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descriptionUn mirage pour combler le désert de l'oubli [Ilhan] EmptyUn mirage pour combler le désert de l'oubli [Ilhan]

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    8 août, nuit



    La musique, cristalline, résonnait dans la cabine de la Vagabonde. Il avait remonté le mécanisme délicatement avant d'ouvrir la boîte en bois foncé. L'intérieur, tapissé d'un épais tissu rouge bordeaux laissait échapper une mélodie apaisante à la magie fluctuante, avec des hauts et des bas, qui étaient devenu comme les vagues de la marée au milieu de la mélodie. Ses nerfs se relâchaient. Il n'aimait pas Sélénia. Il appréhendait de s'y rendre. Il n'avait pas la moindre idée du pourquoi, puisqu'Ivanyr nouait de bon liens avec l'Impératrice jusqu'à obtenir l'asile pour les vampires, mais plus le temps passait et plus cette royauté le révulsait. Elle déclenchait chez lui une certaine amertume, teintée de regrets, et comme beaucoup de choses qu'il ne pouvait pas interpréter correctement, il mettait cela sur le compte de sa vie avant la vampirisation. Il pensait qu'Aldaron n'aimait pas Sélénia. Qu'il voyait dans cette Couronne toute la décadence d'une noblesse qui avait perdu de sa superbe avec la mesquinerie du temps et de regrettables erreurs. Il les avait vu, ces têtes bien nées, ornées d’excès dorés et de fioritures dispensables. Pendant ce temps ? Le peuple commençait à crier famine, pestant contre la mauvaise gestion des finances. La Couronne était dépensière. Il trouvait cela honteux et il n'aimait pas les nouvelles qu'on lui remontait des campagnes.

    La musique, disait-on, adoucissait les mœurs. Elle avait, pour lui, au moins le don de lui faire passer la pilule. Il y avait de la colère en lui, bestiale et féroce. Certaines de ces découvertes le mettaient hors de lui. Ouvrir les yeux sur ce monde vicié et hypocrite lui faisait mal. D'autant plus qu'il avait l'impression d'avoir déjà fait partie de cette mascarade. Sordide. Tout ceci le mettait mal à l'aise. Mais Ivanyr avait besoin de Sélénia. Pour le moment. Pour prendre des forces et replacer les vampires bafoués à leur place légitime : en haut de la chaîne alimentaire. Cela impliquait de faire profil bas quelques temps. L'heure viendrait où la Grande Nuit raserait toutes ces prétentions factices pour les nettoyer, les purifier et leur offrir la vie éternelle. Jamais plus de ces têtes couronnées. Le peuple parlerait le premier. Il aurait toujours du en être ainsi. Probablement était-ce la raison pour laquelle Nevrast l'insupportait également. Leur Princesse Noire ne serait jamais à la hauteur. Elle n'était qu'un despote cherchant à domestiquer les vampires comme des animaux de cirque. Tout ceci était lamentable. Faust était décadente, et le peuple qui continuait de la suivre courrait à sa perte.

    Des Princes et des Empereurs. Tout cela devrait être mis au bûcher. Il aurait voulu qu'Ivanyr les brûle et calcine leur petit monde stupide. Il aurait voulu saigner cette gangrène prétentieuse qui s'estimait apte à se montrer au dessus des autres et à ne pas entendre les petites gens qui réclamaient, à corps et à cris, autre chose. L'Ast inspirait. Cette violence. Il ne savait pas d'où elle lui venait. Elle était si âcre sur sa langue, comme un mauvais poison. Infâme. Mais il devait se calmer, il ne devait pas laisser le brasier de ses émotions l'étreindre. Il avait fini par accepter que tout cela n'était pas du qu'à Aldaron. Il y avait sûrement sa nature vampirique qui jouait un rôle dans la brutalité de ses pensées. Et puis son empathie. Cela avait commencé lorsqu'il s'était lié à Nahui. Déjà sa nature unique d'Ast lui offrait quelques prédispositions à sentir les autres... Avec Nahui, cela était devenu plus vivace. Il sentait la souffrance. Il ne pouvait pas simplement fermer les yeux comme tout le monde. Il devait la regarder en face. Il inspirait à nouveau, même si cela ne lui servait à rien, seulement à cadrer sa pensée.

    Ses mires verdoyantes regardaient les deux inséparables danser. Son sourire s'étirait, par la tendresse qu'il éprouvait et qui venait l'inonder. Que les cieux soient loués pour lui avoir offert, dans ce marasme colérique, un être sur lequel se reposer. Un lié comme jamais. Et il avait Nahui, à présent, nouée à son âme. Plus le temps allait et plus il comprenait pourquoi il était le premier des Ast. Pourquoi il était si différent. L'âme était vivace en lui, il n'y avait rien d'étonnant à le voir se nourrir de son fruit. Il se calmait, se laissait retomber sur le lit froid, les yeux rivés sur les oiseaux qui dansaient. La musique dénouait les problèmes et les contradictions de son esprit. Il fermait un instant les yeux. Il voyait cette bataille. Un homme aux yeux noirs et aux cheveux sombres et ondulés. Même sa peau était obscure, non pas comme la cendre de certain elfes mais quelque chose qui tirait plus vers l'ambre. Il se souvenait de cet objet qu'il lui avait remis. L'objet dont Autone lui avait parlé. Avec un arbre de vie.



    21 août, fin d'après-midi



    Quelle ne fut alors pas sa surprise lorsqu'il vit ce même homme quitter le Palais Royal. Il ne l'avait jamais vu. Autone lui avait dit qu'il était Conseiller à Délimar. Ilhan Avente. Il voulait bien la croire, cette femme n'aurait jamais menti à Aldaron. Comme d'autres, elle avait foi en lui et Cendrelune trouvait cela à la fois grisant et profondément effrayant. L'elfe avait du être une sorte de gourou, le dirigeant d'une secte basée sur l'or. Ou quelque chose de cet acabit. Il n'en était pas bien certain, mais il voyait ces adeptes dans l'ombre, comme s'ils attendaient que vienne le bon moment pour lui en parler. Ilhan Avente était-il de ceux-là ? Etait-il la clé qu'Aldaron avait placé pour ouvrir le coffre des explications ? L'elfe avait placé tant de choses, pour que lui, Cendrelune, tombe dessus. Il y avait eu des lettres destinées à des personnes qu'il ne connaissait pas. Valmys, qu'on lui avait indiqué être son fils adoptif. Autone. Et tant d'autres mais surtout Ilhan Avente. Ces lettres n'avaient pas été cachetées, pas encore envoyées. Il avait presque l'impression qu'elles n'étaient pas réellement adressées au destinataire indiqué mais à lui-même. Pour comprendre, peut-être un peu. Saisir ce dans quoi baignait l'ancien bourgmestre. Du moins, ses relations. Elles semblaient importantes, plus que tout le reste. Ces liens avec des êtres vivants avaient formé le socle de son existence.

    Cela le rendait curieux. Il l'avait suivi, sous couvert de la large cape à la capuche qui camouflait son identité. Mais il sentait qu'il était lui-même suivi, sans parvenir à discerner d'où cela venait très exactement. On aurait dit que c'était invisible. Cela avait quelque chose de malaisant et plus d'une fois, il eut l'envie de tourner les talons et d'abandonner cette idée sotte. Mais il n'en fit rien, trop tenu probablement par cette curiosité et la nécessité qu'il ressentait à comprendre, démêler tout cela. L'althaien monta à bord d'un bateau bien plus robuste et armé que ceux qu'on trouvait dans le port de Sélénia. Il semblait en chargement, probablement quitterait-il la ville dans la soirée. Le soleil avait passé le point du zénith mais brûlait encore. Il monta à la rampe mais se fit vite arrêter par un homme immense. « Passe ton chemin, petit. » Petit ? Oui, bon certes, si son interlocuteur le comparait à lui, il était effectivement petit. L'Ast releva la tête vers lui et le Glacernois sembla se figer sur place, comme s'il avait vu un spectre. Il retira la main qu'il avait posé sur son épaule, comme s'il avait le sentiment que c'était déplacé vis à vis de quelqu'un d'aussi important qu'Aldaron.

    Soit, c'était parfait. Il retira sa capuche, sans craindre les rayons du soleil qui brûlaient sa peau et contourna l'homme pour continuer d'avancer. Si son visage à la peau de cendres pouvait être son passe droit, il en abusait sans honte. Mais tous, à bord, ne furent pas de cet avis. Le vampire se retrouva avec une épée pointée vers lui. « Pas de suceurs de sang à bord ! » Cela eut le don de faire se retourner beaucoup de monde. Cendrelune, lui, avait activé ses protections, par défense. Son armure recouvrait ses épaules dans des écailles de dragon et la myriade de plumes métalliques perdue dans sa tresse blonde formèrent un casque sur sa tête. Il fut étonné que cela fonctionna si bien, mais il n'allait pas s'en plaindre, ainsi protégé. Du moins un peu. « Je... Ne bois pas de sang... » répondit-il, sans avoir bouger, d'une voix égale et posée, bien que ce qu'il affirmait soit surprenant. « Et je ne crains pas non plus la lumière du soleil. » fit-il remarquer puisque la situation actuelle le démontrait. « Les battements de vos cœurs n’attisent pas ma Faim. » Ce qui était incompréhensible chez un jeune vampire mais... « Je suis un vampire un peu bizarre, vous voyez ? Alors... Est-ce que je peux rester ? Je partirai avant que le navire prenne le large, je voudrais juste parler à... » Il porta son regard dans la direction où l'athalien s'était dirigé et il fut surpris de le voir encore là.

    Il fallait dire que l'homme qui avait refusé les suceurs de sang à bord n'y avait pas été de main morte dans la véhémence de son refus. Beaucoup s'étaient retournés. Et beaucoup étaient bouche bée devant son visage charismatique revenu d'entre les morts, il semblerait. Il tâcha de les ignorer, mal à l'aise, posant une main sur Nahui, logée sous sa cape. La présence de la dragonne donnait l'impression qu'il transportait une besace. Elle dormait tranquillement. Il aimait bien se balader avec lui. Son arc, Foudre-Eclat, aisément reconnaissable, était attaché dans son dos. Il porta son regard sur les mires d’obsidienne d'Ilhan, y cherchant le soutien qu'Autone lui avait annoncé.

descriptionUn mirage pour combler le désert de l'oubli [Ilhan] EmptyRe: Un mirage pour combler le désert de l'oubli [Ilhan]

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Son séjour à Sélénia prenait fin. Il était à la fois soulagé d’enfin partir de cette ville qui lui rappelait bien trop Gloria et ses relents de corruption, et content, voire apaisé, d’avoir pu, en quelque sorte, faire ses au-revoir à certaines personnes qui lui tenaient à coeur. Dont la jeune Victoria. Même si son entrevue avec la nouvelle Impératrice avait eu des soubresauts de visite et conseil diplomatiques, il avait pu retrouver et goûter la saveur d'une certaine affection empreinte de douce nostalgie, qui malgré leur camp en apparence opposé, et malgré les affres du passé, restait toujours là, niché au fond de leur coeur à tous deux. L’attachement n’était pas une bonne chose en affaire de politique, il le savait, et avait toujours mis un point d’honneur à prendre ses distances avec toute personne pouvant entrer en lice dans cette arène âpre et sanglante. Mais maintenant que son heure était venue, il se disait qu’il pouvait, peut-être, laisser certaines barrières tomber. Un peu, juste un peu. Abattre légèrement son masque et se révéler un peu plus.

Oh bien entendu, il ne lui avait pas dit être probablement mourant et que ses jours étaient comptés. Il ne l’avait pas encore annoncé à Tryghild, il était hors de question qu’il l’avoue à quiconque d’autre avant sa Reine. Mais il avait pu au moins revoir la jeune femme si brillante et si prometteuse, et au destin si lourd de potentiel dramatique, une dernière fois avant que son heure ne vienne. C’était là un certain soulagement, un apaisement pour son coeur et son esprit. Pour son âme. Encore quelques derniers adieux peut-être, même si insidieux, et son âme pourrait peut-être rejoindre sa bien-aimée éplorée. L’avait-elle attendue ? Son âme était-elle encore dans un entre-deux et pourraient-ils se retrouver dans leur autre vie ? Et leur fils, serait-il avec eux ? Il avait tant prié les Sept des années, des décennies durant, pour que ce vœu lui soit exaucé. Et maintenant que l’heure arrivait à grands pas, il hésitait entre la frayeur de ce grand saut et la hâte de les rejoindre. C’en était troublant.

Mais il lui restait encore quelques semaines, avant qu’il ne rende hommage à Mort. D’abord, il devait rentrer à Delimar, parler à Tryghild et lui avouer que son état déclinant ne s’améliorerait pas. Il pourrait la rassurer d’avoir pris toutes les mesures nécessaires et les lui présenter. Il espérait qu’elle ne soit pas trop déçue ou en colère qu’il ait attendu tout ce temps. Mais à sa décharge… il n’en avait eu la certitude pleine et entière que tout récemment, la veille de son départ, quand Naal avait accepté de lui révéler ce que ses guérisseurs n’avaient apparemment pas osé lui avouer. Il l’avait pressenti, bien évidemment, mais ce n’avait été jusque-là qu’une sensation insidieuse. Qu’il avait d’ailleurs longtemps mis sur le compte de l’épuisement suite à ses travaux d’intérêt général. Mais maintenant que vérité lui était révélée, il ne pouvait plus la taire à sa Reine. En espérant qu’elle comprenne qu’il ait attendu son retour pour lui dire… Il avait tant craint qu’elle annule son séjour en Sélénia. Un voyage, qui, même s’il le redoutait, était nécessaire. Cela lui avait permis de prendre les dernières mesures nécessaires avec ses araignées du premier cercle implantées là-bas.

Rentrer donc. Parler à Tryghild. Et tenir sa promesse à Naal de lui accorder cet essai chirurgical. Quand bien même il avait de grand de chance d’échouer. Il en était là de ses pensées, tout en marchant en direction du port, quand une sensation comme il n’en avait plus connu depuis longtemps monta en lui. Il était suivi. Et ce n’était pas seulement les deux gardes qui l’accompagnaient, ni l’araignée qui avait été désignée pour surveiller ses arrières durant tout son séjour à Sélénia, sous décision du premier cercle. Non, c’était là… comme une autre présence. Une sensation insidieuse, qu’il ne s’expliquait pas. D’autant plus que les rares regards qu’il avait jetés par-dessus son épaule ne lui avaient rien permis de discerner. Pas une ombre suspecte, pas un chat maraudant… Si ce n’est celui attendant au pied d’un étale qu’un poisson tombe. Toutefois, il se rassura bien vite en songeant qu’une araignée le surveillait et veillait, qu’elle pourrait agir en cas de nécessité, sans compter les deux gardes délimariens de carrure plutôt dissuasive. Et une fois sur le bateau de Delimar, il n’aurait plus grand-chose à craindre.

Et ce fut avec un réel soulagement qu’Ilhan monta sur la passerelle du fier navire au pavillon de l’Océanique. Une fois à bord, il ne se préoccupa plus de cette sensation étrange et salua le capitaine du navire, qui lui indiqua que sa cabine était prête et sa malle déjà installée. Il était pour prendre congé, quand une voix forte et menaçante d’un des gardes sur le pont l’attira. Aussitôt Ilhan se retourna. Et se figea sur place tandis que son sang se glaça. Aldaron. Aldaron Elusis. Lui, entre tous, ici. Serait-ce l’ombre qui l’avait suivi ? L’ombre invisible parmi les ombres ? C’était osé, pour un vampire, de monter sur un navire à pavillon glacernois. Mais cela ne l’étonnait qu’à moitié venant d’un tel caractère trempé. Quand Ilhan avisa l’épée qui menaçait d’égorger l’ignominie qu’était le jeune vampire aux yeux de certains, il s’apprêta à intervenir. Mais s’arrêta dans son geste à la vue de l’armure qui se mit à recouvrir tout le corps du vampire. C’était magnifique et horrifiant à la fois. User de magie ainsi, sous peine de tous les exposer à une explosion magique dévastatrice, était un pari risqué, osé. Voire un geste purement provocateur, il ne saurait dire. Que les Déesses soient louées, aucune catastrophe ne fut à déplorer et Ilhan expira le souffle qu’il n’avait pas eu conscience de retenir. Merci à elles aussi pour le sang-froid dont firent preuve les gardes qui ne réagirent pas, quant à cette magie inopinée et malvenue, même si la crispation dans leur corps de guerrier ne détrompait personne sur ce qu'ils en pensaient.

