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descriptionDevant l'oeil éternel [Ilhan] EmptyDevant l'oeil éternel [Ilhan]

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2 Septembre 1763, Cabine du capitaine, Athgalan


La surface vitrée, renforcée par la magie de la forge-arcane, soutenait parfaitement la table en cèdre massif placée en son centre, là où les corps les plus sombres formaient la pupille fixe et profonde. Un main posée sur la surface laquée, l’immaculé observait le rendu final de son oeuvre avec un sentiment d’adéquation. Cela offrait exactement l’impression à laquelle il s’était attendu. Sous lui, l’oeil immense observait, silencieux, immobile, alerte. Les miroirs subtilement disposés sous la structure des corps permettait à l’iris de scintiller ou de luire, comme dotée d’une vie propre. Intérieurement, il était extrêmement fier de sa réussite. Toute l’infinie patience et la rigueur qu’il avait mit dans ce projet avaient aboutis à une oeuvre dont il pouvait présenter l’existence sans crainte, conforté dans l’accomplissement de son souhait. Des hauteurs du bâtiment, le dessin de l’iris se verrait mieux, mais d’ici, de la table du conseil des capitaines, la sensation du regard était plus intense, transformant toute la structure en une expérience unique à la fois visuelle et psychologique. Seul dans le hauban de lumière provenant du plafond, Teotl savourait toutes les nuances d’impressions que laissait l’immense incrustation occulaire occupant l'entièreté du sol de la grande salle. Retirant sa main de la table du conseil, il marcha lentement, longuement, sans que ses pas produisent le moindr bruit, l’avance feutrée dans l’immense oculus. D’autres pas se firent entendre, progressivement, deux rythmes différents mais non hâtés, deux individus, l’un plus lourd que l’autre.

Bienvenue, Seigneur

Il reconnaissait l’odeur de son invité et se tourna sans hâte vers lui avant de s’incliner avec une élégance choisie, dans le style althaïen, avec un ployé de la jambe juste ce qu’il fallait. Congédiant le garde lui ayant amené le diplomate, Teotl se prit à observer celui-ci quelques instants, avec force critique, cherchant à savoir si ses instructions sur la façon dont il devait être traité avaient été suivies ou non. Et malheur si ce n’était point le cas. Une fois assuré que l’humain allait aussi bien que possible, il retourna à la contemplation de sa gloire éphémère, la lui désignant en un geste nonchalant qui contrastait avec tout le panache artistique qu’il retirait de présenter enfin son oeuvre en sa pleine lumière, sa pleine existence. Lorsque sa voix glissa de nouveau dans la demi pénombre des lieux, ce fut avec la douceur de la soie sur la peau, se fondant dans le calme ambiant en si violent contraste avec l'extérieur, paisible, contemplative, humblement appréciatrice et pourtant sagement détachée.

L’oeil du monarque des océans. L’oeil qui ne cille jamais, ne s’épuise jamais. Contemplant les capitaines en leurs décisions et soupesant leur loyauté, capable de sentir chaque vacillement, chaque tremblement, chaque incertitude... Un oeil immortel ne pouvait être aveuglé, ne pouvant être occulté

S’interrompant, il ferma les yeux et laissa la sensation de ce savoir, la pression psychologique du regard sous lui envahir son corps tout entier. Il la laissa étriller ses nerfs, tendre ses muscles, avant de l’évacuer d’un seul soupire. Lui ne craignait pas ce regard puissant car il n’avait rien à cacher à son père. Nathaniel l’avait accepté et reconnu comme son héritier légitime, avait montré de la fierté à ses actes, et tout cela représentait un trésor inestimable qu’il ne voulait en aucun cas perdre. C’était tout ce qu’il avait toujours voulu et Nathaniel le savait parfaitement. Il en jouait. Et Teotl se fichait qu’il en joue. Non, en vérité il aimait qu’il en joue car cela signifiait qu’il appréciait ses capacités à leur juste valeur. Et si le regard de quiconque comptait… c’était le sien. Aucun autre ne comptait de la même façon, même s’il se prenait à considérer celui de son présent invité avec sérieux. Non comme celui de son père, mais la qualité de l’homme prévalant, il n’était pas illogique de le considérer.

Comment s’est passé l’entrevue avec mon père ?

