Connexion
Le deal à ne pas rater :
Smartphone Xiaomi 14 – 512 Go- 6,36″ 5G Double SIM à 599€
599 €
Voir le deal

descriptionAu nom des sacrifiés [Try/Naal] EmptyAu nom des sacrifiés [Try/Naal]

more_horiz

    7 Août 1763

    Ça n'était plus de son âge tout ça. Ou du moins, ce corps là était faible. Pourquoi Néant ne lui avait-il pas donné un corps comme un millénaire plus tôt ? Robuste, puissant, résistant. Il aurait pu tenir ce jeûne tandis que d'autres seraient tombés en pâmoison.  Aurait-ce eu le même effet ? Sa foi était plus grande encore lorsqu'il traversait des épreuves ou la douleur. Mettre à mal sa survie le rapprochait de son dieu, cette absence de toute chose, ce Néant créateur d'où lui venait les vérités qu'il cherchait encore et les discours poignants. Il n'aurait jamais fait un aussi bon orateur, quelques jours plus tôt, sur le parvis du temple. Il avait perdu connaissance et on s'était occupé de rééquilibrer son état. Il avait été dans un état parfait pour recevoir les visions de Néant, véhiculées par la corneille.

    Il avait vu et entendu, le jeune Nolan Kohan donner des ordres suite à la rébellion de l'Alliance. Il avait été franc, direct et dans son sillage, il y avait déjà l'ombre d'un dragon. Perfide, assoiffé de pouvoir, incarnant le protecteur de la lignée, alors qu'il ne désirait que la siphonner jusqu'à ce que sa substantifique moelle. Les Kohan étaient imparfaits, tout comme les sept déesses qui avaient mené ce peuple sur Ambarhùna. Néant n'avait élu qu'un seul homme. Un seul pour des centaines d'années. Imparfait aussi, mais jamais corrompu. Il avait vu cette scène grotesque où Cynoë avait offert le Lien au jeune empereur, refermant ses griffes sur un gamin qui avait pris cela comme une banale demande d'amitié. Sans un brin de jugeote. Sans une seule réflexion sur ce qui avait conduit son propre père et Esmelda à la mort. Survivre à la perte d'un lié était insurmontable et pourtant Cynoe avait réussi ce perfide miracle. N'était-ce une preuve de plus de son incapacité à ressentir une sincère et véritable affection pour le bipède dont il empoisonnait l'essence même ? Monstre !

    La scène lui avait donné envie de vomir. Tant d'innocence, tant de candeur, tant de sottise en un seul homme... Il avait fallu qu'il soit le roi... Le roi que son fils Thelem avait accepté de suivre, après l'avoir trahi lui. Un roi contre lequel il avait du se battre. Il l'avait vu mourir. Néant, pourquoi le torturer ? Le mensonge était horrible, mais la vérité... La vérité, elle, elle était plus abjecte encore. Il s'était réveillé en sursaut dans son lit d'infirmerie, suffocant. Et lorsqu'il se mit à vomir , c'était du sang. Ses yeux grands ouverts, d'un bleu céruléen si intense, voyaient ce qui l'entourait mais plus encore, il voyait cet instant où son fils se faisait embrocher sur une épée.... Son enfant, son Thélem, auprès de qui il n'avait pu revenir pour lui dire qu'il avait tué l'homme qui avait détruit leur famille. Il y avait eu quelque chose de brisé ce jour-là, lorsque Thelem, comme tout son peuple, lui avait tourné le dos. Il aurait voulu réparer cela. Mais il n'avait pas eu le temps. Le corps de Thélem gisait sur le champ de bataille, recouvert par une ombre immense, l'ombre d'un dragon. Celui qui s'agrippait à la lignée Kohan. Celui qui se lia au même roi qui avait condamné son fils.

    Il réclama de l'eau et lorsqu'on lui apporta, il but de lentes gorgées, correctement espacées pour l'hydrater sans tout recracher. Il fermait les yeux et il revoyait cette horrible scène. Le son de l'épée qui traverse son corps. L'expression de douleur sur son visage adoré. Cela n'avait jamais été une épreuve facile que de voir mourir ses enfants. Siècles après siècles. Cela ne l'était pas plus aujourd'hui. « Néant, pourquoi cette torture ? » balbutia-t-il, dans le flot des prières qu'il déversait même sans s'en rendre compte. Pourquoi ? Pour garder vivace sa colère ? Il l'était tant et tant. Chaque fois que les flammes d'un dragon avaient dévoré la chair de sa chair. La piqûre de rappel était un amas de rage. Il voulait tuer ce dragon. Il voulait tuer tous les dragons... Jusqu'au dernier. Éradiquer ce fléau. Purifier. Il avait fini son verre, on lui reprenait alors qu'il réclamait à être seul. Ses mains tremblantes venaient prendre sa tête. Deux millénaires... Les humains n'étaient pas faits pour vivre aussi longtemps. Il se sentait exploser, devenir fou. Il ne lâchait pas ses convictions, il ne le pouvait pas : c'étaient elles qui l'aident encore à tenir debout. Sans elles, sans sa foi... Il se serait jeté plus d'une fois du haut d'une falaise pour mettre fin à cette horreur. Mais il avait promis à Néant, autant qu'à lui même, qu'il restaurerait la foi... Il ne pouvait pas faillir.

    Il regardait dans le vide devant lui lorsque l'Intendante entra. Il réalisa qu'il marmonnait machinalement des prières. Il cessa lorsque la porte s'était ouverte. Il posa sur elle ses mires, un fragment de seconde, juste assez pour la reconnaître et d'un geste de main, il congédiait le guérisseur pour être seul avec elle. Sa conscience sembla reprendre possession de son corps car lorsqu'il porta sur Tryghild à nouveau son regard, il était à nouveau d'un bleu intense et régalien. « Être trahi et en mourir. Renaître. Pour être trahi à nouveau et mourir. Puis renaître encore. Craindre la trahison plus que la peste. Se dire que cette fois, ça sera vraiment la dernière mort. L'attendre avec impatience tout en espérant avoir fait assez de chemin avant la prochaine trahison. Sera-t-elle de toi, ma fille ? Es-tu venue me dire que j'ai tord ? Que ce que je prêche n'est que foutaise ? Les élucubrations d'un homme sénile qui a perdu la raison ? » Mais pas la foi et le sens logique. Il en était certain.

descriptionAu nom des sacrifiés [Try/Naal] EmptyRe: Au nom des sacrifiés [Try/Naal]

more_horiz
Elle ouvrit la porte sans prendre de gants, sans délicatesse aucune et la referma de même, dans un geste sec avant de se planter au pied du lit, croisant les bras pour l’observer. Un long moment passa sans qu’elle ne dise rien, continuant de l’observer, minute après minute après minute. La chasse aux vampires lui avait apprit la patience. Elle n’avait réellement pas besoin de se hâter dans ce silence qui, à ses yeux à elle, n’avait rien d’inconfortable. Puis finalement, quand elle eut finit de le mirer et de réfléchir, elle soupira, profondément, les épaules s’affaissant légèrement. Quand on l’avait prévenu qu’il délirait, elle s’était attendu à autre chose. Stupide, sans aucun doute, l’image presque pittoresque de l’aliéné débilisé par son mal. Pouvait-on la blâmer ? Les circonstances de son retour n’avaient rien de claires, quant à ses allées et venues ou le sort qui avait été le sien, c’était plus opaque encore. Et ce bougre d’âne ne parlait pas. Décidément, chez les Sarawyn, être têtu était une fierté familiale. Dire qu’elle avait trouvé ça attrayant chez Thelem, ça l’était moins en cet instant. Mais au moins, ça prouvait que l’autre était bien en vie et bien lui-même et pas une Chimère !

Même si je ne suis pas du genre à encourager les conversations banales, me dire bonjour et vous enquérir de ma santé n’aurait pas été de trop, avant de passer directement aux prévisions de trahison

Décidément, elle se sentait dépitée en ce moment. L’effet contre-coup des Chimères sans doute, ou alors sa grossesse plus difficile que la précédente. Elle en était à son septième mois et elle commençait à réellement souffrir de cette gestation. Se sentir les jambes lourdes en permanence, elle qui avait l’habitude de s’entraîner au moins trois heures par jour, était insupportable, le début de la fin, sans compter qu’elle ne pouvait plus s’entraîner réellement, justement. C’était même un peu inquiétant car quand elle était enceinte de Sohen, elle ne se sentait pas aussi faible. Mais elle ne pouvait pas s’arrêter et se reposer, encore moins quand son grand-père par alliance décidait de finir par deux fois dans l’infirmerie centrale de la ville. Déjà essoufflée, la nordique attrapa une chaise et la posa à côté du lit, venant s’asseoir lourdement, avec une grimace. La prochaine fois, elle viendrait à cheval plutôt qu’à pied. Ca ne lui réussissait plus très bien en ce moment. Ainsi installée, la cambrure des reins soulagée par l’assise et le dossier, elle pu reporter son attention sur l’ancien monarque pour l’étudier de nouveau.

Je ne suis pas certaine de savoir comment trahir qui que ce soit. Si je venais à le faire, ce serait d’autant plus malheureux que ce serait sans conscience aucune

Un léger sourire lui vint aux lèvres, car elle avait toute conscience de ses failles dans le domaine des coups fourrés et des stratégies politiques. Sur un plan plus personnel, elle était toujours franche et ouverte, alors si quelqu’un se sentait trahit, c’était qu’il n’avait pas prêté l’oreille et s’était aveuglé sans son aide. Et des cas comme ça, elle n’en prenait pas la responsabilité. Même lorsqu’il avait été question de rompre avec l’Empire, elle avait dit officiellement et honnêtement à l’émissaire impérial comment cela allait se passer et sous quels termes, laissant même l’opportunité au monarque de se faire des alliés de Délimar en acceptant dignement leur décision. Et le monarque en question avait décidé de refuser et de cracher sur la main qu’elle tendait. Au nom d’un amour propre bafoué et des chuchotis venimeux de quelques nobles ambitieux et décadents, il avait envoyé des centaines de braves soldats à la mort. Et elle, elle avait perdu Thelem. Elle revoyait ses traits, sur le visage de Naal du Néant, avec quelque chose de différent. Thelem avait été unique en son genre, sur bien des points et cela c’était naturellement lu sur lui également.

