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Ipsë Rosea31 Août 1763

Balthazar était perdu dans ses pensées. Et par conséquent il grommelait. Il parlait dans sa moustache, énonçait des bouts de phrases sans rapport entre elles et incompréhensibles. Il émettait des bruits de cordes vocales éraillées par le temps que seules les vieilles personnes savaient produire. Ce qui avait le don d'agacer son épouse, Esobelle, qui patientait à ses côtés sur les fauteuils d'osier tressé de leur terrasse. Ils attendaient l'arrivée d'un invité et l'attente était pesante. La chaleur du mois d'août était lourde, elle frappait le lac et les pavés blanc de la cité à influence elfique pour éblouir, elle étouffait l'air remué mollement par les éventails. Ils ne pouvaient même plus faire souffler la brise pour se rafraichir à cause des perturbations magiques...

"Je connais ces grommellements. Je te préviens, tu n'as pas intérêt à être mal luné alors que nous recevons le Parangon du clan Elusis ! C'est une personnalité influente, même s'il n'a pas de territoire et que son peuple est dispersé, son influence est étendue, et son savoir magique très respecté dans la ville. Tu dois le considérer comme un allié précieux de la Loge, un héros de la bataille contre les chimères, pour eclipser sa nature vampirique aux yeux de la population. Si nos concitoyens ont pu accepter avec un peu de persuasion de notre part l'arrivée des elfes, il va falloir redoubler d'efforts pour ce qui est des dents longues. On ne parle pas de les accueillir, dieux merci, mais simplement d'une visite diplomatique et tout doit bien se passer si tu veux vraiment que l'idéal d'entente entre les peuples voit le jour. Tu m'écoutes toujours ? Mon amour ? Balthazar !"

Clignant des yeux comme pour se débarrasser de la fixité de son regard et de ses idées, l'Archonte de la cité du lac d'émeraude reporta son attention sur son épouse.
"Hmm... oui, oui, ça va, ça va, j'écoute. Je ne suis pas mal luné, ma chère, quand bien même j'en aurais le droit, et ce n'est pas à cause du parangon Elusis, oh non. Si l'être que l'on m'amenait aujourd'hui se réduisait seulement à ce que tu décris, je n'aurai pas l'ombre d'une crainte. Le parangon Elusis ! Cette désignation n'est qu'une broutille, à côté de l'aura historique dont se pare le personnage. Le chef d'un clan vampirique, ça n'a plus la même aura de frisson qu'il y a dix ans, et ce n'est rien face à ce qu'il était lorsque nous fûmes contraint de collaborer." les lèvres pincées du vieillard s'étirèrent en un sourire amer et il se remit à fixer les eaux du lac d'un air pensif, avant de reprendre :

"Une question me taraude depuis que j'ai connaissance de cette visite. Au mois de juillet, lors des travaux dans la ville et lors de la fondation de la Loge, je n'ai pas souhaité m'entretenir avec lui en privé. J'ai repoussé l'échéance jusqu'à maintenant et j'espère avoir saisi la bonne occasion.
La question est la suivante : Quel spectre ressurgi du passé m'amène-t-on aujourd'hui ? Un spectre vengeur ? Une urne funéraire, vide de tout souvenirs ? L'esprit clair et serein de la rédemption ? Ou un mélange grotesque des trois peut-être... Je ne sais pas. Je ne m'explique toujours pas sa ré-apparition, et je ne sais si la pudeur m'autorisera à aborder ce sujet..."
son attention sembla à nouveau voleter au loin, perdu dans son esprit trop vaste, trop rempli.

"Mais de quoi parles-tu enfin ?! Tu ne voudrais pas tout annuler alors que notre invité est sur le point d'arriver quand même ?! C'est toi qui a insisté pour qu'il loge chez nous, et qu'il passe nous voir avant d'aller à la tour de la Loge, car tu voulais lui parler en privé. Fais bonne image et comporte toi comme d'habitude lors des rencontres diplomatiques, cela ne t'a jamais posé de problème auparavant, si ?" répondit sa femme sur un registre beaucoup plus terre à terre et un ton plus énergique que le sien.

Que cela avait le don de l'agacer ! Ne pouvait elle pas voir l'issue dramatique qui lui était imposée par le destin ?! Fallait il toujours qu'elle prive chaque minute de réalité de sa magie pour la ranger bien sagement dans un agenda politique réglé au millimètre ?!
"Esobelle ! Cet homme était mon autorité référente lors de la Théocratie ! Il était soumis mentalement à la volonté du Tyran certes, mais il était Haut-Juge ! Sous ses ordres nous avons commis... d-des choses... des choses terribles ! Et... j-je ne pourrais pas écarter ce fait de ma conscience lorsque je serai confronté à lui !" sa voix était tremblotante, mais pleine d'émotion. Il s'était d'ailleurs levé pour retirer une couche de vêtement inutile qui l'étouffait de chaleur.
"Je ne pourrais pas empêcher ma mémoire de se rappeler cette époque et les événements tragiques qui l'ont marquée au fer rouge. Faire comme si cette rencontre n'était rien de plus qu'une simple démarche de courtoisie m'est impossible ! Peste ! Rien que de t'en parler j'en ai déjà la gorge pleine d'acidité et les jambes qui tremblent !" repit-il sur un ton plus fluide mais toujours agité.

"Assied toi et respire mon chéri. Veux tu que je te fasse préparer une tisane fortifiante ? Veux-tu aller t'allonger ?" répondit Esobelle d'un ton apaisant après avoir laissé quelques instants de silence passer.

"Non... merci... J'ai seulement besoin d'être seul quelques instant... oui c'est ça, je vais le rencontrer seul. Il y a certaines choses que je ne souhaite pas voir aborder devant toi. Je te ferai un compte-rendu après si tu le souhaite mais j'aurai l'esprit plus serein si je n'avais que de moi, et de lui, à me soucier pour l'accueillir."

"Ça ne me plait guère mais soit, je peux comprendre. Courage, ne t'épuise pas trop et fait moi appeler si tu as le moindre souci." dit elle en se levant et en quittant la terrasse d'un pas rapide.

"Je te remercie mon amour."

Balthazar reprit sa contemplation du paysage. Il aurait du pouvoir profiter de cette vue, installé confortablement sur la terrasse d'une demeure respectable, dans une cité de haute culture, raffinée, avec un luxe relatif mais orienté vers le confort de la vie de ses habitants. Un cadre idéal pour passer sa retraite et rester tout de même au cœur de l'effervescence mondaine. Mais il attendait dans l'incertitude, et de ce fait, ne pouvait espérer se détendre avant la fin de son attente.
Ce que ses yeux voyait, en lieu et place du lac d'émeraude, sur Calastin, dans l'archipel de Tiamaranta, c'était l'absence des formes du paysage de son domaine natal, qui lui manquait. Ce monde n'était pas le sien. C'était celui des dragonniers, des dragons sauvages, des plantes et animaux fantasques, des pirates, des hommes-félins, des chimères. Lui, figure ancienne et gardiens de coutumes désuètes, aurait du s'effacer après tout ce qu'il avait fait sur l'ancien continent, et surtout après tout ce qu'il n'avait pas fait pour le sauver. Malgré tout, il était encore là, sur le devant de la scène politique, après avoir changé d'allégeance pour la troisième fois.
Et Achroma était encore là lui aussi, occupant lui aussi un rôle nouveau. Quelle place pouvaient bien mériter deux hommes comme eux, dans un monde qui ne gardait aucune trace du sang versé ensemble ? Autant le leur, que ceux des autres...
D'autres questions flottaient dans ses réflexions tandis qu'il rongeait son frein. Grâce à son don de l'hirondelle il transmit à quatre gardes de confiance, chacun en poste à l'une des portes de la cité, un texte de bienvenue à destination de son visiteur.

"Cher Parangon du Clan Elusis,
C'est un plaisir de vous recevoir à nouveau dans notre cité. Veuillez m'excuser de ne pas descendre au pied des murs, je ne voudrais pas vous imposer ma démarche de vieillard lors de l'ascension des rues de la ville. Pardonnez moi de vous solliciter alors que les travaux sur la magie requièrent votre attention, mais il me semblait important de m'entretenir en privé avec vous. L'occasion ne s'était pas présentée dans l'effervescence du mois dernier, suite à mon élection et la fondation de la Loge, et il y a certains sujets que j'aimerai aborder en votre seule compagnie. Le garde vous indiquera le meilleur chemin jusqu'à ma demeure, j'espère que les derniers aménagements de la ville vous plairont."

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Les bagues ornant sa lourde chevelure tintinnabulaient doucement au rythme des cahots de la route, les sabots de sa monture elfique claquaient sur les pavés et les harnachements de cuir grinçaient doucement dans le silence relatif de leur cheminement. Aucun des quatre enfants de la nuit n'émettait le moindre commentaire, avançant en silence et de concert en une troupe disciplinée. Mages tous les quatre, ils chevauchaient vers le havre d'Ipsë Roseä afin de participer à un sommet bien spécifique, ou du moins était-ce là le prétexte officiel. La richesse de leurs relations ainsi que ce sauf-conduit leur permettait de quitter les terres de la lune pour celles de l'alliance, ce sans éveiller le moindre soupçon. N'aurait-il pas été déplacé de se défier de ces figures promptes à partager leur savoir afin de permettre une nouvelle symbiose avec la magie dont ils étaient tous issus ? Et la Loge et ses hôtes avaient autant à leur apporter qu'eux avaient à offrir. Pourtant, leur participation s'avérait litigieuse. Leur temps ne serait-il pas mieux utilisé à ancrer les clans dans la société Sélénienne ? La question s'était posée, à maintes reprises, et à maintes reprises, l'Aîné l'avait balayé d'un revers serein de la main. Participer aux efforts de la Loge ancrait également leur peuple, et étendait un réseau de relations plus que nécessaires. L'heure était à la socialisation après tout.

