Trigger Warning :
La scène dans la vision qui suit comprend du harcèlement sexuel et un dépassement très nette des limites physiques du personnage.
La scène fût écrite entièrement par Ilhan. Merci
La scène fût écrite entièrement par Ilhan. Merci
20 juillet de l’an 1763
C’était un matin doux, la chaleur des précédents jours s’était assoupie et quelques oiseaux chantaient sur le toit. Dans sa robe de nuit blanche, elle était debout dans son bureau, faisant tourner entre ses doigts une pièce d’or. Elle avait émis le souhait de ne jamais voir le moment où Aldaron était devenu un vampire et la corneille lui avait accordé la grâce de l’ignorance. Elle savait que la haine la consumerait, si elle voyait le visage de son agresseur. Elle ne voulait pas savoir s’il était consentant, elle ne voulait pas lui en vouloir, ternir le modèle qu’elle eût fait de lui.
Sans savoir pourquoi, Autone descendit au rez-de-chaussée, la pièce d’or coincée pièce entre ses doigts. À cette heure, il n’y avait que les oiseaux qui brisaient le silence. Même Odélie et Kyran dormaient paisiblement. Autone entendit le battement des ailes d’un grand corbeau. Opixiatre se déposa au volet du salon, elle le regarda dans les yeux. Elle volait qu’Aldaron retrouve sa mémoire, qu’il ne perde pas qui il était. Elle voulait qu’il revienne. Le désir occupait tout l’esprit du rossignol alors qu’elle plongeait ses yeux dans ceux de l’oiseau.
***
Ilhan Avente a écrit:Juin 1753
Trois coups à la porte. Un silence.
Ilhan redressa aussitôt la tête du parchemin qu’il était en train d’écrire.
Trois coups plus lents. Un autre silence. Puis trois autres coups plus rapides. C’était le signal. Une araignée en détresse.
Ni une ni deux, Ilhan se rendit à la porte en quelques enjambées. Il entrebâilla sa porte, et d’un rapide regard avisa qu’il s’agissait bien d’une araignée. L’homme emmitouflé d’ombres qui se tenait devant lui leva aussi une main, révélant un anneau qu’il reconnut aussitôt. L’anneau de la Toile. Même si cet anneau n’était pas relié directement à lui, l’homme n’étant qu’un membre de troisième cercle et sous la responsabilité d’une araignée du premier cercle. La porte s’ouvrit en grand, l’homme s’y engouffra sans attendre. Pas un échange de paroles jusqu’alors. Il n’y en avait pas besoin.
Ilhan s’empressa de refermer la porte et de la verrouiller derrière lui.
– Je suis démasqué, souffla l’homme à voix basse. Je n’ai pas pu joindre Ma Mère.
Ilhan hocha la tête. Il savait que par " Mère ", l’homme désignait l’araignée située juste au-dessus de lui, chargée de le gérer et de lui donner des ordres. Ou de l’extraire en cas de pareils soucis.
– Je pense qu’ils l’ont démasquée aussi, continua l’autre. Aucune liaison n’a été faite avec vous, personne ne m’a vu ni suivi, de cela j’en suis sûr. Mais vous devez rompre tout contact avec notre fil. Je suis venu vous prévenir. Notre fil est rompu.
– On le pressentait, répondit Ilhan dans un autre hochement de tête.
Il laissa son regard sombre planer sur l’autre en face de lui d’un air grave. Ils jouaient à un jeu dangereux. Eux tous, la Toile, à trahir ainsi le nouvel Empereur, Fabius Kohan. Ou plutôt l’Usurpateur.
– Venez, fit Ilhan en attrapant le coude de l’homme. Déjà, avalez-moi ça, vous avez l’air affamé et éreinté.
Il lui mit alors une miche de pain et une coupe de vin entre les mains, bénissant ses serviteurs de si bien le connaître et de toujours laisser un plateau fourni sur sa table basse.
– On va devoir vous extraire.
Aussitôt il alla à son bureau, attrapa une plume, un parchemin, gratta frénétiquement quelques mots de consignes en langage crypté. Puis il roula le parchemin, attrapa dans un de ses tiroirs un sceau, où se dessinait une araignée s’enroulant sur une lettre T, puis la cire, et cacheta le parchemin d’un geste expert.
– Vladimir, appela-t-il par son anneau.
Quand la voix grave de son ami serval lui répondit, il reprit, toujours en chuchotant.
– Extraction d’urgence. L’araignée arrive dans l’heure au point de rendez-vous Est. Conduis-la au guet. Le passeur le prendra ensuite en charge. Maintenant.
