Belethar écouta d’une oreille attentive le fait que son grand ami avait encore “beaucoup de choses” à faire ! Décidément, il semblait bien fatigué, et pourtant rien ne l’arrêtait … Il le reconnaissait bien là ! Mais tout de même, il devait songer à un jour prendre un peu de temps pour lui …
Mais bon, c’était toujours la même chose, Belethar allait lui dire -et il n’était probablement pas le premier à le faire-, et Ilhan allait lui répondre “oui” sans le faire, ou bien il ne lui répondrait tout simplement pas. Il ne jugea donc pas opportun de relever quoi que ce soit.
En fait, à ce moment précis, les deux personnes jouissaient d’un moment de calme : probablement un des rares que Ilhan avait ces derniers jours, alors Belethar comptait bien en profiter.
A son invitation de se mettre à son aise, le Pater Familias ne se fit encore une fois pas prier, et prit ses aises en s’allongeant de toute sa longueur sur la banquette laissée libre par son vieil ami, qui avait encore une fois pris le siège du côté de la porte.
Décidément, il ne changeait vraiment pas.
“Et les fenêtres, tu y as pensé ? Barricade les, au cas où on catapulte un glacernois pour venir te faire du mal !”
Ne put s’empêcher d’ironiser le jeune homme, avant de hausser les sourcils et de sourire.
Oh non, ça il ne changerait pas, et encore heureux ! Même si la blague était un peu potache, il fut un temps lointain à l’ancien Domaine où le sport favori des deux jeunes hommes étaient de pratiquer ce genre de blagues idiotes. Alors parfois, il est vrai que l’apprenti baptistrel avait des réminiscences …
Cela dit il se calma après coup, et fit attention à quelques détails ayant attiré son attention dans l’attitude d’Ilhan : il se tenait de manière étrange, seulement du côté gauche … Sans doute était-ce pour mieux voir Belethar mais … Quelque chose clochait. Il connaissait l’althaïen depuis longtemps, et jamais auparavant il n’avait fait ça.
Une maladie quelconque ? Cela expliquerait les yeux fatigués, et tout le reste … ? Belethar tâcherai de fouiller dans son savoir Baptistrel, bien que depuis un certain incident avec son maître la guérison ne soit vraiment pas son fort … De toutes les façons, il était sûr que le Tisseur était entre de bonnes mains. Il ne pouvait en être autrement.
– D’ordinaire je reçois mes invités pour les repas dans le salon, mais ce dernier a été… dévasté… par un petit accident magique.
Ça, par contre, c’était un pieux mensonge. On aurait presque dit un petit enfant qui camouflait sa bêtise. Belethar haussa un sourcil dans la direction de son ami, avant de se mettre à rire de bon coeur. Il n’était pas encore un expert en détection de mensonges, mais là … Disons que ce n’était pas la plus croyable des histoires que l’Althaïen lui avait raconté.
– C’est une longue histoire…
Belethar, entre deux pouffements, ajouta :
“Oh tu en es sûr ? Tu sais, si tu as besoin des services de la famille pour refaire ton salon comme neuf, tu peux directement me le demander ! Comme on se connaît bien, je pourrais même t’accorder l’immense privilège de faire tout cela gratuitement!”
Alors évidemment, Belethar surjouait peut être un peu, mais il pensait sincèrement ce qu’il venait de dire. Il n’était pas venu ici pour parler d’affaires, mais là c’était différent : comme il l’avait souligné auparavant, pour aider son presque-frère, il aurait été prêt à soulever des montagnes.
A vrai dire, il aurait bien pousser sa plaisanterie jusqu’à aller constater les dégâts de ses propres yeux, mais quand il eut l’intention de se lever, on toqua à la porte. Belethar tâcha donc de reprendre un peu de sérieux, et contempla plutôt tout ce qu’on avait préparé pour les deux hommes.
