Bien sûr il grinça des dents et grimâça au début, lorsque ses paroles furent reprises et déjouées, voire carrément réduite en bouillie par le Parangon Elusis. Se faire remettre à sa place et pointer ses contradictions avec une telle froideur n'avait rien d'agréable mais Balthazar encaissa malgré tout, gardant son objectif en tête. C'était de bonne guerre. S'il avait voulu cette entrevue, c'était pour provoquer un changement, pour s'alléger l'esprit. Il avait quitté le vampire dans la souffrance, incapable de parler à coeur ouvert, et il fallait contrebalancer cet interdit avec le plus de vérité possible, quitte à faire voler en éclat les convenances et mettre à vif les égos et écueiller quelques rebuffades cuisantes. Mais avoir laissé ses regrets amer s'exprimer avec tant de franchise eu l'effet qu'il avait secrètement escompté, même si la carte de la vieillesse n'excusait pas sa brusquerie. Dommage...
Une partie de lui même ne put s'empêcher de se réjouir que le mordant du vampire n'avait pas disparu. Très bien, il ne se laissait pas marcher sur les plates-bandes et savait répondre, c'était déjà ça de gagner pour lui. Bathazar resta coi et garda ses lèvres pincées afin de ne pas laisser la colère le prendre à nouveau. Il essayait au maximum de passer outre les critiques de son interlocuteur pour deviner ce qu'elles laissaient signifier à propos de celui qui les énonçait. Au moins l'hostilité ouverte et sévère avait plus d'attrait que la courtoisie insipide feinte. Il réfutait avec une attitude terriblement juste la litanie du vieillard et cela attisa le goût de la joute verbale de celui-ci. La litanie du vieillard était réfutée avec une attitude terriblement juste et si le contexte avait été différent, une répartie cinglante aurait commencé à se composer dans son esprit. La personne et non le personnage, se laissait deviner et Balthazar s'en réjouit en son for intérieur car cela était plus bénéfique à la réalisation de l'objectif de l'entrevue.
Il haussa un sourcil, intrigué, par ses paroles à propos du martyr. Quelque chose se devinait à travers ce refus de la souffrance... La négation de sa bonté et la condamnation du sacrifice ? Non ça ne devait pas être cela. L'amnésie ne l'avait pas privé d'amour d'après ce qu'il avait entendu à propos de la relation entre le parangon et l'ex-bourgmestre. L'être qu'il avait devant lui n'était pas un égocentrique. Un chef de clan et un membre d'une famille oui, mais pas un sans coeur ni scrupules. Alors peut-être était-ce... une peur ? La peur de devoir accepter les sentiments des autres ? La peur de se laisser déborder ? La rancoeur et la crainte d'une trahison ? Peut-être quelque chose dans ce goût là. Balthazar comprennnait ce sentiment. Son don de l'hirondelle le dotait d'une grande empathie, qu'il maudissait parfois, mais qui avait le mérite de lui permettre de cerner ceux à qui il parlait, un peu plus vite que la moyenne. Et il comprennait d'autant mieux ce sentiment pour l'avoir vécu et vaincu peu après la chute du Tyran. Il s'était renfermé sur lui même quelques temps, honteux d'avoir perdu son fils et crachant au visage du monde et du destin ingrat, avant d'accepter à nouveau des responsabilités.
Au refus d'accéder à sa demande de confidences, l'Archonte ne fut guère surpris. Lui non plus n'aurait pas cédé gratuitement des informations personnelles à "un étranger au comportement plus que discutable." Dans les négociations, il était d'usage de proposer un prix élevé avant d'entamer une longue phase de concessions pour obtenir un compromis qu'on espérait, au mieux, pas trop insatisfaisant. Tout de même... en être réduit à ce genre de manigance à son âge et avec ce vampire là en particulier... Peste en soit du destin et surtout de lui même pour s'être imposé cette tâche désagréable.
