« L’amour vrai ne veut pas dire être inséparables; cela veut dire être séparés et que rien ne change »

Luna avait voulu lui faire une surprise. À qui donc? À sa charmante épouse, Orfraie K. Ataliel, qui lui avait terriblement manquée durant son séjour à Sélénia. Elles avaient gardé contact par messages vocaux et communication visuelle, via glyphes et objets magiques, mais ce n’était pas pareil que de l’avoir en face d’elle. L’Inséparable en elle était bien d’accord. La femme enceinte d’environ sept mois était consciente que ce ne serait pas une réelle surprise, car au fur et à mesure que Vif Éclat approchait d’Ipsë Rosea, plus elle ressentait son Esprit-Lié s’emporter gaiement. Elle savait que c’était pareil pour sa moitié. Il y avait aussi le fait qu’elle l’avait tout même avisée de dates approximatives auxquelles elle comptait quitter Sélénia. Elle avait décidé de venir en bateau pour plusieurs raisons. L’une d’elles était qu’elle avait du mal à l’idée de laisser son navire derrière dans la majestueuse cité impériale. Une autre était qu’elle s’était légèrement assagie, changement engendré par l’étoile qui poussait en son ventre, et qu’un vol sur dos de dragon n’était pas des plus sécuritaires. Elle volait encore, détrompez-vous, mais sur de plus petites distances et à des endroits sereins.  

Tenant la barre d'une main, elle lançait des ordres à son équipage et donnait des indications visuelles de celle qui était libres. Quelques instants plus tard, Vif Éclat accostait et elle saluait ses amis maritimes. Lorsqu'elle serait montée là-bas en haut de la colline, elle serait enfin arrivée à destination. Elle remercia Alkhytis pour son aide et monta sur son dos. Quelques battements plus tard, elle rejoignait le sol d'Ipsë Rosea.

- ORFRAIE ! S’exclama-t-elle au loin en faisant de larges demi-cercles avec son bras.

Un large sourire fendait son visage puis une jeune femme au bedon rond accourait pour rejoindre la dragonnière de jade. Ses bras se refermèrent sur son corps et ils y restèrent accrochés de longues minutes. Aahh! Quelle merveille!

- Tu m’as tellement manquée. Lui susurra-t-elle à l’oreille.

Sa voix était quelque peu essoufflée et elle profita de cette pause pour reprendre son souffle. La grossesse avait des effets néfastes sur sa forme, mais c’était le prix à payer pour une suite extraordinaire. C’est ce qu’elle s’imaginait et espérait. Inutile de lui raconter les risques d’enfanter un Sainnûr et les difficultés de prendre soin d’une chose qui n’était capable de rien. Tout cela, on le lui avait raconté des dizaines et des dizaines de fois. À ce stade, elle ne voulait juste pas s’inquiéter avec des éléments dont elle ne pouvait avoir le contrôle de toute façon.

- Wow! Je dois te dire que je suis épatée par l’allure d’Ipsë Rosea. Ça ne ressemblait pas à grand-chose la dernière fois que je suis venue. Mais là, ta cité est sublime. Complimenta-t-elle en souriant avant de lui voler un baiser.

La dernière fois que la princesse était venue, c’était au tout début de la construction de l’endroit. Il y avait quelques bâtisses ici et là, mais rien d’aussi extravagant que la grande bâtisse au sommet de la colline. Le pavé blanc qui avait été ajouté apportait un air chaleureux et invitant.

- Ma chère dame. Prononça-t-elle avec tout le sérieux dont elle était capable. Me feriez-vous l’honneur d’une visite guidée?

La princesse des lumières n’avait pas changé, pas sur le plan mental en tout cas. Côté physique, sa chevelure d’or était légèrement plus courte, lui cascadant jusqu’aux épaules. Elle avait troqué son style vestimentaire d’antan, soit son pantalon et sa tunique, par une robe au tissu léger dont les couleurs rappelaient l’océan. C’était beaucoup plus aisé à enfiler, c’est tout.