Je ne pense pas que vous ayez tort pour le moment. Ce que j’ai entendu me semble, pour la majorité juste. Et de façon générale, tous en Délimar sont libres d’adhérer à la foi qu’ils désirent et qui leur convient le mieux

Son regard se posa franchement dans celui du vieil homme, dénué d’inimité, et davantage soucieux.

En revanche si vous allez contre les lois de cette ville ou si vous attentez à sa sécurité, là je ferais un peu plus que vous dire que vous avez tort. Vous êtes libre de prêcher, dans le respect des fondations de Délimar. Mais vous n’êtes pas en Almara ici et il va falloir que vous vous y adaptiez

Aucune violence dans le ton, juste l’annonce des faits. L’annonce des règles du jeu. Délimar était constituée de Délimariens. C’étaient eux, non elle, qui avaient décidé de s’unir en un seul et unique peuple et travaillaient en ce sens. Elle, elle servait simplement ce but. Mais elle ne souffrirait pas qu’un étranger vienne faire comme bon lui semble. Naal était intelligent, s’il voulait vraiment avoir une chance d’obtenir un auditoire sur la durée, il lui faudrait comprendre réellement ce que cet auditoire cherchait et comment il pensait et vivait, non en appliquant ses propres lubies. Pour l’instant elle n’avait rien à lui reprocher, au contraire, elle espérait qu’il entende ses dires et en tienne compte pour son propre bien. Et surtout, ça l’amusait assez. Délimar était sans doute la seule cité où Néant était vénéré mais ses habitants le vénéraient comme ils l’entendaient, sans codes véritables. Au travers de Néant, ils vénéraient la capacité à avoir cette liberté de croyance. Et elle savait que si Naal parvenait à réformer le culte ça ne serait qu’avec l’approbation de ces membres car c’était là le mot d’ordre de cette ville. Aucune forme de direction ne s’appliquait sans un réel consentement.

Mais pour l’instant je ne vois pas de raison de vous mettre mon pied aux fesses pour ce que vous avez dit. Si vous tenez compte de ce que je viens de vous apprendre, et que vous n’encouragez pas de clivage, je ne vois pas pourquoi ça changerait. Vos paroles sont un écho aux valeurs de notre ville, beaucoup seront intéressés par vos tribunes

Le pauvre vieux en avait un peu trop prit sur la tête, pour penser qu’elle allait l’agonir pour si peu. Vraiment, c’était amusant de le voir découvrir. Peut-être se plairait-il avec eux. Tous ici, d’une façon ou d’une autre, adhéraient aux mêmes principes.

Vous savez, je n’ai jamais été très croyante. On ne m’a pas élevé ainsi. On m’a élevé pour tuer des vampires, parce que ce sont des saloperies. Quand on passe sa vie à se préparer pour traquer et tuer des abominations dix fois plus fortes que soi, on a pas beaucoup de temps pour la religion. Et mes expériences depuis ne sont pas probantes en ce sens. Je sais que Thelem était très attaché à ses croyances, mais il n’aimait pas en parler, même quand je posais des questions. Au moins pour comprendre, vous voyez ? Je suis l’Intendante, et une part de la population que je sers est croyante. Pour la servir au mieux, je voudrais arriver à me figurer en quoi leurs croyances sont importantes pour eux et comment ils les vivent. Mais je pense que Thelem… était encore blessé, profondément. Il n’avait pas encore fait le deuil de ce qu’il avait subit…

descriptionAu nom des sacrifiés [Try/Naal] EmptyRe: Au nom des sacrifiés [Try/Naal]

more_horiz
    Le regard de l'ancien roi se fit dubitatif. Elle n'avait pas tord pour les salutations quand bien même il n'avait pas eu à saluer en permanence son auditoire lorsqu'il était sur le trône. C'était une mauvaise habitude. Pour ce qui était de l'état de le jeune femme en revanche, il n'avait que trop vécu pour savoir en jauger par lui-même sans avoir à la questionner. Et si elle était enceinte et encore debout, il y avait des chances pour qu'elle se porte bien. Combien de personnes répondaient machinalement qu'elles allaient bien à ces questions banales ? Trop pour qu'il s'agisse d'une vérité à laquelle il pouvait se fier. Il préférait répondre de lui-même à ces questions... Et il devait avouer qu'apprendre éventuellement qu'elle avait des douleurs au périnée ne l'intéressait pas le moins du monde. D'une part parce qu'il s'agissait de problèmes de femmes auxquels sa misogynie ne voulait pas donner trop de temps, et d'autre part parce qu'il n'était pas sa sage-femme. Il avait déjà aidé ses successives conjointes à mettre au monde sa descendance, habile connaisseur des sciences almaréennes, mais il n'avait pas la responsabilité de cette grossesse-ci. Et puis, cette grossesse le contrariait. Cet enfant avait été conçu trop tard pour être celui de Thelem et trop tôt pour qu'un deuil honorable ait pu être respecté. S'il se satisfaisait qu'elle reconstruise sa vie et s'il lui souhaitait tout le bonheur du monde, il n'en demeurait pas moins vrai qu'il l'avait en travers de la gorge. Elle avait mis moins d'un an à se remarier et à être à nouveau en enceinte. En Almara, même les princesses de haute lignée qui devaient se remarier attendaient un peu plus que cela, par respect pour leur défunt époux. Certaines même ne reprenaient jamais d'attache. Alors oui, peut-être qu'au fond, il avait volontairement esquivé la question et le simple fait qu'il ne s'en excusait pas donnait le ton amère mais refoulé que cela soulignait.

    Il nota sa mise en garde, les lèvres pincées autant qu'il s'apaisait difficilement. Il tira le drap pour mettre ses pieds hors du lit et les poser au sol. Sa coule noire descendit jusqu'à ses chevilles lorsqu'il se redressa pour se mettre debout. Il eut du mal à garder l'équilibre, les premières secondes, avant de se stabiliser et d'adapter une pression de ses muscles adéquate. Il fit quelques pas, la main sur le mur, refusant d'être l'infirme cloué au lit. Il priait, mentalement, et sa foi l'aidait à tenir et avoir moins l'air d'un chiot égaré. « Comme aucun almaréen, Tryghild. Là est bien le problème. Délimar leur offre une patrie, une maison... Elle leur offre aussi cette liberté de foi dont tu me parles. Mais combien crois-tu qu'il y en ait pour prêcher dans les rues comme jadis ? Ils ont honte, ils ont peur. Ils se sentent sales et ils ne veulent pas déranger, remuer le couteau dans la plaie auprès de ceux qui ont perdu leur famille ''au nom de Néant''. Il y en a d'autres pour s'en sentir indignes, qui n'ont pas fait le deuil de leur culpabilité et qui n'osent pas se tourner à nouveau vers Néant. Il n'arrivent pas à le regarder en face après ce qu'ils ont fait... Après avoir obéi à son bourreau. La liberté que leur offre Délimar est une liberté factice. Une liberté qu'ils sont incapables de saisir et qui pourtant, leur ferait du bien... Combien se sont tourné vers l'Unique, il y a quelques jours, lorsque je leur ai tendu la main ? » Arrivé auprès du meuble, il saisit la carafe d'eau pour remplir un verre. Sa main tremblait, au début, puis avec des efforts elle se stabilisa. « On m'a élevé pour tuer des dragons, parce que ce sont des saloperies. Quand on passe sa vie à se préparer pour traquer et tuer des abominations cent fois plus forte que soi, on a encore le temps pour la religion. Notre éducation n'a pas été si différente, Tryghild... Tu mets simplement la foi à part de tout cela, un temps réclamé en plus de ton entraînement, là où j'en ai fait une partie intégrante de ma force et de ma vie toute entière. »

    Il s'adossa au meuble, y reposant son poids, et but une lente mais salvatrice gorgée d'eau. « Les almaréens étouffent. Valar Dohaerys. Cela veut dire : ''Tous les hommes doivent servir'' et on nous apprend ce précepte avant même de dire ''maman'' parce que c'est ce qui fait l'unité de notre peuple. Voilà en quoi ces croyances sont importantes, ma fille, c'est l'air dans nos poumons. C'est parce que nos enfants ont la foi qu'ils servent les intérêts de leur dieu et que leur dieu, mort ou non, par cette cohésion, leur offre l'opportunité de faire quelque chose ensemble, de partager des rites et des valeurs communes. Tu crois qu'en leur donnant la liberté de croire, Délimar est généreuse mais ils ne sont pas capables de saisir cette liberté. Ils n'ont pas été habitué à cela. La foi, c'était le Culte qui leur servait. C'est le Culte qui leur apprenait, le Culte qui les pardonnait au nom de dieu pour leurs pêchés. C'est le Culte qui érigeait les temples et organisait les cérémonies. Ils n'ont jamais été habitué à décider, à prendre ces choses-là en main. Mes Princes eux-même savaient dès leur plus jeune âge qu'ils ne seraient jamais roi. Qu'au mieux ils seraient le corps dans lequel Néant me réincarnerait si j'avais eu à mourir. Et moi-même je n'ai appris qu'à servir : un roi unique pour servir un dieu unique et donner la foi à mon peuple... La même foi qui balbutie tant ils sont égarés. » Il poussa un soupir et prit une nouvelle gorgée, ses mires céruléennes posées sur le liquide incolore.