« Je... Ne bois pas de sang... »

Ilhan haussa un sourcil à cette réponse. Il sentit clairement un silence circonspect planer sur le navire. Dans le regard de nombreux délimariens planaient le doute et surtout la suspicion qu’on leur mente et se moque d’eux. Entendre un vampire énoncer ces mots avait de quoi interpeler quiconque les avait tant côtoyés. Heureusement le respect que l’ancien elfe avait inspiré retenait encore les lames aiguisées de la colère ou de la rancoeur. S’il ne se nourrissait pas de sang… alors de quoi ? Ilhan pouvait parier, que la question qu’il se posait résonnait dans tous les esprits présents.

« Je suis un vampire un peu bizarre, vous voyez ? »

Certes, mais encore ? C’était un peu vague, bien trop vague, pour les convaincre. Ilhan le pressentait clairement, son dauphin le lui criait alors qu’il venait de poser sa main sur le bras du capitaine du navire.

« Je voudrais juste parler à... »

Et leurs regards se croisèrent. Ilhan n’hésita plus. Il acquiesça en direction d’Aldaron et fit un signe de main aux gardes en demande muette d’attendre. Puis il glissa un mot à l’oreille du capitaine qui dut se courber pour l’écouter.

Ce n’est pas raisonnable. Allez savoir…

Je ne risque rien. Il ne tentera rien ainsi entouré de tous vos gardes. J'ai besoin de lui parler. J'attendais sa venue, même si je ne pensais pas qu'il se présenterait ici.

Le capitaine le sonda d’un long regard clair qui zébrait de colère contenue, mais finalement baissa les yeux en un long soupir.

Quelques minutes. Vous restez sur le pont, bien en vue. Hors de question qu’il entre. Et on le fouille avant.

La fouille sera inutile, plaida Ilhan.

Il n’avait nulle envie d’humilier le jeune vampire. Il savait, lui, pourquoi il était venu. Dès qu’il l’avait vu sur le pont, il avait compris. La Corneille avait délivré son message. Et l’ancien elfe venait réclamer son passé. Son dû. Sa vie.

Je ne crains rien. Il est loin d'être stupide. S'il avait voulu attenter à ma vie ou la vôtre, il ne se serait pas présenté ainsi. Nous resterons sur le pont, là-bas, bien en vue. Mais que vos gardes nous laissent tranquilles, et n’interviennent pas. Et que notre entretien reste privé.

Un autre soupir.

Entendu. Mais s’il tente un seul geste…

Merci, coupa Ilhan tout en joignant son mot d’un lent signe de tête.

Le message était parfaitement clair. Il s’avança alors vers le jeune vampire et lui accorda un salut elfique. Il se redressa toutefois rapidement et sonda son regard, comme y cherchant des ombres de souvenir le concernant. Les concernant.

Je m’appelle Ilhan Avente. Mais je pense que vous le savez déjà. Si vous voulez bien me suivre. On nous accorde un instant pour parler, mais nous devrons rester sur le pont.

Se disant, il l’invita d’un geste à le suivre, alors qu’il le menait vers le gaillard arrière, où ils resteraient bien en vue, mais un peu à l’écart, avec un semblant d’intimité.

Je vous prie d’excuser la réaction de nos gardes. Ils sont… assez chatouilleux, quand il s’agit de vampires.

Une fois arrivé en hauteur, il s'arrêta près d'une rambarde et se retourna vers le jeune vampire. Il le détailla de ses orbes sombres, à la fois fasciné, impressionné, peiné et… heureux, en un étrange mélange d’émotions qu’il peinait à démêler et à contenir. Son coeur battait chamade alors qu’il reconnaissait, avec joie et douleur, les traits altiers de l’ancien elfe.

Je suis heureux de vous revoir.

Les accents chauds d’Althaïa chantèrent de sincérité.

Vous ne vous souvenez peut-être pas de moi, mais nous avions… noué… quelques liens… d’amitié, oserai-je dire. Je ne sais ce que vous savez, ce que vous voulez savoir. Quel est votre…

Nouveau nom, allait-il dire.

Comment dois-je vous appeler ? offrit-il à la place.

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    Le geste de l'althaïen l'apaisa, plaçant en suspens son devenir le temps qu'il discute avec le capitaine du navire. A en juger par les maigres mots que ses oreilles d'antique parvenaient à percevoir, par moment, mais surtout des expressions incrustées sur leurs visages respectifs, Aldaron pariait qu'Ilhan était en train de négocier une entrevue qui n'était pas au goût du colosse qui dirigeait cette frégate. Ses mires verdoyantes, mouchetées d'ambre et d'une lueur claire, coulèrent sur l'équipage, tendu et estomaqué. Il sentait le flux de leurs pensées telles un anagramme tourbillonnant des plus attirants. Leur haine était palpable et beaucoup avaient envie de le tuer sans sommation. Il s'y était bien attendu, les glacernois étaient réputés pour leurs glorieuses et meurtrières chasses aux vampires. Il ne devait sa survie qu'à ce joli faciès, calme et régalien, qui inspirait le respect pour au moins certains d'entre eux. Ils étaient en colère et triste de sa condition, cela se voyait sur leur traits tirés et leurs mâchoires tendues.

    Pour autant, l'Ast ne baissait pas les yeux, ne se courbait pas. Il restait ancré sur ses positions, les pieds souples contre le bois du pont. Il sentait, en lui, que rien au monde ne saurait le faire plier, pas même les pires horreurs. Il voulait voir cet Avente et il le verrait quoiqu'il en coûte. Il préférait néanmoins la voie officielle car cela lui mettait un pied à l'étrier pour reprendre sa place sans avoir besoin de se cacher. Aldaron faisait bien trop de choses dans l'ombre, il s'en doutait, et il avait aussi besoin de sa lumière. Il observait les gardes, un à un, détaillant leurs visages, leurs vêtements, leurs armes, dans l'espoir presque enfantin que l'un d'eux lui rappelle quelque chose, fasse un déclic dans sa mémoire défaillante. Mais il ne fit qu'attiser leur suspicion, comme s'il était en train de chercher un plan pour les mettre tous hors jeu. Il finit donc par reposer son regard sur Ilhan qui approchait vers lui en le saluant d'une manière... Peu commune. Depuis son éveil, personne ne l'avait salué de la sorte et pourtant, il avait cette même sensation de déjà vu qui le prenait quand quelque chose titillait sa mémoire d'amnésique. Il le salua sur le même protocole, pourtant persuadé qu'il s'agissait bien d'un humain et pas d'un elfe. En mémoire de ce qu'il fut ? Peut-être.

    Il l'écouta et le suivit sans broncher, dans un silence circonspect. Il ne savait pas trop, à chaque fois, comment prendre toutes ces déclarations d'amitié, ces joies de retrouvailles qui ne lui étaient pas vraiment destinées. C'était la sincérité des mots qui le retenait de ne pas les briser sans répartie. Une part de lui était agacée et mal à l'aise, il aurait voulu mettre des gifles à tout ceux qui espéraient retrouver leur si précieux Aldaron sans essayer de le découvrir lui. La violence dans ses mains, il la sentait très souvent et n'avait pas envie d'y céder. La dernière question l'apaisa maigrement. Il était rare qu'on s'adresse au nouveau né. D'ordinaire, il n'y en avait que pour l'elfe. « Aldaron. » C'était froid, comme réponse, mais il avait besoin de sortir ce venin de lui, pour ne pas s'empoisonner lui-même : « Vous pouvez m'appeler Aldaron Elusis. Vous ne serez ni le premier, ni le dernier. »

    Il se détourna, posant ses mains froides sur le bois du bastingage, le regard porté sur l'avant du navire. Plus bas, les matelots délimariens l'avaient suivi d'un regard crispé et suspicieux. Il n'aimait pas ce qu'il voyait dans leurs yeux et pourtant, eux, ils ne le reconnaissaient que comme nouveau-né vampirique. Au final, il ne savait plus tant ce qui était bon pour lui. Qu'on le prenne pour Aldaron ou qu'il le haïsse pour ce qu'il était devenu. Ses mâchoires se serrèrent, puis il se retourna à nouveau vers l'althaïen, répondant avec moins d'agacement étouffé : « Ma mère m'a nommé Cendrelune. » Ses lèvres se pincèrent avant qu'il n'ajoute : « Ma mère de cœur, j'entends. Toryné. Mon vrai père aurait été massacré sur un navire semblable à celui-ci, par des gens... Assez chatouilleux, quand il s'agit de vampires. » C'était alors très ironique de revenir sur ce genre de navire, auprès de telles personnes. Il était venu chercher des réponses : sa vie s'était éteinte sur une frégate similaire. Il espérait, en son for intérieur, pouvoir refermer la boucle ainsi, même si c'était douloureux pour lui.

    Il aurait voulu connaître son père, qui qu'il soit. Il aurait voulu qu'on ne lui arrache pas si tôt. Il comprenait qu'en temps de guerre, les gens s'entre-tuaient mais il n'en demeurait pas moins vrai qu'il était devenu orphelin avant même de naître et que cela était un chagrin pour son cœur froid. « Je suis désolé pour votre ami. Et pour les liens que vous aviez noués. Comme beaucoup de personnes heureuses de me revoir, vous vous rendrez vite compte que je ne suis qu'un spectre décevant de lui. » C'était du moins ce qu'il rencontrait dans beaucoup de regards. « C'est compliqué de passer derrière lui, en vérité. » Aldaron n'était pas un personnage mal aimé. Il aurait voulu qu'il ait été plus invisible et lambda. Lui survivre aurait été plus aisé. « Vous devriez vous asseoir. Votre cœur s'emballe, monsieur Avente. Je ne voudrais pas vous rendre à votre équipage souffrant. Cela ne ferait que donner raison à leurs croyances. » lui proposa-t-il, dans un semblant d'humour, qui, bien que litigieux, se résumait à l'envie de dissiper le malaise qu'il ressentait.

    Sans attendre d'avantage, il se persuada qu'aller directement au but serait plus facile que d'essayer de faire la conversation avec un inconnu qui le connaissait : « Une femme... Madame Falkire. Elle est venue me voir. Elle m'a dit que vous aviez quelque chose qui m'appartenait. Et que vous vouliez me rendre en personne. »

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« Aldaron. »

Cette voix froide et distante. Cette pique acide qu’il décelait derrière. Une rancoeur refoulée, un agacement inavoué ? Il n’aurait su le dire, mais clairement quelque chose dans son attitude n’avait pas plu au jeune vampire. Non pas que cela le blessât d’une quelconque façon, mais il préférait d’une part ne pas énerver un jeune vampire peut-être pas totalement maître de lui-même, d’autre part il n’aimait pas l’idée de blesser Aldaron, quand bien même il s’agissait d’un autre, ou plutôt d’un nouveau lui.

L’althaïen garda silence toutefois, restant stoïque face à cette attaque, et attendit sagement, tout en observant le jeune vampire. Tous dans ses gestes dénotaient une crispation, une frustration refoulée. Ilhan fut toutefois rassuré de le voir se maitriser un minima. À la constatation que le vampire en face de lui avait un semblant de maitrise, il se décrispa lentement mais sûrement lui aussi, et put considérer cette conversation, certes délicate, mais sous des auspices plus sereins. Et empreints d’un peu plus d’espoir.

Et soudain, Ilhan se figea. Sa… mère ? Mais le vampire qui l’avait mordu était a priori un mâle non ? Oh… mère de coeur ? À ces mots, Ilhan haussa un sourcil, curieux. Puis clairement sceptique au nom de Toryné. Depuis quand Dame Dalis adoptait-elle des enfants de coeur ? Tout à sa surprise, Ilhan ne releva qu’à peine la petite pique sur les délimariens, et accorda à Cendrelune un léger sourire mi-amusé mi-contrit et mi-peiné. Et soudain, son regard se figea de nouveau sur les cheveux du jeune vampire. Ses cheveux… devenus blonds… alors que ceux de l’elfe avaient été… La transformation vampirique, réalisa-t-il en relevant ses orbes sombres sur le visage altier lui faisant face. Et sur les iris d’un émeraude à la fois plus pâle et teintés de petits éclats mordorés, inquiétants et envoûtants tout à la fois. C’était magnifique, se surprit-il à penser. Avant de chasser ses pensées malvenues et de revenir à la première chose qui avait happé son attention. La couleur de blé de ses cheveux. Si cela venait de sa transformation vampirique, et c’était là l’explication la plus plausible, c’était une hérédité de son parent vampire. Or… Or ce dernier, si sa mémoire était bonne, et elle l’était assurément, était brun. D’un brun de jais qui ne notait aucun filament doré pouvant donner ce caractère ensuite à son possible fils. Quelque chose clochait… Quelque chose… ne collait pas. Quelque chose

Blond. Sa mère adoptive. Blonde elle aussi, en ce temps-là. Dame Dalis était présente… et il avait eu l’impression de les déranger quand il était venu rejoindre l’elfe et la vampiresse sur le haut-pont. Se pourrait-il… Diantre ! La transformation lui avait paru rapide. Mais si la morsure avait eu lieu avant la bataille et non plus pendant ? Cela restait rapide… mais déjà bien plus plausible ! Fichtre… Se pourrait-il… qu’il soit en fait le fils… de… Dalis et non de l'autre vampire chimérisé ? Toryné Dalis père et mère d’Aldaron Elusis ?

Sous la possible révélation, Ilhan entrouvrit la bouche. Il se sentait clairement décontenancé et bouleversé face à cette déduction étrange, mais qui faisait sens avec tous les éléments qu’il avait sous les yeux. Il peina à garder son masque inexpressif, mais ses yeux brillant de mille questions devaient le trahir, pour quiconque le connaissait assez ou avait des sens assez affinés. Il tenta de barricader au maximum son esprit pour que cette pensée, inopportune et troublante, ne puisse lui être dérobée à son insu, même s'il sentait son esprit plus que confus. Il lui faudrait y réfléchir à tête reposée. Après. Plus tard. Il avait déjà...

Un jeune vampire à conforter.

Aux assertions suivantes, Ilhan hocha la tête et parvint à reprendre peu à peu contenance. Oui, il devinait, même si ce ne pouvait qu’être imagination le concernant, ce qu’un nouveau-né vampire devait ressentir. Tous ces gens vous connaissant, cette connaissance de l’ancien vous que vous deviez lire dans leurs yeux, et cette impuissance à vous rappeler, vous, de cet ancien vous. Il détesterait cela lui-même. Tout particulièrement le sentiment de perte de contrôle. Que certains sachent des choses sur lui que lui-même ne savait pas. Cela lui donnait des frissons dans le dos rien que d’y penser.

Il obtempéra quand on lui offrit de s’asseoir, sentant effectivement son coeur faire du tambour battant de façon bien trop erratique pour son propre bien. Il serait malvenu qu’il perde connaissance en présence du jeune vampire sur le pont délimarien. Allez savoir la réaction de ses paires… ils accuseraient aussitôt l’ancien elfe, quand bien même il n’y serait pour rien. Il s’assit donc sur un petit rebord, et d’un geste invita Cendrelune à faire de même. Il ne se voyait pas converser avec lui debout. Déjà qu’il le dépassait largement quand ils étaient sur leurs deux pieds !

Je vous en prie, faites-moi l’honneur de vous asseoir avec moi. Et mettez-vous à l’aise, vous pouvez poser votre besace qui paraît bien encombrante et bien lourde.

