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descriptionLe géant d'opale et la cheffe couleur chocolat [Asolraahn et Sa'Hila] EmptyLe géant d'opale et la cheffe couleur chocolat [Asolraahn et Sa'Hila]

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28 Septembre 1763
Terrain d'entraînement de la Légion
Le géant d'opale et la cheffe couleur chocolat [Asolraahn et Sa'Hila] Separa10
Le ciel, encore majoritairement azuré, laissait entrevoir un défilement de nuages cotonneux. Dans quelques semaines, ces même nuages se teinteraient de sombres nuances et déverseraient des torrents de pluie. Cette vision, bien qu'apaisante, Sa'Hila la voyait depuis le sol de terre battue. De part et d'autre de son champs de vision, Bahvika et Girija la regardaient avec inquiétude. Comme à chaque fois qu'elle mordait la poussière pendant les entraînements, ses familiers devaient résister à l’envie de mordre et déchiqueter le responsable, en l'occurrence, ses soeurs de portée. Cette fois, c’était Par’Vati, l’épée au poings, qui toisait Sa’Hila avec un regard dur. Nul traitement de faveur, l’Aaleeshaan avait bien insisté sur ce point. Tout le monde à la Légion savait que les capacités martiales de leure cheffe n’était pas son fort, aussi ils saluaient grandement ses efforts pour continuer à progresser dans ce domaine. Et puis au final, entretenir sa condition physique et sa dextérité faisait aussi parti de son programme de chamane. La magie des Esprits nécessitait connaissances et dévotion mais également un esprit fort et un corps fort.
C’était tout autant de raisons qui expliquaient pourquoi la tête pensante de Vat’Aan’Ruda gisait au sol, le souffle court et meurtri dans son armure. Sous les vindicatives de sa sévère maîtresse d’arme, Sa’Hila, finit par rouler sur le côté, essayant tant bien que mal d’ignorer les douleurs lancinantes de ses côtes et inspira un bon coup avant de se redresser laborieusement. Toujours en grimaçant, elle saisit presque à contre-coeur Bahumukhee que lui tendait sa tigresse. Si d'ordinaire elle pouvait compter sur les divers enchantements de son armure, de son armes ou de ses bijoux, pendant un entraînement, il était hors de question de tout cela. La voie du guerrier ne se traçait pas sans souffrance après tout… Époussetant la terre de son armure, elle nargua la Nayaak.

-Je peux faire ça toute la journée.

Toute deux sourirent à cette boutade et la seconde d’après, l'épéiste exceptionnelle fondait de nouveau sur Sa’Hila, l'entrainant dans une danse à l'issue certaine. Parant, esquivant, contre-attaquant comme elle pouvait, elle mit un certain temps avant d'entendre qu'on l'appelait. Secrètement soulagée de ne plus se faire maltraiter, elle écouta ce que la vigie avait à dire.

-Kamda ? Le Trand Asolraahn est arrivé.

Suivant son léger mouvement de tête, ses yeux glissèrent vers sa droite, puis haut, très haut. Un éclair de stupeur passa sur son visage à la vue de ce géant. Oh bien sûr qu’elle savait qui il était, les Geais des tribus septentrionales de l’île l’ayant déjà prévenu de sa venue immédiate, quelques jours auparavant. Et bien sûr, elle s’attendait à un beau représentant des Trand, ces derniers ayant tendances à être massifs et velus mais… pas à ce point. Arborant un pelage immaculé ne passant tout simplement pas inaperçu au milieu de la savane, il formait une montagne de poils et de muscles impressionnante. Et pourtant, bien loin de son physique intimidant, il émanait de lui une aura de calme. Le dévisageant quelques instant, elle finit par congédier le guerrier d’un hochement de tête et rengaina son épée dans le fourreau battant à son côté. Depuis la coopération entre les deux Légions pour la défense du Baôli, il n’était plus étonnant d’avoir des visiteurs très peu adaptés aux climats des deux îles opposées.
Bien que physiquement épuisée, son esprit restait bien alerte et son regard ne laissait place à aucune sorte de peur ou d’intimidation. Elle était chez elle rien ne pouvait la mettre en danger en ces lieux, même pas le géant opalin qui lui faisait face.

-Bienvenue à Vat’Aan’Ruda. Je suis Kamda Sa’Hila. Que me vaut l’honneur de ta visite dans notre belle savane, fils du froid ?

