1er août 1763
Il aimait bien leur grotte et leur petit nid douillet. Oui, il s’y sentait bien et en sécurité. Un peu trop en sécurité, pour tout avouer. Et en trois mois de temps, il en avait vite fait le tour. Il en connaissait par coeur le moindre recoin. Sssaadjith et lui avaient bien veillé à tout explorer, de fond en combles, en large et en travers, et même à explorer un peu le bassin d’eau qui s’offrait à eux. Autrement dit, ils n'étaient pas allés bien loin, leurs parents veillant sur eux comme de la lave dans un volcan. Comme s’ils craignaient que leurs rejetons fassent toutes les bêtises du monde et qu’ils provoquent une catastrophe éruptive.
Bon, peut-être n’était-ce pas une crainte totalement infondée, à bien y penser. Et penser, Nephilith le faisait souvent. Mais tout de même ! Comment pouvaient-ils apprendre à se défendre contre les dangers de ce monde s’ils ne pouvaient pas l’explorer ? S’ils ne pouvaient pas s’y confronter et comprendre l'univers qui les attendait ? Contemplant une énième fois sa belle perle, son tout premier trésor, ce cadeau de son Frère-Coquille, splendide perle lovée dans sa belle coquille, au milieu d’autres trésors trouvés et précieusement installés autour d’elle, Nephilith réfléchissait. Et attendait, désespéré, le retour de sa grande sœur.
Aujourd’hui, lui avait-elle dit. Elle lui avait promis. Aujourd’hui, ils iraient tous deux, juste eux deux, explorer un peu le fond des océans, et elle lui apprendrait à nager, lui qui peinait tant à apprendre à voler. Fort de cette promesse, il avait laissé Ssaadjith partir avec leur mère. Mais le jour avançait et nulle trace d’une Nynsith en approche. L’impatience le rongeait, et pour s’occuper les écailles, il se rognait une griffe. Peut-être aurait-il dû aller avec son Frère-Coquille. Peut-être ne devrait-il jamais le quitter… Allez savoir, dans sa folle envie de grandeur, son jumeau était capable de tout, et de se fourrer dans les pires ennuis. Certes, il était avec leur mère, mais…
Un clapotis puis un grand éclaboussement d’eau le fit sursauter et il se retourna vers l’entrée. Et bondit aussitôt de joie en se jetant sur la nouvelle arrivée.
" Tu es venue, tu n’as pas oublié ! "
Et de ses deux petites pattes, il enserra une des griffes de sa sœur.
" Ma grande sœur préférée ", ronronna-t-il presque.
Bon, ce n’était pas bien difficile, elle était la seule sœur qu’il avait. Mais bon, il le pensait réellement quand même !
" Alors ca y est ? On va voir les grands fonds ? Dis, dis, on y va, hein ? ", reprit-il, lâchant sa sœur et sautillant autour d’elle tout en balançant sa queue dans tous les sens, surexcité.
" Je veux nager. Je veux naaaageeeer ! "
Et se disant, il bondit dans l’eau. Il était prêt à partir là, maintenant, sans même attendre sa grande sœur, et à voguer aussi loin qu’il pourrait. Mais il se souvenait de leur tout premier plongeon avec son jumeau et de la petite remontrance de leur père. Puis s’il désobéissait et jouait trop avec le feu draconique, il risquait de perdre toute confiance de ces parents, et de ne plus être autorisé à sortir.
Il remonta donc aussitôt à la surface et sortit son museau de l’eau.
" Alors on y va ? Ca tient toujours, ma Soeur-Ecaille ? "
Avisant que son excitation pouvait faire revirer la grande dévoreuse dans sa décision, car après tout c’était une grande responsabilité pour elle que de l’emmener et de devoir veiller sur lui, Nephilith tenta, avec difficulté, de calmer son ardeur. De contrôler sa queue qui battait l’eau avec frénésie. Les grands éclaboussements devinrent peu à peu de légers clapotis, alors qu’il enfouissait son museau dans l’eau. Il aperçut alors une bulle se former, et son esprit partit en ébullition. Il s’amusa à en faire d'autres, et les observa, fasciné, remonter à la surface. C’était drôle les bulles, constata-t-il, tout en en faisant éclater une d’un petit coup de griffes. Puis se souvenant qu'il avait plus urgent, il releva ses saphirs sur sa soeur. Hum... Moui, sortie dans le fond des océans, se calmer, rester sage... Rester sage.
" Promis, je serai sage et obéissant.", fit-il alors comme si sa pensée se formulait plus clairement.
Tel un serment qu'il offrait à Nynsith comme à lui-même. Un serment dur à tenir, mais il s'y contraindrait. Autant que faire ce pourrait.
" Je ferai tout ce que tu me diras. A la griffe et à l’oeil. "