26 Avril 1763
La Vagabonde
La Vagabonde
La rage s'était lentement apaisée, consumant les ultimes braises de ses forces tandis que la légendaire frégate maudite fendait les flots des abysses à la pleine mesure de ses moyens, emportant son nouveau capitaine vers les côtes opulentes de la nouvelle Caladon aussi vite que les courants le permettait. Sous un manteau de cendres amères reposaient, mourantes, les brandons de son ire, défaits de combustibles, isolés dans cette tombe sous-marine, à des lieux sous la surface des flots tempétueux. Pendant des heures, le haut mage à présent impuissant rumina, écartelé par l'angoisse viscérale qu'il éprouvait pour son époux et Inséparable, par une immense tristesse pour son sort et par une terrible vindicte. Qui que soit le vampire qui avait osé mordre l'amour de sa vie, il allait le payer cher, très cher. Intérieurement, il esquissait déjà les tortures auxquelles il le soumettrait. Oh oui, cette immonde vermine allait hurler jusqu'à en faire trembler les cieux avant qu'il ne se décide à l'achever. Il lui trairait de toute sa souffrance, de tout son esprit et de la moindre goutte de fluide jusqu'à n'en laissait qu'une coquille vidée et brisée qui n'appellerait que la mort pour le délivrer. Et la Mort serait encore bien trop douce pour lui. Mais en attendant ce moment de pur délice, il nourrissait son imagination des traits délicats de son lié.
Aldaron n'était pas encore éveillé mais cela ne saurait tarder. Il était allongé là, immobile, froid. Son cœur au rythme si familier ne battait plus, le silence s'en faisait assourdissant. Jamais plus il ne le bercerait de ce tambour profond et vibrant. Son souffle s'était éteint. Jamais plus il ne s'adoucirait à compter ses soupires, à les boires à la coupe de lèvres délicieuses lorsque les griffes du plaisir embrasaient leurs sens. Sa peau était à présent gelée. Jamais plus il ne se perdrait dans la douceur de ce velouté incomparable. Et plus que tout, il y avait l'amnésie vampirique. L'assurance qu'en se réveillant, le nouveau-né aurait totalement oublié qui il était, et ce qu'ils partageaient. Il ne serait qu'un anonyme parmi d'autres. Une figure inconnue. Rien d'autre. L'idée menaçait à tout instant de l'engloutir dans un nouvel élan de rage primaire. Expirant lentement, l'Aîné éleva une main aux longs doigts jusqu'à caresser doucement la bague nouée à l'une de ses lourdes tresses nordiques. La boucle de Wunjo, le bonheur, n'avait soudainement plus aucune raison d'être. Pourquoi porter une exaltation de la nuit éternelle lorsque celui à qui il la destinait n'en avait plus aucun usage ? D'un geste lent, il la retira et l'observa, brisant enfin le contact visuel longuement établit avec la forme allongée dans sa couche.
Une vague de dégoût le saisit devant le porte-bonheur qu'ils avaient gravés ensemble et ce fut avec une expression ouvertement répugnée qu'il enferma l'objet dans un petit coffret posé sur le grand bureau. Expirant sèchement, il retourna à la veille de son compagnon et se rapprocha pour caresser avec douceur ses cheveux d'un blond délicat, ne questionnant pas le moins du monde ce changement au milieu de la dévastation que son état représentait. Avec une tendresse révérencieuse, il avait lavé son corps du sang et des algues, il avait peigné sa chevelure et l'avait habillé avant de le déposer là. Qu'était-il sensé faire ? Qu'était-il sensé dire ? Son œil droit ne portait plus la moindre couleur, il était là mais semblait si lointain. Il avait fait préparer autant du sang de l'humain qu'il pouvait se permettre d'en donner sans le tuer, afin d'étancher la première soif de son aimé, et avait déjà ordonné qu'on ralentisse l'avancée du navire dès qu'un navire naufragé de la flotte unie se présenterait afin de pêcher davantage d'humains. Son époux aurait besoin de beaucoup de sang, dans les prochaines semaines et il pressentait que même avec la formidable vélocité de la Vagabonde, ils mettraient du temps à parvenir à destination. Tant pis pour les humains, ils ne sauraient sans doute jamais à quel point leur sacrifice était important, était vital. Tant pis, qu'ils restent ignorants, ces animaux.
Seul Aldaron comptait à ses yeux.
Doucement, il lui caressait les cheveux et le visage, soufflant de tendres paroles dans sa langue natale, il attendit, montant une garde futile mais sincère. Qui donc viendrait le menacer ici, sous les flots ? Et que pourrait-il bien faire, lui qui était à présent coupé de ses pouvoirs ? Il ne pouvait même pas freiner le nouveau-né si jamais celui-ci devenait frénétique. Tout ce qu'il pouvait espérer était que le sang réuni serait suffisant pour un premier repas, le temps de trouver d'autres proies. Physiquement, il n'était pas capable de tenir la compétition, bien trop frêle. Sans sa magie il était vulnérable. Fort heureusement, son équipage était là pour le seconder si besoin. Mais il n'avait pas envie d'user de cette carte à moins que ce ne soit sa dernière. Il ne voulait pas trahir Aldaron. Il ne voulait pas qu'on s'introduise dans ces retrouvailles déjà bien assez délicates ainsi. Soupirant une fois encore, emprisonné dans cette insupportable attente, le haut mage ne pouvait qu'espérer. Que se passerait-il à son éveil ? Avait-il la moindre chance de voir son amour retourné ou serait-il condamné à l'aimer à secret, à nourrir une tendresse sans retour et pourtant impossible à briser, impossible à changer ou à abandonner ? Aldaron allait-il bien ? Ses blessures étaient refermées mais elles avaient été critiques et sinistres. Est-ce que cela allait influer sa transformation ? Il… ne savait pas… il avait peur…
Tellement peur…
Puis, lentement, il sentit le nouveau-né lentement prendre conscience, se redressa et s'écarta légèrement, laissant sa main tomber sur la sienne. L'Aîné, et déesses ce titre prenait alors bien plus de sens, attendit quelques instants avant de se pencher, de prendre la bonbonne de sang pour la poser bien en évidence pour son aimé, qui n'aurait qu'à l'attraper pour se nourrir. Lentement, il essaya d'accompagner son éveil par des paroles rassurantes, voulant essayer d'invoquer son esprit, l'essence de son être en même temps que ses instincts primaires de prédateur.