La question, bien que posée directement et sans ambigüité, était quand même empreinte d’une réelle curiosité. Était-il porteur d’un message d’Illidim ? C’était peu probable, les deux femelles avaient mis en place un système de communication pour les messages vraiment importants. Etait-il un simple voyageur désireux d’éprouver sa résistance aux températures ? Au lieu d'hypothèser pendant des siècles, elle se contenta d’écouter ce qu’il avait à lui répondre.

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Le géant opalin se tenait sur une haute colline et contemplait la savane de Stymphale. Le soleil tapait fort et son pelage, habitué à survivre sur les immensités glaciales de Paadshail, protestait contre ce changement. Pourtant une agréable brise soufflait, volant à la chaleur son effet cuisant. Au loin, les montagnes du canyon Karaptia ressemblaient à une rangée de crocs noirs enserrant l’horizon ; dans un ciel d’azur moucheté de nuages, un aigle trônait, décrivant des cercles sur les courants ascendants. Depuis la colline, Asolraahn voyait les tribus de la Légion Vat’Aan’Ruda. Il ne pouvait voir de là où il se trouvait les étendards, mais il entendait le rugissement des tambours qui provenait des camps.

A moins qu’il n’y en ait qu’un seul, songea-t-il. Il n’en était pas sûr. Ses yeux avaient encore du mal à croire ce qui se présentait devant lui. Car assurément, les wigwams de la légion étaient innombrables et s’étendaient sur des dizaines de lieues au cœur de la savane. Il y en avait certainement d’autres, situés hors de sa vue vers le nord. Mais il n’était pas nécessaire de les trouver pour admettre que les Garal étaient un peuple prospère. A cette pensée, Asolraahn se remémora les igloos et les huttes qui composaient les demeures de sa propre légion. Son ancien peuple. Comme c’était différent là-bas, sur ces terres rudes et cruelles où bien peu de graahron réussissait à passer leur premier hiver. Comparé au Garal, les Trand semblaient bien désarmés face aux griffes du frimas et à l’amertume de sa caresse.

Cela avait été son chez lui pendant toute sa vie, et aujourd’hui, il contemplait des rêves d’expansion et d’opulence. Etait-ce la terre de Néthéril qui les avait béni ou les Garal avaient-ils réussi là où les siens avaient échoué ?

La brise du jour mourut et Asolraahn se saisit de son bâton, le posant sur son épaule cuirassée, avant de descendre les marches herbacées de la colline qui menaient vers l’orée des balanites. Lorsqu’il atteignit les arbres et qu’il s’enfonça dans la savane, il se permit un instant de réflexion : Etait-ce folie d’aller quérir l’aide de Vat’Aan’Ruda pour libérer sa fille ? En écoutant les conseils de son ami Kavalys, alors encore au port de Nevrast, l’espoir d’Asolraahn avait peu à peu rejailli comme une flambée sur un feu de bois. Il était vrai que pour libérer sa fille des mains des pirates, son long voyage ne pouvait rencontrer le succès s’il se présentait seul face à la confrérie. Il s’agissait d’un autre peuple, d’une entité puissante et tentaculaire que l’on ne pouvait vaincre ou à qui l’on exigeait aisément de céder ses biens. A ce titre, l’aide de la légion de Néthéril avait été pour Asolraahn une étape évidente de sa quête, la plus sensée et la plus facile. Maintenant entre ses quatre murs si naturels soient-ils, il n’en était plus aussi certain. Son statut d’Ashuddh, s’il n’intervenait pas au-delà de son propre peuple, ne pouvait jouer en sa faveur. Il pouvait se décrire comme le Nayaak qu’il était jadis, mais il avait le mensonge en horreur et, sans même se trouver devant la légion, ne pouvait se résoudre à mentir. Son pas ralentit avant de cesser tout simplement. La tentation de rebrousser chemin se matérialisa dans son esprit. Une idée qui disparut aussi vite qu’elle était venue. Il n’était pas assez naïf pour croire que nul sur ces terres n’avait décelé sa présence. A dire vrai, il était certain que la légion avait déjà eu vent de sa venue et l’attendait patiemment dans son camp. Pour l’accueillir ou l’humilier, cela restait à voir.  

Les fortifications de terre hérissées de piques furent sa première vision d’une tribu Garal et les peintures de guerres, prenant le motif d’une patte de Graärh entourée par le regard des Esprits le saluèrent. Il entra dans le camp et des Graärh en armures de peau et de cuir vinrent à sa rencontre. L’un d’eux s’approcha. Bien qu’épaulé par ses camarades, sa silhouette faisait pâle figure comparé au titan qui se trouvait face à lui. Il déclara avec solennité :


-Bienvenue étranger. Tu as fait une longue route pour venir jusqu’à nous. Que viens-tu chercher ici ?

