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10 Août 1763


La plume courait avec légèreté sur le parchemin, noircissant ses fibres de courbes et lignes élégantes, emplissant son air immédiat de l’odeur unique d’encre fraîche et tout cela dans un grattement régulier, presque réconfortant pour celle qui l’appliquait. La présence des livres dans un environnement d’études et de silence avait toujours été une source d’apaisement pour la jeune Impératrice. Un réconfort même, telle une bulle à l’écart du monde et de sa cacophonie. Depuis toujours elle avait aimé lire autant que faire de l’équitation ou de la chasse avec ses oiseaux de proies et chiens de traque. Des activités solitaires qui l’avaient souvent isolée, au grand damne de ses tuteurs qui voyaient là un frein à son influence sociale. Ils n’avaient pas réellement eut torts puisqu’elle avait attendu son quinzième anniversaire pour réellement s’intéresser à la Cour et sa politique, puis quelques mois seulement après sa seizième année ? Elle était couronnée première Impératrice dans toute l’histoire de son peuple. Aujourd’hui plus que jamais, ses lacunes et le poids de ses responsabilités pesaient atrocement sur ses frêles épaules.

Le crissement de la plume s’interrompit après une sublime envolée en bas de page, signature élégante où s’apposa un cachet de cire à l’emblème impérial. Elle péchait encore dans certains domaines et son jeune âge n’aidait certainement pas à rassurer le Conseil ou les membres de la Cour, toutefois elle avait la volonté farouche d’apprendre et la détermination de vaincre tous les obstacles qui se dresseraient devant elle… à compter par sa sœur aînée Luna. Elle avait longtemps hésité à prendre les mesures nécessaires à l’égard de la jeune dragonnière pour l’évincer totalement de la succession au trône, mais force était d’admettre qu’elle n’avait pas encore ce qu’il fallait pour toutes les mettre à exécution. La réputation de Luna jouait en sa faveur et le peuple la chérissait encore énormément malgré les récents événements avec Cordont ou encore le Lien et les Chimères, ce qui rendait toute action précipitée dangereuse pour sa propre position et popularité au sein de son empire.

Toutefois, par les Dieux seuls savaient quel procédé, la Princesse était tombée enceinte de son épouse en début d'année. Un événement contre-nature de l’avis de Victoria et qui jetait sur la Cour un voile mitigé de réactions. Si beaucoup s’accrochaient encore à la gloire qu’avait su amasser la Princesse des Lumières au cours de ces dernières années, autant par sa régence que ses actes de bravoure, la Couronne était encore trop aimée et respectée dans ses traditions pour que la majorité se range à l’idée qu’une femme puisse en engrosser une autre surtout lorsque l’enfant à naître sera confirmé comme étant un immaculé. Cette race n’avait pas encore de statut bien défini, que ce soit ici ou ailleurs, mais la jeune Impératrice avait la certitude que le Conseil refuserait de voir un non-humain sur le trône.

Le doute l’avait toutefois saisit et l’avait rongé comme un poison durant nombre de mois… et si l’enfant était un garçon ? Et si les nobles faisaient pression en préférant avoir un mâle sur le trône même s’il était d’une autre race plutôt que de supporter une femme !? Ne trouvant plus le sommeil, elle avait fini par prendre quelques précautions. Rien de dangereux au départ, juste un spirit de la souris qui avait été envoyé, en tout discrétion, auprès de Luna pour vérifier le sexe du bébé et fort heureusement ; il s’agissait d’une fille. Malgré ses angoisses et résolutions, Victoria aurait détesté ordonner la mise à mort d’un nouveau-né, bien qu’elle l’aurait tout de même fait si c’était là sa seule solution pour préserver son trône. Son frère l’avait choisi elle et personne d’autre. Jamais elle ne trahirait sa confiance en cédant l’Empire à qui que ce soit… du moins, c'était ce dont elle voulait se convaincre.

Trois coups discrets furent frappés aux doubles portes et l’adolescente s’extirpa de ses sombres pensées avec un léger sursaut. Seule dans le bureau au mobilier de bois massif, elle avait perdue toute notion du temps alors qu’elle travaillait d’arrache-pied pour prendre en main la gestion de son Empire, les conflits en domaines et autres affaires d’états qu’elle seule pouvait décider due à son rang. Fort heureusement, la Main du Roi filtrait le plus gros et pré-mâchait le reste en des rapports concis avec nombres d’annotations dans les marges pour qu’elle comprenne aisément tel ou tel détail litigieux. Mais alors qu’elle posait sa plume et s’appuyait dans le dossier trop grand de son fauteuil, ses yeux glissèrent sur le reste de la pièce et un pli amer ourla ses lèvres. Si Luna était la Princesse des Lumières, elle n’était que la Colombe ou encore le Joyau de Sélénia et plus que jamais, alors que le soleil crépusculaire filtrait par les carreaux de la fenêtre, prolongeant les ombres à la façon des barreaux d’une jolie cage, Victoria se demandait si elle n’était plus, tout simplement, qu’une oiselle aux ailes taillées ou un bijou gardé dans un écrin.

Cela ne faisait qu’une vingtaine de jours depuis son couronnement, mais le temps lui filait entre les doigts à une allure folle. Ses journées étaient si pleines qu’il lui était parfois difficile de manger ailleurs que sur le coin de son bureau. Trouver le temps de se détendre seule ou en bonne compagnie relevait à présent du fantasme et il lui arrivait, parfois, de comprendre le mal être que son frère adoré avait pu ressentir toutes ces années. Trois nouveaux coups frappèrent à la porte, un peu plus fort cette fois et Victoria roula des yeux alors qu’elle autorisait enfin à ce que l’on entre. Un valet se glissa dans l’entrebâillement, referma derrière lui et posa les genoux au sol pour se prosterner.

