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5 Juillet, A bord de La Revanche de la Reine


Attenante à la capitainerie, la salle était large de trois mètres et longue de six, accueillant une porte d’un côté et en son fond, un autel de bois sculpté à la main. De la hauteur d’une table basse, longue d’un demi-mètre et large de deux mètres, il s’agissait d’un ouvrage épuré, défait de la pompe liturgique que tendaient à revêtir les idoles du temps du vieu continent. Le socle était celui d’une table, dont les pieds courbés vers l’intérieur étaient sculptés à l’image des quatre anciens grands rites pratiqués par les humains, les elfes et les vampires. Le liseré inférieur était également sculpté, avec des formes végétales, animales et minérales. La surface de la table était ornée en son pourtour d’une longue prière appartenant à la liturgie spécifique du Souffle. Sur la table elle-même se trouvaient sept sculptures, chacune représentant une des grandes déesses dans une forme allégorique.

Au centre de l’ensemble, Vie sous forme d’un acacia et d’une colombe, s’enlaçait à Mort sous forme d’un saule et d’un corbeau. Sur la droite, Océan, comme une danse de coraux et de poissons, était constituée de bois flotté et d’une aigue-marine. Près de son aînée, Vent s’ouvrait, ressemblant à un faucon aux ailes ornées de lierre grimpant, taillée dans un pied de vigne et une opale. Sur la gauche, Terre se faisait biche en bois d’olivier odorant, portant une géode et enlaçant Végétale, de pommier et de bouquets luxuriants. Puis, enfin, Feu, en bois d’orme et rubis, dansait de ses flammes. Autours de ces figures étaient déposées des offrandes, diverses et variées : chapelets de perles, branches, coquillages, bijoux précieux, ossements sculptés avec délicatesse, encens brûlant dans des petits pots en terre cuite peinte et vitrifiée.

Au centre de la pièce, dans sa longueur, était placé un tapis aux coloris vifs et chatoyants, tressés à la main. Une prise de pillage sur un village graarh du sud. Il constituait son lieu de prostration pour ses prières. Un bol d’eau salée était posée sur le coin haut droit, tandis qu’un bol d’eau pure se trouvait poser sur le coin bas gauche. Les deux autres portaient des bols de sel-gemmes illuminées de l’intérieur par des bougies. D’autres lampes de sel-gemmes étaient disposées près de l’autel, et de la sortie. Il n’y avait rien d’autre, dans la pièce, et on y entrait sans armes. Lui-même n’était vêtu que d’une chemise blanche, et d’un pantalon noir serré de sa ceinture en peau de vampire. Les pouvoirs de ses yeux étaient désactivés, afin de lui permettre de faire davantage corps avec sa foi, seul avec les déesses dans le vide sidéral de la cécité. Il n’en était pas effrayé, se mettant à nue dans ses prières.

Les vapeurs psychotropes rendaient son corps léger et émoussaient sa conscience terrestre pour lui permettre de s’élever au travers des mantra aussi familiers que ses propres battements de coeur. Les mots devenaient lentement des sensations, émoussant la conscience terrestre tandis qu’une fièvre profonde le prenait, une langueur passionnée. Son corps se détendit de plus en plus alors qu’il oscillait au rythme de ses prières et de son rythme interne. Puis en un souffle long, il se courba vers l’arrière, souplement, frôlant la fibre colorée du tapis avec le bout des doigts. Il marqua un silence, en contrepoint de ses prières, et se releva lentement en expirant profondément. Puis il se courba vers l’avant, et se redressa de nouveau dans un long souffle. Alors qu’il se redressait, cependant, quelque chose, en lui, bougea, le désarçonnant proprement.

Etait-ce réellement un mouvement ? La sensation était unique en son genre, lui provoquant un frisson le long du dos. Cela lui rappelait vaguement quelque chose… mais quoi ? A quel moment exactement renvoyait ce sublime contact ? Les opiacés l’aidait à le saisir et en même temps, l’auréolait d’une grandeur mirifique. Est-ce qu’il s’agissait d’un contact divin, de la preuve que les sept n’étaient pas réellement mortes ? Son souffle s’accéléra tandis qu’il se faisant immobile, cherchant à replonger dans sa transe pour espérer capter de nouveau le contact divin. Il était quasiment certain qu’il s’agissait d’une expérience unique depuis la mort de leurs protectrices. Qui d’autre gardait autant la foi après tout ? L’Ordre sombre était le seul à sa connaissance. Il ne devait pas abandonner maintenant, il s’agissait peut-être d’un moment historique.

Mais de quelle déesse pouvait-il s’agir ?

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    La blanche femme l'avait généreusement rassasié. Ssaadjith se sentait aller un peu mieux et tout à sa digestion, il s'interrogeait sur les raisons profondes qui poussaient son père à tant haïr les bipèdes quand ils pouvaient parfaitement être utiles pour lui remplir le gosier, par exemple. Ce n'était que la première de ses découvertes, lui, Ssaadjith, allait s'improviser anthropologue. Oui, voilà. Il ne perdait pas de vue que ces créatures pouvaient être vicieuses, aussi restait-il sur ses gardes. Mais il devait avouer qu'il appréciait fortement que sa façon de pensée soit originale et non calquée sur un autre qu'était son père, aussi vénérable et aimé soit-il. Il ne désirait point être une pâle copie du dragon de l'Ire. Il voulait être lui, la plus brillante des Étoiles que le ciel ait jamais connu. Il s'introduisit à l'intérieur des cabines, tâchant de se cacher du mieux qu'il le pouvait. La discrétion n'était pas son fort mais pour une fois, sa couleur d’obsidienne lui servait. C'était Shyven qui serait furieusement jalouse de la tâche noire ! Lui au moins, il pouvait se tapir dans l'ombre et partir à la découverte des bipèdes ! Il allait les observer dans leur milieu naturel et pour être tout à fait honnête ? Ça n'était pas très glorieux.

    Ça se raclait la gorge pour éjecter un crachat, ça se grattait la fesse ou se curait le nez. Ça puait la sueur et les immondices, leur peau était sale, pour ainsi dire crasseuse si bien qu'il craignait presque de salir ses écailles rien qu'on les regardant. Ils étaient malpolis et violents, et bien que leurs vices soient une distraction amusante autant que leur traits d'esprit lorsque l'alcool les secouait, il devait avouer être bien en peine pour cette race. Cela lui faisait presque regretter la présence de sa petite Blanche. Elle au moins, elle savait être de bonne conversation. Et puis, il y eut lui. Lui il sentait bon et son aura dégageait quelque chose de splendide. Le dragonnet se cacha sous un drapé de table, dont seul son museau et ses yeux sortaient, à ras le sol pour observer la scène très longuement. Quelle étrange et envoûtante scène que voilà et quelle révélation extraordinaire : les bipèdes savaient se prosterner ! Ce spécimen-là l'intéressait beaucoup ! Détaillant les représentations sur l'autel, son esprit fit promptement le lien avec les Déesses que son père méprisait tant. Était-ce dont cela la foi ? Mais il fallait absolument qu'on ait foi en lui ! C'était exactement ce qu'il lui fallait !

    Il se montra d'autant plus curieux, inspectant l'état de ce bipède aux litanies brillamment machinales. La fièvre était brûlante : probablement que les encens y étaient pour quelque chose, en surcroît de l'élévation spirituelle et peut-être... Quelques drogues ? Il pressa son esprit télépathique contre le sien, pour contempler toute l'adoration pieuse qui le nimbait comme un ciel étoilé. Il trouvait cela magnifique et suivait ses pensées, l'attente expectative sur la raison de sa présence... Et s'il posait la première pierre du culte qu'on allait lui louer ? S'il faisait de lui son premier prêtre ? Voilà une bien folle idée et si délicieusement tentatrice à la fois. Il attendait une déesse ? Il serait surpris, bien au delà de ses attentes puisqu'il allait recevoir la première parole d'un Dieu Suprême. « Bonjour, mortel. » Sa 'voix' télépathique était androgyne, faite de sonorités profondes et équilibrées, emprunt de la magie que les cieux auraient pu lui donner. « Ta piété est magnifique, je suis honoré par tant de dévotion. » Son esprit venait enlacer le sien pour lui transmettre sa divine reconnaissance, comme un cadeau, fugace et éphémère.

    « Cela est rare. L'on ne fait cela que pour me réclamer bénédiction, d'ordinaire. » N'était-ce point pour ceci qu'on se tournait vers les dieux ? Pour obtenir des faveurs ? On oubliait combien la dévotion sincère devait se passer de requêtes. « Qu'espères-tu de moi, par tant de prières ? Toi, qui loues les déesses et qui pourtant m'oublie...  Tu m'appelles par ton cœur plus que par tes mots. Sais-tu qui je suis, mortel ? » Accepterait-il qu'il ne soit pas l'une des déesses attendues ? Il avait senti dans son esprit combien il espérait ce contact divin, historique, sa foi était-elle uniquement tournée vers ces figures mortes, telles des effigies pâles comme des fantômes, ou ferait-il le pas vers l'astre qui pourrait briller pour lui ? L’Étoile. « Je suis l’Étoile, gardien de l'ombre, de la lumière et de l'ether. Toi, l'aveugle, tu vis sous mon manteau de ténèbres depuis si longtemps et pourtant tu ne cherches qu'à voir, comme les autres, la lumière. Es-tu comme les autres ? » Froids et quémandeurs... Ou bien était-il vraiment d'une autre trempe, plus dévouée ?

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Avec abandon, il laissait la fièvre étreindre son esprit, engourdir la sensation de son corps tandis que son esprit semblait déployer ses ailes impalpable hors de son enveloppe restrictive. L’espoir vivace d’un contact renouvelé brillait en lui comme la lueur d’une tour de feu guidant les navires. Et sans le moindre doute, il sentit de nouveau quelque chose effleurer sa conscience, puis la toucher plus fermement, plus longuement. Une voix résonna en lui, le son n’existait que dans sa tête et pourtant il existait bel et bien, ni homme ni femme, fait de musique et de profondeur. La surprise le désarçonna temporairement, car il s’était attendu à entendre la voix d’une femme, les figures créatrices du monde n’étant que féminine. La seule entité masculine du Panthéon était un adversaire, l’anti-thèse de l’existence, auquel il ne vouait nullement un culte, ne lui donnant ainsi aucune raison d’attirer son attention. Qu’est-ce que pouvait être cette entité alors ? La rumeur avait si peu sourdé, l’écho lointain d’un murmure sur la mort des déesses et un nom si peu prononcé, un contrat… Origine ? Serait-ce alors Origine ? Transis et fiévreux, l’Immaculé écoutait avec attention ce que l’entité lui énonçait, l’esprit enlaçait par le sien, qui transpirait un sensation de… de plaisir ? de satisfaction ? de... reconnaissance ? Ainsi, c’était donc bien d’Origine qu’il s’agirait ? Si sa piété et sa dévotion étaient entendues par cette entité, alors ce devait être qu’au travers des Déesses il priait bien cette autre conscience supérieure ? Il en était abasourdi.