La vie était morne sans Luna à ses côtés. Ou, du moins, n'était-elle pas aussi lumineuse qu'elle pouvait l'être en sa présence. L'Inséparable lui jouait quelques tours - et jouait avec ses humeurs ! - depuis leur mariage... L'on aurait dit une femme enceinte. Une comparaison que l'Ataliel ne se permettait qu'en pensées, et encore ! Car son épouse, elle, était bel et bien enceinte jusqu'aux yeux. La pauvre. Orfraie avait été enceinte, voilà de nombreux siècles, et n'en gardait pas un très bon souvenir. La perte de son enfant l'avait profondément marqué et, depuis, elle revivait sa seule et unique grossesse comme un véritable calvaire. Ne plus voir ses pieds, prendre vingt kilo et avoir les humeurs en vrac n'était pas très plaisant. Et ce n'était que cela...

Lorsqu'Orfraie sentit sa Liée se rapprocher des côtes, elle délaissa ses affaires pour se rendre aux portes d'Ipsë Rosae. Il faisait beau et chaud en cette fin août et l'Ataliel prévoyait un voyage jusqu'au domaine Baptistral. Un seau de puce pour un dragonnier et son dragon, car un seul petit jour de vol les séparaient de l'île où les Baptistrels avaient élus domicile.

Profitant du soleil sur sa peau, Orfraie ne vit pas le temps passer. Et elle fut ramenée à la réalité par les gens qui l'entouraient. À la sortie de la ville, ils étaient nombreux. En effet, les voyageurs et marchants passaient les portes dans les deux sens dans un brouhaha constant, entre les cris, les hérissements des cheveux, les conversations... Et lorsqu'Alkhytis fut visible, tous retinrent leur souffle jusqu'à ce que le dragon cuivré se pose, un peu plus loin entre deux champs, et laissa sa cavalière glisser de son dos. Déjà, Orfraie s'était élancée pour la rejoindre et la réceptionna dans ses bras lorsque la blonde s'y jeta. Son ventre arrondit ne rendait pas l'étreinte aussi facile qu'avant, mais il était si bon de l'avoir contre elle !

"Ce n'est pas ma cité." Reprit-elle en se frottant la nuque. Accompagnant ces dires d'un sourire presque contrit, Orfraie jeta un regard vers la ville. Il était vrai qu'elle était belle. Le savoir faire des Elfes était incontestable et l'Ataliel était fière d'avoir aidé à l'édification de la toute jeune ville.

"Avec grand plaisir, hericalwa*. "

Galamment, la princesse des ombres offrit son bras à la princesse des lumières. Mais avant de l'entraîner vers la ville, Orfraie se tourna vers Alkhytis et lui offrit une caresse sur le museau.

# Firindal n'est pas très loin si tu veux. #

Lorsque le saurien fut parti, Orfraie entraîna Luna vers la ville. Par les temps qui couraient, la fondatrice de la Loge ne manquait pas d'être prudente et restait donc à l’affût du danger. Une belle épée de facture elfique pendait à son flanc et il était certain qu'Orfraie savait très bien son servir. Toutefois, avec les ombres de Firindal et d'Alhytis planant au-dessus de la ville, il y avait peu de chance qu'un incident se produise... non ?

"Je suis certaine que tu vas aimer la ville." Lui dit-elle en passant sous la porte. Elles furent à l'ombre pendant quelques secondes, puis resurgirent au soleil. L'agitation n'était pas au rendez-vous, car les gardes s'assuraient que les badaudes ne bloquent pas l'entrée de la cité. De plus, la place du marché était beaucoup plus haute sur la colline.

Devant elles s'ouvraient une rue pavée. De chaque côté de cette rue se trouvaient des maisons en bois. Il y avait aussi de nombreux arbres et beaucoup de fleurs, la voie étant donc ombragée. "Il s'agit de maisons d'habitations. Il y a quelques commerces et quelques auberges, bien sûr."

Orfraie marchait plus doucement que d'ordinaire. Déjà parce que Luna était plus petite et n'avait pas une aussi grande foulée, mais plus encore parce que celle-ci était enceinte et que son état ne lui permettait pas de marcher aussi vite et longtemps qu'elle l'aurait voulue. "Il y a beaucoup de bancs, d'espaces verts, de fontaines. Si tu veux que nous nous arrêtions, dis-le-moi, il y a de quoi." Fort heureusement, la pente était douce. Les rues serpentaient le long de la colline afin d'épargner les jambes des habitants.