S'entendre dire qu'on attaquait quelqu'un comme "un animal blessé" et qu'on "l'agonissait d'injures" n'avait rien d'agréable et cela le fit grimâcer d'inconfort. Il se demanda s'il n'était pas allé trop loin et son agacement en pris un coup. Il se mit à craindre d'avoir manqué son coup et d'avoir trop froissé le vampire au delà du réparable. Pendant un instant il se crut vaincu, Achroma était trop meurtri et attaché à sa meurtrissure pour pouvoir envisager le reste et il ne parviendrait pas à ses fins. Heureusement celui ci ne se tut pas, ce qui aurait été pire que tout, et au contraire, il commença à hausser le ton.
Et ainsi, en lançant une pique, en souhaitant blesser par ses paroles son interlocuteur, les dernières miettes du masque de convenance éclatèrent pour laisser place à la peine et aux questionnements sans fin de l'âme tourmentée d'Achroma Seithvelj, scindée en deux et tiraillée entre deux personnalités qu'un gouffre belliqueux séparait.
Balthazar encaissa comme il put le nouveau jour qui éclairait les circonstance du décès d'Achroma. C'était un choc de l'apprendre sur un tel ton, à cru, avec la sensation instinctive amère que cette information était la vérité implacable et irréfutable. Ainsi son acte héroïque n'était qu'une eucatastrophe, motivée non pas par de nobles sentiments, mais par le rejet brutal de la vie elle même. Il connaissait précisément sa part de responsabilité dans ce fait.
La culpabilité vint étreindre son coeur avec une force qui en aurait terrassé un autre. Il dut faire appel à toute sa détermination pour garder l'esprit clair et pour repousser à nouveau la possibilité de mettre prématurément fin à l'entretien.
Le choc ne venait pas de la surprise. Ce que lui aprennait Achroma, il l'avait déjà envisagé. C'était cela le pire. La confirmation ne le soulageait que de l'incertitude.
Il savait désormais cependant, qu'avoir laissé libre court à ses sentiments, qu'avoir laché la bride à ses regrets, n'avait pas servi à rien. En effet, la machination du vieillard avait atteint son but, mais Achroma n'en savait rien. Balthazar préférait le reproche chargé de haine et de ressentiments plutôt que la distance et le refus glacial, et il avait donc eu pour ambition de provoquer cette effusion sentimentale, et ce, en montrant l'exemple. "Que ne faut il pas faire parfois... Et pour quel résultat..." songea-t-il avec un soupir amer.
Les paroles suivantes du vampire lui évoquèrent douloureusement son fils, peu avant qu'ils ne soient à jamais séparés. L'adolescence réprimée, l'incompréhension, le besoin d'affection déçu, la communication qui se rompt, et surtout la sensation d'emprisonnement. Il nota mentalement qu'il allait devoir faire attention à ne pas laisser se reproduire la même erreur avec Melchiorée, sa petite-fille, qui approchait dangeureusement de cet âge ingrat. En tout cas, pour l'énergumène présent, cela signifiait qu'il se mettait un peu plus à nu et c'était plutôt bon signe pour les plans de Balthazar. L'empathie de l'hirondelle lui faisait ressentir le bouillonnement du ressentiment d'Achroma, et ce, bien plus que le concerné ne pouvait le deviner. Ainsi il n'était pas tout à fait correct d'affirmer que Balthazar ne savait rien d'Achroma, de sa façon de penser, de son ressenti. Mais il était encore plus incorrect d'essayer de contredire ce fait. Quelle complexité inutile !
Et l'entrevue toucha alors au but. Car la fameuse mort fut évoqué en détail. Dans ce qu'elle avait de plus réel. Ainsi, l'amnésie n'était pas totale ! Il se souvenait ! Il avait en lui l'expérience de la mort, de l'abandon total ! Aux yeux du politicien calculateur et amateur de bizarreries de l'esprit, ce fait suscitait une sorte d'attrait malsain. Attrait auquel il s'accrocha pour échapper à ses envies de réponses cinglantes. Il ne put s'empêcher d'imaginer un terrifiant futur hypothétique.