Interdit, mais toujours pris dans sa transe, l’esprit en ébullition, les sens à la fois plus vifs et plus gourds, Teotl ne su tout d’abord que répondre, profondément touché par les paroles de l’entité. Oui, beaucoup de croyants n’étaient pas de vrais croyants, n’attendant que des bienfaits, un retour qu’ils pensaient juste. “Non” fit-il enfin, sans savoir si ses lèvres avaient bougé ou si son esprit s’était récrié seul. Non il n’était pas comme les autres. Il était le Père, réceptacle du divin équilibre entre vie et mort, un serviteur de ce cycle que les bipèdes tentaient d’esquiver. Servir ce cycle était l’objectif de son âme, si servir son père était l’objectif de son coeur. C’était déjà un bienfait en soi que de pouvoir se réclamer d’entreprise divine. Que pourrait-il demander de plus ? Il vivait pleinement son existence, croquant chaque morceau à sa juste valeur, certain de sa fin, un jour, en paix avec cette idée. Tout le monde mourrait un jour, sauf les entitées supérieures. Les déesses elles-mêmes n’étaient pas réellement mortes, puisque leurs manifestations existaient encore. “Vous êtes… Origine ?” C’était le seul nom qui semblait coller pour cette entité qu’il entendait et sentait dans son esprit. L’étoile qui veillait, l’éther dont même Néant était fait, ombre et lumière aux cents interprétations… oui, plus il contemplait l’idée plus elle lui semblait juste. “Je ne réclame aucune bénédiction” Encore une fois, il ne savait si c’était sa voix physique qui parlait, oui ses pensées. Le seul contact psychique qu’il eût jamais expérimenté avait été Kaalys pendant la bataille contre les Chimères et ce trop brièvement.

Je l’ai déjà reçu” Un sourire, physique, et une irradiation mentale de certitude et de piété fervente. Oui, avoir été choisi lui suffisait et plus encore à présent qu’il entendait la voix d’Origine même. Quel honneur et illumination supplémentaire pouvait-être espéré ? Peut-être simplement, confronté à cette entitée encore si inconnue, recevoir le commandement de son culte afin de lui rendre hommage également. “Je suis votre ô lumière du monde, si me jugez digne de recevoir l’enseignement de votre vénération” Les drogues aidant, il ne se posait que peu de questions hors de sa frénésie religieuse et celles-ci étaient fort pragmatique : comment répandre la nouvelle de ce contact divin et l’enseigner au plus grand nombre. “Je ne désire rien de plus que servir” Et servir bien. N’était-il pas un tueur efficace ? N’apposait-il pas le baiser de Mort sans bavures, sans souffrances inutiles ? Quoi que l’entité désire lui faire faire, il ne doutait pas que, porté par la bénédiction divine, il réussirait.

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    La satisfaction transcendée du bipède était palpable. Il sentait son esprit exploser d'allégresse, un plaisir sans borne, plein de reconnaissance. Si dévoué, si tourné vers lui comme attiré par le chant céleste d'une réelle divinité. Cela avait donc marché ? Il n'arrivait pas à y croire, avant de conclure que si, bien sûr, il n'y avait bien que lui, Ssaadjith pour réussir un tel exploit. Cela tombait tellement sous le sens qu'il se demandait pourquoi il n'y avait pas cru plus tôt. Le doute peut-être. La crainte de la solitude. La peur de ne pas être pris pour le Dieu vivant qu'il était pourtant. Il l'avait abasourdi, il le tenait dans cet état de surprise si délicat, si précieux que son ego se gonflait, brillant de milles éclats comme l'étoile qu'il affirmait d'être, en ses rêves les plus merveilleux. Il avait, là, un être qui le croyait sincèrement, qui ne faisait pas semblant, pour lui faire plaisir, comme le faisait bien souvent sa famille. Non, là, à son contact, le bipède avait cru en la partie céleste qu'il avait en lui. Ssaadjith était touché, culpabilisant sur l'instant de sa tromperie, non pas pour le mal qu'elle pourrait faire à Teotl, mais, égoïstement, pour la désillusion qu'elle pourrait lui causer par la suite, à la lumière traîtresse de la vérité. Il aimait tellement ce qu'il sentait de ce bipède, sa croyance sincère en lui, en sa Toute Puissance... Que ce passerait-il lorsque l'immaculé saurait la vérité ? Il perdrait donc toute cette gloire ? Ne pourraient-ils pas simplement continuer de jouer le jeu ? Continuer de croire que le mensonge était la vérité ? De croire éternellement que l'un est la réponse de l'autre ? Ssaadjith, l'incarnation divine que Teotl attendait et le priant le retour pleine de dévotion que le dragonnet espérait toucher, un jour ?

    Y goûter était si délicieux, et se dire que l'instant était éphémère était douloureux. Le saurien pinça ses babines, contrit... Non, le bipède ne devait pas savoir, jamais. Il devrait continuer de lui faire croire... Oh, il accepterait, non ? Il sentait combien le dévot avait espéré cet instant. Que ne donnerait-il pas pour recommencer ? Ou bien lui en voudrait-il démesurément ? Et... Il avait dit quoi là ? Origine ?! Carrément ! L'ego du dragonnet brûlait comme un brasier impossible à éteindre et à contenir. Ce n'était même pas un nouveau dieu, mais le Dieu Suprême, le Créateur par excellence, que le bipède croyait qu'il était. Ce bipède dépassait tant et tant ses attentes et le faisait frémir d'une languide satisfaction. Il dut se faire violence pour ne pas trépigner sur place, tout hyperactif qu'il était. Il se serait fait repérer, avec un tel boucan. Il savait l'instant si fragile et si unique qu'il voulait le savourer jusqu'au bout. Alors non, il ne devait surtout pas l'interrompre. Ses pattes étaient bien ancrées dans le bois du navire, et ses griffes s'enfonçaient dans le moelleux du matériau, le marquant de traces qui diraient la vérité à sa place, une fois que la mascarade prendrait fin. Mais en attendant... « Oui. » confirma-t-il. Il était Origine. Rien que ça. Ses mires d'absinthe contemplait le sourire irradiant qui naissait, puissant et fervente. Il trouvait cela beau. La vision avait quelque chose de reposant, presque consolateur pour son petit cœur qui craignait tant la solitude. Un tel attachement... Oui, cela était magnifique.

    Il tâcha de s’apaiser et dénoua ses muscles, reposant tout son corps, au sol, silencieux. « Comment ta dévotion peut-elle être à ce point désintéressée ? Je ne le crois pas... Oh, je ne remets pas en cause sa ferveur sincère, je la sens parfaitement... » On ne pouvait plus sincère, ça, c'était certain : « Autant que je suis persuadé qu'elle t'est un moyen de donner un cap à ta vie. Sans elle, tu serais perdu. Combles-tu le vide de ce que tu crains ? Si ta dévotion ne cherche pas mes faveurs, que cherche-t-elle à remplir ? Mes créations ne font rien qui n'ait d'utilité. La foi, même pieuse, est une quête, la recherche constante d'un accomplissement ou la facilité de pouvoir reposer toutes les réponses de l'on a pas sur la volonté divine. Ne crois-tu pas ? » Il était sincèrement curieux. La foi, il était persuadé que cela apportait quelque chose aux dévots, sinon, ils ne prieraient pas. « T'es-tu déjà demandé pourquoi tu avais cette volonté de servir les Déesses ? Ou d'affirmer que tu ne désires que me servir ? » Cela devait bien avoir un sens, au fond, non ?

    « Je ne désire rien te demander. Mon contrat avec les Huit réclamait qu'ils n'interviennent pas directement, dans la vie de leurs créations. Une fois abouties, composées de la manière qu'ils voulaient, ils devaient les laisser faire. Ils avaient toutes les cartes en main pour accomplir leur destinée. Si tu désires me servir, alors tu trouveras comment faire. Tu interpréteras les signes selon tes propres valeurs, ton existence et celle des autres ainsi que la quantité de dévotion que tu souhaites attribuer à cette tâche. Vois-tu ? Vous êtes libres, créations. » Son esprit mourrait d'envie de lui réclamer mille et un présents... Mais cela viendrait peut-être, pas à pas, pour l'heure, il était un grand comédien et entrait dans le costume de son rôle. S'il désirait que la supercherie fonctionne, il devait lui donner toutes ses chances...

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Oui, faisait la voix, confirmant sa pensée et faisant courir un long frisson d’extase religieuse le long de son échine nerveuse. Oui, il s’agissait bien d’origine. L’esprit blanchi par la révélation, la respiration écourtée, il ne sut d’abord que dire, que répondre. Devait-il même répondre ? Avait-il seulement le droit de répondre davantage ou devait-il attendre que l’entité suprême lui en donne le droit ? Son sourire, cependant, était irrépressible. En se faisant très attentif, il avait presque l’impression de percevoir en retour la satisfaction de l’entité ou du moins ce qui devait être traduit par son esprit de créature mortelle comme étant de la satisfaction. Bien, surtout, ne pas changer cela si ça se confirmait, il ne voulait surtout pas froisser ou manquer de respect au dieu suprême. Cependant, il fut prit de court lorsque la voix revint résonner en lui comme un écho de puissance. C’était une belle voix, qui ne dénotait pas être femelle ou mâle et qui représentait parfaitement la façon dont il s’était imaginé Origine, un être qui n’était pas enchaîné à une notion aussi mortelle et physique qu’un genre. En revanche il ne s’était pas attendu à ce qu’on remette ainsi en question le fondement de sa foi. Est-ce que c’était un défi ? Une forme de test envers lui, pour vérifier s’il était réellement digne de ce contact, pour éprouver les bases de sa dévotion ? Oui… oui certainement, c’était certainement cela, il ne pouvait pas réellement attendre à recevoir si aisément les secrets de son culte.

