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12 Août 1763


La chaleur pouvait être étouffante, là dehors, dans les rues entrelacées de Sélénia. Dans les tréfonds de la ville bondée où le peuple vivait entassé, où les bâtiments de pierres offraient une ombre chiche, mais surtout des pavés bouillants. En ce début d’après midi, le paysage semblait peindre un lieu fantôme sans âmes qui vives. En d’autres jours, cette proximité était l’essence de l’abondance, de la sécurité même car à l’ombre du Palais, perché sur son promontoire rocheux, le cœur de la magie humaine était là : à portée ! Mais sous ce soleil de plombs qui brillait si fort que le ciel en semblait gris et délavé par les rayons impitoyables, la fraîcheur de la campagne faisait se languir beaucoup de personnes. C’est à peine si une brise graciait la population de sa présence, charriant un air tiède et sec, parfois chargé des relents dans les ornières ou les égouts que les ruelles et lieux les moins entretenus de la Capitale exhalaient.

Il pourrait faire chaud s’ils étaient en dehors du Palais. Heureusement ce n’était pas le cas et le parc royal profitait d’ombres juvéniles et de brises tendres. Les fontaines chantaient de leurs rebonds sur les marbres roses qui les formaient. Elles brumisaient une végétation entretenue, engorgée de fleurs parfumées et de feuillages lustrés. Certains arbustes ployaient sous des fruits mûrs ou avaient leurs branches ployées par des oiseaux de toutes tailles et de toutes couleurs. Ici un paon blanc, là un cygne noir. Des perruches, des perroquets se disputaient la plus belle trille. Dans les racines dormaient quelques chiens du chenil royal, parfois même des fauves aux larges colliers tressés, somnolents d’un bon repas et d’une vie de pachas. Il y avait des enclos pour les créatures les plus récentes, probablement issues des quatre coins de l’Archipel ; cadeaux de la noblesse affamée de faveurs et de reconnaissances auprès de la famille Kohan.

Dans ce cadre idyllique, un chemin de pierres blanches menait jusqu’à un patio hexagonal aux cinq colonnes dont le marbre torsadé comme des troncs aveugles tenaient à leurs flancs plusieurs glycines blanches qui elles-même croulaient de leurs grappes odorantes. Ces troncs noueux, sinueux, se tendaient jusqu’au dôme en mailles de fer forgé. Le travaille du tressage paraissait si délicat que nul autre orfèvre qu’un spirite du scarabée ne pouvaient en être l’auteur. Sous ce treillage, une table ronde couverte d’une jolie nappe immaculée s’accompagnait de deux chaises dont l’une était occupée par la jeune Reine Kohan. Assise sur son bord, dos droit en une posture aussi élégante que régalienne, son attention toute entière était tournée sur une petite liasse de notes et de documents en sus d’un encrier et d’une plume. A portée, sur une annexe à roulettes composée de trois étages, plusieurs assiettes à la porcelaine bleue proposaient diverses petites viennoiseries, une théière ainsi qu’une carafe de sang frais.

Sa fraîcheur venait de son récent drainage et non pas d’une conservation par le froid à moins que l’on désirait bêtement lui en faire perdre toute valeur nutritionnelle. Il venait d’une jeune femme en excellente santé, au lignage surveillé et préalablement validé. Sûrement que vendu au Commerce Écarlate, chaque litre représenterait une petite fortune… mais heureusement pour l’invité de marque qui descendait ce petit chemin en pierres blanches, ce sang lui était gracieusement offert par son hôte pour l’occasion. Deux gardes escortaient le vampire en plus d’un valet qui menait la marche. On fit arrêter le Parangon à une dizaine de mètres du patio et le serviteur s’avança seul jusqu’à la Reine qui, concentrée sur sa lecture, ne releva même pas la tête à son approche. Sa longue chevelure blonde comme le miel était remontée en un entrelacs de tresses et de rubans qui formaient à l’arrière de son crâne un chignon élaboré. Quelques boucles effleuraient sa gorge et ses tempes sans dissimuler cette peau de pêche parfaite qu’une robe audacieuse et somptueuse révélait jusqu’aux épaules.

« - Votre Majesté, le Parangon Toryné Dalis est arrivé. »

Le valet s’était profondément incliné et Victoria leva enfin les yeux par dessus la silhouette prostrée pour s’ancrer immédiatement dans les yeux hypnotiques du vampire. Rêvait-elle où le noisette des iris s’irisait de mauve ? La jeune Reine laissa ensuite son attention glisser sur la chevelure flamboyante et eut l’ombre d’un sourire incrédule. Était-ce le résultat d’une teinture ? Non, jamais le vampire ne s’abaisserait à une telle extrémité, alors quoi ? Un contre-coup de la magie et de ses caprices depuis l’incident du Baôli ? Tant de questions et les secondes s’égrenaient durant lesquelles son silence pouvait devenir un refus d’honorer cette rencontre, un dénis dans ses faveurs à l’encontre du vampire. Se crispant légèrement en réalisant qu’elle risquait de commettre un impaire diplomatique si elle restait béate devant l’apparence de son « amie », Victoria congédia d’un geste le valet et les gardes s’inclinèrent brièvement devant Toryné tout en l’incitant à s’approcher.  

« - Parangon Dalis, vous êtes encore plus éblouissante que dans mes souvenirs. Le soleil lui-même fais dorénavant pâle figure en comparaison. »

Le timbre, chaud et affectueux, s’accordait parfaitement au sourire qu’elle lui dédia alors qu’il arrivait à sa hauteur. Ses grands yeux d’un bleu lagon pétillaient alors qu’elle tendait gracieusement une main en sa direction pour y recevoir un baiser courtois. Peut-être était-ce trop audacieux comme offrande, mais ils se connaissaient depuis un moment que cela soit sous le masque d’un bal hivernal que par de longues correspondances à travers les flots et les terres de l’Archipel. N’ayant pas à se lever dû à son rang, elle attendit et son sourire ne vacilla nullement alors qu’elle voyait le vampire se courber pour complaire sa demande silencieuse. Ses cils, toutefois, frémirent à l’effleurement des lèvres sur sa peau chaude et son cœur s’accéléra brièvement.

« - Installez-vous. Je suis aise de pouvoir enfin vous retrouver. Ces dernières semaines furent pour le moins chargées et j’ai plus d’une fois crains que notre après-midi ne soit repoussée. »

Lorsque le vampire fut assis face à elle, Victoria effectua un geste clé fugace qui fit s’élever le tas de parchemins et feuillets pour les déposer, avec plume et encrier, sous l’une des arches du patio. Il s’agissait d’affaires d’état qu’elle avait souhaité gérer elle-même afin de montrer à son Conseil et sa Cour qu’elle n’était pas simplement une enfant oisive et incapable. Les heures d’études et de travail ombraient le dessous de ses yeux et malgré un maquillage subtile, toutefois un regard avisé pouvait remarquer la légère tension qui habitait l’adolescente. Elle était jeune, elle était une femme : autant d’épreuves qu’elle comptait bien surpasser farouchement, consciente qu’elle était la dernière de sa lignée. Le peuple avait perdu foi en Nolan et ce n’était pas Luna, cette pièce rapportée, qui saurait relever ce défi. Mais pour les prochaines heures, elle pouvait se détendre ; juste un petit peu, mais suffisamment pour ne pas finir par hurler de frustration.

A présent que la table était à leur entière disposition, la jeune Reine commença à disposer les assiettes et le service à thé en usant de la même magie qu’un instant plus tôt. Les objets ondoyaient avec grâce dans les airs, portés par la seule volonté de la magicienne, guidés par sa dextre qui bougeait en rythme à la façon d’un chef d’orchestre. En dernier, la carafe de sang et le verre de cristal furent déposés devant le Parangon qui pu sentir immédiatement la richesse des notes ferreuses qu’offrait son breuvage. Satisfaite d’avoir pu accomplir son sort sans accrocs, Victoria se versa elle-même le thé et ajouta une petite cuillère de sucre avant de mélanger sans jamais toucher la porcelaine. Les gardes se tenaient hors de portée de conversation et il n’y avait pas l’ombre d’une servante ou d’un valet.

« - Cette journée est exquise pour nos retrouvailles, ne trouvez-vous pas ? »

Du lait fut versé dans la tasse avant que l’adolescente ne repose sa cuillère pour observer à nouveau son amie avec un fin sourire aux lèvres. Sur son front trônait la couronne d’or et d’émeraude, grappes d’un vert profond accordées avec une myriades de minuscules diamants. A sa gorge gracile des fils d’or s’entrelaçaient avec de minuscules perles jusqu’au col de la robe, évasé, qui dénudait sa clavicule ainsi que ses épaules délicates. Vêtue d’un rouge pâle, presque parme, l’habit se colorait d’une nuance de vert et d’or en des tons printaniers. La coupe audacieuse n’en était pour autant pas vulgaire alors qu’un corsage serrait une taille déjà fine et que la chute s’évasait en plusieurs épaisseurs aériennes. Bras nus, la jeune tête couronnée portait un châle léger au creux de ses coudes au cas où la fatigue et le temps lui donneraient finalement froid.

« - Je suppose que nous avons beaucoup à nous raconter, mais avant cela ; comment se passe votre séjour en Sélénia ? »

Cela faisait quelques mois maintenant et les vampires venus avec le Triumvirat n’étaient pas encore totalement intégrés ou même installés comme il se devait sur les terres de l’Empire. Une chose supplémentaire qui déplaisait au peuple et à une grande partie de la noblesse… une chose de plus dont elle devait faire excessivement attention si elle ne voulait pas que son règne soit le plus court de l’histoire des Kohan. Cela ne faisait même pas deux semaines complètes qu’elle avait été couronnée ! Attendant la réponse, Victoria jeta son dévolu sur une petite brioche qu’elle coupa en deux, tartina d’un beurre doux avant d’ajouter un peu de marmelade.

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Lorsque Toryné avait visité pour la première fois Sélénia, capitale de l’empire du même nom, il en était tombé amoureux. Tout d’abord en visite diplomatique avec l’ancien souverain, puis ensuite dans un séjour avec sa famille, ses deux filles Sintharia et Pharianth. Puis enfin lors du bal masqué organisé par la famille royale, bal durant lequel l’androgyne avait rencontré la délicieuse princesse victoria Kohan, désormais assise sur le trône de Sélénia. Finalement, tant de choses avaient changé en si peu de temps… Sa première fille l’avait trahi, sa seconde séjournait encore au domaine baptistral, le royaume vampirique n’existait plus et il était désormais Parangon du nouveau Clan Dalis. Même son apparence avait connu une évolution majeure, de voile enneigé à torrent carmin, d’une peau blanche uniforme à poudrée d’ivoire, ses ambres sombres désormais parsemés de reflet mauve… Sans oublier son mode alimentaire si… particulier désormais.