"S'il arrivait à se relever de ses souffrances et s'il cessait de s'y accrocher comme il le fait maintenant, il pourrait devenir Achroma le prince noir, celui qui par deux fois affronta la mort, et qui par deux fois la devança. Il pourrait faire renaitre la gloire terrible du peuple vampirique, avec un peu plus de charisme et de conseils avisés bien sûr, et plus un homme ou elfe ne dormirait tranquille le soir."
Il balaya ces pensées de mauvais goût et se reconcentra sur les paroles et le ressenti de son invité. Imaginer la grandeur du parangon au fait de son passé lui avait accorder une bouffée d'air cérébrale bienvenue, mais il ne fallait pas perdre le fil sinon tout cela n'aurait servi à rien.
Aussi bizarre que cela puisse paraitre, Balthazar bien qu'attristé d'entendre de si funestes et déprimants propos, se réjouit quelque peu de savoir qu'une trace subsistait de ces sentiments affreux d'auto-mutilation du vampire.
Que les mois avaient été longs sous la surveillance terrible du tyran blanc et sous le commandement du Haut-Juge... Son envie de mourir il s'en souvenait bien, il l'avait même quelque fois partagée et noyée dans la boisson à ses côtés. Et la majeure partie de la peine qu'il avait gardé de côté se leva, rien que de savoir que le vampire n'avait pas tout perdu de leur expérience commune. Ce simple fait suffisait à alléger une partie de sa peine car même un sentiment affreux était préférable au néant de l'indifférence.
Il pouvait éclairer le vampire sur ce qu'ils avaient convenu de faire d'un accord plus ou moins commun et prit de manière plus ou moins conscient.
Pour ce qui était de la volonté d'Achroma de mourir et d'être laissé à son sort, il médita sur sa réponse. La question était délicate. Contredire de tels arguments réclamait du doigté et il allait devoir faire preuve de plus de subtilité qu'il n'en avait fait preuve jusque là. La solution se trouvait peut-être autrement que dans le conflit mais il allait devoir redoubler d'ingéniosité pour s'en dépétrer.
Concernant la remarque acerbe à propos des baptistrels, il ne put se retenir de lever les yeux aux ciel avec exaspératon. Bande d'abrutis de gratteurs de cordes philosophiques ! Ah ça ! Pour voir les vibrations intrinsèques du monde, prodiguer la sagesse et la passivité à tout va et soigner les rhumes il y avait du monde ! Mais pour faire preuve d'un peu de discernement et laisser de côté pour une fois son envie maladive de rétablir un équilibre sain dans l'esprit d'un être, là, forcément il n'y avait plus personne et c'était à lui d'assumer les conséquences ! Des années à méditer, étudier le tissage harmonique du monde et soigner des patients, et ils ne leur étaient pas venu à l'idée que certaines personnes ne veulent pas être soignés ? Et surtout pas en leur labourant la psyché comme un gros boeuf ? Misère... Il ne comprennait pas comment le pouvoir pouvait leur monter à la tête au point d'estimer leur jugement supérieur à celui de leur patient pour tenter une opération psychique délicate, alors que tout ce qu'ils daignaient montrer au reste du monde c'était trois notes de musique et "gnagnaga moi je mens pas moi au moins"... Non mais vraiment...
Il se frotta les yeux et se pinça le nez. Il y avait beaucoup de choses qui avait été dites, et beaucoup de choses à dire. Il se fit un plan mental de son discours avant de l'entamer. Il bénit ses années de débat, ses cours et exercices d'éloquences qu'il avait élaboré et donné, pour et avec le seigneur Avente. Peut-être que sa diplomatie n'aurait pas été de trop en ce moment précis pensa-t-il...