Au bout d'un petit moment, les deux femmes arrivèrent sur une grande place, au sommet de la colline. D'un côté, il y avait Tarminas. De l'autre, la Tour de la Loge. Entre les deux se tenait le marché au centre duquel trônait un immense arbre. Ses branches, couvertes de feuilles vertes, offraient de l'ombre à tout un chacun. Il y avait de l'agitation, beaucoup de bruit. Les enfants courraient, les adultes marchandaient. Les étales regorgeaient d'articles en tout genre que Luna pourrait découvrir tôt ou tard. Pour l'heure, Orfraie souhaitait s'entretenir avec sa femme et le lui fit comprendre en l'attirant doucement à sa suite.

Car derrière la présence de Luna, il y avait la décision de Victoria Kohan. Et Orfraie savait que cette décision affectait profondément sa femme, pour qui la famille était très importante. Alors, doucement, l'Ataliel gravit les marches de Istaëtaras et se dirigea tranquillement vers ses quartiers, non sans prendre le temps de présenter chaque pièce à Luna en décrivant sa fonction. Lorsque la porte se fut refermé derrière elle, la dragonnière prit un instant pour souffler et proposa à son épouse de s'asseoir tandis qu'elle lui servait un rafraîchissement. Ensuite, elle vint s'asseoir auprès d'elle tout en prenant sa main dans la sienne, leurs doigts entrelacés.

"Je suis navrée pour cette visite écourtée. Je souhaitais que nous parlions avant toutes choses. Et pas au milieu d'oreilles indiscrètes." Orfraie avait réellement l'air désolée, mais il brillait au fond de son regard une flamme qui ne trompait pas. Sous son ton délicat se cachaient une profonde colère ainsi qu'une réelle inquiétude pour sa femme. "Comment vas-tu ?"

Luna était une femme pleine de bonté. Elle était ce genre de personne à voir du bon partout, même dans la pire des personnes. Elle était très attachée à sa famille mais aussi très naïve. Lorsque Victoria s'était défaite de ses services de diplomate et de dragonnière, la nouvelle n'avait pas tardé à traverser l'île et parvenir à Orfraie. Celle-ci avait donc eu deux sons de cloches, l'un venant de son épouse, l'autre des "on dit". Et dans les deux cas, ce n'était pas rassurant. Avec la grossesse, ce genre de choc n'était jamais bon.

"J'ai entendu toutes les rumeurs possibles, mais je veux entendre ta version. Nous nous sommes peu parlé depuis ton départ de Sélénia."

- Oups! Fit-elle lorsque la Fondatrice de la Loge la corrigea sur le fait que ce n’était pas sa cité. C’était vrai… Mais c’était quelque chose à laquelle Luna avait du mal à s’y faire, car à ses yeux, c’était la cité d’Orfraie. C’était là que vivait sa bien-aimée et elle y avait mis tant de temps et de sueurs. Pas juste elle, mais tous ces gens qui l’entouraient et ceux-ci semblaient être bien heureux. Le résultat, en tout cas, était impeccable.

Luna aimait cette proximité. Elle s’était tant ennuyée de son Inséparable. Il était si bon de l’avoir entre ses bras, même s’il y avait un petit obstacle au niveau de son ventre entre elles. Elle la maintint contre elle le plus longtemps possible. Sa présence était le meilleur remède qui soit. Elle regarda Alkhytis s’élever dans le ciel pour aller rejoindre Firindal. Ils brillaient de toute beauté tous les deux à danser dans le ciel. Comment était-ce possible de ne pas être subjugué face à un tel spectacle? Elle prit ensuite le bras d’Orfraie et la suivit à travers Ipsë Rosea.

- J’adore. Dit-elle.

C’était la vérité. C’était une charmante cité à ses yeux dont elle discernait de nombreux détails elfiques. Ah! Que les elfes savaient faire de belles choses! Elle posa son regard sur Orfraie à cette pensée et ne put s’empêcher de sourire.

- Non, ça va aller, je me sens bien. Je me suis amplement reposée pendant mon séjour en bateau. Mes matelots ne voulaient que je fasse pratiquement rien, c’était même lassant à la fin! Marcher… Ça me fait le plus grand bien. Poursuivit-elle.