Il se souvenait encore des paroles qu’il avait échangées avec son fils Ulrich sur le changement, l’évolution… Il en était une sorte de métaphore vivante désormais, galvanisant l’ego de l’androgyne. Cependant, l’avenir restait encore bien incertain, parangon du clan Dalis, membre du conseil des trois du triumvirat, une place de choix avec un pouvoir conséquent, il fallait le conserver et beaucoup d’obstacles allaient se présenter à lui. La première étape était le peuple Sélénien, Toryné luttait pour une nouvelle image du peuple de la nuit envers les autres peuples depuis que Keziah l’avait choisi comme conseiller. Si des progrès avaient été faits, cela restait mineur, il allait falloir séduire le peuple, noble, comme roturiers. C’était l’une des principales missions que le clan Dalis allait se donner, Toryné fourmillait d’idée pour que les monstres sanguinaires deviennent le plus fiable et sublime alliées des Hommes. Victoria était l’une des clés dans cet objectif, Toryné avait gardé contact avec la souveraine et leur relation était des plus cordiales. Désormais, bonne entente et intérêt allait devoir se concorder, le vampire d’ivoire allait devoir « séduire » sa reine. Bien entendu, il rêvait de la séduire sur un plan bien plus personnel, mais leur position actuel rendait ce désir bien plus hors d’atteinte qu’il ne l’était auparavant, mais le capricieux aimait l’adversité.

Aujourd’hui, tous deux avaient pu libérer un peu de leur temps pour se revoir, leur poste récent et les évènements récents les noyaient sous le travail et Toryné espérait que toute cette pression n’ait pas affecté la somptueuse beauté de la Jouvencelle. Victoria ne partait pas avec beaucoup d’avantage, une femme dans une société qui avait été gouvernée par des hommes, très jeunes qui plus est… Elle allait également devoir gérer la cohabitation avec les enfants de la nuit, initiée par son frère. Et cela n’était pas tout, ses contacts dans le royaume lui rapportaient des faits de plus en plus inquiétants, le peuple gronde de mécontentement et cela ne semblait pas seulement dû à l’arrivée de ses congénères. Le niveau de vie du bas peuple baissait et en corrélation le niveau de criminalité augmentait. Cela pouvait éventuellement s’expliquer du fait de la période, la guerre venait de se terminer, entre les victimes et toutes les ressources employées dans celle-ci, il était normal qu’une période de régression sur plusieurs plans survienne. Cependant, le propre de la sagesse est de vérifier toute chose, même la plus évidente des affirmations. Il fallait croire que la nouvelle génération Kohan avait le don d’hériter du trône dans les moments les plus complexes, mais si le joyau arrivait à passer outre ses épreuves, sa position gagnerait en solidité et Toryné comptait bien y contribuer.

Il était la mère de la nuit dont les bras chaleureux et protecteur enveloppaient d’un plumage sacré tout ceux arborait le cygne noir Dalis, mais à l’image de l’alliance du Triumvirat, le cygne acceptait bien d’autre enfant en son sein, car chaque enfant agrandissait son plumage.

Toryné avait choisi la robe qu’il estimait être la plus belle de sa garde-robe, sa parure du cygne, véritable éloge aberrant de son être, de sa beauté, de son narcissisme démesuré. Il avait de plus en plus de mal à ce passer de cet accoutrement, revêtir sa propre peau avait une dimension malsaine qui caressait lubriquement son esprit. Par chance, peu de personne pouvait reconnaître du cuir de vampire et peu avait la morbide folie de même y penser. Avec cela, le vampire avait opté une coiffure simple, détaché, une partie tombante sur ses épaules et le reste dans son dos. Deux émeraudes pendaient de ses oreilles au bout de longue tige d’or et ses lèvres arboraient un prune tirant vers le violet, ses yeux de leur côté étaient couronnés d’un liseret dorée aux coins internes bleu marines. Cependant, ses pierres n’étaient pas directement au contact de la peau blanche aux poudrées Ivoirine du vampire, car ce dernier portait de long gant blanc en soie, remontant jusqu’en bas de ses coudes, un œil aguerri y percevrait les petits motifs de plume à cet endroit. Cependant, ses pierres n’étaient pas directement au contact de la peau blanche aux poudrées Ivoirine du vampire, car ce dernier portait de long gant blanc en soie, remontant jusqu’en bas de ses coudes, un œil aguerri y percevrait les petits motifs de plume à cet endroit. Ainsi, malgré sa nouvelle chevelure, le cygne blanc restait fidèle à sa réputation, même ses talons, caché par sa robe, suivait cette couleur.

Escorté par des gardes, seules le bruit de ses talons qui claquaient contre le sol brisaient le silence de sa marche. Il éprouvait un certain manque quant à l’absence de sa lame ténèbres larmoyante, l’umbralith en étant la cause. Hélas approcher l’impératrice armée n’était pas une bonne idée et n’était pas possible tout court, la compagnie de sa majesté compenserait peut-être cette légère sensation de malaise.

Enfin arrivé auprès de sa majesté, le valet qui l’accompagnait l’annonça, « Le parangon Toryné Dalis ». Cela le fit vibrer, il aimait ce nouveau rang, il aimait être enfin reconnu pour sa grandeur, il n’était plus le conseiller d’un souverain, il était le souverain. Certes un souverain sans terre, sans couronne, mais chaque chose en son temps… Pour le moment, le vampire attendait un geste de la souveraine qui restait… silencieuse. Doutait-elle de son identité ? Après tout, il n’avait rien à voir avec le vampire qu’elle avait rencontré il y a de ça quelques mois, mais il était impossible qu’un imposteur ait pu arriver jusqu’ici. Ou alors elle le contemplait, cette perspective lui plaisait, même s’il doutait que la jeune fille puisse s’oublier devant son valet et lui-même. L’androgyne pencha la tête, sourire aux lèvres et yeux plissés, sentant les secondes s’écouler et le cœur du valet s’accélérer à mesure. Finalement, elle congédia le valet d’un geste et l’invita à se rapprocher d’un autre, les gardes s’éloignèrent, mais restèrent présent afin d’assurer la protection de Victoria, même si à cette distance, Toryné aurait le temps de priver l’empire d’un nouveau souverain avant qu’il ne puisse réagir, mais il n’était pas un ennemi de Sélénia.

-Je crains de ne pas faire dans l’originalité à défaut de l’honnêteté Votre Altesse,  mais mes yeux semblent me montrer que vous l’êtes encore plus aujourd’hui. Il se retient de dire que la couronne semblait lui sied à merveille, il ne savait pas vraiment si le commentaire serait bien reçu et ce n’était pas le moment de déplaire à sa jeune majesté. D’autant plus qu’elle se montrait très chaleureuse à sa présente, elle en vint même à lui tendre sa main, y attendant un baiser. C’était osé et c’était un plaisir dont Toryné n’allait certainement pas se priver. Il y déposa un baiser léger, tout en douceur, un moment bref, mais dont Toryné savourait à sa juste valeur. En revanche, il ne lui était pas perçu inaperçu que le féminin avait été utilisé pour le désigner par Victoria, mais par le valet.

Le vampire d’ivoire prit place lorsque l’impératrice l’y invita. Il écouta silencieusement la princesse, tout en observant cette dernière usée de la magie pour écarter un tas de parchemin, une belle performance étant donné les importantes perturbations que subissait la magie en ce moment.

-Je comprends tout à fait Votre Altesse et je vous remercie d’avoir su vous libérez pour passer cet instant en ma compagnie. Lui-même était assez chargé, entre documents administratifs, relation inter et intra clan, sans oublier une multitude d’autres affaires dont le vampire devait se charger… Victoria devait avoir tout autant, si ce n’est plus, d’affaire à gérer. L’impératrice continua de jouer de sa magie afin de disposer la table d’assiettes et d’un service à thé, continuant d’impressionner le vampire qui, s’il ne disait pas à la voix haute, le laissait amplement transparaître dans son regard.

-C’est effectivement une très belle journée pour nos retrouvailles, je n’aurais pu espérer mieux, la plus grande averse de ce monde ne l’aurait pas arrêté. Mon séjour se passe à merveille pour le moment et j’espère que cela va continuer ainsi. J’aime votre ville, sa beauté me séduit et mes rares visites ne m’en laissent que de bon souvenir… Mes sujets semblent également être sous le charme, ils se demandent comment ils ont pu vivre à Aerthia pendant aussi longtemps… Toryné avait bien une réponse pour ça, mais il n’aimait pas être vulgaire. Il ne dit rien également sur les regards que les Séléniens leur lançaient, d’autant plus que des trois clans, le clan Dalis était sûrement celui qui devait le moins être dévisagé. Pour le moment, il fallait être simple dans le discours, tâté le terrain et la température. Cette question sur son séjour était évidemment un moyen pour l’impératrice d’obtenir des échos des débits de cohabitation humano-vampire du point de ces derniers. Patte blanche, il fallait toujours montrer patte blanche, le Clan Dalis était ravie, le Clan Dalis, bientôt, ferait parti du décor de Sélénia. Il s’en est passé des choses en quelques mois, j’ai tant à raconter que je ne saurais pas par où commencer… Mon corps et mon esprit ont connu beaucoup de bouleversement, comme vous pouvez le voir et je ne peux même pas en expliquer la moitié, c’est pour dire ! La magie change et semble m’avoir changé aussi… Et je ne suis pas le seul, nombre des miens aussi connaissent d’étranges modifications, qu’en est-il de vous et de votre peuple ? Avez-vous aussi observé certaines choses depuis l’explosion de magie qu’à occasionner le Baôli ?

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Cette admiration dans son regard à la voir user de magie en ces temps difficiles pour ceux maniant les arcanes de la trame était tout à fait méritée. La jeune Impératrice ne l’avouera jamais d’elle-même, mais depuis l’incident du Baôli et la perturbation qui s’en était suivi autant dans la magie que dans les Esprits-Liés, elle avait refusé d’attendre bien sagement qu’on lui apporte les nouvelles clés dans l’utilisation de ses pouvoirs. Jours et nuits, dès qu’elle en avait le temps, elle s’était entraînée encore et encore. Elle ne comptait plus le nombre d’objets qu’elle avait brisé, le nombre d’essais voués à l’échec. L’impuissance, la frustration ; autant de sentiments qui lui avaient arraché des sanglots amers et furieux. Il lui avait fallu des mois pour commencer à comprendre et malgré tout elle n’avait pour l’instant qu’un seul « sort » à proprement parler, celui qu’elle avait toujours utilisé dans son quotidien, celui dont elle se servait jadis sans même y réfléchir ; la télékinésie. Malgré ses efforts et sa persistance, sa manipulation restait balbutiante et elle n’atteignait pas encore l’aisance dont elle avait l’habitude quelques temps plus tôt.