Il soupira ensuite, ne sachant par où commencer. Puis songeant que Cendrelune était allé droit au but, il préféra poursuivre d’abord sur cette voie-là. Le faire attendre par des palabres préliminaires ne ferait qu’émousser son attention.

Effectivement. Je suis heureux que Dame Falkire ait pu vous délivrer le message que je lui avais confié. Je détiens un objet vous appartenant. Un objet d’importance, un objet pouvant être vital pour vous, et qui ne doit surtout pas tomber entre de mauvaises mains. J’espère que vous pardonnerez mon évidente méfiance quant à confier un tel objet à quiconque, même à Dame Falkire elle-même, mis à part peut-être quelques rares alliés de confiance. Et encore, il me faudrait un cas d'extrême nécessité pour m'y résoudre.

Ce qui révélait beaucoup quant à l’importance qu’il accordait à ce bien précieux. Il avait eu suffisamment confiance en la conseillère pour contacter Aldaron et lui délivrer un message, mais pas assez pour lui donner l’objet…

Mais avant de vous le confier, je me dois de vous révéler que cet objet peut être… très perturbant aussi. Il est en lien direct, je pense que vous l’avez deviné, avec votre vous d’avant. Mais en lien plus étroit encore que vous ne pourriez le concevoir de prime abord.

Il n’en dit pas plus de suite, se permettant un court silence. Il hésitait à lui révéler ce qu’il avait compris a posteriori, à savoir que cette pierre contenait sans doute son chant-nom. Et qu’elle pourrait lui permettre de retrouver son ancienne identité, en totalité. Ou presque.

Au vu de la réaction du jeune vampire précédemment, il se demandait si l’être en face de lui en avait finalement bien envie. Son ancien lui sans doute, pour avoir prévu un tel objet. L’elfe avait vraisemblablement voulu pouvoir retrouver ce qu’il était s’il lui advenait quelque chose de ce genre. C’était même à se demander si l’ancien elfe était juste aussi paranoïaque que lui… ou avait tout simplement tout prémédité. En cet instant, il n’était plus sûr de rien.

Mais qu’en était-il de Cendrelune ?

Avant de lui révéler ce qu’était cet objet, Ilhan se décida finalement à répondre aux précédents propos du jeune vampire.

Cendrelune vous va bien. C’est un joli nom, et la poésie qu’il contient ne m’étonne guère de Dame Dalis.

Il révélait ainsi connaître quelque peu sa "mère adoptive".

Je me doute que le regard que les autres vous portent doit être troublant. Mais, là où vous voyez, vous ou certains autres, un pâle spectre décevant de lui, j’y vois moi… comme un miroir.

Il pencha légèrement la tête de côté, songeur, détaillant chaque trait d’Aldaron avec une certaine fascination.

Ou plutôt peut-être une autre facette d’une même pièce. Je ne suis pas expert en vampirisiation, je dois l’avouer, mais je reste persuadé que cette transformation, même si elle change l’être profondément, n’en change pas toute son essence.

Elle lui donnait certes un côté prédateur redoutable… Mais l’être disparaissait-il totalement par ailleurs ? Du peu qu’il en avait vu, pas totalement. Pas véritablement. La soif de sang était souvent très tenace, très vive, au point qu’elle annihilait tout. Mais pour les quelques rares pouvant se maitriser, ou pour les plus âgés… certains traits de leur ancienne personnalité semblaient tout de même persister. Il avait vu de jeunes humains à l’esprit vif et curieux garder cette vivacité d’intelligence et cette curiosité avide même en tant que vampire… Il avait vu des vampires se réattacher à des personnes auxquels ils étaient profondément liés de leur vivant aussi... Certes ensuite leur histoire, leur vécu, construisait une personne différente. Mais une part de leur essence profonde restait tout de même. Enfoui tout au fond d'eux. Non, tout ne disparaissait pas totalement. Il fallait bien creuser, mais ce pouvait, encore, être là.

La devise de la famille Avente est "notre passé nous forge, notre présent nous lie et nos intentions enfantent notre avenir." Ce que nous sommes en un instant donné est un délicat alliage de ce que nous portons intrinsèquement au fond de nous, façonné ensuite par notre éducation, les mœurs qu’on nous inculque, ou que l’on rejette, par les événements que l’on vit, par les êtres que l’on rencontre… Notre moi devient alors cet amalgame riche et déroutant fusionné de ce tout. Mais au-delà de ce moi, tout au fond de nous, il existe un moi plus profond, un "je". Un "je" qui ne s’exprime souvent que partiellement dans le moi que l’on offre aux autres.

Il espérait ne pas perdre le jeune vampire dans sa soudaine envolée philosophique.

Vous avez été soudain libéré des carcans de votre ancien moi, et tout ce que, moi, je vois là, devant moi, c’est une autre facette de votre "je" qui se révèle.

Il sortit alors une pièce d’or de la bourse qui pendait à sa ceinture, et la montra à Cendrelune. Il la montra d’abord sous une facette.

Votre ancien moi.

Puis tourna la pièce.

Votre nouveau moi ? Ou mieux…

Il plaça alors la pièce entre deux doigts puis la fit passer de doigt en doigt, avec lenteur pour ne pas la faire tomber.

Regardez soudain toutes les facettes, tous les reflets que l’on peut voir de cette pièce, quand je la fais tourner ainsi. Elle ne se révèle jamais tout à fait sous le même aspect. Et son reflet dépend aussi de la façon dont l’éclaire l’astre diurne. Ni tout à fait différente ni tout à fait la même, selon comment elle se présente ou comment on la regarde.

Il arrêta la pièce, et observa l’ancien elfe.

Voilà ce que moi je vois. Une autre facette de celui que j’ai connu, mais une facette qui ne pouvait peut-être pas, plus ?, s’exprimer. Mais cela reste vous, quoi qu’il en soit. Un autre je, qui a la liberté de se révéler au grand jour par sa renaissance. Selon moi, un autre reflet ne peut pas être un simple spectre décevant, n’est-il pas ?

Et se disant, il sourit, et prit délicatement la main du jeune vampire, à gestes lents pour ne pas paraître agressif, puis y déposa la pièce. Il referma le poing dessus, et laissa quelque temps sa propre main fermée sur l’ensemble.

Peut-être ne devez-vous pas chercher à être lui, mais seulement à être vous ? Et quand le temps viendra, si vous le souhaitez, vous aurez la possibilité de retrouver cet ancien vous. Peut-être même, de fusionner les deux vous, pour qu’ils se rencontrent enfin et se complètent ?

Allez savoir. Il n’était pas expert en vampirisation. Il ne savait ce qui était possible ni ce qu’il se passait véritablement dans l’esprit d’un vampire qui recouvrait ses souvenirs. Une reconstruction, très certainement, mais jusqu’à quel point ? Et dans le cas d’Aldaron on parlait non plus de recouvrer des souvenirs par la simple mémoire, mais d’un chant nom…

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    La bouche d'Ilhan s'entrouvrit, laissant le nouveau-né circonspect. Qu'avait-il ? Pourquoi lui donnait-il l'impression d'être surpris ? Et de quoi ? Il posa son esprit près du sien, par cette télépathie encore balbutiante qu'il avait entendue, par sa Lié. Était-ce mal poli d'en user ? Est-ce qu'Ilhan sentirait la pesée de son esprit cherchant à suivre les pensées de l'althaien, ce qui le perturbait ? Et s'il comprenait que c'était de la télépathie ? S'il comprenait qu'il était dragonnier ? Il préféra renoncer à toute tentative d'intrusion. Il préférait ignorer que de trahir la vérité si récriée. Il ne voulait pas de cette haine-là, qu'on vouait aux Liés, à cause des Chimères, en plus de celle qu'on lui déversait pas le simple fait qu'il soit un vampire. Son esprit s'éloigna, laissant la sensation de son bref passage. Il aurait pourtant voulu savoir. Dévorer tout ce qu'il y avait dans cette tête, qui le concernait. Les souvenirs d'un Aldaron à travers les yeux de cet humain. Il détestait cette ignorance. Il exécrait qu'on sache des choses sur lui, que lui-même ignorait. Avait-il fait du mal à Ilhan par le passé ? Est-ce qu'il lui en tenait rancune ? Ou au contraire, avait-il jadis découvert qu'Ilhan n'était pas une bonne fréquentation ? Il avait peut-être oublié, et si l'Avente en profitait ?

    Il chassa ces idées et questionnements. Il se ferait bien une idée, progressivement, de cette personne. S'il faisait des erreurs ou de mauvais pas, il y aurait toujours Piou pour cramer les importuns. Cela le rassurait, en un sens, et il vint s'asseoir à ses côtés, veillant à laisser sa dragonne bien à l'abri sous sa cape. « Elle ne m'encombre pas. » répliqua-t-il, le ton courtois, bien que lui, parlait de la dracène. Nahui ne l'avait jamais encombré. Elle l'avait effrayé, au début, le temps qu'il comprenne pourquoi elle parlait dans sa tête et l'appelait 'Lié'. Maintenant, elle était devenue une extension naturelle de lui-même. « Son poids n'est rien pour un vampire, je vous assure. » Et il aimait sentir sa chaleur, son cœur qui battait, son ventre qui se gonflait délicatement à chacune de ses respirations.... Mais cela allait se voir ! Il posa un bras sur la grosseur de sa 'besace', pour camoufler définitivement ses infimes mouvements respiratoires. Tant qu'elle ne se mettait pas à ronfler tout irait bien.

    Il reporta son attention sur l'althaien. Il acquiesça pour confirmer qu'il comprenait combien cet objet pouvait avoir une belle valeur. Si c'était ce qu'Ivanyr lui avait évoqué, il en saisissait l'ampleur et son comportement lui permettait de valider l'idée qu'Ilhan n'était pas quelqu'un qui lui voulait du mal. « Des souvenirs. » répondit-il pour affirmer qu'il savait approximativement de quoi il pouvait bien en être question. Il n'alla néanmoins pas plus loin, perplexe. Il désirait tant retrouver sa mémoire mais face à l'imminente découverte, il sentait son âme se faire craintive. Et si cela ne lui plaisait pas ? Si cet Aldaron l’écœurait ? S'il ne correspondait pas à l'idée qu'il se faisait de lui-même ? Il devrait vivre avec. Comme la tache d'une honte. Ilhan le sortit de ses pensées en évoquant son nom. Il connaissait Toryné ? Il s'en étonna, puis s'étonna ensuite d'avoir été étonné. Toryné était une personne très présente, diplomatiquement. Il était rare qu'on ignore de qui il s'agissait. Tout comme il était rare qu'on ignore qui était Aldaron.

    Il resta attentif à l'explication et à la démonstration qu'on lui présentait. Le saumon, en lui, appréciait qu'on joua avec les reflets d'une pièce de monnaie. Les rayons du soleil faisait briller la surface dorée pour en éclairer les traits singuliers. La pièce fut déposée, dans la paume de sa main, avant qu'on ne referme son poing glacé. Il resta silencieux, quelques secondes, le temps de décanter sur le discours imagé d'Ilhan : « Est-ce qu'Aldaron était en colère ? » Sa mâchoire se crispait et ses yeux restaient posés sur son poing fermé dont il entrouvrait les doigts, se libérant délicatement de l'étreinte amicale des mains d'Ilhan. « Tout le temps en colère ? » La précision était utile, car la colère n'était pas passagère. Elle était violente et vorace. Elle grondait dans son esprit, gonflant l'orage de rancœur jour après jour. « Je suis en colère, depuis mon réveil. Il n'y a rien qui m'apaise vraiment excepté Ivanyr, lorsqu'il est là, mais ce n'est que provisoire. Une parenthèse dans le maelstrom de … Tout ça. » Un coup de sa tête sembla désigner l'équipage, entre autres.

    « On méprise mon peuple, et on oublie que nous avons accepté d'être dociles, de respecter des lois pour ne pas faire du mal aux vivants, de changer au point de mettre notre royaume en faillite, boire le sang que nous achetons plutôt que de l'arracher aux vies que nous prenions. Cela n'a pas changé leur regard. On voit toujours en nous des monstres. Vous-même n'étiez pas bien rassuré, tout à l'heure, n'est-ce pas ? » Cela n'était pas un blasphème, mais comme pour beaucoup de vivants, il avait eu cette question pour lui traverser l'esprit : 'puis-je lui faire confiance ?' Une question que l'on ne se posait pas en traversant une foule humaine. « Beaucoup affirment nous respecter, mais ils sont les premiers à mettre à notre cou des chaînes, des lois, des principes. Si je décidais de vider de son sang l'un de vos matelots pour me nourrir, me laisseriez-vous faire ? Je n'en suis pas certain. Sa vie vaut-elle plus que la mienne ? Parce que lui, il est vivant et moi un monstre ? Un chance que je n'ai pas besoin de me nourrir de cela. »

    La colère étouffée suintait d'ironie. Il était blessé, comme tout son peuple. En vérité, il n'était que la parole honnête d'un peuple qu'on brûlait trop à blanc. La dislocation de leur royaume n'était que les prémices de cette colère qui enflait et qui allait tout déraciner sur son passage. « Les autres peuples ne sont prêts à nous accepter que si nous changeons. Grands princes, ils acceptent de nous laisser vivre. Mais eux, ils n'ont pas changé pour nous, pour que nous les laissions vivre aussi. » Il avait parlé de 'eux', et non pas de 'vous', il n'y incluait pas immédiatement Ilhan, preuve qu'il ne savait pas encore dans quelle catégorie le ranger. « On méprise les dragonniers, pour ce Lien si responsable de la venue des Chimères et des ravages qu'ils ont causé. Et on oublie les sacrifices, leur sortie de l'anonymat obligatoire pour devenir une arme de guerre, la façon dont on les a utilisé pour s'enrichir. Aujourd'hui, on essaie de les tuer. On les blasphème et on leur crache au visage. Ont-ils à ce point oublié qu'Achroma Seithvelj s'est sacrifié, lui et sa Liée, pour offrir à Ambarhùna des jours heureux, sans le Tyran Blanc ? Même moi, l'amnésique, je connais cette histoire. Celle d'une magie assez puissante pour les libérer jadis. Une belle pièce brillance dont on découvre l'ombre... Alors on la rejette, qu'importe le nombre de belles choses qu'on a pu acquérir avec. »

    Pourquoi avait-il parlé des dragonniers ? Il n'aurait peut-être pas du. « Aldaron était-il en colère, Monsieur Avente ? A ce point ? Je ne pense pas. Il ne pouvait tout simplement pas comprendre. Il ne croisait pas les regards que je croise, moi. On voyait en lui la brillante Triade qui avait permis de résister, de survivre. On voyait en lui le survivant de Morneflamme et on lui offrait pitié et compassion. On voyait en lui la poigne de fer capable de choix justes et généreux. On voit en moi un double monstre. Un vampire et un.. » Dragonnier ? Avait-il vraiment fait des efforts pour lui cacher ? Son intuition n'en pressentait pas l'utilité. Il secoua la tête de gauche à droite : « La façon dont on me voit, Avente, n'est en rien comparable à la façon dont on voyait Aldaron. Il était le héros. Moi, je suis la déchéance. On le respectait et on me méprise. Parce que je les déçois. Parce que l’honorable bourgmestre est devenu un ramassis de ce qu'on voudrait plutôt voir mort au lieu d'avoir survécu. Vous comprenez ? Aldaron et moi avons probablement bien des points en commun et je vous remercie pour les efforts que vous déployez pour... Me rassurer ou que sais-je.. Mais ce que je suis n'a rien d'une banale autre facette d'une même pièce. C'est un revers incrusté d'une odieuse bouse qui donne d'avantage l'envie de jeter la pièce, quelle qu'en soit la valeur, plutôt que d'essayer décrotter sa vision. »

    Le sourire était triste et crispé, le point serré vous la pièce. « Je n'ai pas peur de ces souvenirs, ni de les retrouver. Je n'ai pas peur de souffrir non plus. L’appréhension est là mais elle ne m'empêche pas d'avancer. Elle n'est au final que peu de chose devant ma colère. Comment avez-vous eu cet objet si précieux ? » Ce fut l'instant où Nahui décida que sa position n'était pas assez confortable pour dormir et qu'elle se retourna sous sa cape, obligeant le vampire à lever son bras posé sur elle pour qu'elle puisse se mouvoir en paix et se rendormir. Il n'allait jamais le croire s'il lui disait que c'était un simple petit animal qu'il cachait là dessous, n'est-ce pas ?