-Je viens demander audience à la Kamda Aaleeshaan de la légion Vat’Aan’Ruda.

-Es-tu un messager de Kamda Illidim ?

-Je suis mon propre messager et guide à travers vos terres.  

Le regard du guerrier s’assombrit. Cette réponse ne lui avait pas plu et il se retourna pour discuter avec ses frères d’armes. Quelques secondes passèrent, puis le Graärh revint vers lui :

-Tu te trouves sur la terre de Néthéril. . Pour aller au camp de la légion, il te faudra traverser dix lieues dans la savane, vers l’Est. Tu es libre de voir Sa’Hila, mais tu t’y rendras avec respect et humilité.

-Cela va de soi.

-Et sans ton bâton.

Le géant opalin eut un grand rire. Il hocha la tête et quitta le campement de la tribu en se dirigea vers l’Est. Il arriva une heure plus tard entre les palissades du plus grand camp de Vat’Aan’Ruda. Lorsqu’il passa son enceinte, des guerriers se tenaient déjà en cercle près de l’entrée. Ils avaient le pelage brun ou bronzé et leurs armes demeuraient rangées dans leur pommeau.

Ils savaient que j’arrivais, comprit Asolraahn. Ils savaient et ils m’attendaient. Tout ça est quand même très tarabiscoté, par les Esprits !

Le groupe l’encercla le géant qui ne fit pas de geste pour les en empêcher. A la place, il exécuta un habile moulinet de son arme avec une moue amusée et tendit son bâton à l’un d’eux. Puis il fut guidé entre les wigwams. Ils traversèrent les groupes armés des shikaree et s’enfoncèrent sur les terres de la légion. Cette expérience modifia grandement le point de vue d’Asolraahn sur ses cousins du Sud. Les couleurs chaudes et l’énergie enivrante qui émanaient de ce lieu étaient contagieuses. Partout, des graärhs erraient en groupe et l’activité attiraient un mélange de sons et d’images si riches que le géant opalin avait l’impression de n’être qu’un résident de plus dans ce village : certains préparaient des ragoûts à la tomate, au bœuf, à l’agneau ou à la pomme de terre et une odeur de sel chatouilla son museau. D’autres dansaient ou s’entraînaient au combat en formant des meutes sur des terrains de sable. Des artisans et façonniers concevaient des tapisseries et des mosaïques devant leur wigwam, de délicates œuvres les ornementant déjà. A son approche, beaucoup d’habitants levèrent des regards curieux et eurent des commentaires excités. Cela le changea des mornes humains qui se trouvaient sur le bateau et de leur manière aigrie, quoique dynamique. Le géant opalin se prit de bonheur à observer la vie qui s’agitait autour de lui et fit en sorte de conserver un si beau souvenir.

Ainsi arriva-t-il sur un cercle miné de pierre où se battaient deux femelles en armure de combat. Il les observa avec attention, plus précisément celle dont la silhouette fine et élancée laissait mouvoir un pelage brun rouge tel des braises soufflées par le vent. Il approuva silencieusement son jeu de jambes lorsqu’elle s’esquiva habilement sur le côté pour éviter une feinte de son adversaire. On l’appela soudain et les deux graärhs cessèrent le combat comme s’il n’avait jamais eu lieu. Les yeux bleu turquoise de la guerrière se posèrent alors sur lui. Derrière elle, une panthère noire miaula. Il sut aussitôt qu’il avait affaire à la Kamda Aaleeshaan Sa’Hila de Vat’Aan’Ruda. Il était un géant, alors il baissa la tête bien bas pour la saluer avec le respect qui lui était dû, et poussa un long ronronnement.

-Bienvenue à Vat’Aan’Ruda. Je suis Kamda Sa’Hila. Que me vaut l’honneur de ta visite dans notre belle savane, fils du froid ?

Le géant opalin répondit en gardant la tête basse :

-Je te remercie de ton accueil, Bhediyon-ke-saathi. Nos légions ne sont pas nouées par une amitié profonde, mais je rends grâce à la grandeur de ton peuple, à ses chansons et à ses rires. Je ne viens toutefois pas aujourd’hui en tant que Trand de Paadshail mais en tant que père. (Il osa cette fois relever la tête) Il y a trois hivers de cela, des pirates ont assailli mon village et pris nos graahron. Alors que je devais protéger ma fille du danger, je l’ai perdu et ainsi, ai failli à mon devoir.

Il avait dit ces derniers mots de façon détachée, comme s’ils portaient le fardeau de sa honte et de sa colère.