Fort de cette certitude et déterminé à être le plus véridique possible, l’immaculé chercha comment répondre. L’idée de ne finalement pas voir le contact se prolonger, ne pas être digne de cette foi-là, l’effrayait, mais il savait, en même temps, que s’il n’était pas digne, il ne pouvait rien forcer. Cela… cela ne lui retirerait pas même sa foi, comme certains almaréens avaient soudainement cessés de croire parce que Néant ne leur offrait plus autant. Il continuerait de croire. Cela lui ferait très mal mais il redoublerait d’efforts pour être digne, même si cela n’arriverait peut-être jamais. Et avec cela en tête, il esquissa une réponse, finalement. Car Origine voulait qu’il réponde, non ? Mais L’entité reprit, avec une belle leçon pour lui et il se prit à l’admirer plus encore. Libre. Oui ils étaient libres. “C’est vrai” Libres de vénérer le créateur et les déesses, ou d’être ingrats. Libres de s’éloigner d’eux ou de leurs dédier des oeuvres, des vies. “Je vis… et c’est grâce à vous et aux déesses. Mon corps à Vie, mon souffle à Vent, mes déplacements à Terre et Océan, mes passions à Feu, ma subsistance à Végétal, mon éternité à Mort et mon âme à Vous, Tout-Puissant” Il gardait les yeux fermés mais son coeur palpitait agréablement dans sa ferveur “Chaque jour est une bénédiction, ma vénération un remerciement pour ces dons que j’ai reçu

Il inspira à pleins poumons la drogue et l’encens. “La chance d’exister, de voir le monde, d’y vivre, de créer, même de petites choses. C’est pour cela que je vénère vos déesses et que je vous rend hommage.  Même lorsque je mourrais, mon âme se réincarnera à nouveau. Pour tout cela, je suis votre serviteur. J’ai toujours perçu ma foi ainsi. Comme une évidence. On m’a donné tout ce que je nécessitais pour être en ce monde. Pour tous ces présents il est bien naturel que l’on remercie et qu’on les chérisse à leur juste valeur. Et par mes prières, je renouvelle chaque jour mon souhait de respecter et de savourer au mieux vos dons, de continuer de les respecter et d’en tirer tout mon possible. Que cet éclat que vous m’avez offert ne sera pas gaspillé…” Il ne savait guère quoi dire d’autre. Est-ce que, véritablement, il vénérait les déesses dans un but précis ? Avec l’envie d’emplir un vide ? Mais le seul vide vécu dans sa jeunesse n’était pas le fruit des déesses, seulement des mortels et il avait été comblé par l’acceptation de son père. Se pouvait-il seulement qu’il aspire à demander quelque chose aux dieux qui ne lui soit pas déjà accordé ? Il n’en avait pas l’impression mais n’aimait pas non plus rejeter les paroles divines car un être supérieur devait sans doute voir davantage.

Les peuples se détournent beaucoup de la foi. Ils ne croient plus aux déesses et pour beaucoup, ils ne croient pas en vous. Ils ont été désabusés par la mort des incarnations physiques des créatrices que vous aviez envoyé. Mais je n’ai jamais douté de vous. Parce que je continuais à être, je savais que vous étiez, tous. Et maintenant, par votre contact, j’en ai une preuve physique également. Que vous existez, que vous perdurez. Pour cela, encore, je vous rend hommage. Je porterais ma foi et je partagerais auprès des autres votre venue…” Il se redressa légèrement, le visage transcendé par l’exaltation et par la détermination. “Si je dois savoir par moi-même quoi faire pour vous honorer, que ce soit cela : je répandrai votre venue autours de moi. Et je ferais en sorte que tous saches que vous êtes encore et que vous nous comblez de votre présence” Il sourit à nouveau “Avez-vous… avez-vous une forme physique ? Comme les déesses ? Ou bien êtes-vous pur esprit, même à présent” S’il devait trouver comment exprimer un tel culte, il se tournait bien évidemment vers l’art qu’il chérissait terriblement. “Je vous ferais musique et couleur, et forme pour inspirer l’imagination. Je vous ferais parfum pour suggérer à l’esprit et aux sens…

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    Il faudrait ABSOLUMENT que Ssaadjith raconte cela à Nephilith ! Le dragonnet trépignait sur place, presque intenable tellement son ego était caressé dans le sens des écailles. Jusqu'alors, personne ne lui avait adressé autant de louanges, avec une voix d'où transpirait la plus profonde des sincérités. La seule zone d'ombre résidait sûrement sur le fait que tout ceci ne soit que tromperie. Il devait trouver un moyen de concrétiser ceci, de le rendre moins fuyant, moins traître. Il ne voulait pas perdre cela, c'était exactement ce dont il avait toujours rêvé depuis qu'il était né (c'est à dire pas longtemps) : une religion à son nom. Les dévots qui scandaient son titre et le remerciaient simplement d'exister, d'être leur étoile inégalée. Il devait véritablement trouvé un moyen... Dans tous les cas, par cette expérience, même si elle finissait mal, Ssaadjith trouvait le sens, le but de sa vie. La finalité à laquelle il aspirait de tout son être : il voulait être un dieu. Voilà, c'était dit. Il y avait des bipèdes qui voulaient devenir chevalier ou une excellente dame de compagnie, et bien lui, il voulait devenir un dieu.

    Il l'écoutait avec délectation, se repaissant de ses mots comme on savoure un met délicat ou un vin délicieux. C'était si doux, si sucré, sans être écœurant. C'est magistral et tellement inspirant. Il allait répandre la bonne parole maintenant ? Son Dieu était vivant. Il serait son apôtre, son prophète. Il écrirait des évangiles pour d'écrire l'illumination qui le touche, en cet instant fatidique. Il lui adressa sa tendresse avec autant de retenue que possible, l'affichant comme humble – ce que Ssaadjith n'était pas du tout – et honoré – ce qu'il était complètement. A l'équilibre des deux il trouvait une manière de l'étreindre psychologiquement. Il voulait être comblé de sa présence, il lui donnait et si ce bipède pouvait lui susurrer d'autres louanges ainsi, ce serait parfait.  Ah oui voilà, encore un peu, c'était parfait. Les questions le laissèrent pantois jusqu'à ce que vienne l'illumination dans son esprit, tout en se disant qu'avec toutes ces illuminations, ils allaient finir par faire croire à un feu d'alarme.

    Voilà comment rendre le flou de cette révélation et la conserver dans du concret : l'incarnation. « Je peux être ce que je veux. Je ne l'ai simplement encore jamais fait... Mais quand on a l'éternité devant et derrière soi, il faut avouer qu'il n'y a rien à presser. » Curieux il demanda : « Pourquoi cette question ? Tu aimerais que je m'incarne ? » Il poussa un soupir qui s'entendit même dans l'esprit de Teotl : « Si je me montrais sous ma vraie forme, vous seriez frappés de folie. Ce que je suis n'est pas fait pour être accepté ou compris par les bipèdes. Même lorsque je te parle, je suis obligé de filtrer mes mots et d'utiliser ta langue pour ne pas t'assaillir. » L'assaillir de tout son ego démesuré oui ! Il était bel et bien obligé de filtrer, pour ne pas perdre l'instant présent. « Il me faudrait un avatar dont je puisse prendre possession... La seule créature que je puisse utiliser serait un dragon, mais dont l'esprit n'est pas trop vieux. Il pourrait lutter... Non pas que je ne parvienne à rompre sa volonté, mais je ne désire pas briser ces créatures. Un dragonnet, je pourrais l'éduquer et l'acclimater. »

    Son esprit se pencha sur le sien, jaugeant de son état avant de poursuivre : « Penses-tu pouvoir me trouver cela ? C'est amusant, tu m'as donné envie de voir ton monde. Celui que les déesses ont créé quand je leur ai demandé... Vois-tu, si elles échouaient, leurs créations devaient partir avec eux, emportées par les chimères, incarnation des fautes commises par les vivants... Mais vous avez survécu. Ainsi avez-vous donc plus de ressources qu'il n'y semblerait. J'aimerais voir tout cela d'un pu plus près... Avec le filtre de votre mortalité. » Lui dieu, ne pourrait pas comprendre autrement. « Trouve-moi un dragonnet et appelle-moi à nouveau. Je viendrai. » Voilà ! Maintenant il n'avait plus qu'à faire en sorte d'être le dragon sur lequel il tomberait par inadvertance... Lui et aucun autre. il serait insupportable qu'un autre ait cet honneur à sa place !

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C'était fort vrai, comme on pouvait l'imaginer des dires du Dieu suprême. Intemporel, l'entité n'avait sans doute jamais eu de raison de vouloir s'incarner sur terre. Pourquoi l'aurait-elle voulu ? Il aurait dû s'en rendre compte par lui-même. Fort heureusement, Origine ne semblait pas lui en tenir rigueur. Cela aussi, il aurait pu s'en douter, en fin de compte, car Origine était un être neutre et omnipotent, sans prise de partie et magnanime. A la question, cependant, il fut bien incapable de cacher son souhait. S'il aurait voulu être témoin de son incarnation ? Égoïstement, oui, bien sûr, c'était un immense privilège mais sa foi n'était pas, comme il l'avait affirmé, tournée vers sa propre personne pour une satisfaction de son propre ego. Alors, aurait-il voulu le voir s'incarner tout court ? Si c'était là la volonté de l'être suprême, alors c'était la sienne. Si Origine honorait ce monde de son incarnation alors il ne se détournerait pas et l'accueillerait avec une indicible joie. Mais il ne voulait pas paraître expectatif ou activement demandeur, il ne voulait pas d'une satisfaction personnelle c'était… ce monde avait terriblement besoin d'un dieu et Origine était le plus grand de tous, le Tout. Son silence fut rompu avec douceur quand il s'exprima enfin.

« Je sais que vous êtes une part de chaque chose. Mais je ne suis qu'un humble bipède »

Et un bipède avait du mal à se représenter réellement certaines choses quand elles n'étaient pas soulignées par une incarnation unique et définie. Il savait que c'était un défaut de sa race et il l'admettait. Une part de son cheminement en religion était cette acceptation et l'équilibre qui en découlait, le travail sur soi-même pour cultiver son être au mieux. Il espérait simplement que, dans sa bonté, l'entité lui pardonne ce défaut de conception. Son explication, d'ailleurs, était toujours aussi logique, aussi évidente. Oui, un être physique et inférieur comme lui ne pouvait simplement pas appréhender sa véritable splendeur. Cela rejoignait, au final, ce qu'il pensait lui-même, d'une certaine façon, ce même défaut. Mais peut-être existait-il une autre solution. Un avatar, disait-il. Oui, oui bien sûr ! Une sorte de réceptacle qui pourrait contenir sa toute-puissance et la transposer en quelque chose d'acceptable pour une créature physique comme lui. Oui, cette solution était idéale. Les déesses prenaient des avatars de bipèdes, humains ou elfes, alors il était parfaitement logique qu'Origine, supérieur aux déesses, prenne un avatar draconique, seule forme physique sans doute capable d'accueillir pareille puissance. Un jeune dragon donc… Il y en avait plusieurs, dont un était lié à son père d'ailleurs.

