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14 février 1763, Athgalan

Demens manipulait avec soin de très petites fioles qu’il avait créées de ses mains en usant des pouvoirs que lui octroyait la pierre philosophale. Toujours incertain quant à la manière dont il avait réussi à la créer, il avait rapidement compris qu’il devait avoir un contact direct avec celle-ci afin d’utiliser ses capacités transmutatrices. C’est pour cela qu’il la portait au cou, suspendue à une chaînette qui disparaissait sous sa tunique de sorte qu’elle reposait contre la peau de son torse.

Dans les fioles se trouvaient différents liquides, tous dans les tons d’orange et classés selon un dégradé de couleur allant du plus pâle au plus foncé. Il s’agissait là de l’antidote permettant de contrer la drogue qui pouvait saper l’esprit d’autrui de manière subtile demandée par Irina Faust, ou plutôt de tests relatifs à cet antidote. S’il avait bel et bien réussi à créer une poudre aux effets attendus, l’alchimiste devait encore mettre au point le liquide qui permettrait de les enrayer. Évidemment, il ne pouvait pas s’utiliser lui-même, car sa propre drogue n’avait aucun effet sur son organisme. Dans les faits, depuis qu’il avait obtenu la pierre, il avait constaté que sa résistance naturelle déjà remarquable était allée en augmentant davantage.

Au dehors, les planches du quai grincèrent, annonçant l’arrivée de quelqu’un. Le Cafard repoussa délicatement le support qui contenait les variations du potentiel antidote tandis que les pas s’arrêtaient dans la cadre de porte.

- Hé oh l’Alchimiste ! Je viens te faire une petite visite, pas de courtoisie car je n’ai pas le temps pour ces conneries. J’ai un employeur qui aurait besoin de tes services.

L’interpellé se tourna vers sa cliente qui s’assit sur une chaise et posa ses pieds sur sa table de travail. Son nom était Béatrice. Elle était venue le visiter pour la première fois au début du mois de décembre en lui apportant des morceaux d’Ékinoppyre ainsi qu’un spécimen de bulbe mort. Elle lui avait expliqué comment la plante réagissait au soleil et en quoi cela constituait un problème sur Calastin. Bien entendu, Demens ne se préoccupait pas le moins du monde du sort qui menaçait l’île, mais lorsque la pirate lui avait mentionné que la demande d’étudier cette créature végétale provenait de Nolan Kohan en personne, il avait deviné qu’il lui serait inutile de dire non.

Il avait donc pris un peu de temps pour analyser ce qu’on lui avait fourni, mais n’avait pas pu en conclure grand-chose. La plante était inoffensive une fois morte, ce qui laissait entendre que la substance qui permettait à la plante de se propager grâce à la lumière diurne disparaissait sitôt la mort arrivée. Elle résistait à un feu extrêmement chaud, de même qu’à toute les variantes de feu alchimique, et n’avait jusqu’ici présenté aucune propriété alchimique pouvant être exploitée. Ce que Béatrice lui apportait à présent présentait de nouvelles possibilités puisqu’il s’agissait de graines non écloses contenue dans un boitier opaque scellé.

- Comme ces saloperies continuent à s’étendre, mon employeur voudrait te rencontrer. J’en sais pas plus, mais semblerait que c’est à moi de te ramener.

L’homme aux cristaux observa la boîte un moment, puis les fioles sur sa table, et enfin d’autres contenants ailleurs dans son atelier. On aurait pu y voir un attachement à son lieu de travail, mais il était plutôt en train d’évaluer à quel point quitter Athgalan pour quelques temps risquait de nuire à ses autres travaux. Les drogues d’Irina allaient bon train et les recherches quant à la demande de Kalza’ah concernant les tatouages d’esclave avaient récemment donné une piste qui demandait encore à être explorée.

- Donnez-moi jusqu’à ce soir.