Et encore une fois, le raffinement Althaïen fut largement respecté ! Même si Ilhan avait compté mille fois les bons vivres de sa région, complètement étrangers à Belethar malgré ses origines althaïennes avérées, là, le Pater Familias constatait encore une fois que tout ceci n’était pas des balivernes : des mets sucrés, salés, tous avec une odeur succulente …
C’était à se demander s’ils n’étaient réellement que deux, ou si tout le gratin de la haute société délimarienne n’allait pas lui aussi, traverser cette porte.
Puis il y eut ce rituel du goûteur. Sérieusement. Belethar lança un autre regard grave à son ami, avant de hausser les sourcils. Non, définitivement, il ne changerait jamais. L’époque de l’Empire avait beau être loin derrière eux, et pourtant …
A vrai dire, il avait dit cela sur le ton de la plaisanterie tout à l’heure, mais l’Enwr se demandait si le maître espion n’avait pas réellement penser à cette histoire de catapultage de Délimarien.
A la fin du petit rituel, les serviteurs firent un petit salut, et Belethar ponctua leur sortie par une petite phrase :
“Grand merci à vous ! Ilhan peut être fier d’avoir des personnes comme vous à sa disposition. Vous nous assurez un repas qui à coup sûr, va nous régaler.”
Toujours être cordial avec son prochain, même s’il était socialement plus petit que vous. Être empathique, savoir prendre les gens, avoir toujours cette petite phrase qui fait plaisir … Voilà un effort que Belethar essayait de mener depuis un certain temps déjà. Ce n’était pas grand chose, mais si cela pouvait aider à instaurer un inespéré climat de paix entre les peuples …
Voyant que l’élève baptistrel se redressait de son siège pour manger, ce qu’il trouvait tout de même plus pratique que manger coucher, n’en déplaise aux traditions de son grand ami, Ilhan l’incita à piocher dans les plats, ce qu’il fit prestement.
Le voyage creusait, et Belethar avait grand faim ! Alors il se servit généreusement, d’un peu de tout. De cela par contre, le Pater Familias en était assez coutumier : il avait suffisamment manger à la même table qu’Ilhan pour comprendre comment les repas se passaient avec lui. Cela l’avait un peu surpris au début, mais on s’y faisait assez rapidement, et puis il y avait un côté plus pratique à picorer dans les mets progressivement … Sans doute devrait-il s’inspirer de ces méthodes pour les grandes réceptions à venir au Manoir Espérancieux.
Un autre détail fit cependant tiquer l’élève baptistrel, quand son ami de toujours lui fit :
“J’espère que tu me pardonneras de ne pas t’accompagner.”
Belethar eut une petite grimace, qu’il renfrogna aussitôt qu’elle fut venu, alors que Ilhan se servit simplement de l’eau. C’était donc définitivement sûr qu’il y avait un sujet de santé. Ne pas manger et ne pas boire de vin pouvait peut être paraître anodin dans beaucoup de contextes, mais pas avec tous les signaux que le Pater Familias avait vu auparavant.
Il se retint cependant de tous regards de pitié pour son ami, et tacha de prendre sur lui pour essayer de ne pas trop lui poser mille et une questions à ce sujet. Après tout, cela devait être un calvaire suffisant pour lui, et il devait suffisamment en entendre parler pour ne serait-ce que bénéficier d’un tout petit moment de calme avec son ami.
Belethar se voulait donc rassurant, et fit :
“Ne t’inquiète pas, ça ira.”
Bon bien sûr, il n’aurait pas dit non à un bon gueuleton entre amis, mais ils auraient d’autres occasions … Et puis s’il le voulait, Ilhan avait le contact d’un des meilleurs guérisseurs que ce monde n’avait jamais porté en la personne de leur maître à tous deux. Et si lui ne pouvait rien faire, alors quelqu’un d’autre que l’elfe connaissait le pourrait sûrement … Tout du moins il l’espérait fort. Il pouvait donc se détendre à présent, tout du moins autant que sa maladie ne lui permettait.