Un instant, l'idée de s'emparer de ce dragon l'effleura mais il n'était pas certain que son père comprenne l'honneur qu'on lui faisait. Il lui en fallait un autre alors. La Rose qui prônait l'équilibre ? Cela semblait une bonne idée, Origine n'était-il pas l'équilibre incarné ? Peut-être que son discours était un signe divin ? Peut-être. « Je comprend, Tout-Puissant » Oui, il trouverait un dragon. Il ne faillirait pas. Si la divinité désirait voir le monde de l'intérieur, alors il serait son humble serviteur pour réaliser cela. S'il mettait le cap dès à présent… les détails techniques étaient encore flous, sans doute à cause de l'encens et de la drogue, mais il n'en était pas moins déterminé pour autant. Oui, il ferait voiles au plus vite pour trouver un réceptacle digne de l'entité. « Je trouverais. J'en fais le serment » Comment l'appeler ? Sans doute pas ses prières, une fois de plus. Oui, il prierait avec plus de ferveur encore qu'auparavant, pour appeler l'entité vers lui et lui présenter son présent : un réceptacle pour son omnipotence. Il sentit la présence disparaître et revint progressivement à lui, retombant lentement des hauteurs de son extase en une légère sueur froide et une respiration plus difficile. Rouvrant les yeux, il s'offrit un moment avant de se relever souplement et de chasser une mèche de son front. Il n'y croyait pas… un tel événement était sans commune mesure.

D'une main, il rouvrit la porte, laissant entrer l'air qui chassa les vapeurs opiacées et lui offrit un support alors que sa tête tournait légèrement. Un contact avec Origine… une incarnation de la divinité… il avait beaucoup à faire, pour trouver ce réceptacle et guère de temps à perdre. Il descendait encore de son nuage de transe et sans doute était-ce là une condition positive à sa fascination soudaine pour la lumière qui jouait à l'extérieur. La luminosité, près des marais, n'était pas extraordinaire, mais le quai d'amarrage qu'il avait demandé se trouvait en bordure de jetée, permettant davantage de contact avec le large. Il inspira profondément, observa ses marins entrain de récurer le pont supérieur et de charger les vivres pour leur prochain départ. La cadence était respectée, personne ne semblait flâner mais il n'arrivait pas à se sentir réellement concerné. Son esprit restait rivé à ce qu'il venait de vivre. Un avatar draconique pour Origine ?   Voilà qui était une tâche considérable. Tout à ses plans, il se tourna de nouveau vers l'intérieur de la pièce dans l'intention de souffler les bâtons d'encens et d'éteindre les lumières lorsque son regard glissa sur quelque chose qui n'aurait pas dû se trouver là. Quelqu'un qui n'aurait pas dû se trouver là. Il resta figé, sans même un frémissement alors que ses yeux de gemmes le détaillait.

Le rayon de lumière pâle provenant de l'extérieur venait éclabousser les écailles de jais, faisant jouer les reflets soyeux et mat, offrant une profondeur ondoyant aux ténèbres de la robe armure de la créature et venant scintiller dans ses yeux d'absinthe. Sa première réaction fut la surprise, surprise de savoir un jeune dragon sur son bâtiment. Certes, il y avait eut des naissances, mais tout de même, pas au point que ces créatures naissances comme des champignons et qu'ils pullulent partout. Sa seconde réaction fut la méfiance, tandis que son esprit nouait les informations les unes aux autres dans un ordre logique avec ce qui venait de se passer. Il était certes fervent dévot et probablement drogué, mais là quand même, il fallait le prendre pour un jambon. Un avatar draconique, un réceptacle dans un dragon nouveau-né et justement, on lui en donnait un pile là, dans ses bras, comme providence parfaite. Sa troisième réaction fut l'amusement. Ainsi donc, on l'avait dupé ? Il s'approcha et s'accroupit devant lui avec un léger sourire torve, mais sans rien dire. Devait-il manger le dragon pour l'avoir joué ainsi ? Non, c'était bon joueur. Il s'était fait avoir et s'était sa faute et uniquement la sienne. Il ne savait pas comment la créature avait finie sur son navire, mais c'était tout de même bien joué.

« J'espère que tu es vraiment bon comédien » Soulevant le saurien aux écailles de ténèbres, il sortit d'un pas conquérant et le hissa à bout de bras devant un équipage abasourdi et décontenancé. Et là, d'une voix de stentor, il entonna un discours complètement improvisé. « Ce bâtiment est le témoin en ce jour d'un événement sans précédent et sans pareil. En ce jour, nous avons été honorés et glorifiés par l'apparition de l'incarnation du dieu suprême Origine, père de toute chose, ordonnateur des déesses, source de tout, le tout-puissant ! En ce jour, nous accueillons sa présence dans ce réceptacle draconique, demeure de son esprit ! Veuillez rendre hommage à sa gloire, car nous lui devons toute vie en ce monde et ce monde même ! Acclamez-le ! Venerez-le ! Entendez sa parole ! » Et tout cela, entonné avec toute la ferveur  du dévot qu'il était, avec tout l'impact de son rôle de Père, maître de la secte, premier disciple du culte noir, capitaine des assassins, sur un navire composé uniquement des plus fervents de ses adeptes, et avec une conviction absolument sans failles. Mais au dragon de se dépêtrer de là après cela.

descriptionLes voies du divin sont impénétrables [Saadj] EmptyRe: Les voies du divin sont impénétrables [Saadj]

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    C'était le moment de vérité. Soit cela passait, soit cela cassait. Il allait falloir sérieusement qu'il pense à un plan B et en avance cette fois, car la dernière fois qu'il avait du établir un plan B en urgence, il s'était retrouvé à faire une imitation fort peu convaincante de la chèvre. Et il n'avait pas mis Caliste en colère. Ce bipède-là, il l'avait berné. Le risque qu'il se mette en colère était assez grand et pour être honnête, il doutait qu'une bonne vieille imitation de la chèvre passerait. Il pourrait... Faire vibrer ces écailles ? Cela pourrait déstabiliser Teotl et lui laisser le temps de fuir. Il pouvait aussi appeler Verith à son secours, mais, sincèrement, appeler papa à la rescousse, de un, ce n'était pas terrible pour son ego surdimensionné de dragonnet, et de deux... Il devrait expliquer à son père ce qu'il faisait là. Ça faisait deux excellentes raisons, du point de vue de Ssaadjith, de ne pas se lancer là dedans. Sauf en cas d'extrême urgence.

    Bien, donc il avait un plan d'extrême urgence. Restait à improviser entre deux. Le bipède aveugle se redressa. Le dragonnet put enfin voir ses yeux, en restant à couvert. Quels étranges yeux avait-il là. On aurait dit des cailloux pleins de magie. Immédiatement, le saurien songea à son frère jumeau qui serait bien ravi d'avoir ces joyaux dans sa collection. Si Origine lui réclamait de les lui offrir, Teotl se les arracherait-il pour lui ? Il faudrait qu'il teste cela... Si la supercherie fonctionnait. La porte s'ouvrit et le dévot prit l'air. Ssaadjith sortit doucement le bout du museau alors que la lumière venait éclairer radieusement ses écailles noires. Oh tiens, si les éléments s'y mettaient ! Voilà qui le plaçait sous de bons augures. Il se déplaça légèrement, pour être bien mieux encore dans l'éclat merveilleux, tel le signe divin du choix d'Origine. S'il avait voulu réaliser une meilleure mise en scène, cela n'aurait pas réussi. Évidement, il fit semblant de ne pas le voir, de ne pas savoir qu'il était là, pas plus qu'il ne connaissait la discussion que le bipède avait entretenu avec Origine. Aussi innocent que l'agneau qui venait de naître... Enfin, plus il pensait à un plan B et plus il pensait qu'être aussi innocent que le chevreau qui venait de naître était plus approprié.

    Est-ce que l'autre y croyait ? Le dragonnet l'observa et son esprit se tendit vers le sien pour en saisir les subtiles vibrations (étranges). Il était surpris, et bien évidemment qu'il était ! Il était un dragon extraordinaire ! Il était prodigieux ! Il ne pouvait que faire naître l'émerveillement. Alors pourquoi donc sentait-il comme de la méfiance, de la part du dévot ? Ça ne sentait pas bon ça, si ? Devait-il attaquer avant qu'il ne soit trop tard ? Son ego rêveur désirait tant qu'il revienne à de meilleurs sentiments. S'il attaquait, il tuait cette opportunité dans l’œuf. Et foi d'ovipare, c'était pas cool de casser des œufs. Tendu, perplexe, il resta silencieux, ne désirant point mettre de l'huile sur le feu de sa méfiance et puis, lorsque le bipède approcha, les corps du dragonnet se raidit. Pas de plan B, C ou D. Il était figé de peur et se faisait transporter. Il allait l'emmener dans les cuisines et la faire rôtir comme un gigot de chèvre. Il ne voulait pas finir à la broche ! Comédien pour quoi ? Crier fort ? Faire peur ? Qu'est-ce qu'il avait en tête ? « Repose-moi bipède ! Je ne suis pas un jouet ! Je suis éventreur, arracheur, gougeur ! Je suis les crocs des ténèbres ! Je suis les griffes de la nuit ! Crains ma colère, dans mon sang coule le... » Il avait dit quoi Verith déjà ? Ah oui un truc en cirage !

    « L'ire et l'orage ! Mon père ne laissera pas impuni tes actes si tu me... » Attendez, il était vraiment en train de lui sortir l'argument du 'je vais le dire à papa ?'. Il n'eut pas le temps de se fustiger pour ce manque d'ego dans le choix de ses argument qu'il se retrouva tenu à bouts de bras, présenté comme Origine à tout un équipage qui se mettait à genoux devant lui. Quoi ? Les yeux du dragonnet brillèrent avec une intensité si euphorique qu'il cru se perdre dans ses rêves devenus réalité. Cette bande de bipèdes y croyait sérieusement ? Le dévot avait beau l'avoir percé à jour, il répandait tout de même cette rumeur. Comédien, donc. Qu'est-ce que l'immaculé avait en tête ? Voulait-il qu'il berne tout le monde avant de leur dire la vérité ? Pour qu'ils le haïssent tous ? Non... Il serait bien inutile de se donner cette peine. Le bipède n'avait qu'à le jeter en pâture – pour une chèvre ce serait fort à propos – et son sort serait scellé. Voulait-il alors vraiment que Ssaadjith se fasse passer pour Origine aux yeux de ces.... Fanatiques ? Oui, ce devait être cela, le dragonnet ne voyait pas d'autres explications.