    « Regarde comme aujourd'hui ils sont venu en nombre manger dans le creux de ma main... Ils sont si nombreux à vouloir croire, à vouloir prier et implorer pardon. Et pourtant, à Délimar, il n'y a pas même un Haut-Prêtre à ton Conseil pour satisfaire ce besoin-là. Délimar les laisse se débrouiller. Vous partagez beaucoup de valeur avec Almara, j'en suis certain. Mais vous la laissez perdre son identité et sa force... Alors qu'un Général siège à tes côtés pour satisfaire la soif guerrière de Glacern, qu'un Amiral pour satisfaire l'amour des flots de Lyssa... Et Almara ? …Almara sert et se plie aux autres. Délimar ferme les yeux sur le mal dont ils souffrent parce qu'elle se donne bonne conscience en leur ayant offert la liberté de culte... Mais moi, quand je regarde mon peuple, Tryghild, j'ai envie de pleurer. » Il posa sur elle un regard triste et ravala la boule qui étreignait sa gorge douloureusement. Il remit son verre sur le meuble et alla s'asseoir sur son lit d'infirmerie, bien assez fatigué par l'effort que lui avait demandé sa promenade de santé. « Je pensais que Thelem pourrait avoir ce rôle de prêtre, quand je suis parti. Je pensais qu'il serait le garant de la foi pour Almara. Mais tu as raison, il était encore blessé et je ne savais pas comment le consoler. Je pensais que traduire Aldakin en justice le soulagerait... Mais j'aurais du rester pour lui donner la foi. A lui comme à tout mon peuple. Valar Dohaerys, j'ai manqué à mon devoir. Mais je suis là, maintenant et je jure devant dieu que je rendrai à la foi sa place légitime. » Il passa une mèche d'argent derrière son oreille, d'un geste sec avant de demander : « Pourquoi Sohen n'a-t-il pas été baptisé ? » Il serrait les dents, étreint d'une peine abominable. Cette nouvelle-là avait été un crève cœur, lorsqu'il l'avait apprise. Sohen était le premier Sarawyn à ne pas avoir été baptisé... Pas étonnant que l'Almara perde foi. Plus rien n'avait de cohérence, tout était relégué à cette sacro-sainte liberté qui n'avait pas de sens.

descriptionAu nom des sacrifiés [Try/Naal] EmptyRe: Au nom des sacrifiés [Try/Naal]

more_horiz
Si vous aviez été là, vous l’auriez su

Cela résumait tout, à son humble avis. Elle le regardait avec simplicité, désabusée mais pas agressive pour autant. Elle lui laissa quelques secondes pour encaisser, puis reprit, d’un ton égal, mais pas tendre. Elle n’avait pas de raison de l’être et ne savait pas très bien l’être dans tous les cas. Elle compatissait à sa perte, compatissait à ce qu’il avait pu subir, sans aucune hésitation, naturellement, mais ça ne voulait pas dire que, justement, les choses ne devaient pas être dites.

Vous n’avez parlé à personne ici. Vous n’êtes sortit de votre chambre que pour faire votre sermont. Ni pour rencontrer vos semblables dans leur vie quotidienne, ni pour parler à qui que ce soit. En sommes, vous ne savez rien de Délimar et de notre situation, parce que vous n’en êtes pas une part. Vous avez refusé d’en être une part

Pour aller tuer Aldakin. Elle avait essayé d’en discuter avec Thelem mais une fois l’amorce et leur premier coeur à coeur fait, son époux avait tout gardé pour lui, il s’était renfermé. Pourquoi ? Elle ne savait pas vraiment. Il avait juste dit que ce n’était pas une bonne idée. Avait-il voulu attendre ? Trouver un bon moment ? Un moment qui n’était jamais venu alors. Mais elle ne lui en voulait pas. Il avait fait tout ce qu’il pouvait et avait donné sans compter pour leur espoir.

Je suis sincèrement heureuse que certains de mes compatriotes aient pu apprécier votre sermon et comme je vous l’ai dis, je n’ai rien contre son fondement et ses arguments. Mais ça ne veut pas dire que vous savez ce que nous vivons. Croyez moi, ce que nous vivons va bien au-delà de ce que vous pouvez vous imaginer pour l'heure

Il y avait du vrai dans ce qu’il disait, mais aussi du faux et il serait plus utile qu’il se rende lentement compte de cela en vivant auprès d’eux. Avant même de penser à vouloir répandre sa foi ou quoi que ce soit d’autre, vivre au milieu de tous lui ferait du bien. Son aspiration était positive, elle ne voulait pas lui retirer cela même si elle n’aimait pas sa façon de penser. Elle savait aussi que cela ne servait à rien de lui marteler les choses ou de vouloir avoir raison maintenant. Il s’en rendrait compte à la longue.

Le général est au conseil car il y a des menaces terrestres. L’amiral est au conseil car il y a des menaces maritimes.Et pour votre information Minerva siège également au conseil. Ces membres servent le peuple, ils ne sont pas là pour satisfaire un ego, mais pour répondre à des besoins. En l’état, la foi étant libre et non unifiée, aucun haut prêtre ne pourrait représenter toutes les dévotions. Voilà pourquoi il n’y en a pas au conseil. Un conseil qui est élu et validé par les citoyens

Parce que c’était comme cela qu’ils fonctionnaient. Ils construisaient lentement leur lendemain en s’affranchissant peu à peu des limites de leurs anciennes allégeances, tout en en tirant le meilleur. Sans les oublier, car elles étaient leurs racines. Il y eut un blanc, un silence, puis elle soupira et reprit. Intérieurement ? Elle prenait note d’envoyer un sachet de ces horribles friandises sucrées à Ilhan pour lui avoir donné autant de patience et de capacité à se retenir.

Oui, vous avez abandonné votre peuple, et votre enfant. Thelem avait besoin de vous pour faire son deuil, au lieu de quoi vous êtes parti, pour votre propre quête. Est-ce que votre départ a aidé à faire en sorte que vos pairs se sentent mieux ? Non. Est-ce que vous avez simplifié les choses ? Non, au contraire

Elle ne prenait aucun plaisir à le lui dire franchement, et elle le montrait ouvertement, mais elle ne continua pas moins son propos, déterminée à aller au bout. Elle devait aller au bout.

Thelem aimait Aldakin comme un second père. Il a énormément souffert qu’il le rejette. Il a énormément souffert pour être le premier Almaréen en qui les Ambarhuniens avaient confiance. il a porté seul le poids de la folie de Néant, quand vous n’étiez pas là, il a porté le poids des crimes de son peuple bien avant que celui-ci ne revienne à la raison. Il a porté le poids de sa nation toute entière quand il a retrouvé sa place, il a vu sa foi bouleversée. Thelem était quelqu’un de bon, d’optimiste, de noble dans le plus pur sens du terme, un homme qui se montrait digne, ouvert d’esprit, accueillant, bienveillant, partageur. Même après tout ça, il aimait encore Aldakin et espérait qu'il puisse suivre un chemin de pénitence. Et il espérait que vous restiez et n’osait pas vous le dire

Un instant, l’émotion fut trop forte pour elle et elle baissa légèrement la tête, larmes aux yeux. Elle avait sentit une connexion avec Thelem, au travers de leurs souhaits communs, leur camaraderie. L’avoir vu souffrir en silence lui avait fait énormément de mal. Lorsqu’elle se sentit de poursuivre, quelques instants plus tard, ce fut d’une voix plus sourde.

Thelem a entrepris beaucoup de choses pour Délimar et elles continuent de vivre. J’espère bien que cette fois, vous serez là pour les voir

Inspirant lentement, elle se redressa légèrement et chassa l’humidité d’un revers de main.

Ecoutez. Que diriez-vous que je vous fasse visiter et que je vous parle davantage de la ville ? Sincèrement, cela me dérange et me met mal à l’aise que vous portiez un jugement aussi hâtif après tout ce tout le monde a pu faire ici… Qu’en dites-vous ? ça nous laissera également le temps de discuter davantage. Je vous connais très peu au final

descriptionAu nom des sacrifiés [Try/Naal] EmptyRe: Au nom des sacrifiés [Try/Naal]

more_horiz
    Le coup était abrupte, autant que légitime, quoiqu'il n'était pas bien certain de le mériter. Mais si ces mots avaient franchi les lèvres de Tryghild, c'était que Dieu l'avait voulu. Dès lors, il l'acceptait, inspirant l'air lentement pour le souffler en suite, en emportant loin de lui l'amertume que tout ceci lui évoquait. Il était ailleurs le temps où il aurait laissé parlé son cœur, les perles d'Odrikatas claquaient sourdement, une à une, dans le silence revenu et qu'il ne comptait pas briser. Elle avait l'air sincèrement triste et touchée par le sort de Thelem. L'avait-elle aimé ? Il lui souhaitait mais cela ne lui expliquait pas ce prompt remariage et sa grossesse. Lui-même n'avait jamais eu le cœur de reprendre une Reine après la perte de la précédente. Il fallait croire que même dans les mariages nécessaires, il était possible d'allumer cette petite flamme de sentiments. Naal et elle partageaient cela en commun : le deuil de Thelem. A la différence près qu'il en savait un peu plus qu'elle sur ce qui avait pu torturer son enfant.

    A l'invitation, le monarque se leva à nouveau, fatigué mais il ne doutait pas qu'il avait besoin de bouger autant que de se reposer. Il vint à elle, pour poser une main tatouée sur un bras qui devait aisément faire le double de son poignet, mais ne trouva rien à dire dans l'immédiat, si ce n'était une compassion qui se lisait aisément sur ses traits sans qu'il n'ait besoin de prononcer de mot. Il leva ses mires claires vers elle alors que les perles d'Odrikatas coulaient le long de leur fil et de ses doigts. « Je suis prêt à vous croire si vous estimez que je juge mal Délimar. » Si c'était un pas vers cette ville qu'elle attendait de lui, alors, il le ferait. Même si cela ne lui était pas facile. Il avait refusé d'en être une part, oui. N'était-ce pas normal ? Aurait-elle agi autrement ? Aurait-elle accepté d'être une part de ceux qui lui avaient tourné le dos et laissé Aldakin le tuer en ne faisant rien ? Ils avaient tous été des complices. Ils avaient fermé les yeux, ils prétendaient n'avoir rien entendu. Ils n'en parlaient pas. Même Thelem, dans le silence qu'il avait laissé à son épouse, en était la preuve. Ce silence honteux. Pourrait-elle comprendre qu'il se sentait mal à l'aise dans cette assemblée de meurtriers ? Et qu'en dépit de cela, il les chérissait ?

    « Et je vous en prie, ne me jugez pas aussi promptement. Vous me connaissez aussi peu que je connais Delimar. » Et elle s'était montrée indisposée à l'idée qu'il flagelle la Cité Libre. Elle pourrait bien comprendre qu'il se montre tout aussi indisposé à entendre ce qu'elle venait de lui dire quand tout ceci était cousu d'erreurs et de partialité. Il ne la blâmait pas, néanmoins, de prendre la défense de son époux. C'était la moindre des choses à laquelle il aurait pu s'attendre mais dans cette triste histoire, Thelem n'était pas que le pauvre agneau qu'on avait sacrifié égoïstement. Bien sûr, il savait que son fils avait souffert, et il le regrettait sincèrement. Il prit une canne sur laquelle s'appuyer. Il y en avait quelques unes dans l'infirmerie et s'ils devaient faire un tour, il ne craignait pas d'afficher sa faiblesse. Il n'avait jamais été un monstre ego. Il n'était pas un Kohan. « Je n'ai pas abandonné mon peuple et mon enfant. Vous semblez oublier que ce sont eux qui m'ont tourné le dos en délaissant ma dépouille derrière eux. » Il eut un sourire en coin, amère et triste, devant l'ironie, car on avait tendance à l'oublier.

