La missive est dâtée du 4 Août 1763 et parvient à destination le 5 par pigeon voyageur.
" À Sa Majesté Victoria Kohan,
Impératrice et Héritière de la prestigieuse lignée des guides ancestraux de l’humanité.
Eu égard à votre histoire familiale, à la dette que notre race toute entière vous doit, à votre récente accession au trône et à la couronne de l’empire Sélénien, je me permet, moi, Balthazar Emerloch, de vous présenter mes hommages.
Je tiens solennellement, et ce malgré les allégeances contraires qui m’attachent loin de vous, à vous présenter mes plus sincères félicitations. J’applaudis avec un profond respect l’humilité de votre frère de stopper sa prétention à la régence du royaume, pour se concentrer sur ce qu’il sait faire de mieux : partir à l’aventure sur le dos de son dragon pour défier l’inconnu. Votre frère a toujours eu une âme de chevalier, qui n’est pas sans me rappeler celle du mien. Quant à vous, je me félicite d’avoir su vous aiguiller dans vos jeunes années sur les voies sinueuses de la diplomatie et d’avoir su déceler assez tôt votre appétence pour la direction des affaires plus subtiles et délicates. Vous serez sans aucun doute, et c’est mon expérience qui parle, une souveraine exemplaire, dont les qualités serviront parfaitement les besoins de votre nation et de votre trône, qui traversent actuellement des temps troublés.
Il me coûte de vous envoyer cette missive car j’abuse de mon statut de représentant du peuple, et des volontés démocratiques qui s’inscrivent désormais dans la ligne politique à laquelle je me dois de rester fidèle. Si je me permet cette incartade dans le domaine de la relation internationale sans avis préalable de mes concitoyens auxquels je rend mes comptes, c’est pour briser ce silence pesant que vous m’infligeâtes en cessant tout contact avec moi depuis cette guerre civile de malheur que je regrette chaque jour un peu plus.
J’ai appris vos intentions de visites diplomatiques tout autour de l’île et j’approuve votre initiative et cette envie de recréer le dialogue. Certaines valeurs contradictoires dans nos camps respectifs n’avaient pas lieu de créer un conflit et une scission telle que nous l’avons connue. Nous avons su mettre de côté nos griefs face à notre ennemi commun, les chimères, à deux reprises. Sujets du royaume et citoyens de l’Alliance, dragonniers et dragons libres, Vampires et Elfes, Graärh et Pirates… L’union est toujours possible, l’histoire nous le prouve, et je vous ai toujours connu attentive aux leçons laissées derrière par les échecs et les réussites de vos aîné.
Il me semblait alors important, avant que nous ne nous retrouvions au devant de la scène, masques diplomates présentés au public, de rétablir le dialogue, même de façon épistolaire. Je n’ai plus l’âge de jouer sur différents niveaux de lecture et de faux-semblant, mon temps et mon énergie se font rares et ne peuvent plus aller à ce genre de machinations, et je n’ai plus autant à perdre à risquer la clarté de mes intentions. Ainsi je vous déclare sans concession avoir été blessé par votre silence imposé, malgré la compréhension que j’ai de votre attitude. Vous avez certainement eu trop à faire pour vous soucier d’un vieillard qui girouette de drapeaux en drapeaux, et avez certainement dû vous concentrer sur vos alliés les plus proches avant de penser aux traîtres. Il me semblait cependant que nos échanges et notre amitié pouvait se targuer de voler plus haut que les divergences imposées par les vents politiques qui nous secouèrent tous à différents degrés d’intensité. Il me semblait également avoir tourné le dos à la couronne sélénienne, et non à la tête qui la porte, et que je pouvait compter sur celle-ci pour discerner les intentions du cœur, du sens du devoir.
Sachez donc que cette « trahison » n’est pas le fruit d’une réflexion froide aux ambitions bassement matérielles et politiques, mais d’un dilemme douloureux entre deux priorités qui m’étaient chères et qui déchirèrent mon âme de fervent serviteur de la couronne Kohan.