    Alors il laissa s'envoler sa méfiance pour profiter de l'instant. Ils étaient là, attendant sa parole que le dévot avait annoncée, les yeux rivés sur lui. Il avait leur pleine et entière attention, leur complète adoration. Il se sentait terriblement vénéré, tant qu'il finissait par se demander s'il n'était pas au beau milieu de l'un de ses rêves favoris. Il étendit son esprit vers cette foule, craintif, au début. Son père l'avait tant mis en garde contre le bipède qu'il craignait la folie s'il les touchait de son esprit. Un c'était contrôlable... Tout ceux-là ? Il le fit, néanmoins, prudemment, les touchant un par un, découvrant ce qu'ils étaient et ce qu'ils ressentaient en surface. Nul coup fourré, c'était bien lui qu'on adulait. Il trépigna sur place : « Créations, l'un de vous m'a appelé... » Teotl, bien sûr, son fervent apôtre... Ou plutôt fervent complice de cette mascarade. Qu'avait à gagner le dévot ? « Et je suis venu pour vous rencontrer. Pour vous offrir ma présence... » Son incroyable et magnifique présence, aurait-il du dire, mais s'il voulait jouer son rôle, il savait qu'un peu d’humilité, même si elle n'était pas du tout pensée, était parfois utile – et s'il trouvait l'idiot qui avait inventé ce concept d'humilité, il le sermonnerait longuement !

    « Et pour éclairer vos âmes de ma... » Sérieusement ? Il allait vraiment sortir ce mot ? Lui, le dragonnet de 50cm ? « Sagesse ! » Et ben oui, il l'avait fait. Non, définitivement, il ne manquait pas de toupet. « Vos prières ont été entendues ! Clamez par delà les mers, par delà les îles... Clamez ma venue et marchez avec moi sur le chemin de... » De quoi ? Vite, vite, trouve : « L'absolu ! » Ouais, ça c'était bien l'absolu. Ça faisait grand mot sans prendre de risques. C'était qu'il commençait à en avoir des sueurs froides. « Vous avez vaillamment survécu à tant d'obstacles, vous allez enfin trouver le chemin de la paix, en prêchant la parole que vous révélerai. Je ne peux hélas vous montrer ma véritable forme, car je ne désire point vous détruire. Par les yeux de cette mortalité, je suis avec vous. Vous êtes mes élus, ceux qui pourront me montrer ce monde que j'ai jadis créé, et ce que vous en avez fait. Soyez bénis ! »

    C'était qu'il commençait à prendre ces aises. Maintenant qu'il était lancé, il continua pendant quelques minutes encore et cessa avant que Teotl ait trop mal aux bras à force de le porter ainsi en l'air. Ce ne fut qu'une fois revenu dans l'intimité d'une cabine privée, qu'il observa dévot en clignant des yeux. Vraisemblablement, il était encore fort étonné de ce qui venait de se passer : « Veux-tu bien m'éclairer ? Je crois que tu as parfaitement compris ce que j'étais et ce que je n'étais pas et pourtant, tu as tenu à cette mise en scène... Dans quel intérêt agis-tu ? Je ne suis pas certain de saisir. » Il posa son derrière au sol, perplexe : « J'ai bien aimé. » confessa-t-il. « Je n'avais jamais fait l'acteur devant autant de monde. Mon père n'est pas du genre à apprécier les bipèdes, si tu vois ce que je veux dire. » Son ventre gargouilla si fort qu'on aurait dit le tonnerre. Certes, il avait but du lait de chèvre, Calliste s'était montre généreuse. Mais ça ne calait pas un estomac de dragon du lait. « Et désolé pour les menaces, tout à l'heure... J'avais juste... » Peur ? Oh non, il ne l'avouerai pas : « Envie d'échauffer mes dons d'acteur. Je suis certain que tu en as été convaincu. Tu vas me faire du mal maintenant ? Parce que je peux les réitérer, mes menaces. »

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Il n’avait guère eu de doutes sur l’acceptation de son équipage devant cette incarnation supposée du créateur suprême, et il aurait donné cher pour savoir ce que la petite créature pensait en cet instant, ce qu’elle ressentait à être ainsi adulée et révérait. Hélas, il n’était pas télépathe et se contenta donc de se concentrer pour ne pas lâcher le dragon par accident. Cela aurait définitivement détruit le moment et tout l’amusement qu’il en retirait. C’était en pareil instant qu’il était très heureux d’être un immaculé et pas un simple humain. Inspirant doucement, profondément, maintenant qu’il n’avait plus à parler, le scorpion attendait de savoir ce que la créature écailleuse allait faire ou dire. Et bien entendu, il ne donnerait absolument aucun indice sur ce qu’il attendait de la situation même si le dragon pourrait sans doute entrer dans son esprit pour aller voir. Les secondes défilèrent, il eut un doute… qui fut immédiatement balayé lorsqu’il ressentit à nouveau la présence draconique au sein de sa psychée. C’était la toute première fois qu’il expérimentait réellement un contact tel que celui-ci, aussi, forcément, était-il à ses yeux unique et facile à reconnaître. Et si le dragon n’était pas réellement Origine, le contact était tout de même beau et profond, même avec une si jeune créature. Réprimant un sourire en coin, le dévot resta coi, simple piédestal pour le dragon sombre. Sans ses gants, ses mains calleuses mais très sensibles ressentaient la chaleur des écailles et leur aspect lisse et tranchant. Il était merveilleux de constater à quel point elles étaient bien agencées, offrant une protection solide et souple en même temps.

Chaque instant où l’hésitation pouvait poindre le faisait se tendre très légèrement mais la voix mentale poursuivait et il en était soulagé. Il ne voulait pas d’un blanc gênant devant une foule aussi pieuse. Fort heureusement, il semblait avoir un don pour l’improvisation. Bien, cela lui serait très utile dans la vie. Et son discours n’était pas mauvais du tout, considérant qu’il venait de le projeter sur le devant de la scène sans lui laisser le temps de se préparer. Il venait même de lui donner une idée. Que l’avatar incarné d’Origine disparaisse d’un seul coup après cela ne serait sans doute pas une bonne idée, il allait devoir trouver une suite à l’histoire mais si le dragon visitait l’archipel et que la Revanche lui servait de transport quand il le désirait, cela devenait d’un seul coup plus logique. Ne surtout jamais laisser une histoire sans fin proprement établie, c’était la porte ouverte à ce que l’auditoire conclut lui-même et pas de la façon la plus avantageuse pour le narrateur originel. Stoïque, il laissa le dragon prendre ses aises, se concentrant pour continuer de le porter sans rien dire. Il ne cacha pas mentalement sa reconnaissance, cependant, lorsque celui-ci lui ouvrit une opportunité pour qu’ils se retirent tous deux et qu’il le relâche dans la cabine du capitaine. Avec un léger grondement, il fit quelques exercices pour dénouer ses muscles en faisant quelques pas pour s’éloigner de son invité surprise. Cette fois-ci, son sourire vint ourler naturellement ses lèvres pleines et le regard sombre des gemmes de jais darda la créature de même couleur.

Je n’ai pas l’intention de te faire du mal

Sa voix était calme mais entachée d’amusement alors qu’il posait un genoux à terre pour se rapprocher de la créature. Lui faire du mal ? Cela ne lui était même pas passé par la tête. Pour le dragon, cependant, il était naturel d’y penser. Saine méfiance était mère de sûreté. Jouer les divinités était, en revanche, très audacieux. Curieux mélange que cette créature. Pourquoi vouloir devenir un dieu ? Pour régner sur les mortels bipèdes ? Pour le prestige ? Pour s’élever spirituellement ? Pour autre chose ? Est-ce que cela se demandait ? Sans doute si on acceptait de ne pas réellement obtenir de réponse. Chaque sensibilité était différente après tout. Plutôt que de rester un genoux au sol, le pirate s’assit en tailleur près de son petit interlocuteur.

Mais tu ne pouvais pas le savoir avant que je ne te le prouve, alors il est naturel de se faire menaçant. Même en cet instant, ta méfiance est parfaitement logique

Le scorpion n’avait jamais été un être prompt à jouer de dramaturgie devant les réactions d’autrui, surtout quand il admettait leur fondement logique et naturel. Le monde n’était qu’un immense jeu de puissance intrinsèque avec proies et prédateurs, bien qu’il soit merveilleusement beau et diversifié. Le dragon ne connaissait rien de lui et se trouvait dans un lieu, à priori, qui n’était pas son nid et sans ses géniteurs. Qu’il veuille se faire intimidant pour éviter qu’un prédateur ne vienne à le croquer était, à ses yeux, parfaitement normal et même une très bonne chose car cela voulait dire qu’il avait de l’instinct de conservation… Et puis tout le monde ou presque le menaçait depuis des années donc ça ne le changeait pas beaucoup.

Je suis Teotl. Et toi ? Comment te nommes-tu ?

Il faisait le premier pas. Cela ne mangeait pas de pain. Il avait là une belle opportunité d’approcher un dragon, chose qu’il n’avait jamais faite et il était curieux de nature, tout prêt à apprendre et découvrir. Il trouverait difficilement plus belle découverte que celle-ci. Mais si le dragon était méfiant, alors il se devait de montrer qu’il n’avait aucune mauvaise intention à son égard. Cela ne lui aurait pas apporter de gains à part une richesse matérielle passagère. Mais il n’était pas pauvre, et de moins en moins en vérité maintenant qu’il absorbait lentement les organisations de tueurs de l’Archipel. La secte se faisait centrale et sans pitié contre les rivaux qui désiraient l’esquiver, bientôt le flux se ferait plus régulier. L’or, il l’avait à portée de main.

A moins que je ne sois pas digne de nommer l’incarnation d’Origine ?

Il s’était fendu d’un léger sourire et d’un clin d’oeil. C’était une taquinerie sans mesquinerie ni mépris. Au contraire, cela l’avait bien fait rire ! Il se fit néanmoins un tant soit plus sérieux en revenant à ce que le dragon lui affirmait. Pourquoi agissait-il ainsi ? Pourquoi pas ? Cela ne le desservait pas après tout. Il renforçait le mysticisme de son ordre. Et il saisissait de l’inspiration pour la suite autant qu’il se mettait dans les bons côtés d’un futur acteur majeur de l’Archipel. Si le monde lui avait des leçons utiles, c’était bien celles-ci. Il n’avait rien oublié. Oui, il avait été berné. S’il pouvait être berné, d’autres aussi le pouvaient. Et si cela se tissait avec plus d’un participant ? Alors c’était d’autant plus solide.