« - Votre Majesté, la Princesse Luna Ataliel Kohan est arrivée selon votre volonté.
- Bien. Qu’elle entre et faite nous porter une carafe de vin rouge. Du domaine Courbelune. Ajoutez à cela de quoi grignoter, mais rien de trop riche toutefois, eut égard à la grossesse de la Princesse. »

Elle avait manqué oublier que quelques jours plus tôt, elle avait envoyé une convocation à sa sœur aînée, la demandant auprès d’elle pour une entrevue formelle. Puisqu’elle ne pouvait pas l’évincer tout de suite du trône, Victoria comptait réduire drastiquement son influence auprès de la Cour et diminuer sa voix en terme de poids décisionnel politique. Pour cela, une excuse toute prête lui avait été glissé sur un plateau en or, d’autant plus encouragée par les récents événements. Se redressant dans son siège, Victoria posa un regard impavide sur la silhouette engrossée de la dragonnière dès qu’elle vint à franchir le seuil, escortée dans le bureau par la garde privée de l’Impératrice. Cette dernière ne se leva pas et n’eut pas même un frémissement alors qu’elle attendait de voir quelle salutation l’autre lui accorderait. En fonction du choix de ses gestes et mots, l’entrevue pouvait tourner relativement court.

« - Bonsoir, Princesse Luna. »

Le ton était doux, mais dénué de toute chaleur. Un sourire éclaira son visage, mais ne gagna pas le bleu profond de ses prunelles. Préserver un masque de neutralité lui était difficile, plus encore de ne pas abuser de l’autorité que la couronne aux saphirs verts qui ceignait son front lui accordait. Prenant une inspiration, elle désigna l’un des sièges qui lui faisaient face, l’invitant silencieusement à prendre place. Le bureau de Victoria était parfaitement rangé, frôlant presque la maniaquerie à ce niveau. Il y avait une pile nette où s’entassait les dossiers à traiter ; chacun était trié selon leur source via un code couleur au niveau des cachets les scellant. Une autre pile rassemblait les dossiers traités, triés selon leur urgence cette fois par un code bien établi de rubans. Entreles deux, la fine silhouette de Victoria apparaissait avec les traits légèrement tirés, bien que cela n’altéra en rien la beauté magique que lui conférait le Paon depuis quelques mois. Régalienne dans sa posture et son silence, elle détaillait sa sœur avec critique.

« - Vous semblez radieuse. La grossesse vous va à merveille. »

Banalités d’usage, mais il valait mieux s’en débarrasser maintenant que plus tard. Le temps lui était compté et ce n’était pas en badinage que son travail diminuerait tout seul. Puisqu'elles étaient dans son bureau et qu'elle était désormais l'Impératrice, Victoria abandonnait le jeu de la petite sœur admirative et enjouée, parfois capricieuse et décidée à plaire à la dragonnière. Elle n'était plus une enfant et devait porter le poids de son titre en agissant comme tel. Un soulagement personnel, de son avis.

« - Comment vous sentez-vous ? J’ai cru comprendre que porter un enfant immaculé n’est pas sans risque… j’espère que vous vous ménagez. Nous serions dévastés s’il vous arrivait quoi que ce soit. »

Une fausse-couche, un enfant mort-né ou carrément la mort de la génitrice ; autant d’accidents qui pourraient survenir sans qu’elle ait besoin de lever le petit doigt. Autant de risques qui l’auraient encouragée à commander la mort du nourrisson s’il s’était agis d’un mâle… Malgré le macabre de ses pensées, Victoria continua d’afficher un tendre sourire, masque parfaitement lisse et indéchiffrable. Baissant finalement les yeux sur le sous-main de cuir, elle récupéra la plume pour la glisser dans son étuis.

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Luna attendait sagement devant la pièce où sa jeune sœur, désormais impératrice, se tenait. Elle n’aurait pas osé entrer sans son autorisation, car elle savait qu’elle n’aimait pas être dérangée et ce, même si c’était elle qui l’avait demandée. Détrompez-vous, la princesse des lumières était heureuse d’être là. Certes, elle n’avait pas la même relation avec elle qu’avec Nolan Kohan, où elle se serait fait un malin plaisir d’embêter et n’aurait pas pris la peine de patienter pour le voir. Néanmoins, Victoria était importante pour elle et donc, elle faisait un effort supplémentaire pour ne pas la submerger de sa personnalité lunesque. Avec ses nouvelles fonctions, la nouvelle impératrice semblait avoir que peu de temps libre… L’idée qu’elle pouvait vouloir l’éviter ne lui avait pas effleuré l’esprit ou si c’était le cas, elle avait préféré la refouler bien loin en elle.

Le valet finit par entrer dans la pièce puis elle entendit une voix féminine accepter l’entretien. Le domestique tint la porte pour laisser la princesse entrer. Elle était vêtue d’une robe longue de couleur bourgogne dont le tissu et les détails étaient de grande qualité. L’ancienne soldate n’avait jamais été très robe, mais elle concevait que c’était beaucoup plus simple à enfiler avec le gros ventre qu’elle avait désormais et qu’en général, cela rendait sa vie plus facile. L’homme referma ensuite la porte derrière lui et s’éloigna pour remplir la tâche qui lui avait été confiée.