"Que cela vous plaise ou non Parangon, je suis attaché à vous et c'est pour ça que vous m'agacez au plus haut point. L'impolitesse que vous me reprochez, je ne devrais pas avoir à m'en soucier. Nos problèmes sont bien au delà de ce genre de bagatelles. Cela m'insupporte de devoir m'excuser pour mes manières, surtout auprès de quelqu'un qui m'a fait faire de longues séance de torture dans des cachots sordides et m'a infligé de prendre soin de lui quand l'auto-mutilation l'avait porté au bord de la mort. Et pourtant je le fais. De mauvaise grâce, certes, mais je le fais. Et je vais d'ailleurs le refaire s'il le faut.
À la lumière de ma mémoire, l'ombre de votre oubli est un luxe que je viendrais presque à vous envier, si ce n'était l'expérience douloureuse de votre "tragédie personnelle". La tentation d'enfouir le passé, de m'aplatir face à votre inconfort et de cesser de vous importuner, est déjà bien assez difficile à faire taire. Le rôle du tortionnaire sévère qui vient troubler le peu de tranquillité à laquelle vous aspiriez en vous piegant n'est guère plus agréable endosser.
Si cela peut vous éclairer, voilà pourquoi mes paroles peuvent vous sembler égocentriques et insensibles.
Vous avez apporté à ma connaissances des faits nouveaux que concernant les circonstances de votre décès, et après avoir fait fi de mon émoi, la décence m'oblige à vous présenter à nouveau des excuses. Pour vous avoir offensé et pour avoir laissé mes paroles dépasser ma pensée. Que vous les acceptiez ou pas, je vous les présente tout de même.
Je ne peux que regretter que la démarche du baptistrel que vous rencontrâtes, fut entreprise contre votre gré. Cette réaction, quoique largement disproportionnée, est symptomatique de tout ceux qui vous connurent de près ou de loin et qui vous rencontrèrent depuis votre renaissance. Je n'ai pas pour projet de vous obliger à changer votre chant-nom ou quelque bizarerie de ce genre, ce serait idiot de ma part. Il me paraissait juste d'apporter mon renfort à l'apaisement du tourment que l'on devine chez vous et de lever au mieux le voile d'ambiguïté qui s'est élevé autour de vous. Vous avez raison, vous méritez l'intégrité et la dignité. C'est pourquoi il me paraissait urgent, pour votre bien, de mettre en place une bonne fois pour toutes une solution pour éviter que vous ayiez à souffrir des séquelles de votre décès, à cause de la réaction d'autrui. Mon erreur fut justement de ne pas connaitre ce travers avant de tomber dedans, et de ne pas considérer vos états d'âme avant de vous exposer mes vues à votre propos, d'une manière fort inconvenante"
Il ferma les yeux un instant pour se batailler intérieurement. Dieux qu'il avait envie de rajouter à son mea culpa une petite pique cinglante afin de ré-alimenter le conflit. Ce serait tellement jouissif... Quelques années de moins et il aurait peut-être pu céder à l'envie de le secouer comme un pommier pour lui ordonner de cesser de se complaire dans son malheur et de se reprendre en main. Il reprit, usant de toute sa force mentale pour maintenir un ton calme et posé.
"Si achroma a choisi de mettre fin à ses jours, et bien je ne peux que m'en attrister, mais au moins je le sais clairement désormais. C'est une bien triste nouvelle et j'aurai préféré qu'il en fut autrement, mais je la préfère, aussi cruelle et douloureuse soit-elle, à l'illusion. Je connais le prix du mensonge, de l'illusion, du paraitre et du secret, bien mieux que la plupart des gens, Parangon. Contrairement à ceux qui ont pu placer des attentes irréalistes en vous, même malgré eux, je tacherai de respecter cette vérité et de ne pas mettre en cause votre ressenti."
Je ne sais pas grand chose de vous, c'est vrai, ni même de la façon dont vous pensez. Mais j'ai ma mémoire de ce que vous étiez. C'est bien peu, certes, mais c'est tout ce dont je dispose à votre égard et je ne peux que me reposer là dessus quand mes yeux se posent sur vous. Comme la plupart des gens de ce monde que vous allez être amené à rencontrer en tant que personne d'influence, et ce, malgré vos réticences. Et d'ailleurs, peut-être est il plus juste que je partage ce savoir avec vous, afin que vous ne souffriez plus de l'impuissance qui semble tant vous ronger."