Et c'était pour cette même raison qu'il avait décidé de céder à l'insistance de l'Archonte plutôt que de lui refuser sa soudaine toquade. Lors de leur arrivée commune en Tiamaranta, les vampires avaient été les victimes impuissantes d'une machination étendue et rusée. En leur allouant les terres de Paadshail, humains et elfes avaient réussi à les isoler, circonvenant tout problème futur par la simple simple équation d'un très mauvais artisanat et des conditions naturelles de l'Archipel. Coincés en ces terres gelées, les vampires avaient été non seulement mit au rebut mais également contraints d'accepter la charité ou des conditions intolérables d'accession à tous les savoirs-faire et les richesses qu'ils nécessitaient pour croître et espérer progresser. S'ils n'acceptaient pas, ils dépérissaient, s'ils acceptaient, la dette s'élevait exponentiellement. De prédateurs, ils étaient devenus des proies vulnérables. Mais cela changeait. Tout cela, ces machinations, cette saignée, ces humiliations, tout cela viendrait bientôt à son terme. Et s'il devait sourire et socialiser pour cela, il le ferait. Redorer l'image vampirique lui servait grandement et servait ses alliées, et dans l'image même d'Achroma, l'antique prince nordique avait trouvé une arme proprement terrifiante à cet usage. L'Aîné jouissait d'une réputation extraordinaire, et s'il ne se reconnaissait toujours pas pleinement en lui, et même moins à présent, il appréciait cette aide inattendue.

Il avait accepté. L'Archonte possédait lui aussi une solide réputation et cet homme l'intriguait. Son insistance l'intriguait. Alors il pouvait bien jouer les mondanités pour quelques heures, non ? Il s'en sentait pour l'heure l'humeur, à tout le moins. Aussi, lorsqu'il se présenta avec les siens aux portes de la ville et reçu le message du maître des lieux, le vieux vampire se contenta de remercier le plus courtoisement du monde les hommes d'armes qui l'observait avec des yeux ronds avant de guider sa monture vers la demeure de l'Archonte. A ses côtés, sa sœur, Cymorill, observait la ville avec une curiosité teintée d'amusement. Pour la première fois, elle contemplait une ville qui n'était ni Caladon, ni un champ de ruine. Cela devait agréablement lui changer. Pour sa part, l'inspiration elfique des lieux lui déplaisait profondément malgré la perfection architectural. Sans doute était-ce un reste de son éducation nordique, mais voir ce hameau humain transformé dès l'arrivée des elfes lui laissait une étrange impression. Un lieu d'accueil de tous hein ? Un lieu de tolérance, hein ? Mais un lieu unanimement elfique pour autant. L'ouverture aux autres ne pouvait donc pas passer par une architecture humaine ? Les constructions elfiques étaient-elles donc les seules à la hauteur d'une telle tâche ? Pour des réfugiés, il les trouvait bien prompte à engloutir le bras attaché à la main tendue.

Eux n'avaient pas fait autant de manières lorsque Sélénia avait eut la bonté de leur ouvrir ses portes. Mais il fallait croire que les nombreux écueils de la race nocturne leur offrait meilleur accès à, disons, l'humilité. Ou au moins à un semblant de conscience sociétale. Coi de tout cela, il n'en partagea qu'un regard entendu avec Luë, son second et capitaine. Comme lui, le vétéran taisait ce qu'il pensait au profit… du profit justement. Ils n'étaient pas ici pour se mettre les autres à dos mais pour en tirer des bénéfices. Son escorte s'arrêta avant la grande demeure, trouvant à se loger auprès de l'une des maisons d'invités de la Loge. Lui poursuivit seul son ascension. Devant les portes, il présenta son nom et l'invitation qu'on lui avait faite et entra enfin. Néanmoins, il demanda un moment pour se remettre de son long trajet et se redonner une mine à peu près présentable. Cela faisait trois jours qu'ils chevauchaient sans le moindre arrêt, n'ayant pas besoin de dormir, et le contre-coup se faisait sentir. S'il l'avait pu, il aurait préféré naviguer, en profitant des pouvoirs de la Vagabonde. Une fois un peu plus frais, il fit savoir sa disponibilité au maître des lieux et attendit que celui-ci puisse le rencontrer. Curieux des intentions de cet homme, il jouait la passivité, attendant de voir le ton qu'il donnerait à une telle entrevue, aussi, lorsqu'ils furent face à face, le vampire se fendit d'un salut courtois mais sans connotation.

« Que les étoiles veillent sur vous, Archonte »

N'était-ce pas là la formule elfique consacrée ? Ironique d'ailleurs, de choisir les étoiles alors que les elfes s'étaient tant opposés aux vampires, fils et filles de la nuit et de l'obscurité étoilée. Il l'observa, visage marmoréen impassible, ses yeux de lagon luisant avec une apparente sérénité. Un silence, un très bref instant. L'homme face à lui semblait aux portes de Mort, le cœur affaiblit malgré une présence certaine. Et il y avait quelque chose chez lui, quelque chose qu'il n'aurait su placer avec exactitude. Une chose qui titillait encore davantage sa curiosité et par conséquent, sa bonne volonté manifeste à jouer le jeu de la politique.

« Votre missive, comme votre invitation, étaient des plus vibrantes. Je suis curieux de connaître les sujets dont vous souhaitiez m'entretenir »

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"Et qu'elles illuminent l'heure de notre rencontre, Parangon ! Enfin, il me semble que la traduction se rapproche de quelque chose de ce goût là. Laissons là les elferies, ma maison, comme le reste de ma cité, vous accueille avec suffisamment de leurs lubies culturelles pour que vous vous donniez la peine d'en rajouter." dit-il en gage de salutation sur un ton qu'il voulait léger et plaisantin. Une tension subsistait légèrement dans sa manière de bouger la mâchoire, un peu serrée, mais cela pouvait passer pour un tic dû à son grand âge.
"Je suis ravi que vous ayiez accepté mon invitation et c'est avec plaisir que je vous accueille au sein de ma demeurre. Si vous voulez bien me suivre..."
S'appuyant sur sa câne et partant de sa démarche clauquediquante, Balthazar mena la marche en pénétrant dans sa maison, invitant son invité à faire de même.

Bâtie sur des fondations de pierres du plateau de calastin, l'édifice ressemble à toutes les autres maisons du haut-quartier de la cité, à cause de la construction rapide du lotissement. La partie aparente de la structure est entièrement en bois, avec moult piliers et hautes arches enchevêtrés et ennuyeusement surchargés de symboliques sylvestres. La demeurre se traverse en un long couloir qui donne accès à l'ensemble des pièces et qui comporte un âtre central chaleureux. Tout au fond, la demeure s'ouvre en grand sur une petite cour intérieure pourvu d'un bassin rond, où des nénuphars révèlent partiellement les tâches orangées des petites carpes du lac d'émeraude qui mangent paresseusement les occasionnels bouts de pain que jette la petite fille du maitre des lieux. Un plafond végétal de lianes tombantes maintient l'espace dans une semi-obscurité constante, que l'on peut illuminer à l'aide de globes luminescents elfiques, lorsque la magie ne fait pas des siennes...
En suivant le plafond végétal et en ouvrant les rideaux d'extérieur, la terrasse se révèle et la lumière du jour peut éblouir le visiteur, autant que la vue splendide surplombant l'étendue profonde des eaux du lac et les vallonnements des terres environnantes. De grand panneaux de bois et autres arches recouverts de végétation, dénotent du reste de l'architecture, et sont marqués des imperfections indubitablement humaines. Le bois est plus sombre, plus brut, les sculptures de raisin et d'oiseaux plus grossières, plus épaisses et opulentes. Ici la vigne s'étaient imposée en maitresse, par rapport aux lianes elfiques. La vigne et le héron étant les symboles de la famille Emerloch, cette zone de la maison était donc un rajout personnalisé récent, une volonté d'affirmer la personnalité des habitants de la maison au-delà de leurs place dans la société.

"C'est un lieu de vie de luxe que ma fonction me permet d'occuper. Fut un temps, vous m'auriez sûrement entendu me pâmer de jouir d'un tel confort de vie. Hélas, je crains d'avoir perdu un peu de mon goût pour le faste et le raffinement elfique. Surtout à cause de leur obsession maladive pour l'ouverture aux éléments, qui commence à peser sévèrement sur mes vieux os et mes nerfs. Leurs habitations sont déjà remplies des courants d'air venus du lac et des côtes, et ils ont cru bon de rajouter encore de l'humidité en creusant un bassin... Mes articulations ne cessent de grincer mais les femmes sont ravies et n'en ont jamais fini de s'émerveiller."
Il fit une pause pour laisser le temps à son invité de s'asseoir sur les fauteuils d'osier jouxtant la table où étaient posés la colation. Une bouteille de vin était posé d'un côté, une fiole au contenu rouge sombre de l'autre.
"J'avais prévu de quoi vous requinquer après votre voyage. La ponction date de ce matin. J'avais presque oublié ce que c'était de vous servir votre sang..."

Si seulement les visages des malheureux dont le fluide vital allait être englouti cessaient de se rappeler à son esprit... Combien de torturés, combien de rebelles interogés... combien de gorge ai-je offerte à tes crocs pour sauver la mienne ? Combien de litres ai-je fait couler dans ta gorge, Haut-Juge Théocrate ? Trop certainement.

Balthazar s'assit péniblement et soupira. Parler aussi normalement à cet être ressurgi du passé avait quelque chose de trop étrange à son goût. Il ne se sentait pas à l'aise de maintenir une ambiance cordiale alors que des souvenirs d'une époque sombre se rappelaient à lui. Il ne comptait pas poursuivre plus longtemps le bavardage de politesse. Il n'avait plus ni l'envie, ni l'energie, ni le temps de jouer trop longtemps à l'hôte affable, noyant ses hôtes sous les flatteries, les mondanités et la bonne chère. Le temps est une ressource rare, surtout quand les respirations commencent à coûter et à compter.

"J'avais besoin du cadre privé pour vous entretenir de certains sujets qui ne se prêtent guère à l'obsession démocratique de la Loge ou du conseil de Tarminas, à vouloir jeter en pature à l'agora le moindre sujet de conversation." une légère amertume transparaissait de cette remarque. Noble par excellence, Balthazar négociait avec ses adversaires et ordonnait à ses collaborateur. Qu'il doive désormais composer avec les dicordes de son propre camp, à pied d'égalité avec les bourgeois, artisans et paysans et devoir entendre leurs complaintes lors de réunion interminables... il y avait parfois de quoi fulminer.
S'installant confortablement, se servant un verre de vin, il se prépara à rentrer dans le vif du sujet et repris d'un ton grave :

"J'avais besoin du cadre privé pour régler certains questionnements qui me taraudent l'esprit depuis quelques temps. La nouvelle de votre ré-apparition à la tête d'un clan vampirique a eu le mérite de me surprendre, mais pas autant que celle qui m'annonçait votre retour à la vie... Les rumeurs circulent vite et j'ai déjà entrepris le nécessaire pour m'informer à votre sujet par les moyens détournés habituels, mais j'estime vos paroles et le récit que vous pourrez me livrer, plus précieux encore que les rapports d'espionnage.