Son couteau s’immobilisa alors qu’elle fronçait délicatement des sourcils. Perdue dans ses pensées, elle avait failli d’une part manquer la réponse de son invité et de l’autre pousser la marmelade hors de la brioche. Un soupir silencieux échappa à ses lèvres tandis qu’elle posait le couteau sur un bord de serviette et qu’elle laissait la viennoiserie dans sa petite assiette. Entendre que les sujets du Parangon se plaisaient à Sélénia lui arracha un sourire sincère et elle leva les yeux sur lui, plongeant dans les reflets d’améthystes avec délice. La tenue du vampire était aussi sublime qu’extravagante, faite d’une matière qui lui était inconnue au premier regard mais dont la coupe et les atours ne pouvaient que mettre en valeur l’exubérance de sa chevelure et de son maquillage. Même si Victoria avait découvert depuis longtemps le véritable sexe de Toryné et si elle s’était tout d’abord sentie trahie, voire bafouée par un tel mensonge, le temps ainsi qu’une correspondance assidue avec le vampire avaient réussi à lui apporter un sentiment plus favorable.

« - La distribution des terres lors de notre arrivée restera toujours un véritable mystère pour moi. Je ne peux que constater avec détresse qu’une fois encore, le peuple vampirique ne reçu qu’un lot de consolation. »

Pouvait-on pour autant blâmer les autres peuples de s’être octroyé les terres les plus fertiles et abondantes en priorité ? Pas réellement, après tout eux avaient besoin de légumes et gibiers pour survivre. De son avis, il aurait fallu laisser Nyn-Tiamat aux peuples qui forment de nos jours Délimar, offrir les zones vallonnées et boisées du sud de Calastin aux Elfes tout en laissant le nord comme il l’est aujourd’hui à l’Empire. Enfin, offrir aux vampire les jungles et marais de Néthéril qui contenaient richesses et ressources ou si les grottes et cavernes de leur ancien territoire se rappelaient à eux avec nostalgie ; Keet-Tiamat aurait été toute indiquée, non ? Gardant pour elle une vision aussi délicate que discutée, Victoria bu une gorgée de son thé. Il ne servait à rien de s’éterniser là-dessus ; le mal était fais et rien n’y changerait plus. Il fallait s’adapter et poursuivre de l’avant. Ils n’avaient définitivement pas le luxe de pleurer et râler sur les erreurs du passé.

« - Sélénia vous ouvre ses portes. Bientôt vos gens recevront la citoyenneté ainsi que les fonds ou les terres nécessaires à leur pleine intégration. Soyez assurée que plusieurs projets sont en cours d’étude et d’ajustement afin que votre nouvelle vie s’ajuste avec le moins d’accrocs possibles. »

Elle lui offrit un sourire éblouissant qui réchauffa ses yeux dont le bleu céruléen pétillait d’une myriade d’éclats saphirs et changeants. Le glamour du Paon la baignait toute entière d’une beauté éthérée, presque inatteignable. Lorsque Victoria baissa les yeux et attrapa sa brioche pour en décrocher une portion équivalent à une petite bouchée, le magnétisme de son charme sembla s’alléger.

« - Des changements suite à l’explosion de magie causée par le Baôli… ? Et bien oui, à n’en point douter. Tous les spirites connaissent des bouleversements et nous essayons tant bien que mal de les répertorier aussi vite que possible afin de pouvoir ajuster les Lois, les établissements ainsi que les services publics. Des pouvoirs que nous avons, pour certains, depuis l’enfance sont complètement chamboulés. Quelques Esprits auraient même disparus tandis que d’autre apparaîtraient… et je ne parle même pas de la magie de la Trame. Encore moins des glyphes. Sûrement, nous traversons un âge sombre. »

Un trait soucieux barra son front alors qu’une ombre passait dans son regard de biche. Victoria prit une nouvelle bouchée et resta un moment songeuse. Avec tout ça, le taux de criminalité était en hausse, le peuple grondait et s’agitait de plus en plus. Les faubourgs et villages de l’Empire étaient les premiers touchés, les pirates se clamaient être devenus un Royaume et l’ancien bourgmestre de Caladon avait disparu pour laisser à sa place une femme « élue » du peuple… les changements se bousculaient, s’entrechoquaient et le petit peuple s’emmêlait dans tout cela, perdait ses repères, sa sécurité… son identité. L’appétit coupé, Victoria ne termina pas sa brioche et préféra rincer son palais de quelques gorgées de thé, l’air toujours soucieuse. Le discret maquillage qu’elle portait pouvait certes cacher les cernes à ses jolis yeux, mais pas la tension dans ses épaules.

« - Avec tout cela, nous espérions obtenir l’aide de l’Ordre. Malheureusement, ils se trouve qu’ils doivent eux-même gérer les changements dans leur propre art et ne peuvent pas nous venir en aide. Bien que mon frère, puis moi-même ayons marqué la priorité sur les recherches de la magie, des Esprits et de la Trame, nous avons déjà les mains pleines avec les contre-coups de la guerre contre les Chimères. »

Victoria reposa la tasse et serra la mâchoire. Parler ainsi de tout ce qui n’allait pas dans son Empire lui donnait la désagréable impression de se noyer. C’était à peine si elle arrivait à garder la tête hors de l’eau. Un problème après l’autre, comme une pile instable qui menaçait de s’écrouler à tout instant. Elle soupira et croisa élégamment les mains dans son giron alors qu’elle gardait le dos droit en une posture aussi régalienne que gracieuse.

« - Heureusement, une ville de l'Alliance appelée Ipsë Rosea, qui se trouve à la frontière sud-ouest de l’Empire, est dirigée par l’Archonte Balthazar Emerloch. Elle s’est vue transformée en refuge pour les Elfes ainsi que le siège d’une nouvelle organisation neutre, orientée sur le savoir et l’érudition ; connue comme étant la Loge. A sa tête se trouve… ma belle-sœur, Orfraie Ataliel. »

La légère hésitation fut à peine perceptible et l’Impératrice poursuivie :

« - Elle est constituée de mages renommés en plus de nombreux anciens Baptistrels qui, défiant l’Ordre, acceptèrent d’œuvrer pour restaurer la Magie et ses nouvelles règles afin que tous puissent en bénéficier. Enfin, c’est ce qui est dis sur le papier... »

Elle n’en souffla pas plus sur ses soupçons et ses doutes et chassa une miette invisible sur le bord de la nappe immaculée.

« - Je pense que les prochains mois seront encore agités, mais je reste positive quant à l’avenir. Mon frère est partie dans une quête louable afin de mettre fin au Lien ou du moins le dissocier des Chimères. Votre peuple va aider l’Empire à grandir et, je l’espère, se renforcer. Je compte consolider et renouer avec l’Alliance en allant me présenter à eux le mois prochain. Que ce soit l’Ordre ou la Loge, nous finirons par avoir à nouveau la main mise sur la Trame. Il faut juste... »

Victoria releva un regard poignant de détresse silencieuse sur Toryné, laissant voir, l’espace d’une seconde, combien elle était jeune et combien ses épaules délicates souffraient de porter autant de responsabilité. Sa voix ne trembla pas et son visage préserva ce masque à la noblesse et à la beauté intemporelle, inaltérable… mais ses yeux criaient combien elle était secrètement terrifiée par tout ce qu’elle confrontait. Puis, lorsqu’elle battit de ses longs cils, le vernis azure retrouva son lustre impénétrable de douceur et d'assurance. La fenêtre s’était refermée aussi vite qu’elle s’était ouverte.

« - Il faut juste garder confiance. »

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Toryné afficha un léger sourire lorsque la princesse s’interrogea sur l’injustice qu’avaient subie les vampires lors de la réparation des territoires de l’archipel. Nul doute qu’il s’agissait là de courtoisie ne politique, car il n’y avait là aucun mystère. Nyn-Tiamat était parfaite, un cadeau empoisonné pour éloigner un peuple qui n’avait été que beaucoup trop longtemps une menace pour les autres. Cependant, Toryné n’allait pas dédouaner le peuple de la nuit de leur déconvenue actuelle.

-Nous n’avons certes pas été les plus gâtés… Mais nous ne pouvons qu’en vouloir à notre médiocrité, à celle de mon ancien ami Keziah, à la mienne de n’avoir su le conseiller comme en était mon rôle et à celle de mon peuple qui s’est laissé guidé comme un troupeau de bétail à l’abattoir.

Les vampires étaient un peuple qui avait toujours eu pour défaut une certaine instabilité politique, cependant ce défaut permettait, en temps normal, d’écarter les dirigeants faibles et médiocre, car ces derniers étaient amenés à se faire éliminer rapidement. Ainsi, il était presque du devoir du peuple de la nuit de s’affubler d’un dirigeant puissant, une sorte de démocratie sanguinaire en soit.

-Sachez que le cadeau que vous nous faites ne sera nullement gâché comme l’a été Aerthia, les erreurs du passé seront le phare de notre futur. Soyez certaine Votre Altesse que nous glorifierons vos présents et nous ne ferons pas honte à Sélénia. J’en fais le serment au nom du clan Dalis et du triumverat…

Le Céleste s’y appliquerait, le clan Dalis avait avant tout des êtres d’esprits, des intellectuels et le parangon ferait en sorte que leur capacité asymétrique forme une cohésion parfaite. Il y avait beaucoup à faire, encore une fois. Toutes les nations vivaient encore une fois l’après-guerre. Ironiquement, les chimères n’avaient pas cette fois-ci tout détruit sur leur passage, mais indirectement elles avaient encore bouleversé leur monde. La magie principalement, d’où sa question qui pouvait sembler évidente, mais d’autre élément avait été touché par l’explosion du bâoli. Non seulement, les esprits-liés avaient été aussi atteints par le phénomène, alors qu’il avait passé sa première nuit à Sélénia, un majestueux Cygne s’était présenté à lui, esprit-lié dont il n’avait jamais entendu parler. Et dire que durant la bataille le monarque était venu à le choisir également, c’était d’énorme changement pour le vampire et il sentait bien l’influence que cela avait sur son esprit. En revanche, il y avait bien plus impactant que cela… L’explosion avait modifié son être bien plus en profondeur… Victoria ne semblait pas parler de bouleversement tel chez les humains, ce qui voulait dire que le peuple mortel n’avait pas autant été touché ou bien que rien n’avait encore été remarqué, ou bien qu’elle ne souhaitait pas l’évoquer pour le moment.

Victoria désignait cela comme étant un âge sombre, Toryné voyait cela d’un tout autre œil. Tous ces bouleversements étaient pour lui véritablement amusement, de nouvelle découverte, de nouveau jeu de pouvoir… Comme le mentionnait si bien la jeune impératrice, une nouvelle entité était apparue sur Calastin, la loge, qui s’était donné pour mission d’aider les peuples à comprendre les modifications que subissait la magie. Il fallait garder un œil sur eux et l’androgyne voyait déjà en cette organisation un potentiel ennemi et c’était avec des intentions bien noires qu’il allait s’intéresser à cette dernière. La magie était un pouvoir considérable, un groupe de mage puissant qui s’attellerait à l’étudier et à la comprendre et qui avait cœur à agir et aider le plus grand nombre… Un jour, leur puissance pourrait peser dans l’équilibre des puissances et le parangon ne se laisserait pas prendre par surprise.