- Majesté. Dit-elle.

Elle s’inclina comme se devait une princesse face à son empereur. Elle savait que l’étiquette et les protocoles étaient des éléments importants pour la jeune femme qui se trouvait en face d’elle. Elle n’avait nulle envie de la froisser par un salut un peu trop familier. Elle avait le sourire aux lèvres lorsqu’elle posa ses azurs sur elle puis la remerciant d’un signe de tête, elle vint prendre place dans le siège désigné. Elle posa ses mains sur son ventre qui était désormais protubérant, c’était désormais devenu un geste machinal.

Son compliment la fit sourire et elle remercia sa sœur. Elle s’était longuement demandé ce dont les deux femmes parleraient une fois face à l’autre et elle s’était fait plusieurs scénarios dans sa tête. Choses certaines, ce n’était pas pour se dire des compliments et des banalités.

- Je me sens bien… Merci de vous en soucier. Ce n’est pas facile à tous les jours, je dois le reconnaître. Et les prochains mois risquent d’être les pires. Ce serait un mensonge que de dire que l’accouchement ne m’effraie pas… Mais c’est Orfraie qui est la plus inquiète. Normalement, je devrais accoucher en octobre, mais je risque d’aller à ses côtés avant cela, car sait-on jamais… Poursuivit-elle.

En effet, si elle avait mis au monde un enfant humain, sa grossesse serait à terme en octobre. Mais là, l’élément nouveau était qu’elle mettrait au monde un Immaculé. En tout cas, les quelques couples humain-Sainnûr avaient toujours donné comme résultat un Sainnûr et les mères humains avaient souvent eu une fin tragique. Elle ne voulait pas y penser!  

- Je suis heureuse d’être ici. Cela fait un bon moment que je voulais vous voir. Je ne sais pas trop comment vous demander ça… Enchaîna-t-elle sur un sujet qui lui semblait plus positif. Elle prit quelques secondes pour formuler sa demande dans sa tête. Victoria, accepteriez-vous d’être la marraine de ma petite étoile?

Luna avait demandé cela sur un ton chaleureux, sa petite étoile étant le surnom qu'elle donnait à son futur enfant dont elle ignorait le sexe. Pour elle, la demande d'être marraine était une preuve d’affection et de confiance qu’elle lui faisait. De toutes les personnes de son entourage, c’était à sa sœur qu’elle conviait cet honneur. Elle voulait le lui demander avant qu’elles n’entrent sur d’autres sujets et qu’elle n’y pense plus. Cela faisait tellement longtemps qu’elle voulait le lui demander, elle ne pouvait pas rater cette opportunité.

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Si elle fut satisfaite de la révérence que lui offrit Luna, elle n’en montra absolument rien. Il était des choses qu’elle prenait pour acquis et qui ne méritaient aucun signe de reconnaissance de sa part comme l’était la correcte salutation d’une princesse pour son Impératrice parmi tant d’autres choses. Jouant quelque peu avec les fibres soyeuses du duvet ardoise engorgeant la base de sa plume, Victoria l’écouta avec une attention feinte et hocha gracieusement du chef lorsqu’il fut mention de son départ organisé avant le terme de sa grossesse. Bien, qu’elle aille donc s’enterrer à Ipse Rosea ! Voilà un ennuis de moins pour elle à gérer, mais aussi une tentation soustraite à son intérêt car il serait mentir que d’avouer qu’user de la grossesse périlleuse de Luna pour l’éliminer ne lui avait pas arraché à de nombreuses reprises quelques douces rêveries. Un fin sourire lui vint d’ailleurs et tout en laissant ses yeux s’attarder sur le réseau délicat de la rémige mouchetée, elle souffla avec cette douceur trop sucrée que l’Empire prierait les Sept pour que son accouchement se déroule sous les meilleurs auspices et offrirait une grande liesse lorsque ce jour arriverait.

Lorsqu’elle releva de nouveau les yeux sur sa sœur adoptive, Victoria s’assura de ne jamais la regarder directement dans les yeux. Elle fixait un point entre ses sourcils afin de donner l’illusion de l’observer franchement tout en se soustrayant avec habileté aux possibles pouvoirs vicieux que possédaient tous les dragonniers. Depuis que Nolan avait accepté son lien, celle qui était jadis une princesse naïve et impressionnable avait alors cherché tout ce qu’il y avait à savoir sur cette merveille digne des contes et légendes. Elle avait initialement eut pour objectif d’aider et accompagner son frère dans cette nouvelle facette de son existence et si elle avait appris bien des choses, aussi superbes que terribles, elle n’avait au final pu sauver les intérêts de Nolan. Toutefois, forte de ce savoir théorique, elle ne comptait pas se faire prendre aujourd’hui par un sortilège fort grossier ; le « Regard de braise », une appellation aussi vulgaire qui allait -de son avis- parfaitement bien à sa sœur et sa basse extraction. Il s’agissait peut-être d’une paranoïa injustifiée, mais Luna restait un esprit libre et la jeune Impératrice ne voulait absolument pas encourir le moindre risque en la sous-estimant.