Qu’il était doux de prononcer de tels mots. Tant et tant qu’il ne notait pas même sa propre candeur en cette question. Il était réellement et profondément intéressé et inquiet de savoir la tenue de leur rencontre, autant pour le bien-être de son invité que pour la satisfaction de son père. Un souffle vint ponctuer l’interrogation, le silence s’ourlant sur plusieurs battements de coeur avant qu’il ne se tourne de nouveau vers l’althaïen, venant plonger son regard dans le sien en une silencieuse retenue, l’empêchant de se désister malgré tout le respect qu’il pouvait lui montrer.

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Mal. Il avait mal. Dans son corps, et dans son âme. Il se força toutefois à se relever doucement quand un garde vint le chercher.

Mal. Tout son corps lui criait son agonie, celle de l’affliction qui le touchait et l’emporterait sans doute bientôt, mais aussi celle de la veille. Pourtant il retint tout rictus qui aurait pu le trahir. Il avait bien trop cédé déjà la veille, hors de question qu’il concède une quelconque victoire à ces scélérats.

Mal. Son âme, son esprit, hurlait sa tourmente, celle de sa nouvelle souillure. Souillure de l’âme dans le plaisir du corps. Si son esprit n’avait pas cédé, son corps, lui, l’avait fait. Traitre et faible corps qu’il était. Il se sentait alors avili de s’être laissé aller aux affres des sens. Oh, son âme avait hurlé sa rage quand son corps avait ronronné de volupté même sous l’outrage. Mais ces cris avaient résonné dans son esprit, sans trouver un écho suffisant pour raisonner sa chair et en reprendre le contrôle.

Mal, oui. Et pourtant, il se drapa de toute sa dignité écornée, pour suivre le garde. On l’avait mandé, disait-on. On refusa d’en dire plus toutefois, Ilhan se tut donc et suivit dans un silence dédaigneux. Finalement, on le fit entrer dans une salle qu’il n’avait encore jamais visitée, et son regard sombre happa de suite la fine silhouette de l’immaculé. En son coeur, même si cet être était plus fourbe que son père, il ne put que ressentir un certain soulagement. Car aussi fourbe soit-il, au moins il ne l’avait pas touché. Au moins sur ce plan-là, l’avait-il respecté.

Pour tout avouer, il l’avait respecté, choyé, sur bien des plans. Les seuls forfaits que l’althaïen pouvait, pour le moment, lui reprocher étaient de l’avoir kidnappé, d’avoir tué ses compagnons délimariens et de les lui avoir servis en repas, d'avoir voulu partager son plaisir, ou son besoin, du cannibalisme sans son consentement. Pour le reste… Tout n’avait été que raffinerie, élégance, éducation digne des plus nobles, respect et considération… Il aurait même pu parler d’une réelle attention à son égard.

Ilhan répondit alors à son salut d’un élégant signe de tête, tel un noble saluant l’un de ses féodaux, mais avec respect et considération. Il avait bien trop mal pour se permettre une quelconque révérence, et n’en avait de toute façon aucune envie. Alors que la voix résonnait encore contre les hauts murs de la salle, le spirite du dauphin observa enfin la salle, majestueuse, qui l’accueillait. Signe qu’il était fatigué : en d’autres temps, la première chose qu’il aurait faite aurait été de faire le tour de la salle du regard pour en visualiser tous les recoins traitres, toutes les sorties ou entrées, toutes les issues possibles… Était-ce par esprit de fatalité et de défaitisme qu’il se laissait ainsi voguer au gré des sbires qui le retenaient ? Ou était-ce simplement par un excès de lassitude ?

Mais aussitôt, ses pensées futiles furent chassées par ce qu’il aperçut. Ce grand œil. Cet œil unique, magistral, presque inique, qui au sol vous sondait. Cet œil immense avait beau être à vos pieds, il trônait dans la salle en toute majesté, comme pour faire ployer les esprits faibles à sa volonté. "Contemplant les capitaines en leurs décisions"… Ainsi étaient-ils dans la salle du Conseil des capitaines ? En voilà un honneur d’être invité en une telle salle ! Un œil immortel ne pouvait-il être aveuglé ? Ilhan n’en était pas si sûr. Tout dépendait de quel œil on parlait.. Il y avait bien des créatures immortelles en ce monde, les vampires notamment. Et pour autant, bon nombre d’entre eux lui semblaient fort aveuglés, comme nombre de leurs paires d’autres races. Peut-être comptait-il lui-même dans le nombre des aveugles qu’il dénigrait en cet instant.