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Une sensation fugace. Comme une caresse sur son esprit. Une brise fraiche l’embrassant un court instant, tel un baiser volage, volé, sans outrage, sans apprêt. L’avait-il simplement imaginé ? N’était-ce qu’une chimère de son esprit ? Ou le jeune vampire avait-il tenté de lire en lui ? Et comment donc le pourrait-il seulement ? À sa connaissance, seules quelques exceptions aux dons particuliers pouvaient y prétendre. Tels les dragonniers. Mais à sa connaissance, Aldaron ne l’était pas… Son froncement de sourcil s’accentua légèrement, mais il n’en dit rien et chassa ce doute insidieux qui tentait de ronger ses pensées. Nul besoin de s’inquiéter. Il avait su rejeter une chimère le possédant, il saurait bien sentir si l’on voulait violer son esprit. Il espérait aussi qu’un ersatz d’estime resterait gravé dans l’âme de ce nouveau-né, ou qu’ils sauraient la reconstruire, pour que Cendrelune ne tente pas un tel outrage.

Oui, des souvenirs. Le jeune vampire n’avait en tout cas rien perdu de sa vive intelligence. Voilà qui était en soi rassurant. Il semblait savoir maitriser sa soif et avait gardé toutes ses facultés mentales. Il avait déjà entendu dire que les elfes vampirisés étaient plus maîtres d’eux et recouvraient plus facilement leurs anciennes facultés. Et apparemment il en avait la preuve... mort-vivante… devant lui.

Il acquiesça donc simplement en silence. Pour tout avouer, c’était bien plus que de simples souvenirs, s’il avait bien compris la nature de cet objet. C’était son être tout entier, son lui, dans toute son intégrité, que contenait ce précieux objet.

Bien plus encore, souffla-t-il simplement.

N’osant pas révéler cette nature exacte. Pas ici. Pas alors qu’ils pouvaient être écoutés. Il ne voulait pas que des personnes mal intentionnées aient vent de ce qu’il détenait, quand bien même en son coffre en Delimar l’objet était en parfaite sécurité. Il ne voulait prendre aucun risque.

Mais la suite le laissa… bien plus perplexe. La question aussi soudaine que vive le laissa coi. Si l’elfe avait été en colère ? Ilhan arqua simplement un sourcil, sans répondre, invitant le jeune vampire à s’exprimer. Il n’avait visiblement nul besoin d’invitation à aller plus loin, que déjà un flot de paroles se déversa sur lui. Oh, oui, colère, il la voyait pulser devant lui avec une vivacité hors du commun. Est-ce qu’Aldaron avait ressenti déjà cela ? Il n’en était pas sûr, ou en tout cas ne l’avait jamais vraiment vu sous ce jour-là. Mais Aldaron était devenu maitre dans l’art de cacher ses émotions. Tout comme lui, quand il le voulait. Revêtir des masques, et ne rien révéler de ses véritables pensées… dans le monde dans lequel ils avaient évolué tous deux, cela avait été une question de survie.

Ilhan se contenta d’écouter alors, laissant son sourire, empreint d’une bienveillance non feinte, comme seule réponse à ce torrent d’émotions pures. Son regard sombre, calme et posé, caressait le lac empoisonné qui le dardait de toutes ces désillusions, de toutes ces rancoeurs, de toutes ces questions blessées, de tous ces pourquoi irrités. Des questions somme toute légitimes, mais dont lui-même n’avait pas forcément les réponses. Il doutait d’ailleurs que l’autre attende de véritables réponses de sa part. Il entrevoyait ce qui harponnait ainsi le coeur du jeune vampire. Même s’il ne pouvait totalement comprendre, n’étant pas baigné dans ce marasme amer et humiliant que les vampires connaissaient à l’heure actuelle, il ne pouvait qu’imaginer. Mais il entrevoyait toutes les questions que l’on pourrait contrebalancer. Toutes ces questions étaient si litigieuses… et étaient si empreintes de rancoeur et de peur subies pendant un passé si long et si sanglant… Les monarques n’avaient su y répondre, n’avaient su y apporter apparemment une réponse qui apaise la peur du peuple humain tout en permettant au peuple vampirique, si fier et si farouche, de garder sa dignité. Y’en avait-il une seulement ? Par ce que soulevait le jeune vampire, l’althaïen avait parfois l’impression qu’il revendiquait son droit de chasse, son droit de tuer. Son droit de prédateur, sur un peuple après tout si faible et si démuni, cette proie naturelle qui avait été en tout temps le mets favori des vampires… Eux, humains. Souhaitait-il donc que l’on revienne à ces ères de peur et de guerre ? D’asservissement et de décimation d’un peuple pour en nourrir un autre ?

Ilhan se garda bien toutefois d’émettre ses propres questions et de pousser les réflexions du jeune vampire dans leurs derniers retranchements. Mais, si ses questions étaient légitimes, celles de l’humain l’étaient tout autant. Il doutait toutefois que cela apaise cette colère et qu’ils trouvent tous deux des réponses qui parviennent à les satisfaire, un minima, tous les deux. Il se tut, donc, et écouta, patiemment, accordant toute son attention, et tentant de chasser ses propres pensées, ses propres visions des choses. Il tenta de se projeter dans l’autre, dans sa situation, dans les limbes de ce peuple acculé.

Et le sujet dragonnier vint sur le tapis. Comme un cheveu sur la soupe. Avec la même harangue acérée, la même verve blessée. Le jeune vampire se sentait vivement concerné par cette question, dirait-on. Après tout, son époux avait été dragonnier, songea-t-il. Tentant de se rassurer plus qu’autre chose. Chassant, là encore, les autres hypothèses qui s’insinuaient doucement, laborieusement, douloureusement, en lui. Là aussi, il comprenait. Il devait avouer ne pas avoir lui-même une opinion bien arrêtée. Certes, le lien semblait pouvoir renforcer les chimères et leur permettre de revenir, dans un avenir il l’espérait le plus lointain possible. Mais les dragonniers avaient souvent épaulé les peuples, en se mettant souvent en graves dangers. Était-ce là tout le remerciement qu’on leur offrait ? Il n’était déjà pas d’ordinaire de nature belliqueuse, mais dans cette situation plus que pour toute autre encore, il priait les Sept, et même les Huit s’il le fallait, que l’on trouve une solution coupant le pont entre le lien et les chimères sans devoir s’en prendre ouvertement aux dragonniers et à leurs liés.

« On voit en moi un double monstre. Un vampire et un.. »

Et un… quoi ? Soudain titillé au plus vif de sa curiosité, Ilhan se redressa imperceptiblement. Dragonnier ? Était-il… Non, cela ne se pouvait, n’est-il pas ? Et depuis quand le serait-il ? Il s’était écoulé quelques mois à peine depuis sa transformation. Se pourrait-il… si vite ? Mais le reste des paroles d’Aldaron le frappèrent en plein coeur. Il crut un instant ressentir de plein fouet cette peine, cette affliction qui rongeait le jeune vampire et un élan de compassion comme il en avait rarement connu, ou plutôt comme rarement il s’était permis de ressentir, le happa en plein coeur, le faisait presque rater quelques battements. Il dut se forcer à respirer calmement pour reprendre un semblant de contrôle sur ses pulsations erratiques.

J’ai eu cet objet il y a peu, fit-il enfin.

S’apprêtant à répondre à ce flot de questions, notamment sur la façon dont Aldaron lui avait confié l’objet, quand soudain un mouvement de la besace attira son regard. Il s’arrêta aussitôt de parler, son regard se figeant sur cette petite, discrète, mais réelle ondulation sous le tissu. Il releva doucement un regard interrogateur sur Cendrelune alors que son esprit commençait à additionner deux et deux. "On voit en moi un double monstre. Un vampire et un.." Fichtre ! Finalement, cela se pourrait bien ?! Ne lui dites pas qu’il était venu avec son dragon ici, sur un navire délimarien, où pourraient se trouver d’anciens tueurs de dragons, et dont certains étaient fanatiquement contre le lien !

Son coeur manqua un autre battement, et cette fois, il ne cacha pas sa réelle fatigue, faisant tomber les masques. Après tout, en avait-il seulement encore besoin ? Il allait mourir. Et devant ce jeune vampire, était-ce seulement utile ? Ses sens devaient bien lui indiquer que son corps était plus qu’affaibli. Il ferma alors les yeux un court instant pour s’en frotter les paupières en un geste lasse, puis se passa une main sur le visage, comme pour chasser cette sensation d’un maelstrom d’imbroglio qui menaçait de l’emporter sur des rivages infortunés.

Quand il se sentit se calmer un tant soit peu, il rouvrit les yeux et darda ses obsidiennes sur les perles émeraude de Cendrelune. Une main presque tremblante vint se poser sur la sienne, puis caressa doucement, en un geste presque tendre, la besace à côté, avant qu’il ne revienne serrer doucement le bras du… dragonnier ?

Si ce que vous cachez là a des écailles, surtout veillez à ne pas le montrer.

Il lui offrit un sourire contrit.

J’aimerais vous assurer que vous ne craignez rien, mais ce serait vous mentir. Je n’ai rien personnellement contre ces êtres, ni contre ceux que leur coeur, ou leur âme, a appelés. Mais tous ne pensent pas de même ici.

Il soupira et se frotta une tempe, avant de reprendre d’une voix douce et chaude, laissant ses accents althaïens chanter légèrement.

Je sais que mes paroles ne font alors que conforter les vôtres et je le déplore. Je ne peux vous dire que vous avez tort, mais… c’est un long sujet, un long débat, sur lequel même certains êtres de leur espèce…

Il coula un regard vers la besace, puis les releva sur Cendrelune.

ne sont pas d’accord.

Il avait entendu parler des convictions si farouches du dragon de l’ire. Qui n’en avait pas entendu parler ? Sa Toile en avait eu vent. Certains dragons eux-mêmes s’élevaient contre le lien. Il n’était alors pas étonnant que des bipèdes suivent la même voie.

Mieux vaut ne pas voir une seule écaille sur ce pont…

Même si je mourrais d’envie d’en voir moi-même, ne put-il s’empêcher de penser. De penser fort, comme voulant projeter cette pensée à l’autre. Déplorant de ne pas avoir cette faculté de télépathie qui l’avait toujours tant fasciné. Ce n’était pas pour rien qu’il avait façonné ses sorts uniques. Lui si ancré dans les arts de l’esprit, ne pouvais qu’admirer cette faculté entre toutes.

Pour en revenir à cet objet, c’est Aldaron lui-même qui me l’a confié. Nous étions tous deux sur le même bateau délimarien lors de la bataille contre les chimères. Peu de temps après s’être fait mordre par le vampire chimérisé…

Il laissa un court instant ses mots trainer, ses précédents doutes quant au véritable parent du jeune vampire revenant en force en revoyant la scène.

Je lui ai tendu un objet pour l’aider à guérir au moins de ses blessures, à défaut de pouvoir lutter contre le venin. Il me l’a rendu aussitôt… accompagné de cet objet. Il ne m’a rien dit à ce sujet, il ne m’a rien révélé. J’en ai déduit la nature par moi-même plus tard. Ainsi que son importance. Il s’agit bien plus que de simples souvenirs. Mais vous comprendrez quand vous l’aurez entre vos mains.

Il hésita un court instant à répondre au reste, mais finalement, après avoir sondé l’autre du regard, il se décida.

Et oui je sens votre colère. Elle pulse de vous, elle irradie de votre être tout entier. Suis-je en mesure de répondre à vos questions ou même de vous apaiser ? J’en doute. Aldaron était-il en colère ainsi, tout le temps ? Il n’en montrait rien, si tel était le cas. Mais j’en doute en effet. En tout cas, je vois toutefois que vous avez, contrairement à ce que vous pourriez penser, gardé une chose en commun tous deux : votre passion. Aldaron sous ses masques austères était un être de passion. Sa vie a été assez souvent guidée par elle, du peu que j’ai pu en connaître, même s’il savait écouter sa raison. Et votre colère dénote une passion farouche également. C’est peut-être là le coeur de votre pièce, ajouta-t-il avec un léger sourire.

Il hocha alors la tête négativement, et reprit d’un ton plus bas encore. Ne sachant si sa fatigue parlait pour lui, ou si c’était sa peine pour le jeune vampire en face de lui. Sa peine, non pas sa déception. Sa peine de le voir ainsi si déchiré, si en colère, et sans doute aussi si perdu, si déçu de ce monde qui semblait ne pas vouloir de lui.

Je ne vois pas ce revers incrusté de bouse dont vous parlez. Mais il est vrai que je ne vois pas forcément comme les autres, on me l’a bien souvent reproché. Cependant je ne suis pas sûr que la déception que vous lisez dans le regard des autres soit forcément dirigée contre vous. Peut-être n’est-elle que l’expression de la peine d’avoir perdu un proche et la peur que vous ne les acceptiez pas, vous aussi, comme vous les avez acceptés dans le passé ? Peut-être cette déception est-elle l’expression de leur peur de vous perdre, alors qu’ils ont cru devoir faire leur deuil de vous et qu’ils ont soudain l’espoir de vous retrouver, même si différent, sans avoir toutefois la certitude que vous voudriez, vous, d’eux ? Ou peut-être que je me trompe, et qu’effectivement tout cela n’est que haine et mépris envers vous, cela est possible aussi. Je ne vais pas et ne veux pas vous mentir.

Il balaya l’air d’une main comme chassant toutes ces incertitudes.

Je n’ai malheureusement pas de réelle réponse à vous apporter sur cette question. Mais tout ce que je peux vous dire : ne les jugez pas trop vite et ne vous arrêtez pas au premier regard. Et si vraiment ce regard se confirme être haine ou dégoût, alors détournez-vous, et laissez-les à leurs aveuglements entêtés. Après tout, si ces êtres ne sont pas capables de voir au-delà de votre apparence ou de vos différences, alors peut-être qu’ils n’en valent pas la peine. Quand bien même ils étaient proches de vous auparavant. Et après tout, ce que vous preniez pour un fardeau se révélera peut-être une purge salutaire vous permettant de savoir qui est vraiment fiable et sincère ? Qui vaut la peine que vous les gardiez dans votre coeur ?

Il leva légèrement les mains en signe d’impuissance. Il hésita à aller plus loin, ne voulant pas se lancer dans de grands débats sur le statut du peuple vampirique, mais se décida toutefois à répondre au moins à une question.

Vous disiez tout à l’heure avoir décelé que je n’étais pas bien rassuré en voyant un jeune vampire arriver. Je ne peux vous détromper. Il est vrai. J’ai côtoyé quelques vampires par le passé, et ai vu certaines de leurs réactions… prédatrices, avides de sang et de mort…

Pire même. Il avait vu des humains enchainés, réduits en esclavage, marqués au fer rouge comme des bêtes, vidés de leur sang, tués par bon plaisir ou par non maitrise. Pour certains transformés malgré eux pour renforcer une armée. Ou pour d’autres, au lourd héritage d’être immunisé, réduits à se voir affaiblis pour étancher cette soif éternelle. Cendrelune pouvait se récrier contre le sort du peuple vampirique, mais tout n’était ni blanc ni noir. Le sort du peuple humain n’avait guère été plus enviable il fut un temps aux côtés des enfants de la nuit. Ces deux peuples pouvaient-ils vivre ensemble en paix ? Il l’aurait espéré. Mais les paroles qu’il entendait là lui faisait craindre le pire. Comme toujours, les "vainqueurs" imposaient leurs lois, quitte à opprimer les vaincus, puis les vaincus se rebellaient, et l’histoire se contait alors en une chaine sans fin de guerres, où l’on ne savait plus trop qui avait tort ou raison ni qui avait pu porter le premier coup. Il en était ainsi des guerres vampiriques. Pouvaient-ils encore trouver une juste balance pour que tous cohabitent sans s’entretuer de nouveau ? Peut-être… si le peuple humain savait écouter cette sonette d’arlame !

