée comme celle d’une créature prête à cracher le feu et la mort. Les sculptures descendaient sur le reste de l’arme avec toute la finesse et l’expertise des artisans almaréens. Il y avait une sacoche de pyrolites dans le velours du coffre. Lorsque Sigvald ouvrit le second coffret, il y avait un simple feutonnerre avec son propre sac de pyrolites. Il laissa l’althaïen observer les deux armes et s’en alla ramasser la cible d’exercice qui fut livrée avec les fusils.

« - Vous n’avez pas la carrure, ni l’endurance pour porter une armure lourde et aller en première ligne ave cle gros de mes soldats. Sans offense aucune et malgré l’agilité que vous venez de prouver, vous avez passé l’âge de jouer les assassins et les voleurs. Je ne peux donc pas vous demander d’aller avec mes Loups dans des manœuvres furtives et prendre à revers nos ennemis... »

Il posa la cible à bonne distance et se mit à compter ses pas jusqu’à être satisfait et traça du talon une ligne dans le sol de la cour.

« - De toute façon, vous êtes beaucoup trop précieux pour Délimar pour qu’on vous jette tête la première face à nos adversaires… c’est plutôt le travail de Tryghild et du miens si elle est encerclée. Alors que nous reste-t-il ? »

Sigvald observa le petit homme et eut un sourire léger, presque indiscernable avant qu’il ne l’approche et ne lui montre comme monter et démonter le petit feutonnerre. Il répéta l’exercice autant de fois que nécessaire et ce, jusqu’à ce que l’althaïen connaisse chaque pièce et chaque mécanisme par cœur. Il était important de connaître l’arme dans ses plus infimes détails, tel le corps d’une femme que l’on doit satisfaire ou comme l’on connaît chaque particularité de ses propres bras, mains et doigts. Une arme devient l’extension de son corps, jamais elle ne vous trahira si on la traite bien. De façon fort surprenante, Sigvald se révéla être un professeur doté d’une grande patience. Le sujet était sa passion, la raison même de son existence et pourvoir à une autre personne la capacité de sauver sa vie et celle de son entourage valait bien de déployer des montagnes de patience et d’efforts.

« - Maintenant, vous allez charger seul ce feutonnerre et tirer sur la cible. Allez-y. Prenez la position qui vous semble la plus naturelle, la plus confortable. »

Mains croisées au creux du dos en une posture de repos militaire, le Général observa son élève avec sévérité, mais sans méchanceté. Les heures avaient rapidement filées lors du précédent exercice et le soleil déclinait déjà sur la ligne d’horizon. Aujourd’hui, tout comme Ilhan le lui avait annoncé avec sa propre démonstration, ils n’apprendraient que les bases. Si l’althaïen se trouvait une affinité avec le feutonnerre alors ce serait un grand pas en avant. Sachant l’homme d’une nature curieuse et doté d’un sens de l’analyse affûté, il avait veillé à lui expliquer la fabrication et le ‘pourquoi’ de chaque pièce qui constituait l’arme qu’il tenait à présent entre les mains. L’heure était venue de lui faire sentir les mécanismes lorsqu’ils s’enclencheraient. Ilhan devait ‘vivre’ le recule de l’arme, éprouver la douleur de la décharge, s’imprégner de l’odeur de la pyrolyte brûlée, du métal chauffé. S’il était réellement doué pour plonger en dedans de lui lors de ses méditations, alors il n’aurait en toute logique aucun problème à faire de même avec son arme. Il y allait de l’intuition, des tripes…

« - Bien. Maintenant, essayez de cette façon. »

Sigvald s’approcha et vint se tenir dans le dos du dauphin. Sa haute silhouette n’eut aucun mal à l’engloutir de son ombre alors qu’il guidait ses bras et ses hanches de mains fermes, mais douces. Le guerrier lui ajusta sa position, expliquant une fois de plus pourquoi fallait-il se tenir ainsi plutôt qu’autrement. Il lui ordonna de recharger et d’essayer encore… et encore, et encore. A chaque fois, il le guidait pour que le recule du tir se fasse moins présent, pour que sa ligne de visée s’ajuste et se rapproche du centre de la cible. Quand il s’estima satisfait et surtout quand il sentit son élève incapable de se concentrer davantage à cause de la fatigue, Sigvald se recula et lui offrit un sourire en coin alors qu’il récupérait l’arme et la rangeait dans son coffre.

« - Je pense qu’on a finit pour aujourd’hui. Si jamais ça vous a plus, nous continuerons. Pour ma part, si je préfère faire l’impasse sur la méditation, j’apprécierai de poursuivre les cours de politique. »

Il veillerait simplement à se fatiguer deux fois plus avant de venir. Gardant les coffres nonchalamment sous un bras, il regagna l’intérieur avec le Conseiller et ramassa le reste de ses affaires. Un instant, ses yeux s’égarèrent sur le plan et les figurines de bois et un sourire appréciateur lui revint aux lèvres. Décidément, il aimait le travail du bois pratiqué par l’artisan althaïen qu’engageait Ilhan… ou était-ce l’un de ses serviteurs ? Qu’importe. Raccompagné jusqu’à la porte d’entrée, veillant à ne se cogner sur aucun meuble ou cadrant de portes, Sigvald salua sobrement son hôte et le quitta dans la pénombre fraîche de la nuit. Sa tête était lourde de pleins de choses qu’il lui faudrait consigner et disséquer plus tard. Pour l’heure, il avait envie de se changer les idées et il savait comment : Tryghild ne serait pas difficile à convaincre pour un petit duel...

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