Il prit un temps pour réfléchir à la suite de ce qu'il voulait dire et il lui parut important de révéler une partie du passé, aussi douloureuse soit elle, et qui subsistait au coeur de l'affaire sensible qui liait les deux hommes.
"Ce sentiment de désespoir que vous décrivez, je le connais bien et je suis parfaitement conscient de n'avoir pas fait assez pour l'endiguer à l'époque. J'ai même dû, lorsque c'était nécessaire, l'encourager pour le bien de notre entreprise, en respect de votre volonté initiale. C'est ce qui, je pense, rend ma peine si grande et pourquoi je n'ai su la contenir. Car c'est d'un commun accord que nous convenâmes que nos bien-être et survies à tout les deux, était indépendants du but de notre collaboration. Vous y aviez convenu de votre plein gré, lors d'un de vos rares moments de lucidité qui vous coûtaient si cher à cause des malédictions mentales dont vous souffriez. Je vous ai laissé deux choix quand je suis entré à votre service et que vous avez commencé à me suspecter d'être un traitre à l'égide du tyran blanc. Soit vous m'executiez sur le champs et vous passiez le reste de votre existence au service du tyran, en attendant que la mort vous libère. Soit vous faisiez exactement la même chose mais en me laissant en vie et en essayant de me couvrir au maximum afin que nous puissions tenter d'alléger le mal que nous savions devoir commettre malgré nous.
Et vous avez accepté cette deuxième proposition. Cela vous a apporté de la souffrance, à vous beaucoup plus qu'à moi, certes, le contrat n'était pas équitable car vous aviez beaucoup plus à perdre. Mais le vrai choix que vous fites ce jour là, c'était le mince espoir que votre malheur ait un sens que vous auriez choisi, contre l'oubli de vous même et la soumission totale à votre fatalité.
Malheureusement, face au fardeau trop lourd à porter, cet espoir s'est perdu et la souffrance balaya votre conscience au delà de ce qu'il possible de supporter. Je le comprend maintenant."
Il déglutit. Mesurer la souffrance était quelque chose qu'il savait faire. Il le regrettait souvent. Et c'était un de ces moments là. Un bref vertige lui humidifia les yeux et contracta les muscles de sa main fourbue sur sa canne. Il se devait d'avancer. Il devait absolumment essayer de déjouer cet affreux état de fait d'impuissance face au suicide et à la fatalité.
"Si vous aviez eu à choisir... dîtes vous. Peut-être ne vous a-t-on pas laissé le choix sur le moment. Vous n'avez pas choisi consciemment de naitre nordique. Vous n'avez pas choisi consciemment non plus de devenir vampire. Enfin vous n'avez pas choisi consciement ni de mourir, ni d'être réssucité.
Mais votre vie vous appartient, tout comme la possibilité d'en faire quelque chose de bien.
Je peux parler, je peux vous dicter votre conduite et soliloquer des heures durant sur ce que vous devriez faire ou ne pas faire. Notez que cela ne me déplairait pas, et votre "inséparable" le peut également, avec beaucoup plus d'habileté que moi je n'en doute pas. Nous pouvons dire ce que bon nous semble, nous époumonner jusqu'à ce que vos oreilles en saigne : Vous seul faites le choix d'écouter ou non et d'agir en conséquence ou non. Les épreuves que vous avez eu à traverser vous en ont peut-être convaincu du contraire, mais c'est à vous d'établir ce qu'il est juste de respecter quant à votre intégrité physique et mentale."
S'il fallait revenir aux bases des bases qu'il en soit ainsi, le postulat était posé au moins. Maintenant on pouvait extrapoler un petit peu plus.