-Je suis Asolraahn et je suis venu sur cette île pour reprendre à la confrérie pirate ce qui m’a été volé. Je suis venu car j’ai grand besoin de l’aide des Garal et de leur conseil.

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Les bras croisés et le regard sévère mais toujours bienveillant, Sa'Hila jaugeait des paroles de son cousin du nord. Si à présent elle arborait un oeil d'une teinte différente, l'un des siens demeurait fermé, barré d'une cicatrice. Pour autant, le bleu limpide du valide semblait brûler d'une détermination sans faille. Ne pouvant que saluer cette attitude, elle s'autorisa un sourire. Si elle ne pouvait s'empêcher de considérer les trand comme des grosses brutes, au cerveau complètement gelé à force de lutter contre le blizzard, elle devait bien reconnaître qu'ils possédaient sans doutes les meilleurs guerriers graärh. À grand coup d'eugénisme et de culte de la puissance, Paadshail avait enfanté bon nombre de force de la nature. Cependant, celui qui se tenait devant elle était quelque peu… différent. De ce qu'elle connaissait de son peuple -et elle en connaissait un rayon-, la fibre parentale n'était guère développée, encore moins chez les trand chez qui la mortalité infantile atteignait des sommets.

Elle pouvait percevoir que plus que la honte d'avoir failli à son devoirs de mâle, c'était une véritable et profonde peine qui l'avait poussé à voyager jusqu'ici. C'était intriguant et à la fois très intéressant. La logique trand aurait voulue qu'Asolraahn porte le deuil de son enfant disparu et bien qu'affublé de honte, continue à oeuvrer pour sa tribu ou à la Légion. Or… Il avait choisi de quitter Paadshail pour une quête dont l'issue était plus qu'incertaine. Loin de l'en blâmer, elle pouvait comprendre son geste. Elle-même avait souffert de la perte de son enfant, même si les conditions avaient été complètement différentes…

-Ainsi donc, tu es prêt à jouer ton honneur de guerrier de Paadshail, en abandonnant tes devoir envers ta tribu et en allant à la poursuite d'une chimère, à l'autre bout de l'archipel ? C'est soit très courageux… soit très stupide de ta part.

Elle avait annoncé cela sans animosité, comme une simple vérité. Et puis après tout, ne fallait-il pas un brin de folie pour exécuter les plus courageuses des actions ?

-Cependant, je préfère penser que c'est plutôt courageux, reprit-elle presque immédiatement.Téméraire, mais courageux. Tu suis ce que ton coeur te dicte, et bien que ce code d'honneur ne correspond pas à celui de Vat'Em'Medonis, il est tout à fait honorable.

Était-ce si surprenant ? Non. Beaucoup se souvenait des tensions entre les deux Kamda. Il était de notoriété publique que les deux Légions avaient des pensées très divergentes, sur leur mode de vies, ou la question de l'honneur. Ce n'était pas pour rien que les deux îles avaient entretenues une césure si importante pendant toutes ces générations. Même maintenant que les deux ethnies devaient travailler patte dans la patte, une certaine distance était de rigueur.
Cependant, même si Sa'Hila pensait sincèrement qu'un changement de moeurs n'était pas possible pour le moment, peut être dans cinq ou six générations au moins, elle restait suffisamment ouverte à ceux qui osaient sortir des sentiers battus et penser différemment.

Gardant le silence un instant, elle finit par sourire franchement. Elle était trop épuisée pour continuer à jouer les grandes cheffes strictes et tourmenter une potentiel recrue pour la bataille à venir. Tel un masque qui se brisait, sa posture et son maintien se firent moins rigides.

-Viens suis-moi.

Entre l'ordre et la demande, l'injonction dénotait tout de même d'une certaine habitude au poste de commandement.
Suivie du géant opalin, de ses familiers et de sa soeur, Sa'Hila prit la direction des bassins publics. Malgré leur apparence et leur comportement félin, beaucoup de Graärh appréciaient un bon lavage. Déjà s'y trouvaient de jeunes graärhon, des spirites Gerridae s'entrainant à maîtriser leur pouvoirs, mais aussi des femelles en pleines discussion, des mâles voulant prouver leur capacités pulmonaires et bien d'autres Orques, Ragondins et Pingouins désireux simplement de profiter de leur élément préféré.

L'Aaleeshaan, elle-même se déshabilla et pénetra dans l'eau avec un ronronnement de plaisir intense. La crasse et la fatigue semblaient être emportés dans le léger courant et dans le brouhaha ambiant. Pendant que Par'Vari et Girija en faisait de même, elle invita Asolraahn à entrer lui aussi. Nul doute que son imposante toison l'aiderait à accepter l'offre, à moi que le géant ne préférait rester aux côtés de Bahvika, qui regardait l'eau comme s'il s'agissait de lave en fusion…
C'était sa façon à elle de lui souhaiter la bienvenue à la Légion.