    Il ne contestait pas que son absence avait fait du mal à son peuple et à son fils également. Il s'en mordait suffisamment les doigts, mais il n'était pas prêt à encaisser la responsabilité de cet abandon quand, durant vingt ans, il avait tenté de raisonner le Prêcheur et de retenir son peuple. Il s'était battu et il n'avait jamais abandonné. « Si j'avais abandonné mon peuple, Aldakin n'aurait jamais eu besoin de mettre fin à mes jours. Et mon peuple n'aurait jamais eu à être complice de cela. Thelem compris. J'ai tenu jusqu'au bout, vingt ans... Vingt ans c'est terriblement long quand on est seul à ne pas vouloir cet abandon, Tryghild. Même pour moi. Thelem était tout ce que vous en dites de bon, mais c'est lui qui n'est pas resté auprès de moi. Et alors soudain je lui étais devenu indispensable ? » Il n'y avait aucune agressivité dans son ton pour auréoler sa tristesse perceptible, rien que de l'incompréhension devant une telle hypocrisie. Il pouvait bien s'être rendu compte que Naal lui était indispensable, si cela lui chantait... Il avait été temps.

    « J'aime mon fils, tendrement. J'ai fait ce que j'ai pensé être mieux, à tord ou à raison, avec la douleur qui était la mienne. Comprenez que cela ait pu être au delà de mes forces et que vous ne connaissez pas toutes les raisons qui ont conditionné mon choix. On paie tous pour nos erreurs, nos pêchers. Le poids qu'il a porté, c'est lui qui l'a choisi lorsqu'il l'a retiré, comme toute l'Almara, de mes épaules désignées par Dieu pour le faire. J'étais prêt à porter ce poids qui l'écrasait, même après la folie de Néant, même après les erreurs de mon peuple et celles de mon fils. J'étais prêt à le porter comme je l'avais porté pendant des siècles mais je n'en avais plus aucune légitimité. Je ne voulais pas d'un peuple qui accepte de me suivre parce qu'il avait honte de ce qu'il m'avait fait. Ce n'est pas cela... Cela ne pouvait pas être moi. » Marcher lui faisait du bien, quand bien même cela était difficile dans son état, il se montrait vaillant. Lorsque les couloirs laissèrent place aux rues, il se laissa guider par l'Intendante, marchant assez lentement pour ne pas s'épuiser trop vite. Sa voix était composée, grave et ne traînait pas dans ses syllabes. Il n'était pas un roi de sous-entendus. Il était bien trop peu doué pour cela.

    « J'ai aimé Aldakin, de toute mon âme, comme j'ai aimé Thelem. Il était pour moi comme un fils bien avant d'être comme un second père pour votre époux, bien avant qu'il soit glorifié par Néant et ne devienne mon Frère. » Il baissa les yeux sur les pavés, songeur, alors qu'il avançait toujours : « Je me souviens encore de ce tout petit bébé déposé sur le parvis du Temple de Emreledh... Un prématuré et je ne savais même pas si les soins que je lui prodiguais l'aideraient à survivre. » Il adressa un regard à Tryghild, rempli d'une tendresse affligée avant que ses prunelles céruléennes ne balayent l'endroit du regard, comme pour y chercher une ancre ou de quoi l'apaiser. Peut-être aurait-il mieux valu qu'il ne survive pas... « Il m'émerveillait à chacun de ses progrès, j'ai savouré ses premiers pas comme ceux de chacun de mes enfants. Il m’ensorcelait lorsqu'il parlait, tout comme il en a ensorcelé des milliers. Je n'avais jamais rencontrer de perle aussi rare et aussi pure. Pour autant, pour tout l'amour que je lui portais... Et Néant sait combien je l'ai démesurément aimé... J'étais seul, face à lui, pour lui dire, jusqu'au dernier instant, que la démence l'avait emporté et que Néant ne réclamait aucune vengeance. C'était comme s'il était imbibé de la folie dont souffrait Néant, comme s'il avait été touché. Je ne le reconnaissais plus. Après la guerre entre Néant et les Déesses sur Almara, il est parti prier sans relâche et il y est mort d'un jeun qu'il refusait de rompre. Lorsqu'il est revenu, il avait été incorporé au Néant et placé dans le corps d'un Serviteur... Pour réclamer la guerre et la vengeance au nom de Néant. »

    Marcher l'aidait à donner un rythme à sa diction, toujours le même. Ni trop rapide, ni trop lent. Elle avait bien fait de lui proposer cette promenade. A force de rester enfermé, il en avait oublié combien il était bon de prendre plaisir à déambuler dans les rues et écouter le peuple vivre. Il s'était arrêté, un bref instant pour respirer l'air et se redonner des forces. Marcher encore, avancer, ne jamais s'arrêter, ou tomber. Mentalement, il priait : « Quand Néant m'a donné vie une seconde fois, quand j'ai vu dans ses yeux toute la douleur qui le rongeait... Cette manière dont le Tyran avait réduit en cendres toute son essence... J'ai compris ce qu'Aldakin avait vu lorsqu'il a été fait Serviteur du Néant. Ce qui l'avait rendu fou... Ce qui avait mis en lui ce désir de vengeance contre les Déesses et ses enfants. » Sa mâchoire se crispait, tremblait, puis s'apaisait lors qu'il se décida à poursuivre : « Quand j'ai été incorporé au Néant, il a des dizaines de siècles, il était encore pur de toute cette folie. J'ai eu droit à deux siècles de cet absolu. Un Néant, après les vices d'Angellan, laissant partir les vaisseaux Kohan sans haine, sans colère, sans vengeance... Avec plein de miséricorde et d'amour pour le peuple de la lignée Sarawyn. Le même amour et le même pardon qui, gravé en moi, revient malgré... Malgré ce qui s'est passé sur Almara. Mais Aldakin... Et Lyra... Et Dradrok... »

    Il secoua la tête de gauche à droite. « Ils ont baigné dans une colère divine, forgés par la vengeance et la folie. Je pense que c'est cela qui les a rendu aussi horribles... » Il n'avait pas d'autres explications : ils avaient été touché par la folie de l'Unique quand ils avaient été incorporés en lui. « Qui m'a rendu horrible à moindre échelle, du moins, je l'espère. » Il avait été touché lui aussi, même si dans une bien moindre mesure car la colère, après vingt ans, c'était calmée. Néant l'avait accueilli comme un fils et une épaule sur laquelle pleurer. Naal avait pleuré avec lui... Et l'avait libéré. Tout comme il avait libéré Aldakin des miasmes qui le rongeaient, apaisant par le même geste sa vengeance. « L'homme que Thelem a aimé et que j'ai aimé tout autant, sinon plus... Il était déjà mort. Il ne restait d'Aldakin qu'un arme de vengeance forgée par le Tyran Blanc et je ne pouvais pas le laisser rester cet objet, cette chose asservie qui ne vivait qu'au nom de la vengeance. Ce n'était ni rendre service à mon peuple... Ni à cet enfant que j'avais recueilli comme s'il était mien. Oui, peut-être que ma quête ne les a pas aidé à se sentir mieux et n'a pas simplifié les choses. Il n'y avait pas de rédemption pour Aldakin et je ne voulais pas courir le risque qu'il revienne un jour jouer avec l'amour que Thelem lui portait pour détruire ce qu'il était en train de reconstruire avec vous. Je ne voulais pas qu'il répande à nouveau une foi erronée, et je préfère encore qu'Almara ait perdu son souffle de foi que de la voir respirer dans une religion obtuse et remplie de clivages et de chasses à l'hérésie. J'apprendrais de votre peuple, de Délimar... J'ai besoin de temps.... Et de vous aussi, probablement. Je crois, en effet, que si l'église qui existait en Almara n'a pas fonctionné ici, c'est quelle avait besoin d'être réformée. Elle doit assimiler des mœurs et leur donner un sens pour... »

    Il ne l'avait pas vu venir, l'almaréen qui s'était mis à genoux devant eux, implorant en langue natale le pardon pour des pêchers qu'il confessait, là, au beau milieu de la rue et de ses passants, pendant de longues minutes. Une boule de sanglots se coinça dans la gorge de l'ancien roi alors qu'il détournait le regard de cet homme. C'était douloureux, pour lui, émotionnellement. Il savait combien il n'était pas prêt à les entendre, ne serait-ce que pour leur demander pardon. Il n'était pas prêt, à donner de lui, cela ne lui était plus naturel après leur trahison. Et pourtant, il les aimait. Difficilement, ses prunelles revinrent sur cet homme, le regardant avec dégoût et peine, tristesse et pitié. Sa main tatouée vint caresser les lignes sombres qui mangeaient une partie du visage du suppliant. Néant lui avait appris la miséricorde, mais comme elle était si difficile à octroyer quand les pêchers étaient douloureux : « Je te pardonne. » souffla-t-il, en langue commune. Sa main fut embrassée copieusement et l'almaréen n'imposa pas plus sa présence. Qu'il aille... Qu'il aille répandre que cela était possible, d'être pardonné, de briser la glace. Naal resta immobile à fixer sa propre main laissée dans le vide, perplexe. Perturbé, il reprit sa marche et attrapa ses poignets opposés pour que ses mains soient cachées sous les vêtements. Comme s'il avait peur que ça recommence. Et ça lui avait complètement cloué le bec à nouveau. Il marchait avec elle, canne abandonnée il ne savait où dans cette histoire, mais il semblait perdu dans ses pensées.