Kalyna par ailleurs en était l’une des fondatrices. Voilà donc la voie que l’ancienne prêtresse du Tyran avait choisie ? Il comprenait maintenant son refus de s’impliquer réellement dans l’ombre-flamme, espérons qu’elle n’est pas menti en lui disant qu’il pourrait compter sur son soutien. En seconde fondratrice, la loge avait la dragonière Orfraie Ataliel, ou plutôt Kohan Ataliel, belle-sœur de l’impératrice comme cette dernière le pointait. Le vampire se demandait comme la jeune Victoria vivait le fait d’avoir deux saphiques affiliés à son nom, d’autant plus que toutes deux étaient des dragonnières, là où son cher frère avait décidé de trouver un moyen de détruire le lien. Ce sujet, était-il lieu de discorde entre eux ? Cela, jouerait-il sur les relations entre la loge et l’empire ? La loge pouvait bien se prétendre neutre, les émotions régissaient se monde, qu’on le veuille ou non.

En revanche, il s’occuperait du cas de la loge plus tard, pour le moment Sélénia était sa priorité, l’installation du Clan Dalis et du Triumverat allait se déterminer dans les prochains mois. Pour cela, ils devaient cohabiter, assimiler, devenir non seulement naturel pour le peuple sélénien, mais également indispensable.

-Votre Altesse, ces deux mots étaient dits d’une voix basse investie de bienveillance et de douceur, la même voix qu’il prenait lorsqu’il parlait avec ses enfants. Ce fut bref, mais certain, le vampire la regardait bien trop pour ne pas l’avoir vu. La peur, la détresse, le regard étaient l’élément le plus difficilement contrôlable, même lui qui avait appris à maîtriser pendant des années les expressions de son visage se voyait par moment trahi par des moments brefs de faiblesse de ses yeux. Le clan Dalis ne va pas rester inactif bien longtemps. Une fois que nous aurons pris nos repères, nous vous assisterons avec ferveur pour construire une nation forte et radieuse. Audacieusement, l’une des mains du vampire vint se poser sur celle de l’impératrice. Mais le parangon de ce clan compte bien commencer dès maintenant. Un sourire qui mêlait malice et la même bienveillance de sa voix sur son visage. Avec votre accord bien sûr, je pense pouvoir vous soulager en partie d’une menace qui pèse sur les vôtres. Au même moment, caché par ses gants, des marques blanches apparurent sur les mains du vampire, pour un bref moment, le Tyr dévora la peur qui parsemait l’esprit de la Jouvencelle dirigeante. Si seulement il pouvait la purger de cela, hélas cet étrange phénomène ne semblait que le sustenter. À contre cœur, il retira cependant sa main, il était dangereux de se laisser aller à la gourmandise, surtout en présence de sa majesté.

-M’autorisez-vous à poursuivre votre majesté ? Il espérait avoir suffisamment intéressé l’impératrice pour pouvoir lui présenter ses plans. Il lui serait bien difficile de réaliser son entreprise dans le dos de la bienfaitrice du peuple de la nuit, mais pas impossible. Cependant, il avait une certaine affection pour celle qui attisait un désir capricieux… Le joyau de Sélénia pourrait devenir une sublime améthyste, sombre mais rayonnant à la fois, s’il pouvait jouer les orfèvres bien sûr.

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Aerthia. Un véritable gouffre financier à ce que l’on disait. Chaque pierre était une dette qui, mise bout à bout, était plus grande que le revenu annuel de Caladon… Une dette que le peuple vampirique, lors de sa division en plusieurs Clans, avait si généreusement refourgué à son ancienne princesse. Comment en étaient-ils arrivés là ? S’il était admis de tous que cette race n’était bonne qu’à combattre et qu’ils n’avaient développé au fil des siècles aucun trait artistique de toute sorte, puis plus récemment aucune compétence économique malgré les ressources offertes dans l’île où même des matériaux brut auraient pu s’échanger avec les autres peuples, pourquoi et comment avaient-ils pu se complaire dans un état de dépendance aussi profond ? Leur passé était aussi sombre que houleux, marqué par la trahison et la violence, ce qui ne donnait pas envie de venir séjourner sur une île déjà hostile, prompte à une guerre civile avec les Graärh au nord, réduisant à néant -sans jeu de mots- l’idée d’une quelconque entrée d’argent grâce à des échanges culturels. De plus, comme si cela ne suffisait pas Aerthia était recluse dans un bras montagneux, fermée du reste de l’île par une forêt dangereuse, coupée de l’Archipel toute entière et tout cela, sans parler de sa laideur architecturale. Il ne restait alors que Nevrast, mais ce village portuaire était probablement le plus pitoyable du lot et n’avait comme voisinage proche qu’Endëaerumë ou le Domaine. Autant dire que son commerce était au point mort pour des ravitaillements hebdomadaires et ne restait, comme lien avec le reste du monde, que le Commerce Écarlate mais même cela Victoria comptait le leur refuser bientôt.

Un léger trait soucieux marqua le front couronné alors qu’elle ravalait un soupir et se contentait d’arborer un sourire permissif face aux promesses que lui faisait le monarque flamboyant. Elle ne doutait pas réellement de sa bonne foi même si elle se gardait une prudente réserve, car il s’agissait après tout d’un représentant du peuple de la nuit. Aussi fascinant étaient-ils à ses yeux, aussi forts et immortels se montraient-ils, ils restaient des créatures maudites, dangereuses et qui causaient souvent plus de mal que de bien dans leur entourage. Preuves à l’appuie les nombreux déboires historiques qui leur étaient reliés ! Mais à cela l’Impératrice ne pouvait leur jeter la première pierre considérant combien sa propre famille pêchait d’erreurs aussi honteuses que scandaleuses, voire scabreuses. Victoria avait donc pleinement conscience d’abriter sous son toit de sublimes vipères dont les douces promesses étaient emplies d’un poison pernicieux si l’on n’y prêtait pas garde. Face à elle était le visage officiel du Triumvirat et si elle le connaissait déjà par de longues correspondances et le souvenirs tendre d’une soirée volée à un Bal d’hiver, elle ne pouvait ignorer désormais le poids qui pesait sur sa jeune tête en la présence de la couronne impériale. Elle savait que le second visage de cette trinité n’était autre qu’Achroma Elusis, ancien champion de l’Humanité et de tous les peuples. Toutefois, elle ne pouvait et ne devait ignorer les dangers qui dormaient dans les promesses sucrées des vampires et elle pencha légèrement du chef en écoutant Toryné.

« - Je ne doute pas que vous saurez être à la hauteur de mes espérances. Nous savons tout deux ce que le contraire nous coûterait. »

Le sourire qui accompagna cet avertissement était sublime, faisant rayonner sa beauté magique comme un soleil miniature, mais cet éclat ne gagna pas le bleu céruléen de ses grands yeux bordés d’un discret maquillage de rose poudré. Les prunelles restaient indéchiffrables, murées d’une courtoisie impeccable après la faute qu’elles avaient commis en révélant tantôt le fond réel de sa pensée. Si l’intégration des vampires échouait, ses détracteurs auraient tôt fait de la jeter au bas du trône et une guerre civile exploserait entre les murs de Sélénia pour chasser les vampires et ses alliés de tous privilèges et protections. Une situation qu’elle désirait, naturellement, éviter à tout prix. Buvant une gorgée de thé, elle poursuivit avec cette même douceur dans la voix :

« - Vous avez à votre disposition tous les maîtres et érudits que votre cœur pourrait désirer. Leurs enseignements sont vôtres, je vous laisse seul juge des savoirs qui bénéficieront le plus à votre clan. Cette proposition s’étend bien entendu aux deux autres Parangons. Il m’est davantage difficile de les rencontrer, je vous serais ainsi grée de leur partager cette nouvelle si vous veniez à les croiser avant moi. »

Le silence se prolongea et elle en profita pour grignoter quelques brioches aux grains de sucre semblables à des perles et aux rondeurs chargées de crèmes fouetté parsemées de fruits frais délicatement acidulés comme des grains de groseilles ou de framboises. L’appel de son titre lui fit relever les yeux de sa collation et elle plongea son regard dans celui de la créature, réprimant un frisson au contact de sa main sur la sienne. Un instant, elle hésita à se récrier et à le chasser pour cette audace qui, à n’en pas douter, causerait un grand scandale à la Cour. Mais il n’y avait qu’eux à l’ombre de ce kiosque, cachés qu’ils étaient par les épaisses feuilles des glycines, douillettement isolés dans la fraîcheurs des grappes indolentes et sucrées, toutes de mauves et de blancs parées. Sa main trahi le frisson qui glissa dans son dos gracile alors qu’elle déglutissait en silence sa bouchée et l’observait telle une oiselle captive du regard d’un prédateur. Malgré la douceur qu’employait Toryné, Victoria ne pouvait ignorer le contact froid au travers du gant et cette plastique si lisse et parfaite, semblable à du marbre vivant.

L’annonce d’une menace fit se crisper ses fines épaules sous le couvert de la mousseline et de la dentelle. Un petit froncement de sourcils vint durcir l’éclat de ses orbes aquatique alors que ses doigts tressaillaient avant de se refermer sur la main qui les couvrait. Étrangement toutefois, la peur qui lui étreignait le creux du ventre s’estompa, comme drainée par les promesses voilées du Parangon. Elle sentit ce venin pernicieux la quitter et à la lumière de ce soulagement progressif, Victoria expulsa un soupir inaudible mais qui défroissa ses poumons et sembla même laver son esprit de nombreux soucis. A contre cœur, elle le vit retirer sa main et manqua de la lui retenir si un éclair de lucidité ne se rappelait à elle et lui causait un vif sursaut. Combien son geste aurait été grossier si elle avait cédé ! Une légère, très légère rougeur aux joues, l’adolescente occupa sa main rendue libre à prendre sa tasse pour la porter à ses lèvres, s’offrant quelques secondes afin de se recomposer un masque plus calme. Quand la porcelaine toqua contre la soucoupe, elle souffla sans le regarder en face :

« - Éclairez-moi, Parangon Dalis. »

Quel était ce danger qui poussait le vampire à adopter une conduite si cavalière ? Quel genre de menace pouvait-il donc lui éviter à lui seul ? Elle était curieuse, mais un brin sceptique. Quel était donc ce mystère que ses propres agents n’avaient su déceler et circonvenir ? La peur retourna se tapir au creux de son ventre, vieille compagne de tous les instants depuis l’heure où sa tête s’était vue couronnée. Les saveurs de brioche prirent une teinte de cendre alors que sa gorge se serrait avec inconfort. Fixant sa tasse, elle contempla les reflets d’ambres dans l’attente de sa réponse.

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La porte s’ouvrait doucement, mais cela était suffisant pour que le chant du cygne se fasse entendre. Le parangon observait l’impératrice, ses moindres petits gestes ou mimiques. Elle n’aimait pas ce qu’elle avait entendu, mais personne n’aimait entendre qu’une menace pesait sur elle, encore moins lorsqu’on dirigeait un royaume.