Tu sais… avant d’êtres Déesses, elles étaient Eléments. Rien ne nous dit que tu ne pourrais pas devenir Dieu si tu y travaillais. C’est une belle quête, j’apprécie… et j’apprécie être en bons termes avec les futurs dieux

Aucun mensonge là-dedans. Il ne savait pas comment les hautes sphères de ce monde fonctionnaient alors si un dragon avait pu voler le coeur de Néant, qu’est-ce qui lui disait qu’un dragon ne pouvait pas devenir un dieu ? Il partait simplement du principe que ce n’était pas parce que lui-même ne savait pas qu’il devait cantonner d’autres à son ignorance. Si on découvrait que c’était possible alors tant mieux non ? Les Dieux étaient une bénédiction. Les Dieux rendaient les mortels meilleurs. Les Dieux avaient permis que le monde soit ce qu’il est : magnifique. Si de nouveaux Dieux apportaient encore davantage de richesse au monde alors… très bien ?

Et parce que j’étais curieux de voir ta réaction. Appelons cela une… inspiration divine ?

Bon d’accord, il était taquin. Mais encore une fois, cela n’avait rien de méchant.

Donc, tu as aimé. La foi est un pouvoir puissant. La foi peut pousser une créature mortelle à se dépasser bien au-delà de ses capacités, à vaincre ses peurs, parfois à vaincre ses défauts. La foi est un combustible de l’ascension. Elle peut pousser au meilleur comme au pire

Il n’était certes pas contre voir de nouveaux Dieux mais il n’avait pas envie de voir un profiteur pour autant. La Foi pouvait être libre, ne rien demander en retour, la foi pouvait offrir sans avoir besoin de rétribution, mais elle ne restait pas moins une forme de partage, pas une vache à lait, car elle était très puissante. Et il fallait avoir conscience de ce partage et de cette puissance. Ce n’était pas que de jolis mots et il l’avait prouvé à petite échelle. Ils s’étaient agenouillés devant le dragon parce qu’ils croyaient en Origine et en la voix de Mort sur le monde. Ils avaient ployés parce qu’il avait montré être au service de la foi. Mais s’il abusait d’eux, alors il n’aurait plus de paix de l’esprit car il ne cesserait jamais de douter de chaque parole et geste pour ne pas trahir la duperie. Ce qu’il avait fait était une prise de risques.

La Faim aussi. Veux-tu quelque chose à manger ?

Se relevant, il alla vérifier ses listes de victuailles en chargement, afin de savoir s’il devait le guider ailleurs que sur son bâtiment ou s’il devait pouvait le gâter un peu sur place. Tandis qu’il parcourait les innombrables lignes rédigées d’une main de maître par son second, il interrogea de nouveau le dragon noir.

Ton père n’aime pas les bipèdes… tu es donc fils de Verith, c’est cela ? On ne peut pas non plus dire que les bipèdes lui ont donné des raisons de les aimer. Et toi ? Qu’en penses-tu ?

Un instant, il hésita, puis lui coula un regard en coin.

Et… pourquoi cherches-tu à être un Dieu ?

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    Ces yeux étaient forts étranges. Ssaadjith n'avait guère vu des milliers, de bipèdes, en ce monde, mais il lui semblait tout de même ne pas en avoir vu de semblables. Ses orbes étaient parfaitement noires. Cela avait quelque chose de perturbant. Il ne savait pas tellement si ce Teotl, comme il disait s'appeler, le regardait ou non. A vrai dire, il ne savait pas même si celui-ci pouvait le voir. Perplexe, il l'écouta néanmoins, lui, sa tolérance et sa bienvenue compréhension. Devait-il lui dire qui il était véritablement ? Si son père apprenait qu'un dragonnet du nom de Ssaadjith s'était retrouvé sur un navire de bipèdes, nul doute qu'il se ferait dûment gronder. Mais ce bipède là n'avait-il point mérité de savoir son nom ? Comme il tardait à répondre, la plaisanterie combla le vide, taquine et joueuse. Il l'aimait bien, ce bipède. Il était d'amusante compagnie, si emprunt de singularités qui piquaient la curiosité du saurien.

    Il écarquilla les yeux, de ce qu'il entendait des déesses et qui faisait sens. L'on ne naissait rarement Dieu. On le devenait à force de travail et de spiritualité. A bien y réfléchir, même si le Tyran Blanc était un triste exemple pour leur espèce, il était l'image même que tout un chacun, et en particulier les dragons, pouvait s'approprier une puissance hors du commun, qui dépassait l'imagination et transcendait les autres puissances. Oui, au fond, il pouvait devenir un Dieu. Il pouvait devenir cette étoile qu'il rêvait tant d'incarner. Tout à ses pensées, il réagit instinctivement au mot 'manger', ses yeux brillants autant que son ventre était vide. Il se redressa... Avant de se tasser sur lui même lorsque le nom de Verith vint à franchir ces lèvres pieuses. « Tu ne lui diras pas, à Verith, que je suis venu ici, hein ? » Au fond, il avait dit qu'il ne lui voulait aucun mal.

    « Il prendrait assez mal que je sois venu ici. J'étais curieux de voir cet amas de chair flottant. Je pensais que c'était un bipède géant qui était mort, mais plus j'approchais et plus je voyais d'autres bipèdes normaux marcher dessus. Je me suis dis que ce ne serait pas très bon pour ma santé si je goûtais un bout de cela. Ma sœur mange des bipèdes, vois-tu ? Je voulais savoir si c'était bon ou pas. Pour comprendre. Sans offense pour ton peuple. Père n'aime pas les bipèdes, moi j'essaie encore de comprendre. Je suis encore trop jeune pour avoir un avis tranché. J'aurais tendance à dire que je n'aime pas les bipèdes, car c'est ce qu'on m'a appris jusque-là. Et je n'en avais pas rencontré avant ce jour. » Il gratta le sol étrange dont il venait de parler. C'était un peu collant et gluant : « Enfin si. Il y avait un vampire sur Nyn-Tiamar. Mais je l'ai tué pour montrer à Père que j'étais assez fort pour me défendre. Il ne voulais pas me croire. Je n'ai pas trop eu l'occasion de lui parler, par conséquent. »

    Il pencha doucement la tête sur le côté, dévisageant encore ces mires étranges qu'il ne parvenait à percer. « Mais à toi, oui. » Qu'il changerait d'avis ne dépendit probablement que de cette conversation, prémisse d'un autre monde que celui cloisonné par son père. « Je m'appelle Ssaadjith. » finit-il par répondre. Teotl savait qui était son père, donc le plus gros du danger restait présent, qu'il lui dise ou non son nom. « Je ne cherche pas vraiment à être un Dieu. Je veux qu'on se souvienne de moi. Qu'on entretienne ma mémoire, par delà les océans. Être un Dieu semble en réunir l'essence... Et j'étais curieux de ce que tu étais en train de faire. Tu as raison, la foi est puissante et ce que tu éprouvais à mon égard était ce que je recherchais. Je ne le savais pas vraiment avant de te rencontrer. » Au bout d'un instant, il finit par lui poser la question qui lui taraudait l'esprit depuis plusieurs minutes : « Est-ce que tu me vois ? »

    Question légitime, vu ces yeux et pourtant, l'aisance que le bipède avait pour se déplacer semblait souligner qu'il n'avait pas perdu tous ses repères. « Les bipèdes n'ont pas donné à mon père des raisons de les aimer. Mais mon père ne leur a jamais vraiment trop donné leur chance. Pourtant, il y a d'autres dragons qui l'ont fait. Ma grand-mère, par exemple. Skade. Je pense que tout être apporte son lot de satisfactions et de déceptions. Père a surtout retenu les déceptions. Je crois. C'est ce que font ceux qui souffrent. » Il avait perdu sa mère, son frère, sa sœur. Ssaadjith pouvait très bien le comprendre. « As-tu un père ? » demanda-t-il : « Est-ce qu'il est aussi grognon que le mien ? » Lorsque son ventre gronda à nouveau, il ajouta : « Je mangerais ce que tu as à me proposer. Je ne suis pas difficile, et beaucoup de choses me sont encore inconnues. Nous vivons sous l'eau, pour l'heure, j'ai principalement mangé du poisson... »

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Bien sûr que non je ne dirais rien. D’ailleurs, dire quoi ? Que j’ai rencontré l’incarnation terrestre d’Origine ? Verith n’aime pas les dieux je crois. Cela ne l’intéresserait donc pas” Un léger sourire joueur dansa sur ses lèvres. A aucun moment l’idée de le vendre au grand rouge ne l’avait effleuré mais au moins, puisque le jeune dragon le demandait ouvertement, il ne restait pas de doute sur sa volonté de conserver cette rencontre secrète. Et en effet, Verith n’aimerait certainement pas l’idée que sa progéniture se balade parmis des bipèdes. Parce que c’était bien sa progéniture. Surprenant comme ils étaient différents, mais pas désagréable. Dire qu’il était fasciné serait un euphémisme. C’était la première fois qu’il voyait un dragon d’aussi près et un jeune dragon tout court. Les dragons étaient des favoris des Déesses. Même s’il n’était pas un Dieu, il restait une créature sacrée. S’inclinant légèrement, son sourire se fit plus vif. “C’est un honneur, Ssaadjith” Réellement d’ailleurs, il n’avait pas besoin de flatter. Comme tout Ambarhunien, son enfance avait été peuplée de légendes et de contes sur ces créatures de magie et d’émerveillement.

Oui, je te vois” fit-il dans un souffle. L’immaculé savait ses yeux perturbants. Ce n’était pas fait exprès mais cela servait assez bien son personnage. Comme quoi, la magie naturelle de l’archipel pouvait servir et taper juste ! Tant qu’il n’écopait pas d’une queue supplémentaire, cela lui allait très bien. Pour une créature si jeune, il était superbement objectif, et cela lui plaisait. En dehors de son ambition démesurée, Ssaadjith semblait doté d’un détachement et d’une passion tiède qu’il soutenait entièrement. Il hocha plusieurs fois la tête, à ses paroles, reposa finalement la feuille de papier et revint auprès de son invité à écailles. “Tu disais être curieux de manger un bipède. Si tu le désire, je peux te faire goûter. Tu préfèrerais de l’elfe ? De l’humain ? Je te déconseille le vampire, la viande reste toujours un peu forte, cela envahit les papilles comme une carcasse faisandée. Parfois leur viande est trop froide ou perd de sa tenue et se fait trop molle. Ce n’est pas très agréable” Avec un instant de retard, le pirate se prit à penser qu’il risquait de surprendre son interlocuteur. Sachant en plus que Verith avait dû raconter un tas d’horreurs sur les bipèdes, il se sentit plus qu’obligé de ne pas en rajouter.