Dîtes moi tout d'abord si cette histoire abracadabrantesque de perte de mémoire est avérée. J'avoue avoir du mal à m'imaginer que vos souvenirs précédents votre disparition tragique, soient totalement scellés. Il est certains événnements que nous avons traversé ensemble, certains chocs et certaines épreuves que je ne peut concevoir comme perdus. Les mots "Tyran Blanc" ne peuvent pas vous laisser complètement de marbre, si ? Serai-je désormais le seul gardien des souvenirs les plus sombres de votre histoire, tandis que vous arpentez la terre en toute ingénuité ? Cela releverai d'un tragique des plus absurdes... non vraiment ce serait grotesque…"


Si vraiment l'amnésie était réelle, il n'osait surtout pas penser à l'image de vieux sénile absurde qu'il renvoyait désormais à son interlocuteur. Mais il s'était décidé : il voulait savoir sur quel pied danser avant de rentrer plus loin dans la conversation. Avait-il vraiment l'avantage d'éloquence en bénéficiant d'un savoir supplémentaire sur son interlocuteur, ou était ce un fardeau ?

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Il resta de marbre, retenant un haussement de sourcil circonspect. Ipsë Roseä était remplie d’elfes, se construisait elfique, qu’on lui affirme que la salutation classique elfique était une lubie supplémentaire tendait à le rendre perplexe. Mais soit. Peut-être n’était-il pas le seul à trouver la prise de pouvoir des sylvains un peu dure à avaler. Coi, il se contenta de hocher la tête et de le suivre en calquant son pas sur le sien. Le nordique en lui ne pouvait que se sentir mal à l’aise devant la décoration, même si son esprit vampirique voulait bien lui admettre une certaine recherche. Lui n’était pas habitué au luxe et ne le recherchait guère, car il s’agissait d’un rappel criant à sa vie humaine. Humain, il avait été prince, d’abord Elusis, puis Kohan. Un homme d’importance, choyé et obéit. Aujourd’hui, il était obéit et c’était le principal. Le reste n’avait guère de poids. La diatribe manqua pourtant lui arracher un léger sourire, qu’il ne retint pas tout à fait, le courbant dans une expression de bienveillance amusée à la place de l’ironie mordante qu’il ressentait.

Voilà pourquoi les humains devraient bâtir pour les humains et les elfes pour les elfes

Aucun elfe ne saurait ce que la vieillesse humaine pouvait provoquer, ou les besoins de ces créatures plus délicates. En Caladon, les humains construisaient pour les humains, tout le monde vivait en bonne entente, les besoins de chacun adressés. Mais en ces lieux, à son avis, se dessinait une hégémonie qui n’apporterait que du mécontentement sur le long terme. Cette tranquillité ne pouvait pas durer. Mais évidemment, personne ou presque ne le clamerait. Son regard parcourut le lieu sans un mot, avant de s’échouer sur les flasques. Pourtant, plus que de la satisfaction à pouvoir manger, il ressentit une tension naître le long de sa colonne vertébrale. La formulation le laissait méfiant. Il avait presque oublié ? Etait-il donc également de ceux liés à Achroma, voulant le piéger en priver pour le confronter à des souvenirs encore flous, ou encore absents ? Là se trouvait-il le coeur de la manoeuvre ? Circonspect, il se plaça de l’autre côté de la table, face à l’humain, l’observant attentivement.

Pour autant, malgré son calme, était un aiguillon et seule la présence de ses éclats le préserva d’un mouvement d’humeur malheureux. Ainsi, c’était donc bien un piège. Un sourire courtois naquis à ses lèvres et il inspira profondément, s’armant de patience et d’autant de diplomatie qu’il était possible dans invoquer à ce moment précis. Lorsqu’il parla, sa voix fut calme, composée et tranquille, mais son regard fixe et intense trahissait la véracité du fondement de ses paroles choisies.

Ce qui, assurément, ne me laisse pas de marbre, Seigneur Archonte, c’est d’entendre qualifier une tragédie personnelle de grotesque et d’absurde

Ses crocs faillirent grincer, alors qu’il serrait la mâchoire pour ravaler sa colère. Ce n’était pas la réaction la plus virulente qu’il avait eut à subir mais elle montait sans le moindre doute sur le podium. Est-ce qu’il était si obscure de concevoir la douleur et le handicap quotidien d’un individu n’ayant absolument aucune notion de son passé ? De voir visage après visage, émotion après émotion, sans réussir à y répondre ? La simple dévastation de lutter pour avoir une idée de son futur sans socle passé sur lequel s’appuyer ?

Je crains de devoir vous détromper, en votre certitude que je trace mon chemin avec naïveté. Partout ma route est pavée d’individus se sentant le droit de m'interpeller au sujet d’un souvenir, d’une occurrence, d’un fait. Je vois l’attente dans leurs yeux, et la déception à la constatation que je ne partage pas leur mémoire. Pour beaucoup, ils ont plus de délicatesse que vous aujourd’hui et ne me le placardent pas en pleine figure. Mais cette déception existe, comme le sentiment d’impuissance

Il ne faisait pas exprès, de ne pas savoir, de se sentir un étranger. Mais la rebuffade ne perdait pas en virulence. Et elle était plus terrible encore lorsqu’il posait lui-même la question. Du moins, jusqu’à récemment. Il se reconstruisait pas à pas, mais ces légions de suppliants ne faisaient bien souvent que lui mettre des bâtons dans les roues. Il faisait ce qu’il pouvait avec des éclats épars, avec sa conscience morcelée. Achroma ne cessait de lui affirmer qu’il devait être constant, patient mais en vérité, c’était une plaie.

Je suis mort, Archonte. Pas besoin de l’enrober. Et je suis revenu à la vie. Puisque c’est le premier cas avéré de résurrection dans l’histoire du vieux continent, je pense qu’il est hâtif de qualifier une amnésie d’abracadabrante. Sauf si vous possédez un savoir défiant les archives de tous les peuples, auquel cas je me plierais à votre point de vue et l'étudierai avec plaisir

A défaut d’archives exceptionnelles il avait tout de même avoué ouvertement l’avoir fait espionné. C’était peut-être de bonne guerre mais c’était aussi un motif valable de crise diplomatique. Dans cette situation, il n’était pas porté à lui livrer la moindre information supplémentaire. Les rapports n’avaient pas dû être bien consistants, simplement parce qu’il n’avait rien fait d’exceptionnel à part retrouver Aldaron et sa famille. Il vivait simplement, même sa prise au sein du Triumvirat était très simple.

Vous semblez, à première constatation, très attaché à quoi que ce soit que vous souhaitiez me voir confirmer. Cependant, et sans offense aucune de ma part, je n’ai aucune raison de vous confier la moindre bribe de récit sur ma personne. Je vais être aussi franc que vous avec moi. Vous êtes un étranger, qui venait de me piéger pour parler d’un sujet excessivement délicat pour moi, en usant de mon titre pour prétexter une affaire officielle alors qu’il n’en est rien, et vous avouez en plus me faire suivre. Je doute vous surprendre, après un tel énoncé, en vous affirmant que vous allez devoir me prouver l’importance de votre demande si vous voulez vraiment que je vous donne quoi que ce soit

Il n’y avait que de la franchise dans ses paroles, exactement comme il l’avait dit et le vampire l’invita d’un geste très simple à faire suite à cet énoncé.

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Peut-être Balthazar avait il sous-estimé la sensibilité du sujet qu'il souhaitait voir aborder. Peut-être avait il négligé les bonnes manières et été trop abrupt. Mais il avait surtout négligé ses propres sentiments à l'égard de l'affaire présente. Les vampires n'étaient pas connus pour leurs compassion, il aurait du s'y attendre et le lien qu'il avait partagé avec le Haut-Juge ne pouvait en aucun cas être qualifié de camaraderie, mais tout de même, il avait attendu ces retrouvailles. Il avait espéré pouvoir un jour reparler de ce qui s'était passé, à tête reposée, avec du recul, débarrassé de la folie présente dans l'air du temps et des barrières mentales du Tyran. Et maintenant il était privé de ce moment. Pire que cela, ses attentes étaient déçues, anticipées, et balayées avec indifférence par celui qui devait les remplir et la tension s'était installée dans la conversation. Balthazar voulait parler  de l'Achroma d'antan, l'évoquer, lui parler, apporter la paix à tout ce qui était resté en suspens juste avant son sacrifice. Et cette volonté se heurtait au rejet agacé de l'Achroma d'aujourd'hui pour son passé.
Pendant un bref instant il se sentit las de la conversation et envisagea de présenter des excuses, finir tranquillement cette rencontre sur un arrière goût d'amertume et d'inachevé, pour pouvoir se retirer au fin fond de sa demeure avec sa famille. Après tout, n'était pas ce qui importait le plus maintenant qu'il était sur le déclin ? Faire fi du monde extérieur et se concentrer sur la chair de sa chair, envoyer paître responsabilités et courtoisie... Quelle douce perspective... Si seulement...

Un sursaut de colère vint perturber le calme qu'il avait maintenu jusqu'alors. Il plaça ses deux mains sur son verre et serra pour se contenir. Il écouta en bouillonant son invité et prépara sa réponse cinglante. Il ne pouvait se résoudre à faire comme si ça ne l'atteignait pas. Il avait attendu ce moment assez longtemps pour qu'il le laisse lui glisser entre les doigts. Ce n'était pas parce que son invité souhaitait faire table rase, qu'il devait déjà plier nappes et ranger couverts !

