22 Août 1763
La Revanche de la Reine
La Revanche de la Reine
Le fumet embaumait la pièce, s'étirant en de languides volutes, paisibles appendices éthérés venant chatouiller les sens. Riche, il venait se lover au creux du palais, suggérant les goûts et la générosité d'une table bien montée. Un éveil à l'inimitable douceur, l'appeau d'un sacrifice volontaire à la faim humaine non rassasiée. La table occupait l'espace central de la capitainerie, sous un lustre lyssien d'époque, sculpté dans un bois clair à l'image de scènes marines au saisissant réalisme. Dressée à la mode Althaïenne, les assiettes étaient d'une très fine porcelaine peinte à la main, trois séries de couverts étaient disposés autours de l'ensemble, l'une de bois sculpté, l'une d'argent, l'une de porcelaine. Cinq verres de tailles disparates étaient disposés derrière, tous de cristaux soufflés et ciselés, commençant avec le plus grand sur la gauche, le plus petit sur la droite. Les serviettes étaient de soie brodée, tout comme la nappe, les carafes de cristal transparent laissait voir un vin rouge, un rosé et un blanc fruité tandis que le tout dernier contenait une eau maintenue froide par un glaçon éternel. Les chandelles brûlaient en diffusant un parfum délicat et discret qui rafraîchissait les puissantes effluves provenant des plats encore couverts. Le maître des lieux parachevait les ultimes pliures d'un napperon lorsque le son de l'éveil de son invité lui parvint et par des gestes minutieux, à la lenteur ajustée, il plaça l'ensemble avant de se détourner de son ouvrage, s'approchant sur ses longues jambes fuselées de l'alcôve où reposait le conseiller. Son pas, alerte mais composé, témoignait sa vivacité sans urgence.
Emplissant l'encadrement du paravent, il soupesa la forme disposée sur la couche sans se fendre de la moindre critique, ses traits racés reposant en une expression contemplative, pensive. Après quelques instants, sa voix s'éleva, courtoise et policée.
« Bonsoir, Seigneur Avente. Bon retour parmi nous »
Sans doute s'emplissait-il la tête de question, à commencer par le lieu où il se trouvait. Son invité s'était assoupit dans un lit lui appartenant, et c'était éveillé ici. Sans avertissement, sans invitation réelle. Tous deux s'étaient croisés, un bref instant. Un seul bref instant.
« La table est mise et n'attend plus que vous. Si vous acceptez me faire l'immense plaisir de vous avoir à dîner »
Qu'est-ce qu'il aurait donné pour observer les rouages sous son crâne. Mais il n'avait pas ce pouvoir, quant bien même ses nouveaux yeux disposaient de capacités singulières. Il en était donc réduit à sa propre imagination. Un bras élégamment replié sur les reins, il eut un geste d'invitation de l'autre, large, lent, lui présentant d'abord une porte vers une salle d'hygiène, puis des vêtements propres et à sa taille, d'une facture qu'il n'aurait sans doute pas oublié, avant de désigner la table ornée qui n'attendait plus que lui. Se détournant dans un lenteur calculée, il lui laissa la place, venant l'attendre derrière sa propre chaise, trop bien éduqué pour s'asseoir avant lui. Une invisible musique s'élevait, subtile et légère, qui accompagnait plutôt qu'elle ne masquait les soupires de l'océan au-delà des murs de bois de la grande frégate. La 'Revanche' voguait à présent loin de Sélénia, laissant derrière elle les turpitudes de la cour humaine pour voguer vers les vices de la Perfide. Le voyage était long, fort heureusement il disposait cette fois d'une compagnie de premier choix pour occuper ses journées. Plongé dans ses pensées, il n'en restait pas moins extrêmement alerte quand aux gestes de son invité. Il tendait l'oreille avec vigilance et ce ne fut qu'en le voyant s'avancer qu'il tourna de nouveau la tête vers lui. Ses yeux d'obsidienne, entièrement obscurs, sondèrent chaque frémissement de la délicate silhouette de l'Althaïen avant qu'un sourire suave ne vienne toucher ses lèvres.
« En entrée, foie gras au torchon avec sa sauce aux truffes, figues fraîches et séchées, roses de vin rouge cristallisées au sucre »
Emplissant l'encadrement du paravent, il soupesa la forme disposée sur la couche sans se fendre de la moindre critique, ses traits racés reposant en une expression contemplative, pensive. Après quelques instants, sa voix s'éleva, courtoise et policée.
« Bonsoir, Seigneur Avente. Bon retour parmi nous »
Sans doute s'emplissait-il la tête de question, à commencer par le lieu où il se trouvait. Son invité s'était assoupit dans un lit lui appartenant, et c'était éveillé ici. Sans avertissement, sans invitation réelle. Tous deux s'étaient croisés, un bref instant. Un seul bref instant.
« La table est mise et n'attend plus que vous. Si vous acceptez me faire l'immense plaisir de vous avoir à dîner »
Qu'est-ce qu'il aurait donné pour observer les rouages sous son crâne. Mais il n'avait pas ce pouvoir, quant bien même ses nouveaux yeux disposaient de capacités singulières. Il en était donc réduit à sa propre imagination. Un bras élégamment replié sur les reins, il eut un geste d'invitation de l'autre, large, lent, lui présentant d'abord une porte vers une salle d'hygiène, puis des vêtements propres et à sa taille, d'une facture qu'il n'aurait sans doute pas oublié, avant de désigner la table ornée qui n'attendait plus que lui. Se détournant dans un lenteur calculée, il lui laissa la place, venant l'attendre derrière sa propre chaise, trop bien éduqué pour s'asseoir avant lui. Une invisible musique s'élevait, subtile et légère, qui accompagnait plutôt qu'elle ne masquait les soupires de l'océan au-delà des murs de bois de la grande frégate. La 'Revanche' voguait à présent loin de Sélénia, laissant derrière elle les turpitudes de la cour humaine pour voguer vers les vices de la Perfide. Le voyage était long, fort heureusement il disposait cette fois d'une compagnie de premier choix pour occuper ses journées. Plongé dans ses pensées, il n'en restait pas moins extrêmement alerte quand aux gestes de son invité. Il tendait l'oreille avec vigilance et ce ne fut qu'en le voyant s'avancer qu'il tourna de nouveau la tête vers lui. Ses yeux d'obsidienne, entièrement obscurs, sondèrent chaque frémissement de la délicate silhouette de l'Althaïen avant qu'un sourire suave ne vienne toucher ses lèvres.
« En entrée, foie gras au torchon avec sa sauce aux truffes, figues fraîches et séchées, roses de vin rouge cristallisées au sucre »