Lors de notre installation sur Calastin, j’avais pris la décision, à l’instar du seigneur Avente, de prendre une retraite paisible pour finir mes vieux jours au calme, loin de la scène politique. Ce monde m’était inconnu, ma fortune et mes possessions disparues, mes racines anéantie. Je pensais que Tiamaranta était un nouveau monde où je ne pouvais plus me permettre de garder une place. Mon coeur saigne encore de revoir Ambarhuna et il ne cessera jamais de cicatriser. Seulement, mon devoir enchaînait ma personne, mon savoir et ma qualité de meneur, à la tâche qui était de guider le peuple. De guider ces gens qui avaient quitté leurs foyer et traversé l’océan en me faisant confiance à moi et aux dragonniers. Alors lorsque j’ai demandé au peuple de choisir s’il voulait rejoindre l’alliance ou redonner une chance à votre frère pour les diriger, il me fallut les écouter malgré ma propre volonté. J’ai choisi le peuple. J’ai risqué notre amitié, j’ai perdu mes alliances à la cour, j’ai du m’acoquiner avec des dirigeants dont je ne partageais pas les valeurs, comme je l’avais déjà fait auparavant. J’ai dû obéir aux ordres de Caladon et de Délimar et laisser la campagne que je voyais déjà grasse de champs de blé, se gorger du sang versé par les fratricides. Pour le peuple. Avec hésitation et douleur, mais sans fléchir.
Si par votre silence vous souhaitiez contester et me reprocher mes choix, sachez que je peux l’accepter. Moi aussi j’aurai préféré qu’il en fut autrement. J’aurai préféré que votre famille réussisse à garder l’humanité unie en retrouvant son équilibre d’antan. J’aurai aimé vous assister de loin, continuer à vous enseigner les arts magiques tout en m’occupant calmement de mon corps souffrant, de ma famille qui me manque et de mes nouvelles vignes que je souhaite voir pousser sur notre terre d’asile.
Mais je reste un homme de pouvoir et c’est un fardeau dont on ne se débarrasse jamais vraiment, comme le seigneur Avente et moi-même le prouvons encore aujourd’hui, comme vous devez certainement commencer à le réaliser désormais. Ne le laissons cependant pas alourdir nos relations d’une rancœur mal placée et commençons à réparer les erreurs du passé, en faisant fi de nos griefs personnels respectifs.
Dans l’espoir de vous lire à nouveau sous un jour plus clément,
Tout mes vœux de réussite accompagnent l’aube de votre règne.
Votre vieil ami et mentor,
Balthazar Emerloch."
" À Sa Majesté Victoria Kohan,
Impératrice et Héritière de la prestigieuse lignée des guides ancestraux de l’humanité.
Eu égard à votre histoire familiale, à la dette que notre race toute entière vous doit, à votre récente accession au trône et à la couronne de l’empire Sélénien, je me permet, moi, Balthazar Emerloch, de vous présenter mes hommages.
Je tiens solennellement, et ce malgré les allégeances contraires qui m’attachent loin de vous, à vous présenter mes plus sincères félicitations. J’applaudis avec un profond respect l’humilité de votre frère de stopper sa prétention à la régence du royaume, pour se concentrer sur ce qu’il sait faire de mieux : partir à l’aventure sur le dos de son dragon pour défier l’inconnu. Votre frère a toujours eu une âme de chevalier, qui n’est pas sans me rappeler celle du mien. Quant à vous, je me félicite d’avoir su vous aiguiller dans vos jeunes années sur les voies sinueuses de la diplomatie et d’avoir su déceler assez tôt votre appétence pour la direction des affaires plus subtiles et délicates. Vous serez sans aucun doute, et c’est mon expérience qui parle, une souveraine exemplaire, dont les qualités serviront parfaitement les besoins de votre nation et de votre trône, qui traversent actuellement des temps troublés.
Il me coûte de vous envoyer cette missive car j’abuse de mon statut de représentant du peuple, et des volontés démocratiques qui s’inscrivent désormais dans la ligne politique à laquelle je me dois de rester fidèle. Si je me permet cette incartade dans le domaine de la relation internationale sans avis préalable de mes concitoyens auxquels je rend mes comptes, c’est pour briser ce silence pesant que vous m’infligeâtes en cessant tout contact avec moi depuis cette guerre civile de malheur que je regrette chaque jour un peu plus.