"Je vais vous épargner l'éternel sermon que l'on sert aux désespérés et qui ne fait qu'équarrir leur volonté à grand coups de culpabilité. Celui qui consiste à dire que vos proches vous manqueront et que votre mort les attristerait plus que de vous voir vous morfondre. Nous savons tout les deux, vous plus que moi j'en conviens, qu'il est d'une inefficacité et d'une fausseté sans noms.
Vous avez, en tant que vampire, une très longue vie devant vous. Et si les nouvelles assez récentes sont avérées, grâce à la ré-incarnation des âmes, vous avez peut-être d'autres existences plus longues encore devant vous, en tant qu'autre chose. Faites les choix qui vous importent au mieux, mon cher, car c'est avec vous et vous seul que vous allez passer celui-ci et les nombreux autres cycles de vie qui vous attendent."
"Et c'est là qu'intervient, à mon sens, le fait d'accepter, ou non, votre passé. Allez vous vivre dans l'ombre de cette renaissance forcée tout le reste de votre vie ? Alors que le pouvoir est à portée de vos mains ? Et que les dangers qui menacent notre monde, ainsi que vos proches, sont encore nombreux ? Allez vous rester dans cette attitude prostrée et défensive ?
Si vous n'êtes pas le receptacle de mes attentes et de mes peurs, je ne suis pas le receptacle de votre indignation. De votre sentiment d'avoir été piégé. De votre sentiment d'injustice. Mon opinion diverge de la votre en ce point. Nous projetons sur le monde autant qu'il projette sur nous. Je pensais que lorsque vous aviez accepté notre collaboration, vous aviez compris cela. Que ce que nous souhaitons et les actes que nous posont pour que ce monde devienne meilleur, refletaient qui nous étions : des êtres conscients, sinon biens, qui au moins désiraient le bien. Et que refleter sur le monde un tel désir valait les sacrifices nécessaires, pour le salut que nous nous accorderons à nous même."
"Je pense que vous avez assez repris de forces désormais pour arrêter de vous contenter de vous plaindre sans rien faire. Vous avez l'appui de proches aimants et sincères, et c'est un atout précieux que beaucoup peuvent vous envier. Servez vous en. Vous n'êtes pas seul et démuni face à votre passé. Il ne peut plus vous consummer si vous le mettez clairement à jour dans votre esprit. C'est justement en le laissant couver dans le domaine de l'inconnu qu'il présente le plus de menace pour vous car il vous empêchera toujours de trouver une véritable paix intérieure. "
Après avoir étalé toute la sagesse mielleuse dont il était capable, il ne put retenir son envie de porter une petite pique. Tant pis si cela sabotait ses efforts, le tact était un luxe qu'il avait du mal à payer sans s'offrir un peu d'humour grinçant.
"Et puis... Penser que vos émotions, aussi violentes soient elles, soient capables de vous consummer au point d'en mourir... c'est une idée un peu trop adolescente et romanesque venant de la part de quelqu'un qui a la prétention de diriger un clan de créatures réputées sanguinaires, froides et calculatrices..."
"Bref, voici comme je me représente le choix qui s'offre à vous Parangon : Quelle image allez vous projeter ?
Celle d'un être fuyant son passé, renfermé à jamais sur sa souffrance, fermé, agressif, rancunier, envers ceux qui ne sont pas de son clan, de sa famille ?
Ou celle d'un être qui aura eu le courage d'affronter qui il était vraiment, quitte à en payer le prix, pour devenir celui qui affronte le futur sans avoir à se retourner ?"
Si ce choix fatidique était formulé si clairement, c'est parce que dans le cheminement de vie du vieillard, la réfléxion s'était longtemps présentées sous différentes formes afin d'y aboutir ainsi. Tardivement, après avoir été las de passer sa vie à vivre par et pour les autres, par et pour les principes des autres, il avait fait le choix, douloureux mais salvateur, de changer pour au moins tenter quelque chose de neuf. Et de pouvoir aider quelqu'un qu'il considérait en détresse lui semblait inévitable au vu de sa nouvelle ligne de conduite.