Mais le jeune Eärendil parlait en cet instant d’un tout autre œil, assurément. De l’oeil de l’océan, de la Déesse Océan, sans doute. Et soudain l’immaculé lui apparut sous une tout autre facette. S’il conservait toujours son élégance et son charisme naturels, qui auraient fait chavirer bien des esprits même les plus forts, il brillait soudain d’une toute autre aura. D’une aura qu’il avait déjà observée à maintes reprises dans d’autres lieux… À Gloria, auprès des almaréens, quand ils parlaient de leur Dieu Unique Néant… ou même à Delimar, auprès de certains glacernois, quand il parlait art de la guerre et honneur… Oui, c’était là la même force qui irradiait de sa personne. La force du fanatisme. La force d’une dévotion qui dépassait les consciences et toute compréhension du commun des mortels. Sous cette révélation, Ilhan peina à réprimer un frisson et préféra détourner son regard de l’immaculé pour retourner à la contemplation de l’oeuvre qu’il lui montrait. Une œuvre qui était sans doute sienne, songea-t-il. S’il ne l’avait réalisée de ses mains, assurément l’idée de la conception venait de lui en tout cas.

Et c’est alors qu’un "détail" happa son regard. Parmi tout ce raffinement et ce travail d’orfèvre, cette magnificence qui palpitait presque de vie, les parties sombres formant la pupille miroitaient sous la lumière. Et révélaient à un œil plus attentif, leur potentielle véritable nature. Était-ce… ? Non, quand même pas ! Ce ne pouvait être… et pourtant, tout portait à croire qu’il s’agissait de peau. Les parties composant cette pupille sombre et intimidante avaient tous les aspects de peau, mais comme dépourvus de ce côté bestial que les peaux de bêtes gardaient en elles, jusque dans leur forme. Non, là, ces peaux, nues, semblaient… bien trop lisses pour êtres honnêtes. Bien trop…

Un frisson cette fois lui échappa, au souvenir de leur tout premier soir, leur tout premier diner, et des sombres révélations qui en avaient terni tous les attraits. Ilhan peina à décrocher son regard de ce spectacle soudain horrifique, et dut forger sa volonté pour relever ses orbes de jais sur son hôte.

Et la question qui suivit le figea plus encore. Comment son entrevue avec le roi des pirates s’était-elle passée ? Était-ce une réelle question ? Ou pure rhétorique ? Non, au regard que Nayan lui offrit alors qu’il se tournait de nouveau vers lui, et au ton empreint de réelle sincérité, la question n’était pas que politesse formelle. L’immaculé attendait une réponse. Était-il donc si… naïf ? Non, un tel adjectif lui seyait bien mal.

Ilhan glissa alors ses obsidiennes tout le long de la silhouette élancée, comme la sculptant du regard, dans l'expectative, avant de les laisser lentement remonter, par le même trajet, jusqu’aux gemmes qui le sondaient.

Comment pensez-vous qu’elle ait pu se passer ? susurra-t-il en articulant chaque mot.

Comme pour marquer l’ineptie de la question que lui offrait l’immaculé.

Comment pensez-vous que votre…. père… se soit comporté envers le… cadeau… que vous lui avez offert ?

Il détestait ce mot cadeau, qui lui faisait bien trop penser au fait de n’être, en ce lieu, entre ces mains, qu’un objet dont on pouvait disposer. Un objet qui n’avait pas même le pouvoir de se dérober, quand bien même il pouvait tenter de résister. Il laissa son coeur battant à tout rompre résonner en son sein, comme rugissant pour lui toute sa colère, toute son humiliation, et transperça l’autre d’un regard de braise.

Il se surprit alors à comparer le père et le fils. Tant de ressemblances… et pourtant tant de dissemblances. Étrange comme ces deux êtres de même parenté se faisaient miroir sur bien des aspects, tout en montrant des particularités totalement opposées… Tous deux étaient bénis d’une certaine beauté, et d’un charisme indéniable. Mais là où le fils brillait de son élégance et de son raffinement, son père se jouait de brutalité bestiale. Tous deux avaient un esprit d’une intelligence incontestable et d’une perversité à toute épreuve. Mais là où le père n’était que perversion des sens et de la chair, et d’une intelligence brute et martiale, le fils était bien plus redoutable dans sa fourberie tout en délicatesse attentionnée et en finesse perfectionnée, et son éducation digne d’un noble lui octroyait, aux yeux de l’althaïen du moins, des attraits bien plus séduisant et captivant. Non, réellement, des deux, Ilhan ne pouvait nier nourrir une certaine préférence pour le fils.