Elle s’en félicita d’ailleurs lorsque la bécasse engrossée vint lui sortir une énormité plus grosse encore que l’idiot du village qui lui servait de dragon… Frappée de surprise, déstabilisée même par cette demande incongrue et complètement déplacée, forte de toute son amertume cumulée au fil des années, Victoria manqua de répondre d’un rire âpre et mauvais. Elle, devenir la marraine de l’enfant à venir !? Mais bien sûr ! Que cherchait-elle par cette démarche si ce n’était d’assurer à sa bâtarde de fille une place privilégiée près du trône Sélénien !? Pensait-on réellement qu’elle allait croire à une démarche sincère d’amour et de confiance ? Par tous les dieux, l’on était à la Cour sélénienne, pas au pays des oursons et des arc-en-ciels ! Était-ce Orfraie qui lui avait soufflé cette idée ? Non, sous ses airs candides, Luna restait une fille intelligente et débrouillarde ; l’idée devait forcément venir d’elle hors il fallait admettre que l’Impératrice ne s’y était absolument pas attendue et qu’à présent, elle se retrouvait avec une véritable patate chaude sur les mains.

Sa première pensée fut de refuser et d’abréger cette rencontre au dépit de l’annonce qu’elle devait lui faire originellement, mais après quelques secondes à porter le masque policé d’une stupeur ingénue, elle choisit d’afficher un sourire frêle, voire timide et parfaitement dosé. Son cœur battait la chamade alors qu’elle réfrénait sa légère panique ainsi que sa profonde rancœur. Pour cacher davantage encore son émois et jouer sur le plan d’une réflexion mûrement posée, l’adolescente souleva son siège afin de le reculer sans un bruit et se leva. Dans un silence mitigé, avec les mains croisées sur son ventre où le corsage serrait une taille déjà fort gracile, elle avança jusqu’aux fenêtres pour regarder le parc qui s’étendait à perte de vue.

« - Je ne peux cacher ma surprise. Ainsi que ma légère panique, Princesse Luna. Vous me demandez là une grande responsabilité... »

Sa demie-sœur avait peut-être abandonné les bonnes manières en s’adressant à elle directement par son prénom et en faisant fi de son titre, mais elle ne comptait pas s’abaisser à pareille familiarité même si le sujet était, en soit, déjà fort intime. En terme de responsabilité, il n’y avait pas que le devoir d’une marraine au cas où les parents venaient à disparaître, mais aussi toutes les implications politiques derrière. La situation de Luna et d’Orfraie avaient causé bien des remous dans la haute société, mais aussi dans le peuple. Une humaine épousant une elfe, puis une humaine finissant engrossée par une femelle immaculée ? Voilà autant de tabous que le peuple Sélénien avait encore du mal à digérer. Si elle acceptait cet enfant comme sa filleule, alors elle prendrait position pour un changement drastique dans les mœurs de son Empire et elle n’était pas certaine d’être capable de le faire seule.

« - Sachez que je vous remercie de la confiance que vous m’accordez en exprimant ce vœux et c’est pourquoi je ne peux vous donner ma réponse dans l’immédiat. Si j’accepte de devenir sa marraine, les conséquences qui incomberont à l’enfant ne peuvent être prises à la légère. Il me faut y réfléchir. »

Elle se tourna pour lui offrir son profile délicat, nimbé par la lumière qui cascadait depuis les immenses fenêtres. Sa réponse n’était qu’une demie-vérité ; elle avait besoin de connaître l’avis de son Conseil et plus particulièrement de sa Main avant de rendre une décision finale. Davantage pour elle que pour l’enfant, les conséquences étaient trop lourdes, trop vastes même pour qu’elle décide seule. Si Luna avait eut la décence de tomber enceinte d’ici quelques années, après qu’elle se soit fais les armes sur son nouveau rang alors elle aurait pu décider seule, mais le trône Impérial lui était encore trop inconnu, trop obscure et terrifiant pour qu’elle s’aventure sans aide et conseils sur cette voie. Son regard s’accrocha à Luna, mais elle resta à contempler l’arrête de son nez plutôt que le bleu profond de ses yeux, incapable de se défaire de sa méfiance malgré le sujet… ou peut-être était-ce le sujet qui la mettait dans un tel sentiment de paranoïa. Même en présence de son frère adoré n’avait-elle eut le courage d’abandonner totalement son masque et plus encore les murailles qui entouraient son esprit. Les conseils de Sir Avente ne la quittaient jamais.

« - Avez-vous décidé de qui sera le parrain ? »

S’agissait-il de Nolan ou d’un proche d’Orfraie ? Peut-être était-il plus judicieux d’avoir un elfe ou un autre immaculé pour accompagner un enfant aussi… étrange. L’on en savait encore peu sur cette race récemment survenue, comme bien d’autres choses en cet Archipel. Avant que Luna ne puisse lui fournir de réponse, quelques coups discrets furent frappés à la porte et Victoria autorisa à ce que l’on entre après quelques secondes d’un silence réglementaire. Ce fut une jeune servante au visage mangé de tâches de sons et aux cheveux d’un roux sombre, presque auburn, qui entra dans le bureau Impérial en faisant une profonde courbette pour les femmes présentes. Poussant un chariot, elle avança jusqu’au petit salon aménagé près des fenêtres. Elle posa une carafe d’hypocras maintenu glacé grâce à des runes basiques qui n’étaient que très peu affectées par la perturbation magique et qui avaient pu être corrigées assez rapidement. Elle disposa plusieurs petites assiettes de mets légers, fruités comme salés pour convenir à la grossesse d’une femme dont les goûts et les odeurs pouvaient devenir capricieux ; fraises, concombre au fromage frais, raisins, petites carottes râpées dans une verrine avec une vinaigrette de framboise, carpaccio de viande avec un huile de noix pour enlever le goût parfois doucereux de la viande, etc.