Un petit silence s’installa, qui fit un peu taper du pied à Belethar : maudit silence … Le long de ses années d’existence, il avait apprit à le détester. Mais fort heureusement Ilhan vint le briser assez rapidement :
- Tu voulais savoir mon programme ? Pour les jours à venir, il est assez chargé. Nous avons reçu il y a quelques jours à peine la nouvelle bourgmestre de Caladon, Dame Eleonnora Ostiz, ainsi que certains de ses conseillers, dont Dame Autone Falkire. Notre Intendante et la bourgmestre de Caladon vont maintenant se rendre au lac d’Emeraude pour l’intronisation officielle de Dame Ostiz à son titre au sein de l’Alliance. Pour ma part, je dois aussi préparer un voyage diplomatique à Sélénia. Je devrais partir vers le dixième jour de ce mois. Je n’y resterais que quelques jours à peine et espère être rentré fin du mois au plus tard. Nous avons aussi de grands projets en cours, concernant l’abolition de l’esclavage des Graärh en Delimar, et nous envisageons un possible rapprochement avec la tribu Graärh de Néthéril. Un voyage sera sans doute organisé en cette île courant septembre ou octobre. Sans compter le travail en continu du Conseil de Cordont ou du Bureau d’Etudes des Ekynoppires à superviser.
Belethar haussa les deux sourcils cette fois-ci. Effectivement “beaucoup de choses” était de mise pour toutes ces activités là. Mais il reconnaissait bien là son ami. Toujours à mijoter quelque chose, tisser ses liens … Et dire qu’il avait osé faire croire qu’il allait tout plaquer pour élever des chèvres.
A l’écouter à présent, et sans bien le connaître, on pouvait vraiment peiner à le croire. Un jour, peut être son ami trouverait du repos. Mais ce serait quand ses tâches seraient accomplis, tout du moins il l’espérait …
- Si je devais résumer, voilà à peu près ce qui est prévu.
Un ange passa, et pendant ce passage, Belethar ne put s’empêcher de combler le silence qui commençait vraiment à le gêner :
“Quelle vie est celle que tu mènes, mon frère ! Ton dévouement pour ta patrie est vraiment à saluer. J’espère que les instances dirigeantes te le rendent bien.”
Et il est vrai que Belethar n’avait plus vu d’Ilhan comme celui-ci depuis un certain temps. C’était assez paradoxal d’ailleurs, car il paraissait tellement fatigué, mais à l’écouter il semblait encore avoir des milliers de projets sur le feu. Sans doute avait-il retrouvé cette petite flamme qui faisait battre le coeur de chaque être humain dans le développement de l’Alliance, et de Délimar. Il tâcherait de lui demander pourquoi l’Océanique spécialement, plus tard. Après tout, Belethar avait bien choisi Ipsë Rosea comme nouveau foyer de sa famille pour ses propres raisons aussi …
– Et toi, quelles aventures t’appellent dans les jours ou semaines à venir ? Quel voyage ? Et ta famille, comment se porte-t-elle ? J’espère pouvoir voir tes frères, s’ils sont venus avec toi, au moins pour avoir la joie de les saluer.
Evidemment, la fatidique question finit par arriver. Belethar, au contraire de son ami n’était pas toujours très à l’aise avec ses fonctions, et parler de son “programme” était quelque chose qu’il avait un peu de mal à faire : non pas qu’il dénigrait son importance dans la famille, mais il estimait qu’il faisait seulement le nécessaire pour que tout fonctionne … A ce sujet, justement, heureusement que Tomhar et Alexandhar, ces deux redoutables cousins que Belethar considéraient un peu comme ses frères eux aussi, étaient là pour l’aider …
Belethar bu une petite gorgée de vin, avant de tout dévoiler à son ami :
“Eh bien eh bien, je dois dire que de mon côté aussi les affaires battent leur plein en ce moment. L’avantage, quand tout est plus ou moins à construire c’est qu’il y a beaucoup de travail pour les architectes. D’ailleurs, Tomhar et Alexandhar devaient consulter quelques officiels de Delimar pour essayer de vendre nos services, je suppose qu’ils viendront un peu plus tard, une fois leurs discussions closes, mais tu les connais ... Quand ils ont quelque chose en vue, hors de question de les détourner de l’objectif. Même si la ville est particulière dans son fonctionnement, nous tenons à renforcer notre implantation dans l’Alliance.”