Béatrice acquiesça, donna au Cafard le nom de son navire, l’Albatros, et s’en retourna vers celui-ci en attendant qu’il vienne la rejoindre. L’alchimiste se dirigea vers la Cabine du Capitaine, mais comme aucun des membres de la confrérie ne s’y trouvait, il fit simplement savoir à l’une des catins qui se trouvait là qu’il s’absenterait de la ville pour un long moment sans spécifier où il allait, ni pour combien de temps exactement. Il retourna ensuite à son atelier afin d’y faire un ménage sommaire et en retirer toutes ses notes pour les glisser dans son sac, ne laissant sur les tablettes que des fioles d’ingrédient, ainsi aurait-il encore tous ses travaux s’il ne revenait plus. Enfin, en début de soirée, il s’en alla vers le port et monta à bord de l’Albatros. Le bâtiment quitta rapidement la place et pris la haute mer sous les étoiles.

1er mars 1763, Sélénia

Durant le voyage, l'homme de science avait profité de la noirceur de la nuit pour étudier sans danger les graines. À mi-trajet, on l’avait fait passer de l’Albatros à l’Horus, un navire dont l’équipage de corsaires qui pouvait flotter dans les eaux côtières sans problème, contrairement au navire pirate de la jeune femme dont la condition d’espion était inconnue de plusieurs. Durant la seconde partie du trajet vers le port d’Azzuréo, on avait demandé à l’alchimiste s’il lui était possible de cacher ses cristaux au cas où d’autres équipages l’apercevaient, aussi tailla-t-il les plus gros d’entre eux tout en conservant les morceaux dans sa sacoche. Une fois amarré, on fournit à Demens une grande cape pour qu’il puisse couvrir son infection déjà beaucoup moi repérable, puis il fut escorté par un groupe de gardes jusqu’au palais royal.

De là, un nouveau groupe de gardes vint à sa rencontre, ceux-là vêtus de manière plus ostentatoire et affichant les couleurs de l’Empire Sélénien d’une manière qui tenait probablement plus de l’esthétisme que de la praticité. On le guida quelques minutes à travers des couloirs qu’il avait jadis connus en tant que tortionnaire. À l’époque, les Humains n’étaient établis à Calastin que depuis peu et on ignorait pratiquement tout de lui en dehors de l’aide qu’il avait su apporter aux malades durant la traversée. Il s’était révélé un peu trop entreprenant dans sa nouvelle tâche et avait simplement déserté son poste tandis qu’éclatait le conflit avec le sud. Comment l’Empereur avait-il su où aller le chercher? Peu lui importait, ce qu’il savait, c’était qu’à présent, il allait à nouveau travailler pour Nolan Kohan afin de lutter contre les Ékinoppyres.

En entrant dans la salle où trônait le souverain, on fit retirer à Demens sa cape, puis on le mena au pied de l’estrade. Celui qui dirigeait était jeune, vêtu de riches parures qui auraient probablement su impressionner le Cafard s’il avait accordé de l’importance à ce genre de chose. Dans l’état actuel des choses, il ne s’agissait que de vêtements d’apparat sans la moindre valeur fonctionnelle, exception faite des perles et de l’or qui avaient de multiples propriétés alchimiques. Un long échange s’ensuivit, un échange qui contenait beaucoup de détails superflus et de formules alambiquées dont l’homme de science se serait passé, mais au bout duquel une entente fut tout de même conclue. Demens s’engageait à utiliser ses talents d’alchimiste pour étudier et éventuellement contrer le mal végétal qui s’attaquait à l’île en évitant tout comportement illégal et tout débordement. De son côté, le jeune Nolan s’engageait à créer une couverture qui permettrait au criminel de ne pas attirer de soupçons, le faisant ainsi passer pour un ermite nommé tout simplement Thôrmyr, un savant vivant seul dans l’extrême nord de l’île en raison de certaines difformités obtenues à la naissance. Dès le lendemain, Thôrmyr l’Ermite rejoignit un groupe de civils et partit en direction de Cordont comme s’il était un simple citoyen.