"Ainsi le passé vous indiffère-t-il à ce point ? Quelle inconséquence ! L'impuissance des autres à votre égard n'est que le vague reflet de celle qui vous afflige. Je conçois désormais pourquoi il vous est si simple de vous afficher en plein jour à la tête d'un clan vampirique. Le poids du passé doit sembler bien lourd sur nos épaules, à nous autres pauvre enchainés au boulet du temps, vous devez vous sentir bien léger !"
Le ton était grinçant, cynique et amer. La voix sèche et tranchante entre les mâchoires serrées de l'archonte.
"Vous tracez votre chemin sans naïveté ? Et comment pouvez vous savoir vers quelle direction vous diriger sans savoir d'où vous venez ? Qu'avez vous fait pour retrouver ce passé ? Combien de temps allez vous laissez l'ambiguïté de cette situation vous handicaper et placer les autres dans l'embarras ? À moins que vous ne vous y complaisiez, bien sûr... et que la Mort ait décidé d'emporter votre courage en plus de vos souvenirs..." De grinçant, il était passé à narquois. Mais sans y prendre vraiment de plaisir. Il ne comprennait pas comment l'autre pouvait rester aussi calme. Comment pouvait-il prendre un peu de pouvoir politique, répondre à des invitations de la Loge, se présenter publiquement à la face du monde et dans les batailles, dans un état aussi diminué, au lieu de consacrer tous ses efforts à retrouver sa mémoire. C'était inconcevable, de se pavaner aux yeux de tous, ingénuement, sans le savoir de son passé glorieux. C'était du gâchis de pouvoir, et par conséquent, de la stupidité. Enfin, de son point de vue en tous cas. Il reprit d'un ton plus sérieux cette fois-ci, plus posé, mais aussi plus autoritaire

"Votre tragédie personnelle, votre résurrection, votre amnésie, aussi douloureuses soient elles, ne sont que broutilles en comparaison de ce que nous vécûmes ensemble, de cela je peux vous en assurer. Aussi tragique votre situation soit elle, elle ne vous octroie pas le luxe de traiter avec dédain le deuil que nous portons à celui que vous étiez, et que l'on nous a cruellement arraché." Une pointe de colère sourde venait faire trembler la voix de l'homme âgé. Il aurait presque parut menaçant...
"Je vais vous dire pourquoi la récupération de vos souvenirs est un impératif, pourquoi je vous ai "fait suivre" dans le but de savoir ce qui vous étais arrivé, et pourquoi je pensais vous en parler en personne.
Parce que vous me deviez la vie. Parce que sans moi, vous auriez choisi la mort, vous vous seriez jetté seul dans une embuscade seul, contre toute une troupe de la rebellion que vous combattiez, dans le seul but d'échapper au calvaire qu'étais devenu votre vie. Sans moi, vous seriez tombé sans espoir de rédemption et auriez lentement organisé votre suicide, seul, abandonné et haï de tous. Et vous n'auriez jamais eu l'opportunité de revivre, et d'être confortablement assis ici, vivant malgré tout, en train de siroter une coupe issue de mes propres veines."

Il croisa les bras et gratta l'intérieur de son coude à l'évocation de sa piqure récente. Peut-être qu'il avait légèrement abusé de ses forces et qu'il aurait dû accepter la proposition de sa femme de donner le sang d'un serviteur au lieu du sien. Il n'aurait peut-être pas laissé l'émotion le prendre s'il n'avait pas été aussi affaibli physiquement. Ou s'il avait eu quelques années de moins...

"Je refuse d'avoir payé de ma sueur de mon sang et de mes larmes, pour que vous rejettiez votre passé. La force  pour affronter les épreuves du maniement du pouvoir peut se cacher justement dans la vie qui vous animait jadis, et qui se trouve, qui sait, à un chant de baptistrel des limites de votre conscience. L'achroma que j'ai connu a eu le courage de survivre, d'endurer des tortures spirituelles que personne d'autre n'a eu à endurer à part lui. Il a eu le courage d'espérer et c'est quelque chose que je n'oublierai jamais, et que je ne souhaite pas voir oublié lorsque j'aurai disparu. C'est aussi un atout qui me parait essentiel pour vous de posséder, surtout alors que votre peuple est aussi dispersé et affaibli... Ce n'est que mon avis, mais si vous souhaitez remettre dans le droit chemin les vampires eparpillés, vous êtes le moins qualifié de tous si vous vous sentez perdu dans votre propre psychée."
L'archonte baissa la tête, il trempa légèrement les lèvres dans son verre et laissa l'acreté du brevage envahir ses papilles. Il reprit la parole d'un ton plus solennel et bas. La fatigue du vieil homme reprit ses droits, donnant à sa voix le timbre que seul la vieillesse pouvait donner. Un mélange de regrets acceptés et de nostalgie amère.

"Je souhaitais voir ce qu'il subsistait de vous et vous ne répondez pas aux attentes que j'avais. La responsabilité m'en appartient à moi seul et j'aurai tort de vous en tenir rigueur, certes. Mais ne balayez pas ce sentiment que les personnes qui tiennent à vous ressentent à votre égard, surtout avec autant d'insolence. Vous avez bien plus à gagner en conciliant votre présent et votre passé qu'en traitant avec indifférence ce que vous ne comprenez pas.
Mes manières ont peut-être laissé à désirer et j'ai perdu le tact de mes jeunes années, je vous prie de m'en excuser. Mais ne croyez pas que je ne soit motivé que par le désir de vous tourmenter car pour moi aussi, ce sujet est délicat et je ne l'aborde que parce que cela me semble juste et nécessaire. Ne me prenez pas pour politicien de pacotille Achroma Seithvelj. Je n'essaye pas de vous piéger. Mais simplement de vous aider."


L'humilité n'était pas un concept que le vieil humain appréciait mettre en pratique. Et pourtant il sentait qu'il avait passé les bornes et qu'il était plus juste de porter un regard critique sur ses propres paroles, plutôt que de laisser son ego batailler aveuglement.

"...à ma manière imparfaite de vieil homme défaillant qui vous a, par bien trop de fois, vu souffrir sans pouvoir rien y faire..."

descriptionOn vit tous loin de chez soi, quand on vit trop longtemps EmptyRe: On vit tous loin de chez soi, quand on vit trop longtemps

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Je ne vous excuse pas

Il était calme, sans violence, sans colère. Il était calme mais pas moins tranchant, n’ayant pas la motivation à se montrer accommodant après ce qu’on venait de lui administrer. Le coeur n’avait aucune forme de comparaison ou d’échelle de mesure, ce qui refusait à quiconque à part soit-même l’habilité à sa propre peine. De cela il était certain, mais s’il comprenait l’intérêt et la justesse de ne pas juger un homme par ses actes mais bien par ses émotions, il réfutait lui-même l’obligation de supporter la détresse d’autrui à tort et à travers. Chacun était habilité à sa propre peine, certes, partant, chacun était seul à pouvoir la porter correctement et à pouvoir la faire disparaître. Tout autre ne ferait que l’adoucir sans guère plus de résultat et un seul individu ne pouvait porter le désespoir de centaines d’individus. Il n’avait aucunement envie d’accepter souffrance et humiliation simplement pour faire aller mieux ce vieillard. Et encore, ce mieux était hypothétique, et n’avait rien d’assuré.

Pour toute l’aide que vous clamez vouloir m’apporter et l’affection que vous sous-entendez me porter, je ne vois dans vos éclats qu’un jugement hâtivement porté sur des faits dont vous ne percevez  qu’au travers du spectre de votre douleur personnelle

Cet homme était un animal blessé qui griffait et mordait simplement pour se protéger. Mais il s’y refusait. Ce dédain dont il l’accusait, c’était dans ses mots à lui qu’il transparaissait. Un dédain qu’il avait déjà vivement ressenti à plus d’une reprise, auprès de ces individus qui voyaient leurs espoirs d’Achroma déçus et rejettaient alors toute valeur et toute préciosité à ce qu’il pouvait être hors de leurs attentes. Il l’avait vu dans les rejets frustrés et répugnés, comme s’il n’avait aucun intérêt ni espoir d’exister en toute intégrité s’il ne leur convenait pas. Il se souvenait encore de la façon dont ce chevalier Baptistrel, Seö, l’avait traité, l’étrillant verbalement pour espérer le voir réagir, occultant toute logique et réalité pragmatique simplement par dépit, rejetant sur lui toutes les fautes dont il pouvait s'estimer lésé. Il n’était pas le seul à avoir réagi ainsi. Est-ce qu’il s’était récrié ? Est-ce qu’il avait craché sur eux ? Non, il avait juste essayé de leur expliquer et avait tourné les talons en voyant que cela ne marchait pas.

Non, je ne vous excuse pas et je ne ferais pas cas de votre âge. Si vous étiez défaillant au point d’en devenir involontairement présomptueux, vous n’auriez pas conservé le siège de l’Archonte plus d’une semaine

Pas avec les attentes placées sur ce mantelet et avec une ville en plein développement et en révolution culturelle à cause des elfes. Et si la vieillesse pouvait expliquer une partie de son attitude, il n’allait pas l’absoudre sous ce prétexte. Pourquoi l’aurait-il fait, alors que l’autre ne lui donnait pas la grâce pour sa propre infirmité ? C’était une utopie et néanmoins une saine critique personnelle que de ne demander et de n’accorder que ce que l’on faisait soi-même. En l’état il ne croyait pas au délir ou au manque de contrôle, pas de la part de cet homme et si c’était un compliment c’était aussi une condamnation. Le procédé le dérangeait profondément, que de recevoir une telle invective pour ensuite qu’on lui soumette des excuses. N’en était-il arrivé à cette objectivité qu’après avoir vomi le sang psychique de sa détresse ? Il concevait, mais ne pouvait accepter. Et surtout, s’il avait pu l’accepter d’un autre, d’une figure plus proche, plus affectueuse, cet homme n’était pas même une connaissance.

Vous êtes parfaitement conscient de ce que vous vous permettez de me jeter au visage et je vais être très clair avec vous, Emerloch, je ne suis ni votre catharsis ni une sainte catin que vous ensemenceriez avant qu’elle ne vous serve confess, et encore moins votre espoir d’une forme dysfonctionnelle de rédemption

Il était calme, sans violence, sans colère. Il était calme mais pas moins tranchant, dans sa courtoisie froissée. Il n’était pas un objet, pas une image que cet homme manipulait mais un être de chair auquel on refusait le droit d’exister. Sous couvert d’une aide, sous couvert de bons sentiments outragés, on voulait lui refuser le droit d’être, pour le forcer à devenir. C’était un magnifique miroir de ce qu’on avait infligé à son peuple. Et d’une incroyable violence. Et s’il voulait accepter de reconnaître la souffrance de son vis à vis, il ne pouvait s’empêcher de penser que même si c’était bien l’abandon d’un vieillard, c’était un abandon qui montrait ses vrais sentiments, les excuses en devenant hypocrites, la courtoisie vide. Qu’est-ce qui était le pire en fin de compte ? Il pinça les lèvres, toujours droit. A aucun moment il n’avait touché au sang et maintenant il s’en félicitait. Il ne désirait rien lui devoir de plus. Il parlait avec calme, certes, mais la blessure était réelle et immérité à ses yeux.