-Alors dis-moi, qu'est-ce qu'il te fait croire que ton enfant est toujours en vie ? Qu'est-ce qu'il te fait croire que ces satanés pirates la retiennent toujours captive ?

La sourde colère de ses parole n'était évidemment pas destinée au trand, mais bien sûre aux pirates. Chaques mentions de ces résidus de litières lui gonflaient le poil et les spasmes de sa queue s'accentuaient de mécontentement.

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En recevant l’invitation de l'Aaleeshaan, le géant s’inclina à nouveau. Une lueur dans ses yeux bleus, qui fusa comme un éclat de glace, trahit son soulagement. Elle ne l’avait pas jeté immédiatement dehors et c’était heureux. Il savait que son refus de l’aider l’aurait condamné à s’en retourner seul dans le désert, aussi sûrement qu’un poisson pris dans un courant contraire. Sa’Hila avait vraisemblablement tous les talents nécessaires pour faire loi de ses mots, et était une cheffe accomplie. Lorsqu’elle s’exprimait, ses pairs l’écoutaient avec passion, et il n’y avait que force et fermeté dans sa posture.

Il l’écouta jusqu’au bout, ne réfutant pas la justesse de son propos. Il était vrai après tout qu’en prenant du recul, ce qu’il avait décidé d’entreprendre était pure folie, un acte qui allait indubitablement à l’encontre de tout ce qui constituaient les mœurs des Trand. Partir sauver sa fille avait été tout d’abord un choix né d’une trop grande opiniâtreté empreinte de honte. Asolraahn était un Graärh obstiné. La fatalité de l’échec s’était emparée de lui, et son amour pour Taar’Melaah avait été trop grand pour qu’il laisse les pirates l’emmener loin de lui sans rien faire. Il était allé sur la voie, son bâton à la main, tête baissée, en surmontant les obstacles sans jamais songer à l’avenir. Cet avenir qui maintenant se mouvait dangereusement vers lui et dont la proximité ne cessait de le hanter par des questions diverses : Que se passerait-il lorsqu’il arriverait devant les pirates qui avaient réduit son village en cendres ? S’il y arrivait, trouverait-il sa fille en vie ? Et après, quelle vie pourrait-il lui proposer, sachant que les siens les considéraient désormais morts ou perdus ?

Au cours des dernières années, le géant opalin avait eu le temps d’accepter les répercussions provoquées par un tel voyage, autant dans ses rapports avec les siens que sur les changements qui allaient se bâtir dans sa vie. Mais il préférait encore ne pas trop songer où témérité, courage et folie le conduiraient.

Quant aux autres paroles de Sa’Hila, elles avaient été aussi tranchantes qu’une dague, mais subitement, contre toute attente, ses traient s’étaient rapidement adoucies, laissant transparaître une soudaine mélancolie fissurant la dureté de son ton. Asolraahn, de bonne grâce mais d’un pas qui appelait à une certaine prudence, accepta de la suivre. Ils partirent ainsi en direction de l’ouest du camp et débouchèrent rapidement vers une avenue principale qui les mena vers les bains publics. Légèrement éloigné du camp, les clameurs s’étaient étouffées au loin. Le géant opalin s’arrêta avec beaucoup d’étonnement. A vrai dire, il n’avait jamais été à l’intérieur d’un tel endroit, et ses yeux se noyèrent dans tout ce qu’il vit : de grandes étendues d’eaux aménagées avec de belles ornementations de bois, jusqu’aux Graârh dévêtus qui y nageaient, sans oublier les spirites qui manipulaient l’eau et sculptaient des motifs dans l’air à l’aide de leur élément.

Sa’Hila ne tarda pas à les rejoindre. Il vit sa gracieuse silhouette, fine et élancée, disparaître dans les eaux avant de ressurgir de l’autre côté du bassin. Elle lui fit un geste de la main. Le géant opalin renifla en direction de l’eau avec une mine qui en disait long sur sa méfiance. Après quelques instants d’hésitation à se muer en statue, il retira néanmoins ses cuissardes et son épaulière et se laissa glisser dans le bassin frais. Il serra les dents, car la sensation lui était inhabituelle. Ce n’était pas un passe-temps très courant de se baigner à Paadshail, où l’eau était aussi accueillante qu’une rangée de piques effilée. En dépit de cet apriori, il se força à nager quelques minutes et sentit peu à peu ses muscles se détendre.