29 mars 1763, Cordont

Comme pour le voyage en mer, celui sur terre se déroula sans anicroches. De temps à autre, une troupe de gardes les arrêtait pour discuter avec ceux qui les escortaient, mais en dehors de ces interactions, ils ne croisérent que peu d’individus. Le premier véritable contrôle eu lieu à la frontière qui séparait le nord et le sud. Là, de nouveaux gardes prirent le groupe en charge afin de le guider à bon port. Tant par leur uniforme que par leurs méthodes, il était aisé de voir que leur entrainement et leur code de conduite différait des gardes impériaux.

En arrivant à Cordont, les civils eurent droit à un nouveau contrôle, cette fois-ci plus approfondi. Demens dû montrer le contenu de sa sacoche magique, mais ayant prévu le coup, les items qui s’y trouvaient n’avaient rien d’incriminant. On le questionna à propos de ses nombreuses notes et il utilisa les informations relatives à sa fausse identité de savant ermite pour répondre de manière tout à fait satisfaisante. On lui fit signer un registre afin qu’il confirme son identité, puis on le fit passer dans une petite zone d’attente clôturée où se tenaient quelques autres civils avec lesquels le Cafard avait voyagé. Lorsque tous eurent passé le contrôle et signé le registre, on les guida à travers la ville jusqu’à un quartier dont les constructions récentes étaient assurément temporaires. Ce serait leur lieu de vie durant tout leur séjour à Cordont, aussi devraient-ils vivre en communauté. Si quelques-uns maugréèrent à cette nouvelle, Demens demeura silencieux, n’y voyant aucun inconvénient. Enfin, on les laissa libre de se promener, mais ils devaient rester à l’intérieur du périmètre du quartier qui était sous haute surveillance afin d’éviter qu’un civil se retrouve dans un lieu où ne devrait pas être.

L’alchimiste explora donc ledit quartier. Sans surprise, aucune taverne ne s’y trouvait, mais il y avait tout de même une zone de divertissement où on pouvait jouer et échanger où il resta un instant à observer les autres en silence avant de s’éclipser. Il alla s’étendre dans un des lits de camp et attendit patiemment que le nuit tombe pour s’endormir.

30 mars 1763, Cordont

Le lendemain, on les réveilla tôt afin que tous mangent en même temps dans la zone commune. Encore une fois, la nourriture militaire fit s’élever quelques voix, mais pas celle de Demens. Durant le repas, on leur fit savoir que durant la journée ils rencontreraient tous à tour de rôle le général Sigvald Elusis de l’Alliance de Cité libre, l’un des responsables de l’opération anti-Ékinoppyres, puis on les laissa vaquer à leurs occupations. En milieu d’avant-midi, un soldat clama d’une voix forte, à l’entrée du périmètre :

- Monsieur Thôrmyr l’Ermite.

Demens vint aussitôt à sa rencontre.

- C’est moi.

- Bien. Suivez-moi monsieur, le général est rendu à vous.

Le soldat se mit en route, la démarche martiale, et le duo revint à l’endroit où la veille le groupe avait passé le contrôle, mais se dirigea vers un escalier qui longeait un mur extérieur.

- Soyez respectueux avec le général en tout temps. Répondez clairement aux questions, soyez franc et évitez les détails inutiles. La rencontre sera terminée lorsque le général en décidera ainsi. Vous pouvez monter. Cognez à la porte et attendez la permission d’entrer.

Et il désigna l’escalier d’un mouvement du bras avant de se mettre au garde-à-vous. Demens grimpa donc les marches, cogna à l’unique porte en bois qui se trouvait sur la galerie et la poussa lorsqu’une voix grave lui ordonna de pénétrer à l’intérieur.

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Les aides civiles de l’Empire venaient par vagues régulières à présent que la frontière leur était ouverte et apportaient avec eux leurs lots de contrôles, démarches administratives et réquisitions de soldats pour tenir tout ce monde en rangs disciplinés. Bien sûr, chaque nouvelle fournée était confinée pendant plusieurs jours dans un quartier temporaire, avec tout le confort et le luxe qu’une ville en reconstruction sous direction militaire avait à fournir, le tout sous haute sécurité et ça le temps que l’on confirme et vérifie leurs histoires, laisser-passés et autres marques de noblesses ou d’institutions officielles.