Et je vous avoue effectivement ne pas être à l’aise en présence de vampires, du moins que je ne connais pas un tant soit peu. Et comment le pourrais-je, moi, proie, si faible et impuissante, face à un possible prédateur qui ne sait ou ne veut peut-être pas maitriser sa soif de sang ?

On ne pouvait lui reprocher cet instinct premier. Par contre, on pouvait lui accorder au moins de savoir passer outre ensuite ?

Si vous décidiez de vider de son sang un des membres de cet équipage, vous laisserai-je faire ? La question serait plutôt : pourrais-je seulement prétendre vous en empêcher ? Je ne crois pas.

Se disant, il désigna sa silhouette, si frêle, si peu dessinée au combat. Déjà qu’un glacernois seul ne pouvait prétendre tenir tête à un vampire en un duel, alors lui...

Est-ce que pour autant j’aimerais vous voir faire ? Non, bien évidemment non. Tout comme vous n’aimeriez pas me voir tuer l’un de vos proches, ou même l’un de vos soldats ou de vos gardes, je présume. Et ce n’est pas une question de savoir si une vie vaut plus que l’autre, c’est une question de " peut-on respecter les deux vies, peut-on éviter que l’une soit tuée ? " Personnellement, je ne souhaite pas choisir de vie, car effectivement la sienne ne vaut pas plus que la vôtre, mais la vôtre ne vaut pas forcément plus que la sienne. Et la mienne ne vaut pas plus que les deux vôtres non plus. Si vous aviez faim, je préférerais encore que vous me le demandiez et vous offrir ce qu’il faut pour vous nourrir, même mon propre sang si vous le désiriez. Bien que je doute qu’en ce moment, il serait au goût de qui que ce soit.

Il ne réprima pas une grimace à cette pensée, en songeant à son foie vicié.

Mais vous avez raison, la solution trouvée pour que les trois peuples puissent cohabiter sans guerre n’est peut-être, sans doute, pas la plus judicieuse et peut sembler injuste au peuple vampirique. Je peux comprendre, du moins imaginer, combien ce peuple fier et redoutable doit se trouver humilié de cette situation. En ce cas, c’est qu’il nous faut revoir la situation et qu’il nous faut trouver une autre solution. Qui convienne à tous. Et qui demande, sans doute, des efforts de tout côté, je le conçois.

Il soupira, peu sûr qu’une telle solution existe vraiment, ou même que certains l’acceptent. Ne serait-ce que revenir à la table des négociations serait sans doute délicat. Mais si les vampires se récriaient de la situation, il ne fallait pas laisser cette colère s’enliser. Car ils courraient droit à la renaissance des guerres d’antan. Peut-être en plus sanglantes, ou plus vicieuses. Laisser pourrir la colère sans tenter de l’apaiser avait toujours été pire que tout.

De ma maigre expérience, petit humain mortel que je suis, j’ai appris en tout cas que si une situation ne nous convenait, protester simplement contre elle ne suffisait pas. Protester est une chose, mais apporter d’autres propositions qui conviendraient mieux est souvent bien plus efficace. Un début de discussion réelle. Protester, argue sa colère est important, mais être force de proposition a plus d’impact encore. Car nous n’agitons alors pas simplement les drapeaux de nos désillusions, que certains peuvent d’ailleurs ne pas comprendre ou ne pas vouloir comprendre, mais nous apportons aussi les vents de l’avenir qui calmeront ces drapeaux.

Il voulut poser une main sur le jeune vampire, tenté de faire appel à son dauphin pour voir si ses paroles recevaient un écho positif dans cet esprit en ébullition, mais il se ravisa. Au lieu de cela, il se contenta de tendre une main vers lui, paume levée, en une invitation muette à la saisir.

Je n’ai aucune réponse pour toutes ces questions, malheureusement. J’aimerais pouvoir vous promettre d’y réfléchir, mais mon temps en ces terres est sans doute compté et bien trop court pour que j’y parvienne, je le crains. Toutefois, je puis, si vous le désirez, vous montrez une méthode qui, quand j’étais en colère, a su m’apporter un peu de paix. À défaut de trouver des solutions.

Se disant, il se leva, toujours la main tendue vers Aldaron, et s’assit à même le sol en tailleur.

Je vous avoue aussi que vous avez attisé ma curiosité. Vous avez dit… ne pas avoir besoin de… sang… pour vous nourrir ? Comment cela se peut-il ? De quoi... vous nourrissez-vous ? J’espère que vous me pardonnerez si ces questions vous paraissent impudentes…

descriptionUn mirage pour combler le désert de l'oubli [Ilhan] EmptyRe: Un mirage pour combler le désert de l'oubli [Ilhan]

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    L'Ast ne put éviter le regard interrogateur d'Ilhan lorsque celui-ci remonta à lui, après que Nahui ait bougé dans son écrin, sous la cape. Il ne savait pas ce qu'il devait lui dire, s'il devait se préparer à combattre ou s'il pouvait lui faire confiance pour ce secret-là. Un peu plus tôt, il le lui avait révélé à demis mots, alors pourquoi, maintenant, avait-il si peur ? Parce que Nahui était révélée, sa présence et qu'il craignait qu'on ôta la vie de sa si précieuse Liée. Mais la fatigue qu'il rencontra sur les traits de cet homme mourant eurent tôt fait de lui faire sentir qu'il pouvait garder sa confiance en lui, qu'elle ne serait pas trahie. C'était un pressentiment, et il pouvait se tromper. Néanmoins, depuis que sa mémoire avait été effacée par la mort, il ne pouvait faire confiance qu'à ses instincts et ses intuitions pour le guider. Jusqu'alors, cela ne lui avait pas fait défaut. On apprenait toutefois de ses erreurs et elles pouvaient venir plus vite qu'il ne l'espérait. Ilhan avait un objet qui lui appartenait. Un objet qui était bien plus que des souvenirs, il n'était plus à une confidence près, non ? Il pouvait bien encore lui faire confiance ? La main tendue vers lui le crispa et ne fit que se détendre un peu lorsqu'il sentit la tendresse de son geste. Il le dardait du regard, comme s'il cherchait en lui le moindre signe avant-coureur de traîtrise, tandis que l'Althaïen caressait une besace heureuse de cette attention... mais cela ne vint heureusement pas. Il fut plus soulagé encore de l'entendre dire qu'il n'éprouvait aucune haine envers les Liés. Une boule gonfla dans sa gorge, pleine d'un sanglot de gratitude, qu'il ne laissa pourtant pas éclater. De quoi aurait-il eut l'air ?

    Ses yeux rougirent néanmoins légèrement, à l'afflux du sang des larmes, soulignant ses mires d'un fin trait carmin. Quant à la mise en garde de ce que pourraient faire certaines personnes sur ce navire ? « Je sais. » affirma-t-il, la voix devenue un souffle tremblant. Il avait peur, mais sa colère l'aidait à avancer, en un sens, et à ne pas simplement s'écraser sous leur haine et leur rejet. Sa mère, Toryné, avait, dit-on, fait semblable action quand pour la bataille des chimères, elle était montée sur un navire de tueurs de vampires, ses troupes scandant même les devises du peuple de la nuit. Il fallait croire qu'il avait hérité de son tempérament et de son audace par le sang, ou plutôt par le venin. Mais que voilà un secret qu'il ne prononcerait jamais. Si cela venait à remonter aux oreilles d'Ivanyr, il serait orphelin dans la seconde. Même pour toute la confiance du monde, ça, il ne pourrait rien en avouer à qui que ce soit. Le maquillage d'une adoption, par intérêt, s'en trouvait bien suffisant. Il n'en demeurait pas moins vrai qu'il était conscient des dangers de sa présence sur ce navire, et de celle de Nahui. Il pressentait, néanmoins, le flot de ses pensées. Plus que de l'indifférence, l'Avente semblait vouloir voir la dracène. Était-ce de l'admiration qu'il s'entait, pour ces créatures ailées ? Il ne savait pas trop et n'osait étendre son empathie télépathe sur lui plus amplement, de crainte qu'on ne le prenne pour un intrus irrespectueux.  Cette pensée là, toutefois, il avait la sensation qu'on venait de lui crier, implorant les cieux pour que le dragonnier l'entende.

    Il en revint à l'objet, lui expliquant la manière dont il l'avait obtenu. L'Antique fronça les sourcils, perplexe. Pourquoi s'était-il dépossédé de ce bien pourtant précieux ? Il avait, sur lui, sa mémoire, prête à lui être rendue s'il devenait un vampire et pourtant... Pourtant au moment où il avait été mordu, il s'en était séparé. Pourquoi ? Cela n'avait aucun sens ? Pourquoi avait-il fait une telle chose ? Plongé dans un océan d'incompréhension, il resta coi pendant tout le reste des paroles qui suivirent, à ne pas savoir quel sens donner à cette révélation. Il l'avait bien écouté, néanmoins, touché par ses mots autant qu'il les comprenait, mais son esprit ne parvenait pas à ses détacher de ce qu'on lui avait dit. Il s'en voulait, à lui, l'elfe, stupide, qui lui avait ôté l'opportunité de savoir, peut-être même de ne pas être dans cet état de colère constante. Non, il ne comprenait pas. Il prit la main qu'on lui tendait, sans plus réfléchir, se leva puis s'assit au sol, face à lui, et face à l'arrière du pont où il n'y avait personne. Il tâcha de se secouer mentalement, pour revenir à l'instant présent. Il l'avait imité naturellement en se mettant en tailleur, mais il n'avait pas lâché sa main. Il la dirigeait à l'intérieur de sa cape, pour pour l'intimer à venir toucher un collier qui se trouvait sur son torse. Ses mires le dardait avec l'intensité qu'avait hypnotisme vampirique sur certaines personnes fascinées par leur race... Car fort heureusement, il y en avait aussi.

    « Je me nourris de l'âme... Ou plutôt de ses fruits. » répondit-il pour donner le change. Mais ce n'était pas un collier qu'Aldaron lui faisait toucher mais le museau écailleux de sa tendre Liée. Ses naseaux se dilataient au rythme de son ardente respiration, paisible dans son sommeil et au contact de ses doigts nouveaux, une langue chaude vint en lécher l'extrémité, dans un geste tendre et ensuqué de sommeil. La cape s'écartait légèrement pour laisser voir à l'Althaïen une tête aux robustes écailles, d'un blanc irisé comme la neige, qui étaient plus épaisses que celles qu'on pouvait communément rencontrer chez d'autres dragon. Les yeux clos de la dracène étaient néanmoins blessés, les écailles rayées dans une plaie qui ne permettait plus à la créature de voir normalement. Dans cet angle-là, personne ne pouvait, parmi les matelots, voir ce que montrait Aldaron, à moins de passer dans le maigre espace derrière Ilhan, mais l'Ast surveillait que personne ne vienne là. On leur avait promis de la tranquillité. Il se montrait seulement prudent, écoutant les battements de cœur alentours et leur proximité. « Les rêves, les aspirations, les pensées. Ce genre de choses. Je n'ai pas besoin de faire mal, d'ôter des vies. Souvent, me promener la nuit dans les rues de Selenia suffit à me rassasier. Je ne sais pas vraiment d'où cela vient... Comme d'autres choses... » Son lien d'Inséparable, ou celui avec Nahui : « Cela est venu comme cela. Lorsque je me suis réveillé, Ivanyr avait préparé du sang pour moi, mais je... » Il secoua la tête de gauche à droite, au souvenir d'Artane.

    « Je n'avais pas faim de cela. Il avait de si beaux rêves, pour nous deux, Ivanyr. Je m'en voulais de les dévorer, autant que j'étais touché par eux. Mais ils étaient inépuisables. Je pouvais en manger autant que je voulais, l'Inséparable les renouvelait plus fort encore. » Sa colère sembla s'effacer sur son visage, pour laisser transparaître sa tendresse. « Cela m'a aidé à passer le cap de la Faim intense de ma renaissance. Heureusement. Je crois que j'aurais plongé n'importe qui dans un désespoir fatal s'il n'avait pas été là. » Il ne faisait pas que croire, il en était certain, puisque c'était comme cela qu'il avait tué Artane. « Ivanyr m'a dit que c'était la première fois qu'il voyait quelque chose comme cela, chez les vampires. On nous appelle Ast et j'en suis le premier-né. Il y a eu trois autres cas par la suite. A Nevrast. Tous. On pense que cela a un lien avec la bête qui rôde dans la forêt de Licorok. On m'a dit que j'y avais été durement touché, psychologiquement, lors d'une expédition, en février. » Il eut un bref sourire, triste : « Voyez-vous ? Même au sein de mon propre peuple, je suis une anomalie. » Les vampires ne l'avaient néanmoins pas rejeté et il n'y avait pas de colère dans ses mots, juste de la tristesse d'être encore différent et de ne pas parvenir à trouver de pairs à qui se lier pour partager. A force d'être un cumul d'exceptions, on se sentait particulièrement seul.

    « Je crois que l'objet que vous avez est celui dont Ivanyr m'a parlé. Il me l'avait offert en cadeau de mariage, le jour de notre union parce que nous avions déjà le projet que je rejoigne la nuit, tôt ou tard. C'était une évidence. » Il referma délicatement le pan de sa cape pour remettre Nahui à l'abri. « Nos vies sont si courtes et même pour les elfes, au regard de l'éternité. J'étais prêt à être maudit par les déesses, pour rester avec lui. Rester avec ceux que j'aimais. Refuser que le Temps ne m'arrache à ce monde, parce que j'y avais encore des choses à faire et à vivre. Étrange décision que cela, n'est-ce pas ? Vous dites que votre temps en ces terres vous est compté, trop court pour pour laisser l'opportunité de réfléchir... » Il se pinçait les lèvres. « Et si vous l'aviez ? Si vous pouviez l'avoir, ce temps, éternellement. Dans tous les cas, vous recommencerez. La réincarnation ne laisse aucune mémoire, pas plus que la vampirisation. Mais comme vous le dites... » Il ressortit la pièce dorée en la faisant glisser entre ses doigts : « Je n'ai peut-être pas changé. Mais qui serais-je devenu si j'étais mort et réincarné ? Un second Nataniel Earendil ? » Fléau pirate, sans foi ni loi ? « Un ennemi pour tout ceux que j'aime et défends dans cette vie ? » Il n'en savait rien. Cet inconnu était trop incertain. « Alors je crois que la nuit m'est apparue comme la seule véritable réincarnation que je voulais accepter. Est-ce une affront aux déesses que de penser ainsi ? » Il n'en savait rien, là non plus. Peut-être avait-il simplement le droit de vouloir garder son existence. Il l'avait forgée, pas à pas. Avec des hauts et des bas, des bonheurs et des horreurs. Ils étaient siens.