C’est alors qu’il se rendit compte de la distance qu’il avait parcouru, de la douleur qui était née dans ses pattes et qui s’étaient tant accrochée à lui qu’elle était devenue un muet parasite, silencieux et lancinant. L’eau ondulante la balaya comme la poussière sur un vieux meuble, et le géant opalin lâcha un profond ronronnement. Eh bien après tout, oui, pourquoi pas !
Après tout, cet endroit n’était pas si mal.

Il se retourna en direction de Sa’Hila et écouta sa question. Son visage se rembrunit, et il vit celui de l'Aaleeshaan faire de même. Manifestement, les pirates et les Garal semblaient être bien plus que de simples ennemis. Il le jugea également à la haine qui parsemait chaque mot de sa bouche. En tout cas, ils n’étaient pas en bon termes. Le géant opalin prit une longue inspiration avant de répondre :

-Lors de cette vilaine nuit, j’ai couru sur plusieurs lieues avant d’arriver sur la côte. Au même moment, les pirates ont chargé leur navire de nos graahrons et sont partis dans la brume. Ma fille se trouvait dans l’un d’eux. Ils ont pu les tuer ou les noyer un par un dans les eaux profondes pour se divertir… Je ne le pense pas malgré tout. Ces écumeurs des mers avaient une idée derrière la tête. J’ai remarqué une chose chez eux dernièrement. Ils n’ont d’attention que pour ce qui a de la valeur à leurs yeux. Je suis convaincu qu’ils ont vu de la valeur dans nos petits, qu’ils voulaient de grands et forts esclaves pour leur besogne ou je ne sais quel bricole. Sinon pourquoi ne pas les assassiner directement avec leur famille ?

Il scruta la réaction de Sa’Hila. Quelque chose le perturba mais il ne sut pas dire quoi, jusqu’à ce que, admirant ses yeux étincelants, il comprenne : ceux-ci n’étaient pas bleu comme il l’avait tout d’abord cru, mais vairons. L’un d’eux brillait d’une lueur mordorée.

-Quant à savoir si elle est toujours en vie aujourd’hui, je ne peux y répondre. Il peut s’être bien des choses pendant toutes ces années. Mon cœur me pousse à continuer pourtant car… mmh, je garde espoir. Ah ! Et puis Taar’Melaah est une battante. Un Fenrisúlfr affamé n’en voudrait pas et du reste, ce n’est pas ces bouffeurs d’agrume qui la materont facilement.

Il eut un gloussement soudain et son sourire éclatant de naguère ressurgit :

-Elle se plairait ici. Elles rêvaient de vivre loin de notre île, dans de vastes plaines où le soleil ne s’éteindrait jamais. Cet endroit est beau, Bhediyon-ke-saathi. Grâce à toi, j’en suis sûr. (Il se refit plus sévère.) Je présume aussi qu’une telle légion a eu ces déboires avec nos amis communs.

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Un léger sourire -geai- moqueur en coin, Sa'Hila se disait que le Trand était loin d'être idiot. Il était coutume de dire que leur cousins du nord n'étaient que des "cervelles gelées". C'était puéril mais de bonne guerre après tout. La cheffe savait très bien que les Medonis prenaient les Ruda de haut. Cela l'énervait bien sûr, mais elle savait aussi que cela cachait une certaine forme de jalousie au fond. Ils avaient fait le choix de vivre dans le blizzard alors qu'eux-même vivaient sur la terre nourricière de Néthéril.
Asolraahn donc, avait bien vu juste. C'était bien parce que ces "bouffeurs d'agrumes" (décidément elle aimait bien sa définition) ne voulaient pas faire l'effort d'utiliser leur cerveau atrophié pour voir les graãrh autrement que comme des bêtes et des marchandises, qu'ils n'avaient pas tout simplement tué les petits…

Puis, pensivement, elle se mit à gratter la tête de Girija venue se poser sur elle. Le géant avait gardé un espoir fou de retrouver un jour sa fille. Devait-elle cultiver cet espoir ou au contraire, le faire face à la dure réalité ? Le guerrier était venu chercher de l'aide auprès des siens, au prix de son honneur… Elle lui devait bien ça non ?

-Merci, mais je n'ai fait que mon devoir envers mon peuple et la terre qui nous nourris. Ce sont les Kisaan qu'il faut remercier. Ce sont eux qui prennent soin de tout ça.

Elle avait désigné l'ensemble d'un geste vague, avant de reposer sa main dans l'eau.