Cette discussion, si tant est qu’on put ainsi la nommer, m’apparaît davantage comme une tribune à vos souffrance qu’aux miennes. Il est évident que je suis votre vecteur, mais je n’ai aucunement l’intention de porter vos tourments. Achroma Seithvelj était peut-être un martyr, mais pas moi

Achroma était un homme plein d’altruisme, de ce qu’on lui en avait dit et du peu qu’il se souvenait. Un homme connaissant sa propre force intérieure et qui l’avait dépensé sans compter. Il avait même été bien au-delà de ses limites et cela avait été sa perte. Si quoi que ce fut, il refusait de faire la même erreur. Ce monde ne remerciait pas les martyr. Il voulait conserver son bien-être. Certes, il était prêt à des sacrifices pour les siens, mais pas au prix de son âme. Achroma avait été un héro, mais ce que les autres en comprenait c’était qu’il était utilisable, corvéable au delà de tout, jusqu’à la casse. Il avait cassé, mais seul un petit nombre avaient pleuré l’être qu’il était. Beaucoup avaient pleuré l’opportunité qui n’existait plus. Puis ils s’étaient trouvé un nouvel outil. Aldaron, et d’autres encore. D’autres âmes nobles à broyer pour le stérile confort des autres. Sans merci, sans limites. Cet homme avait-il vraiment vu souffrir Achroma et oser lui parler ainsi ?Si c’était vrai, il était plus condamnable encore.

Vous êtes un étranger à mes yeux et un étranger au comportement plus que discutable, il me semble que ce n’est que logique et mon bon droit d’émettre des réserves à votre égard et de vous demander une motivation aux confidences que vous me demandez. Entendez-moi bien, vous n’êtes ni mon époux, ni mon enfant, ni ma famille. Je ne vous dois rien du tout

Et il n’y avait pas d’insolence là-dedans, juste des faits. Achroma avait fait sa part avant sa mort et depuis son réveil, il savait qui il devait remercier. Il savait à qui il devait des choses, et les absents. Et alors même qu’il lui laissait la possibilité de lui dire pourquoi il lui réclamait des confidences, lui présenter des raisons pour qu’il lui fasse confiance, il subissait cet outrage ? De qui se moquait-il exactement ? Il s’excusait, quelle bonne idée, mais puisqu’il avait prit la liberté d’exprimer sa pensée, lui aussi allait le faire, ne se sentant pas de laisser couler. Il avait décidé d’exister voilà un moment, avec Aldaron, et il ne se laisserait plus faire. Il inspira profondément et lentement, jugulant ses sentiments. Bouger lui démangeait, partir, simplement, mais il avait décidé d’aller au bout de sa diatribe, et il le ferait. Et si après ça l’autre lui cherchait encore des crosses, il radicaliserait l’approche. Mais pour le moment il maintenait son apparence courtoise et calme, parce que c’était le mieux à faire.

Malgré cela, j’ai choisi de vous laisser une opportunité. Je suis navré qu’elle soit si mal remerciée. Vous voulez m’aider ? Commencer par cesser de vous en prendre à moi comme un animal blessé, m’agonir d’injures ne va pas alléger votre peine

Il y revenait. Intérieurement, il avait l’impression que cet homme était seul, et qu’il voulait que quelqu’un souffre en sa compagnie. S’il comprenait la solitude, il n’aurait jamais désiré obliger quelqu’un à souffrir pour lui. C’était une chose qu’il ne comprenait pas. Le gardant pour lui, il se fit néanmoins la réflexion que, puisqu’il tenait tant à évoquer le passé, lui n’avait aucune raison de ne pas mettre un coup d’aiguillon. Ah il voulait se réclamer de la survie de l’Aîné. Soit, ils allaient voir ça très rapidement. Il se souvenait assez bien de l’instant de sa mort pour pouvoir en user. Ah il voulait ses souvenirs, ils allaient bien voir si cela lui plaisait tant quand il aurait rappelé certains faits. Il voulait se croire une aide ? Mais la vérité était plus complexe que cela. Bien plus complexe. Il se souvenait de chaque souffrance de sa mort, de chaque pensée, de chaque instant. Il se souvenait d’une voix qui l’appelait, et de ses propres pensées, sauvages et irradiant l’abandon et le désespoir...

Achroma ne s’est pas sacrifié. S’il a pu vous aider, tous, c’était un simple bonus. Il s’est suicidé. Sa mort, il l’a choisi parce que son existence était trop lourde à porter. Parce qu’il avait prit sur lui pour les autres encore et encore. Il ne savait pas se refuser

C’était très beau d’en parler comme d’un sacrifice mais la vérité, quand on grattait un peu , n’était pas aussi glorieuse. Elle n’était pas destinée à l’être. La romance des guerres en temps de paix existait depuis bien longtemps mais elle ne perdait jamais en ironie. Il était plus avenant d’affirmer qu’Achroma s’était sacrifié. Qu’il avait fait tout cela pour le bien des autrs, l’espoir de vaincre le tyran et tout ce qu’on pouvait inventer de sirupeux. Mais il avait été simplement assez pragmatique pour rendre son suicide utile. Comme une marque au fer rouge causée par le sort de l’enwr, il se souvenait avec une intense précision de chaque frémissement et de chaque pensée. Non, il ne savait pas se refuser, il avait donné, donné et encore donné. Son peuple, le peuple humain, les dragonniers, le Voyageur, le monde… Il y avait toujours quelqu’un d’autre, quelqu’un de plus et ceux volontaires pour s’en occuper étaient peu nombreux en fin de compte.Il y avait toujours quelqu’un ou quelque chose, une cause… Il n’avait pas su s’arrêter.

Vous ne savez rien de moi, ni la façon dont je pense, ni la façon dont je ressens. Rien du tout.

Ses observateurs lui avait peut-être narré ce qu’il faisait mais certainement pas ce qu’il ressentait ou pensait. Et il semblait incapable de l’imaginer par lui-même. Cela, il comprenait, lui-même ne se projetait pas toujours. En revanche, il n’était pas question de l’inventer. De nouveau, il inspira profondément. Lui-même réagissait à chaud, bien qu’il ne le paraisse pas. Au-delà de l’insulte personnelle, cependant, il y avait son sentiment d’injustice à l’égard d’Achroma. Des autres envers lui et inversement. La conscience d’Achroma en lui, qui l’accompagnait et l’aidait, presque un fusion parfois et par d’autres instants fragmentée, il la concevait encore comm un être indépendant de lui. En cet instant, cependant, il n’en voulait pas à l’Aîné de lui faire subir tout cela. Il arrivait à se projeter en lui. Dans l’état d’esprit qu’il avait eut quand il avait décidé de quitter ce monde malgré la souffrance que cela causerait. Et au travers de sa réponse, il voulait aussi rétablir la vérité, peut-être humiliante sur l’instant, mais plus juste.

Vous n’avez rien fait, quoi que ce fut, qui n’ait été plus qu’un sac de sable devant une inondation. Parce qu’Achroma ne cherchait pas la rédemption. Il cherchait à ce que sa souffrance s’arrête. C’était l’unique chose qui lui occupait l’esprit au moment de sa mort. Que ça s’arrête. Il se fichait de la rédemption et du regard des autres. Il voulait juste s’endormir et ne jamais se réveiller

Pouvait-on juste le comprendre et arrêter d’en faire un monde ? Ce n’était pas au moment du suicide qu’il fallait se réveiller mais bien avant, en amont. Arrivé à un tel point de non retour, il n’y avait qu’à accepter. Maintenant, sachant ce que cela avait provoqué chez Achroma, on voulait qu’il se souvienne ? Autant le tuer immédiatement, c’était tout de même plus simple et moins cruel. Il en était là de ses réflexions, balançant entre plusieurs réactions mais sans parvenir à s’empêcher d’aller jusqu’au bout de son monologue maintenant qu’il l’avait débuté. La première fois qu’on lui avait dit la vérité, il s’était sentit heureux, perturbé mais heureux, car il avait retrouvé Aldaron mais maintenant ? Maintenant le sentiment n’était plus si positif. Certes il était toujours heureux d’avoir son Inséparable, et quelques autres mais l’acte en lui-même le perturbait. Les dragons étaient des êtres vivants dans le cycle du monde, qui aidaient à le maintenir soit-disant, alors pourquoi ramener un mort ? Pourquoi cette hérésie?


Si j’avais eu à choisir, il y a de forte chances que je serais resté mort. Parce que cette résurrection est une violation totale de la volonté qu’il a manifesté. Après un millénaire à servir, on lui a refusé le seul acte égoïste qu’il ait formulé. Alors vous pourrez bien vous repaître encore une fois de mes paroles, en profiter pour vous gargariser de mon ‘insolence’ et de mon ‘dédain’ mais pendant un millénaire des centaines d’êtres ont pu égoïstement se décharger sur lui, en lui refusant son droit impérissable à la tranquillité et il l’a accepté. Après ça, vous et les autres vous n’avez rien à dire. Une seule personne en a le droit. Mon Inséparable

Il n’avait plus de compte à rendre pour le reste. Chacun avait payé son prix, mais on tentait encore de lui dénigrer ce qui était fondamentalement sien. C’était une histoire sans fin dont il avait décidé de ne pas jouer le jeu. Il vivait sa vie, avançait sur son chemin, vers ses objectifs. Mais usuellement il lui suffisait de peu pour tenir les importuns à distance. Là il était tombé directement dans le piège en voulant bien faire. Et quoi qu’il en dise, si on lui avait affirmé le sujet de leur entrevue, il aurait refusé de le voir. Parce qu’il n’avait pas envie de recommencer comme à Cordont. Et maintenant quoi ? Il ne s’imaginait pas le moins du monde que l’autre allait simplement accepter ce qu’il lui affirmait. Parce que c’était frustrant et que ça n’allait pas dans son sens. Il ne lui convenait pas, fort bien, mais dans ce cas il n’y avait pas tant d’opportunités devant eux. Soit il acceptait soit il n’acceptait pas. Lui ne pouvait rien de plus pour lui que lui dire ce qu’il était prêt à accepter et ce qu’il ne pouvait avaler.