« - Venez vous installer, nous serons plus confortablement installées pour discuter. »

Elle présenta la méridienne à Luna et y ajouta quelques coussins supplémentaires si jamais la jeune femme désirait se soulager le dos dans leur appuis moelleux et ajustable. Elle versa deux verres de vin où flottaient encore les fruits de saison qui lui donnaient une robe si profonde et un parfum si riche. En cette chaleur et parce que l’eau n’était pas encore filtrée même si Sélénia poursuivait sa construction cyclopéenne, un vin léger lui avait semblé plus conseillé qu’une eau, même bouillie et refroidie. Un thé, avec cette chaleur, lui était hors de question aussi l’Impératrice trempa-t-elle ses lèvres dans sa boisson et profita de ses saveurs uniques avec un léger soupir d’aise. Faire une pause, même si c’était en compagnie de sa demie-sœur, n’était en fin de compte pas de refus. Ne voulant d’ailleurs pas gâcher tout de suite cet interlude, Victoria poursuivit la conversation ;

« - Vous disiez rejoindre votre épouse ? Avez-vous arrêté une date pour votre départ et si oui, où comptez vous vous rendre ? Ipse Rosea ou cette charmante petite île où eut lieu votre mariage ? J’ose espérer que vous me ferez le plaisir d’une visite lorsque vous et l’enfant seriez en mesure de voyager ! Je me languis déjà de voir votre… petite étoile. »

Le mièvre de ce surnom lui donnait déjà presque la nausée, mais puisqu’elle ne pouvait pas se trahir d’être au courant du sexe exact de l’enfant à venir, elle rusait comme elle le pouvait, surtout si cela mettait la dragonnière de bonne humeur et l’encourageait à poursuivre ses babillages. Attendant la réponse, Victoria se pencha pour saisir une petite tartelette de framboise qu’elle croqua avec délice.

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Luna ne s’imaginait pas tout ce qui se tramait dans l’esprit de celle qu’elle considérait comme sœur. Tant de paranoïas et de méfiance l’auraient certainement blessée. Certes, elles n’étaient pas les meilleures amies du monde toutes les deux, cela elle le concevait. Mais elle croyait qu’elles étaient en mesure de s’entendre et elle tenait sincèrement à Victoria. Elle ne lui souhaitait que le meilleur, qu’elle puisse trouver la joie et le bonheur. Était-elle heureuse? La question lui avait souvent brûlé les lèvres, mais elle n’avait jamais osé lui donner vie. Elle espérait que oui. Sa jeune sœur avait toujours eu la main pour la cour et la politique, à l’inverse d’elle, et le rôle d’impératrice la seyait bien. Elle pourrait faire de grandes choses, car elle était une femme forte et ce, dans bien plus d’aspects que Luna… ou plutôt, dans des aspects différents?

La princesse des lumières attendait la réponse et continua de sourire malgré la surprise que dépeignit Victoria. Mais lorsque cette dernière se leva pour se diriger vers les fenêtres, elle mordit doucement sa lèvre inférieure puis ressaisit aussitôt, cachant sa déception. Elle avait espéré qu’elle le prendrait avec grand enthousiasme, mais cela ne semblait pas être le cas. Peut-être était-ce une trop grande nouvelle et que cela s’ajoutait à sa liste de tracas? Ou qu’elle ne se sentait pas à la hauteur? Être parrain et marraine étaient deux rôles importants dans la vie d’un enfant, encore plus s’il arrivait malheur aux parents. De plus, elle concevait qu’il y avait tout un poids politique dès que le plus haut dirigeant était sollicité.

- Je vous prie de prendre tout le temps qui sera nécessaire et surtout, de ne point vous en vouloir si vous avez à refuser. Prononça-t-elle doucement.

Elle préférait qu’elle soit honnête et qu’elle refuse le titre de marraine si cela la mettait mal à l’aise, si elle n’était tout simplement pas intéressée ou peu importe la raison.  Elle lui sourit à nouveau, sincèrement, lorsque Victoria se tourna à nouveau vers elle. Elle contempla les traits de la jeune femme pendant un instant. Elles n’étaient pas sœurs de sang, mais pourtant les Dieux avaient voulu que toutes les deux se ressemblent en de nombreux points. Notamment par cette chevelure qui tombait telle une cascade d’or, certes plus somptueusement qu’elle, et ce regard qui rappelait l’océan.

Les deux femmes furent interrompues par l’arrivée d’une domestique apportant petits encas qui avaient l’air délicieux. Elle les plaça dans le petit salon puis demanda poliment son congé, laissant les deux Kohan seules à nouveau. Suite à l’invitation de l’impératrice, Luna se leva lentement puis s’installa confortablement sur la méridienne désignée. Elle la remercia poliment et posa un coussin moelleux dans son dos. Ah! Quel bonheur. Sans oublier de la remercier, elle prit ensuite délicatement son verre de vin et y posa ses lèvres. C’était définitivement délicieux. L’idée que le liquide puisse être empoisonné ne lui avait jamais effleuré l’esprit. Elle profita de cette opportunité qu’offrait cette petite pause pour répondre à la question que Victoria lui avait demandée avant qu’elles ne soient interrompues.  

- Concernant le parrain, je dois vous avouer que cela est encore en réflexion. Je trouverais cela juste que ce soit Orfraie qui choisisse le parrain. Si elle parvient à faire un choix, j’espère que Nolan ne sera pas peiné de cette décision.