Le contrôle final ne lui revenait habituellement pas, lui le Général Elusis Svenn car il avait bien plus urgent à régler dans la gestion de Cordont, mais quand on réclamait sa participation sur le sujet il mettait alors un point d’honneur à trier ceux qu’il estimait capable d’aider à ceux qui ne feraient que ralentir le projet avec une sévérité légendaire. Mais aujourd’hui, parmi tout ceux venus à Cordont, un nom attira particulièrement son attention et il décida arbitrairement de s’occuper de cette fournée de civiles. Reléguant le responsable habituel au rang d’assistant, Sigvald prit possession de son bureau et passa toute la journée à étudier les rapports d’enquêtes préliminaires.

Le lendemain, les rencontres commencèrent et comme à son habitude ; le loup ne montra aucune pitié pour ceux qu’il confrontait. Il ne voulait que des personnes volontaires et déterminées à aider et aucune bouche inutile ne serait nourrie ou gardée. Lorsqu’enfin le nom de Thôrmyr lui fut annoncé, le Général sentit monter en lui un regain d’intérêt et peut-être d’espoir aussi. Plus tard dans cette même journée, il allait rencontrer pour la seconde fois l’elfe Lomion Estarus pour connaître sa décision finale concernant le Bureau d’Étude Botanique. Autant dire qu’aux vues de leur précédente rencontre, le Général n’avait pas trop d’espoir de le voir rejoindre leurs rangs… aussi la présence d’un érudit ayant quitté son ermitage pour venir jusqu’ici était encourageant.

« - Entrez. »

L’ordre claqua avec sévérité et il s’adossa dans son fauteuil alors que l’homme entrait. Les yeux pâles de Sigvald détaillèrent aussitôt l’inconnu et son attention ne s’arrêta que brièvement sur les quelques particularités physiques qu'il pouvait arborer sans que son expression impassible ne frémisse de la moindre façon. Il en avait vu des choses au cour de sa vie et une bizarrerie de plus ou de moins n’allait pas l’émouvoir. L’avantage de combattre des monstres depuis l’enfance et de côtoyer des champs de bataille depuis l’adolescence.

« - Asseyez-vous. »

D’un geste, il désigna l’une des deux chaises qui faisaient face au bureau et resta encore un moment silencieux alors qu’il pondérait le sens qu’il souhaitait donner à cette rencontre. Finalement, le glacernois se redressa et attrapa le feuillet qui contenait les informations sur cet homme.

« - Vous avez déclaré être un Savant, une information corroborée par les nombreuses notes à votre disposition, mais que pouvez-vous me dire de plus à votre sujet ? »

Il releva les yeux des lignes d’encre pour le regarder droit dans les yeux.

« - Êtes-vous un envoyé officiel de la couronne ? Qu’attendez-vous de Cordont et que pouvez-vous, concrètement, lui offrir qui me ferait accepter votre présence ? »

Croisant les mains par dessus le tas de feuilles, épaules massées en une posture légèrement penchée vers lui, Sigvald se plongea dans un silence attentif.

Dernière édition par Sigvald Elusis Svenn le Mar 30 Juil 2019 - 10:44, édité 1 fois

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En pénétrant dans la salle, Demens devina rapidement que comme tout le reste, ce bureau se voulait temporaire. Une large étagère occupait l’un des murs et sur ses tablettes se trouvaient des livres et des piles de feuilles qui étaient probablement classées d’une manière ou d’une autre. Un autre mur affichait une grande carte qui représentait la région et sur laquelle semblait être noté la progression des  Ékinoppyres. Au centre de la pièce trônait une grande table de bois qui était elle aussi couverte de paperasse variée et autour de laquelle se trouvaient quelques chaises. L’une d’elle était occupé par le général Sigvald Elusis.