Je ne sais pas ce que tu connais des bipèdes, acceptes mes excuses si j’énonce quelque chose dont tu as déjà conscience. Nous sommes liés à des esprits animaux, des dieux inférieurs qui veillent sur nous et nous élisent en fonction de plusieurs critères, dont nos caractères et nos styles de vie. Ces divinités nous offre, par leur protection, des capacités uniques à chaque esprit, différentes en fonction de l’esprit d’élection. Parfois, ces capacités viennent aussi avec des contraintes, à défaut d’un meilleur terme. Dans mon cas, j’ai été élu par trois esprits… dont l’esprit du vautour. Par cette élection, je ne peux consommer que la chair d’autres bipèdes, mais ce n’est pas quelque chose de répandu parmis nos races. On peut même dire que c’est réprouvé dans beaucoup de sociétés bipèdes” Qu’il ne pense pas que c’était une pratique courante. Non qu’il fut de l’avis de condamner ce régime, mais les faits étaient là, indubitables. “Néanmoins, si tu préfères du boeuf ou du porc, je peux le préparer. Je fais même des salades pour mes invités ne mangeant pas du tout de viande” Et il appréciait toujours faire découvrire les joies de la cuisine fine à de nouveaux intéressés.

Je te confirme cependant que manger la chair de mon navire ne serait pas une bonne idée. Je ne voudrais pas que tu tombes malades. Elle est faite des restes de bipèdes qui se sont battus contre les chimères, ou ont été longtemps possédés par elles. Disons que cette chair a été corrompue et qu’elle porte des restes de Néant. Je m’en voudrais s’il t’arrivait quelque chose…” Un dragon, bon sang ! Il avait déjà plongé une main dans une plaie béante de dragon pour éviter qu’il ne meure, mais le gosier de Ssaadjith était un peu petit pour le moment pour qu’il y plonge la main et aille chercher ce qu’il aurait mangé de nocif. C’était froidement pensé mais il n’avait aucune gêne à cela. “Cela protège mon navire, un peu comme tes écailles te protègent. Elle a été faite par magie, comme mes yeux. Viens, allons aux cuisines, je vais préparer une collation… divine” Avec un clin d’oeil, il l’invita à sortir avec lui. Sur le chemin des cuisines, les marins s’inclinaient profondément devant eux, touchant leurs lèvres puis leurs armes en signe de respect. Avec tranquillité, l’immaculé demanda aux officiants des cuisines de libérer le lieu, afin qu’il puisse continuer de converser librement avec le dragon.

Bien, voyons voir…” Il commença à préparer son plan de travail et ses outils, se nettoya les mains. “Mon père est le bipède qui dirige cette ville. Je ne pense pas qu’il soit particulièrement grognon mais il a ses humeurs. Il est très ambitieux et parfois pas très réaliste…mais c’est un dirigeant motivé. Il est lié à une dracène, d’ailleurs” Observant les morceaux de viande, il décida d’en sélectionner plusieurs afin d’offrir le meilleur possible pour cette dégustation. Si réellement Ssaadjith n’avait pas eu l’occasion de goûter autre chose que du poisson, c’était presque un devoir sacré à ce stade. Le poisson c’était bien beau mais ne manger que cela ? Ce devait être monotone, au bout d’un moment, alors que le goût avait tant à offrir pour procurer du plaisir. L’art de la nourriture était une passion coupable, et il mettait énormément d’efforts à être un hôte parfait quelle que soit la circonstance. “[color=#417D80]Tu es le premier dragon avec qui je discute réellement. Et le premier que j’accueille sur mon bâtiment” Son sourire revint, en coin “Même si tu n’es pas un Dieu, je suis excessivement honoré de t’avoir à bord. Tu restes un être exceptionnel…

Il se concentra sur la préparation, mais savait faire deux choses en même temps, aussi discuter n’était pas un problème tant qu’il gardait les yeux sur sa lame. “Tu m’émerveilles quand même. J’ai grandis avec des histoires sur les dragons et la magie, mais les histoires s’attachent à des détails souvent grossiers.” Il hésita, pondéra, puis secoua légèrement la tête en poursuivant son oeuvre “Non peut-être n’est-ce pas le bon mot. Disons, des détails globaux, sans recherche. Le fait que vous ayez des écailles très résistantes et brillantes, que vous crachez du feu et que vous étiez forts, que vous volez… Mais ce sont des détails qui sont faits pour l’admiration passagère. On dit ‘oh’ sur le moment mais c’est sans profondeur. Les ballades épiques ne font pas mention de la grâce et de la prédation d’une silhouette draconique, des nuances moirées ou irisées des écailles, des dégradés subtiles dans les couleurs, des différences dans la forme des cornes… ou de comment est la sensation quand un dragon parle dans l’esprit d’un bipède” La flamme dansa pour la cuisson et une odeur délicieuse commença à envahir la pièce. “On dit aussi que les dragons deviennent des étoiles, quand ils meurent. Et qu’ils brillent à tout jamais dans le ciel

Détachant son regard un bref instant, il observa le jeune dragon. “Sais-tu si c’est vrai ?” Il retourna surveiller la cuisson “En tout cas, il est certainement plus à la portée d’un dragon de devenir un Dieu qu’à celle d’un bipède

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    Il était surpris, le dragonnet curieux, que les bipèdes ne soient pas aussi vicieux qu’on les avait dépeint. L’immaculé se montrait accueillant et n’avait pas même cherché à lui faire du chantage au sujet de son père. Il aurait pu en tirer profit mais ne l’avait fait. Etait-il alors plus vicié encore en essayant de se montrer aussi doux qu’un agneau pour mieux le poignarder ensuite ou était-il vraiment sincère à son égard ? Il ne sentait rien de néfaste à son encontre, dans l’esprit du dévot. Peut-être pouvait-il lui faire véritable confiance ? Son père lui avait pourtant dit maintes fois de se méfier. Qu’importe ! Ce fut vite chassé de son esprit quand Teotl lui confirma qu’il pouvait le voir et c’était parfait ! Car il aurait été fort dommage qu’il ne puisse poser les yeux sur l’être magnifiquement merveilleux qu’il était. Il serait passé à côté de quelque chose, et Ssaadjith aurait trouvé cela si tragique qu’il aurait cherché un moyen de contrevenir à cette infortune.

    Le saurien fit néanmoins de gros yeux lorsque le bipède devant lui lui proposa de cuisiner ses congénères. Il avait manqué quelque chose ou c’était une situation effectivement anormale ? Il n’aurait lui même jamais eu l’idée de manger un de ses semblables ! Non pas que la viande n’eut été exécrable, mais… Son sens de la logique lui signalait que l’ordre des choses étaient de se repaître de créatures inférieures dans la chaîne alimentaire, et cela faisait déjà un sacré paquet de viandes. Non pas d’égales. Ses yeux écarquillés avaient du suffisamment cligner d’incompréhension pour que Teotl entame finalement de lui expliquer le pourquoi du comment. « Hm. » Cela faisait du sens, bien que cela soit étrange tout autant à ses yeux. Cela était une sorte de prix à payer pour être élu du vautour. C’était redondant comme pour tout chose bonne il y avait un prix à payer. Son père lui avait appris celui du Lien.

    Pensif, il finit toutefois par répondre : « De l’elfe, Teotl, cela me plairait. » Les elfes étaient rares, leur viande d’autant plus rare par conséquent. Qu’on lui fasse choisir entre le plat le plus ignoble et le plat de plus délicieux, Ssaadjith choisirait toujours celui qui est le plus rare. Il pensait aussi que tout aliment pouvait être bon, à sa manière. Cela dépendait des goûts de chacun et si lui, avait le goût de la rareté, alors cela lui plairait. Il l’avait suivi, dans ces cuisines, observant ses doigts fin traiter la viandes avec un soin… Artistique ? Il n’avait pas de meilleur mot. Teotl avait l’air d’un virtuose au geste précis et assuré qui ne souffrait d’aucune fausse note dans l’harmonie. C’était hypnotisant, d’une certaine manière. Il comprenait, au moins un peu, pourquoi sa grand-mère Skade avait par deux fois accepté de croire en ces bipèdes. Lui-même était envoûté par cette ambiance de créativité.

    Oh ! Et la mélodie de ses mots ! Qu’il lui dise encore qu’il était exceptionnel… Qu’il lui fasse de bons petits plats… Qu’il lui susurre cette admiration qu’il aimait tant et tant recevoir ! Lentement, il pencha la tête sur le côté, songeur, suivant ses gestes avec appréciation. Il avait grimpé sur une chaise et avait posé ses pattes avant sur le plan de travail, dressant son corps pour pouvoir apprécier le ballet des chairs. La question, au sujet des étoiles, attira son attention plus particulièrement. Il adorait les étoiles et puisa la réponse à sa question dans la mémoire draconique. Il fut fasciné de savoir qu’un jour, son merveilleux rêve d’être une étoile se réaliserait, une façon ou d’une autre. A la fin de sa vie, il s’élèverait vers les cieux pour devenir une constellation. Mais cette réalité le frappa de plein fouet. Si son rêve ne s’atteignait que par la mort… Est-ce que cela était le signe que c’était la mort qu’il désirait ? Avait-il été effrayé à ce point, de finir seul pour qu’il ait envie, somme toute, de… Mourir ?

    Il baissa la tête, perdu : « Je… Crois bien que oui. » Et cela le rendait profondément triste. Il était si jeune, pourquoi aspirait-il donc tant à mourir ? A être cette étoile ? Pourquoi sa famille ne lui avait jamais dit ? Avaient-ils compris que sous ce rêve magnifique dont il parlait à toute heure du jour de la nuit, se cachait une vérité plus noire de sens, inconsciemment ? Sa gorge se serra. « Mais je… Depuis que ma conscience s’est éveillée, dans l’œuf, je rêve d’être une étoile… C’est troublant de l’associer à l’idée que nous devenons étoile en mourant, n’est-ce pas ? » Sur l’instant, il s’en senti gêné, son regard coulant vers les flammes où mijotait la viande préparée un peu plus tôt. « As-tu déjà mangé du dragon ? » Il se disait que leur sang était maudit. L’homme devant lui ne lui semblait pas être maudit. Rien de cette magie n’émanait de lui. Il secoua la tête de gauche à droite. « Me mangerais-tu, si tu le pouvais ? » Il observa le plat sur le feu. Sa chair pouvait-elle cuire de la même manière ? Deviendrait-il une étoile ainsi ? Son rêve était soudain à portée de mains. C’était à la fois enivrant et profondément perturbant.