Le fait que tout le monde s’inquiétait pour elle était une notion difficile pour la jeune femme qui ne se posait pratiquement aucune limite jadis. Elle était habituée de faire ce qu’elle voulait, quand elle le voulait, comme elle le voulait. Mais avec son ventre grossissant, son entourage s’inquiétait facilement. Puis… Il est vrai qu’elle n’avait plus la résistance d’antan et qu’elle se fatiguait facilement. Elle n’était plus la même guerrière. Elle espérait toutefois qu’elle saurait reprendre ses capacités après l’accouchement.

Il y avait tous ces marchands au loin et la vie régnait de bon train. Mais les étales patienteraient, car les azurs s’en éloignaient. Luna emboîtait le pas d’Orfraie, se dirigeant là où il le fallait. Elle sentait qu’elle devait simplement la suivre et de lui faire simplement confiance. Or, cela, elle l’avait complètement.

- Il y a tout ce qu’il faut. Et le lit est assez grand. Ajouta-t-elle à la blague.

Suite à la petite visite guidée de la demeure d’Orfraie, la princesse des lumières s’installa sur le long canapé. La Flamboyante prit place à sa droite et elle la remercia pour le rafraîchissement : un délicieux thé glacé. Avec la chaleur extérieure, cela fit le plus grand bien. Elle posa le verre à demi-vide sur la petite table en face d’elle.

Elle entrelaça ses doigts, tenant sa main fermement contre la sienne. Elle savait qu’il y avait quelque chose… Elle le ressentait.

Comment allait-elle…?  

Comment trois mots pouvaient faire autant mal, autant de peine? Elle força un sourire sur ses lèvres, mais ses azurs ne purent masquer la vérité lorsqu’ils croisèrent les améthystes qu’elle aimait tant. Des larmes commencèrent à ruisseler sur ses joues. Elle voulait mettre son flot d’émotions sur le compte des hormones de sa grossesse, mais elle savait qu’en réalité, c’était que son cœur avait mal. Elle avait eu l’impression qu’on lui poignardait le cœur, que Victoria le lui avait poignardé. Ce sentiment de rejet l’engloba.

La scène n’était pas très élégante. Luna pleurait toutes les larmes de son corps, pleurnichant entre deux respirations, où parler correctement n’était plus une possibilité. Elle ne s’y tentait même pas. Elle se blottit contre Orfraie et posa sa tête sur elle. Oh! Qu’est-ce qu’elle lui avait manqué. Elle s’était sentie si seule sans elle. Encore heureux qu’elle avait eu Alkhytis pour lui remonter le moral et lui changer les idées.

Elle pleura pendant de longues minutes puis au bout d’un moment, elle se calma. Les larmes s’étaient arrêtées et sa respiration s’était adoucie. Elle n’avait pas lâchée Orfraie, continuant de chercher le réconfort dans cette proximité.

- Je, je… je… Balbutia-t-elle.

Elle ferma les yeux.

* Je… Je ne comprends pas. Qu’est-ce qui est arrivé à ma famille? Avec Victoria qui ne me veut clairement plus dans son entourage… * Dit-elle par la pensée. La communication par télépathie avait cet avantage de ne pas avoir à ouvrir la bouche. De sa dernière rencontre avec Victoria, quelque chose avait changé en elle et sa naïveté en avait pris un coup. Même si sa sœur ne l’avait pas dit ainsi, elle avait compris les sous-entendus et n’arrivait pas à les mettre de côté. * Je ne sais pas si c’est elle ou le conseil… Je sais que nous n’avons jamais été très proches toutes les deux… * Poursuivit-elle. Elle voulait tant lui donner le bénéfice du doute. Était-ce possible que ce ne soit qu’un malentendu? Mais ce sentiment de rejet était bel et bien réel. * Je ne les reconnais plus. Avec Nolan qui veut détruire le Lien… * Elle ne comprenait pas comment du jour au lendemain, ou presque, son frère dragonnier pouvait s’être lancé dans une quête pour détruire ce qui le rattachait à Cynoë. C’était cette distance avec Nolan qui lui faisait le plus mal, car elle avait toujours été très proche de lui. Elle n’avait pas su le convaincre d’abandonner sa quête.

Luna serra les doigts d’Orfraie dans ses mains.

