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descriptionDe pattounes et de pierres ! EmptyDe pattounes et de pierres !

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--- Début Août

Des petites papattes arrières, ainsi qu'un bout de queue noire, dépassaient du tas de pommes. Comme un vrai bandit, Valmys avait voulu entrer par effraction, abusant de la fenêtre ouverte de la cuisine. Le saut était mal calculé, mais qu'y pouvait-il ? Il découvrait encore ce petit corps, qu'il s'était pourtant construit lui-même. S'agitant pour se défaire de son embarras, appuyant ses pattes sur des pommes pour s'en extirper, il parvint à retrouver un peu de dignité. Inquiet, il vérifia que nul fragment de lichen, mousse, ou autre herbe qui faisait sa composition, ne lui manquait. Tout avait l'air en place : la magie lui offrait une véritable cohérence, ainsi qu'une teinte et un toucher des plus vraisemblables. Il en était très fier et, surtout, cela l'amusait beaucoup. Hermine, il expérimentait une autre vision du monde. Une vision pleine de douces aventures, de légèreté. Son lien avec son Esprit-Lié lui paraissait alors plus puissant que d'ordinaire, comme il avait pu l'être à l'instant où, au coeur du Volcan, l'entité supérieure avait posé sur lui ses grands yeux sans iris. Cette légèreté, cette délicatesse, il voulait en faire profiter quelqu'un.

Dawan lui avait beaucoup parlé du maître des lieux, en des termes aussi beaux et enjoués qu'à son habitude. Mais à la tournure de ses phrases, Valmys avait cru comprendre où il voulait en venir : l'Althaïen avait besoin d'une amitié sincère, sans oser l'embrasser. C'était parfait ! Exactement ce que lui pouvait chercher aussi, et ce qu'il pouvait offrir ! Paré de sa livrée d'hermine, il se sentait loin de l'Immaculé qu'il était. Les instants qu'il leur voulait leur seraient doux, et hors du temps, hors des tracas pragmatiques de ce monde. Des repos, des rêves éveillés ! Il était là pour ça !
Mais pour cela, il fallait trouver Ilhan. L'hermine croqua dans une pomme, avant de bondir à terre, dans un bruit feutré qui trahissait sa nature tant magique que végétale. C'était une expérience d'érudit : il voulait savoir ce qu'il adviendrait de ce morceau de pomme ! Allait-il nourrir sa magie ? Ou juste intégrer l'avatar, jusqu'à sa décomposition ? Sans regret, l'Enwr trottina jusqu'à l'entrebaillement de la porte, par lequel il se glissa.
Nulle agitation, nul bruit en ces lieux, en cette heure. L'hermine marqua un arrêt, caché derrière un meuble, pour ruminer. Par les Huit... Il espérait ne pas avoir à attendre son nouvel ami trop longtemps ! Le sort était compliqué à tenir, s'il s'éternisait. Peut-être avait-il quelque réunion. Ou peut-être était-il juste enfoui dans un livre ? Se glissant de cachette en cachette, se reposant sur le brun de sa fourrure pour espérer être discret, le petit animal commença à explorer la maison.

Du haut de sa petite taille, les tapis lui paraissaient de véritables jungles. Il les évita de prime abord, avant de s'amuser à se jeter dedans à plat ventre quand il fut certain d'être seul. Il s'y roula avec délectation, et quelques roucoulements de plaisir, avant de reprendre contenance et, curieux, se diriger vers les bibliothèques. Là, il plissa des yeux pour essayer de lire les nombs des ouvrages. Moui... Ils n'avaient pas l'air intéressants. Sauf peut-être celui-là, qu'il extirpa de la biblothèque, pour le poser par terre et essayer maladroitement de le lire. Non... Ses yeux de mustélidé n'étaient pas faits pour ce genre d'exercice. Il abandonna, partit explorer un peu le jardin.
Là était sa place, sous la fraîcheur du vent, dans les bras des végétaux. Un long moment il joua à embêter les plantes et fleurs, à s'amuser de leurs ondulations quand il les tapait avec ses petites papattes. Dans l'eau, il essaya de tremper son museau, et contempler son reflet. Il fouilla tout le jardin, à la recherche d'autres êtres vivants. Mais à part une musaraigne, deux oiseaux, et des insectes, il ne se trouva guère d'ami -et les musaraignes ne sont pas très bonnes camarades.

Alors il prit la direction du bureau. Ses prunelles noires s'illuminèrent d'étoile devant la vision magnifique du tas de coussin. Il n'en fallut pas plus. À toute allure, l'hermine galopa vers eux, et se jeta, quatre pattes grandes écartées, au milieu. Lorsque tout son petit corps fut profondément enfoui dans l'océan de douceur qui l'avait réceptionnée, elle estima avoir, grosso modo, découvert le sens de la vie. Elle s'y roula, avant de jouer plutôt à faire moult bonds sur ces coussins. Lorsqu'elle s'en désintéressa, sa petite tête triangulaire osa enfin observer ses alentours. Oh, un bureau !
S'accrochant aux tiroirs, elle se hissa jusque sur le plan de travail, pour jeter un oeil à ce qui trônait là. Moui, moui... Tout ceci manquait de couleurs, et de dessins de maison. Pourtant, elle dut s'y attarder suffisamment, car bientôt des bruits de pas firent remuer ses petites oreilles. D'un bond, elle se jeta sur la chaise qui faisait face au bureau, et s'y roula en boule, prenant son air le plus innocent et adorable possible.

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Son corps se mouvait lentement, très lentement, en gestes précis, avec légèreté et agilité. Ses pensées focalisées sur l'instant présent, sur le mouvement, et l'immobilité. En cet instant, rien ne bougeait et pourtant tout était mouvement. Il était entré dans un monde de léthargie et s’ancrait dans la profondeur de son être. Une force douce et infinie l’enveloppait alors, ni explosive, ni exubérante, un jardin secret se révélait tout doucement à ses yeux, un murmure au creux de son oreille chuchotait ses aveux. Une force qui le submergeait de frissons à mesure qu’il s’y plongeait. Ils sentaient presque des larmes silencieuses couler de ses yeux, alors qu’il laissait son esprit voguer pleinement vers d’autres contrées. Vers des pensées qu’il taisait en journée, pour ne pas lâchement s’effondrer. Mais il ne pouvait sans cesse les étouffer, alors là, en ces rares instants volés, il les laissait le happer.

Les émotions. Les ressentis. Les sentiments. Il avait compris, après sa bataille contre la chimère, que les émotions qu’il avait toujours voulu nier, toute sa vie durant, étaient en fait plus une force qu’une faiblesse. Quand on en usait à bon escient. Et qu’elles étaient le signe de son humanité. Et s’il ne pouvait les révéler en tout temps, s’il ne pouvait les montrer dans l’exercice de son mandat, il devait apprendre à en prendre conscience et à se laisser aller, quand il était seul, comme dans ce moment-là.

L’aube se levait tout juste et il n’allait pas tarder à commencer son office. Mais il avait tenu à prendre ce petit moment pour une danse méditative. Il en avait besoin. Et il sentait un bien fou l’envahir malgré les vagues d’émotions qui le frappaient. Il se laissait emporter par le flot, et son corps en dessinait les mouvements. Il n’avait plus de frontière, plus de peau, tout semblait le traverser, il se sentait faire corps avec l’univers tout entier. Le sable chaud sous ses pieds nus, le vent chargé d’embruns sur son visage aux paupières closes, caressant son torse dévêtu, le clapotis du ressac tout près alors que les vagues menaçaient maintenant de lui chatouiller la peau.  

Puis ces mouvements se firent plus rapides, toujours aussi contrôlés, plus vifs et plus agiles. Sa danse s’accélérait et lui permettait de recentrer son énergie, de travailler sa coordination et son équilibre. Au bout d’un certain temps, il se permit une petite pause. S’assit en tailleur, reprenant lentement son souffle, tout en apercevant au loin les deux gardes qui l’escortaient. Le dos tourné, et pourtant aux aguets. Mais Ilhan n’en avait pas fini, pas encore. Puisqu’il était là, il comptait bien profiter des quelques instants qui lui restaient pour s’entrainer. Mais cette fois, nulle méditation. Non cette fois sa concentration se focalisait à s’entrainer au combat à mains nues. À cette technique que Purnendu lui avait montrée, des mois auparavant. Depuis, dès qu’il en avait eu l’occasion, il avait tenté de la travailler. Même si pour lui tout art martial lui semblait ardu, il sentait parvenir à mieux, en ce domaine. Il ne gagnerait certes pas un pugilat ni une lutte délimarienne. Mais ce n’était pas là son but. Non, tout ce qu’il cherchait c’était de savoir au moins se défendre, esquiver, contrer, parer… éventuellement contrôler son adversaire. Le toucher en des points stratégiques, capables de le paralyser quelques instants, pour lui permettre de s’échapper.