C’était la vérité. De toute façon, pour quelles raisons Luna mentirait-elle sur le sujet? Elle n’était pas du genre à faire des manigances. Si elle choisissait de son côté la marraine, cela serait juste et équitable que le parrain soit choisi parmi l’entourage de son épouse, n’est-ce pas? Mais bien sûr, elle avait pensé à Nolan pour ce rôle. Mais ce dernier étant absent, cela pouvait attendre encore un peu. Ce n’était pas le genre de questions qu’elle aimerait faire par l’entremise d’une lettre ou d’un message, mais plutôt en personne.

- C’est succulent. Vous avez un talent pour trouver les meilleurs mets qui soient. Prononça-t-elle.

La femme enceinte était satisfaite de la nourriture. Certes, elle n’était pas très difficile à plaire de base puisqu’elle n’avait pas des goûts aussi raffinés que Victoria. Néanmoins, il est vrai qu’elle avait beaucoup plus de mal à se sustenter depuis qu’une petite étoile grandissait en son ventre. Elle avait choisi en premier un concombre au fromage frais puis avait choisi des raisins. C’était frais et délicieux. Elle n’avait pas touché au carpaccio puisque la viande ne lui disait rien du tout et qu’elle savait déjà que ça passerait mal.

La conversation avait tourné vers sa date de départ. La vérité était qu’elle avait une grande hâte de retrouver Orfraie et le plus tôt serait le mieux pour l’Inséparable. Mais elle n’avait pas osé quitter Sélénia avec les derniers événements. La situation lui semblait désormais plus stable et elle ne devait tarder à planifier son départ si elle ne voulait pas accoucher à Sélénia, mais aux côtés de son épouse. Qui sait si la petite étoile voulait briller avant l’heure prévue?

- En effet, il est prévu que j’irai rejoindre prochainement mon épouse. Bien que nous aimons beaucoup notre petite île, il nous est apparu plus sage et plus sécuritaire que je reste à Ipsë Rosea. La date n’est pas encore clairement fixée, mais ce serait d’ici la fin du mois... Si bien sûr cela vous va, car je tenais à m’en assurer.

L’idée de devoir quitter Sélénia la désolait. Elle avait du mal avec l’idée de s’éloigner de Victoria alors qu’elle venait tout juste de devenir Impératrice et qu’elle avait hérité d’immenses responsabilités. Elle s’en voudrait de ne pas être là alors qu’elle en aurait eu de besoin. En même temps, elle n’était pas d’une grande utilité grosse comme elle était et était plutôt une source de stress comme un glyphe d’explosion à retardement.

- Je vous promets que vous serez la première à qui j’enverrai un message dès que la petite étoile sera née. Je viendrai à Sélénia dès que nous le pourrons, mais cela risque de prendre un petit moment après la naissance. Poursuivit la jeune femme qui n’avait pas remarqué l’hésitation dans la voix de sa sœur.  

En supposant qu’elle survivrait à son accouchement, Luna ignorait combien de temps il lui serait nécessaire pour s’en remettre. Il y avait tant de mystères et d’éléments inconnus. Personne ne pouvait réellement l’aider à s’y préparer. Élever un humain, ça lui paraissait déjà compliqué. Or, dans son cas, il ne s’agirait pas d’un humain, mais d’un Sainnûr.

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« Je vous prie de prendre tout le temps qui sera nécessaire et surtout, de ne point vous en vouloir si vous avez à refuser. » Victoria sentit ses épaules se crisper et il lui fallu tout son sang-froid pour ne pas répliquer sèchement à sa dinde de demie-sœur qu’elle n’aurait absolument aucun scrupule à prendre tout son temps et qu’elle n’allait certainement pas s’en vouloir si elle laissait cette petite bâtarde sans marraine. Elle était l’Impératrice ! Bien sûr qu’elle avait tout le temps qu’elle désirait pour une décision aussi triviale. Heureusement pour cette rencontre et afin de sauver les apparences, la conversation glissa sur un autre sujet et l’adolescente pu conserver son masque de douce courtoisie et d’amabilité sans trop de difficulté. Pour faire passer la bile qui brûlait le fond de sa gorge, Victoria termina la tartelette de framboise et fit attention de garder son autre main en coupe sous la pâte friable afin de ne pas tâcher sa robe. La réponse à sa question sur le parrain arriva bien assez tôt et fut plus que surprenante.

Ainsi Nolan n’était pas prioritaire dans les choix de l’immaculée flamboyante ? C’était étrange. La jeune Impératrice haussa élégamment un sourcil, mais se passa de tout commentaire. A la place, elle bu une gorgée de vin pour se rincer la bouche et laissa son regard azuré glisser en direction des immenses fenêtres, songeuse. Orfraie était en quelque sorte le mentor de l’ancien Empereur, celle qui l’avait pris sous son aile à de nombreuses reprises. Était-elle fâchée par la décision de son frère à trouver une solution concernant les rumeurs qui relieraient le Lien draconnique à la constante résurgence des Chimères ? Une amitié pouvait-elle se briser si aisément ? Jusqu’où les Liés étaient-ils biaisés concernant le sujet ? Lorsque ses yeux se reposèrent sur Luna, l’Impératrice se souvint avec clarté combien sa sœur adoptive pouvait paraître… fanatique, au mieux, dès que l’on abordait le sujet d’Alkhytis. Cette symbiose l’avait toujours mise mal à l’aise tant elle paraissait forcée, voire contre-nature.