* Jamais je ne voudrais me séparer d’Alkhytis. Est-ce que je suis devenue une horrible personne pour autant…? *

Chose certaine, la blonde avait du mal avec le changement.

Orfraie sourit. Oui, le lit était assez grand. Assez pour s'amuser, assez pour le ventre arrondit de sa femme ou pour un câlin à trois, après la naissance de l'enfant. Tout comme son épouse, l'Ataliel apprécia le rafraîchissement à sa juste valeur et déposa le verre à moitié vidé de son contenu sur la table, près de celui de Luna.

Sa question paraissait anodine, mais elle ne l'était bien évidement pas. Cependant, Orfraie ne s'était pas attendue à une réaction aussi larmoyante. Luna était une femme forte et avait un passé difficile, elle avait vécu de nombreuses aventures, des situations que les jeunes femmes lambda du même âge ne pouvaient imaginer. Mais le coup de poignard de Victoria avait été la goute de trop dans un vase déjà bien remplie. Les azurs se remplirent de larmes et, sans plus attendre, Orfraie la serra contre sa poitrine, sans rajouter un seul mot. À quoi bon ?

Voir et sentir sa femme aussi triste fit naître un pincement désagréable dans le cœur de la dragonnière, qui se mit à lui caresser les cheveux, se moquant des larmes mouillant doucement sa tunique. Elle se moquait également des reniflements de Luna, ou des hoquets dans sa voix brisée lorsqu'elle tentait d'articuler quelque chose. Elles restèrent ainsi un long moment, l'Ataliel aussi droite qu'une statue, mais aux mains douces et à la présence réconfortante.

De longues minutes passèrent, uniquement troublées par les sanglots de la blonde. Puis, ils commencèrent à se tarir. Mais la voix enrouée, Luna n'était toujours pas capable de parler. Ce n'était pas grave, pensa Orfraie, mais sa femme était également têtue et décida d'user de ses dons de dragonnière pour poursuivre cette conversation par l'esprit.

Pourquoi Victoria avait fait cela ? Bien des idées traversèrent les pensées d'Orfraie, mais elle préféra les garder pour elle. Elle ne voulait pas remuer le couteau dans la plaie, pas aujourd'hui. À la place, elle serra un peu plus fort Luna, lui transmettant tout son amour. # Non. Non, tu n'es pas une mauvaise personne. #, répondit-elle par la pensée également. Sa voix mentale était douce mais se para également de fermeté. # Je ne connais pas vraiment Victoria, mais elle semble être une jeune femme pleine d'ambition. Par les temps actuels, avoir un dragonnier à la Cour n'est pas un avantage pour une jeune souveraine qui a tout à prouver, sans oublier que c'est aussi une femme. #

Elle ne cherchait pas à défendre la sœur de Nolan, mais elle tentait de se mettre à sa place. Pour avoir effleuré le pouvoir autrefois, Orfraie savait combien cela pouvait être compliqué et quels genres de sacrifices il fallait être prêt à faire. De plus, l'accession au pouvoir d'une femme, fut-elle une Kohan, avait dû déclencher la grogne de nombreux Séléniens. L'Ataliel supposait donc que cette décision venait de Victoria elle-même et qu'elle l'avait prise pour se délester d'un poids qui pouvait lu couter des points vis-à-vis de son peuple.

# Quant à Nolan… Cela me rappelle les paroles d'un jeune dragonnet, que j'ai rencontré il y a quelques semaines. Il disait que le Lien, tel qu'il existe aujourd'hui, est une sorte de prison. Les Liés ne choisissent pas leur destin, ils le subissent. #

Lorsqu'elle y songeait, Orfraie ressentait un attachement si fort pour Firindal que s'imaginer sans lui coupait le souffle. Toutefois, elle parvenait à comprendre le point de vue de l'ancien monarque.

# Je peux comprendre qu'il souhaite ne plus être prisonnier de cette magie, avec Cynoë. En revanche, je ne peux cautionner qu'il impose sa vision du Lien aux autres. #, répondit t-elle. Si, d'aventure, Nolan voulait couper le lien d'Orfraie et de Firindal, il y avait fort à parier qu'il y perde des plumes.