    Elothep émergea de son corps pour le frotter entre les cornes d'un de ses tentacules, en soutien.

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De toute évidence, en plus d’être la première fois qu’il rencontrait vraiment un dragon, c’était la première fois qu’il en traumatisait un aussi. Conséquence imprévue de ses paroles s’il en est. Et fort dommageable au demeurant. Son regard glissa de nouveau vers la forme souple du dragonnet, se demandant comment lui changer les idées pour dissiper de sa voix mentale ce ton sombre et hésitant, et ces pensées autrement macabres. “Non, je n’ai jamais mangé un dragon et ne le ferais pas même si ma vie en dépendait. Vous êtes des êtres sacrés.” L’idée ne lui était même pas venue, en vérité et il en était sincèrement surpris. D’un mouvement d’épaules il chassa la sensation désagréable venue se loger dans sa nuque par réflexe. Un dragon était une création des déesses, un être permettant au monde d’être riche de vie, un dragon contribuait à offrir le don des déesses à tous. Quel sorte d’hérétique serait-il ? Quel sorte d’immonde criminel pour attenter à l’intégrité du cycle naturel dans sa totalité ? Un dragon était un chasseur inégalé, incarnation de la perfection naturelle. Jamais il ne serait aussi efficace ou aussi gracieux que ces prédateurs célestes. “Vous transformez la magie des déesses en vie pour nous et toute chose ici bas. Je vénère le don qu’elles ont fait à notre monde, vous manger serait… aller contre tout cela, contre leur don, contre le monde…” Non, il ne pouvait pas l’envisager. Et ceux qui lèveraient une arme contre les dragons s’affirmeraient ses ennemies mortels. Soupirant, il l’observa, de nouveau, et décida rapidement sur la suite.

Regarde” Il prit la tranche de viande d’elfe crue et une lame de cuisine, découpa une fine lamelle puis prit un flacon d’huile d’olive dont il versa un très fin filet sur la tranche, déposée sur une assiette. Une seconde lamelle fut peinte d’une fine couche d’une sauce plus noire composée à base de racines, une troisième fut ornée d’une toute petite bille de pâte verte piquante et la dernière fut saupoudrée de fines herbes et ornée de baies roses acidulées. “Il y a plusieurs façons d’apprécier une viande. La viande d’elfe est très délicate et possède un goût subtile. Elle est aussi plus ‘propre’ que la viande humaine car moins sujette aux vers. Cependant, elle dispose d’une essence plus faible, moins prégnante. Elle peut être dégustée cuite, ou crue. Ainsi tu pourras en voir toute l’étendue” La nourriture était une très bonne façon de consoler une âme en peine, après tout. Si cela marchait pour eux alors pourquoi pas pour un dragon ? Qu’il soit une créature supérieure ne lui interdisait pas le réconfort par l’estomac. “Et dis-moi, qu’est-ce que cette créature qui t’accompagne ?” Son apparence la rendait unique en son genre et il avait été surpris de la voir apparaître. Elle semblait très affectueuse envers le jeune dragon. Faisait-elle partie des merveilles de l’Archipel ou était-ce la magie du dragon ? “Je n’en ai jamais vu de pareilles” Il avait vu plusieurs des créatures des îles mais pas toutes. Peut-être celle-ci se trouvait-elle originellement sur Nyn-Tiamat. Il vérifia la cuisson, sortit sa poêle du feu pour ne pas trop cuire la viande et ajouta l’assaisonnement.

Tu sais, peut-être que ton rêve d’être une étoile est une métaphore. Chez les bipèdes ont dit d’une personne admirée et ayant de l’influence qu’elle est une étoile. Peut-être que c’est tout et qu’il ne faut pas s’en faire. C’est troublant, très certainement, mais je doute cela soit réellement inquiétant. Bien sûr, je ne suis qu’un bipède, pas un dragon…” Il touilla quelques secondes la préparation puis plaça la viande fumante sur une autre assiette et fit également cuire des légumes. “Certains bipèdes pensent que les dragons ont été choisis par les Déesses pour être nos guides, à nous les races enfants. Peut-être est-ce aussi cette vocation qui te guide ?” Il sortit les légumes du feu, cuits mais croquants, et les versa dans l’assiette. La viande était saisie, encore fondante à coeur, croustillante sur l’extérieur et les légumes avaient captés la sauce noire pour s’en gorger. Il l’observa un bref instant puis sortit un bol et lui versa également une liqueur de riz, forte mais en petite quantité, fraîche, puis trancher dans la richesse chaude du plat principal. “Et voilà. Bien entendu, je n’ai pas réalisé un met de cérémonie car cela prendrait tant de temps que je craindrais de t’affamer. Je pourrais néanmoins le faire ce soir si tu m’honore encore de ta présence. J’espère néanmoins que cela conviendra à tes papilles. Attention avec la liqueur, elle est forte en alcool” Il ne voulait pas l’enivrer non plus. “Ton compagnon lumineux veut manger aussi ?

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    Malgré le trouble, le dragonnet ne put qu'être flatté par l’appellation ''êtres sacrés'' dont sa race bénéficiait de la bouche de ce bipède. Il se demandait vraiment pourquoi Verith était si résolument résigné au sujet de ces créatures : certaines savaient où étaient leur place et où était celle des dragons. Tout n'était peut-être pas bon à jeter, au fond. Sa foi le formait et le protégeait du pêcher cupide. Elle éloignait l'envie de manger un dragon comme il mangeait les autres chairs. Progressivement, le saurien se faisait à l'idée qu'il ne craignait rien avec ce Teotl. Son père lui hurlerait de garder une vigilance constante, que ses charmes et doux mots ne faisaient qu'endormir le prédateur qu'il était pour mieux l'avoir sournoisement sous sa coupe. Peut-être était-ce vrai : cela s'appelait l'amitié. On pouvait faire des choses folles par amitié. Devait-il alors s'en priver ? Le monde était si vaste et pourtant, coincé ici, il n'y avait guère beaucoup de dragons à qui faire la causette. Passées ses premières années, il finirait par tourner en rond, comme pris au piège dans un monde trop confiné pour son épanouissement.

    Ssaadjith posa son menton contre le plan de travail observa avec attention les tranches de viandes être agrémentées d'une préparation chacune, différente et intrigante. L'odeur était subtilement relevée et la disposition presque savante tant tout semblait être fait avec une précision maladive. De l'huile, des algues, des plantes, des baies. Les associations étaient prometteuses. Crue ou cuite ? Il craignait de préférer la cuite, en vérité, là où la crue lui serait plus accessible, dans la nature. Pourrait-il faire cuire la viande comme les bipèdes ? Lorsqu'il saurait cracher du feu convenablement, il pourrait tout au plus les braiser. Ou alors retrouver le bipède Teotl et lui réclamer ses services. Quoiqu'il en soit, le voir cuisiner capta son attention entière. Loin d'oublier totalement ses sombres pensées, l'activité avait le don d'éloigner le poids morose quelques instants. « C'est Elothep et c'est moi qui l'ai créé, tout seul. Il est normal que tu n'en aies pas vu d'autres. Je suis unique, alors je crée des choses encore plus uniques. C'est mon ami, avec lui je ne suis jamais seul. » Il était extrêmement fier de sa création, il frotta son museau à la forme semi-tangible pour manifester son affection.

    Être une étoile, avoir peur d'être seul, avait-il trouvé le divan d'un psychologue ? Teotl avait cette faculté de délier sa langue, était-ce alors cela le pouvoir sournois des bipèdes que son père craignaient tant ? Avec leurs mots, ils savaient tant et tant ouvrir des portes, ou bien était-ce spécifique à ce bipède là ? Il l'observait assaisonner la viande : « Je crois que c'est d'avantage la vocation de mon jumeau, de guider les bipèdes. Père dit qu'il ne s'agit pas de notre travail de nous occuper des échecs des Déesses. » Il haussa ses épaules écailleuses, s'ébrouant : « Je ne veux pas guider les bipèdes. Ce serait trop coûteux en énergie pour le peu de bénéfices à en tirer. En plus de mettre mon père en colère. Je veux seulement qu'ils m'admirent car je suis magnifique. » souffla-t-il sans la moindre crainte. Il chassa les sombres pensées de sa tête lorsqu'il fut enfin autorisé à manger. A regarder toute cette nourriture, il en salivait presque. Il goûta à une pièce cru, puis une cuite, savourant tout le fondant et les saveurs de chacune d'elles.

    « Tu es un artiste de la nourriture ? » demanda-t-il enfin manquant de tomber du tabouret où il était juché tant il se trémoussait. « Elothep ne mange pas, il vit en moi, avec moi. C'est une part de moi. » Il goûta une nouvelle pièce délicieuse et le piquant de ce morceaux lui monta à la truffe. Ses yeux s'humidifièrent. Et il tira la langue hors de sa gueule : « Ça pique ! » Il se crispa, ferma les yeux... Puis cela passa, avec un peu de temps. Il resta à cligner des yeux et à nettoyer sa langue avec sa salive pour la libérer de la douleur latente. Il dégusta le reste à grand renfort de ''mhhh', de ''miam'' et de ''grmhnomnom'' avant de se laisser choir de son tabouret et de rouler sur le dos, son ventre gonflé arrondissant sa silhouette comme une barrique. La liqueur un peu forte, il disait... Il n'aurait peut-être pas du en voir trop d'un coup.

    Il chercha de se relever, chancela... A moins que le navire tanguait ? Il fit quelques pas, revint en arrière, Elothep essaya de le soutenir pour qu'il ne chavire pas sur le côté. Mais l’inévitable était la destinée, il se prit le coin de la porte et fut assommé. Il se releva, encore plus chancelant qu'avant, eut un hoquet, sortit de la pièce. On entendit plusieurs ''clonk'' et ''pouf'' suivi d'un ''j'vais bien-aïe !'' et enfin, un dernier bruit sourd dans un fracas de ferraille : visiblement, il avait trouvé une placard de casseroles et s'était fourré dedans pour dormir et cuver.

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