« - Je suis certaine que Nolan sera heureux de savoir l’enfant bien entouré quelques soient les décisions d’Orfraie. »

Un sourire sucré accompagna ses paroles. Elle le pensait vraiment : son frère était un être de bonté peut-être trop fougueux et naïf, ce qui lui avait coûté sa popularité en tant qu’Empereur. Maintenant qu’il était libre dans les cieux de l’Archipel, voguant sur les alizés sans plus de chaînes, il devait sûrement être heureux et ivre de nouvelles opportunités. Il lui manquait terriblement, réalisa-t-elle avec un petit pincement au cœur. Le compliment porté sur la nourriture la tira de sa mélancolie et elle contempla les assiettes un instant sans rien dire, ni exprimer le moindre intérêt pour le sujet -ce qui était le cas- puis elle afficha un sourire amusé et hocha gracieusement de la tête pour remercier et accepter la gentillesse qu’on lui accordait… encore. Un soupir exaspéré manqua de lui échapper et elle glissa plutôt avec une expression humble :

« - Vous pourrez remercier nos cuisines. Tout ce que j’ai fais, c’est d’agiter le cordon d’appel et commander des plats qui me semblaient convenir à votre état, surtout par cette chaleur. »

Victoria retomba dans un silence prudent et coula un regard vers la femme enceinte. Elle fixait toujours un point entre ses sourcils, refusant de se risquer à plonger ses yeux dans les siens. Superstition ou faits avérés sur cette télépathie maudite, l’Impératrice n’était pas prête de s’y risquer.

« - Oh. Pourquoi cela ne m’irait pas ? »

Bon débarras ! Victoria afficha une expression intriguée et pencha légèrement la tête de côté. Elle faisait de gros efforts pour ne pas se vexer. Cette baleine échouée pensait-elle réellement lui être d’une quelconque utilité dans cet état ? La croyait-elle incapable de gérer l’Empire sans sa présence ? La colère fourmilla dans le nez de la jeune femme qui arborait pourtant un sourire attendrit devant l’attitude inquiète et soucieuse de la dragonnière. Elle laissa filer un rire doux et tendit une main par dessus la table basse pour venir serrer celle de Luna avec affection.

« - Ne soyez pas sotte. Tout ira bien pendant votre absence. Je suis merveilleusement bien entourée et je compte me rendre dès le mois prochain à Délimar et les autres hautes villes de l’Alliance pour y présenter mes vœux de paix et de collaboration futur. »

Elle retira sa main et retourna s’installer confortablement dans le canapé, son verre de vin dans une main et l’autre gracieusement posée sur l’accoudoir. Elle avait sincèrement hâte de visiter l’Océanique et de rencontrer sa régente. Ce qu’elle comptait y annoncer allait être une véritable explosion de pyrolite pour l’Empire, mais ce serait un acte sans précédent qui laissera son empreinte dans l’Histoire des Hommes et des peuples jusqu’à la fin des temps. Son sourire s’agrandit alors qu’elle parlait avec une réelle sincérité :

« - Prenez le temps qu’il vous faudra pour vous rétablir de cette épreuve. Une correspondance suffira à me rassurer. »

Après tout, moins elle la verrait et mieux elle se porterait. Les dragonniers n’avaient plus vraiment la côte par ici… Un léger soupir échappa à ses lèvres rosées, sucrées par le vin et les pâtisseries. Il était temps de passer aux choses sérieuses ! Ses yeux s’assombrirent et elle baissa les orbes sur le sol en une expression songeuse, puis clairement embêtée. Il lui fallu de gros efforts pour ne pas simplement jubiler à l’idée d’arriver enfin à ce qui lui brûlait les lèvres d’annoncer depuis plusieurs minutes maintenant. Victoria conserva un silence calculé, puis sembla reprendre la parole avec une réluctance palpable :

« - Votre départ et ma visite dans l’Alliance… tout cela m’enjoint à aborder un sujet bien moins plaisant j’en ai peur. »

Elle se pinça délicatement une lèvre de ses dents, hésita, puis secoua la tête en résignation.

« - Il n’y a pas réellement de façon douces d’aborder le sujet et au nom de l’affection que je vous porte, je vais être franche : l’Empire ne désire plus s’offrir vos services de diplomate… ou même de dragonnière. »

Victoria s’agita légèrement sur son siège. Ce qui pourrait passer pour de l’embarras était en fait de l’excitation. Elle était en train de sectionner les premiers cordons qui liaient encore Luna au trône. Les autres viendraient en temps et en heure… Lorsque son agitation fut passée, elle reprit avec une extrême douceur :

« - Les raisons sont nombreuses. Votre impaire lors de la chute de Cordont en est la plus marquante, mais il y a aussi votre épouse. Si Orfraie était jusqu’à présent perçue avant tout comme une princesse elfique et donc une alliée dans nos relations diplomatiques avec son peuple, elle est désormais à la tête d’une organisation… présumée neutre, mais qui aura fait le choix de s’installer sur les terres de l’Alliance, au cœur d’une ville dirigée par un membre de notre ancienne Cour ; le traître aujourd'hui connu comme l'Archonte Emerloch. »

Elle éleva une main pour empêcher toute interruption et poursuivit :