Et après avoir eu confirmation que ses consignes étaient reçues, il coupa la communication. Il attrapa le parchemin qu’il venait de rédiger, ainsi qu’un autre qu’il délogea du faux plateau de son tiroir.
– Tenez, fit-il en se tournant vers l’homme qui finissait tout juste d’avaler son morceau de pain. Un homme vous attend au point de rendez-vous Est. Vous le connaissez ?
L’autre acquiesça.
– Il vous conduira à un autre homme. Vous lui donnerez ce parchemin, fit-il en lui tendant le parchemin tout frais. Vous serez conduit en lieu sûr. En arrivant, vous donnerez cet autre parchemin à qui de droit.
Se disant, il tendit le deuxième rouleau qui était si savamment caché, et darda un lourd regard sur l’homme en face de lui, sans lâcher le parchemin pour autant.
– Ceci est capital. Ces informations doivent à tout prix, je dis bien à tout prix, parvenir à qui de droit. Vous voyez ce que je veux dire…
L’homme hocha la tête.
– Je vois. Elles y parviendront. J’en fais le serment.
Ilhan lâcha alors le parchemin, et tapota l’épaule de l’homme. Et sursauta vivement quand quelqu’un tenta d’ouvrir la porte, puis cogna avec force quand il trouva porte close.
– Ilhan, ouvre. C’est moi.
Ilhan blêmit dangereusement et l’homme à côté de lui tout autant.
– L’usur…, commença l’homme.
Mais il ne put finir qu’Ilhan le bâillonna d’une main.
Pas un mot, articula-t-il silencieusement. Il l’attrapa alors et lui fit signe de le suivre. Il était pour le cacher dans un des passages dérobés que détenait son bureau, mais se ravisa. Fabius les connaissait.
– Ilhan, je sais que tu es là, ouvre-moi !
– De suite, Votre Majesté, répondit-il en tentant de donner à sa voix un ton assuré.
Non pas les passages dérobés. Pas sous le bureau. Ni derrière le fauteuil. Ni la cache derrière sa bibliothèque. Il la connaissait aussi. Il ne restait plus que…
Il cacha l’homme derrière les épais rideaux, dont les pans pendaient assez bas par terre pour en cacher les pieds.
Pas un mot, articula-t-il de nouveau. Sans attendre, il se rendit à son bureau, cacha le parchemin presque achevé, qu’il écrivait avant que l’autre homme n’arrive, sous le faux plateau de son tiroir et en extirpa un autre. Un parchemin où courraient quelques lignes à peine… Les mêmes lignes, mot pour mot, que celui qu’il venait de cacher.
– Ilhan… Est-ce des manières de faire patienter ainsi ton Empereur ?
– Je n’étais pas présentable, offrit-il en excuse, avant de se ruer sur la porte et d’enfin lui ouvrir.
– Pas présentable, répéta Fabius, de son air goguenard habituel en lui offrant ce sourire torve qu’Ilhan détestait tant. Vraiment ? Toi qui es toujours tiré à quatre épingles ?
– J’avais chaud et m’étais permis de me dévêtir quelque peu.
– Tu aurais pu rester dévêtu en ma présence, voyons, répondit Fabius en lui caressant le menton puis en entrant sans se faire prier.
Ilhan referma la porte et offrit au battant fermé une grimace écoeurée, avant de se recomposer rapidement un visage lisse de toute expression et d’offrir son éternel sourire énigmatique quand il se retourna.
– Cela aurait été inconvenant, Votre Majesté.
Pour toute réponse, Fabius se mit à rire. Ilhan ne se départit en rien de son masque poli, et attendit, sagement, à la porte, que son hôte improvisé lui dise la raison de sa visite. Il l’observa se servir du raisin, puis attraper la coupe de vin et la vider d’une rasade. Puis l’observa se resservir, comme s’il était chez lui, et boire de nouveau cul sec. Un si bon vin… Cet homme était affligeant de rustrerie parfois. Non, cet homme était affligeant tout court.
– Que puis-je pour vous, Votre Majesté ?
– Que j’aime ces mots, mon cher ami. "Votre Majesté". Enfin, grâce à toi, ce trône est à moi.
– Il est à vous, en effet, Votre Majesté.
– Que faisais-tu ?
– Je préparais votre discours pour demain.
Il vit alors Fabius se tourner vers le bureau et s’y diriger à grands pas. Ilhan aperçut alors un pied presque dépasser, de derrière le rideau. C’était léger, discret, mais un œil avisé pourrait facilement le voir. Surtout s’il prenait à Fabius l’envie de contourner le bureau pour se mettre dans son siège, comme il le faisait souvent. Ilhan rejoignit alors le bureau en quelques enjambées, coupant presque le chemin à Fabius, et posant une main sur son parchemin.