-Je pense ne pas avoir besoin de vous dire qui est Irina Faust n’est-ce pas ?
Question rhétorique, tenant plus du préliminaire qu’aux véritables informations. La princesse que le triumvirat à refuser de servir, une charmante personne en apparence seulement comme vous devez l’imaginez. Cependant… Son rôle ne se limite pas simplement à celui de princesse d’un reste de royaume, non… Faust est également membre des capitaines d’Athgalan. Ou encore l’organisation criminelle la plus haïe des royaumes. Pour être précis elle est la capitaine des catins, un titre grotesque et abject si vous voulez mon avis. Ce fut l’une des premières raisons qui m’ont poussé à la « rébellion » pour ainsi dire. Non, aucun rapport avec une ambition personnelle dévorante, une rancœur personnelle envers Athgalan ou encore le fait qu’elle avait interdit l’esclavage de ces bêtes de graarh tout en signant le plus humiliant des traiter. J’ignorais si vous le saviez, mais je tiens à m’assurer que nous partions sur la même base de connaissance afin que mes propos ne vous soient pas étrangers.

Toryné prit une légère pause, se servant un peu de sang, à peine la moitié de sa coupe. Cette lenteur dans son discours était volontaire, ainsi l’impératrice pouvait s’imprégner de ses paroles, mais surtout, il cherchait à créer un certain stress continu chez l’adolescente. Les mauvaises nouvelles viendraient en escalade petit à petit, venant alourdir le poids qu’elle portait sur ses épaules. Il ne cherchait pas à la faire s’effondrer, juste à l’ébranler un minimum, suffisamment pour qu’elle accepte de s’appuyer sur lui un peu.

-Son titre est assez évocateur, continua-t-il après avoir pris une légère gorgé, Irina avait déjà la main mise sur une grande part de la prostitution sur notre ancien foyer, cette situation n’a pas changé ici. Les maisons closes, les maisons de passe, tous ses bâtiments monnayant le corps de pauvre malheureuse, la plupart lui appartienne… Il était presque sincère en parlant de pauvre malheureuse, Toryné avait toujours eu un faible pour les prostitués, les plus jeunes bien sûr. Sa première fille avait été une prostituée avant qu’il ne la morde et nombre des enfants qu’ils avaient eu brièvement avaient été dans le même cas. Elle était à ses yeux comme des poupées sans visage, il pouvait les façonner comme il le désirait et la plupart s’accrochaient à la première lumière venant les effleurer pour les sortir des ténèbres, quand bien même cette lumière leur offrait parfois bien pire. Peut-être également avait-il dans une certaine mesure un sentiment de proximité avec elle, lui-même avait été pendant de longues décennies une poupée sans visage. Cela fait beaucoup de filles sous ses ordres directs ou indirects et avec cela, il faut également compter tout ce qui gravite autour… Des agents infiltrés, des petites frappes, etc. Mais il n’était pas tant le problème. Tout cela ne sert qu’une seule et unique chose, la confrérie pirate. Le réseau de Faust leur sert de yeux et d’oreilles, les marins qui rentrent au port viennent chercher quelque plaisir charnel, ils deviennent bavards, leur bateau est attaqué et leur marchandise piller le mois qui suit. Les marins ne sont pas les seuls concernés, bourgeois, certain nobles même, tout autant d’information potentielle qui profite à la confrérie.

Il avait étudié son sujet. Il ne s’était pas contenté de juste savoir ces faits, il avait fait en sorte d’obtenir des informations sur le système de la capitainerie des catins. Toryné s’était préparé à affronter Irina pour prendre le pouvoir à Aerthia et saper celui de sa rivale par la même occasion, il ne jouait pas que pour gagner, mais également pour anéantir son adversaire. Et le jeu n’était pas terminé.

-Tant que ce réseau persistera, Selenia ne subira que trop l’oppression des pirates sur les mers… Sa main se serra sur son verre et sa voix devint plus grave. Vous profitez désormais des navires de la Hanse ce qui est une bonne chose, mais le menace reste tapis dans l’ombre, laissez autant d’agent de la confrérie sur les sols de la couronne est un risque bien trop important. Une nouvelle gorgée de sang avant de déposer son verre. « Irina a presque réussi à prendre le contrôle du royaume vampirique sans que personne ne le voie venir, les pirates sont imprévisibles et pleins de ressources, beaucoup trop pense comme les Delimariens à ne les affronter que sur la mer ou mettant à mal le commerce des esclaves, mais ce n’est que les sous-estimer ».

Son regard se porta vers le ciel, alors que sa tête se posa délicatement sur l’une de ses mains. « J’ai des noms d’établissement, je ne peux garantir tous les avoir, mais j’ai en suffisamment pour porter un coup important. Je peux vous les donner votre Altesse, ce royaume est le vôtre et il ne tient qu’à vous d’appliquer la décision qui vous paraîtrait la plus judicieuse… Cependant. Il y avait forcément un cependant, cela ne pouvait être aussi simple. Il vous sera compliqué d’agir sans vous attirer les foudres de votre peuple… Nationaliser ses établissements serait très mal perçu pour beaucoup, profiter d’un commerce aussi répugnant ne ferait que ternir votre réputation. De l’autre côté chercher à endiguer ses commerces provoqueraient la colère des consommateurs et cela ne ferait que rendre ce genre d’activité encore plus souterraine qu’elles ne le sont déjà. Il vous faudrait agir dans l’ombre… que personne ne puisse jamais vous pointer du doigt peu importe ce qu’il serait fait.

Oui, il fallait protéger le joyau, sa pureté était bien trop précieuse, rien, absolument rien ne devait l’entacher, seul lui devait avoir se droit. La belle impératrice était un voile d’innocence et de candeur dont le cygne voulait se draper, et cela, sous bien des aspects.

-Du moins, si vous désirez agir en conséquence.
Bien sûr qu’elle voudrait agir, elle n’avait pas vraiment le choix. Cependant, peut-être qu’elle ne s’en tiendrait pas qu’à sa parole. Il serait tout légitime qu’elle demande des preuves, des garantis de ses propos. Il se doutait qu’il n’était pas facile de lui faire confiance, il était un vampire, il était un politicien, même son androgynéité pouvait être un argument pour se méfier de lui. En dehors de tout ça, les informations qu’il partageait était suffisamment « grave » pour qu’elle prenne le temps d’être étudié dans les moindre détails, mais paradoxalement le temps a défaut d’être bonne conseillère pouvait s’avérer être une terrible alliée.

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Elle attendait donc, silencieuse et patiente. La méthode d’approche du vampire ne lui était pas inconnue à elle qui côtoyait les adultes depuis toujours, elle qui confrontait la Cour depuis qu’elle était en âge de parler et de tenir sur ses deux pieds. Sa main s’avança pour attraper la cuillère et elle se mit distraitement à touiller son thé, créant des reflets fantasques dans le breuvage d’ambre chaud. Toryné ne cherchait rien de plus qu’à construire une tension, à la rendre dépendante de ses moindres mots, avide des informations qu’il viendrait lâcher au compte goutte comme un marchand de rêves égrainerait sa drogue auprès de ses clients les plus désespérés. Si l’Impératrice n’était pas dupe du manège de son invité, elle le laissa toutefois faire avec générosité et complaisance. Le vampire se débrouillait bien après tout et elle était effectivement curieuse d’en savoir plus sur cette prétendue menace qui sourdait si proche de sa jeune tête couronnée. Aussi lorsqu’il fut mention de Irina Faust, elle cessa de jouer avec son thé, reposa proprement la cuillère sur le petit carré de serviette immaculé et leva enfin les yeux sur le vampire sans que le moindre frémissement ne soit apparent sur son joli minois.

« - Je connais de réputation la Princesse de la Nuit… surtout ses derniers déboires. »

Se contenta-t-elle de souffler avant de prêter l’oreille au discours du Parangon. La suite la fit toutefois se crisper et elle serra les phalanges sur le bord de la table, menaçant de déchirer le tissus délicat de la nappe tant ses ongles s’enfoncèrent dans la fibre. Les pirates étaient l’une des rares choses qu’elle exécrait au plus haut point. Une haine viscérale l’habitait pour ces scélérats qui écumaient les mers comme autant de rats ayant quitté les navires des anciens Royaumes, vivant de l’honnête labeur des autres, souillant les biens fondés de toute civilisation et mimiquant dans la plus révulsante des ironies cette royauté dont ils se moquaient tant il y a peu. Elle ne comprenait pas comment l’on pouvait dédier une vie entière à ruiner celle des autres. Ses iris se firent aussi tranchants que du verre et ses traits délicats se figèrent d’un masque de souverain mépris, beauté figée de froideur et de dédain. La Trame pulsa autour d’elle, mais jamais elle ne se laissa aller à la tentation d’expulser ses émotions dans le réseau instable de magie. Il y avait assez d’une catastrophe à la fois et les nouvelles que lui portait Toryné se suffisaient à elles-même. Visiblement, elle ne connaissait pas aussi bien cette fausse Princesse et elle lâcha d’une voix égale, doucereuse de venin lacé :

« - La couronne n’est que poudre aux yeux du peuple, un accessoire à la symbolique forte. Telle une épée, elle possède deux tranchants pour son possesseur. Sa splendeur peut révéler les plus belles qualités d’un cœur et lever des peuples entiers à sa suite, comme elle peut exhiber les plus grandes laideurs… et il s’avère que la Princesse Faust aura goûté au revers de sa propre couronne et sera tombée de bien haut. De si haut d’ailleurs qu’il lui sera impossible de se relever. »

Et que l’on ne compte pas sur l’Empire pour lui tendre une main charitable. Il n’était bon de posséder rêves et philanthropie que lorsque l’on avait les moyens de défendre pareilles valeurs ! C’était comme la Paix. Irina Faust avait mené son Royaume à la ruine financière, puis à l’implosion et la rébellion. De ces erreurs, Victoria comptait bien y récupérer l’expérience que la vampire n’avait su engranger. Elle ne risquerait pas son titre et ne causerait pas la honte et la périclité des séléniens par naïveté égoïste et candeur vérolée. Un léger soupir lui échappa alors qu’elle relâchait enfin les pauvres bords maltraités de la table et venait s’adosser tout en délicatesse et grâce contre le dossier de sa chaise. Quelques lourdes mèches blondes coulèrent de ses fines épaules et elle leva les yeux sur les grappes indolentes des glycines qui couvraient leurs têtes comme un labyrinthe de parfums sucrés et d’ombres piquées d’éclats fugaces du soleil. Quand le discours reprit après une légère pause et qu’il fut question de « pauvres malheureuses », Victoria se contenta de hausser un sourcil des plus aristocratiques et ne montra rien d’autre du peu de valeur qu’elle accordait au larmoyant de cette expression.