Tout ceci était vrai, évidemment. Le Pater Familias s’autorisa un petit regard à sa bague, porteuse de toutes ses responsabilités actuelles. A vrai dire, les affaires allaient très bien, l’activité de la famille avait atteint des records ces derniers jours. L’arrivée des peuples sur Tiamaranta avait été très bénéfique pour les Espérancieux, sur de nombreux aspects : le besoin de matière premières, et le savoir des architectes n’avaient jamais été aussi demandés …
“Particulièrement, la famille va potentiellement attraper un gros contrat avec Caladon, tout du moins j’ai reçu une missive de la nouvelle Bourgmestre allant dans ce sens. J’ignore encore les détails du projet, mais Dame Ostiz semblait bien déterminée à s’offrir nos services …”
Même si Belethar n’avait pas très envie de retourner dans cette ville qu’il avait tout fait pour fuir ces derniers mois, parfois on ne pouvait tout simplement pas refuser des offres : refuser la requête de la nouvelle Bourgmestre, et c’était l’assurance que tous les commerçants se mettent subitement à bouder les Espérancieux. Pour la bonne santé financière de sa famille, et son influence, même si Belethar avait encore quelques réserves vis-à-vis de cette jeune femme à cause de nombreux retours assez sulfureux venant des Espérancieux sur la famille Ostiz, ils se devaient de contracter ensemble.
Belethar soupira, avant de reprendre :
“Et puis il y a eu notre déménagement à Ipsë Rosea. Avec le décès de Père, et mon arrivée sur le devant de la scène, j’ai sauté sur l’occasion en apprenant la formation de cette ville. Même si notre implication dans la vie de tous les jours de nombreuses personnes est indiscutable, j’avais besoin de retrouver un cadre de développement sain pour la famille, et aussi pour la fin de mes études au Domaine … Tu connais Maître Kehl, même s’il est comme il est, je touche presque du doigt mon intronisation, mais bon … Il faut attendre l’heure. Et en l'occurrence, Ipsë Rosea représente parfaitement ce cadre d’entre-deux dont j’ai besoin actuellement, d’autant que tu me connais, j’ai toujours une idée derrière la tête …”
Et c’était l’instant où Belethar allait parler de paix dans le monde. Il avait eu ce débat stérile au moins une centaine de fois avec Ilhan, mais qu’à cela ne tienne, il allait encore une fois enfoncer des portes ouvertes. Après tout, il lui avait demandé comment allaient les affaires, alors pas de raisons qu’il n’en parle pas !
“Avec l’arrivée de tout le monde sur Tiamaranta, et les catastrophes en cascade que le monde a connu, je me suis remis à voyager et surtout, beaucoup écrire. Tu vas encore une fois me trouver stupide, mais j’aimerai vraiment concrétiser ce système d’organisation plus sain où on privilégierait la paix et le progrès des races … Je pense toucher quelque chose du doigt, mais je ne suis pas encore sûr de la forme que cela va prendre. Peut-être quelque chose comme un ordre …”
Belethar, prit dans ses pensées, s’arrêta de parler avant de faire une grimace et de reprendre :
“Mais tu me connais, j’ai un peu de mal avec le concept d’ordre, et de rites initiatiques, même si je pense qu’il en faudra pour structurer tout ça … Il faudrait quelque chose en premier lieu de très simple à réaliser, qui permettrait de répandre ces idées comme une traînée de poudre … Enfin bref. Comme tu peux le constater, rien encore de très concret.”
Sans s’en rendre compte, le baptistrel avait monopolisé la parole pendant un petit moment maintenant. Désireux de ne pas non plus trop capter l’attention pour lui, il se permit une pause “manger” où le Pater Familias vint se resservir dans les plats, permettant peut être à son ami de lui même raconter des anecdotes …
Dernière édition par Belethar Espérancieux le Dim 27 Oct 2019 - 20:37, édité 1 fois