Une bonne demi-heure durant, il s’entraina alors. Répétant inlassablement les mouvements et les prises qu’il avait appris. Adapté à sa propre morphologie humaine. Bien vite, la fatigue, et les douleurs lancinantes qui le taraudaient depuis quelque temps, réclamèrent leur dû. Il était sans doute temps de rentrer. Il attrapa alors un linge, avec lequel il s’essuya, puis enfila sa tunique noire et ses bottes, tout en balançant son linge sur son épaule.

Nous pouvons rentrer, Messieurs, fit-il d’un ton sobre, tout en guidant la marche.

Cette fois, le soleil se dessinait fièrement dans le ciel et la vie en Delimar se réveillait. Ils passèrent tout près du marché et croisèrent sur la route deux charmantes lyssiennes, qu’Ilhan connaissait bien. De belles jumelles, à la chatoyante chevelure dorée et aux yeux bleu azur. S’il avait été étonné au début de les croiser quasi tous les matins où il se rendait à la plage pour ses exercices réguliers, il avait vite compris qu’elles semblaient le faire exprès. Comme le guettant. Et, comme à chaque fois qu’elles le croisaient, elles lui sourirent. L’une d’elles lui tendit une pomme, tandis que l’autre lui déposa une bise sur la joue. Il ne savait jamais si c’était la même ou si elles alternaient les rôles et peinait toujours à les reconnaître. Ce n’était pourtant pas faute d’avoir passé du temps avec elles. Toute une nuit durant au moins.

Il se rappelait des festivités, à leur rentrée en Delimar, après la bataille contre les Chimères. Certes, ils étaient en deuil, après tant de pertes. Mais Delimar avait tenu à festoyer leur victoire contre ces anciens ennemis. C’était là aussi rendre hommage à leurs frères perdus, après tout. Et contre toute attente, alors qu’il se serait cru aux arrêts pour insubordination, il avait été invité à y prendre part aussi. Il aurait bien le temps de payer sa dette plus tard, lui avait-on dit. Si au début, l’althaïen avait été bien en peine de s’intégrer aux festivités, on l’y avait bien rapidement projeté d’office. D’abord ces brocs d’alcool qu’on lui avait mis entre les mains. Était-ce Sigvald ? Ou un autre soldat ? Puis les danses dans lesquelles on l’avait tiré. Les althaïens de sa maisonnée avaient été aussi invités à chanter et danser une danse typique de la Romantique, et Ilhan avait été ému de cette attention. Puis ces deux lyssiennes… qui l’avaient abordé. Il avait d’abord tenté de les repousser, de leur faire comprendre ne pas être intéressé. Mais bien vite, l’alcool aidant, il avait cédé. Plus que cédé, pour tout avouer.

Il avait bien vite joué les amants actifs et plus qu’entreprenants. Et tout son savoir-faire althaïen avait ressurgi sans même qu’il n’y pense. Pour se retrouver le lendemain, fourbu et confus, allongé sur une cape, ces deux belles femmes à son bras, complètement nu. Heureusement pour lui, tous étaient dans un état aussi pitoyable que lui, migraineux par la cuvée de la veille ou trop égarés par leur étrange réveil.

Depuis, il avait tenté d’ignorer les salutations des deux femmes, de les repousser, de ne pas répondre pour ne pas les encourager dans de faux espoirs, mais il avait vite compris qu’elles n’avaient cure de ses réactions et qu’elles continueraient, quelles que soient ses réponses. Alors il acceptait, en un simple sourire. Pas un geste toutefois vers elles.

Et puis, après tout, se disait-il, si cela pouvait faire taire les commérages qui avaient couru à son sujet sur ses possibles goûts relationnels… Ce ne serait pas un mal.

Elles n’en attendirent d’ailleurs pas plus de lui, et s’en allèrent tout sourire. Il reprit lui-même son chemin et croqua dans la pomme finalement bienvenue. Ignorant les ricanements d’un de ses gardes. Il le connaissait maintenant assez bien pour savoir que ce n’était nullement malveillant. Plus une petite moquerie taquine. Il laissait donc faire, sans réagir.

Et enfin arriva chez lui. Les gardes le laissèrent à l’entrée et il les remercia d’un signe de tête. La maisonnée commençait tout juste à s’activer. Il sentait les effluves du bon pain chaud chatouiller ses narines. Il rêvait d’un bon petit déjeuner avant de se rendre à son bureau de la citadelle. Mais le guérisseur lui avait conseillé de faire attention à son régime. Depuis quelque temps, il enchainait les crises de foie. Certes, il en avait déjà fait par le passé, mais depuis un mois il en avait fait trois d’affilée. Sans être au régime sec aux pains et à l’eau, il n’avait plus le droit à autant de douceurs sucrées qu’il aurait aimé. Reniflant piteusement, en espérant que Dihya aurait quand même un peu pitié de lui en lui préparant son encas, il se dirigea vers son bureau. Il voulait vérifier s’il avait reçu du courrier avant d’aller prendre un bain et de se préparer dignement.

D’un geste sûr, il ouvrit la porte, s’essuya une dernière fois le visage avec le linge sur son épaule, et savoura la petite brise qui s’infiltrait depuis la baie vitrée ouverte. Toutefois, son bien-être déchanta bien vite quand il rouvrit les yeux. Aussitôt, il aperçut que quelque chose clochait. Les coussins étaient tout chamboulés. Pourtant il était sûr de les avoir bien remis en place la veille. Et personne de la maisonnée ne se serait permis de perturber le bon ordre de son bureau. Mais sa stupeur fut plus grande encore quand il aperçut son bureau. Et panique menaça le faire défaillir. À grandes enjambées, il rejoignit son bureau, et observa les parchemins couverts de gribouillis, l’encre renversée s’étalant en grosse tâche sur l’un d’eux, ses plumes dépenaillées trainant là où elles n’auraient pas dû… D’un geste tremblant il redressa l’encrier et remit ses plumes en ordre, une à une. D’un regard fébrile, il tenta de calmer les battements effrénés de son coeur en se disant qu’apparemment aucun courrier ne l’attendait là. Aucune missive importante n’avait donc pu être touchée par ce cataclysme… D’ailleurs, parlant cataclysme, qu’est-ce qui avait pu déclencher ça ?

D’un regard sombre soudain, il parcourut la pièce, à l’affût de tout intrus. Pas d’effraction autre en vue toutefois. Rien d’anormal, pas de présence suspecte, ou dangereuse, pas de…

Soudain son regard se posa sur sa chaise. Et sur une étrange boule de poils enroulée dessus. Qu’est-ce que c’était que… ça ? Ilhan fronça les sourcils, d’abord d’un air sombre et coléreux, prêt à vilipender cet impétueux animal, quand il tomba sur la petite frimousse aux yeux si charmeurs. Et si innocents.

Innocent, mais bien sûr, susurra une petite voix mesquine en lui, qui lui fit de nouveau froncer les sourcils. Il ouvrit la bouche, des mots houleux sur le bord des lèvres, mais de nouveau ce regard. Ce regard si… si… mignon. Diantre, il avait des pensées bien futiles et se montrait bien faible, s'il lui suffisait qu'on lui fasse les beaux yeux pour s'adoucir ! Quelle attitude bien peu mâture qui plus est. Mignon, vraiment ? Un animal avoir un regard mignon ? Humpf.

Mais à qui mens-tu Ilhan ? fit une autre voix en lui. Combien de fois déjà as-tu pensé à ce même regard mignon quand tes chèvres, ton cher petit Socrate, venaient à toi ? Combien de fois ?

Trop, en vérité, pour qu’il ait pu les compter. Fichtre ! Il était en train de se faire charmer par un… un… un quoi ? C’était quoi d’ailleurs comme animal ?

Tout à ses pensées, ses obsidiennes se firent plus douces, moins âpres et se teintèrent d’une lueur plus calme, alors qu’elles observaient le petit animal. Son pelage brun, son bout de queue noir, ce corps filiforme, un peu allongé… et cette petite bouille adorable.

Ilhan, tu te fais avoir !

Non, vraiment trop adorable. Et cette fois même son visage perdit de sa dureté. Un léger sourire, las et désabusé, étira ses lèvres, alors qu’enfin il se pencha vers l’animal, doucement, pour ne pas l’effrayer.

Petit chenapan, que fais-tu là ? Tu t’es perdu ?

Un rapide regard vers la baie vitrée ouverte, la petite cour… et l’arbre dans le fond. Sans doute était-il arrivé par là.

Tu es tombé de l’arbre sans doute. Quel animal es-tu ? Hum… laisse-moi deviner.

Il se redressa un peu, la main sur le menton, l’air songeur et observa encore la frêle silhouette. Et soudain, se rappela. Il avait déjà vu un tel dessin dans un livre. Même si c’était la première fois qu’il en voyait une en vrai.

Une hermine, fit-il, sa voix se teintant légèrement de ces tonalités de joie d’avoir trouvé la solution à un problème. Tu es une hermine n’est-ce pas ?

Pas comme si ladite hermine allait lui répondre. Et pas comme s’il n’avait pas l’air idiot de lui parler ainsi. Heureusement personne n’était présent pour en attester.