Dès qu’il eut posé son regard sur l’homme, le Cafard su qu’il avait affaire à un Glacernois de souche. Tant par la pâleur de sa peau qu’il devinait malgré la légère pénombre de la pièce que par ses cheveux presque blancs ou ses yeux d’un bleu caractéristique, tout chez cet individu le prédisposait à pouvoir vivre dans un lieu où la verdure du gazon pouvait être vue comme un luxe. Et s’il était présentement assis, sa grande taille se devinait simplement par sa carrure imposante. Tandis que l’alchimiste observait le militaire, ce dernier lui rendit la pareil, puis l’incita à s’asseoir en lui désignant une chaise. Il s’exécuta et écouta le général. Comme il s’en était douté, l’autre voulait en savoir plus à son sujet, mais d’autres questions suivirent aussitôt et il le regarda avec insistance, les mains posées devant lui.

- Je suis effectivement envoyé par la couronne, mais ne suis pas un sujet de la cour. Je vis par moi-même sur le territoire Sélénien, dans l’extrême-nord de l’île, tout comme j’ai vécu seul par mes propres moyens en territoire Glorien sur Ambarhùna, après la mort de mon père.

Il construisait par-dessus les informations factices qui lui servaient de façade, mais cela ne l’empêchait pas de dire la vérité, car à l’aube de la vingtaine, après avoir tué la quarantaine d’habitants qui vivaient dans le village où il œuvrait comme apothicaire, il avait effectivement vécu isolé du monde pendant presque 7 ans. Bien entendu, personne n’était au courant de cette page de son passé, mais il envisageait puiser dans sa manière de vivre de cette époque pour mieux concrétiser son identité d’ermite.

- Je n’attends personnellement rien de Cordont. L’Empereur m’a demandé lui-même de venir ici afin d’user de mon savoir d’alchimiste et j’ai accepté.

Durant le voyage de Sélénia à Cordont, Demens s’était efforcé de développer un tant soit peu une certaine manière de parler, bien qu’elle restât très marquée par son laconisme habituel. Sans qu’il ne le réalise vraiment, son inaptitude à communiquer venait simplement renforcir cette idée qu’il vivait isolé du reste du monde.

- Mon intérêt en venant ici est d’abord et avant tout scientifique, mais si cela permet d’éradiquer ou de contrôler les Ékinoppyres, tant mieux. 

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Le calme de l’homme qui lui faisait face ajoutait de l’eau au moulin de ses paroles, donnant à ce singulier personnage une maturité et une profondeur qui plu immédiatement au Général. Lui-même homme de peu de mots, il trouvait dans cette conversation concise ce qu’il lui avait cruellement manqué ces dernières heures. Les autres séléniens rencontrés s’étaient révélés atrocement bavards, déployant des récits complets aux questions les plus simples comme si le foisonnement de mots, comme un magicien agitant ses mains, suffirait à dissimuler leur inaptitude. Toutefois un détail le fit légèrement tiquer ; comment pouvait-on être indépendant de la Couronne lorsque l’on vivait sur ses terres et subvenait à ses besoins en consommant ce qu’il lui appartenait ? Cet ermite vivait-il de braconnage ou bien de dons offerts par des cerfs désireux d’obtenir médicamentations et connaissances sans en référer à leur seigneur ?

Peut-être, plus simplement parlant, n’était-il pas de la Cour dans le sens premier de l’affirmation ; il n’était ni noble, ni bourgeois. Il n’était pas au Palais à complaire l’Empereur dans ce jeu de pouvoirs et de mensonges comme Ilhan avait pu le lui enseigner durant leurs leçons privées. Finalement, Sigvald en vint à décider qu’il réfléchissait beaucoup plus loin qu’il ne l’était nécessaire et imputa cette faute à l’althaïen. Il n’avait en face de lui qu’un homme de savoir, les papiers qu’il avait en mains lui semblaient être des originaux, pas des contre-façons et s’il venait effectivement à l’accepter dans le Bureau, il irait chercher confirmation directement à l’Empereur, ainsi la moindre fraude ne tarderait pas à se révéler d’elle-même. Il survola les quelques feuillets, écoutant avec attention les paroles de Thôrmyr bien que ses yeux pâles continuèrent de décortiquer les informations écrites.

