16 Août 1763, 14h.
Quelque part entre Khokattaan et Paadshail.
Quelque part entre Khokattaan et Paadshail.
"Le soleil commence à entamer sa descente et le Sslengar1 n'est toujours pas remonté. Il faut croire qu'il lui est plus difficile de trouver des algues que de goûter à ma cuisine. Pour un peu, je me vexerai… Mais qui suis-je pour remettre en question le régime d'un envoyé des Esprits ? J'espère juste qu'il va bientôt revenir… j'ai peur qu'uneignobleaffreusemaudite.... mystérieuse créature marine ne m'attaque…"
Reposant son crayon, Jangali regarda ses ratures et soupira, dépité. Au cours des derniers mois, il avait été surpris de sa soudaine notoriété. Si au début il avait su rester humble, arguant qu'il n'avait agi que pour la gloire et l'honneur de son peuple, le Gourmet s'était peu à peu senti gonfler d'orgueil, au point où il s'était mit en tête de garder par écrit le récit de sa légende. Mais, si sa motivation s'était enflammée comme de l'huile sur du feu, il avait bien vite déchanté quand il s'était rendu compte qu'écrire une épopée était bien différente qu'écrire un recueil de cuisine… et qu'il était sacrément nul. Un instant, il revis l'image mentale de Purnendu, un sourire moqueur sur les babines. Bien que tout à fait légitime, cette vision lui tira une grimace boudeuse et d'un geste sec, il fourra le carnet et le crayon dans les méandres de sa sacoche.
Soupirant de nouveau, de tristesse cette fois-ci, ses oreilles s'aplatirent sur son crâne comme deux chaussettes malodorantes de sans-poil. Le graärh cendré lui manquait. Il avait grand hâte de le retrouver lui, et leurs graärhons. Normalement, Jangali aurait dû être plus qu'heureux de retrouver sa boule de poils et sa progéniture mais …
Bien qu'ayant résolument décidé à vaincre sa frayeur des profondeurs, il subsistait encore en lui une peur déraisonnée, chamboulant toutes ses émotions du moment qu'il était entouré d'une étendue d'eau à perte de vue. Tout comme il savait que son mâle était bien plus intelligent que lui, il savait que jamais, au grand jamais, il n'arriverait totalement à s'accomoder à la mer intérieure de l'Archipel. La Gerridae lui en était témoin, il faisait preuve pourtant d'une grande volonté ! Il avait entreprit de voyager intégralement sur le dos du Sslengar -avant les tumultueuses moussons de Néthéril- malgré sa proximité outrageuse de l'élément aqueux… Toujours était-il qu'il n'en menait pas large -ou au large ?- et fort heureusement, il pouvait compter sur la présence réconfortante des Chuchus2. Formant un véritable radeau vivant, ces adorables et mystérieuses créatures flottaient et portaient Jangali avec une facilité déconcertante. Invoqués par leur maître, les bestioles gélatineuses avaient été depuis longtemps, de mémoire de graärh, sujettes à bon nombres de théorie et Jangali imaginait très bien les regards étonnés de ses pairs si un jour lui venait la facétie de leur expliquer leur véritable origine.
Tenant à bout de bras un spécimen particulièrement adorable, le chasseur retrouva finalement le sourire, celui du chuchu étant tout simplement contagieux. Le temps était clément et ils n'étaient plus qu'à quelques jours d'arrivée en vue des côtes de Paadshail… qu'est-ce qu'il pouvait lui arriver de mauvais au final ?
GRUIIIK !
Manquant d'écrabouiller le chuchu entre ses mains, Jangali bondit soudainement sur ses pieds et jeta un regard inquiet/concentré/alarmé à la bête de légende. Par les écailles de l'Affamé ! Il s'était laissé allé à naïvement croire que l'Archipel n'essaierai pas de lui croquer un morceau ! Tous les sens en alerte, il dégaina la Lame Régicide et se préparait mentalement à au combat. La chose qui poursuivait le Sslengar, au point de faire battre en retraite l'une des plus puissantes créatures de son île natale… devait être particulièrement impressionnante…
Dégglutinant difficilement, la voix et les flammes de son arme l'empéchèrent cependant de céder à la peur. Quels qu'étaient les obstacles sur sa route, il pouvait compter sur le symbole de l'Affamée pour l'aider à tailler son chemin dans l'adversité. Toute les eaux et mers du monde ne sauraient vaincre le légendaire Gourmet !
Et puis soudain… il l'entendit, elle. Bien différente et bien plus puissante que la conscience qu'elle avait fait naître dans l'épée qu'il brandissait avec fierté, il ne pouvait la confondre entre mille. Cette impétuosité qui déferlait dans son esprit ne pouvait appartenir qu'à une seule et unique créature…
-Je vous salue Grande Dévoreuse ! Puisse vos ailes semer la mort et vos griffes nourrir votre Appétit !
Comme il convenait à son rang, Jangali était descendu de son radeau mouvant et avait posé un genou sur la surface de l'eau et baissé la tête. Adjoignant un respectable et respectueux ronronnement, il finit par plonger son regard céruléen dans celui de son adorée. En son coeur et esprit, le soulagement avait prit place sur tout le reste. Il était sincèrement content que c'était la saurienne qui avait émergé des eaux, et non pas un monstre marin…
Mourant d'envie de communiquer avec la chasseresse ultime, il s'efforçait de contenir son enthousiasme, qui ne pouvait empêcher sa queue de fouetter l'air. Le Sslengar, lui, restait à bonne distance de la saurienne. À n'en pas douter, il avait très mal pris d'avoir été pris pour une proie. Cependant, depuis le temps maintenant qu'il traînait avec Jangali, il s'était pris d'affection pour le chasseur et la menace que représentait la dragonne l'empêchaient de fuir et il attendait, les nageoires tendues et l'ordre aux chuchus de le défendre sur le bout du groin.
1voir inventaire de Janga
2voir bestiaire de Nethéril