Quant à un baptistrel, je vous invite chaudement à aller en chercher un, mais si vous le faite sachez que je le tuerais. Tout comme vous, un baptistrel a voulu m’aider en pensant tout savoir, et la seule chose qu’elle a fait fut me torturer. Je ne suis pas le réceptacle de vos attentes et de vos peurs. Je suis un être comme n’importe quel autre et j’ai autant droit à la dignité et l’intégrité

Il détestait les baptistrels. Hypocrites, bien pensant, donneurs de leçons, plein de suffisance et paternalistes. Il détestait cette attitude de sacralisation absolue alors qu’ils n’étaient que des lâches et des bigots. Qu’ils restent sur leur île et lui foutent la paix, il avait déjà ce qu’il désirait d’eux. Rien d’autre ne lui donnerait la motivation de supporter leur présence. Ces individus étaient dangereux et sectaires au possible et rien que l’idée de laisser un de ces mages fouiller sa mémoire le hérissait. Rien que cette stupide apprentie avait prouvé à quel point ils étaient ineptes. Elle n’avait pas un instant cherché à comprendre ou diagnostiqué, elle avait foncé sur une solution de facilité parce qu’elle pensait que c’était la réponse à tous les problèmes et elle avait apprit à ses dépends que ça n’était pas comme cela que ça fonctionnait. Mais pas sans lui faire énormément de mal. Tout ça pour quoi ? Parce qu’elle pensait avoir toutes les réponses ? Avoir l’absolu pouvoir de soulager toute peine ? Imbécile.

Dites-moi donc, alors, si partager vos souvenirs est plus précieux que ma vie

descriptionOn vit tous loin de chez soi, quand on vit trop longtemps EmptyRe: On vit tous loin de chez soi, quand on vit trop longtemps

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Bien sûr il grinça des dents et grimâça au début, lorsque ses paroles furent reprises et déjouées, voire carrément réduite en bouillie par le Parangon Elusis. Se faire remettre à sa place et pointer ses contradictions avec une telle froideur n'avait rien d'agréable  mais Balthazar encaissa malgré tout, gardant son objectif en tête. C'était de bonne guerre. S'il avait voulu cette entrevue, c'était pour provoquer un changement, pour s'alléger l'esprit. Il avait quitté le vampire dans la souffrance, incapable de parler à coeur ouvert, et il fallait contrebalancer cet interdit avec le plus de vérité possible, quitte à faire voler en éclat les convenances et mettre à vif les égos et écueiller quelques rebuffades cuisantes. Mais avoir laissé ses regrets amer s'exprimer avec tant de franchise eu l'effet qu'il avait secrètement escompté, même si la carte de la vieillesse n'excusait pas sa brusquerie. Dommage...

Une partie de lui même ne put s'empêcher de se réjouir que le mordant du vampire n'avait pas disparu. Très bien, il ne se laissait pas marcher sur les plates-bandes et savait répondre, c'était déjà ça de gagner pour lui. Bathazar resta coi et garda ses lèvres pincées afin de ne pas laisser la colère le prendre à nouveau. Il essayait au maximum de passer outre les critiques de son interlocuteur pour deviner ce qu'elles laissaient signifier à propos de celui qui les énonçait. Au moins l'hostilité ouverte et sévère avait plus d'attrait que la courtoisie insipide feinte. Il réfutait avec une attitude terriblement juste la litanie du vieillard et cela attisa le goût de la joute verbale de celui-ci. La litanie du vieillard était réfutée avec une attitude terriblement juste et si le contexte avait été différent, une répartie cinglante aurait commencé à se composer dans son esprit. La personne et non le personnage, se laissait deviner et Balthazar s'en réjouit en son for intérieur car cela était plus bénéfique à la réalisation de l'objectif de l'entrevue.

Il haussa un sourcil, intrigué, par ses paroles à propos du martyr. Quelque chose se devinait à travers ce refus de la souffrance... La négation de sa bonté et la condamnation du sacrifice ? Non ça ne devait pas être cela. L'amnésie ne l'avait pas privé d'amour d'après ce qu'il avait entendu à propos de la relation entre le parangon et l'ex-bourgmestre. L'être qu'il avait devant lui n'était pas un égocentrique. Un chef de clan et un membre d'une famille oui, mais pas un sans coeur ni scrupules. Alors peut-être était-ce... une peur ? La peur de devoir accepter les sentiments des autres ? La peur de se laisser déborder ? La rancoeur et la crainte d'une trahison ? Peut-être quelque chose dans ce goût là. Balthazar comprennnait ce sentiment. Son don de l'hirondelle le dotait d'une grande empathie, qu'il maudissait parfois, mais qui avait le mérite de lui permettre de cerner ceux à qui il parlait, un peu plus vite que la moyenne. Et il comprennait d'autant mieux ce sentiment pour l'avoir vécu et vaincu peu après la chute du Tyran. Il s'était renfermé sur lui même quelques temps, honteux d'avoir perdu son fils et crachant au visage du monde et du destin ingrat, avant d'accepter à nouveau des responsabilités.

Au refus d'accéder à sa demande de confidences, l'Archonte ne fut guère surpris. Lui non plus n'aurait pas cédé gratuitement des informations personnelles à "un étranger au comportement plus que discutable." Dans les négociations, il était d'usage de proposer un prix élevé avant d'entamer une longue phase de concessions pour obtenir un compromis qu'on espérait, au mieux, pas trop insatisfaisant. Tout de même... en être réduit à ce genre de manigance à son âge et avec ce vampire là en particulier... Peste en soit du destin et surtout de lui même pour s'être imposé cette tâche désagréable.

S'entendre dire qu'on attaquait quelqu'un comme "un animal blessé" et qu'on "l'agonissait d'injures" n'avait rien d'agréable et cela le fit grimâcer d'inconfort. Il se demanda s'il n'était pas allé trop loin et son agacement en pris un coup. Il se mit à craindre d'avoir manqué son coup et d'avoir trop froissé le vampire au delà du réparable. Pendant un instant il se crut vaincu, Achroma était trop meurtri et attaché à sa meurtrissure pour pouvoir envisager le reste et il ne parviendrait pas à ses fins. Heureusement celui ci ne se tut pas, ce qui aurait été pire que tout, et au contraire, il commença à hausser le ton.

Et ainsi, en lançant une pique, en souhaitant blesser par ses paroles son interlocuteur, les dernières miettes du masque de convenance éclatèrent pour laisser place à la peine et aux questionnements sans fin de l'âme tourmentée d'Achroma Seithvelj, scindée en deux et tiraillée entre deux personnalités qu'un gouffre belliqueux séparait.

Balthazar encaissa comme il put le nouveau jour qui éclairait les circonstance du décès d'Achroma. C'était un choc de l'apprendre sur un tel ton, à cru, avec la sensation instinctive amère que cette information était la vérité implacable et irréfutable. Ainsi son acte héroïque n'était qu'une eucatastrophe, motivée non pas par de nobles sentiments, mais par le rejet brutal de la vie elle même. Il connaissait précisément sa part de responsabilité dans ce fait.
La culpabilité vint étreindre son coeur avec une force qui en aurait terrassé un autre. Il dut faire appel à toute sa détermination pour garder l'esprit clair et pour repousser à nouveau la possibilité de mettre prématurément fin à l'entretien.
Le choc ne venait pas de la surprise. Ce que lui aprennait Achroma, il l'avait déjà envisagé. C'était cela le pire. La confirmation ne le soulageait que de l'incertitude.

Il savait désormais cependant, qu'avoir laissé libre court à ses sentiments, qu'avoir laché la bride à ses regrets, n'avait pas servi à rien. En effet, la machination du vieillard avait atteint son but, mais Achroma n'en savait rien. Balthazar préférait le reproche chargé de haine et de ressentiments plutôt que la distance et le refus glacial, et il avait donc eu pour ambition de provoquer cette effusion sentimentale, et ce, en montrant l'exemple. "Que ne faut il pas faire parfois... Et pour quel résultat..." songea-t-il avec un soupir amer.

Les paroles suivantes du vampire lui évoquèrent douloureusement son fils, peu avant qu'ils ne soient à jamais séparés. L'adolescence réprimée, l'incompréhension, le besoin d'affection déçu, la communication qui se rompt, et surtout la sensation d'emprisonnement. Il nota mentalement qu'il allait devoir faire attention à ne pas laisser se reproduire la même erreur avec Melchiorée, sa petite-fille, qui approchait dangeureusement de cet âge ingrat. En tout cas, pour l'énergumène présent, cela signifiait qu'il se mettait un peu plus à nu et c'était plutôt bon signe pour les plans de Balthazar. L'empathie de l'hirondelle lui faisait ressentir le bouillonnement du ressentiment d'Achroma, et ce, bien plus que le concerné ne pouvait le deviner. Ainsi il n'était pas tout à fait correct d'affirmer que Balthazar ne savait rien d'Achroma, de sa façon de penser, de son ressenti. Mais il était encore plus incorrect d'essayer de contredire ce fait. Quelle complexité inutile !

Et l'entrevue toucha alors au but. Car la fameuse mort fut évoqué en détail. Dans ce qu'elle avait de plus réel. Ainsi, l'amnésie n'était pas totale ! Il se souvenait ! Il avait en lui l'expérience de la mort, de l'abandon total ! Aux yeux du politicien calculateur et amateur de bizarreries de l'esprit, ce fait suscitait une sorte d'attrait malsain. Attrait auquel il s'accrocha pour échapper à ses envies de réponses cinglantes. Il ne put s'empêcher d'imaginer un terrifiant futur hypothétique.

"S'il arrivait à se relever de ses souffrances et s'il cessait de s'y accrocher comme il le fait maintenant, il pourrait devenir Achroma le prince noir, celui qui par deux fois affronta la mort, et qui par deux fois la devança. Il pourrait faire renaitre la gloire terrible du peuple vampirique, avec un peu plus de charisme et de conseils avisés bien sûr, et plus un homme ou elfe ne dormirait tranquille le soir."
Il balaya ces pensées de mauvais goût et se reconcentra sur les paroles et le ressenti de son invité. Imaginer la grandeur du parangon au fait de son passé lui avait accorder une bouffée d'air cérébrale bienvenue, mais il ne fallait pas perdre le fil sinon tout cela n'aurait servi à rien.