J’ai appris vos intentions de visites diplomatiques tout autour de l’île et j’approuve votre initiative et cette envie de recréer le dialogue. Certaines valeurs contradictoires dans nos camps respectifs n’avaient pas lieu de créer un conflit et une scission telle que nous l’avons connue. Nous avons su mettre de côté nos griefs face à notre ennemi commun, les chimères, à deux reprises. Sujets du royaume et citoyens de l’Alliance, dragonniers et dragons libres, Vampires et Elfes, Graärh et Pirates… L’union est toujours possible, l’histoire nous le prouve, et je vous ai toujours connu attentive aux leçons laissées derrière par les échecs et les réussites de vos aîné.
Il me semblait alors important, avant que nous ne nous retrouvions au devant de la scène, masques diplomates présentés au public, de rétablir le dialogue, même de façon épistolaire. Je n’ai plus l’âge de jouer sur différents niveaux de lecture et de faux-semblant, mon temps et mon énergie se font rares et ne peuvent plus aller à ce genre de machinations, et je n’ai plus autant à perdre à risquer la clarté de mes intentions. Ainsi je vous déclare sans concession avoir été blessé par votre silence imposé, malgré la compréhension que j’ai de votre attitude. Vous avez certainement eu trop à faire pour vous soucier d’un vieillard qui girouette de drapeaux en drapeaux, et avez certainement dû vous concentrer sur vos alliés les plus proches avant de penser aux traîtres. Il me semblait cependant que nos échanges et notre amitié pouvait se targuer de voler plus haut que les divergences imposées par les vents politiques qui nous secouèrent tous à différents degrés d’intensité. Il me semblait également avoir tourné le dos à la couronne sélénienne, et non à la tête qui la porte, et que je pouvait compter sur celle-ci pour discerner les intentions du cœur, du sens du devoir.
Sachez donc que cette « trahison » n’est pas le fruit d’une réflexion froide aux ambitions bassement matérielles et politiques, mais d’un dilemme douloureux entre deux priorités qui m’étaient chères et qui déchirèrent mon âme de fervent serviteur de la couronne Kohan.
Lors de notre installation sur Calastin, j’avais pris la décision, à l’instar du seigneur Avente, de prendre une retraite paisible pour finir mes vieux jours au calme, loin de la scène politique. Ce monde m’était inconnu, ma fortune et mes possessions disparues, mes racines anéantie. Je pensais que Tiamaranta était un nouveau monde où je ne pouvais plus me permettre de garder une place. Mon coeur saigne encore de revoir Ambarhuna et il ne cessera jamais de cicatriser. Seulement, mon devoir enchaînait ma personne, mon savoir et ma qualité de meneur, à la tâche qui était de guider le peuple. De guider ces gens qui avaient quitté leurs foyer et traversé l’océan en me faisant confiance à moi et aux dragonniers. Alors lorsque j’ai demandé au peuple de choisir s’il voulait rejoindre l’alliance ou redonner une chance à votre frère pour les diriger, il me fallut les écouter malgré ma propre volonté. J’ai choisi le peuple. J’ai risqué notre amitié, j’ai perdu mes alliances à la cour, j’ai du m’acoquiner avec des dirigeants dont je ne partageais pas les valeurs, comme je l’avais déjà fait auparavant. J’ai dû obéir aux ordres de Caladon et de Délimar et laisser la campagne que je voyais déjà grasse de champs de blé, se gorger du sang versé par les fratricides. Pour le peuple. Avec hésitation et douleur, mais sans fléchir.
Si par votre silence vous souhaitiez contester et me reprocher mes choix, sachez que je peux l’accepter. Moi aussi j’aurai préféré qu’il en fut autrement. J’aurai préféré que votre famille réussisse à garder l’humanité unie en retrouvant son équilibre d’antan. J’aurai aimé vous assister de loin, continuer à vous enseigner les arts magiques tout en m’occupant calmement de mon corps souffrant, de ma famille qui me manque et de mes nouvelles vignes que je souhaite voir pousser sur notre terre d’asile.
Mais je reste un homme de pouvoir et c’est un fardeau dont on ne se débarrasse jamais vraiment, comme le seigneur Avente et moi-même le prouvons encore aujourd’hui, comme vous devez certainement commencer à le réaliser désormais. Ne le laissons cependant pas alourdir nos relations d’une rancœur mal placée et commençons à réparer les erreurs du passé, en faisant fi de nos griefs personnels respectifs.
Dans l’espoir de vous lire à nouveau sous un jour plus clément,
Tout mes vœux de réussite accompagnent l’aube de votre règne.
Votre vieil ami et mentor,
Balthazar Emerloch."