Cherchant une position plus confortable, Orfraie posa ses pieds sur la tables. Personne ne verrait ce manque de civisme, ce dit-elle en laissant Luna s'allonger et poser sa tête sur ses cuisses. Elle continua à lui caresser les cheveux et le visage, du bout des doigts. Prenant sa voix d'ainée, la Sainnûr laissa se creuser le fossé des siècles qui les séparaient.

" Le changement est la loi de la vie humaine, il ne faut pas en avoir peur. ", reprit Orfraie, à voix haute cette fois-ci. La race Humaine était connue pour sa capacité à évoluer et s'adapter rapidement, cet adage semblait donc très adéquat aux yeux de l'Ataliel. " Le secret du changement consiste à concentrer son énergie pour créer du nouveau, et non pas pour se battre contre l’ancien. Cela prendra du temps, mais tu dois accepter que les choses changent, parfois en quelque chose qui te rend triste ou qui te fait du mal. "Le regard pensif, la Sainnûr songea à toutes les fois ou la vie avait été une chienne et ou elle avait dû apprendre à rebondir. " Tu dois apprendre à lâcher prise et te concentrer sur ce dont tu as le contrôle. " Facile à dire, songea Orfraie pour elle-même. Elle prêchait une parole qu'elle n'était pas certaine de pouvoir tenir elle-même, mais garda cette pensée bien enfouie au fond de son esprit. " Aujourd'hui, tu as le contrôle sur toi-même, sur notre couple, sur notre enfant à naître. Concentre-toi là-dessus et prend les choses une par une. Ça finira par aller mieux, mais il faut laisser du temps au temps. Et puis, tu sais que tu peux compter sur moi pour être à tes côtés, quoi qu'il arrive. ", conclu t-elle d'un ton plus léger et en lui offrant un sourire qui se voulait tendre et réconfortant.

Qu’est-ce qu’elle était bien lovée dans les bras d’Orfraie. Luna ressentait sa tempête d’émotions s’éteindre doucement. La tristesse était toujours présente, mais elle se sentait déjà mieux. Les mots de sa bien-aimée la rassuraient et il chassait ses inquiétudes. Elle s’ancrait dans ce qu’elle savait : que seuls ses Liés étaient essentiels à sa vie. Elle caressa son ventre en pensant qu’un troisième individu se lierait à elle. Le lien mère-enfant n’était-il pas inébranlable, plus fort que tout? La princesse des lumières ravala un autre sanglot et serra la main de la fondatrice de la Loge dans la sienne. Elle était d’ailleurs restée silencieuse tandis que son Inséparable parlait.

* Je crois que… j’ai du mal avec le changement… * Lui transmit-elle.

Elle émit un faible sourire. Elle ne bougea toutefois pas, préférant rester dans cette aura protectrice et chaleureuse. Choisissant de poursuivre la conversation par télépathie, un silence avait grandi dans la pièce. Il ne l’importunait aucunement.

* Ou plutôt, que j’avais espoir que les choses resteraient les mêmes… Que pour une fois, qu’il y ait un peu plus de stabilité. Mais je suppose que la seule façon possible serait d’aller vivre reculée dans le fin fond d’un bois au sein d’une île déserte. * Poursuivit-elle.

Son humeur s’égayait, on pouvait le sentir par le ton qu’elle employait. Mais un grand soupir s’échappa tout de même de ses lèvres. La femme enceinte avait l’impression que toute son énergie s’était envolée d’un coup, volée par toutes ses larmes. Elle ressentait de l’angoisse à chaque fois que son esprit s’avançait sur son avenir. Ce n’était pas nouveau et y palliait généralement en n’y pensant simplement pas. Mais était-ce une forme de maturité que de réaliser qu’elle ne pourrait fuir indéfiniment et qu’elle désirait commencer à y penser sérieusement? Vivre au jour le jour n’y ferait pas, elle devait prendre sa vie en main. Cependant, elle ne savait pas trop par quoi commencer…