Que ces filles de passes soient pauvres, oui elle voulait bien l’admettre. Il n’y avait généralement que la pauvreté qui menait les femmes et les jeunes garçons dans ce genre de commerce, mais de là à les qualifier de malheureuses ? Certainement pas. Une minorité d’entre elles était capable de gagner aussi bien qu’un artisan, voire un bourgeois. Celles qui savaient tirer leur épingle du jeu, même si elles restaient encore moins nombreuses, devenaient aussi dangereuses, sinon plus, que les courtisanes. Mais de façon plus globale, les catins possédaient généralement toutes un toit au dessus de leur tête, des habits chauds, un lit et le souper au moins une fois par jour. Une condition que beaucoup d’autres ne possédaient pas dans les basses rues de l’Empire ou encore de l’Alliance -hormis Délimar l’on s’entend-, ainsi plaindre ces filles et garçonnets semblait à l’Impératrice aussi hypocrite que naïf. Hors si elle admettait au vampire le premier adjectif, elle doutait sincèrement que le second lui soit qualifiable... de près ou de loin.

Toryné tentait donc de l’amadouer, de tirer sur la corde sensible de ce romantisme qu’il devait lui penser être inhérent par sa jeunesse ou pire ; sa condition de femme. Les mires de saphirs se durcirent d’un degré supplémentaire, s’ourlant d’un givre de prudence alors qu’elle gardait les lèvres closes, mais les oreilles grandes ouvertes à la suite. Il la connaissait bien mal pour essayer de l’effaroucher par un sujet aussi cru. Toutefois, savoir qu’Irina possédait un réseau d’informations si profondément ancré dans l’Empire -et probablement tous les autres Royaumes et Pays de l’Archipel- était en effet contrariant, sinon inquiétant. Et qu’elle soit liée aux pirates n’arrangeait rien à l’affaire, bien au contraire. Appuyée d’un coude au bras de sa chaise, menton délicatement posé sur le dos de sa main, elle rabaissa enfin son attention sur le vampire et l’observa avec une profonde et sincère surprise. Elle entrouvrit les lèvres, mais n’osa lâcher les mots qui lui venaient de peur de fâcher son invité. Elle l’écouta jusqu’au bout et ne pu s’empêcher d’afficher une expression amusée qui chassa l’orage de ses grands yeux et parvint presque à lui faire retrouver sa bonne humeur. Seul le sérieux de leur conversation et le rang qui accompagnait Toryné l’empêcha de glousser et de le taquiner.

« - Très cher Parangon Dalis... »

Ronronna-t-elle alors qu’elle se redressait dans son assise et s’offrait une petite gorgée de thé. Elle regretta de le découvrir à peine tiède et soupira de ne pouvoir user de magie pour le réchauffer. Elle poussa délicatement la soucoupe et vint croiser les mains sur le bord de la table. Elle fixa le vampire droit dans les yeux, l’accrocha au bleu mirifique de son regard et lui offrit son plus beau sourire. Sa voix avait la consistance et la douceur du miel alors qu’elle prenait enfin la parole :

« - La prostitution est, de ce que l’on dit, l’un des plus vieux métiers au monde. Pensiez-vous réellement m’effrayer en abordant un sujet aussi cru et répugnant ? »

Victoria pencha légèrement la tête sur le côté sans se départir de son magnifique sourire. Elle semblait rayonner tandis que le soleil mouchetait sa peau de pêche d’éclats fugaces comme des paillettes d’or. Elle reprit avec un calme entier :

« - Sélénia a déjà plusieurs établissement sous sa coupe. Les noms ne leurs manquent pas d'ailleurs : maisons de joie, hostels de passes, maisons de plaisir, académies d’amour, bordels, bousbirs, bouics… foutoirs, maisons d’abattage, lupanars. Bars à putes. »

Le dernier synonyme fut claqué avec une égalité davantage choquante que sa vulgarité sortait de lèvres souples, rosées et encore prises dans la courbe tendre d’une adolescence à peine éclose. Les yeux de Victoria ne lâchaient pas le vampire, lui refusaient de se défiler tandis que l’Impératrice se redressait lentement, quittait son siège en prenant doucement appuis sur la table. Elle toisa le vampire sans méchanceté ou dédain, mais elle ne montrait de même ni peur ou révulsion. Ses mots tombèrent avec la froide évidence d’une vérité qui lui était connue, reconnue et acceptée. Probablement avec résignation d'ailleurs.

« - Ces lieux de débauches sont l’exutoire des hommes et c’est ainsi d’aussi loin que remonte la mémoire de notre race. Seul les hypocrites s’en offusquent et bien souvent, ce sont ces mêmes puritains que l’on retrouve les braies aux chevilles dans ces exactes lieux qu’ils décriaient tantôt. »

Une pause, juste le temps d’un souffle.

« - Nul peuple ne s’élèvera contre son Impératrice si elle décide de récupérer ces… comment disiez-vous ? Ah oui ; ces pauvres malheureuses pour s’assurer qu’elles bénéficient de tout le confort et la sécurité que leur métier exige. Cela fait des années que j’œuvre dans l’humanitaire et je construis le visage d’une Mère pour Sélénia depuis que j’ai hérité la couronne. Je prendrais dans mon giron tous les laissés pour comptes, tous les oubliés et les dénigrés autant de fois qu’il le faudra. Je ne craindrai pas les éclaboussures que mes actes causeront à mon nom, car je sais agir pour le bien de Sélénia. Je sais n'être que la servante de l’Empire, car le peuple m’est absolu, et sans lui je ne suis rien. »

Elle eut l’ombre d’un sourire et soupira.

« - Mais vous avez raison en cela : faire la chasse à la prostitution serait contre-productif. Une action de cette envergure nous ferait non seulement perdre une somme alarmante d’argent, mais profiterait aux pirates. Et en ça, je ne l’accepterait jamais. »

Victoria croisa paisiblement les mains sur son abdomen, épaules rejetées en arrière en une posture régalienne. Ses mires continuaient de clouer le vampire en place tandis que son expression portait la douceur et la tendresse que ses propos suggéraient, bien que sous le vernis de ce masque une certaine distance, une certaine froideur pouvait se sentir, s’effleurer sans jamais se laisser totalement saisir. L’Impératrice se détourna légèrement et observa le reste du jardin, pensive.

« - J’entends toutefois votre inquiétude et sachez qu'elle me touche. Je ne pourrais pas agir librement, car même si la prostitution est moins décriée en Sélénia que vous semblez le croire, cher Parangon, il s’agit d’un domaine qui m’est très peu coutumier, voire totalement inconnu. »

Cette fois, une légère carnation gagna le sommet velouté de ses pommettes. Elle continua toutefois d’une voix égale :

« - Je désire effectivement saper l’influence d’Irina Faust en mon territoire. Je veux nationaliser ses établissements sans avoir à m'en cacher afin de récupérer ce qui me revient de droit. Toutefois, je ne peux pas –pas à l’heure actuelle- déployer mes agents dans cette chasse à l’oie… car j’en ai grandement besoin ailleurs. »

Elle lui fit un léger signe de la main pour l’inviter à la suivre et quitta l’ombre fraîche du kiosque pour entamer une ballade dans les sentiers fleuris du jardin. L’adolescente marchait lentement, chaque pas empreint de grâce et parfois elle tendait une main pour effleurer la texture d’une fleurs ou d’une feuille, pour le plaisir d’entendre bruisser la branche lourde de fruits. Il se passa quelques minutes avant qu’elle ne reprenne :

« - Vous sembliez vouloir me proposer une solution, Parangon Dalis. Vous disiez avoir des noms d’établissements… j’aimerai posséder une telle liste. J’aimerai... »

Elle s’arrêta pour se tourner vers lui et leva légèrement la tête pour plonger une fois de plus les yeux dans les siens. Ils s'étaient arrêtés dans la courbe d’un petit chemin de graviers, entre un rhododendron bleu pastel et un rosier jaune grimpant une arche d’osiers. Les gardes maintenaient leur distance alors que le soleil frappait la fine silhouette de l'Impératrice et rendait ses cheveux semblables à de l’or fondu. Dans un souffle, dans une confession qui s’ourlait au creux d’un sourire timide parfaitement dosé et osé, elle termina avec :

« - J’aimerai pouvoir vous croire dans votre désir de m’aider. Saurez-vous me prouver la sincérité de telles intentions, Toryné ? »

Une main douce, chaude et battante de vie effleura le temps d’un battement de cils celle du Parangon.

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Les propos que lui tenait sa majesté étaient intéressant, mais surtout surprenant. Bien entendu l’androgyne ne s’était pas attendu à ce que tout se passe facilement, en revanche, il n’avait pas envisagé de telle réponse. Sûrement, avait-il jugé l’impératrice comme trop candide, attribuant à sa jeunesse une certaine innocence. Peut-être même le fait que Victoria soit une femme avait joué sur son approche. Quoiqu’il en soit, il devait reconnaître que cela avait été une erreur de jugement, la Jouvencelle avait de la ressource et c’était une bonne nouvelle. Fort heureusement son erreur n’était irrémédiable, après tout ne venait-il pas avec de précieuses informations pour sa majesté ?

Lorsqu’elle lui demanda très clairement s’il avait cherché à l’effrayer en abordant le sujet aussi crûment, il imita son penchement de tête en souriant. Ce n’était pas la prostitution qui devait l’effrayer, c’était l’influence pirate. Les prostitués n’étaient pas le danger en soit, elles n’étaient qu’un outil. La réponse était sourde, non, il n’avait pas cherché à l’effrayer, ce n’était pas ce qu’il avait voulu en jouant la carte du sentimentalisme. Au moins, cela voulait dire qu’il pouvait parler clairement des choses. Comme pour confirmer cela, Victoria avait soutenu son regard tout le long lorsqu’elle énumérait tout le vocabulaire attrait au monde la nuit. C’était amusant, il était facile de dire des mots sans véritablement de sens, mais les vivres concrètement ? Elle avait une certaine maturité, mais aux yeux du vampire elle n’était pas encore adulte, pas pleinement du moins.

Lorsqu’elle parla d’hypocrisie, il put facilement comprendre que le commentaire lui était adressé. Devait-il s’en défendre ? Il l’avait certes été, mais sûrement pas de la manière dont le pensait l’impératrice. Était-il véritablement judicieux de préciser le véritable fond de sa pensée ? Il n’était pas vraiment venu ici pour échanger philosophiquement sur la prostitution, peut-être une fois ? Ou peut-être jamais en fin de compte. Il se contenta d’écouter attentivement, s’amusant d’entendre sa majesté parler d’humanitaire et de l’image de mère qu’elle se construisait. Plutôt celle de sœur ou encore de grande sœur pensa-t-il, elle était bien jeune encore et il avait du mal à concevoir que qui que ce soit puis la voir comme une figure maternelle, mais il avait après tout encore beaucoup à apprendre des Séléniens. Le commentaire sur le statut absolu du peuple aurait aussi mérité son débat idéologique, mais il imaginait que c’était très humain que de penser ainsi.