La suite lui fit toutefois reporter son attention sur l’homme et il haussa un sourcil circonspect. Comment ça il n’attendait rien de Cordont ? Pas même de la reconnaissance pour ses travaux dans le domaine de la science ? Rien à terme concernant sa contribution auprès de la Couronne ou de l’Alliance ? Ni renommée, ni or sonnant et trébuchant ? Une lueur de doute passa dans les orbes pâles du glacernois alors qu’il n’arrivait pas à concevoir un tel altruisme de la part de quiconque n’étant pas de Délimar. Que cet homme soit là uniquement pour étancher sa curiosité et participer à la découverte d’une nouvelle espèce et traitement lui semblait trop maigre pour être vrai. Toutefois, sans davantage de preuves pour étayer ses soupçons, le Général se contenta de hocher brièvement du chef et lâcha les feuilles pour s’adosser pleinement à son fauteuil.

« - Ma préférence irait à l’éradication complète de cette menace, mais visiblement par soucis d’équilibre et de cycle naturel, le Bureau sera chargé de trouver en priorité un moyen de réguler la population d’Ékinoppyres… et si cela échoue, alors seulement à ce moment, le Bureau pourra envisager une méthode plus définitive. »

Il se frotta une joue assombrie d’une barbe de quelques jours soigneusement entretenue. On l’aurait écouté, il aurait balancé des tonneaux de pyrolites là dedans pour faire sauter la sources des plantes, puis aurait bouché le gouffre pour empêcher ces saloperies de se propager davantage en cas de survivantes. Mais visiblement, cette solution trop extrême n’avait convenu à personne… Il soupira intérieurement et poursuivit :

« - En rejoignant le Bureau, vous oublierez vos allégeances passées. Le bureau ne connaît ni frontières, ni préférences politiques. Grâce a un vœu de protection et d’avancement scientifique, comme le fut Cordont même avant l’incident du Golem, l’Alliance et l’Empire œuvrent main dans la main pour circonvenir cette nouvelle menace. »

Il récitait une leçon bien apprise, mais le poids de ses mots et la ferveur qu’il y insufflaient ne trompaient pas ; ce désir de neutralité du Bureau était un pivot important dans son bon fonctionnement et Sigvald ne souffrirait pas d’y voir naître quelques querelles patriotiques. Bien qu’il se doutait qu’avec Thôrmyr ce ne soit pas le cas, il avait le devoir d’en faire toute de même part. Comme ça, si problème alors il ne pourra pas dire qu’il l’avait prévenu. D’une voix aux inflexions lourdes de son accent nordique, le Général poursuivit :

« - Ainsi vous aurez un accès libre entre les deux territoires, les bibliothèques et archives. De même, avec une escorte adéquate, les membres du Bureau pourront descendre dans le Gouffre jusqu’au cordon de 300 mètres en profondeur. Vous obtiendrez des échantillons frais ainsi que les ressources nécessaires, financières ou matérielles, pour vos expériences. Bien sûr, des rapports réguliers ainsi que des démarches administratives seront à respecter pour un suivit irréprochable de chacune de ces tentatives. »

Sigvald se redressa légèrement.

« - Vous serez logés, nourris et blanchis sur Cordont tout le temps que prendra cette étude et que le Bureau existera. »

Une légère pause, un long regard à l’attention de l’ermite avant qu’il ne poursuive :

« - Avez-vous des questions ou des réclamations particulières ? Des conditions peut-être que vous voudriez rediscuter ou apporter de votre côté ? C’est le moment ou jamais, après cette entrevue et au terme de cette journée, je prendrais ma décision après délibération avec les autorités du Conseil et les contrats seront rédigés. »

Dans le doute, le glacernois prépara une feuille et une plume.