descriptionAu nom des sacrifiés [Try/Naal] EmptyRe: Au nom des sacrifiés [Try/Naal]

more_horiz
Elle cilla un instant, n’étant pas habituée à ce qu’on accepta aussi facilement ce qu’elle affirmait. En vérité, elle s’était attendue à ce qu’on lui fasse la morale et qu’on rejetta son point de vue. Pas qu’on se plia à sa vision des choses. Un instant, elle resta hésitante, puis se détendit, comme si un poids énorme venait de quitter ses épaules et le creux de son torse, comme une boule dure et dérangeante qui se dénouait d’un coup en apportant un étrange bien-être et un certain calme. Et ce fut sans doute cette acceptation facile de la part de l’homme face à elle qui lui fit également aisément hocher la tête de son côté. “C’est vrai, je ne vous connais presque pas. Je suis désolée si j’ai été abrupte avec vous” Elle n’avait pas réellement voulu lui faire de mal, ce n’était pas son but. Prise dans la blessure de son jugement à l’égard de cette ville qu’elle aimait et pour laquelle elle était prête à se sacrifier, devant l’injustice d’un tel couperet, elle avait simplement réagi sans plus y réfléchir, quitte à se montrer blessante. Elle ne s’excuserait pas du fond de sa pensée, car il admettait aussi, mais elle avait clairement manqué de grâce et de magnanimité en ne prenant pas en compte qu’il avait peut-être réagi exactement comme elle et avec les mêmes sentiments. Elle savait qu’elle n’était pas parfaite, surtout dans ses relations avec les autres, mais elle savait au moins rendre la pareille quand on faisait un effort dans son sens. Expirant lentement, elle tâcha d’évacuer cette tension interne qui était venue la nouer. Il n’avait pas tort, effectivement, mais elle n’arrivait pas à conjuguer tout ce qu’elle avait vu de son dernier époux avec cet acte. Et elle avait bien du mal à le comprendre car elle avait été éduquée dans un autre état d’esprit. Jamais elle n’aurait toléré la moindre félonie elle-même, elle serait morte en protégeant les siens. Pour autant, elle ne traitait pas Naal de menteur.

Pour autant, elle était convaincue au fond d’elle-même que rien n’aurait pu s’arranger avec l’absence de cet homme. Elle lui jeta un regard dur mais sans agressivité. Il ne pouvait pas être assez borné pour ne pas voir cela. On ne guérissait pas une blessure en restant éloigné et c’était pour cela que Thelem avait eut besoin de lui, pour essayer de s’amender, pour agir avec lui, parler, essayer de trouver une issue à leurs blessures mutuelles. Elle ne voulait pas cracher sur sa douleur bien sûr, mais il était plus dur pour elle de prendre un parti, à défaut de meilleur terme, qu’elle n’avait pas vu se ronger intérieurement chaque jour durant ces dernières années. Non en vérité elle avait beaucoup de mal mais c’était en toute ingénuité. Ce qu’il lui disait, elle avait réellement du mal à le comprendre. Elle était heureuse de marcher, car sinon, la tension serait certainement revenue et elle en éprouvait un réel malaise, une réelle peine. Elle avait l’impression d’une barrière invisible entre eux qu’elle n’avait jamais ressenti auparavant auprès des autres. Et ce n’était pas faute d’essayer en vérité. Elle voulait vraiment lui accorder le bénéfice du doute, comme il le lui avait demandé. C’était le moins qu’elle puisse faire, si lui acceptait de faire pareil. Mais elle n’aurait pas imaginé que ce fut aussi dur. “Il a été abandonné?” La question était demandée avait une émotion nouée dans la gorge mais qui n se traduisait pas avec franchise. Elle écoutait sans rien dire, s’assurant juste de le guider dans les rues qu’ils parcouraient d’un rythme paisible. Tout cela, cette histoire, c’était une part de ce que Thelem ne lui avait jamais dit. Que personne n’avait jamais voulu conter. Elle avait décidé d’être patiente et d’attendre le temps qu’il faudrait pour l’entendre mais si on voulait bien la lui confier dès maintenant elle n’allait pas cracher dessus.

Est-ce qu’il l’était ?” Néant avait déteint sur lui, comme une teinture ? “Parce qu’il était constitué de Néant ? Et vous ?” Il avait meilleur mine, maintenant et franchement ce n’était pas du luxe. Le soleil brillait doucement, pas trop chaud et la brise était bienvenue. Elle inspira l’air iodé à plein poumon. De quoi cela avait l’air, le Néant ? Elle n’arrivait pas à se le figurer. Peut-être simplement pacr qu’elle était trop humaine, ancrée dans sa petite réalité fabriquée par les déesses. “Comment un simple dragon a-t-il pu voler son coeur ?” Elle n’était pas de ceux qui avaient assistés à la fin des déesses. Pauvre petite mortelle, elle n’avait fait que ce qu’elle pouvait, être là pour protéger les siens et se battre. Elle ne s’auréolait pas de cette gloire-là et elle s’en fichait, seul son peuple comptait. Mais puisqu’il se montrait prolixe, elle avait bien le droit de l’interroger non ? S’il ne voulait pas répondre de toute façon elle n’allait pas le torturer mais lui qui se plaignait qu’on n’accorda pas d’importance à la foi, là il avait l’occasion de lui en apprendre un peu. Elle était désolée de ce qu’elle entendait, désolée pour l’homme qu’elle avait épousé car elle n’imaginait pas combien cela avait dû être dur pour lui d’aimer une ombre, une coquille vide de l’essence qu’il avait peut-être désespérément cherché. Et pour cette fois, elle comprenait pourquoi il n’en avait pas parlé. Elle n’en aurait pas parlé non plus. Parce qu’il n’y avait rien à dire, le coeur ne s’arrêtait pas de chercher ce que l’on attendait simplement parce qu’on lui disait que ce n’était pas là. L’espoir avait cela de beau et de terrible qu’il ne mourrait pas aisément et quand il n’était pas partagé il devenait un acide qui rongeait les relations extérieures. Ils auraient fini par ne plus se supporter, d’une façon ou d’une autre car elle n’aurait pas pu simplement accepter, et lui ne pouvait pas simplement arrêter.

Il faut qu’elle parle aux gens, tout simplement. Que cela fasse vivre quelque chose en eux…

Tout le monde avait besoin de temps, finalement. Tant que la bonne volonté était présente, le temps n’était pas une affaire bien compliquée. C’était là sa conclusion. Et c’était lui-même qui lui avait donné cette réponse avec tout cela. Leur soudaine interruption lui fit tourner la tête et elle cilla avant de grimacer, mal à l’aise. Elle ne comprenait pas un mot de ce que l’autre disait, mais elle savait de qui il s’agissait et souffla doucement son nom sans oser le relever de force. Elle l’avait dit, ici ils étaient libres dans le respect de leurs lois et cela faisait partie de sa liberté. Du coin de l’oeil, elle surveilla Naal. Si elle ne comprenait pas tout de son sentiment et de sa façon de voir les choses, elle en comprenait juste assez pour savoir que la situation était délicate. Et elle comprenait ce qu’elle voyait dans son regard. Intervenir ne servait à rien car Naal était confronté exactement à ce qu’elle avait attendue, et ce n’était pas à elle de résoudre la situation, c’était leurs chemins à tous deux. De cela au moins elle était certaine. Elle avait de la peine pour eux deux. Un faible sourire vint à ses lèvres tandis que le suppliant se relevait pour partir et elle soupira lourdement. Elle attendit, le laissant penser, réagir, ne voulant pas le pousser, ayant la craint de se montrer de nouveau tranchante et brutale. “Venez” Elle n’avait pas su exactement où le mener jusque là mais venait de comprendre et elle marcha avec plus de direction cette fois. Elle savait exactement où elle voulait le mener, mais pour essayer de lui donner un peu d’aisance, elle décida de passer par le quartier des étrangers. Pourquoi ? Parce que le nombre d’almaréen serait bien moins important et le risque qu’une telle scène se répète moins grand. Une fois suffisait, elle n’avait pas envie d’avoir raison au point de le torturer quand même, et il avait vraiment l’air perturbé.

Quand l’armée de Néant est arrivée sur le vieux continent, elle a balayé les défenses du royaume Kohan, des elfes et des vampires. La puissance du verre noir a mit en déroute les forces magiques sur lesquelles les royaumes s’appuyaient. En peu de temps, Elena et gloria étaient assiégées. Les deux plus grandes villes du royaume humain. Et puis, les miens sont arrivés. Nous étions aussi surpris que nos adversaires en constatant que personne parmis nous ou parmis eux n’usaient de magie. Les glacernois et les almaréens étaient les seuls véritables rivaux dans cette guerre. Mais nous étions aussi des peuples frères. Quand la guerre a été terminée, quand le tyran est arrivé, nous nous sommes rapprochés, se tournant naturellement les uns vers les autres car nous étions les seuls à comprendre un tant soit peu ce que nous pouvions penser et vivre. Lentement, nous avons appris à nous connaître. Et à nous pardonner. Ce n’était pas parfait et ça ne l’est toujours pas mais nous avançons main dans la main en apprenant lentement les uns des autres, en construisant. Délimar est l’image de cette volonté d’avancer ensemble. Chaque pierre posée sur une maison, un mur, chaque planche clouée… tout cela représente une journée de plus à se rapprocher, à se découvrir et à s’aimer lentement, un peu plus chaque fois

C’était ce que représentait Délimar, un amas de leurs volontés et une chance unique de bâtir tous ensemble en s’apprivoisant et en mettant les ombres du passé de côté, résolument. Et ils avaient déjà fait des progrès. Encore une raison de plus pour laquelle les étrangers n’étaient guère les bienvenus chez eux. Ils voulaient se concentrer sur eux-mêmes sans avoir à subir les autres. Etait-ce donc trop demander ? Le reste du monde semblait le penser. Mais sincèrement, le reste du monde n’étant pas eux, elle n’avait pas vraiment envie de l’écouter. Parce que le reste du monde ne savait rien d’eux. Quant à Naal, il avait raison et elle aurait dû le voir immédiatement, il avait besoin d’autant de temps que les autres, mais c’était là le défaut de l’image. Elle ne savait pas si elle aurait la patience, peut-être se mettrait-elle souvent en colère pour exorciser la frustration de l’instant, mais ça ne voulait pas dire qu’elle lui tournerait le dos. Il avait l’air parfaitement sincère et pourquoi est-ce qu’il lui mentirait ? Un instant l’angoisse la repris mais elle se raisonna. Il n’avait absolument aucune raison de mentir et de jouer la comédie. Les almaréens n’étaient pas comme ça. Et Thelem ne l’aurait pas décrit en des termes si élogieux s’il avait été un menteur. Expirant profondément, elle le fit tourner sur la droite pour déboucher sur la place du port, où les grands navires de guerre et les navires de pêches, et les navires d’exploration étaient tous amarrés. Il y en avait un à part, une grande frégate aux voiles blanches frappées d’un motif représentant Délimar. Il n’était pas encore complètement armé ni préparé, mais lorsqu’il le serait sa mission serait unique en son genre. Le ‘Souffle d’Unité’ allait entreprendre un long et dangereux voyage vers les terres du vieux continents afin de vérifier s’il restait des chimères là-bas ou si l’explosion du Baoli avait purifié leurs anciennes contrées.