Elle le lâchait du regard ? Oh. Elle en venait enfin au concret et elle reconnaissait une chose, son ignorance sur le royaume sur lequel Irina régnait depuis bien trop longtemps, mais surtout sur l’incapacité de détacher les agents nécessaires pour y déloger la capitaine des catins. Elle lui tendait une perche, ou plutôt elle lui tendait sa propre perche. Tous deux se levèrent, entamant une ballade dans les jardins fleuris, s’offrant au soleil qui ne le dérangeait plus depuis déjà plusieurs jours. Si Toryné était en général assez contemplatif de son environnement et un tel jardin aurait amplement satisfait le férue de beauté qu’il était. Cependant, toute son attention était allouée aux paroles de la Jouvencelle, car ses réponses devaient satisfaire la jeune impératrice. Elle voulait sa liste, elle voulait des preuves de sa sincérité, elle s’était arrêtée pour lui faire face et lui faire cette demande.

Cette beauté… Elle savait parfaitement utiliser cet atout. Le timbre qu’elle avait utilisé, sa main qui venait effleurer la sienne, son sourire. Cela ne pouvait pas être inconscient, c’était bien trop… parfait ? S’il avait été faible, il lui aurait mangé au creux de la main… Cependant, il allait jouer le jeu, en partie, il fallait montrer aile blanche. En lui rendant son sourire, l’androgyne fouilla dans son petit sac jusqu’à sortir un petit papier plié scellé par un ruban rouge.

-En temps normal, j'offre des présents plus… fastueux, disons. Mais tenez Votre Altesse, voici la liste complète de mes investigations. Vous trouverez dans ce modeste papier tous les établissements dirigés par Dame Faust de près ou de loin. Vous y trouverez également les effectifs de chaque bâtiment, leurs positions géographiques précises, une estimation des bénéfices fait et de leur niveau d’importance… En effet, si le papier semblait petit car plier, il était en vérité assez conséquent. Une autre liste contient le détail des effectifs, nom des filles, âges, maîtresse et maître d’établissement ainsi que d’autres détails. Je peux également vous fournir ce document si vous le désirez Votre Altesse.

Il espérait que cela serait assez suffisant comme gage de sa transparence. Elle avait à sa disposition toutes les informations requises sur les établissements de la « princesse » noire.

-Cependant, j’espère que vous pardonnerez mon audace, car ces terres ne sont pas les miennes, elles sont votre, mais je ne saurais pas me satisfaire avec une simple épuration de l’influence de Faust. Je veux certes vous proposer une solution, mais cette dernière va plus loin que simplement visé la capitaine des catins. Ses crocs étaient pourtant moins longs désormais. Nous pouvons nous contenter de récupérer ce qui vous revient de droit, ce serait un honneur pour mes agents que de se venger de notre ennemi tout en rendant service à la nation qui nous accueille et vous n’avez cas l’exiger pour que nous agissions dès à présent. Pour ainsi dire, les agents du Dalis étaient déjà prêts à intervenir sur les établissements de plus grandes importances. Ils attendaient juste le signal. Une fois les établissements en votre possession… et bien oui l’influence pirate aura reculé, mais elle sera toujours présente, les catins n’en sont qu’une part. Ses bras se croisèrent. Mais elles peuvent peut-être devenir un pont. Lorsque la confrérie pirate réalisera leurs pertes de visibilités sur les terres de la couronne, ils chercheront à régler la situation d’une manière ou d’une autre. Comment ? Je ne peux pas avoir de certitude, mais nous pouvons les amener à réagir de la manière qui nous avantagerait. Un leurre, un simulacre d’opportunité ! Je ne reviens pas sur ma proposition de récupérer ses commerces en votre nom, mais je propose de le faire avec discrétion et surtout de faire croire que c’est une autre personne qui en a pris le contrôle, moi.

Sa main droite se posa devant la Jouvencelle, lui faisant signe d’attendre qu’il finisse. « Je sais, cela peut paraître étrange et cela pourrait ressembler à une manière maladroite de ma part pour me jouer de vous, mais il n’en est rien. Ce que je veux, c’est que la confrérie vienne à moi en pensant pouvoir négocier. Je suis un vampire, un ancien conseiller de ce que fut le royaume vampirique… Cela fait de moi quelqu’un dont on se méfie, dont on pense l’allégeance versatile… » Et il ferait tout pour que la confrérie vienne à lui, il avait plusieurs atouts sous sa robe pour attirer leur attention.

-Nous pourrions infiltrer la confrérie de l’intérieur et œuvrer ainsi pour la combattre plus activement que cela ne la jamais été auparavant… Et je ne vous demande pas de me faire confiance aveuglément, je ne vous insulterais pas de la sorte. Je vous donne tous les moyens pour que vous puissiez non seulement surveiller mes agissements, mais surtout les contrôler. Je vous propose d’avoir les outils en votre possession, mais de m’autoriser à les utiliser et à prendre les risques nécessaires.

Avait-il suffisamment montré aile blanche ? Il doutait qu’elle accepte sa proposition, du moins pas tout de suite. Ce n’était pas le genre de proposition qu’on pouvait accepter d’un hochement de tête et d’un pouce approbateur. Elle voudrait déjà étudier la liste, voir si elle était complète, s’il n’avait pas caché certains établissements à son contrôle. Elle n’avait cependant pas, selon ses dires, beaucoup d’agent à sa disposition pour le moment, allait-elle repousser la chose par sécurité ? Elle allait vouloir plus de détail également si l’idée l’intéressait un tant soit peu. Comment procéder, comment faire croire qu’il était devenu le nouveau maître des commerces de Faust alors que cela n’était pas le cas… Tout était pour le moment présenté qu’en surface évidemment, le plan de Toryné était complexe et travaillé, mais en révélé immédiatement toutes les subtilités sans avoir la garantie que l’impératrice soit encline à le suivre ne serait pas sage.

-Si vous avez besoin d’autre gage de ma sincérité, je vous les donnerais. Je tiens à prouver que le clan Dalis, il faisait bien la précision, vous sera un allié fidèle et de choix.

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Elle attendit, confiante dans le fait d’avoir su doser charme et innocence à son avantage. Sans douter une seule seconde que cette mascarade ne suffirait pas à enrouler le parangon autour de son petit doigt, elle espérait toutefois que cela l’inclinerait à se montrer coopératif. Si l’Impératrice s’était renseignée sur les goûts et les habitudes de ses invités, elle n’avait pas été surprise d’apprendre que des trois parangons, Toryné Dalis avait été le plus exubérant et le plus simple à cerner… tout en préservant des zones d’ombres et de versatilité qui la mettaient instinctivement sur la défensive malgré ses airs candides et cordiales depuis le début de leur rencontre. Aussi plaisante soit sa compagnie, l’androgyne restait un vampire, de fait sa nature était de celle guidée par la trahison et la violence. Même s’il cumulait depuis peu quelques hauts faits militaires, notamment contre les Chimères et qu’il tenait la gauche d’Achroma Elusis dans le triumvirat vampirique… Elle se souvenait de leur rencontre au Bal d’hiver et ne pouvait s’empêcher de douter de ses intentions. Le masque qu’il avait jadis porté lors de cette soirée était peut-être plus honnête que celui qu’il lui montrait aujourd’hui.

Ses yeux de saphir tombèrent sur le petit papier, si proprement plié et scellé d’un ruban rouge. La curiosité la gagna et elle le prit après une brève hésitation. Ce fut avec mille précautions que Victoria déroula le parchemin et découvrit une liste atrocement détaillée. L’écriture était minuscule, bien que lisible et elle rapprocha le papier de son visage tandis qu’elle survolait les lignes interminables, parcourait les colonnes de chiffres et retrouvait parfois des noms qui lui étaient désagréablement familiers. Battant de ses longs cils, elle releva le nez vers le vampire et fronça les sourcils. Il y avait encore une autre liste !? Par les Huit, mais combien de temps lui avait-il fallu pour obtenir tout cela sous le nez et la barbe des pirates, voire pire : de ses propres réseaux d’informations ! Victoria fut prise d’un doute affreux qu’elle chassa promptement. Ce ne pouvait être un piège, n’est-ce pas ? Ces informations ; achetées directement aux Pirates ?! Non, que gagneraient les vampires du Triumvirat à côtoyer ces raclures d’eau ?! Prendre l’Empire après l’avoir rongé de l’intérieur ? Non, cela déclarerait une guerre avec l’Alliance qui se sentirait forcément en danger. Et puis il y avait Achroma ! Jamais il n’accepterait que l’Empire et les humains tombent entre les griffes de ces forbans et monstres nocturnes indisciplinés…

Son cœur s’affola à ces pensées bien sinistres, mais son visage conserva ce masque de beauté intemporel tandis qu’elle repliait le papier et le faisait disparaître dans les plis de ses manches. Elle ne devait pas laisser sa peur et ses préjugés dominer son esprit. Elle valait mieux que cela. Elle avait décidé de faire confiance à Achroma, Héro de l'Humanité, et par extension aux deux autres Parangons. Ce faux Roi des pirates ne pourrait rien offrir aux vampires qu’elle ne le pouvait déjà. Ils allaient obtenir des titres, des terres et des vassaux. Ils allaient pouvoir apprendre, s’enrichir et s’élever à nouveau au dessus des plus basses périodes de leur Histoire. Victoria ferma un instant les yeux et poussa un profond soupir, puis elle afficha un sourire et répondit :

« - Cette seconde liste me sera très utile, en effet. Toutefois, j’aimerai d’abord vérifier par mes propres moyens la véracité de celle que vous venez de me fournir. Non point que je doute de vous, mon amie, mais si je veux faire accepter notre projet à mes pairs du Conseil, il va me falloir recouper ces informations via différentes sources. »

Elle lui fit un petit signe et reprit la promenade dans les allées bordées de fleurs et de buissons verdoyants. De ses doigts graciles, elle venait parfois effleurer ici et là une branche alourdie de bourgeons et de baies encore vertes. Si elle menait le pas, elle prenait soin de montrer au vampire qu’elle était toute ouïe pour ses explications. Tête légèrement penchée sur le côté, elle émettait parfois un petit « hum » pour l’intimer à poursuivre ou ponctuait ses phrases d’une approbation discrète bien que mélodieuse. Un sourire fugace lui vint lorsque Toryné se proposa pour être le leurre qui la protégerait des représailles que ne manqueraient pas de faire pleuvoir les pirates sur l’Empire lorsqu’ils réaliseront qu’ils venaient de perdre les plus grosses parts du réseau de prostitution… mais il y avait autre chose, n’est-ce pas ? Malgré sa jeunesse, Victoria pouvaient sentir qu’il y avait anguille sous roche bien qu’elle ne sache pas encore où. Cette proposition semblait simplement trop belle, trop simple même. Pensive, l’Impératrice continua de se balader au gré de ses caprices, allant et venant parmi la végétation luxuriante. Ils passaient sous une arche de rosiers grimpant dont les fleurs jaunes et oranges embaumaient l’air, lorsqu’elle s’arrêta pour la seconde fois et pivota afin de lui faire face.