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Le général lisait les feuilles qui se trouvaient devant lui, jusqu’à ce que Demens mentionne ne rien attendre de Cordont. Il avait relevé un sourcil tout en le fixant. À quoi était associé ce mouvement? Le doute? La surprise? Autre chose? Mais il se contenta d’hocher la tête en se calant davantage contre le dossier de sa chaise. L’alchimiste se dit tout de même qu’il lui serait peut-être utile trouver de quoi justifier sa déclaration.

Il avait l’identité d’un homme isolé, vivant reclus dans le nord de l’île, n’échangeant avec pratiquement personne. En toute logique, que pourrait désirer un homme de ce genre? Il n’en avait pas la moindre idée, n’ayant lui-même aucune forme de désir particulier, sinon de retrouver un laboratoire afin de s’occuper. Et encore, cela ne tenait pas tant du désir que de l’utilité qu’un laboratoire avait pour lui. Il pourrait ainsi poursuivre ses études sur la puissance tout en se rendant utile à ceux qui lui accordaient l’utilisation des lieux afin de pouvoir y rester, comme c’était le cas avec les Capitaines d’Athgalan. Dans les faits, d’après les dires du Glacernois, il allait se retrouver dans une situation pratiquement identique : il aurait un laboratoire et un accès à des documents utiles à condition de travailler sur les Ékinoppyres. La seule différence majeure était l’autorité envers laquelle il aurait à rendre compte.

Finalement, le général Sigvald lui demanda s’il avait des réclamations particulières et pendant un court instant, ce fut au tour du Cafard d’observer en silence celui qui lui faisait face. Il réfléchissait réellement à la question, envisageant qu’est-ce qu’il pouvait demander sans pour autant sortir de son rôle. Puis, de son ton monotone, il reprit la parole.

- J’ai l’habitude de vivre seul. Je comprends que durant mon séjour ici, j’aurai à cohabiter avec d’autres individus qui me sont inconnus. Je peux m’y faire en ce qui concerne les lieux de vie. Je demande en revanche à avoir un espace de travail qui m’est propre.

Il marqua une pause.

- Je préfère travailler selon la méthodologie que j’ai développée et celle-ci pourrait être incompatible avec la méthodologie d’autrui. Je partagerai évidemment toute découverte éventuellement concernant les Ékinoppyres.

Une nouvelle pause.

- L’atelier que j’utiliserai pourra être près des autres.

À nouveau, son inaptitude à échanger normalement avec autrui se faisait sentir, mais au-moins jugeait-il avoir convenablement justifié sa demande qui, après tout, était vraie. Il avait toujours travaillé seul et les rares fois où on lui avait imposé de coopérer, il avait été incapable de le faire, se révélant bien plus efficace en solo.

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Impassible sous le regard du sélénien, Sigvald attendit qu’il prenne à son tour la parole. Le silence et l’avarice des mots ne lui étaient pas inconfortables et il se renfonça dans son siège pour étendre ses interminables jambes sous le bureau avec un léger frisson d’aise. Déplier sa carcasse lui ferait le plus grand bien une fois que cette horrible journée s’achèverait. Il la finissait avec l’elfe et le dauphin, espérant que le premier se soit décidé et que le second soit capable de tenir sur ses deux pieds, mais dans tous les cas il comptait partir en vadrouille dans les bois alentours pour se dégourdir et peut-être même passer la nuit près du lac. La voix terne et monocorde de Thôrmyr le tira de ses pensées et il haussa un sourcils tout en se redressant dans son assise. Chaque pause manqua de lui arracher un sourire en coin, mais il se mordit l’intérieur d’une joue et se contenta de le fixer avec stoïcisme. Ce fut à son tour de marquer un silence, autant pour s’assurer que l’autre en avait terminé, que pour réfléchir. Enfin, il hocha la tête et proposa un entre-deux qui lui semblait être le plus adapté :

« - Je suppose que l’on peut vous allouer une partie indépendante au sein du bâtiment des recherches et si un lit de camps ainsi qu’une malle suffisent pour vos effets personnels et votre confort, alors je ne vois pas d’inconvénients à ce que vous en fassiez aussi votre logement. »