Tu sais qu’il n’est pas recommandé d’entrer ainsi chez les gens ? Et de leur faire des frayeurs de cet acabit, en mettant le capharnaüm partout chez eux ? Tu as ruiné tous mes parchemins…

Puis son regard sombre tomba de nouveau sur la petite bouille.

Mais j’imagine que tu n’en as que faire, soupira-t-il. Tu as peut-être eu plus peur que moi d’ailleurs.

Il tendit alors doucement une main vers l’hermine, sans à coups, sans gestes brusques, tout en s’agenouillant près de sa chaise, pour ne plus l’effrayer par sa stature, quand bien même il n’était pas de grande taille.

Tu n’as rien à craindre. Viens. Peut-être as-tu faim ? Est-ce pour cela que tu es entré ? C’est risqué de rentrer chez des gens ainsi, tu sais. Tous ne sont pas bienveillants envers les petites créatures comme toi. Certains pourraient te faire du mal.

Te prendre pour encas… par exemple.

Mais je ne te ferai rien. Tu n’as rien à craindre de moi. Viens. Tiens, veux-tu de la pomme ? Aimes-tu cela ?

Se disant, il tendit la pomme rognée de son autre main, attendant un signe, un geste, du petit animal. Ignorant le sentiment d’avoir l’air d’un sombre idiot.

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La porte s'ouvrit, remuant une des petites oreilles rectangulaire du visiteur clandestin. Alors, il le vit : cet Homme qu'on lui avait dépeint, cet humain blessé qui, soit-disant, lui ressemblait, et nécessitait une présence quadrupède. Une brise fraîche de peur ténue passa sur le coeur de Valmys. Ilhan Avente était plus impressionnant en vrai qu'en rêve. Dans les yeux de Dawan, l'Althaïen était une sorte de grand enfant. Pour une hermine, il était immense, et fort, et peut-être même dangereux ! Il avait l'air si sûr de lui, si confiant ! Le petit museau noir de Valmine se fronça, constatant que son hôte sentait l'effort physique. Sans doute un de ces humains forts, capables de se défendre par eux-mêmes... Ou molester les petites créatures qui s'infiltraient chez elles ! Soudainement, Valmys doutait de la confiance qu'avait su lui inspirer Dawan, quant à leur plan. Et si Ilhan n'appréciait pas sa venue ? S'il le chassait sans même prendre le temps de discuter ? Il était grand, si grand, et l'hermine si petite, recroquevillée sur son siège !

Le regard mécontent de l'humain se posa sur Valmys, et son instinct d'hermine sut immédiatement quoi faire. Il fallait faire ce que les hermines faisaient de mieux. Ce qui leur permettait de survivre face aux dangers, et arriver auprès des proies les plus terribles sans se faire remarquer !
Valmys offrit à Ilhan son plus luisant regard-du-mignon.
C'était une bouille très spécifique : il fallait bien cacher ses terribles crocs de carnivore derrière une bouche toute petite, dresser un peu son tout petit museau vers Ilhan, et le fixer avec ces grands yeux noirs brillants d'amour qu'il avait réussi à se concevoir. Là, ne voyait-il pas ? Ne voyait-il pas tout l'amour qu'ils avaient tous deux dans leurs coeurs, qui n'attendait qu'un moyen d'expression qui leur conviendrait ? Ne le voyait-il pas dans ce petit regard de grosse peluche ?

L'hermine ne bougea pas, dans sa position sereine tout juste éveillée, son coeur d'origine palpitant d'appréhension, jusqu'à ce qu'enfin l'attitude de l'objet de sa quête s'adoucisse. Un murmure de victoire passa alors entre ses oreilles. Ouiii ! Pourquoi en avait-il douté ? Au fond, un ami des chèvres ne pouvait qu'avoir de l'affection pour les animaux !
Il le laissa à ses questionnements quant à son origine. Lui, il avait son propre scénario à lui proposer. Néanmoins, le lui faire comprendre de vive voix serait impossible. Quand Ilhan commença à se questionner sur sa nature, l'hermine remua délicatement le petit plumeau noir au bout de sa queue, le ramenant contre son ventre. Ce petit plumeau, ne le reconnaissait-il pas ? Ahlala, le commun des mortels manquait cruellement de connaissances sur les mustélidés ! Il allait falloir répandre ce savoir. Ce petit plumeau très caractéristique, qui persistait au fil des saisons, était spécifique aux hermines ! Un moyen simple de les différencier des belettes, leurs plus proches cousins.
La suggestion d'Ilhan fut la bonne, et l'hermine répondit en se redressant un peu mieux, ses lèvres semblant s'étirer en un sourire. Il était bien, ce bipède, vraiment !

À l'évocation des parchemins ruinés, l'hermine baissa la tête et les oreilles. Oh, vraiment, il avait fait cela ? Il était désolé. Ce n'était pas bien. Le parchemin était une ressource rare et précieuse, autant que les écrits qu'il contenait. Ceci dit... Ilhan aurait pu rendre son bureau plus accessible aux hermines, cela aurait évité ce genre d'ennuis. Pas moyen de s'y déplacer convenablement, avec des pattounes courtes et un appendice caudal !
Une main se tendit vers lui, comme une demande de consentement pour l'approcher. Déjà, Valmys appréciait cet homme. En approbation, il approcha son museau, le reniffla délicatement. Légèrement musqué, comme lui ! Et un fond d'odeur de pomme. L'hermine en lui appréciait. Eh, attendez, il n'était pas une hermine, il était un Valmys ! Il ne fallait pas l'oublier ! Son corps d'origine eut un sourire. Son esprit-lié et lui partageaient vraiment quelque chose de spécial.

Un joli fruit apparut devant lui. Un peu gros, certes, mais pas moins juteux et sucré. Néanmoins, Valmys avait déjà mangé. Peu importait, il pouvait très bien abuser de cette générosité pour parvenir à ses fins ! Le terrible prédateur qu'il était approcha doucement son visage de la pomme avant de s'en saisir, d'un coup de crocs preste ! Il recula de quelques bonds, son terrible larcin en bouche, la tête redressée pour lui éviter de toucher le sol. L'hermine se tourna vers Ilhan, comme pour vérifier qu'elle avait bien un spectateur. Soudainement, elle se jeta sur le dos, les pattounes en l'air, et commença à jongler avec la pomme, la faisant rouler dans les airs avec ses quatre papattes, se tortillant de temps en temps quand le fruit menaçait de s'enfuir... Ce qui finirait fatalement par arriver.

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Quand il vit l’hermine se redresser comme pour lui crier victoire, Ilhan crut un instant rêver. Il aurait cru que l’hermine lui répondait qu’il avait visé juste. Comme si… Comme si elle comprenait ce qu’il lui disait. Mais les hermines ne comprenaient pas le langage des hommes, n’est-ce pas ? Et il n’était pas un spirite du cheval pour pouvoir communiquer avec les animaux non plus… Non, sans doute avait-il simplement rêvé.

Et ses questionnements furent vite chassés quand un petit museau daigna l’approcher. Cet animal, censé être sauvage et peureux, était étonnamment docile. Peut-être était-ce une hermine apprivoisée qui avait perdu son maître ? En ce cas… pouvait-il la garder ? Elle serait en sécurité ici, aurait un grand jardin pour s’amuser, de quoi manger à volonté, elle aurait… Non, Ilhan, souffla une petite voix. C’est un animal sauvage, qui doit le rester.

Toutefois, il ne put retenir un sourire quand il vit l’hermine lui voler la pomme. À voir comment elle agissait, il serait difficile de ne pas être tenté. Elle semblait si… si… confiante en lui. En l’homme. Une telle confiance était dangereuse pour un petit animal sauvage comme elle. Serait-il raisonnable de la laisser repartir vers le danger avec tant de naïveté envers ses comparses, qui ne seraient pas tous si amicaux ? Mais après tout, était-ce à lui de décider ? L’hermine était un animal sauvage, mais plus que tout, un animal libre. Il lui laisserait la fenêtre ouverte. Elle pourra choisir de rester, revenir, ou de partir, comme bon lui semblerait. Et il n’y aurait plus qu’à espérer qu’elle ne se fasse pas  tuer.

Bien vite toutefois le spectacle de l’hermine jouant avec la pomme chassa ses pensées agitées. Et un léger rire lui échappa. Comptez sur les animaux pour vous arracher quelques bribes de joie même dans les heures les plus sombres. Bien entendu, la pomme était trop lourde pour l’hermine et elle devait batailler pour la garder entre ses pattes et la faire rebondir dessus. Bataille qu’elle perdit en quelques minutes quand la pomme roula au sol. Et Ilhan éclata d’un rire plus sonore, à la vue de la petite bouille dépitée.

C’est un jouet un peu gros pour toi, fit-il entre deux rires, en ramassant la pomme qu'il posa sur le bureau. Ne fais pas cette mine, je vais voir pour te trouver un autre amusement.