« - S’il y a bien une chose que je n’assumerai jamais à votre propos, Dame Dalis, c’est de vous croire maladroite lorsqu’il s’agit d’orienter les opportunités en votre faveur. »

Elle lui lança un regard aiguë et se passa de tout autre commentaire sur le sujet. Qu’il tente de montrer aile blanche ne lui était pas passé sous le nez et aurait-elle été moins bien lunée qu’elle aurait pu se vexer qu’il la pense si prompte à jeter le doute et la suspicion sur leur relation… heureusement pour le Parangon, la jeune femme se sentait effectivement coupable d’avoir sautée sur quelques conclusions honteuses tantôt et elle s’efforçait donc de garder l’esprit ouvert en gage de bonne foi personnelle. La suite cependant fit passer une ombre sur son visage et elle secoua doucement la tête de droite et de gauche. Sur le papier, l’idée n’était pas mauvaise… mais c’était bien ça le soucis : Toryné ne semblait pas prendre en compte la politique actuelle de l’Empire et c’était la seconde fois qu’il commettait pareille erreur. Essayait-il seulement de s’intégrer ou n’était-ce que des paroles pour endormir sa méfiance ?

Victoria pinça légèrement des lèvres alors qu’elle se détournait du vampire et venait cueillir une rose depuis l’arche qui les surplombait. Un à un, les pétales furent arrachés puis abandonnés sur le chemin pavé après s’être fais ballotter dans la brise tiède. Infiltrer la Confrérie. Comment pourrait-elle céder une telle mission à un des Parangons !? Un soupir lui échappa et elle laissa paraître durant quelques secondes combien elle était fatiguée par cette guerre interne et cette lutte incessante pour faire valider la moindre de ses idées. Elle savait que l’intégration des vampires serait son paris le plus difficile, mais elle espérait au moins un peu d’aide de la part de ceux pour qui elle mettait sa réputation en danger ! Elle ne doutait pas (ou presque pas) des bonnes intentions de Toryné, mais son manque flagrant de finesse en terme de tactique la troublait plus que tout. Avait-il trop l’habitude des façons de faire vampiriques ? Certainement. L’on ne pouvait pas le blâmer dans ce cas, mais un comportement pareil risquait de devenir dangereux, surtout vue les sphères d’influence dans lesquels il évoluait.

« - Parangon Dalis… je ne sais comment vous dire cela sans risquer de vous froisser. »

Elle releva les yeux de sa pauvre rose amaigrie d’un bon tiers de ses pétales pour plonger l’azur de ses yeux dans ceux d’ambre du vampire. Un bref silence fut suffisant pour qu’elle témoigne de la gêne qu’elle éprouvait, de la dualité qui l’habitait entre se taire et se prononcer sur ce qu’elle pensait de tout cela. Finalement, elle eut un sourire léger puis lui fit signe d’installer à côté d’elle sur l’un des nombreux bancs qui bordaient le chemin.

« - Votre intérêt à aider l’Empire me touche énormément et témoigne de votre désir de vous intégrer, de vous montrer utile pour la Couronne. Alors oui dans la théorie votre plan est excellent, car saisir les bordels de la Confrérie ne suffiraient pas effectivement pour leur porter un réel coup. Certes cela fera une grande publicité pour l’Empire et par extension mon nom, certes nous aiderions beaucoup de ces pauvres filles en leur offrant davantage de confort et de sécurité dans cette branche de métier si instable et cruelle… Mais ce sera tout. Je sais qu’au mieux les Pirates subiront une perte de profit conséquent, cela pourra ralentir leur propagation, mais en contre-partie les attaques navales ainsi que les pillages côtiers redoubleraient pour pallier à la perte. Ordonner que la piraterie soit interdite sur le territoire est une chose, agir en conséquence en est une autre et en cela j’ai cruellement conscience que vous donner l’autorisation d’infiltrer la Confrérie en vous faisant passer pour un vampire assoiffé de profits et d’intérêts serait probablement encore la meilleure façon d’obtenir des informations de l’intérieur, justement pour réduire les impactes des-dits pillages et abordages... »

Elle marqua une légère pose le temps de lisser les plis de sa robe, d’ajuster la chute de sa traîne autour de ses pieds délicatement ramenés sous l’assise, chevilles croisées. Elle fit lentement tourner le bouton de rose entre ses doigts graciles, parlant d’une voix douce et composée. Elle oscillait entre formalité et intimité dans sa façon de lui parler, consciente que cela l'affecterait. Elle voulait tracer une ligne distincte entre ce qu'elle pensait et ce qu'elle se devait d'appliquer pour le bien de son peuple, de l'Empire.

« - Malheureusement je ne peux pas accepter votre offre, Toryné. Au delà de ce tableau qui ne comporte que vous, moi et les Pirates, il existe beaucoup d’autres facteurs que l’on ne peut… que dis-je, que l’on de nous absolument pas ignorer. Chercher des raccourcis dans un problème de cet ampleur apportera certes des résultats concluants sur le court terme, mais provoquera sur le long terme des dommages irréparables. »

Son expression se fit plus angoissée, triste et teintée de résignation alors qu’elle sentait tout le poids de ses responsabilités lui tomber si lourdement sur les épaules. Des épaules bien frêles qu’elle craignait de voir céder à tout instant. Seule sa volonté farouche lui permettait d’avancer malgré l’adversité qu’elle confrontait. Seule l’espoir de voir deux peuples s’unir en une aube nouvelle l’encourageait à endurer tout ce stress, toute cette tension. Elle ferma les yeux et soupira, carra des épaules et redressa le dos alors qu’elle reprenait avec davantage de sévérité dans le ton :

« - Accepter que des vampires s’établissent sur le territoire comme réfugiés fut la décision de mon frère, le précédent Empereur Nolan Kohan. Pour les nobles de l’Empire, il s’agissait déjà d’une décision délicate, mais à ce jour les vampires ne possédaient aucun droit en tant que citoyens. Ils étaient vus comme une gêne temporaire et pour certains nobles ? Vous étiez l’excuse pour qu’ils se rengorgent et se drapent hypocritement de philanthropie à votre égard… tout en serrant la main sur leur économie avec la peur d’être mis en fautes s’il fallait réellement agir à votre faveur. »

Un bref silence, glacial, avant qu’elle ne reprenne :

« - Lorsque j’ai reçu la couronne, j’ai changé tout cela. Les Parangons recevront des titres et les terres associées en signe de reconnaissance pour leurs actes et leur allégeance à l’Empire. Les clans affiliés auront à leur tour la citoyenneté et pourront vivre sur les terres de leurs Parangons ou tout autres lieux selon la convenance. Comprenez-vous les conséquences ? Des nobles vont forcément perdre des terres ou pire ; leur titre. Des victimes d’anciennes guerres opposant nos peuples vont devoir partager leur pallier avec les bourreaux qui hantent probablement encore leurs rêves. L’ampleur de ce projet est au-delà de tout ce que l’Empire a déjà entreprit et tout ça sans verser une seule goutte de sang. »

Ils ne pouvaient même pas comparer la mixité des deux peuples à ce qu’il s’était passé quelques années auparavant avec les almaréens. Victoria et Achroma œuvraient jours et nuits pour que l’intégration s’effectue avec le moins de remous possibles. La moindre éclaboussure sur l’un ou l’autre serait autant d’armes que leurs opposants n’hésiteraient pas à brandir pour saper les fondations même de leur projet. L’Impératrice osa poser une main sur le bras du vampire et l’observa avec une grande attention.

« - Mon projet n’est pas des plus populaires. Nous avons beaucoup d’ennemis, Toryné. Mon Empire est doté de nombreux atouts, dont l’acceptation sans regard pour la race ou les… croyances, dirais-je aux vues des dernières révélations dans le domaine. Malheureusement entre ce qui est prôné et ce qui est appliqué ? Il y a un fossé. »

Où voulait-elle en venir ? Oh oui. Elle avait manqué perdre le fil avec tout cela. Sa main disparu dans les replis de sa manche et elle effleura la liste à nouveau pliée et serrée de son ruban rouge.

« - A cause des nombreux regards suivant le moindre de nos faits et gestes, je ne peux pas vous laisser agir en dehors de ma protection. Je sais que cela sonne comme si je vous mettais en laisse, mais croyez-moi lorsque je vous assure que je suis aussi insatisfaite de la situation que vous pouvez l’être ! Si vous tentez d’infiltrer la Confrérie en coupant tout lien avec l’Empire, je serais dans l’incapacité de vous protéger s’il vous arrivait quoi que ce soit. Je ne pourrais même pas vous reconnaître comme agent double si vous m’êtes conduit en justice pour piraterie. Votre nom sera souillé et avec lui le nom d’Achroma et d’Aldaron Elusis Nos ennemis useront de cet esclandre pour discréditer tout ce pourquoi nous nous sommes battus jusqu’à ce jour. Nos efforts seront vains et je ne pourrais conduire à terme le projet. »

Sa gorge se noua à cette perspective et elle retira sa main pour venir la serrer à hauteur de son cœur qui battait la chamade.

« - Je sais que je n’énonce que le pire des scriptes, qu’il se pourrait qu’au contraire vos actions soient couronnées de succès et que nous portions un coup critique, voire définitif à la Confrérie… mais je ne peux pas prendre ce risque. Pas maintenant. »

Elle releva les yeux sur lui et esquissa l’ombre d’un sourire.

« - Peut-être devrions-nous en reparler lorsque l’Empire saura vous gracier d’un titre et de terres à gérer ? Une fois que les vampires auront pu prouver qu’ils sont tout aussi respectables et compétents que n’importe quel autre noble sélénien, alors nous aurons davantage les coudées franches pour agir à l’encontre des pirates. »

Victoria claqua doucement dans ses mains et força un sourire plus large, plus enjoué. Elle ne lui demanda pas s’il était d’accord, car il devait l’être puisqu’il s’agissait de la volonté de sa nouvelle Impératrice, n’est-ce pas ? Elle espérait de tout cœur qu’elle n’aurait pas à se fâcher avec lui à ce propos. Elle détesterait cela… mais ses ambitions l’inquiétaient. Agir sans l’appui de la couronne ? Pensait-il réellement à agir de façon indépendante ? N’avait-il pas lui-même dit qu’on le pensait à la loyauté versatile ? Comment être sûr que ces mots n’étaient pas un miroir de ses réelles intentions ? La jeune fille ne montra rien du chemin de ses pensées alors qu’elle poursuivait avec un ton bien plus léger et à nouveau sucré :

« - En parlant de ça, que diriez-vous de me parler des projets du Clan Dalis en terme d’implication au sein de l’Empire ? Quel genre de territoire désirez-vous ? Que souhaitez-vous développer comme points forts au sein de votre prochain duché ? »

Et tandis que le vampire lui répondait, ils reprirent leur marche au travers du jardin privé. Le thé et le sang, laissés dans le kiosque, eurent le temps de refroidir avant que les deux femmes ne terminent leur longue discussion. Victoria avait une vision plus claire de ce que voulait le parangon pour son clan, ainsi que ses autres ambitions. L'après-midi fut bien rentabilisée à son avis et lorsqu'elles se séparèrent, la jeune tête couronnée avait beaucoup à réfléchir.

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