Quand bien même… Le fils ferait un roi des pirates bien plus redoutable peut-être que le père. Car bien plus imprévisible, bien plus insaisissable. À cette soudaine constatation, tous les beaux rêves de vengeance et d’assassinat dans l’ombre qu’il avait pu nourrir toute cette nuit durant contre le forban de Nathaniel, après tous les forfaits qu’il avait dû subir, moururent dans l’oeuf. Le tuer serait peut-être laisser la place à pire encore. Plus redoutable. Stratégiquement parlant, pour le bien commun, mieux valait laisser ce maudit roi des pirates vivant, en place, là où il était… et éviter que son héritier ne prenne le trône. Taire son propre orgueil, son propre intérêt viscéral… pour le plus grand bien. Cette constatation et cette résolution furent un deuil difficile à assumer soudain.

Ilhan ne put alors en supporter le poids plus longtemps et détourna alors le regard, sentant des ondes meurtrières monter en lui, mêlées de honte et de coupable humiliation. Malheureusement, son regard tomba sur la sombre pupille et il lutta pour ne pas fermer les yeux à cette vision-là.

Le grand oeil est toujours attentif, répondit-il à la place d’une voix lente et posée.

Aux accents calculés.

Une œuvre magnifique et raffinée, à n’en pas douter. Est-ce vous-même qui l’avez réalisée ? Et de quelle matière est-elle donc composée ? J’ai l’impression…

Mais il laissa mourir les mots dans l’air, incapable de les prononcer lui-même. Il n’était d’ailleurs pas bien sûr d’en vouloir la révélation, à bien y penser. Pourquoi donc avait-il posé la question ? se fustigea-t-il mentalement.

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Il l’observa sans éprouver de gêne sous le regard courroucé qu’on lui dédiait, se contentant d’un très léger mouvement de la tête vers l’avant, expectatif. Et bien s’il le lui demandait, c’était qu’il ne formulait nulle hypothèse, non ? A vrai dire, il la notion selon laquelle l’entrevue pourrait, ou non, bien se passer, dépendait sans doute de la personne interrogée et pourrait ainsi varier en teneur en fonction des deux individus qui en étaient le coeur. Il ne doutait pas, à la vue de ces mires sombres, que son père avait obtenu ce qu’il désirait et peut-être même un peu plus. Voilà qui rentabilisait convenablement l’avoir ôté à ses devoirs.

Je vous ai froissé semble-t-il Monseigneur, vous m’en voyez contrit

Cela ne répondait pas à la question de l’althaïen, évidemment mais la réponse ne ferait que le froisser davantage, sans doute. La simple vérité était que Nathaniel était roi, ce n’était pas sa place, en tant que son héritier, de présumer de la façon dont il conduirait son entrevue. Cela ne signifiait pas pour autant qu’il ne lui avait pas soufflé un encouragement ou deux. Cela lui servait bien, que Nathaniel polarise l’image de la brutalité, lui permettant ensuite de se montrer sous un jour plus favorable lui-même. Il était donc l’instigateur d’un lambeau de son épreuve.

J’en conclus que ce ne fut point à votre avantage

Dire que ce n’était pas à son goût aurait sans doute était faux, de ce qu’il en savait. Encaissant son ire brûlante, le jeune immaculé se rapprocha sensiblement de son invité. Il réprima un sourire amusé, subissant l’observation en contemplant lui-même un changement graduel dans l’attitude du diplomate et dans la façon dont il le soupesait. Appréciait-il donc le revoir ou bien se demandait-il la raison de cette rencontre ? Peut-être était-ce encore toute autre chose. Il se faisait réceptacle volontaire, en tout état de cause et attendit qu’il se décida à rompre de nouveau son silence.

Il le ferait forcément.

Et il le fit. Cette fois, Teotl s’autorisa un sourire. Son oeuvre semblait trouver un réel publique en la personne de l’althaïen et c’était ce qu’il avait espéré, inutile de le nier. L’appréciation pour l’art qu’Avente possédait lui plaisait et l’encourageait à produire car il savait qu’il aurait alors quelqu’un à qui présenter tant son travail que toute la recherche symbolique qu’il recelait. Et, comble de satisfaction, il savait l’esprit du diplomate assez affuté pour comprendre et même le défier sur son terrain afin d’approfondir encore ses pensées, lui donnant un contre-poid qui lui permettrait d’évoluer, de se renforcer.