    « Je ne comprends pas pourquoi je vous ai donné cet objet, alors qu'il m'avait été offert pour ce jour où je serais mordu et lorsque je l'ai été... Je m'en suis séparé. Cela n'a... Aucun sens. » Il secoua la tête de gauche à droite, en signe d'abandon. Il ne trouverait pas de réponse ainsi, mais lorsqu'il aurait cet objet, la réponse lui serait offerte. Il saurait pourquoi. Il revint sur un autre sujet, pour ne pas s’appesantir sur son incompréhension. « Pour ce qui est des vampires... » Il chercha ses mots pour éclaircir son propos : « C'est de sang dont les miens se nourrissent, Monsieur Avente. Pour survivre, pour manger, pour ce seul besoin physiologique et primaire, nous devons payer ce sang ou tuer. Lorsque vous voulez vous nourrir, vous élevez des animaux et vous entretenez des champs. Vous tuez ces animaux sans vous poser de question. Vous pouvez réaliser cela par vous même, au sein de votre peuple et ne dépendre de personne. Vous n'avez pas à enfreindre de loi, ni même à débourser, si ce n'est les premières semences ou le premier couple reproducteur. Nous, oui. Et si nous sommes sans le sou, que nous reste-t-il ? » Il en avait bien une de solution : « Le sang n'aurait jamais du être vendu. Vous me dites que je n'ai qu'à vous le demander, mais c'est faux. Je dois vous payer, je dois dépendre de vous. Cela a même un nom à lui seul : le Commerce Écarlate. Les autres peuples ont fait de nos besoins primaires tout un marché. Nous ne pourrons jamais avoir cette richesse nous-même. Et nourrir tout un peuple, cela coûte une fortune. Je ne vous parle pas même d'orgueil ou d'estime de nous-même d'être complètement dépendant de ce marché et de ses prix. »

    La colère revenait, malgré lui, dans sa bouche, bile amère : « Simplement de devoir se nourrir. Nous n'avons aucun contrôle sur le fondement même de notre survie... C'était couru d'avance que le Royaume Vampirique s'effondrerait ou qu'ils serait en colère. Avez-vous la moindre idée du montant de la dette vampirique ? Cela ferait mourir plusieurs fois d'affilée un Caladonien. Si les autres peuples ne désiraient vraiment pas que nous ayons à prendre des vies, ils nous auraient donné les moyens de cela. Ce sont autant des assassins que nous, ils sont tout aussi responsables que nous, comprenez-vous ? Je ne sais pas s'ils sont simplement stupides ou s'ils cherchaient sciemment à nous faire revenir à notre état prédateur, pour avoir un prétexte de nous faire la guerre en portant l'armure blanche du chevalier défenseur, contre les monstres. Il faut mettre un terme au Commerce Écarlate si nous souhaitons rester en paix, Monsieur Avente. Si nous voulons vraiment vivre ensemble, faisons le don qui semblait être venu très naturellement à votre esprit, mais de toutes évidences pas à ceux qui ont actés cette guerre programmée. » Sa mâchoire se crispa et il tenta de se détendre en vain. « C'est... C'est quoi votre méthode ? » Parce qu'il avait besoin d'un peu de paix.

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Ces soudains éclats carmin qui soulignèrent ces grands yeux clairs, tel un léger maquillage dont le vampire aurait eu brusquement la coquetterie… Ilhan observa cette fine ligne rouge avec une certaine stupeur dans son regard. Était-ce lui qui avait provoqué cela ? Un tel émoi ? Parce qu’il savait qu’il s’agissait de larmes. De larmes contenues, mais de larmes quand même. Le vampire faisait preuve d’une belle retenue, mais l’air était soudain chargé entre eux de ces palpitations que provoquent les fortes émotions. Ilhan n’était pas donné du don d’empathie, comme on l’entendait, mais il la sentait presque vibrer, chanter, entre eux. C’était à la fois beau, tendre… et triste aussi. Pourquoi pleurer pour ces simples mots ? Il n’avait pourtant pas offert bien grand-chose alors. Il connaissait le pouvoir des mots, mais il n’aurait pas parié sur la force de ceux-là.

Il fut tenté un court instant d’essuyer ses larmes. Tel qu’il l’aurait fait envers l’un des siens. Et tel que son instinct lui soufflait pour que les délimariens ne se récrient pas de cette marque vampirique aussi. Mais il retint son geste, de peur qu’il soit trop osé… Il avait déjà vu le nouveau-né se tendre quand il avait caressé la besace. Il n’avait aucune envie de lui faire peur, ou pire de le provoquer, d’une quelconque façon que ce soit.

Il fut heureux toutefois qu’Aldaron accepte son invitation à une petite séance d’apaisement. Du moins l’espérait-il. Si avec bien des individus il aurait su instantanément comment les apaiser, il n’était sûr de rien avec l’ancien elfe. Sa force d’esprit était telle, qu’il ne serait pas étonné qu’elle nourrisse sa colère et la transforme en hargne acharnée. Il se contenta donc d’abord de sourire au jeune vampire quand il s’installa devant lui. Un simple signe d’encouragement et de sincère remerciement pour accepter cette petite main qu’il lui tendait.

Qu’elle ne fut sa surprise, une fois encore, quand il sentit Aldaron guider sa main à l’intérieur de la cape. Et plus encore les révélations qui suivirent aussitôt le happèrent et le laissèrent coi. Se nourrir de l’âme… de ses fruits… lesquels ? Les pensées ? Les émotions ? Les rêves ? Les utopies ? Ilhan resta un long moment interdit, les yeux sombres pleins d’interrogation rivés sur les perles claires du vampire. Et il sursauta presque quand sa main entra soudain en contact avec des écailles. Des écailles ! Car oui, il n’avait jamais eu l’honneur de toucher un dragon, mais il reconnaissait sans peine ce toucher. Cette fois son regard dériva avec lenteur sur la cape qui protégeait le petit dragon, et sous laquelle sa main caressait, presque timidement, ce qu’il devinait être un museau. C’était à la fois chaud et froid, dur et doux… C’était une sensation inexplicable qu’il ne pouvait en fait décrire, tant ses sens chaviraient à ce simple contact. Et quand une langue chaude vint lécher ses doigts, il ne put réprimer un doux sourire. Ses yeux sombres pétillèrent alors d’une joie difficilement contenue. D’une émotion étrange qui soudain l’enserrait dans son écrin de soie. Il happa ce moment ultime et magique et prit soin d’en graver chaque détail dans sa mémoire.

Son bonheur fut au comble, quand Aldaron prit l’audace, folie selon lui, de soulever un peu la cape pour lui laisser voir cette petite frimousse magnifique, si claire, si pure, telle la glace du Nord qui n’aurait jamais fondu. Un court instant il songea qu’en voyant pareille beauté, qui était aux couleurs de leur ancienne Glacern, les Nordiques auraient peut-être pu se laisser amadouer aussi. Mais il chassa cette idée complètement inique de son esprit. Non, jamais les délimariens ne pourraient revoir leur vision des choses concernant les dragons. Pas quand ils avaient eu un si lourd passif avec cette antique race. Son sourire se teinta alors d’une douce tristesse et ses yeux se ternirent légèrement d’un autre éclat, de l’éclat de la nostalgie et d’un certain désespoir, d’une profonde lassitude aussi. Il aperçut alors les yeux comme lacérés du jeune dragon et un profond élan de peine manqua l’étouffer. Comment donc cela avait-il pu arriver ? Il releva brusquement des yeux interloqués, choqués, vers le vampire, mais tut ses questions. Et aussitôt il offrit de nouveau son attention au dragon, tandis qu’une main presque tremblante caressa avec une tendre pudeur les balafres qui rayaient ses écailles près de ses yeux clos. Il pensa fort à la peine qu’il ressentait pour elle, et présenta ses excuses mentalement, quand bien même il n’en était pas directement responsable, pour ce qui avait pu lui infliger cela. Il n’osa envoyer cette pensée directement au dragon, de peur de le vexer. Il se souvenait bien trop de sa toute première rencontre avec l’une de leur race, Nynsith la grande Dévoreuse. Certes, il s’était agi alors d’une dragonne sauvage, à l’esprit abrupt, et elle était focalisée lors de leur rencontre sur son repas… Il devait sans doute être heureux d’ailleurs de n’avoir pas été considéré comme un entremets…

Toujours était-il que cette rencontre l’avait suffisamment marqué pour lui faire comprendre que les dragons pouvaient être délicats à aborder. Mieux valait attendre qu’ils vous abordent et ne pas les importuner de votre propre initiative. Le petit dragonneau lui offrait déjà l’ultime honneur de ces coups de langue et d’être ainsi admiré. Il ne pouvait décemment en espérer plus.

Étrangement, les mots qui suivirent répondirent à ces questions muettes, quant aux fruits de l’âme. À croire qu’Aldaron les avait entendus. Ou sans doute lui avaient-elles paru évidentes aussi… Ilhan hocha la tête. Sans quitter le dragon des yeux, se gavant intérieurement de ce petit cadeau, de cet ultime honneur, profitant de chaque seconde, chaque minute, qu’on lui offrait. Toutefois son port de tête légèrement tourné vers le vampire indiquait qu’il écoutait attentivement ses propos. Il n’était pas bien sûr que ces explications le rassuraient, pour tout avouer. Certes, cela signifiait que certains vampires n’étaient plus assoiffés de sang, qu’ils pourraient ne plus être de redoutables prédateurs envers les hommes… mais manger les pensées ? Pour Ilhan, c’était là peut-être pire que boire du sang. Que l’on puisse atteindre son esprit, y attenter, de quelque manière que ce soit, cela avait toujours été l’une de ses hantises.

Toutefois… Toutefois, il se sentait parfaitement lucide. Son fil de pensée ne semblait pas décousu. Le vampire ne semblait donc pas enfreindre son esprit et en profiter… mais le sentirait-il seulement, en fait ? Il dut faire appel à toute sa volonté pour ne pas réprimer un léger frisson. Non pas qu’il ait soudain peur du jeune vampire en face de lui. S’il lui avait voulu du mal, il aurait déjà eu maintes occasions de le faire. Il n’était pas dupe, si le jeune vampire voulait attenter à sa vie, ou son esprit, il l’aurait fait et les délimariens n’auraient guère eu le temps de l’en empêcher, vu leur proximité actuelle. Ils seraient certes intervenus, et auraient peut-être pu neutraliser le jeune vampire, mais le mal aurait été fait. Non, il ne craignait rien, en cet instant du moins, d’Aldaron. Et, peut-être était-il fou de penser ainsi, mais il était quasi certain de n’avoir rien à craindre vraiment de lui à l’avenir non plus. Du moins tant qu’il ne le trahirait pas lui-même. Le dragonnier ne lui aurait pas montré sa liée, en une situation si délicate pour lui, sinon. Le jeune vampire lui faisait confiance, il ne savait pourquoi. Peut-être pouvait-il songer à faire de même, pensa Ilhan tout en relevant enfin les yeux sur le vampire.

Ce que l’ancien elfe lui comptait était presque beau en fait, dut-il avouer. Se nourrir des rêves… Pouvait-on faire du mal ainsi ? Peut-être, si l’on happait tous les rêves de la même personne et si on la privait de cet ultime recours de s’évader de sa prison charnelle. Mais… si comme le jeune vampire disait le faire au gré des rues de Sélénia… Et quand il parla de son inséparable, de cette force qui les unissait, et le nourrissait de rêves toujours plus forts… Un court instant, Ilhan envia le nouveau-né d’avoir une union si forte, si belle, avec un être cher qui était encore en vie. Ou en non-vie. Disons de ce monde. Il ne put s’empêcher de penser que sa solitude choisie avait été sans doute l’une de ses plus grandes erreurs, l’un de ses pires aveuglements, peut-être. Mais il espérait pouvoir retrouver sa belle et tendre aux portes de la mort. L’attendrait-elle ? Était-elle encore là-bas et auraient-ils la joie de se réincarner ensemble, pour vivre, enfin, la vie à deux qu’ils avaient si peu goûté ?

Si, vraisemblablement, l’on pouvait faire mal, même en mangeant les rêves et les aspirations. Plonger dans le désespoir… Au moins Aldaron en était-il conscient. Et semblait peu enclin à se prêter à ce jeu, au vu de ce qu’il lui disait. Le jeune vampire, tout prédateur qu’il pouvait être, semblait tout de même porté à ne pas blesser les autres êtres. Et, rien que cela, était un signe pour Ilhan d’une confiance possible entre eux deux. L’althaïen hocha alors gravement la tête.

Puis la cape fut refermée. Ilhan en effleura une dernière fois le tissu qui recouvrait de nouveau le petit écailleux, et offrit un doux sourire de remerciement sincère au dragonnier. Il ne trahirait pas cette confiance, foi d’Avente.

Un sourire qui se fana légèrement à la question qu’Aldaron lui posa. S’il avait ce temps ? S’il pouvait l’avoir ? Il ne voyait qu’un moyen pour cela. Devenir vampire. Et, même s’il semblait y avoir d’autres possibilités que de devenir un buveur de sang, Ilhan avait toujours nourri cette étrange hantise de tomber dans la nuit éternelle. Non, réellement, cette peur était encore bien trop ancrée en lui pour qu’il s’y résolve. Il ne sut s’il devait être touché de la proposition à moitié formulée qu’il devinait entre les mots, ou s’il devait en être horrifié. Il préféra alors ne pas répondre, esquiver la question, et écouter, son regard intense rivé sur l’autre en face de lui. Un regard étrangement plein de vie, alors que son corps était à l’agonie. Quant à l’affront des déesses… les vampires étaient l’une de leurs malédictions. Mais au final, ces enfants de la nuit étaient aussi l’une de leurs créations...

Mais déjà le nouveau-né, qu’on ne semblait plus pouvoir arrêter, continuait et revenait sur leur sujet premier : les litiges commis contre le peuple vampirique. C’était, selon lui, un sujet bien plus délicat. Les vampires avaient commis nombre de litiges aux peuples humain et elfique, et les autres peuples leur en avaient infligé en retour tout autant. C’était une guerre ancrée depuis des siècles, nourrie de haine et de revanche. Il aurait été idiot de penser que l’on aurait pu tout essuyer d’un revers de main, sous prétexte que l’on arrivait sur de nouvelles terres. Oui, il comprenait ce que le vampire lui expliquait. Vu sous ce jour, ou plutôt cette nuit, cela faisait sens, oui. Mais lui race mortelle ne pouvait comprendre ces choses-là que si on les lui expliquait… Et tout comme l’elfe qu’avait été Aldaron ne s’en était pas préoccupé plus que cela alors, lui non plus, humain, alors retranché de toute vie politique au moment de ce traité et de leur arrivée, n'avait pas entrevu la situation sous tous ses aspects…

Quant à payer la nourriture… Là aussi, ce n’était pas une notion aberrante pour lui. Il n’était pas cultivateur ni éleveur, il payait donc la nourriture qu’il ne pouvait produire. Toutefois… si on demandait aux vampires de produire leur nourriture, cela reviendrait à les autoriser à considérer la race humaine comme du bétail. Ce que ces derniers refuseraient, lui le premier. Les vampires n’avaient donc pas cette possibilité de produire leur nourriture… Pouvait-on alors leur demander, de ne pas chasser, de ne pas élever les humains comme du bétail, de respecter le peuple humain ET de payer pour autant la nourriture dont ils avaient besoin, mais qu’on leur refusait de trouver par ailleurs ? Effectivement, il y avait une incohérence. Mais elle ne lui sautait aux yeux qu’en cet instant. Parce qu’un vampire lui présentait le problème, le lui expliquait. Selon lui, il y aurait eu possibilité de trouver des compromis…

Un quota de sang donné volontairement, nombre d’humains l’auraient accepté si c’était là un gage de paix, avec une marge pour prendre en compte la possible augmentation de population vampirique… et que les vampires ne paient que le surplus. Que la gourmandise devienne payante, mais pas le besoin. Selon Ilhan, cela aurait été envisageable. Certes, certaines ethnies humaines auraient refusé cet accord catégoriquement, tels les délimariens… Mais pas toutes. Pourquoi donc cet accord n’avait pas été dans ce sens ?

Il en entrevoyait les raisons : un dirigeant vampirique bien trop faible, ou affaibli, à l’agonie, pris à la gorge sous la menace des autres peuples ? Un dirigeant vampirique n’ayant pas eu assez de force et de cran pour savoir défendre ou expliquer la cause des siens ? Des manœuvres politiques d’humains aveugles qui entrevoyaient des intérêts immédiats, à savoir affaiblir un peuple déjà au plus bas, sans voir toutefois les effets néfastes sur le long terme ? Il n’était jamais bon d’acculer un prédateur dans ses derniers retranchements. C’était l’assurance qu’une fois aux pieds du mur, il se retourne… et vous attaque. Acculé ainsi, il n’avait d’autres choix que d’attaquer ou mourir. Et un prédateur jamais ne se laissait mourir sans combattre une dernière fois… En étaient-ils déjà arrivés là ? Comment avait-il pu lui-même être ainsi aveugle sur la question pour en voir les rebonds et les impasses au dernier moment ? Mais à l’aube de sa mort, pouvait-il encore y faire quelque chose ? Peut-être, à son retour de Sélénia, pourrait-il évoquer, si ce n’est en Delimar, du moins auprès de ses contacts en Sélénia et dans diverses cités de l’Alliance, un retour à la table des négociations pour revoir ces conditions ?