-Des déboires ? Je dirais une vraie épine dans la pattes oui. Il n'y a pas un seul jour qui passe où je ne rêve pas de leur faire regretter le jour où il ont débarqué sur cet Archipel. Elle ferma les yeux un instant pour reprendre contenance avant de fixer Asolraahn. Mais ça va changer. Tu l'as sûrement déjà entendu, mais nous sommes presque prêts à attaquer.

Il fallait être sourd pour ne pas entendre le bruit des armes forgées et aveugle pour ne pas voir les guerriers s'entraîner…
Encore une fois, elle s'arrêta un instant, pensive, avant de reprendre.

-Asolraahn. Je ne veux pas te donner de faux espoirs, mais j'ai moyen d'espionner ces satanés Ashuddh. Avec un peu de chance, je pourrai peut-être retrouver la trace de ta fille. Mais je dis bien peut-être. Il ne m'est pas aisé de circuler dans leur trou à rat. Mais si tu es prêt à attendre et à combattre avec nous au moment voulu, je peux te promettre de faire mon possible pour la retrouver. Qu'en dis-tu ?

Manipuler l'espoir était dangereux. Mais si cela permettait à la Légion de disposer d'un guerrier aussi fort supplémentaire, alors elle prenait le risque.

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Ainsi donc, son intuition ne l’avait pas trompé. Les Garal se préparaient effectivement à une invasion, à tout le moins une bataille contre les pirates de l’Ouest. Le géant opalin se passa une patte humide de l’eau des bassins sur sa crinière, tâchant de nettoyer la poussière des derniers jours qui s’y était accumulée ; La poussière du désert, ou pour mieux dire : sa coagulation... Il regarda autour de lui. Sous le ciel bleu et limpide, la légion avait l’air animée et pleine de vie.

La guerre.

Il était difficile de penser à une telle folie alors que la journée était si belle et calme. Et il y avait bien longtemps qu’il n’avait pas entendu ce mot parmi son peuple. A dire vrai, bien que guerrier par la profession et l’esprit, Asolraahn n’avait jamais considéré qu’un tel évènement puisse être bénéfique pour les siens. Il avait bien entendu existé quelques conflits entre les tribus d’une légion, parfois même entre les légions elles-mêmes. Certains lui avaient paru nécessaires, d’autres d’énormes gâchis. Mais depuis peu, il entendait avec appréhension cette idée revenir dans bien des bouches et pour beaucoup de raisons. Depuis peu effectivement.
Depuis que les nouveaux arrivants s’étaient installés.

Cela ne lui plaisait pas. Qu’importe que se révèle victoire ou défaite, la mort et la destruction frapperaient cette légion : Un massacre affreux qui créerait plus de malheurs que de satisfaction. D’après les dires des marins qu’Asolraahn avait suivis sur le bateau de Paadshail, la guerre et les carnages étaient monnaie courante chez eux. Pas un âge ne s’était déroulé sans qu’un chaos se soit bâti dans le sang, la folie et la haine. Mais les Graärhs étaient différents. Ils étaient un peuple de survivants ; Pour les Trands, la vie était un combat déjà bien ardu, que paix s’il pouvait y avoir, n’arriverait qu’au terme d’une ultime chute : celle de la mort. Qu’apporterait donc une guerre contre les autres races sinon plus de chagrin encore ? Peut-être bien d’autres guerres…

Et pourtant, le géant opalin ne pouvait refuser une telle opportunité. Sa’Hila lui offrait un moyen de retrouver sa fille, un moyen lourd de conséquences mais efficace : La guerre contre les pirates, la libération par le meurtre d’un plus grand nombre. C’était peut-être mieux ainsi. Et toujours plus simple que de se jeter seul dans la gueule du loup :

- Cela aura de lourdes conséquences. Je ne sais pas si du bon peut ressortir d’une telle chose. Les as-tu vus, Bhediyon-ke-saathi ? Les as-tu vus ces marins et ces pirates ? Certains sont pareils à des bougies qu’on allume et qu’on mouche, juste en y apposant la griffe. On ne sait plus si la chaleur des Esprits coule encore en eux ou si les vagues les ont usés et engloutis, jusqu’à n’en faire plus que des êtres embrochés sur leur propre vilénie. Savent-ils seulement ce qu’est la musique, ce qu’est l’honneur et la vie ? Et nous dans tout ce grand dessein ? Qu’avons-nous donc fait pour en arriver là… ? Je donnerai un bras pour le savoir.