Se disant, il se redressa et consulta son bureau, pour voir ce qu’il pourrait sacrifier au plaisir de son petit compagnon improvisé. Il ne vit que le parchemin souillé. Il pourrait peut-être découper la partie non souillée, la rouler en boule et en faire une petite balle… Aussitôt pensé, aussitôt fait. Il tendait déjà le nouveau jouet à l’hermine, quand on cogna contre le bois de sa porte.

Entrez, fit-il d’une voix sobre, chassant tout rire malvenu. Oh Dihya, accueillit-il, ses épaules se détendant quand elle entra.

Votre bain est prêt, Ilhan. Et je vous apporte votre petit déjeuner, ainsi qu’un courrier supplémentaire reçu lors de votre absence. Il porte le sceau d’urgence. J’ai songé qu’il ne pouvait attendre ce soir.

Merci Dihya.

Se disant, il s’empara aussitôt dudit courrier. Un coup d’oeil à sa clepsydre lui indiqua que le temps tournait et que s’il continuait ainsi à jouer avec l’hermine, il allait arriver en retard à la citadelle.

Pourriez-vous porter ce plateau à la salle d’eau ? Je me sustenterai en même temps. Je vous en saurais gré, ajouta-t-il alors qu’elle hochait la tête et obtempérait avec un sourire.

Il attendit que la porte soit fermée et décacheta aussitôt le parchemin. Puis le décrypta dans leur langage codé, puisqu'il ne pouvait user de magie, râlant intérieurement de devoir user de moyens si peu pratiques et possiblement de moins en moins fiables.

Les premières lignes chassèrent toutefois bien vite toute pensée cupide de cet acabit. Il avait bien plus urgent sur les bras. Un agent de la Toile semblait en danger. Le Tisseur avait tenté d’infiltrer le Marché Noir et les pirates. Deux infiltrations délicates, compliquées, qui relevaient parfois même de l’impossible.

Concernant le Marché Noir, aucune de ses araignées n’avait véritablement le profil permettant d’y entrer ainsi. Une avait tenté, mais n’avait jamais réussi à se faire accepter dans les rangs de la Triade. Ilhan avait donc dû ruser et avait tenté d’infiltrer quelques araignées auprès de personnes qu’il soupçonnait fortement de faire partie du Marché Noir. Pour l’instant seules trois araignées avaient réussi à resserrer leur filet. Une auprès d’Autone Falkire, du nom de Margaux, même si pour l’heure elle n’avait rien trouvé de probant au sujet de la jeune femme, et une auprès de Aaron Denrys, du nom d'Egilon, qui avait réussi à apprendre quelques bribes. Déjà Aaron Denrys, Magistrat de Caladon, faisait bel et bien partie du Marché Noir qui était donc bel et bien ressuscité, telle la Revenante qu’il semblait avoir infiltrée en masse. Egilon avait réussi à devenir son secrétaire particulier, tant il avait su se montrer indispensable, efficace et expéditif. Il avait ainsi pu obtenir quelques informations intéressantes : le Marché Noir était actif, plus qu’actif même, mais semblait oeuvrer en grande part pour l’Alliance. Delimar semblait peu touché, voire pas du tout, et le Marché Noir semblait spolier essentiellement Sélénia. Tout n’était que conjectures, déductions, hypothèses, mais toutes les bribes d’informations se tenaient et convergeaient en ce sens. Ce qui, en soi, avait rassuré le Tisseur quant aux intentions de la Triade. Qu’elle ait ou non des liens avec les pirates, ce qui ne serait pas impossible au vu des actions du Marché Noir, elle semblait vouloir oeuvrer en grande majorité pour l’Alliance. Et tant que cette voie serait respectée, le Tisseur n’y voyait aucune inquiétude à avoir.

Concernant les pirates toutefois, c’était toute autre chose… les tentatives d’infiltration étaient plus laborieuses et bien plus risquées. Une araignée avait dû se retirer sous peine de se faire tuer. N’en restait que deux en course, dont une qui lui envoyait ce lapidaire courrier. Araignée en détresse. À deux doigts de se faire découvrir. Nombreux signes d’inquiétude au sujet de sa couverture. Aucun moyen de fuir. Extraction a priori impossible. L’araignée lui signalait être probablement condamnée, et demandait à ce que la Toile ne prenne aucun risque pour la sauver. Selon elle, elle ne pouvait l’être. Elle serait rapidement démasquée, mais saurait quoi faire le moment venu. Ilhan sentit un pincement au coeur à la lecture de ces mots. Oui, elle saurait quoi faire. Poison. Suicide. Se tuer ou se faire tuer plutôt que se faire prendre vivante. Mais même sachant que la Toile ne tomberait pas, savoir qu’une araignée allait mourir, encore, n’en restait pas moins une torture. Elle allait mourir sous sa responsabilité, par les décisions qu’il avait prises, même si conjointement avec les araignées du premier cercle. Et déjà le feu de la culpabilité et de la peine le consumait. Sans compter qu'avec les aléas que la magie connaissait actuellement, ils en étaient revenus à des moyens archaïques et laborieux pour communiquer. Ce qui ralentissait toute mesure d'urgence. Il était fort probable que le temps que ce courrier lui parvienne, l'araignée soit déjà démasquée et morte.

Sous l’étau qui soudain le comprimait, il laissa échapper le parchemin qui toucha le bois du bureau dans un susurrement sombre. En proie à un vertige de douleur, Ilhan s’appuya sur la table et ploya sous le poids de la nouvelle. Et un sourd sanglot monta en lui sans pour autant que les larmes, traitresses, ne s’échappent vraiment. Plus de larmes, s’était-il dit il y a longtemps. Elles étaient là, au bord des yeux, mais il ne voulait pas les laisser s’écouler. Elles n’en avaient pas le droit. Il n’en avait pas le droit. Il poussa un autre sanglot qui se transforma en un cri muet, puis se força à inspirer et expirer profondément pour calmer le maelstrom d’émotions qui le submergeaient.

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L'hermine faisait de son mieux pour être expressive, compréhensible par le bipède-sans-poil. Aussi avait-elle sorti sa meilleure bouille triste lorsque la pomme lui avait échappée, espérant qu'Ilhan comprendrait qu'elle était bien trop petite pour s'envoyer la balle toute seule. Elle avait besoin d'aide ! De l'aide de quelqu'un avec des pouces opposables, par exemple !
Le bipède était fûté. Il comprit vite. Ravie, l'hermine trottina jusqu'à ses pieds, dressant le museau dans une veine tentative de voir ce qui se préparait, ce que pouvait bien faire le bipède. Ce faisant, Valmys songea qu'il comprenait un peu plus les chats domestiques, et leur tendance à se mettre dans les jambes de leurs bipèdes. C'était un peu une façon d'être sûr que le bipède resterait non-loin, et ne les oublierait pas. Pour les petits êtres qu'ils étaient, les distances étaient vite très grandes.

De plus en plus, l'immaculé avait la sensation de penser comme une hermine. C'était bien plaisant, assez confortable, de n'avoir que des soucis d'hermine en tête. Cela lui faisait du bien, à lui aussi. Etait-ce risqué ? Risquait-il de voir l'Hermine prendre le dessus ? Normalement, non. En tout cas, il se sentait encore maître de ses pensées, et prêt à reprendre le dur labeur d'une existence de Valmys sitôt qu'il regagnerait son corps. Alors il s'autorisait à se jeter museau en avant dans cette nouvelle existence, le temps d'un jeu, le temps de... Baballe !

L'hermine se hissa sur ses pattes arrières, sa petite queue remuant d'impatience. La baballe faisait du bruit, était hautement froissable, hautement mâchouillable ! Oui ! À lui la baballe ! Entendant les coups toqués à la porte, Valmys paniqua néanmoins. Ils n'étaient plus seuls ! Et s'il s'agissait d'un brise-sort ? Ou d'une quelconque personne dôtée de sensibilité à la magie ? Zut zut zut ! Précipitamment, la créature au poil bicolore s'empara de la boulette de papier, avant de bondir au milieu de la pile de coussins, ondulant pour s'y enfouir. Car il était de notoriété publique que les coussins protégeaient de tout : des moustiques, des mauvais rêves, et des brise-sorts.
Ilhan joua le jeu également, et Valmys dut reconnaître que ses talents d'acteur étaient exceptionnels. La voix qui les avait rejoint ne ressemblait pas à une voix de Brise-Sort.Songeant cela, Valmys se fustigea d'autant de préjugés. Il n'avait jamais croisé lesdits Brise-Sorts, comment pouvait-il seulement se permettre une telle allégation ! Aussi n'osa-t-il pas bouger, et à peine respirer, jusqu'à ce qu'à nouveau la voix s'en aille.