Ilhan soupira à cette pensée. Encore faudrait-il qu’il en ait le temps. Et la force. Mais peut-être pourrait-il en susurrer l’idée à certains, pour qu’ils oeuvrent en ce sens ensuite ?

Il ne put toutefois s’empêcher de noter dans un coin de son esprit l’information, plus qu’intéressante, d’une dette vampirique exorbitante. Il aurait été curieux de connaître le nombre de zéro en question… mais il n’osa forcer l’outrage en formulant sa question à haute voix. Il ne voulait pas attiser la colère grondante du dragonnier en cet instant, il souhaitait juste apaiser ce brasier qui menaçait de le consumer.

Et enfin, le flot de paroles sembla se calmer. Ilhan ne répondit pas de suite à sa question. Il se contenta d’un lourd soupir et d’un doux sourire. Il prit les deux mains du jeune vampire dans les siennes, et les dirigea paume vers le haut, posées sur les siennes. Il laissa son pouce courir sur la paume et en caresser doucement, en gestes tendres, mais non impudiques, la peau froide. Plus la caresse d’un père pour apaiser un enfant.

Je vous entends, souffla-t-il enfin presque en un murmure, d’une voix calme et posée aux accents chauds de son Althaïa. Et j’entends toute votre colère. Je ne sais pourquoi vous m’avez honoré de cette confiance en me donnant ce collier, mais je pense qu’un lien s’est tissé entre nous. Et se tisse encore, même dans la non-vie, et je l’espère même au-delà de ma mort.

Il sourit légèrement, sans cesser ses gestes.

J’entends votre colère. Je dois vous avouer que je ne pouvais entrevoir tout cela, moi, humain mortel, avant que vous ne me les expliquiez. Et je pense que nombre de personnes des races non vampiriques n’ont pas eu conscience non plus de tout cela. J’entrevois plusieurs possibilités à cette situation, plusieurs choix et influences qui auraient pu conduire à cette situation. Vous en avez évoqué certaines et je ne ferai pas l’affront à votre intelligence de les nier. Ce serait un mensonge éhonté. Je pense toutefois que cela est un mélange de tout cela à la fois. Oui, il nous faudra revenir à la table des négociations. Si j’en avais le temps et la force, j’aurais aimé oeuvrer en ce sens. Si cela est encore possible toutefois. Mais le temps m’est peut-être compté bien plus encore que je ne l’espère, pour que je puisse y parvenir. Je pourrais peut-être toutefois en parler à nombre de mes connaissances pour qu’elles fassent poids en ce sens.

Ses gestes du pouce s’arrêtèrent, et ses mains chaudes desserrèrent doucement leur prise de celles du vampire. Il laissa juste cette peau froide effleurer la sienne, leurs mains posées l’une sur l’autre de chaque côté, paume vers le ciel. Tel un geste de prière.

Mais je sens une colère qui irradie en tout sens. Une colère aveuglée peut devenir une faiblesse qui fera la force de vos ennemis. Il est possible toutefois d’en faire une force, qui vous aide à avancer, au lieu de vous freiner. Une colère peut devenir une force quand elle est dirigée vers sa source avérée. Quelle est la réelle source de votre colère ? Essayez de la diriger vers cette source et non plus de l’éparpiller à tout vent. Serait-elle le dirigeant de votre peuple d’alors qui a accepté de telles conditions sans parvenir à incarner la force de votre peuple pour faire entendre sa voix ? Est-ce les autres peuples qui, comme vous ancien elfe n’aviez pas forcément compris tout cela, sont restés aveugles, parce que cela les dépassait et qu’ils ne comprenaient pas ? Est-ce les dirigeants de ces autres peuples qui ont peut-être cru choisir une opportunité en restant aveugles dans leurs vils intérêts ?

Il préféra ne pas donner de réponse réelle. Pour sa part, les responsables étaient les dirigeants ayant conclu ce pacte. Tous confondus. Dirigeant vampirique compris. Le peuple, les peuples, eux, n’étaient pas forcément responsables alors, eux qui avaient placé leur confiance dans un dirigeant pour les mener, les guider… Il espérait qu’Aldaron comprenne ce sous-entendu : ne condamnons pas tout un peuple, ou tous les peuples, pour la faute de quelques-uns.

Et en attendant de parvenir à focaliser votre colère, quand vous ne parvenez pas à canaliser vos émotions, voici une possible méthode, qui je l’espère vous aidera. Laissez-vous guider par ma voix.

Il baissa alors sa voix d’un cran, la faisant devenir grave, presque hypnotisante.

Fermez les yeux. Essayez alors de n’écouter que ma voix. Je sais vos sens plus développés que les miens, mais en cet instant vous n’entendez rien d’autre que moi. Vous n’entendez que ma voix. Vous ne ressentez que ma présence. Vous vous laissez bercer par le ressac de ma voix, tel un leitmotiv unique. Vous ne sentez que la peau de ma main sur la vôtre, vous ne ressentez que ma chaleur, vous n’entendez que mon pouls battre en un rythme lent. Laissez-vous bercer par ce rythme. Un battement, là. N’écoutez que ma voix. Un autre battement…

Il laissa alors sa voix en suspens et se focalisa lui-même sur son rythme cardiaque pour en apaiser les battements. Quand son tambour devint assez lancinant pour être apaisant, il reprit, plus doucement encore, toujours dans des tons graves et profonds, riches de la romantique déchue.

Maintenant, focalisez-vous sur un être qui vous est cher. Un de ceux qui vous est le plus cher au monde. Vous avez parlé d’Achroma, votre inséparable, votre ancrage. Faites appel à lui, ne voyez que lui. Gardez les yeux fermés, et voyez-le dans votre esprit. Vous en sentez sa peau, la texture de sa chevelure, vous en sentez son odeur, vous en sentez sa chaleur, si ce n’est celle du corps, celle du coeur. Vous en sentez ses pensées, ses rêves. Les sentez-vous ?

Il inspira profondément, et expira longuement. Il n’osa demander au vampire de faire de même, mais il espérait que le rythme lent de sa respiration allait aider l’autre à se focaliser sur l’instant présent, et ce qu’il appelait mentalement.

Laissez sa présence vous irradier. Maintenant, pensez à ce que vous aimez le plus en lui. À ce que vous préférez le plus au monde en lui. Là, l’avez-vous ? Décrivez-le-moi. Décrivez-moi ce que vous ressentez alors.

descriptionUn mirage pour combler le désert de l'oubli [Ilhan] EmptyRe: Un mirage pour combler le désert de l'oubli [Ilhan]

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    Ses mains lui furent abandonnées, paumes vers le ciel, accueillant ses caresses comme on accepte d'être consolé. Il était blessé, il le réalisait. Non pas physiquement, mais la place des vampires et des dragonniers, et par conséquent sa place, étaient une convergence de litiges auxquels il aurait voulu échapper. Il aurait apprécié grandir et découvrir le monde de façon libre, sans avoir à se soucier de toutes ces personnes qui voulaient sa peau. Une bulle d'innocence, comme toutes les enfances en avaient le droit. Aldaron dardait l'althaïen de son regard franc et farouche. Il l'entendait ? Voilà qu'il s'exprimait comme un politicien à son égard. C'était une façon comme une autre de prendre du recul et de se désengager. Une façon d'affirmer qu'il avait compris, mais qu'il n'y ferait rien, parce qu'il ne pouvait ou ne voulait rien faire. Il ne pouvait pas lui en vouloir : cet humain-là serait bientôt mort. Qu'aurait-il pu faire ? Il lui avait ouvert les yeux trop tard. Avec fatalisme, l'Ast se disait que la malédiction des déesses allait bien plus loin que cette condamnation à la non-vie. Car même lorsqu'il mettait la main sur une personne ouverte et capable de l'aider à faire avancer les choses...Il fallait alors que cela soit trop tard.

    L'était-ce vraiment ? Ne pouvait-on bafouer l'ordre des choses ? Renverser cette insidieuse destinée tracée par Mort ? Maudit pour maudit... Ne pourrait-il pas le transformer et lui éviter ce trépas ? Était-ce alors une réponse d'Ilhan quand il lui affirmait qu'un lien s'était tissé entre eux, jadis, aujourd'hui... Et même après sa mort ? Aldaron ne désirait se fourvoyer, mais il ignorait quel sens autre donner à ces propos. Les souvenirs s'étioleraient, comme pour toutes ces choses éphémères qui s’éteignait. Des siècles plus tard, qu'est-ce qu'on en retenait ? Poussière. Quel vain espoir alors de croire que leur lien demeurerait s'il venait à s'éteindre. Aldaron, créature éternelle, n'était pas à ce cycle-là de temporalité. S'il avait une longévité d'humain, oui, il aurait pu lui promettre de garder ce lien en lui jusqu'à ce que la mort l'emporte à son tour... Mais Ilhan, avait-il la moindre idée de ce qu'était l'éternité ? Le seul moyen de garder ce lien était encore de le retenir en ce monde, par le venin vampirique.

    Il l'écouta, silencieux, en train de chercher à diriger sa colère, lui donner un sens, une source. Il secoua la tête, de gauche à droite au sous-entendu qu'il saisissait mais qu'il refusait d'accepter. Il n'y avait pas un seul coupable ou une simple poignée de coupables. Il y avait énormément de responsables à cela et il devenait impossible de les discerner des innocents. Y en avait-il seulement, des innocents ? Lui même, elfe, avait eu un frère de cœur vampire et pourtant, il n'avait pas saisit tout l'ampleur du problème avant d'y avoir été véritablement confronté. Pourtant, il avait été un parangon de tolérance et d'ouverture, mais dans sa manière d'être, d'agir et même de penser, il avait véhiculé malgré lui la croyance commune d'une haine à l'encontre du peuple vampirique. Il avait élevé le commerce au rang d'art, avec la triade et aujourd'hui, on se servait de cette monnaie pour mettre les vampires à genoux. Il n'y avait pas une poignée de coupables, non. Il n'y avait rien qui puisse focaliser sa colère.

    Il ferma les yeux, à sa demande et écouta sa voix au rythme régulier, puis les battements de cœur qui s’apaisaient. Il s'accrocha à l'affection qu'il portait à Ivanyr, pour se défaire de la sanguinité impulsive de ses pensées. Il en perdit néanmoins la concentration lorsqu'Ilhan lui demanda de décrire ce qu'il ressentait en pensant à son époux. Là aussi, cela pouvait s'avérer être un terrain miné. Calmé, néanmoins, il ne chercha pas à repousser abruptement le Conseiller. « Cela est privé. » répondit-il peu enclin à partager avec lui à ce point. Ce qu'il y avait entre Achroma et lui était de l'ordre de l'intime. Il avait accepté de lui livrer ses pensées, mais celles-ci, non. Il en éprouvait une certaine pudeur parce que c'était l'une des rares choses qui le rendait heureux, ne le faisait pas douter, et l'épargnait des affres de ce monde haineux. Égoïstement, il gardait cela pour lui. Il avait bien trop peur qu'on vienne détruire cela aussi. « Je vous remercie, néanmoins. Votre altruisme est un exemple. »

    Il secoua à nouveau la tête : « Je ne pense pas qu'il soit possible de focaliser ma colère. » Il lui adressa un sourire désolé, car il sentait bien qu'Ilhan avait cherché à solutionner ce qui bouillonnait en lui. « Regardez les hommes sur votre navire : aucun d'eux n'est roi. Pourtant leur éducation, leurs croyances et leurs convictions sont tournées à l'encontre de mon peuple. Eux, ils ont même refusé de seulement donner leur sang. Si leur Intendante, elle, venait à... Évoluer, changer d'avis, au gré de sa vie, de ses rencontres et de ses expériences... Ou même de ec que vous pourriez lui souffler. Pensez-vous qu'elle aurait le choix ? Pensez-vous que Korentin et Nolan Kohan aient eu le choix quand leurs conseillers et leurs cours fomentaient des trahisons pernicieuses, le décrédibilisaient et lui donnaient des avis fallacieux qui entravaient leur volonté. Avoir à ménager la chèvre et le choux. Croyez-vous que lorsque les vampires se sont retrouvés sur Nyn-Tiamat, avec les elfes et tous les humains, ils aient été en position de force pour négocier, pour expliquer, pour éduquer ? »

    Il était calme, pour autant, dans le flux de ses paroles. Paisible avec cette idée. « Les dirigeants, les dragonniers ne sont que des hommes, coupables certes, mais des êtres uniques et faibles face à l'avis et la volonté de la foule. Ils portent une couronne ou s'envolent sur le dos d'un dragon, pour mieux camoufler les chaînes de ce que l'on attend d'eux. Le peuple est bien plus puissant que vous ne l'affirmez, et vous le savez pourtant... Car c'est la base même de votre fonctionnement, à Délimar. En vérité, à mes yeux, c'est le peuple qui est coupable. Tout le peuple. » Il devrait saigner pour cela, tôt ou tard. L'histoire l'avait déjà démontré : les vampires n'étaient pas des chiens en laisse. Il baissa la tête, caressant à travers sa cape les écailles rugueuses de sa Liée. Un jour, sur eux aussi, on ferait reposer le poids de leurs attentes, en plus du passé de l'elfe qu'il se traînait. Il poussa un soupir, plus pour détendre ses muscles froids qu'autre chose. « Je vais y aller, j'aimerais que vous me remettiez le bien que je vous avais confié. » Il relevait ses mires sur lui : « Et vous ne m'avez pas répondu... Avez-vous songé à la nuit ? Les personnes comme vous ne sont que trop peu nombreuses... »

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« Cela est privé. »

A cette réponse directe et franche, implacable de pudeur contenue, Ilhan ne put que sourire doucement. Sans doute aurait-il été capable de répondre de même si on lui avait demandé ce qu’il aimait le plus chez son épouse décédée. Il espérait, sans trop oser y croire vraiment, avoir au moins donné une piste au jeune vampire pour calmer sa colère, à défaut de pouvoir la canaliser. Mais ce n’était pas en une petite séance, aussi rapide que celle-là, qu’il ferait des merveilles. Ce n’était là qu’une technique méditative, parmi tant d’autres, qui pouvait permettre à l’esprit et l’âme de se ressourcer dans les merveilles qu’ils savaient si bien contenir, enfermer, tout au fond d’eux, bien cachés. À Aldaron ensuite de la faire sienne, s’il le voulait, pour qu’elle lui révèle toute sa puissance après une pratique quotidienne.

Le mot altruisme le fit quelque peu tiquer.  Si on lui avait demandé de se décrire lui-même, altruiste n’aurait pas été le premier mot qui lui serait venu à l’esprit. Ambitieux, secret, comploteur, généreux à sa façon, calculateur, oui, idéaliste, utopique, fou dans ses ambitions pour son peuple, oui encore. Mais altruiste ? Il n’aurait su dire pour tout avouer. Certes ce qu’il donnait là était totalement désintéressé, mais… cela n’était pas forcément toujours le cas, pas souvent non plus pour tout avouer. Il y avait souvent une idée derrière un service rendu, une attente… Toutefois il ne releva pas pour autant et prit le compliment comme il vint et pour ce qu’il était.