Au contraire, cela lui libérerai une place dans les dortoirs réservés aux membres du Bureau. Elles devenaient chères en ces temps et lieux hors même si la reconstruction de Cordont avançait à une allure confortable, la priorité des couchages revenait aux locaux et à ceux qui suaient sang et eau dans les chantiers. Si tous les érudits et chercheurs pouvaient être de cette trempe, une part de ses soucis s’envolerait enfin. De plus, le Général se doutait que les membres du Bureau auraient la vadrouille aiguë pour leurs recherches, les allers et retours seraient incessants et avec un peu de chance les dortoirs deviendraient des lieux de passages et de résidences temporaires. Après un soupir inaudible, Sigvald fronça des sourcils et assena avec sévérité :

« - Votre partage devra cependant être plus fourni que cela. Sachez que je ne tolérerai aucun isolement absolu dans vos recherches ou votre personne. Il est primordial que la communication reste ouverte entre les membres de ce Bureau. N’oubliez pas que tous les rapports concluants, de près ou de loin, devront être accessibles librement à vos confrères et j’attends de vous un minimum de sociabilité autant pour la bonne entente générale, que pour garder une vision globale dans vos recherches. »

Il savait combien les chercheurs, ingénieurs et autres inventeurs pouvaient facilement tomber dans un trou de lièvre et ne plus s’en sortir. Il l’avait vu un nombre incalculable de fois à Délimar avec les almaréens. Lorsque l’on avait le nez collé à quelque chose, on en oubliait tout le reste et il devenait impossible d’obtenir une vision objective et fraîche du-dit projet. Généralement, ça finissait tête la première dans le mur, signant l’échec hors vu l’urgence de leur cas et la croissance exponentielle des plantes, ils n’avaient pas le luxe de laisser tous ces génies n’en faire qu’à leur tête justement. Sigvald continua d’une voix plus douce :

« - Pensez à écouter ce que disent ou pensent vos collègues de vos études. N’hésitez pas aussi à faire de même concernant les leurs. Vous seriez surpris de ce que vous y trouverez à collaborer dans un ensemble. Délimar est l’exemple parfait de ce que la différence peut offrir de mieux. »

Cette fois, il s’autorisa un sourire, fugace, puis tendit la feuille contenant le contrat et qui n’attendait plus que leur signature respective. L’homme ne semblait pas s’émouvoir des ajustements qu’il lui demandait quant à ses propres conditions et puisqu’ils arrivaient à un terrain d’entente et qu’ils n’avaient rien d’autre à se dire, le Général proposa, via ce geste, de conclure l’entretient par un recrutement en bonne et due forme. Il laissa l’ermite apposer sa signature, puis récupéra papier et plume pour griffer le bas de page par son nom et son sceau.

« - Bienvenue dans le Bureau d’Études Botanique, Monsieur Thôrmyr. Sachez que si vous devez effectuer le moindre déplacement hors de Cordont, vous n’aurez qu’à vous rendre dans les bureaux d’administration pour remplir le formulaire de demande et y recevoir tout le nécessaire pour que votre voyage s’effectue dans les meilleures conditions. »

Sigvald se leva et fit le tour du bureau afin de lui offrir une poignée de mains, dosant sa force pour ne pas lui broyer les phalanges.

« - Cordont et l’Alliance vous remercient. Nous apprécions votre venue et votre investissement à nos côtés. »

Cette fois, un sourire plus franc lui vint tandis qu’il l’escortait jusqu’à la porte. Ouvrant cette dernière, le Général héla un des soldats en attente, plus bas dans le couloir, et lui ordonna de conduire l’alchimiste au quartier des visiteurs pour qu’il y récupère ses affaires, puis de le guider jusqu’au bâtiment dédié au Bureau dans les alentours reconstruits.

« - Si vous avez la moindre urgence ou problème, n’hésitez pas à me contacter. Bonne journée à vous. »

Une tape sur l’épaule et il le laissa partir, retournant pour sa part finir cette paperasse administrative le temps qu’on lui amène un autre candidat.

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