Alors la petite bouille s'extirpa laborieusement de sa forteresse, boule de papier toujours dans le bec. Elle apporta cette dernière à Ilhan, en trottinant. À son grand dépit, le maître des lieux n'avait plus l'air d'avoir envie de jouer. C'était stupide ! Quel papier pouvait être plus important que jouer avec une hermine ? Intrigué, Valmys posa la balle de papier à terre, et prit un peu d'élan.
Maladroitement, et en escaladant un peu, il parvint sur les genoux de son bipède. Ce dernier écrivait. Ce n'était pas ainsi qu'une lettre se lisait, normalement. Remuant la tête, l'Enwr caché fit de son mieux pour adapter sa vision d'hermine à son objectif, et décrypter les symboles que traçaient Ilhan. Petit à petit, il comprit qu'il assistait là au décodage d'un message. L'opération le fascina. Il chercha la logique derrière le code, puis l'histoire cachée derrière cet échange. Elle s'écrivit peu à peu devant lui, et il fut ravi que sa bouille d'hermine l'empêchat de trop dévoiler ce qu'il pensait de tout cela. Etait-il en train de voir les gros secrets des sphères qui dirigeaient en secret ce monde, là, innocemment dévoilés sous ses yeux ? Un instant, l'Enwr songea à détourner le regard, tant par respect pour Ilhan que par crainte de tout dévoiler, étant par son serment lié. Mais les mots qui venaient étaient passionnants, cette découverte exaltante. Allez, après tout, le Marché Noir avait sans doute moyen de rebondir, même si un petit Enwr venait à tout dévoiler, non ? Et Ilhan ne saurait peut-être jamais que l'hermine comprenait ses mots. Ou peut-être dans assez longtemps pour avoir oublié.

La lettre prit une tournure tragique. Entre les lignes, et malgré les non-dits, Valmys le percevait. Les subtils indices dans le comportement d'Ilhan, qu'il n'aurait peut-être pas perçu sous sa forme immaculée, le poussaient à croire cela également. Quelqu'un allait mourir, pour avoir voulu accomplir une mission pour la Toile. Toile dont le centre était cet Homme. Celui qui contenait ses émotions comme un prince, mais les vivait avec la puissance d'un être vivant. Le propre coeur végétal de l'hermine se serra. Sans l'avoir jamais vécu, il devinait quels sentiments devaient l'étreindre, et combien des épaules d'humain devaient être faibles pour les soutenir. Oh non, allait-il pleurer ? Oui, il allait pleurer. S'il ne pleurait pas déjà avec son coeur. C'était terrible ! C'était affreux ! Valmys ne pouvait le laisser ainsi. Mais les hermines, pas plus que les immaculés, ne savaient se glisser dans le coeur des gens pour y porter les peines. Ou alors, nul ne l'avait appris à Valmys. Prisonnier de ce petit corps sans paroles, il se sentait démuni. Alors, il fit la seule chose qu'il pouvait faire sous cette apparence. Il gesticula, jusqu'à pouvoir passer un tout petit bout de toute petite langue humide de rosée contre un bout de peau d'Ilhan, son cou, ou son menton. Juste un petit peu, pour attirer son attention, lui dire qu'il n'était pas seul, et qu'il était là, prêt à le laisser profiter de son fluff jusqu'à ce que ce dernier absorbe ses larmes. Faisant demi-tour sur les genoux du Tisseur, il appuya sa tête contre le ventre de ce dernier, avant de s'y blottir, roulé en boule, dans un câlin à sa taille, mais pas à la taille de sa volonté de soutenir cet Homme. Mais aurait-il seulement accepté une épaule de bipède pour épancher ses larmes ?

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Il avait senti soudain une petite masse chaude se hisser, laborieusement, sur ses genoux. Ainsi que le léger piquant des griffes lui titiller la peau à travers le tissu de ses braies. Mais il était tant pris par la missive reçue qu’il n’en prit pas garde tout d’abord. Ce ne fut que lorsqu’il sentit une petite langue rapeuse sur son cou, alors qu’il hurlait en silence sa peine et son déchirement, qu’il prit conscience de la petite présence rassurante. Il sentit ensuite la petite boule de poil se pelotonner contre lui, contre son ventre. Il avait l’impression que, si la petite bestiole l’avait pu, elle l’aurait pris dans ses bras. Comme si elle percevait sa peine, comprenait son horreur. Ou peut-être la comprenait-elle vraiment ?

Toujours était-il que cette petite boule de poils avait réussi à l’extirper de son marasme, et déjà il se surprenait à en câliner le pelage d’une main distraite, en un geste presque naturel, instinctif. Plus étrange encore, l’hermine ne semblait pas fuir sa main. Pourtant un animal sauvage aurait dû avoir peur, ou du moins quelques réticences, envers la main de l’homme. Mais non celle-là ne semblait nourrir aucune méfiance envers eux. Envers lui en tout cas. Ilhan se surprit alors à continuer ce mouvement lent, et rassurant, tout en inspirant et expirant doucement pour relâcher la tension qui l’habitait. Ce petit exercice fut bien plus efficace qu’une séance méditative de plusieurs minutes. Il s’étonnerait toujours de la puissance apaisante de certains animaux. Il l’avait déjà remarqué avec ses chèvres, étrange héritage d’un temps passé, et ce n’était pas pour rien qu’il avait songé à prendre sa retraite avec elles. Mais visiblement, les animaux, pour les non prédateurs du moins, entretenaient ce point commun : l’apaisement des sens et du coeur.

Merci, murmura-t-il en un souffle à peine audible.

Quand bien même il doutait que l’hermine comprenne ce mot. En tout cas, sans doute comprendrait-elle son geste, quand il reprit une légère caresse presque aérienne. Et, après une dernière câlinerie, Ilhan attrapa d’une main tremblante la lettre et son décryptage. D’un mouvement lent pour ne pas trop déranger l’hermine, il attrapa de l'autre une petite bougie allumée sous une cloche protégée située vers un des coins du bureau, en retira la cloche de verre, et alluma les coins des deux parchemins. Il les regarda alors longuement se consumer, tout en laissant ses pensées agitées s’embraser avec eux, et laissa les derniers morceaux tomber dans un petit récipient réservé à cet effet. Les cendres qui y trainaient encore attestaient que ce n’était pas les premiers parchemins à brûler ainsi. Ni les derniers assurément. Le Tisseur ne laissait aucune trace de ces courriers et de ces échanges écrits. Il avait l’habitude de tout effacer, tout détruire, de ne garder aucune preuve. Les rares écrits consignés, comme ses souvenirs dans son livre de vie, destiné à son successeur ou à Tryghild, étaient mis en sécurité avec des mesures drastiques. Tout le reste était dans sa tête, là, dans les limbes de son esprit.

Tandis que les dernières braises du parchemin mouraient, Ilhan ne parvenait à se défaire d’un sentiment d’impuissance insidieux qui lui laissait un âpre goût de cendres. Avec les aléas de la magie qu’ils subissaient de plein fouet depuis mai, il se retrouvait contraint d’user des vieilles méthodes du temps des tout débuts de la Toile. Il avait l’impression d’être revenu des années en arrière, où tout était bien plus compliqué, et où aucun faux pas n’était toléré. Il observa son anneau, cet anneau "maitre" qu’il avait fait forger quand magie était revenue, ce glyphe de Regis Omnia notamment qui lui avait tant facilité la tâche pour converser avec tout agent de la Toile à chaque instant. Le nombre d’agents (et de non-agents) liés à cet anneau ne se comptait plus. Il le connaissait, bien entendu, mais il devenait suffisamment important pour donner le vertige. Cela lui avait permis de faciliter la coordination de la Toile et de toutes ses laborieuses araignées aux quatre coins d’Ambarhùna, puis de l’archipel. Malheureusement, la dernière fois qu’il avait essayé de l’utiliser, il s’était retrouvé en communication avec un parfait inconnu, l’obligeant à couper court à la conversation avant que sa véritable identité ne soit révélée.

Impuissant donc. Et revenu à des méthodes archaïques d’un autre temps, du temps d’avant, du temps de tous les dangers où il tissait sans relais, sans cet allié si unique, si puissant, mais si peu fiable, qu’était la magie. Oui, peu fiable, même lui pouvait le concéder. Quand on songeait qu’à la moindre utilisation de son fidèle anneau il risquait de se faire sauter ou de se faire amputer d’un doigt, il ne pouvait que concevoir pourquoi Glacernois et Almaréens nourrissaient tant de méfiance envers magie. Même si elle était merveilleuse, elle était tout autant traitre que généreuse.

Mais non, le Tisseur n’allait pas se juger vaincu. Il n'avait jamais baisser les bras devant l'adversité, ce n'était pas maintenant qu'il allait le faire. Il pouvait encore agir, tenter quelque chose. Sans doute sa missive arriverait trop tard, mais… cela valait le coup d’essayer. Il avait des agents non loin, à qui il pouvait envoyer quelques consignes. Qu’ils se tiennent prêts, aux aguets. Ils ne tenteraient pas d’action, ils ne le pourraient. Mais si par un miracle inopiné, que les Déesses leur accorderaient, son agent parvenait à s’exfiltrer de chez les pirates sain et sauf, du moins plus sauf que sain, il trouverait d’autres araignées prêtes à l’aider et sachant quoi faire. Oui, cela au moins lui était possible.