Il baissa les yeux et se repassa un peu d’eau fraîche sur ses longs coussinets avant de soupirer :

- J’en dis, chère sœur du Sud, que je crains les prochains jours…  (Il releva la tête) mais que les pirates devraient les craindre plus encore. Je refuse de laisser les nôtres être happés par les profondeurs de leur cruauté. Je veux libérer ma fille et si, en te suivant, je peux rendre leur liberté aux Garal et Trand qui se trouvent à Atghalan la Perfide, je le ferai.

Des feulements hilares se répandirent comme de petites vaguelettes dans l’air. Les Orques, Ragondins et Pingouins avaient perdu de leur sérieux et jouaient à façonner de petits corps aquatiles, glissant, se propulsant, se gondolant, se tordant en toute disproportion ; Ils applaudissaient ou ronronnaient de plaisir à chaque réussite. L’un d’eux reçut les honneurs généraux. Le géant opalin gloussa en comprenant, moins vite que ses compères, qu’il tentait d’imiter le ricochet d’un galet à la surface de l’eau. Il pencha la tête vers Sa’Hila.

- Les pirates voudront défendre ce qui leur appartient. Ils ne lâcheront pas le morceau si facilement. Il nous faudra être prêt à les affronter pendant des jours, des semaines peut-être. Dans ce genre de bataille, l’endurance d’un shikaaree sera son plus grand allié. Je sais tout cela et plus encore. Je pourrais aider tes guerriers à entretenir ce talent, leur apprendre à rester soudé durant un long combat. Tout cela demandera beaucoup de travail et de temps. Je le sais, je l’ai déjà fait. Mais je ne doute pas de leur valeur, et si je n’ai pas décidé de leur force, je reste optimiste en disant qu’elle est grande.

Il s’en remettait à la Kamda Aaleeshaan, attendant ses instructions. Il avait manifesté son besoin et c’était tout ce qui était en son pouvoir. Asolraahn se cherchait une place dans cette légion, et il la trouverait quel qu’en soit le prix.

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Sa'Hila dardait sur Asolraahn un regard intense, indescriptible. Elle avait rencontrait peu de Trand dans sa vie, mais tous lui avaient fait grande impression. Le géant opalin   possédait une forte présence et un esprit éclairé, sertis dans un corps bâti pour tuer mais tout aussi calme qu'un glacier. Il était décidément à des lieux des stéréotypes que les Garal se faisaient de leur cousin. Évidemment, Sa'Hila avait vite appris à se défaire de ces clichés, pour montrer l'exemple. Néanmoins, toute impressionnée qu'elle était, la Kamda se devait de garder une certaine retenue. Peut-être baisserait-elle le masque d'orgueil de cheffe de Légion plus tard, mais pour l'heure, il n'était rien de plus qu'un étranger sur leur île.

-La guerre n'apporte jamais rien de bon, en effet. Mais hélas, c'est parfois le choix le plus honorable. En tant que peuple, en tant qu'individu, en tant que Kamda, nous nous devons de prendre cette voie, celle que les Esprits ont tracé pour nous. Nous n'en connaitrons sans doutes jamais les raisons, aussi, il nous faut juste garder la foi et avancer.

Le regard pétillant, elle observa un instant les spirites aquatiques qui avaient perdus toute contenance et s'amusaient à des jeux de graärhons. Un sourire maternelle ourla ses babines à cette vision et très vite son attitude se dérida. Comment rester sérieuse quand d'autre s'amusaient autant ?

-Bien. Je vois que nous sommes sur la même longueur d'onde. Je ne vois donc aucune objections à ce que tu rejoignes les rangs de Vat'Aan'Ruda, Asolraahn. Ceci dit, je préfère te prévenir. Les maîtres d'armes ne sont pas destinés à être apréciés. Respectés oui, mais seulement si leur résultats sont bons. Ton acceptation au sein de la tribu ne sera pas chose aisée. Mais j'ai confiance. Nos petites querelles entre Légion ne sont rien comparé à notre ennemi communs. Plus que jamais les barrières entre Garal et Trand tomberont.

L'humeur plus légère, elle entrepris de profiter pleinement du bassin et de nager un peu. Non sans quelques recommendations au géant.

-Tu dormiras avec les Léopards des neiges. Nous verrons les détails de ta nouvelle mission demain. Profites bien de ta journée pour te reposer et décompresser. Si tu as besoin de quoi que ce soit, n'hésites pas à demander à un Geai, que ce soit des vêtements, de la nourriture ou des armes.

Elle lui accorda un dernier regard avant de se détourner, n'attendant aucune réponse précise. Ils auraient tout le temps de discuter plus tard s'il le voulait, elle n'allait pas s'envoler après tout.  ..

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