Et il doutait réellement de sa préciosité ?

Oui, j’en suis l’auteur

Il vint se placer à sa droite, légèrement en retrait, comme le ferait un conseiller… ou un courtisan. Et il était les deux bien que son rôle ne fut pas auprès d’Avente. Les gemmes sombres de ses yeux vinrent caresser les formes qui se dessinaient sous eux. Le verre et la lumière miroire offrait suffisamment de vie à l’oeuvre pour qu’on ne fut pas immédiatement frappé par la matière ou la composition exacte, mais bien par l’effet de couleur et de mouvement de l’oeil. Il fallait s’intéresser de près et pendant quelques instants aux détails pour finalement saisir la véritable teneur de ce qui se présentait.

Vous savez de quoi elle est composée

De corps. Il avait fait conserver chaque corps avec beaucoup de méticulosité afin qu’aucun ne pourrisse. Il avait complimenté chacun afin que la texture du derme soit mise en valeur. Avoir conservé les corps entiers, les ajustants les uns aux autres, permettait d’invoquer la vie dans une composition qui, autrement, aurait pu sembler grossière. Les nuances de l’iris comme de la pupille étaient présentes, subtile jeu de lumière interne. Tout cela, il était certain que l’althaïen était entrain de le découvrir sans son aide. Le son de sa voix, son hésitation, tout le suggérait et il appréciait la délicatesse de son invité à ne pas l’éventer grossièrement avec des mots.

L’ascension de mon père n’a pas été unanimement acceptée. Comme tout couronnement, des voix se sont élevées en une tentative de couvrir la sienne. D’autres s’élèveront toujours. Aucun souverain n’a jamais reçu une bénédiction sans faille de la part de ses sujets

La remarque pouvait sembler déconnectée de leur amorce précédente. Elle ne l’était pas réellement. Tous deux le savait.

Je suis heureux d’affirmer que sa popularité est à présent au beau fixe. Nous n’avons pas encore traversé de tempête ni même de houle bien que je ne doute nullement que cela arrivera

Le silence revint, ouaté, pendant une poignée d’instants, tandis qu’il cessait d’étudier la création qu’il avait offerte à son père et qu’il se prenait à suivre les traits nobles de son invité. A quoi pouvait-il penser, réfléchir en l’instant sous cette tignasse brune et bouclée ? Cherchait-il les nuances dans la création, dans la symbolique, ou bien se révulsait-il simplement de l’outrage ? Songeait-il à son destin, entre les griffes de la confrérie ? Il attendit encore, avant de prendre de nouveau la parole d’une voix douce, sans tension ou menace mais d’une curiosité courtoise.

Magnifique et raffiné sont des adjectifs fort flatteurs mais néanmoins très tranchés, très définitifs. Que ressentez-vous réellement en plongeant le regard en cet oeil Monseigneur, si je puis m’en enquérir ? La critique artistique m’est d’un réel intérêt, et je me vante d’être un pupille prompte à l’apprécier en dépit de mon orgueil

L’éphémère d’une prise de conscience caressant ses traits racés, plissant les yeux avant qu’il n’ajoute de nouveau.“Vous semblez souffrir. Désirez-vous une chaise ?” Sa main vint se poser sur l’un des dossiers d’os noir appartenant au capitaine des contrebandiers, la lui décalant avec l’amorce d’une révérence, avant qu’il ne se redresse “Je puis également vous masser afin de détendre vos muscles et pour préparer une décoction calmante…

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Froissé était un bien maigre mot. Mais ce n’était pas lui qui l’avait le plus "froissé" dans l’histoire. Quand bien même il en était l’instigateur initial en l’ayant kidnappé si impunément. Et Ilhan réalisa de plein fouet toute l’ironie de ce sentiment. Il était drôle de voir qu’après avoir rencontré et passé une seule soirée avec le roi des pirates, il était prêt à reporter toute sa rancoeur sur celui-ci et à pardonner bien des écarts au fils aux manières bien plus raffinées, et oui, il pouvait le dire, bien plus à son goût. Il ne le détrompa pas toutefois. Des aigreurs lui remontaient encore rien qu’au souvenir de la veille.