* Je n’ai jamais été très proche de Victoria. J’ai toujours eu espoir qu’on s’entendrait, qu’on deviendrait des sœurs très proches…* Expliqua-t-elle en croisant ses mains ensemble. Mais leur relation n’avait pas évolué à un bon niveau comme celle avec Nolan. * Je me demande ce qu’elle pense de moi, en réalité… Et je me demande pourquoi ça m’affecte autant, je n’ai jamais vraiment été du genre à me soucier de ce que pensait les gens… * En effet, Luna était Luna, telle le mouton noir dans les contes pour enfants. Elle ne s’était rarement arrêté au fait qu’elle ne rentrait pas dans le moule de la société. Après une courte pause, elle poursuivit. * D’accord, je sais… La famille, c’est important pour moi... Mais maintenant est-ce mal si je dis que je ne veux pour famille que toi, Alkhy, Firindal et cette petite étoile? Le pire c’est que j’ai demandé à Victoria si elle désirait être la marraine, en pensant qu’elle en serait heureuse. Mais elle m’a répondu qu’elle devait voir avec le Conseil… Je conçois que ça ne doit pas être facile d’être impératrice, ça n’a pas été facile quand j’ai été régente. Et j’ai fait de nombreuses gaffes. Mais je n’ai pas l’impression que ça m’a tant changée. Alors que j’ai l’impression de ne plus reconnaître celle que je considérais ma petite sœur ou qu'en tout cas, qu'un gouffre s'est aggrandi entre nous. C’est peut-être ça la différence, que je me fous un peu de ce que pensent les autres alors qu’elle a toujours été la personnification parfaite de la noblesse. * Elle s’était vidé le cœur et avait parlé comme les idées lui venaient, sans se soucier que son récit ne soit des plus fluides.

Se redressant, la jeune femme vint apposer un baiser sur la joue d’Orfraie.

- Une chance que je t’ai, Ô sage dame. Susurra-t-elle. Plus sérieusement, je ne sais pas ce que je ferais sans toi. Lâcher prise, c’est quand même plus facile à dire qu’à faire… Mais je vais faire mon possible. Ça devrait aller en me concentrant sur nous, Alkhytis et sur notre future petite étoile. Enchaîna-t-elle en souriant et en prenant la main d’Orfraie pour la mettre sur son gros ventre. Peut-être sentirait-elle quelque chose bouger? Tu ne m’avais pas raconté que tu avais rencontré un jeune dragonnet. Tu veux m’en dire davantage? Tu as allumé ma curiosité. Ajouta-t-elle.

Les doigts de l'Ataliel glissèrent dans la chevelure blonde de sa femme, caressant tendrement sa tignasse dorée. Luna se détendait doucement, la tempête ayant fait rage en elle perdant doucement en vivacité. Orfraie en était heureuse, car elle n'aimait pas voir Luna dans un tel état. Cela lui ressemblait si peu. Avoir du mal avec le changement ? Ce n'était pas tant surprenant, même si Luna avait connu bien des situations différentes par le passé. Cette dernière avait trouvé une place, après moult aventures, et il était normal de souhaiter que rien ne change. Hélas, le monde n'était pas ainsi fait.

Orfraie sourit au trait d'humour. L'ermitage était sans doute une solution lorsqu'un individu souhaitait avoir la paix et se complaire dans l'immobilisme. Mais ni Luna, ni Orfraie n'étaient ainsi. Laissant Luna parler, la dragonnière de Jade continuait à jouer dans ses cheveux.

― Le pouvoir peut avoir de drôle d'effets sur les personnes que l'on pense bien connaître, répondit prudemment Orfraie. Elle ne connaissait pas assez Victoria pour savoir si cette dernière avait toujours été fausse avec Luna ou si l'accès au trône l'avait vraiment changé. Peut-être un peu des deux ? ― Mais ce n'est pas mal de ne souhaiter que nous cinq, poursuivit l'Ataliel en posant sa main droite sur le ventre arrondie de sa femme. ― Peut-être auras-tu l'occasion de discuter avec Victoria dans les mois à venir, mais pour le moment, n'y gâche pas ton énergie.

Laissant Luna se redresser, Orfraie laissa ses doigts glisser sur l'épaule de celle-ci. Elle remit pudiquement en place le col de sa robe, qui dévoilait plus de peau que nécessaire. Elle caressa ensuite son bras, du bout des ongles.

― Cela s'apprend, jeune femme, répondit la dragonnière avec un sourire taquin. Ce n'était pas toujours facile de penser avec pragmatisme. Certaines personnes en était même complètement incapable, même avec de gros efforts.