Et fort de cette conviction, il s’empressa d’écrire trois missives, les trois identiques, délivrant ses directives pour les cas où. Il cachetait les lettres de son sceau du tisseur, quand il entendit Shan appeler à l’aide. Aussitôt, il enfouit ses missives et son cachet, dans le fond caché de son tiroir, qu’il referma à clé, puis prenant délicatement l’hermine sous un bras quand il se leva, il se dirigea à grands pas vers le corridor. Il aperçut alors un Shan échevelé, les portes du salon grandes ouvertes… sous une violente bourrasque venant de la pièce. D’un rapide coup d’oeil, il y aperçut des livres renversés, quelques pages même arrachées à lui fendre le coeur, volant dans un tourbillon de vent effréné, et de nombreux meubles renversés, des tableaux tombés, certains cassés...

Qu’est-ce que… furent ses premiers mots, face à ce spectacle cataclysmique.

– Je ne sais, Ilhan, souffla Shan, visiblement épuisé. Je ne parviens pas à entrer dans la pièce. Le vent est trop puissant, il…

Le vent ?

Mais quel vent, eut-il envie de demander. Au-dehors, en ce mois d’août radieux, il faisait un temps splendide, loin des tempêtes orageuses. Tempête… soudain ce simple mot suffit à lui faire comprendre. Le tome des tempêtes ! Il avait été ouvert. Mais que faisait-il là ? Pourquoi ne se trouvait-il pas consigné ? Depuis les incidents magiques, surtout depuis l‘explosion qu’il avait engendrée dans son bureau à la citadelle, il avait demandé à ses domestiques d’enfermer tout objet magique qu’il n’avait pas gardé sur lui dans son coffre scellé, dans sa chambre. Il avait fait vider tout contenant magique également et les avait soigneusement fermés et condamnés, évitant qu’ils ne déclenchent une catastrophe simplement en cherchant à contenir quoi que ce soit. Il y avait soigneusement veillé. Alors que faisait ce tome ici ? Shan l’aurait-il manqué ? C’était lui qui s’était chargé du salon… et après tout l’homme était moins apte en magie, il était l’un des moins formés à cet art…

Et quand bien même était-il là, qui avait donc ouvert ce tome ? Aucun membre de sa maisonnée ne l’aurait ouvert, il l’aurait tout de suite reconnu. Et personne en cette matinée n’était entré dans sa maison sans faire partie des siens. Qui avait donc… Et soudain une intuition le foudroya. L’hermine ? Oui c’était la seule à être entrée, sans être invitée d’ailleurs… elle aurait très bien pu se faufiler dans le salon avant d’arriver dans son bureau. Soupirant, déjà fatigué rien qu’à l’idée de devoir expliquer cet énième incident, il tendit l’hermine à Dihya.

Gardez-la. Qu’elle ne se faufile pas dans cette bourrasque.

Qu'allez-vous faire ? Vous n’allez quand même pas…

Le ton de la jeune femme était clairement inquiet, alors qu'elle installait doucement l'hermine contre elle.

Ilhan ne répondit pas, et d’un geste intima à Shan :

Allez me chercher les autres, nous allons avoir besoin d’eux.

Aussitôt il courut à son bureau, sans même attendre la réponse. Ils ne pouvaient passer par la porte, le vent était trop violent et trop proche. Mais il pouvait tenter de se faufiler par la fenêtre, qui était encore ouverte… Et c’est ainsi que le petit althaïen entra dans le salon après être passé par la petite cour. Il parvint à s’approcher suffisamment, se protégeant le visage du vent qui le fouettait en pleine face et aperçut le tome. Là, tout près de la cheminée dévastée, heureusement éteinte. Grand ouvert. Il suffisait de l’attraper et de le fermer. Encore fallait-il l’atteindre. Peut-être en longeant le mur ? Et en s’accroupissant. Il donnerait moins de prise au vent. Il ne perdit pas de temps à mettre son plan à exécution et avança laborieusement. Il manqua se prendre un livre à la tempe et esquiva de peu. Mais déjà un bougeoir voltigea vers lui et cette fois le cogna dans le dos. Il grogna quand un livre le cogna au bras.

Fichtre! Il commençait à en avoir marre. Et s’ils ne mettaient pas fin à cette magie, allez savoir ce qui allait, encore, se passer ! Si ça se trouvait, toute la maison allait exploser ! Cette simple idée lui insuffla suffisamment de peur pour lui donner le courage de reprendre son avancée. Et quand il vit être tout près mais qu'il peina à continuer, il décida de tenter de sauter sur le livre.

D’un bond aussi puissant qu’il le pouvait, il s’élança sur le vil coupable. Il atterrit lourdement à ses côtés, à deux mains à peine, et reçut un autre livre sur lui. Il ne perdit toutefois pas de temps et tenta de s’emparer de fautif. Un coup de vent repoussa un peu le livre, mais Ilhan se redressa en position de félin et sauta de nouveau sur le maudit tome. Cette fois, il atterrit sur lui de tout son long. Maintenant qu’il l’avait attrapé, il lui fallait le refermer. Mais le livre avait de la force et c’est une étrange lutte entre un petit althaïen et un livre de luxe qui débuta. Bientôt il aperçut Vladimir arriver dans l’encadrement de la porte. Son regard sombre agrippa la haute silhouette élancée, et dans un échange silencieux lui demanda son aide. Mais ce simple geste lui fit perdre une manche contre le livre qui déjà se rouvrait. Ilhan sentit alors le serval le rejoindre d’un bond, enserrer le livre avec lui qu’ils parvinrent, enfin, à refermer…

Dans une explosion sonore qui les envoya valser. Ilhan sentit tout juste les bras du serval l’enserrer dans une puissante étreinte, lui et le livre fermé, alors qu’ils se retrouvaient propulsés contre un mur. L’impact avait été comme étouffé, mais il se sentait tout de même sonné. Ses oreilles bourdonnaient et le monde tanguait. Il tenta de secouer la tête pour chasser les acouphènes qui grésillaient en lui, en vain. D’une main tremblante, il tenta de se redresser et toucha un corps sous lui. Il aperçut alors Vladimir, tout aussi désorienté, avachi contre le mur, une tempe saignant légèrement. Le serval avait pris la majeure partie de l’impact pour sauver son maitre. D’une main, il caressa doucement le visage de l’autre homme pour s’assurer qu’il était toujours vivant. Il était hors de question qu’il le perde lui aussi. Heureusement à ce geste, Vladimir ouvrit les yeux et lui offrit un léger sourire. Ilhan se redressa alors doucement, douloureusement, le livre fautif dans les bras, bien déterminé à ne pas le lâcher tant qu’il ne serait pas mis en sécurité. Il aperçut Shan les rejoindre et aider Vladimir à se relever à gestes lents.

Ilhan se tourna alors vers son salon dévasté, mais n’eut guère le temps de vérifier l’ampleur des dégâts que déjà une voix, avec des accents nordiques impossibles à manquer, s’éleva :

Qu’est-ce qui se passe ici ?

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Ce qui lui avait été annoncé, c’était que ‘quelque chose’ était arrivé. Voilà un refrain qu’elle entendait souvent quand il s’agissait de son diplomate. Sauf que ce mystérieux-pas-si-mystérieux ‘quelque chose’ venait de produire une secousse digne d’une catapulte et qu’on appelait à l’aide ! Et quand un humain appelait à l’aide, tous les serviteurs du monde pouvaient bien lui demander de patienter qu’elle ne l’aurait pas fait. Originellement, elle n’était là que pour vérifier qu’Ilhan aille bien… mais elle allait peut-être devoir le faire aller bien elle même, apparemment. Dépassant la gamine qui tentait de lui barrer la route, elle se guida au son apocalyptique, à peu près certaine de trouver l’althaïen à sa source. Le salon… Que Loup la protège, qu’avait-il encore fait ? Elle ouvrit la porte en grand, porta son regard sur la dévastation alentours, comme si une tempête avait fait voler à peu près tous les objets en place, sans compter les murs fragilisés, et les pages de livres qui volaient en tous sens. La nordique eut un coup au coeur en voyant les trois hommes, la femme et la bestiole, semblant sortir de la tourmente. Un instant, l’inquiétude fut asphyxiante, alors qu’elle se demandait ce qui avait bien pu se passer, s’ils avaient été attaqués, comment et par quels moyens. Puis la colère remplaça, ou plutôt supplanta temporairement l’inquiétude, et elle sentit lentement monter en elle une ire folle.

Qu’est-ce qui se passe ici ?

Le rauque naturel de son accent nordique encore accentué par son ire, l’Intendante décocha un regard volcanique à son conseiller, avec une sommation silencieuse de s’expliquer sur le champ. Il essayait encore de mourir en douce ? Il s’était attiré des problèmes dont il ne lui avait pas parlé ? Lentement, elle sentait la colère et l’inquiétude qui montaient, montaient, montaient de plus en plus alors qu’elle se campait sur place, le regard foudroyant les trois silhouettes sans aucune distinction. De la magie !  Cela sentait la magie, à coup sûr ! Bon sang, la magie devenait folle partout et eux ils s’amusaient avec ! De quelle bande d’empotés inconscients avait-elle hérité en allant chercher Avente dans ce foutu bourg… Sans comprendre ce qui était entrain de se passer, beaucoup trop angoissée et furieuse pour noter quelque chose qui ne fut pas l’ouvrage tremblant dans les bras de l’althaïen, elle émit un renaclement qui ressemblait fort au grognement de l’esprit quadrupède qui venait de poser les yeux sur elle. Semblant gagner en taille comme un crapaud buffle colérique, la nordique réitéra sa demande, non son exigence, devant un public apparemment transit. De peur, sans aucun doute, mais elle était trop occupée à maudire intérieurement les mages et leurs sales habitudes pour cela.