– Votre Majesté, ce ne sont que des balbutiements. Indignes d’être lus encore.
Il espérait que son subterfuge suffise à dissuader Fabius d’aller à son siège. Et cela sembla marcher. L’usurpateur s’arrêta, l’observa en ricanant et se pencha légèrement sur lui d’un sourire moqueur.
– J’aime tes balbutiements, Ilhan.
Se disant, il se pencha un peu plus, son souffle caressant presque son front, puis attrapa le parchemin. Il jeta un raisin dans sa bouche tout en le lisant et son sourire s’agrandit.
– Prometteur. Quand je disais aimer tes balbutiements.
Puis il jeta le parchemin sur le bureau et observa de nouveau Ilhan, avec cette fois une lueur prédatrice dans son œil valide. Et s’avança d’un pas vers l’althaïen, l’acculant doucement, mais sûrement contre le bureau. En d’autres temps, Ilhan aurait reculé, remis une distance entre eux, mais s’il le faisait en cet instant, Fabius risquait de découvrir l’autre homme caché derrière les rideaux. Alors il ne bougea pas, et se contenta d’affronter le borgne du regard.
– Vous me faites trop d’honneur, souffla Ilhan, tout en cachant son malaise sous des airs froids et lisses.
– Cela fait bien longtemps que je ne t’ai pas honoré dignement.
Une main agile vint soudain se poser sur son torse, défit prestement quelques boutons, puis glissa sous le pourpoint. Ilhan ne réagit pas, même s’il ne put empêcher tous ses muscles de se crisper.
– Comme au bon vieux temps. Tu te souviens ?
– Oui, je me souviens de cet honneur, Votre Majesté, souffla l’althaïen à mi-voix.
Masquant au mieux les accents de dégoût qu’il éprouvait.
– Mais je ne suis pas sûr que cela soit…
La main descendit, sortit du pourpoint et descendit plus bas.
– raisonnable. Je dois finir, continua Ilhan, tout en tournant la tête du côté opposé aux rideaux.
Forçant ainsi Fabius à la tourner de même alors qu’il lui murmurait ses insanités à l’oreille.
– Votre discours, finit-il en un halètement, alors que la main s’invitait bien plus bas.
Outrageusement plus bas. Sous ses vêtements.
– Il me faut… absolument… finir votre discours… avant l’aube.
Fabius ricana à son oreille.
– Tu pourras le finir après.
– Votre Majesté, vous savez que je n’ai pas votre endurance. Après…
Un autre halètement.
– Je serais incapable de finir quoi que ce soit. Il me faut…
Il ne savait plus s’il détestait ou adorait cette main, soudain.
– Il me faut… le finir maintenant.
Trouver les mots, finir sa phrase, ne pas oublier son objectif et ne pas céder lui demandaient de faire appel à toute sa maitrise. Toute sa volonté.
– Maintenant. Votre discours… est trop important.
Et enfin la main cessa. Et Fabius s’écarta.
– Tu as peut-être raison. Je te laisse donc finir. Mais finis vite. Et rejoins-moi après.
Et sur ce, Fabius sortit. Ilhan se permit de reprendre son souffle une seconde, avant de se ruer sur la porte et de la fermer à clé. Avec un peu de chance, Fabius serait trop saoul avant la fin de la nuit et oublierait l’ordre qu’il lui avait donné de le rejoindre. Ou Ilhan trouverait un prétexte pour expliquer ne pas être venu.
Il posa le front sur le battant de porte avant de murmurer, las, et dépité :
– Vous pouvez sortir.
L’ombre se détacha des rideaux sans un mot.
Ilhan dut faire appel à toute sa volonté pour se retourner vers l’autre et affronter la honte qui le submergeait.
– Venez, je vais vous montrer un passage secret.
Se disant, il ouvrit un panneau dérobé du mur, caché par une lourde teinture, en actionnant un mécanisme de la bibliothèque.
– Suivez ce passage. Prenez deux fois à droite, trois fois à gauche, descendez la volée de marches. Attention elles sont glissantes. Puis deux fois à droite et descendez l’échelle. Vous déboucherez sur des souterrains… peu engageants. Mais suivez-les en direction de l’est, cela vous fera sortir du palais. De là, gagnez au plus vite le lieu de rendez-vous.
Puis, attrapant une autre miche de pain et une pomme, il les fourra dans les mains de l’homme.
– Allez, maintenant. Nous n’avons plus de temps, souffla-t-il.
L’homme posa soudain une main sur l’épaule d’Ilhan qu’il enserra doucement, en un geste fraternel.