Laissant Luna poser sa main sur son ventre, Orfraie sourit en caressant le tissu du pouce. Elle avait déjà sentit le bébé bouger et trouvait toujours que c'était une sensation aussi étrange que merveilleuse. Voir la peau se distendre sous les coups de pieds et de poings était impressionnant.

― Oh oui, un jeune dragonnet vraiment curieux. Il s'appelle Néphilith, ses écailles sont d'or et quelques cristaux couleur saphir parsèremt son dos, se remémora Orfraie en transmettant une image mentale à sa femme. ― Il avait fait faux bond à sa mère et s'était approché seul de la ville. Il était d'une curiosité insatiable. Nous avons discuté un moment, il me semble que je l'ai fortement intrigué et il est curieux de connaître les bipèdes, de visiter Ipsë... Il a dit qu'il reviendrait me voir, il a même donné sa parole.

Cela avait été une rencontre vraiment intéressante, rafraîchissante et amusante.

― Il s'agit du dragonnet de Verith et Keetech, révéla Orfraie en grimaçant. Le dragon de l'Ire était connu de tous et cette seule information permettait de comprendre le danger que ce dragonnet pouvait représenter si son père était dans les parages. ― Je me suis dis que ce serait intéressant et sympathique qu'il rencontre Firindal et Alkhytis, un jour. D'ailleurs, je pense qu'Alkhy s'entendrait très bien avec lui, ils se ressemblent beaucoup.

Luna avait acquiescé d’un signe de tête. Oui, cela s’apprenait que de lâcher prise, mais généralement n’était-ce pas par l’expérience et le vécu? Elle avait encore un long chemin à faire pour y parvenir, mais elle avait franchi la première étape : avouer ses lacunes. Il fallait ensuite travailler sur soi et mettre les efforts et la volonté. Prenant une grande respiration, elle expira les tensions qui la tenaillaient. Fini Victoria. Elle la chassait de ses pensées qui se concentrèrent sur Orfraie et sur sa petite étoile. La jeune femme avait guidé la main d’Orfraie jusqu’à son ventre rond. Ses lèvres sourirent face à sa caresse.

Nous. Ce n’était qu’un petit mot et c’était tout ce qui importait. En cet instant, il n’existait plus qu’Orfraie, sa petite étoile et elle. Navrée les dragons! Non, c’est pas vrai, Firindal et Alkhytis étaient dans le nous. Mais tout le reste pouvait aller se faire f_tre! Elle considérait le petit coup du bébé à cet instant précis comme quoi il était d’accord avec son raisonnement et ça la fit ricaner. La princesse des lumières partagea mentalement la raison avec son épouse pour l’intégrer à la situation. Ce premier exercice soudain pour lâcher prise n’était pas trop mal.

« C’est un joli nom. » Prononça-t-elle. « D’or et de saphirs. » Murmura-t-elle ensuite en posant ses doigts contre son propre menton, prenant une posture de réflexion. Elle tentait d’imaginer le dragonnet. Elle rapetissa l’image du grand Atalos qui lui vint en tête et lui rajouter des cristaux bleus ici et là sur son dos. « Wow! Et tu le reverras, en plus! » S’exclama-t-elle. Luna aimerait le rencontrer également, mais pas autant qu’Orfraie dont elle voyait les améthystes briller. Il devait l’avoir bien marquer. « Tu vas rendre jaloux Firindal. » Ajouta-t-elle à la blague.

Parler d’autre chose lui faisait le plus grand bien, mais ses yeux devinrent bien ronds à l’annonce des noms des parents de Nephilith. « Verith et Keetech! » dit-elle d’une voix surprise. Ce n’était pas étonnant à bien y penser que tous les deux puissent faire des bébés écailleux… « Alkhytis s’entend avec tout le monde. Je suis sûre qu’ils sauraient devenir amis s’ils se rencontraient. Mais… Je ne suis pas certaine que papa rouge approuve que son enfant soit ami avec un lié. » Avança-t-elle. Tout le monde savait à quel point Verith méprisait le Lien et les dragonniers.

« Imagine ça un instant. » Dit-elle en se repositionnant confortablement sur le canapé. « Est-ce que ce serait la prochaine fin du monde si Nephilith décidait un jour de se lier à quelqu’un? » Demanda-t-elle d’une voix espiègle et amusée. Qu’arriverait-il si un jour sa progéniture déciderait de se Lier?