Aussi bizarre que cela puisse paraitre, Balthazar bien qu'attristé d'entendre de si funestes et déprimants propos, se réjouit quelque peu de savoir qu'une trace subsistait de ces sentiments affreux d'auto-mutilation du vampire.
Que les mois avaient été longs sous la surveillance terrible du tyran blanc et sous le commandement du Haut-Juge... Son envie de mourir il s'en souvenait bien, il l'avait même quelque fois partagée et noyée dans la boisson à ses côtés. Et la majeure partie de la peine qu'il avait gardé de côté se leva, rien que de savoir que le vampire n'avait pas tout perdu de leur expérience commune. Ce simple fait suffisait à alléger une partie de sa peine car même un sentiment affreux était préférable au néant de l'indifférence.
Il pouvait éclairer le vampire sur ce qu'ils avaient convenu de faire d'un accord plus ou moins commun et prit de manière plus ou moins conscient.

Pour ce qui était de la volonté d'Achroma de mourir et d'être laissé à son sort, il médita sur sa réponse. La question était délicate. Contredire de tels arguments réclamait du doigté et il allait devoir faire preuve de plus de subtilité qu'il n'en avait fait preuve jusque là. La solution se trouvait peut-être autrement que dans le conflit mais il allait devoir redoubler d'ingéniosité pour s'en dépétrer.

Concernant la remarque acerbe à propos des baptistrels, il ne put se retenir de lever les yeux aux ciel avec exaspératon. Bande d'abrutis de gratteurs de cordes philosophiques ! Ah ça ! Pour voir les vibrations intrinsèques du monde, prodiguer la sagesse et la passivité à tout va et soigner les rhumes il y avait du monde ! Mais pour faire preuve d'un peu de discernement et laisser de côté pour une fois son envie maladive de rétablir un équilibre sain dans l'esprit d'un être, là, forcément il n'y avait plus personne et c'était à lui d'assumer les conséquences ! Des années à méditer, étudier le tissage harmonique du monde et soigner des patients, et ils ne leur étaient pas venu à l'idée que certaines personnes ne veulent pas être soignés ? Et surtout pas en leur labourant la psyché comme un gros boeuf ? Misère... Il ne comprennait pas comment le pouvoir pouvait leur monter à la tête au point d'estimer leur jugement supérieur à celui de leur patient pour tenter une opération psychique délicate, alors que tout ce qu'ils daignaient montrer au reste du monde c'était trois notes de musique et "gnagnaga moi je mens pas moi au moins"... Non mais vraiment...


Il se frotta les yeux et se pinça le nez. Il y avait beaucoup de choses qui avait été dites, et beaucoup de choses à dire. Il se fit un plan mental de son discours avant de l'entamer. Il bénit ses années de débat, ses cours et exercices d'éloquences qu'il avait élaboré et donné, pour et avec le seigneur Avente. Peut-être que sa diplomatie n'aurait pas été de trop en ce moment précis pensa-t-il...

"Que cela vous plaise ou non Parangon, je suis attaché à vous et c'est pour ça que vous m'agacez au plus haut point. L'impolitesse que vous me reprochez, je ne devrais pas avoir à m'en soucier. Nos problèmes sont bien au delà de ce genre de bagatelles. Cela m'insupporte de devoir m'excuser pour mes manières, surtout auprès de quelqu'un qui m'a fait faire de longues séance de torture dans des cachots sordides et m'a infligé de prendre soin de lui quand l'auto-mutilation l'avait porté au bord de la mort. Et pourtant je le fais. De mauvaise grâce, certes, mais je le fais. Et je vais d'ailleurs le refaire s'il le faut.

À la lumière de ma mémoire, l'ombre de votre oubli est un luxe que je viendrais presque à vous envier, si ce n'était l'expérience douloureuse de votre "tragédie personnelle". La tentation d'enfouir le passé, de m'aplatir face à votre inconfort et de cesser de vous importuner, est déjà bien assez difficile à faire taire. Le rôle du tortionnaire sévère qui vient troubler le peu de tranquillité à laquelle vous aspiriez en vous piegant n'est guère plus agréable endosser.
Si cela peut vous éclairer, voilà pourquoi mes paroles peuvent vous sembler égocentriques et insensibles.

Vous avez apporté à ma connaissances des faits nouveaux que concernant les circonstances de votre décès, et après avoir fait fi de mon émoi, la décence m'oblige à vous présenter à nouveau des excuses. Pour vous avoir offensé et pour avoir laissé mes paroles dépasser ma pensée. Que vous les acceptiez ou pas, je vous les présente tout de même.

Je ne peux que regretter que la démarche du baptistrel que vous rencontrâtes, fut entreprise contre votre gré. Cette réaction, quoique largement disproportionnée, est symptomatique de tout ceux qui vous connurent de près ou de loin et qui vous rencontrèrent depuis votre renaissance. Je n'ai pas pour projet de vous obliger à changer votre chant-nom ou quelque bizarerie de ce genre, ce serait idiot de ma part. Il me paraissait juste d'apporter mon renfort à l'apaisement du tourment que l'on devine chez vous et de lever au mieux le voile d'ambiguïté qui s'est élevé autour de vous. Vous avez raison, vous méritez l'intégrité et la dignité. C'est pourquoi il me paraissait urgent, pour votre bien, de mettre en place une bonne fois pour toutes une solution pour éviter que vous ayiez à souffrir des séquelles de votre décès,  à cause de la réaction d'autrui. Mon erreur fut justement de ne pas connaitre ce travers avant de tomber dedans, et de ne pas considérer vos états d'âme avant de vous exposer mes vues à votre propos, d'une manière fort inconvenante"


Il ferma les yeux un instant pour se batailler intérieurement. Dieux qu'il avait envie de rajouter à son mea culpa une petite pique cinglante afin de ré-alimenter le conflit. Ce serait tellement jouissif... Quelques années de moins et il aurait peut-être pu céder à l'envie de le secouer comme un pommier pour lui ordonner de cesser de se complaire dans son malheur et de se reprendre en main. Il reprit, usant de toute sa force mentale pour maintenir un ton calme et posé.

"Si achroma a choisi de mettre fin à ses jours, et bien je ne peux que m'en attrister, mais au moins je le sais clairement désormais. C'est une bien triste nouvelle et j'aurai préféré qu'il en fut autrement, mais je la préfère, aussi cruelle et douloureuse soit-elle, à l'illusion. Je connais le prix du mensonge, de l'illusion, du paraitre et du secret, bien mieux que la plupart des gens, Parangon. Contrairement à ceux qui ont pu placer des attentes irréalistes en vous, même malgré eux, je tacherai de respecter cette vérité et de ne pas mettre en cause votre ressenti."

Je ne sais pas grand chose de vous, c'est vrai, ni même de la façon dont vous pensez. Mais j'ai ma mémoire de ce que vous étiez. C'est bien peu, certes, mais c'est tout ce dont je dispose à votre égard et je ne peux que me reposer là dessus quand mes yeux se posent sur vous. Comme la plupart des gens de ce monde que vous allez être amené à rencontrer en tant que personne d'influence, et ce, malgré vos réticences. Et d'ailleurs, peut-être est il plus juste que je partage ce savoir avec vous, afin que vous ne souffriez plus de l'impuissance qui semble tant vous ronger."


Il prit un temps pour réfléchir à la suite de ce qu'il voulait dire et il lui parut important de révéler une partie du passé, aussi douloureuse soit elle, et qui subsistait au coeur de l'affaire sensible qui liait les deux hommes.

"Ce sentiment de désespoir que vous décrivez, je le connais bien et je suis parfaitement conscient de n'avoir pas fait assez pour l'endiguer à l'époque. J'ai même dû, lorsque c'était nécessaire, l'encourager pour le bien de notre entreprise, en respect de votre volonté initiale. C'est ce qui, je pense, rend ma peine si grande et pourquoi je n'ai su la contenir. Car c'est d'un commun accord que nous convenâmes que nos bien-être et survies à tout les deux, était indépendants du but de notre collaboration. Vous y aviez convenu de votre plein gré, lors d'un de vos rares moments de lucidité qui vous coûtaient si cher à cause des malédictions mentales dont vous souffriez. Je vous ai laissé deux choix quand je suis entré à votre service et que vous avez commencé à me suspecter d'être un traitre à l'égide du tyran blanc. Soit vous m'executiez sur le champs et vous passiez le reste de votre existence au service du tyran, en attendant que la mort vous libère. Soit vous faisiez exactement la même chose mais en me laissant en vie et en essayant de me couvrir au maximum afin que nous puissions tenter d'alléger le mal que nous savions devoir commettre malgré nous.

Et vous avez accepté cette deuxième proposition. Cela vous a apporté de la souffrance, à vous beaucoup plus qu'à moi, certes, le contrat n'était pas équitable car vous aviez beaucoup plus à perdre. Mais le vrai choix que vous fites ce jour là, c'était le mince espoir que votre malheur ait un sens que vous auriez choisi, contre l'oubli de vous même et la soumission totale à votre fatalité.
Malheureusement, face au fardeau trop lourd à porter, cet espoir s'est perdu et la souffrance balaya votre conscience au delà de ce qu'il possible de supporter. Je le comprend maintenant."


Il déglutit. Mesurer la souffrance était quelque chose qu'il savait faire. Il le regrettait souvent. Et c'était un de ces moments là. Un bref vertige lui humidifia les yeux et contracta les muscles de sa main fourbue sur sa canne. Il se devait d'avancer. Il devait absolumment essayer de déjouer cet affreux état de fait d'impuissance face au suicide et à la fatalité.

"Si vous aviez eu à choisir... dîtes vous. Peut-être ne vous a-t-on pas laissé le choix sur le moment. Vous n'avez pas choisi consciemment de naitre nordique. Vous n'avez pas choisi consciemment non plus de devenir vampire. Enfin vous n'avez pas choisi consciement ni de mourir, ni d'être réssucité.
Mais votre vie vous appartient, tout comme la possibilité d'en faire quelque chose de bien.