– Merci. Prenez garde à vous. Nous ne pouvons pas vous perdre, vous entre tous.
Ilhan ne sut que répondre sur l’instant, et se contenta de hocher la tête. Puis poussa doucement l’homme à s’engager dans le passage, en lui tendant une torche.
– Que la Grande Oeuvre vous guide, souffla Ilhan.
– Que la Grande Oeuvre nous guide, répondit l’autre.
Avant de disparaître dans les ténèbres.
Ilhan se tourna alors, rejoignit son bureau et s’assit dans son siège. Il s’accouda à son bureau et enfouit son visage dans ses mains. Quand il les reposa, ses yeux étaient rougis de larmes retenues. Pas une ne coula toutefois. Il attrapa alors son parchemin et le caressa d’un sourire. D’un geste lent, son sourire se parant de nuance cynique, il ouvrit le tiroir, délogea le faux plateau de nouveau et en sortit son premier parchemin. Ce fameux discours… presque fini. Il contempla les deux parchemins côte à côte et son sourire s’agrandit, même si teinté d’une profonde tristesse.
Ce subterfuge marchait à tous les coups. Même après tout ce temps, le borgne n’avait rien vu de son jeu. Rien vu.
Ilhan brûla alors le parchemin de quelques lignes, et contempla les flammes qui le consummaient. Son regard sombre dérivant au loin, dans des songes, souvenirs, invisibles.
***
Lorsqu’elle ouvrit les yeux, Opixiatre était disparu, laissant une plume sur le volet. Les yeux d’Autone restèrent ailleurs pendant quelques minutes, puis elle courut à sa chambre, rejeter le dîner de la veille dans son pot de chambre. Même après trois mois à dormir dans la boîte de pandore, elle ne parvenait pas à se désensibiliser à ces visions. Autone avait soudain envie de se rapprocher d'Ilhan, elle aurait voulu pouvoir tuer Fabius à ce moment et réconforter le conseiller. Sa douleur, sa détresse, sa haine, c'était un miroir. Elle avait ressenti tellement de haine pour Fabius Kohan déjà et elle n'avait aucune raison de ressentir cela comparé à Ilhan.
Autone attrapa le contenant d’eau près de son lit et se rinça la bouche avant d’ouvrir la porte qui liait sa chambre à son bureau. Elle sentait son cœur battre dans toutes ses veines, dans un geste impulsif, elle attrapa presque violement du papier et sa plume. Mais lorsqu’elle voulut tremper la pointe dans l’encrier, elle figea. Qu’est-ce qu’elle allait lui dire? Pourquoi avait-elle eu ce réflexe?
Autone respira alors profondément, réfléchissant en fixant le mur devant elle. Opixiatre lui avait-elle fait voir cela? Elle se souvenait s’être concentré sur Aldaron sans savoir pourquoi, elle avait eu l’impression que le regard du guide la soutenait, lui avait donné quelque chose… Il devait y avoir une raison, un lien.
Pouvait-elle lui dire ce qu’elle avait vu? Non, ce serait trop étrange. Enfin calme, un peu vide, elle trempa enfin la plume dans l’encrier et laissa son instinct écrire.
20 juillet de l’an 1763
Sir Avente,
Comment vous portez vous? Plusieurs mois se sont écoulés depuis notre rencontre, la guerre contre les chimères m’a occupé et je regrette de ne pas vous avoir écrit comme je l’avais promis et espéré. Avant la bataille, il m’était impossible de discuter de l’esclavage auprès du conseil qui était trop préoccupé par les chimères. C’est justifié, cependant, c’est une flotte de Graärhs qui a secouru la nôtre. Ils auraient dû être considérés comme des alliés potentiels.
Je ne prétendrai pas vous écrire à ce sujet, je ne désire pas être malhonnête. Peut-être serez vous effrayé ou méfiant de mes mots. J’en suis désolé, car si c’est le cas, je vous comprendrai. L’esprit de la corneille s’est posé sur mes rêves après la bataille. La peur a habité mon esprit dans les derniers mois. J’ai vu nombre de choses que j’aurais préféré ne pas voir.
J’ai entendu parler de vos méditations et de votre talent pour l’esprit. Accepteriez vous de m’apprendre ? Je crois que cela pourrait m’aider à calmer le chaos qui fait voler cette corneille.
Si vous acceptez, je viendrai vous visiter à Délimar, puisque je ne désire pas vous incommoder. Bien sûr, s’il y a quelque chose que je puis vous offrir en échange, je serai heureuse de vous rendre la pareille,
Autone Falkire,
Conseillère de la cité de Caladon