Mon Père, Havard, avait été convertis par Aldakin

Elle lui jeta un coup d’oeil avant de poursuivre.

Quand mon père a découvert que la princesse impériale Kohan entretenait une relation intim avec un vampire, il a demandé que le vampire en réponde et meure pour crime de lèse-majesté. Korentin Kohan, l’empereur rebel, refusa. Considérant cela comme une trahison impardonnable, mon père se tourna vers Aldakin et Néant. Mais ultimement, il ne voulait pas non plus voir son propre peuple détruit par le prêcheur. Il ne voulait pas que la faute d’un seul homme, Korentin, vint à sacrifier tout le monde. Mais pour autant, il n’eut plus jamais confiance, jusqu’à sa mort, envers les Kohans et tout ce qu’ils représentaient. Il avait, en revanche, beaucoup de respect pour ce qu’il avait pu voir et vivre lors de son séjour dans les camps militaires almaréens. C’est d’une missive de sa part que j’ai trouvé le courage de parler à Thelem la première fois” Un instant, elle resta silencieuse, incertaine vraiment de pourquoi elle lui narrait cela. Mais elle finit par reprendre “Je n’ai jamais vu Aldakin. Ni les autres. Havard décrivait Lyra comme cruelle et violente, presque plus vicieuse que les vampires. Il disait que ce qu’il avait ressentit en croisant le fer avec elle était sombre et froid, mauvais. Nous, glacernois, faisons passer énormément de choses avec nos armes. C’est un mode d’expression. Les sudistes nous voient comme des brutes à cause de cela mais nous nous passions simplement de mots et jugeons les actes pour juger d’une personne. Peut-être aurait-il dû croiser les armes avec Aldakin aussi. Il en parlait avec une forme de paix intérieure, dans sa façon d’écrire, que je ne lui avais jamais vu… jamais. C’est dur de se dire que la personne qui lui a permis de faire la paix avec les spectres de son passé était complètement distordue elle-même…

descriptionAu nom des sacrifiés [Try/Naal] EmptyRe: Au nom des sacrifiés [Try/Naal]

more_horiz
    La suivre, c'était plus facile que de choisir une direction par lui-même alors il le faisait de bon gré, reposant sur elle comme sur une béquille, le temps de savoir marcher à nouveau seul. Il peinait encore, après ce qui s'était passé. Néant lui avait inculqué le pardon et il avait pardonné un millier de fois. Mais jamais pour une telle trahison. Jamais pour pardonner à ses meurtriers, ces gens qui l'avaient laissé agonir sur le marbre du palais. Le souvenir de la froideur de la pierre lui donnait encore des frissons malvenus. Il avait beaucoup de mal, humainement. Leur acte avait été beaucoup trop grave pour que le pardon soit aisé. Il l'avait pourtant donné à l'un d'eux, en l'instant, et il en avait la nausée, profondément révulsé par ce peuple qu'il adorait mais qui le mettait mal à l'aise. Était-ce la faiblesse qui l'avait fait fuir autant qu'elle lui donnait envie de fuir en l'instant ? Ou cherchait-il quelque chose à quoi se raccrocher ? Avait-il cherché à se raccrocher à Aldakin, même après sa trahison ? Il s'avouait qu'une part de lui avait espéré trouver un homme changé, Aldakin comme il fut son enfant, pieux et défait de son désir de vengeance. Il avait probablement cru recoller les morceaux et revenir plus fort, après avoir surmonter les épreuves de ce qui l'avait détrui. En lieu et place de cela, il avait tué Aldakin et cela le dérangeait, plus encore que l'abandon. Il avait échoué et le Tyran Blanc n'avait pas fait que détruire Néant, il lui avait arraché le fruit de sa fierté, le fondement de ses convictions et son envie de partager sa foi. Il la gardait à présent pour lui même, cette flamme, pour que personne ne vienne l'éteindre. Il se recroquevillait sur elle, désespéré sans savoir s'il parviendrait un jour à la transmettre, de nouveau. Autrefois, cela était si facile. Aujourd'hui, il savait que même en la donnant à quelqu'un de confiance, cette personne pouvait s'en servir pour faire du mal. Au fond, il avait terriblement peur.

    Avançant à ses côtés, bien que difficilement, il écoutait ce qu'elle lui narrait et qu'il avait appris à son retour à la vie. Cette sombre époque de l'invasion almaréenne, il ne l'avait pas connue. Il savait néanmoins, que par le verre noire, la vague avait déferlé à une vitesse folle, dans un remarquable et terrifiant massacre fanatique. Aldakin avait été un très bon chef de guerre. Comme lui, il avait appris à combattre des dragons : ils étaient habitués à faire face à des ennemis colossaux et à ne rien laisser au hasard, car la moindre erreur s'avérait souvent fatale. Aldakin n'avait pas prévu l'abandon de Néant, en revanche, n'était-ce pourtant ce que Naal lui avait martelé vingt années durant ? Là naissaient les similitudes avec le peuple de Glacern. Il appréciait ce trait d'histoire, autant qu'il saisissait ce qui avait poussé les nordiques vers ces fanatiques. Il en trouvait l'inspiration de ce qui faisait leur union et ce qui devait être placé au centre de la foi. Les mires céruléennes de l'almaréen parcouraient la flotte, présente au port, admirant le travail de l'homme comme jamais il ne regardait le travail de la nature. Les paysages sans vie humaine ne l'avaient jamais intéressé, mais ça... Toutes ces constructions, même inachevées, elles valaient toutes le coup d'oeil. Fatigué par son état et la perte, quelque part, de sa canne, Naal avait fini par s'arrêter. Sa curiosité et sa foi en l'humanité l'avait poussé à avancer encore, suivre Tryghild, mais il sentait qu'il arrivait au bout de ses forces. Aldakin avait converti Havard, comme il avait converti beaucoup de monde. Il avait été un grand Prêcheur, cela ne l'étonna pas. Le peuple d'Almara, dans les camps, avaient été poussés et encouragés dans une violence et une vengeance terribles, mais hors de cela, c'était leur histoire et leur foi saine qu'Havard avait pu côtoyer. Les prières n'avaient jamais changé, seul le discours d'Aldakin, charismatique, avait distordu leurs actions en leur donnant un sens fallacieux, si plein de colère.

    « C'est dur, oui... » Et il ne savait pas pour autant ce qu'il devait en déduire. Une paix intérieure. Il ne pouvait l'avoir réellement trouvée, à moins qu'il ne fut en paix avec l'idée même de la vengeance et cela donnait tout de suite une signification assez malsaine de sa conversion à la foi du Néant. Certaines personnes, désabusées et abusées à outrance, clamaient la colère dans l'injustice et retrouvaient leur calme après le sang de la vengeance. Était-ce cela qu'Havard avait trouvé ? Il ne l'espérait pas, mais c'était encore l'option la plus probable. L'option moins probable était qu'Aldakin, malgré sa propre déformation intérieure ait pu transmettre quelque chose de sain et créateur dans le cœur d'Havard. Il en doutait fortement, pour avoir côtoyé Aldakin du Néant assez longuement. Le Prêcheur était un homme calme et vingt années durant, il n'avait qu'à peine élevé la voix. Mais ce qu'il y avait en lui, ce qui brûlait viscéralement, était malsain. La dernière option était qu'Havard ait trouvé par lui-même Néant, sans écouter l'entier discours d'Aldakin, sans s'inspirer de ce qui brisait son cœur. C'était la fin la plus belle et il souhait cela. Alors oui, c'était dur pour Naal d'imaginer qu'Aldakin ait pu transmettre quelque chose de sain à Havard. En vérité, il n'arrivait pas du tout à l'imaginer, malgré tout le potentiel créatif que lui offrait sa foi. Il n'y arrivait pas le moins du monde, il connaissait trop ce qu'était devenu son fils de cœur pour cela : « Je ne pense pas que ce soit Aldakin qui lui ait permis quoi que ce soit, Tryghild. Je peux me tromper mais... Si ton père était réellement en paix, c'est qu'il s'est inspiré de la foi de mon peuple, du temps passé à les côtoyer, pour trouver la foi par lui-même. Il ne doit rien à Aldakin, et fort heureusement, car il aurait été un homme de colère et de haine. » Comme tout les almaréens qu'Aldakin avait transformé. Les mots de sa bouche n'avaient été qu'orienté dans un but, celui de propager la foi, avec toute la violence et les crimes qu'il faudrait pour cela et pour rendre justice à Néant.