Je peux parler, je peux vous dicter votre conduite et soliloquer des heures durant sur ce que vous devriez faire ou ne pas faire. Notez que cela ne me déplairait pas,  et votre "inséparable" le peut également, avec beaucoup plus d'habileté que moi je n'en doute pas. Nous pouvons dire ce que bon nous semble, nous époumonner jusqu'à ce que vos oreilles en saigne : Vous seul faites le choix d'écouter ou non et d'agir en conséquence ou non. Les épreuves que vous avez eu à traverser vous en ont peut-être convaincu du contraire, mais c'est à vous d'établir ce qu'il est juste de respecter quant à votre intégrité physique et mentale."


S'il fallait revenir aux bases des bases qu'il en soit ainsi, le postulat était posé au moins. Maintenant on pouvait extrapoler un petit peu plus.

"Je vais vous épargner l'éternel sermon que l'on sert aux désespérés et qui ne fait qu'équarrir leur volonté à grand coups de culpabilité. Celui qui consiste à dire que vos proches vous manqueront et que votre mort les attristerait plus que de vous voir vous morfondre. Nous savons tout les deux, vous plus que moi j'en conviens, qu'il est d'une inefficacité et d'une fausseté sans noms.
Vous avez, en tant que vampire, une très longue vie devant vous. Et si les nouvelles assez récentes sont avérées, grâce à la ré-incarnation des âmes, vous avez peut-être d'autres existences plus longues encore devant vous, en tant qu'autre chose. Faites les choix qui vous importent au mieux, mon cher, car c'est avec vous et vous seul que vous allez passer celui-ci et les nombreux autres cycles de vie qui vous attendent."

"Et c'est là qu'intervient, à mon sens, le fait d'accepter, ou non, votre passé. Allez vous vivre dans l'ombre de cette renaissance forcée tout le reste de votre vie ? Alors que le pouvoir est à portée de vos mains ? Et que les dangers qui menacent notre monde, ainsi que vos proches, sont encore nombreux ? Allez vous rester dans cette attitude prostrée et défensive ?

Si vous n'êtes pas le receptacle de mes attentes et de mes peurs, je ne suis pas le receptacle de votre indignation. De votre sentiment d'avoir été piégé. De votre sentiment d'injustice. Mon opinion diverge de la votre en ce point. Nous projetons sur le monde autant qu'il projette sur nous. Je pensais que lorsque vous aviez accepté notre collaboration, vous aviez compris cela. Que ce que nous souhaitons et les actes que nous posont pour que ce monde devienne meilleur, refletaient qui nous étions : des êtres conscients, sinon biens, qui au moins désiraient le bien. Et que refleter sur le monde un tel désir valait les sacrifices nécessaires, pour le salut que nous nous accorderons à nous même."

"Je pense que vous avez assez repris de forces désormais pour arrêter de vous contenter de vous plaindre sans rien faire. Vous avez l'appui de proches aimants et sincères, et c'est un atout précieux que beaucoup peuvent vous envier. Servez vous en. Vous n'êtes pas seul et démuni face à votre passé. Il ne peut plus vous consummer si vous le mettez clairement à jour dans votre esprit. C'est justement en le laissant couver dans le domaine de l'inconnu qu'il présente le plus de menace pour vous car il vous empêchera toujours de trouver une véritable paix intérieure. "


Après avoir étalé toute la sagesse mielleuse dont il était capable, il ne put retenir son envie de porter une petite pique. Tant pis si cela sabotait ses efforts, le tact était un luxe qu'il avait du mal à payer sans s'offrir un peu d'humour grinçant.

"Et puis... Penser que vos émotions, aussi violentes soient elles, soient capables de vous consummer au point d'en mourir... c'est une idée un peu trop adolescente et romanesque venant de la part de quelqu'un qui a la prétention de diriger un clan de créatures réputées sanguinaires, froides et calculatrices..."

"Bref, voici comme je me représente le choix qui s'offre à vous Parangon : Quelle image allez vous projeter ?
Celle d'un être fuyant son passé, renfermé à jamais sur sa souffrance, fermé, agressif, rancunier, envers ceux qui ne sont pas de son clan, de sa famille ?
Ou celle d'un être qui aura eu le courage d'affronter qui il était vraiment, quitte à en payer le prix, pour devenir celui qui affronte le futur sans avoir à se retourner ?"


Si ce choix fatidique était formulé si clairement, c'est parce que dans le cheminement de vie du vieillard, la réfléxion s'était longtemps présentées sous différentes formes afin d'y aboutir ainsi. Tardivement, après avoir été las de passer sa vie à vivre par et pour les autres, par et pour les principes des autres, il avait fait le choix, douloureux mais salvateur, de changer pour au moins tenter quelque chose de neuf. Et de pouvoir aider quelqu'un qu'il considérait en détresse lui semblait inévitable au vu de sa nouvelle ligne de conduite.

descriptionOn vit tous loin de chez soi, quand on vit trop longtemps EmptyRe: On vit tous loin de chez soi, quand on vit trop longtemps

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Les sentiments avaient été nombreux tout du long de sa réponse mais en son point final ne subsistait que la façade qu’il affichait à présent, d’un détachement sombre, contemplatif et dépourvu d’appréciation. Il n’était pas de marbre, loin de là, car ses traits étaient marqués par le ressentiment, mais il se refusait à répondre sur l’instant. Pourquoi ? Parce que la réponse de son vis à vis lui avait fait comprendre, sans le moindre doute, que l’archonte n’était pas en mesure de voir au-delà de ce dont il s’était persuadé. Comme un mantra, il revenait aux mêmes écueils, aux mêmes travers, sans que la conscience de ceux-ci ne perdurent. Alors à quoi bon ? Emerloch avait, par sa seule attitude, déjà répondu à sa première question. Celle qui avait tout déclenché. Il n’avait aucune raison de prêter l’oreille à ses dires. Aucune raison de passer plus de temps en ces lieux ou de se soumettre à la bile d’un vieil homme rongé par son passé et une fin inéluctable. C’était une perte de temps pour lui, et il ne gagnerait rien à poursuivre ainsi. L’endurer à la seule fin de servir les intérêts de son peuple ? Il doutait que l’archonte puisse lui être d’une aide quelconque en vérité. Au mieux était-il le pantin des elfes en ces lieux, mais quels bénéfices pouvait-il retirer du sacrifice de sa dignité et de son temps pour les babillages dont on l’affublait ? Avait-il, autrement, un seul moyen de prendre congé en toute courtoisie ?

Une longue et lente inspiration lui vint, sans qu’il se fende d’une quelconque forme de répartie, pesant encore le pour et le contre. Et s’il le tuait ? Ce serait d’une simplicité enfantine, ce cou gracile se briserait comme un fétu de paille. Mais non, mieux valait la plaie familière plutôt que l’inconnue. Avec cet homme comme fantoche elfique, il savait à quoi s’attendre et n’aurait pas à craindre un nouvel arrivé, ou à devoir chercher des réponses, circonvenir une nouvelle personnalité émergente. Il vivrait donc, pour encore quelques temps, avant que la roue de la réincarnation ne réclame son dû. Pour autant, cela le laissait avec un dilemme : subir en espérant le traire, ou se fermer et devoir abandonner toute idée de profiter de ses moyens. L’attitude de cet homme lui déplaisait souverainement, la violence psychologique à laquelle il recourait était sans précédent, son discours des plus bornés et égoïstes qui soient. Tant de ressentis de sa part, tant de choses qui allumaient la brûlure de l’outrage au fond de lui. Tant de choses qui ne faisaient que renforcer son mépris de la race humaine et de ses revendications. Emerloch n’était, hélas, pas un cas à part, simplement un exemple sortit de la masse. La bile acide de la rancoeur sourdait dans sa bouche, emplissant son palais. Le venin était là mais à quoi servait-il ? Aboyer ne changerait pas les obsessions de cet homme, aucune parole, aucune rebuffade.

Tant qu’il n’était pas certain d’avoir extrait tout ce que la ville pouvait offrir aux vampires, il devrait s’en accomoder. Son peuple avait besoin de lui après tout. En lui, Achroma et Sylath approuvaient tous deux la décision. En paix avec lui-même, il décida de ne plus se laisser autant atteindre par ce que l’autre pouvait lui dire. Il était comme les autres après tout, sous couvert d’affection, son venin n’avait aucune différence. Comme pour les autres, il endurerait. Il l’avait fait jusqu'ici, sa seule erreure avait été de donner de l’importance à cet homme, une opportunité irraisonnée que l’on avait balayé. Fort bien, il n’aurait pas dû se montrer si généreux. Ni si confiant. Pour autant, à présent, s’empêcher de lui répondre vertement était… difficile, c’était le moins qu’il puisse en dire. Cela lui brûlait la langue. A la place, il resserra sa poigne sur son propre caractère ombrageux et lorsqu’il rompit le silence, il fut satisfait de constater que son ton était le plus neutre et le plus calme possible. “Je crains hélas que vous ne soyez ni dieu ni esprit pour dicter les termes de mon image Archonte” Et déjà, le monde le détrompait. Mais il n’avait pas besoin d’éructer pour s’en convaincre lui-même dès l’instant où il avait comprit que le vieillard parlait sans la moindre conscience de ses actes et de ce qu’il avait pu décider ou accomplir. Ses espions n’avaient pas été plus loin que Caladon, une entreprise guère efficace pour comprendre la portée de ses décisions. La vision qu’en avait retiré l’Archonte était biaisée et tronquée et pourtant il la suivait aveuglément.

En fin de compte, nul besoin d’être le cerf duelliste ici, juste le serpent. “Veuillez comprendre que je ne peux ni ne veut croire votre simple parole quant à votre affection. Ce n’est pas ainsi que le monde fonctionne. Je ne baserais rien, ni ma confiance ni mon bien être  sur des allégations sans fondements. Et si vous êtes persuadés de ma couardise, je ne peux, de mon côté, que constater que vous refusez de me donner des raisons et des bases solides pour votre parti. C’est là pourtant l’amorce de toute bonne relation. La preuve. La sanction positive. L’assertion par les faits. Vous me voyez donc désemparé” Son regard, fixe, ne le quittait pas. “Car si vous étiez réellement un allié, ces preuves devraient être aisées à produire” Et cette fois, quel serait le message qu’il enverrait par sa réaction ? Quel chemin prendrait-il ? Il en était curieux en vérité, d’une curiosité presque cruelle. S’il avait des doutes auparavant, tout cela lui permettait au moins de jauger de la valeur de cet homme.

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