Aldaron n'était pas encore éveillé mais cela ne saurait tarder. Il était allongé là, immobile, froid. Son cœur au rythme si familier ne battait plus, le silence s'en faisait assourdissant. Jamais plus il ne le bercerait de ce tambour profond et vibrant. Son souffle s'était éteint. Jamais plus il ne s'adoucirait à compter ses soupires, à les boires à la coupe de lèvres délicieuses lorsque les griffes du plaisir embrasaient leurs sens. Sa peau était à présent gelée. Jamais plus il ne se perdrait dans la douceur de ce velouté incomparable. Et plus que tout, il y avait l'amnésie vampirique. L'assurance qu'en se réveillant, le nouveau-né aurait totalement oublié qui il était, et ce qu'ils partageaient. Il ne serait qu'un anonyme parmi d'autres. Une figure inconnue. Rien d'autre. L'idée menaçait à tout instant de l'engloutir dans un nouvel élan de rage primaire. Expirant lentement, l'Aîné éleva une main aux longs doigts jusqu'à caresser doucement la bague nouée à l'une de ses lourdes tresses nordiques. La boucle de Wunjo, le bonheur, n'avait soudainement plus aucune raison d'être. Pourquoi porter une exaltation de la nuit éternelle lorsque celui à qui il la destinait n'en avait plus aucun usage ? D'un geste lent, il la retira et l'observa, brisant enfin le contact visuel longuement établit avec la forme allongée dans sa couche.
Une vague de dégoût le saisit devant le porte-bonheur qu'ils avaient gravés ensemble et ce fut avec une expression ouvertement répugnée qu'il enferma l'objet dans un petit coffret posé sur le grand bureau. Expirant sèchement, il retourna à la veille de son compagnon et se rapprocha pour caresser avec douceur ses cheveux d'un blond délicat, ne questionnant pas le moins du monde ce changement au milieu de la dévastation que son état représentait. Avec une tendresse révérencieuse, il avait lavé son corps du sang et des algues, il avait peigné sa chevelure et l'avait habillé avant de le déposer là. Qu'était-il sensé faire ? Qu'était-il sensé dire ? Son œil droit ne portait plus la moindre couleur, il était là mais semblait si lointain. Il avait fait préparer autant du sang de l'humain qu'il pouvait se permettre d'en donner sans le tuer, afin d'étancher la première soif de son aimé, et avait déjà ordonné qu'on ralentisse l'avancée du navire dès qu'un navire naufragé de la flotte unie se présenterait afin de pêcher davantage d'humains. Son époux aurait besoin de beaucoup de sang, dans les prochaines semaines et il pressentait que même avec la formidable vélocité de la Vagabonde, ils mettraient du temps à parvenir à destination. Tant pis pour les humains, ils ne sauraient sans doute jamais à quel point leur sacrifice était important, était vital. Tant pis, qu'ils restent ignorants, ces animaux.
Seul Aldaron comptait à ses yeux.
Doucement, il lui caressait les cheveux et le visage, soufflant de tendres paroles dans sa langue natale, il attendit, montant une garde futile mais sincère. Qui donc viendrait le menacer ici, sous les flots ? Et que pourrait-il bien faire, lui qui était à présent coupé de ses pouvoirs ? Il ne pouvait même pas freiner le nouveau-né si jamais celui-ci devenait frénétique. Tout ce qu'il pouvait espérer était que le sang réuni serait suffisant pour un premier repas, le temps de trouver d'autres proies. Physiquement, il n'était pas capable de tenir la compétition, bien trop frêle. Sans sa magie il était vulnérable. Fort heureusement, son équipage était là pour le seconder si besoin. Mais il n'avait pas envie d'user de cette carte à moins que ce ne soit sa dernière. Il ne voulait pas trahir Aldaron. Il ne voulait pas qu'on s'introduise dans ces retrouvailles déjà bien assez délicates ainsi. Soupirant une fois encore, emprisonné dans cette insupportable attente, le haut mage ne pouvait qu'espérer. Que se passerait-il à son éveil ? Avait-il la moindre chance de voir son amour retourné ou serait-il condamné à l'aimer à secret, à nourrir une tendresse sans retour et pourtant impossible à briser, impossible à changer ou à abandonner ? Aldaron allait-il bien ? Ses blessures étaient refermées mais elles avaient été critiques et sinistres. Est-ce que cela allait influer sa transformation ? Il… ne savait pas… il avait peur…
Tellement peur…
Puis, lentement, il sentit le nouveau-né lentement prendre conscience, se redressa et s'écarta légèrement, laissant sa main tomber sur la sienne. L'Aîné, et déesses ce titre prenait alors bien plus de sens, attendit quelques instants avant de se pencher, de prendre la bonbonne de sang pour la poser bien en évidence pour son aimé, qui n'aurait qu'à l'attraper pour se nourrir. Lentement, il essaya d'accompagner son éveil par des paroles rassurantes, voulant essayer d'invoquer son esprit, l'essence de son être en même temps que ses instincts primaires de prédateur.