Et se contenta d’écouter le jeune vampire qui reprenait, plus posément nota-t-il, et expliquait son ressenti. Là encore, il aurait eu beaucoup à répondre. Oui le peuple était puissant. Mais le peuple était manipulable aussi. Il était assez bien placé pour le savoir, lui qui avait su souvent user de rumeurs, avérées ou erronées, pour détourner une attention, ou forger une opinion… Certes le peuple délimarien était un cas à part. Mais tout de même, un peuple restait une masse aisément manipulable dont la seule réelle culpabilité était son ignorance qui la changeait en belle marionnette aux mains de politiciens expérimentés. Mais il comprenait ce que voulait dire, en un sens, le jeune vampire. Il était difficile de lui donner tord par certains aspects : car après tout, manipulé ou non, si le peuple se laissait leurrer, s’il se laisser baigner dans son ignorance sans chercher à la dépasser, ne se rendait-il pas tout aussi coupable que ceux qui tirait ses ficelles, par son aveuglement alors assumé ?

Oui, le peuple pouvait avoir une part de responsabilité. Quand il ne combattait pas la fange dans laquelle on cherchait à le faire ramper, quand il s’y encrassait et s’y embourbait sans chercher à prendre les rares cordes qui pouvaient lui être tendues, ou quand il préférait fermer les yeux sur des vérités trop ardues. Oui, en cela, le peuple pouvait peut-être être fautif. Mais quand le peuple cherchait à abattre les portes de ses prisons, quand le peuple arrachait les voiles des masques qu’on lui imposait, quand quelques-uns parmi eux avaient le courage d’élever la voix pour réclamer éducation et informations… alors là le peuple, en s’émancipant enfin, se purifiait de ses possibles fautes passées. Et il en revenait alors à ce qui l’avait toujours fait avancer : ne pas rejeter la faute de quelques-uns sur toute une communauté. Que l'on condamne les coupables, et leurs complices aveuglés, mais qu’on tende la main de la paix vers ceux qui, au moins, auraient essayé…

Mais ils entraient là dans un débat qui ne faisait guère l’unanimité, dans aucune communauté, pas même en Delimar. Ces pensées-là lui étaient propres, et il lui semblait vain de tenter de convaincre qui que ce soit de leur bien-fondé. Les paroles d’Aldaron avaient du sens, même s’il aurait aimé y entrevoir un peu moins de colère. Il sentait cependant que cette dernière était bien trop grondante encore pour s’étendre plus avant sur tout cela. Il aurait aimé pouvoir dire "un jour peut-être, nous en reparlerons de façon plus posée", mais… non, les jours lui étaient comptés.

Parlant de jour compté… Voilà que le jeune vampire relançait sa question sur la nuit ! La nuit éternelle, assurément, il n’évoquait sans doute pas la belle nuit au clair de lune qui leur tendait bientôt ses bras alors que le soleil déclinait ! Si je n’y ai pas répondu, c’est pour une bonne raison, eut envie de rétorquer Ilhan. Mais il se mordit la joue et contint sa petite pique acerbe, ce cynisme mal placé qui parfois ressurgissait malgré lui. Il ne voulait en rien blesser son ancien "ami" - maintenant que Mort était à ses portes il pouvait bien se risquer à ce mot. Son presque nouveau complice, si la vie lui avait laissé encore quelque temps… Car il sentait qu’il aurait pu facilement renouer des liens fort avec le nouveau-né. Il aurait en tout cas fortement apprécié, malgré tous ces beaux discours sur le fait de ne pas vouloir s’attacher...

Je n’ai pas l’objet en ma possession ici, répondit-il tout d’abord à la place.

À la fois pour gagner un peu de temps et pour au moins être sûr de pouvoir évoquer les dispositions qu’il allait prendre pour l’objet.

Laborieusement, en s’appuyant sur une des caisses toutes proches, il se releva à son tour. Non sans une légère grimace de douleur. L’heure de son remède était venue…

Il est dans mon coffre dans la citadelle de Delimar. Dès mon retour, je vais mettre les mesures en place pour qu’il puisse vous êtes remis en mains propres. J’espère pouvoir le faire moi-même, mais sinon j’enverrai une personne de confiance, qui ne vous remettra votre bien qu’à vous-même et qui le protégera même au péril de sa vie. Je vais envoyer dès ce soir un message pour que tout soit préparé en ce sens, et que l’objet puisse vous êtes remis rapidement, si cela vous convient.

Il lui accorda un sourire sincère, hésita quelques secondes, puis reprit, de ses accents trainants si caractéristiques qui signifiaient qu'il pesait ses mots.

Quant à avoir songé à la nuit… la nuit éternelle, s’entend… je pense que si je vous avouais pourquoi je ne vous ai pas répondu tout à l’heure, vous me trouveriez soudain bien moins digne de votre proposition… – car j’entraperçois une proposition, n’est-il pas ? – de la rejoindre pour échapper aux bras que Mort me tend.

Il soupira lourdement et se crispa légèrement à ce geste qui réveilla la douleur. Il baissa un court instant les yeux, pesant le pour et le contre, puis finalement songeant qu’il lui devait bien d’être au moins sincère, surtout s’il devait s’agir de la dernière fois où ils se verraient, il releva des orbes sombres et les planta avec force et douceur dans les perles claires du nouveau-né.

Mais je vous dois une réponse sincère. En l’honneur de l’amitié qui aurait pu être la nôtre antan, et de celle qui aurait pu être la nôtre maintenant, si j’en avais eu le temps. Car je vous estime vraiment et j’espère que, même après ma réponse, vous garderez un peu, même un tout petit peu, d’estime pour moi aussi.

Il laissa un court instant flotter.

Je dois vous avouer que la nuit éternelle me fait peur, m’effraie même. Cela a été du moins une forte hantise pour moi dans le passé. Même si je sais que tous ne sont pas ainsi, j’ai vu certains vampires avides de sang, entièrement assujettis à cette soif qui les rongeait, sous l’emprise total de cet appel ancestral, et perdre alors toute conscience, voire leur âme. Cette idée de perdre tout contrôle, de me retrouver sous cette emprise moi aussi, me terrifie. Cela, et le fait de perdre tous mes souvenirs, tout ce que mon esprit a mis tant de temps à forger… Même si je sais qu’il existe des vampires tels que vous, ou votre époux, qui ont su se montrer forts et dignes et sont des parangons…

Il usa de ce mot en toute conscience, jouant de son double sens en cet instant.

d’exemples. Mais votre époux est un millénaire… et vous êtes un ancien elfe. Les vampires issus d’humains… ne sont pas réputés pour leur maitrise. Tuer l’un de ceux qui auraient été l’un des miens en tant qu'humain, sous l’emprise de la soif, me terrifie.

Il ravala la boule qui menaçait de le réduire au silence et reprit, espérant que le jeune vampire accepte de l’entendre et de l’écouter jusqu’au bout.

Et au-delà de cela… Il y a fort longtemps, quand j’ai perdu mon aimée et mon… mon fils, j’ai cru alors que la mort valait mieux qu’une vie d’agonie. Les retrouver dans le royaume de mort et me réincarner avec eux, voilà qui était alors ma seule envie. Mais j’ai rencontré ensuite une personne, un maitre, qui m’a dit que notre vie ne nous appartenait pas. Qu’il ne nous appartenait pas de choisir quand vivre ou mourir. J’ai donc accepté d’attendre mon heure… avec toutefois l’espoir, qui ne m’a jamais quitté, de pouvoir un jour les retrouver.

Les larmes menaçaient de le trahir à chaque instant, et il peina à les contenir. Ses orbes sombres pétillaient toutefois de façon bien traitre.

Peut-être ne m’ont-ils pas attendu, me direz-vous. Je sais que cet espoir, surtout après tout ce temps, est dérisoire. Nous ne savons même pas ce qui nous attend maintenant après la mort. Mais…

Il secoua la tête et chassa ces questions inopinées.

– Douce folie.

Un lourd soupir lui échappa.

Si je veux totalement être honnête avec vous, je ne peut nier que j’aurais aimé effectivement pouvoir finir quelques petites choses encore en ce bas monde. J’aurais aimé pouvoir aider encore un peu les humains, car j’aime encore profondément ce peuple parfois bien puéril et infantile, malgré toutes ses failles, ses défaillances et ses fautes. J’aurais aimé les aider… à voir les choses autrement, mais pour cela il faut du temps. Oui, j’aurais aimé aider Tryghild à protéger et guider ce peuple et à leur ouvrir les yeux sur certaines choses… peut-être sur ce que vous avez évoqué, même si cela demandera du temps et ne se fera pas en un jour. Oui, j’aurais aimé tout cela…

Il soupira, encore une fois.

Mais cela serait renoncer à l’espoir de retrouver mon aimée et mon enfant. Et… je pense que la seule chose qui me ferait renoncer à cette folle utopie serait justement de pouvoir encore aider Tryghild Svenn. Mais… cela, je ne le pourrais pas, en plongeant dans la nuit éternelle. Vous le savez aussi bien que moi… Jamais un vampire ne sera accepté à ses côtés comme conseiller.

Il esquissa un doux sourire désabusé.

Ils me trancheraient la tête avant même que j’aie pu naître…

Il approcha une main légèrement tremblante vers celle du Premier Ast, et délicatement la lui prit, la serrant doucement.

Je suis honoré par ce que vous avez proposé à demi-mot. J'aurais été même fier d'être votre "fils". Et j’espère sincèrement ne pas vous avoir blessé par ces confessions. Ni avoir ravivé votre colère. J’en serai profondément éprouvé.

Il relâcha alors doucement cette pudique étreinte, puis s’écarta.

Je vais de ce pas faire le nécessaire pour que votre objet revienne en toute intégrité entre vos mains. Je vous en fais le serment, et il sera tenu, même au-delà de ma mort, par les miens.

Se disant, il lui adressa un salut elfique, recula d’un pas, puis après un doux regard vers la besace, il le guida vers le pont et les quais. Nulle envie de le laisser déambuler seul parmi les délimariens. Il affronterait avec lui les regards courroucés, force tranquille à ses côtés, autant qu’il se pourrait.

descriptionUn mirage pour combler le désert de l'oubli [Ilhan] EmptyRe: Un mirage pour combler le désert de l'oubli [Ilhan]

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    Ilhan n'avait pas l'objet sur lui ? La lueur d'espoir à l'idée de retrouver enfin cet objet tant attendu sembla s'éteindre dans ses prunelles verdoyantes moirées de reflets d'or. Ses lèvres se pincèrent et pour autant, il ne pouvait pas en vouloir à Ilhan de ne pas se trimballer un tel trésor en permanence. Sa prudence était aussi légitime que prévisible et pour autant, son cœur avait stupidement espéré. A la promesse, un sourire en coin renaissait, silencieux mais compréhensif. Il attendrait. Il avait déjà bien attendu, il pouvait bien patienter encore : sa condition de vampire lui offrait l'éternité et lui faisait relativiser la notion même du temps. « Cela me convient, je vous remercie. » céda-t-il en réponse, reconnaissant et se montra attentif aux mots qu'Ilhan employait pour donner la sienne, de réponse, au sujet de la nuit éternelle. Mais à le voir border son approche de la sorte, Aldaron percevait assez aisément le refus poindre. Si Ilhan désirait le pas le blesser, c'était bien là qu'il ne désirait pas accepter, venant là souligner Ô combien l'Ast avait raison sur la manière dont même ceux qui s'affirmaient être 'amis' pouvaient bien voir leur condition. L'effroi, la peur. C'était une pseudo-tolérance, tant que cela n'impactait pas de trop près le cours de leur existence mais dès que cela les touchait plus personnellement, dans un cercle de plus en plus proche, les avis changeaient soudain. Là était souvent la distinction qu'on pouvait faire entre une attitude affirmée et un comportement avéré. Là où la première pouvait être vérité ou vérité leurrée, le comportement, lui, était l'incarnation brute de ce qui se dessinait dans le for intérieur de ces gens. La marque irrépressible qui trahissaient les mensonges en laissant apercevoir la vérité sous le masque de ces affirmations fallacieuses.

    Ces affirmations n'étaient pas pour autant volontairement mauvaises. On pouvait affirmer apprécier les vampires en le pensant sincèrement, sauf que cette appréciation ne tenait pas compte de la distance, plus subjective, qu'on pouvait mettre avec l'objet apprécié. Cette distance n'avait pas de mot, elle était secrets et silences mais elle se constatait par les faits. Aldaron avait affirmé même devant Nolan qu'il était un homme d'actes, que qu'importe les discours et les enrobages de vérités, il ne se fiait qu'aux actes. Là aussi,  c'était une vérité à laquelle il croyait mais qui, dans sa mise en application, se voyait parfois chamboulée. Surtout depuis qu'il était un vampire. Sa mémoire vierge le poussait à se fier à ses intuitions, qui n'étaient pas des faits mais des faits probables, estimés par la réalisation d'autres faits ou d'attitudes affirmées. Cela venait nuancer ces affirmations de jadis et probablement était-ce la raison pour laquelle il acceptait de se montrer réceptif à ce que lui disait Ilhan. Il l'écouta jusqu'au bout, en silence, et lui rendit l'étreinte de sa main, mais lorsqu'Ilhan s’apprêta à le reconduire ver s le pont, il le retint par le bras, le dardant de son regard verdoyant. « Il est normal d'avoir peur... De ce qu'on ne connaît pas. » Sa voix était basse et grave, il pondérait ses propos avec une extrême rigueur dans laquelle il cherchait la justesse la plus équilibrée. « Si votre femme et votre fils vous ont attendu jusque là, ils vous attendront encore, j'en suis certain. L'amour sincère traverse la mort sans  être touché, je crois... Être bien placé pour l'affirmer. » Car Ivanyr et lui étaient restés noués et outre l'Inséparable, il y en avait d'autres qu'il avait vu ressurgir de ce même acabit. Si un lien s'était créé une première fois entre deux entités qui se correspondaient, alors il y avait de bonne chances qu'il demeure si ces entités étaient amenées à se rencontrer à nouveau.

    « Ce n'est pas la race de naissance qui détermine la capacité à résister à la Faim du vampire. C'est sa force d'esprit et son entourage, la volonté à vouloir ne pas être dépendant de cette facilité bestiale. Peut-être l'oubliez-vous parce que vous êtes bien éduqué, mais rien ne vous empêche de chasser et déchiqueter un lapin, de forniquer avec tout ce qui bouge et de tuer au gré de vos pulsions comme des pirates ou comme ceux qui ont renoncé aux lois et à l'éthique. Rien ne vous en empêche... Exceptés votre volonté et les normes que vous impose votre entourage comme la bienséance ou les lois. » Qui interdisaient de tuer par exemple, ou de voler  et violer. « Ceux que vous avez vu, Ilhan, sont ceux qui n'ont pas su se prendre en main ou qui n'ont pas été aidé dans cette voie. Moi vivant, jamais mes enfants ne connaîtront pareille déchéance. » Et si les antiques étaient disposés à être plus sage avec la faim, c'était parce que leur esprit avait été éduqué à mépriser la dépendance vampirique et à la refuser catégoriquement. « Quant à Tryghild... Je crois savoir que les vampires sont réhabilités dans son estime le jour où ils reviennent dans le monde des vivants et ils sont de plus en plus nombreux, ceux qui se réveillent, le cœur battant. Si là est la voie que vous souhaitez suivre, je crois que tout n'est qu'une question de volonté, et pour le reste... Je serai là pour vous garder sur le bon chemin. N'est-ce pas le rôle des parents que de veiller à ce que leur enfants passent une bonne nuit ? » Il eut un sourire en coin, paisible. Son cœur n'attendait pas de réponse, pas maintenant. Non, il valait mieux qu'il aille moudre ce grain là avant.

    Il le suivit alors, jusque sur le pont : « Je reviendrai vous voir. » Cela n'était ni une question ni une proposition. Il s'apprêtait à rejoindre le quai mais s'arrêta dans son geste pour se retourner vers Ilhan : « Je m'interroge sur un point : les enfants ressemblent à leur parent, n'est-il pas ? Alors si le parent possède une particularité unique... » Comme celle de ne pas boire de sang. « Il y a des chances pour que l'enfant en hérite, hm ? » Il eut un sourire joueur et descendit sur le quai, rabattant sa capuche sur sa tête : « Bon voyage, Conseiller ! »

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