« - Je sais qu’il ne s’agit pas là de vos propres choix, mais par votre mariage vous ne pouvez vous en défaire malgré tous vos efforts. L’image d’Orfraie est désormais la votre et ses actions ont bafoués l’Empire. Si l’on met de côté votre rang de Dragonnière avec la situation tendue qui s’installe à la suite des récentes révélations entre le Lien et les Chimères ; beaucoup parmi la Cour se demandent où se porte aujourd’hui votre allégeance. Luna, présumons que nous venions à condamner Ipsë Rosea pour abus de pouvoir et de magie, présumons que nous retournions en guerre froide avec l’Alliance au sujet de Cordont ou de toute autre raison… seriez-vous capable d’abandonner votre épouse et votre enfant pour rejoindre l’armée impériale et défendre nos frontières avec Alkhytis ? Seriez-vous capable d’abattre le feu et d’obéir à mes Généraux si nous battons le front avec les Cités Libres… voire d’Ipse Rosea ? »

Victoria arborait à présent une expression neutre, mais sévère. Elle semblait plus âgée, plus mâture, alors que reposait sur ses épaules tout le poids de sa nouvelle fonction et que sur son front brillait cette couronne de saphirs verts. Sa voix restait douce et mélodieuse, mais les phrases claquaient comme autant de couperets implacables. Comme le marteau d’un juge à la fin d’un procès sans équité.

« - Il me peine de vous dire tout cela sans détours et dans votre condition, mais il n’y aura jamais de bons moments ou de meilleures approches. J’aimerai vous donner le bénéfice du doute, mais plus que tout je ne veux pas vous confronter à une telle décision, car je sais qu’elle vous déchirera le cœur et vous causerait une grande peine. Vous méritez d’être heureuse. »

Victoria se surprit à éprouver une sincère inquiétude pour sa demie-sœur. Une orpheline recueillit dans une famille bien au-delà des rêves les plus fous que tout enfant pourrait avoir. Une orpheline piégée dans un Lien forcé, mariée à une femme incapable de s’asseoir plus de deux mois à la même place et de maintenir la même allégeance… Oui, peut-être que Luna méritait réellement d’être heureuse. Et de ne plus revenir à Sélénia, bien entendu. Victoria assena enfin :

« - C’est pourquoi, à daté de ce jour, je vous démets de vos fonctions de Diplomate et de Dragonnière au sein de l’Empire Sélénien. Vous préserverez votre rang royal, car mon père était un homme bon et généreux et que je souhaite suivre son exemple. Mais c’est tout ce qu’il vous restera au sein de mon Empire, je le crains. »

Et c'était déjà de la confiture donné à un cochon ! Malgré tout, son ton s’adoucit, comme son expression et elle l’observa avec prudence. Il s’agissait d’une femme enceinte après tout, seules les Déesses savaient comment jouaient les humeurs de ces créatures !

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Luna sourit.

Ou devrait-on plutôt dire se cacha derrière son sourire? Sa sœur ne l’avait pas laissée parler et Luna ne l’avait pas interrompue non plus, la laissant poursuivre son long monologue. Si ses yeux trahissaient ses émotions, heureusement, Victoria n’y verrait rien puisqu’elle n’avait pas le cran de plonger dans ses azurs. Devinait-elle sa myriade d’émotions? Sa colère? Celle de cette femme enceinte dont l’image de son épouse, son Inséparable, venait d’être dégradée. Elle savait lire entre les lignes, même si elle préférait trop souvent ignorer les sous-entendus.

Devinait-elle ce sentiment de rejet et la tristesse que cela lui évoquait? Elle avait l’impression qu’on ne lui laissait pas le choix, non ce n’était pas juste une impression. Victoria avait décidé pour elle où son allégeance se tenait. Elle était et elle resterait à jamais le petit mouton noir des Kohan. Luna ferait beaucoup de choses pour les gens qu’elle aime. Mais qui était ces gens? Elle aimait Victoria, car c’était sa sœur même si ce n’était pas de sang. Elle avait profondément aimé son père adoptif, ce père qui lui avait jadis partagé ses idéologies et dont elle aurait voulu voir le rêve se réaliser. Mais il n’était plus. Elle aimait Nolan, mais ne pouvait comprendre sa quête pour éliminer le Lien. Elle s’ennuyait tellement de son frère. Mais les choses ne seraient plus jamais comme avant, n’est-ce pas? Les temps changeaient et la princesse des lumières n’arrivait pas à s’y faire. Elle vivait au jour le jour et avait tant de mal à se projeter dans le futur. Si une guerre éclatait…? Non, elle ne voulait pas y penser.

Son cœur se réchauffa et elle se surprit à sourire réellement. Elle renvoya une vague de tendresse à son tendre Alkhytis qui n’était jamais bien loin en réalité. Avec Orfraie, il était ce qu’elle aimait le plus au monde. Tant qu’elle les aurait, elle pourrait continuer à avancer et à affronter la vie, peu importe les changements. C’était sa certitude.

La jeune femme acquiesça d’un signe de tête. Elle craignait de parler et d’entendre une voix tremblotante. De toute façon, elle ne pouvait pas aller à l’encontre de sa décision, elle qui était désormais impératrice et aux rênes de son nouvel empire, n’est-ce pas?

Son cœur était confus et lourd. Elle n’aimait pas ce sentiment qu’elle voulut repousser au plus profond de son être. La vie poursuivrait son cours, une étape à la fois. C’était aussi simple que cela. Elle préférait se concentrer sur les éléments positifs.

Au bout d’un moment, à moins que l’Impératrice ne veuille la garder plus longuement, Luna demanda poliment son congé. La femme enceinte se sentait drainée de son énergie.

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