    « Aldakin n'était calme qu'en apparence. Sa foi était d'une extrême violence, agressive et maladive. Et pour être honnête avec toi, heureusement que ton père a trouvé la foi... Car il aurait été mort plus tôt sinon. » Comme tous les hérétiques. Si Havard avait été un échec, il aurait été exécuté au nom de Néant. L'ancien roi ferma les yeux et vint s'appuyer contre le poteau de bois, cherchant ses forces, plus loin encore, mais il était épuisé. Sa vision se paraît de points noirs annonciateurs. Il respirait lentement et finit par s'asseoir sur une caisse pour ne pas s'évanouir bêtement. Il laissa son corps se reposer et retrouver des forces pour pouvoir marcher à nouveau par la suite. Lorsque les matelots alentours s'inquiétèrent pour lui, il leur demanda de quoi boire. A dire vrai, il ne s'était pas attendu à se qu'on lui tende une outre d'un alcool fort qui lui fit presque cracher ses poumons sur le quai et rire bien des gaillards plus résistants que lui. D'ordinaire, il aurait bien tenu. Mais après son jeûne, ses prières et cette marche achevée sans canne au sortir de l'infirmerie ne l'avaient pas mis dans la meilleure des formes pour affronter cela. Néanmoins, cela lui réchauffa les entrailles avec suffisamment de vigueur pour le requinquer. Il secoua la tête de gauche à droite, des rougeurs lui étaient montées aux joues : peut-être aurait-il du manger quelque chose avec, cela lui aurait moins cinglé le corps. « Il était tellement en colère, Aldakin. Autant que Néant souffrait. Un simple dragon... Aucun dragon n'est simple Tryghild, tu sous-estimes le mal qu'ils peuvent répandre dans leur sillage. Ils sont persuadés d'être des créatures de légendes. Fabuleuses, extraordinaires. Et c'est ce que beaucoup d'ouvrages ambarhùniens relatent. Parce qu'ils ont offert la magie. Cette merveilleuse magie qui brillaient dans leurs yeux comme aucun trésor ne brilla jamais. Appâtés. Hypnotisés par ce don du ciel. La dragons ont été divinisés et placés sur un piédestal comme une œuvre d'art. L'on imagine jamais le mal que peut faire une personne dont on loue la si glorieuse générosité. Les almaréens n'ont pas été aussi virulents à l'égard des mages sans raison. La magie, c'était la poudre aux yeux que répandaient les dragons pour faire oublier ce qu'ils sont, pour endormir les consciences... Les grands mages en sont les plus aveuglés, les plus corrompus, car la magie leur ouvre les portes vers de si grandes choses... »

    Il poussa un soupir, las de cette sottise : « Toi-même, comme tout Glacern, vous saviez combien la magie n'était pas une nécessité. Il n'y avait qu'un pas à franchir pour que vous acceptiez parfaitement le fait que les dragons non plus n'étaient pas une nécessité et qu'ils représentaient même une menace. Le Tyran Blanc était le premier des dragons Liés et le Lien avait été forgé par orgueil et quête de pouvoir. La puissance d'une âme était un tabou, un mystère si attirant qu'il a mêlé à la magie. De tout temps, jamais un bipède ne put créer un Lien avec un dragon, le forcer d'une quelconque manière. C'est le dragon qui crée ce Lien et qui peut l'imposer, bafouant même le consentement de son 'élu'... Ah... 'Élu' quel terme si bien choisi. » L'ironie suintait. Alors qu'il souffla un rire par le nez, le rouge lui montant à présent à ses joues ambrées. Il ne s'était pas rendu compte que les matelots l'écoutaient en travaillant, attentifs autant que curieux, avant de poser son regard surpris sur eux. « L'on peut dire que les Tarenths étaient des êtres cupides... Ils ont commis des erreurs. Mais celui qu'on nomme le Voyageur n'a jamais créé le Lien, il en était tout bonnement incapable. Il n'a été que le réceptacle corrompu de ce que le Blanc voulut créer comme affront aux Dieux. Les tarenths ont payé chèrement leur offense... Ils ont été balayé... Mais les dragons ? Les premiers responsables de tout cela ? » Du Lien... Mais aussi de la libération des chimères. « Rien. Et tu sais, pourquoi ? » Son regard revenait vers Tryghild, songeur : « Néant... Un simple dragon... Les dragons n'ont rien de simples, ils sont avides de pouvoir et Néant était la source la plus puissante de toute magie. Le Tyran a joué avec l'amour de l'Unique, il l'a charmé et il lui a volé son cœur. Il aurait du le louer et le vénérer humblement, en tout piété, comme le peuple d'Almara, mais il a préféré bafouer toute la magnificence qu'il représentait. Il l'a rongé jusqu'à la folie, jusqu'à ce qu'il ne lui reste plus rien sur les os... Si tu avais vu... » Sa voix s'étranglait de tristesse.

    Le matelot qui avait fourni l'outre d'alcool se fit très discret, loin de se douter que l'almaréen avait l'alcool triste. « Si tu avais vu ce qu'il restait de lui. Encore tellement d'amour et si peu de forces. » S'il se donnait dans un lamentable spectacle ? Assurément : il n'avait jamais été charismatique mais ses émotions étaient sincères et vibrantes. « Ce ne sont pas les bipèdes qui créent le Lien. Ce sont les dragons qui, trop faibles à la sortie de leur œuf, enchaînent un esclave à son service, déforme son esprit dans une illusion d'amour, une fusion d'âme. L'on est impuissant face à cela. Et c'est pour cela que mon peuple a toujours refusé de cohabiter avec eux. Non pas de coexister... » Car ils acceptaient que ces créatures, aussi coupables soient-elles, vivent. Leur châtiment ne pourrait venir que des Dieux. « Mais de cohabiter. Un dragon ravit le cœur de bien des personnes, juste sous notre nez, à chaque éclosion. Alors prendre celui d'un dieu... Il n'y avait qu'un pas d'orgueil et de soif de pouvoir à franchir. »

descriptionAu nom des sacrifiés [Try/Naal] EmptyRe: Au nom des sacrifiés [Try/Naal]

more_horiz
Elle resta coite, ne sachant répondre véridiquement à ce qu’il évoquait. Colère et haine étaient deux sentiments coutumiers pour son père, d’aussi loin que ses souvenirs remontaient. Havard n’avait pas décrit son illumination, affirmant simplement son état d’alors, mais elle n’aurait pu jurer de ce qu’il recelait. Il était décédé, à présent, elle plutôt que de le critiquer et de l’analyser, elle voulait bien, simplement, admettre que quoi que ce fût, il s’était sentit mieux ainsi. Et pour l’instant, elle s’inquiétait surtout de l’état d’un autre père. Coulant un regard de biais à l’intéressé, la nordique jugula son pas pour ne pas l’abandonner derrière elle involontairement. Sa curiosité à l’égard des connaissances de l’almaréen était bien réelle, car elle n’avait vécu l’invasion que de loin, à l’époque, veillant comme Seigneur de Glacern en l’absence de son père. Elle avait entendu les récits des survivants bien entendu, avait cherché à savoir. Pour autant, le sujet sembla déraper rapidement. Pas que le sujet, en fait. Le faire boire n’avait peut-être pas été une très bonne idée, mais elle ne pouvait pas vraiment l’en empêcher, psychologiquement. Physiquement, elle ne voyait pas bien ce que Naal pourrait faire pour récupérer l’outre si elle la confisquait. Est-ce qu’elle devait le ramener ou le laisser être ? Est-ce qu’elle était trop curieuse pour le faire décuver tout de suite ? Oui, un peu. Il n’était pas en danger après tout.

Le tyran était un dragon lié ?” Elle eut un geste vers le marin à l’outre, l’invitant à la lui donner. Juste au cas où Naal veuille lamper de nouveau. Elle écoutait avec attention, et secoua la tête à sa question, l’enjoignant silencieusement à poursuivre. Oui, les dragons et leur ambition ? Qu’il continue, il ne pouvait pas s’arrêter maintenant. Elle lui tendit l’outre. Une petite lampée de plus pour se délier la langue ? Elle voulait savoir la suite ! “Mais comment a-t-il fait ?” Voler le coeur d’une divinité, ce n’était pas un petit geste tout de même ! Comment était-ce même possible ? Les dragons, ça restait des créatures du monde, pas des dieux. Elle n’était pas la seule d’ailleurs à attendre la fin du récit. Lyssiens, Glacernois et Almaréens restaient près d’eux et plusieurs semblaient prêts à donner plus généreusement encore de la bouteille pour le faire parler. “Le Tyran n’était pas lié avec Néant, comment a-t-il fait pour lui voler son coeur ? Il l’a trompé ? Il l’a prit de force ? Et les déesses ? Elles l’ont vu faire non ? C’était avant ou après le châtiment des Tarenth ? Pourquoi est-ce que les dragons n’ont pas été châtiés pour ce que le Tyran a fait ? Les Tarenth l’ont tous été pour l’erreure de quelque uns seulement non ? Les déesses ne pouvaient pas détruire la magie du lien ? Pourquoi les dragons pensent-ils avoir besoin d’asservir un humain avec le lien, avec le respect qu’on leur porte, de nombreux humains, elfes ou vampires seraient prêts à les aider après tout..

Comment cela elle posait trop de questions ? Oui mais des questions, il y en avait beaucoup à poser non ? Un des marins suggéra que la caisse n’était pas confortable, si l’almaréen voulait continuer à parler. Il n’avait pas tort. En moins de temps qu’il ne fallait pour le dire, ils furent tous installés dans une taverne toute proche, avec chacun une pinte de bière ou d'hydromel. Naal reçu son propre cruchon de bière, et un gros plateau de charcuterie avec du pain et du fromage, entouré par une audience bien décidée à continuer de le faire parler. Il y eut un blanc, puis Tryghild reprit les rênes puisqu’aucun autre ne semblait vouloir le faire. “Donc… le Tyran été sous terre, enfermé. Mais pendant tout ce temps, il s’est passé quoi ? Néant ne pouvait pas reprendre son coeur ? Qu’est-ce qui l’en empêchait ? Ou les déesses ? Il ne pouvait pas se refaire un coeur ? Et vous vous étiez Serviteur du Néant, vous avez dit que Aldakin et les autres avaient été corrompus, vous avez senti quoi exactement ?” Elle s’interrompit, obligée de faire le résumé de ce qui s’était dit avant qu’ils n’arrivent près des quais, puis reprit “Et pourquoi avoir attaqué le vieux continent ? Néant savait que le Tyran était là ? Il voulait récupérer son coeur ? Et quand les dragons sont partis d’Ambarhuna, la terre s’est mit à périr. La vie venait d’une autre source en Almara ? Et du coup les dragons n’y étaient pas liés ? Il n’y a jamais eu de liens là-bas ? De bipèdes liés à des dragons ? Et du coup, le pouvoir de Néant vient de son coeur ? Du coup quand les almaréens l’utilisait, ils utilisaient le Tyran au final ?” Un des marins servit un verre au monarque, le lui poussa bien gentiment.

descriptionAu nom des sacrifiés [Try/Naal] EmptyRe: Au nom des sacrifiés [Try/Naal]

more_horiz
    Des questions. Des questions par dizaines et pas le temps de répondre entre temps. Il arqua un sourcil septique vers sa belle fille et un sourire amusé courba le coin de ses lèvres. Il s'en montrait patient, écoutant et notant mentalement chacune de ses questions. L'alcool commençait à lui tourner la tête, brûlant sa gorge et son front comme s'il s'agissait d'un insignifiant tas de paille. Il agrippa un marin, lorsqu'il fut question d'aller à une taverne et il fut ravi d'avoir du pain, du jambon et du fromage. Avec un peu de nourriture pour éponger l'alcool, cela devrait aller mieux non ? Il n'en était pas certain. Il n'était plus habitué à ce corps faible d'humain. Jadis, il se montrait bien plus endurant, protégé par le Néant. Et maintenant ? Et bien, il essayait de tenir bon, puisant sa force dans les prières alors qu'il prenait une bonne tranche de jambon sec et croquait dedans. Avaler la première bouchée lui fit un bien fou, consolant son cœur infiniment triste. L'alcool ne faisait de lui ni un homme violent ni un homme joyeux. Du moins, maintenant. Fut un temps, en Almara, où cela ne déclenchait que son bonheur.