Ilhan Avente, répondez-moi!

Balançant à égale mesure à présent entre son angoisse et sa colère, elle ne vit pas les trois brises-sorts qui étaient venus la rejoindre manu militari. L’un d’eux désigna l’ouvrage. Le regard de la sangliette se posa sur l’ouvrage qui sembla devenir le nouveau tyran blanc auto-proclamé de Délimar tant elle l’assassinait des mires.

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De douces caresses, sur un poil qui n'en était pas vraiment. Valmys admit qu'il avait plutôt bien réussi son avatar. La végétation offrait un poil incroyablement doux, et la chaleur... Il n'aurait su expliquer comment il la singeait, s'il devait cela au petit cœur qui faisait mine de pulser dans sa poitrine, ou à un peu de magie. Mais puisqu'Ilhan continuait de le papouiller, ce n'était pas important. S'ils avaient été bipèdes, jamais ils n'auraient partagé cela. Jamais Valmys n'aurait pu offrir à cet humain cette envie qu'il avait de l'encourager, et soigner son cœur. Jamais il ne lui aurait offert de sécher ses larmes dans un échange d'affection. Aucun d'eux n'aurait osé, et ils seraient restés chacun dans leurs froids cocons d'isolement que les mœurs et douleurs tissaient autour des sans-poils. Cette apparence d'hermine était libératrice, en un sens. Ne pas être soi pouvait ainsi permettre de s'exprimer pleinement.

Et puis, il fallait reconnaître que ce n'était pas désagréable, au fond, ces caresses. Puisqu'elles étaient douces, et puisqu'elles ne pouvaient porter tous les sens odieux d'une caresse de bipède à bipède, elles étaient de sucre et de coton. L'hermine ferma les yeux, son petit corps appuyé contre Ilhan respirant avec lenteur, roucoulant tout bas, respectueusement. Chaque chose en son temps. Il y avait un temps pour faire oublier le monde dans l’allégresse, et un temps pour la compassion.
Lorsqu'Ilhan remua à nouveau, l'hermine gigota pour lui laisser davantage de marges de manœuvres. Elle observa les papiers brûler en se blottissant un peu plus contre lui, craignant pour sa fourrure, le cœur un peu serré. Dans ces flammes brûlaient les restes d'une personne. Même inconnue au petit être, elle restait une perte lourde à son cœur, parce qu'elle l'était dans le cœur qui battait non-loin du sien. Ses grands yeux noirs, brillants, cherchèrent les siens. Encore une fois, il vit les quelques motifs entre eux qui avaient sans doute poussé le chanteciel à vouloir tisser de leurs identités une nouvelle fresque. Puisque désormais il connaissait cet humain-là, il ne pourrait l'oublier. Il allait devoir le revoir. S'inquiéter pour lui. Trouver de subtils moyens de rendre plus agréable son existence. Le protéger, pour que nul pirate ne vienne à nouveau faire luire d'humidité ses joues. Il ne savait encore comment il allait s'y prendre. Mais par la Grande Hermine, à partir d'aujourd'hui, le monde serait différent pour cet humain que l'on nommait Ilhan Avente, et qui n'était rien d'autre qu'un cœur armé de raison !

L'humain s'empressa d'écrire, revigoré par une énergie qui échappa à l'hermine. Pas question de lire par-dessus son épaule, cette fois. Ç'aurait été fort peu discret. Roulé en boule sur les genoux de celui qu'il... Peluchisait ? Valmys le laissa faire, très occupé à n'être qu'une boule de soie et de calme.
L'appel à l'aide le réveilla d'un coup, dressant sa petite tête triangulaire et arrondie en haut de son long corps. Hein, quoi ? Mais... C'était impossible. Ils étaient à Délimar. Rien ne pouvait s'en prendre à l'Océanique qui ne vaille un tel cri. Avant d'avoir pu dire ou faire quoi que ce soit, Valmys se retrouva attrapé comme la peluche qu'il était, et baladé à travers les corridors. Oh, c'était plus rapide ainsi, mais un peu déstabilisant. Et flatteur. Il se sentait adopté comme quelque chose d'important.
La scène qui se dessina devant son petit museau le laissa un peu plus bouche bée qu'il ne l'était déjà. Voilà qui valait que l'on appela à l'aide. Une situation magique devenue incontrôlable. Enfin, incontrôlable... Eut-il été lui-même, Valmys aurait sans doute pu maîtriser ce tome des tempêtes récalcitrant. Mais avec des pattounes, c'était plus ardu. C'était bizarre tout de même qu'un tome des tempêtes soit utilisé ainsi.

Fixant l'ouvrage, une réalisation très gênante glaça le non-sang de l'hermine. Oh. Il reconnaissait mieux ce livre, maintenant qu'il s'était fait à ses sens herminesques. Il était... possible... Qu'il ne l'ait pas reconnu plus tôt. C'était gênant. Quel mauvais protecteur il faisait. Peu fier, il détourna le museau d'une aussi gênante vision, et se retrouva donc blottit au sein de la partie anatomique la plus chaleureuse et réconfortante de Dihya. Oups. Oh, et zut, il avait bien le droit, il n'était pas prêt pour tout ça !

Quelques petits coups d'oeil inquiets furent jetés en direction d'Ilhan, dont la bravoure, et le courage brillaient en ce terrible combat face aux objets et au mobilier. S'il avait pu lui dire combien il était désolé ! Valmys tâchait de s'auto-réconforter en se répétant sans cesse qu'il trouverait un moyen de se faire pardonner plus tard, d'une autre façon. Cela n'empêchait pas son petit corps de se raidir lorsqu'Ilhan prenait un coup, ou grognait. L'arrivée d'un serval aida à mettre fin à ce chaos. Le calme revenu, chacun témoignant de sa survie, l'hermine se détendit un peu, et commença à gesticuler, pour aller s'excuser auprès d'Ilhan.

Une voix retentit, porteuse de trop d'autorité pour que l'hermine ne commençât pas à craindre le pire. Brise-Sort. C'était sans doute une Brise-Sort. Non ! Elle allait lui vouloir du mal si elle la repérait. Ou alors, elle accuserait d'autant plus Ilhan... Et jamais plus ils ne pourraient ce revoir ! Au diable la chevalerie, et tout l'honneur que Valmys aurait eu à se désigner coupable pour sauver son ami. Il ne pouvait pas risquer leur lien si tôt... Et peut-être même plus que leur lien. Il ignorait si un coup à cet avatar se répercutait sur son véritable corps, et n'avait aucunement envie de s'y essayer. Les multiples hypothèses qui pouvaient venir en l'esprit de quelqu'un qui décriait la magie ne l'intéressaient pas. Elles ne pouvaient que leur causer du tort.
Couinant intérieurement de son impuissante, l'hermine gesticula plus fort, bondissant en silence depuis les bras de Dihya, pour se carapater sans demander son reste en direction des jardins. Là, il se terra sous une plante, inaccessible...

Et sortit de sa transe, le cœur battant, un léger vertige le prenant à la brusque union de son âme et de son corps. Hmpf... Il s'en voulait. Enormément. Et il s'inquiétait de ce qui, actuellement, devait se dire, non-loin.
Alors il se proposa d'attendre la tombée de la nuit pour reprendre son avatar, et vérifier de lui-même si tout allait bien.

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Au regard brûlant de glace que lui offrit Tryghild, Ilhan ne put que se figer sur place et baissa la tête pour mieux masquer la soudaine appréhension qui le happa. D’ailleurs, tous s’étaient figé soudain, attendant qu’une nouvelle tempête explose, cette fois-ci de nature toute nordique. Mais, si de ses serviteurs, une telle attitude soumise ou peureuse était tout à fait tolérable, elle l’était bien moins venant d’un seigneur tel que lui. Il laissa les notes nordiques résonner de leurs âpres sonorités quelques secondes encore, avant de forger sa détermination pour affronter ce regard dur, dans lequel il espérait ne pas lire une quelconque déception. De tous les sentiments, celui-ci lui serait le plus douloureux à surmonter. La colère de sa Reine, si parfois elle l’impressionnait toujours un peu, il savait au moins la gérer. Mais sa déception, sa perte de confiance… Non, plus jamais il ne voulait revivre ce qu’il avait pu ressentir lors de son jugement en cour martiale.

Il dut alors lutter pour trouver le peu de courage qu’il lui restait. Une profonde inspiration, un raclement de gorge, et une lente expiration plus tard, il releva les yeux lentement, tout en recomposant un masque de façade policé, dénué de toute peur, mais empreint de respect. Il s’apprêtait à faire front et répondre, quand… Quand il le sentit. Le sanglier. Ilhan se changea de nouveau en statue, les lèvres légèrement entrouvertes, les sourcils froncés,en une expression de brusque perplexité. Il sentit, plus qu’il ne vit réellement, cet Esprit-Lié inopiné venir se poser sur sa Reine sans même qu’elle semble s’en rendre compte. Il en sentit toutes les vibrations se tisser autour d’elle et une nouvelle force irradier d’elle. Un Esprit-Lié inopiné oui… mais pas si inattendu, songea-t-il soudain, peinant soudain à masquer le sourire qui voulait étirer ses lèvres bien malgré lui.

Il dut lutter contre un soudain fou rire qui montait en lui. Il ne put alors que baisser de nouveau les yeux, comme si ce seul geste suffirait à faire taire son ornithorynque, et se mordre les joues pour étouffer son amusement. Il sentit le goût âcre du sang dans sa bouche, mais n’en eut cure. La légère piqûre de la douleur l’aida d’ailleurs à retrouver un semblant de sérieux.

“Ilhan Avente, répondez-moi!”

Oui, il lui fallait répondre, ou la patience légendairement nulle de sa Reine allait totalement s’effriter. Il releva alors de nouveau les yeux, plus timidement encore, toujours les dents serrées pour ne pas laisser une moue moqueuse et amusée s’échapper. Ce serait plus que mal venu en une telle situation.

Il semblerait que même les Esprits-Liés soient au moins d’accord sur ce point, souffla-t-il enfin, presque en un murmure.

Et cette fois, un léger sourire flotta sur son visage poussiéreux. Un sourire qui toutefois s’effaça instantanément à la vue des trois brise-sorts qui arrivèrent. Voilà que les choses devenaient plus compliquées encore… L’un des hommes désigna le livre et Ilhan hocha d’abord simplement la tête. Il était vraiment temps qu’il s’explique.

Il se racla alors de nouveau la gorge, son sérieux totalement retrouvé, avec une marque de gravité alors qu’une inquiétude réelle se rappelait à lui elle aussi.

Une hermine, enfin je crois que c’est une hermine, est entrée dans ma maison et a fait tomber quelques objets, dont ce livre apparemment…

Bon, il ne commençait peut-être pas par la bonne chose, et sentit clairement au haussement de sourcil sceptique et aux regards durs de certains brise-sorts qu’on ne le croyait pas, voire qu’on le prenait clairement pour un fou. Pourtant il ne mentait pas ! eut-il l’envie futile et puérile de rajouter. Ce qui n’aurait eu que l’effet contraire de celui escompté.

La petite hermine que tient ma régente, Dihya…

A mesure qu'il disait ces mots, il avait tourné son regard vers la jeune femme, tout en la désignant d’un mouvement de tête. En d’autres temps, il l’aurait fait d’un geste élégant de la main, mais il n’osait pas lâcher le livre d’un pouce, trop peureux du cataclysme qui pourrait bien arriver. Déjà qu’il n’était pas doté d’une bien grande force… Autant ne pas tenter le tome ! Toutefois ses considérations philosophiques sur l’impolitesse de ses gestes se turent aussitôt quand il aperçut les bras vides de la jeune femme.

Elle a fui, mon Seigneur, répondit-elle sans même qu’il n’ait eu besoin de le lui demander.

Ilhan tourna alors un regard dépité vers les quatre délimariens, un court instant confus et désemparé. Ressaisis-toi ! se fustigea-t-il intérieurement. Forçant alors son esprit à se reconcentrer sur le principal, à savoir échapper au bannissement de Delimar pour un forfait qu’il n’avait pas, pas tout à fait du moins, commis, il reprit, dans un nouveau raclement de gorge. Chassant une nausée qui commençait insidieusement à monter.

Vous allez sans doute me répondre que peu importe le responsable, cet objet n’aurait jamais dû se trouver là, et surtout pas à portée si facile. Ce qui est vrai. Nous avions d’ailleurs consigné tout objet magique de la maison…

Bon sauf son anneau des murmures, et sa pythie koryfi qu’il portait toujours sur lui… mais ces deux objets, il les connaissait suffisamment bien pour en appréhender tous les dangers. Il ne les utilisait pas, mais préférait les garder sur lui plutôt que de risquer de les voir tomber entre de mauvaises mains…

dans un coffre scellé qui se trouve dans ma chambre. Il faut croire que cet objet a échappé à notre vigilance…

Il réprima l’envie de se mordre les lèvres, sous l’appréhension de la semonce qu’il ne manquerait pas d’essuyer. Quand il entendit soudain Shan intervenir.

Si vous voulez bien me pardonner d’intervenir dans cette conversation, fit la voix grave du vieil homme, je puis plaider coupable de cet oubli, mon Intendante, Messires.

Shan ne put offrir la petite révérence qu’il n’aurait pas manqué de donner en temps normal, puisqu’il soutenait toujours Vladimir encore affaibli. Mais le ton était plus que déférent.

C’est moi qui étais chargé des objets du…

Shan, coupa aussitôt la voix calme, mais péremptoire d’Ilhan.

Mon seigneur, lui répondit le vieil homme.

Accompagnez donc Vladimir dans mes appartements et installez-le convenablement. Dans le lit, pas dans le fauteuil… J’ai dit dans le lit, répéta-t-il en surarticulant chaque mot, coupant la protestation de Vladimir. Qu’il y reste couché et faites mander un guérisseur sur-le-champ.

Shan hocha la tête et bien heureusement tourna aussitôt les talons pour obéir, évitant à Ilhan de se répéter. Chassant l’inquiétude qui le taraudait à voir le spirite du serval, si fier et si fort, dans cet état, il se retourna vers les quatre délimariens.

Ma Reine, Messieurs…

Il ferma les yeux, s’apprêtant mentalement aux lourdes conséquences qui allaient s’abattre, pour les rouvrir aussitôt, une lassitude sans nom teintant ses orbes sombres. Une lourde chape de fatigue menaçait de faire ployer également ses épaules, surtout après l’effort physique qu’il venait de demander à son corps éprouvé, lui dans un si piètre état, mais il parvint à garder un maintien un tant soit peu digne grâce à sa seule volonté.

Tout ce qui vous a été dit est vrai. Mais j’en assumerai, seul, toutes les conséquences.

Il était hors de question que Shan paye quoique que ce soit. D’autant plus que, si Shan était coupable de cet oubli, Ilhan était coupable de négligence pour ne pas avoir vérifié après eux en tant que seigneur de maison.

Il attendit alors la sentence, ses obsidiennes mornes focalisées sur sa Reine, se maintenant debout il ne savait comment. Sans doute s’accrochant à ce regard polaire qu’elle lui offrait en retour et qui lui donnait la force de ne pas défaillir devant elle. Devant eux.

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Mais qu’est-ce qu’il avait à baisser la tête ainsi ? C’était de la contrition ? Qu’avait-il encore fait ? Poing sur les hanches, elle faisait de gros efforts pour ne pas le secouer. Fort heureusement, il semblait en avoir conscience et ne tarda guère à parler. Mais de quoi comment ? Les esprit-liés ? Il s’était cogné la tête ou quoi ? Méfiante, elle attendit la suite, mais il enchaîna pour lui parler d’une hermine. Ils se tournèrent d’un même mouvement vers Dihya, pour vérifier ce qu’il en était de l’animal incriminé. Qui n’était pas là. Cependant, l’expression de la jeune femme comme d’Avente suggérait qu’ils ne mentaient pas. Ils semblaient trop désappointés pour ça.

Avente…

Elle soupira, s'apprêtait à répondre quand un autre des serviteurs du diplomate décida de s’en mêler. Se massant l’arrête du nez pour contenir sa colère elle avait réellement le plus grand mal à ne pas hurler. En lieu et place de quoi, elle se carra devant lui de toute sa hauteur et le toisa, en croisant les bras. Elle n’allait pas le faire jeter en prison ou dehors pour ça, surtout si un animal était responsable, mais elle voulait quand même affirmer les choses.

Faites attention. Ces incidents sont imprévisibles et peuvent être graves. Et si c’était un typhon que le livre avait produit ? Que Délimar avait été emporté ?

Hors de question de perdre toute la ville ainsi et leurs vies avec. Elle demanda aux brises-sorts de s’assurer du livre, le temps que quelqu’un trouve comment réguler toute cette magie devenue folle. Aucune poursuite ne seraient conduites, puisque c’était un simple acte de négligence. Un service à la ville viendrait sanctionner la chose, mais ce serait tout. Il y avait pas eu intention de nuire. Elle n’allait pas bannir quelqu’un qui n’avait fait qu’oublier sa tête. Pas pour cela et dans cette situation.

Bien, et maintenant assurez-vous que tout le reste est sécurisé et faites soigner votre serviteur… et pitié, Avente, pas d’autres accidents



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