    Une nouvelle flopée de questions vint l'assaillir à nouveau. « Je n'ai pas de réponse à toutes tes questions, hélas. Certaines restent et resteront probablement toujours un mystère. Le Tyran était un dragon Lié, oui. Il était lié à un Tarenth, mais pas à Néant. Je pense qu'il l'a trompé. Tout un chacun est libre d'offrir son cœur à celui qu'il estime digne de cela et Néant l'avait offert au Tyran. Je n'ai jamais eu l'audace de lui demander pourquoi... Je n'en ai pas eu l'occasion non plus. Je pars du principe que l'amour et l'amitié sont des choses qui ne s'expliquent pas. Un grand mystère qui rend le Néant bien plus puissant que ses sœurs cadettes réunies. Je ne pense pas qu'il ait pris cela de force.. Un dragon n'aurait pas pu arracher quoi que ce soit à un Dieu... Non, il a gagné son amour, son affection et son cœur. Si les personnes à qui vous offrez votre cœur sont mal intentionnées, alors ils utilisent vos sentiments pour obtenir des faveurs, tout ce qu'ils veulent. La puissance de Néant dans les mains du Tyran Blanc. Il n'y avait rien que les déesses puissent faire pour empêcher les sentiments de naître... Tout au plus elles ne leur permettent, par que Temps, que de perdurer. Et une fois que c'était fait, il était trop tard. Il n'y avait rien à reprendre, on oublie jamais, même quand on le veut, même quand on réalise qu'on a été trompé... On aime toujours, au fond de soi. »

    Il déglutit difficilement et prit la pinte pour en boire quelques gorgées. Il savait que ce n'était pas l'idée du siècle, mais en l'instant, ce qui nouait sa gorge avait du mal à passer. « C'était avant le châtiment des tarenths... C'était encore innocent, je pense. Les déesses avaient, elles aussi, pris en affection d'autres dragons... Mais elles n'étaient pas la création et l'amour incarné. Néant était un absolu. Quand il tendait la main vers quelqu'un, il scellait cela au fond de son cœur et j'ai eu l'immense privilège d'y avoir droit. » Il avait été le premier à prier Néant. Le premier à l'avoir adoré et à avoir créé le Culte. Dans la roue de la réincarnation, Néant l'avait, très jeune, à nouveau illuminé et l'avait protégé jusqu'à la fin. Il avait eu un lien très privilégié avec son Dieu, très humble et sincère. « C'est aussi pour cela que les dragons n'ont pas été châtiés. Les déesses les aimait. Je pense que que soit elles ne pouvaient pas détruire  la magie du Lien... Soit elles ne le voulaient pas, car cela aurait tué tant de dragons à cet instant. Ou peut-être qu'il n'y avait pas que cela, pas que le Lien qui ait poussé les déesses au courroux, d'avantage contre les Tarenths que sur les Dragons. »

    La tête lui tournait. Il prit du pain et du fromage. « Les dragons ont besoin d'asservir les humains... Parce que le respect qu'on leur porte est une chose tellement facile à perdre. Il suffit d'un homme avec des paroles comme les miennes pour que les choses changent. Pour qu'on ouvre enfin les yeux sur l'illusion de grandeur qui les entourent. Ce ne sont que des bêtes qui assurent leur propre survie. Ils ne choisissent, à cet effet, pas n'importe quel bipèdes... Regardez les Kohans : Korentin, Esmelda, Nolan, Luna... Même chez les elfes et les vampires : Orfraie, Kylian... Et même Achroma. Toutes ces personnes étaient et sont des personnes puissantes. Ce sont nos dirigeants. En l'absence des dragons... Vous aviez eu que de bien piètres querelles. Les elfes dans leurs forêt, les vampires dans leur trou... Et quand les dragons sont revenus... Les œufs ont déchiré les peuples et les guerres sont revenues. Néant était en colère. Je pense que le Tyran lui manquait. Il avait été enfermé depuis si longtemps, bien avant l'arrivée des elfes sur Ambarhùna. Il y a eu une guerre, en Almara. Les déesses et Néant se sont affrontés et je pense que le sujet du désaccord concernait le Tyran Blanc. Même depuis sa prison, le Blanc devait chouiner auprès de l'Unique pour tirailler ses sentiments. Almara a été dévastée. Néant enfermé. Et les trois autres Serviteurs du néant sont nés. Nés dans la colère, la frustration. Nés avec un désir de vengeance. Néant ne voulait pas récupérer son cœur... Il voulait qu'on lui rende celui qu'il aimait. Le pouvoir de Néant ne venait pas de son cœur lui-même, mais de ce qu'on pouvait le pousser à faire quand on avait son amour. C'est plus... Une image, en quelque sorte, tu vois ? » La taverne tanguait, non ? Ah sisi, elle tanguait.

    « Il y avait des dragons en Almara. Mais nous visions séparés. Il n'y avait pas de Lié, pas d'esclave... Pas de guerre non plus. Pas de tentations à l'égard de la magie... Lorsque nous nous déplacions, nous n'allions pas nous installer sur les nids de dragons, nous les laissions en paix. En échange, nous réclamions qu'ils ne viennent pas à nous. » Son regard devint flou. « Et s'ils refusaient de partir... Nous les tuions... » L'instant d'après, il était par terre inconscient. Il sentit une présence, près de lui, éthérée et céleste. A lui aussi, son cœur avait été brisé. Il avait dévoué sa vie à néant des siècles et des siècles, sans jamais faillir. Jusqu'à devoir le tuer. Néant était parti avec son cœur mais il ne pouvait pas le libérer, il ne pouvait pas le retrouver. Il continuerait de l'aimer sans fin. Il sentait encore sa chaleur en lui, il entendait encore ses paroles, au loin. Puis  il sentit son corps tenir bon, son dos se raidir aux écailles qui poussaient le long de sa colonne vertébrale. A terre, son corps se roula en boule, recroquevillé, protégé, à l'abri. Sous l'aile du Pangolin qui avait du le prendre en pitié.

descriptionAu nom des sacrifiés [Try/Naal] EmptyRe: Au nom des sacrifiés [Try/Naal]

more_horiz
Elle descendit une première pinte, puis une seconde. Le goût douceâtre de l’hydromel passait bien avec les réponses obtenues de l’almaréen qui se révélait une mine d’informations, même s’il ne pouvait répondre à tout. Il était effrayant de se dire que tous les ravages commis sur l’ancien continent provenaient, au fond, d’une histoire d’amour ayant terriblement mal tournée. Effrayant, et aussi un peu triste. Même si elle n’avait pas beaucoup d’illusions sur des dieux ou déesses que de pauvres mortels avaient dû épauler et parfois sauver, elle trouvait quand même terriblement dérangeant toutes ces révélations et ce que Néant avait pu subir. Ce qu’il dépeignait des dragons, elle ne l’avait pas envisagé. Pour elle, les dragons n’avaient rien à faire des humains, ils étaient très différents. Des humains, ce qu’ils voulaient c’était du respect et ne pas entrer sur leurs territoirs, non ? Mais justement, Naal parlait du respect accordé aux dragons et finalement, il n’avait pas tort. Les humains perdaient facilement respect envers les autres, envers les autres humains, envers les autres races, même envers les dragons. Leurs vies étaient courtes, cela n’aidait pas à comprendre la façon d’être de créatures qui ne l’étaient pas. Mais elle pensait aussi que si ils perdaient leur respect c’était aussi qu’il y a avait de réels arguments pour cela. Pour voir au-delà de l’illusion dont il parlait.

Mais de là à asservir les humains ? Est-ce que ce n’était pas un peu fort ? Verith semblait plutôt n’en avoir rien à faire. Ou alors ce n’était que les liés ? Oui après tout quand de nouveaux dragonniers étaient apparus, les guerres étaient également revenues. “Oui..” Elle voyait et elle comprenait et oui cela faisait sens, et c’était d’autant plus triste. Elle avait un fils, et une fille. Elle ferait n’importe quoi pour les aider, absolument n’importe quoi en son pouvoir. Il suffisait de voir ce qu’elle avait fait pour un ami, lorsqu’Aldaron avait été mordu par un vampire. Alors pour ses enfants ? Elle allait poser une nouvelle question quand elle vit son beau-père vaciller. Ah ? Il ne se sentait pas bien ? Le voir soudainement se rouler en boule par terre l’alarma finalement pour de bon. Elle avait totalement oublié qu’il sortait tout juste de la maison de guérison. Un instant, elle se sentit coupable… avant de se souvenir qu’il ne s’agissait que de bière et qu’il avait survécu à bien pire. Un peu de houblon fermenté en trop n’allait pas venir à bout d’un tueur de dragons non ? Bon, cependant, elle ne pouvait pas le laisser là comme un… un… elle allait dire un vieu linge mais à le voir roulé en boule comme ça ? Ce n’était pas très représentatif. Un fin sourire vint se dessiner sur ses lèvres. Il était trop mignon comme ça.

Se relevant, elle vint l’attraper pour le hisser sur une épaule, amusée de constater que la tentative de l’homme de se rouler en boule comme un pangolin lui donnait la forme parfaite pour tenir en place. En le juchant avec attention sur son épaule, elle sentit accidentellement les plaques sur son dos et resta un instant perplexe. Il faudrait qu’elle demande au médecin de vérifier ça. Quand il aurait finit de la maudir pour avoir fait boire son patient….


descriptionAu nom des sacrifiés [Try/Naal] EmptyRe: Au nom des sacrifiés [Try/Naal]

more_horiz
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
<<