“J’en conclus que ce ne fut point à votre avantage”

Seul un regard noir des plus froids et des plus austères lui répondit. Il aurait pu se vexer d’un tel dénigrement. Si seulement cela ne reflétait pas une grande partie de la vérité. Une vérité qu’il ne pourrait nier lui-même et qui le rongeait alors d’une âpre culpabilité et d’une honte bien amère, aux relents d’un passé qu’il aurait voulu enterrer. Son esprit n’avait pas voulu céder, mais son corps n’avait pas été aussi fort et l’autre avait su lui ravir l’objet de ses désirs. C’en était humiliant. Et il préférait ne plus s’appesantir sur ces pitoyables instants.

Mieux valait en revenir à cette… oeuvre d’art. Elle était certes dérangeante quand on en comprenait la nature, mais égoïstement, il préférait cette gêne-là, bien moins personnelle et intime, que la précédente. Et… oui, sans contexte, on pouvait parler d’oeuvre d’art. C’était là alors un domaine bien plus sûr pour lui, moins miné par des ombres passées.

Quand Nayan lui répondit en être l’auteur, Ilhan le sonda encore un court moment, d’un tout autre regard. Plus appréciateur encore que ce qu’il avait pu lui accorder. Et il lui avait déjà offert beaucoup de son appréciation, un peu trop parfois, quand on se rappelait ce qu’il avait fait. Encore un sentiment dérangeant de presque… "s’attacher" ou du moins apprécier son ravisseur. Il avait déjà entendu parler d’un tel phénomène chez certaines victimes. Il se serait cru plus fort pour ne pas tomber dans de si funestes et pervers attraits… Il renifla mentalement à cette pensée. À croire qu’il s’était fortement trompé sur lui-même et sur sa prétendue force pour résister à toute incitation mentale. C’en était désolant.

Il sortit bien vite cependant de ses songes déprimants, et préféra se focaliser sur l’instant présent. Au moins pouvait-il se rassurer sur un fait : qu’il soit lui aussi victime d’un quelconque attrait pour son ravisseur, au moins en prenait-il conscience et pouvait-il faire face à toute la perversité et l’ironie de la situation.

Oui, il savait de quoi, elle était composée. Pour toute réponse à cette assertion, il hocha simplement la tête, et son regard se rembrunit quelque peu. Ilhan se força à observer de nouveau cette œuvre et peina à réprimer un frisson en pensant à tous ces morts… qui les regardaient. Car c’était alors toute l’impression que cela lui faisait. Plus qu’un Dieu, c’était l’au-delà tout entier qui les jugeaient, tous ces êtres, toutes ces âmes, comme les exhortant à ne pas trahir leur serment, à ne pas faillir à leur promesse, à se montrer digne de tous ces trépassés.

Cela révélait aussi une infinie patience pour réaliser une telle… composition. Car il devinait le… matériau principal… des plus fragiles. Des moins malléables. Il fallait être doté alors d’une persévérance et d’une constance sans faille, ainsi que d’une minutie méticuleuse. Cela ne l’étonnait guère de son hôte et ne faisait que lui confirmer ce qu’il avait déjà décelé chez lui. Des traits de caractère qu’il appréciait, une fois encore. Et qu’au fond, ils partageaient.

Quand il lui expliqua que des voix s’étaient soulevées, Ilhan devina sans peine que ces voix s’étaient murées alors dans le silence… et qu’elles avaient été figées, là, sous eux, dans ce regard qui ne pourrait alors que contempler la majestueuse et folle œuvre de leur roi contre lequel ils avaient voulu se soulever. Ces âmes contemplant à jamais l’oeuvre de celui qu’elles avaient réprouvé… quelle douce ironie. Des âmes qui seraient aussi alors le rappel constant, perpétuel, de ce qui attendait traitres ou renégats s’ils osaient, à leur tour, élever la voix.

À cette constatation, Ilhan releva ses orbes de jais sur Nayan qui s’était posté près de lui, légèrement en arrière. Et il se permit un léger sourire, dénué de tout cynisme habituel. Encore une fois lui offrant une appréciation silencieuse, avant d’oser mettre des mots sur ce qu’il ressentait devant ce grand œil. Au fond de lui, même si la nature première de cette œuvre le révulsait, il savourait aussi toute l’ironie, tout le symbolisme qu’elle couvait.

Oui, nul doute que des troubles reviendraient, on parlait de pirates. Mais il suffirait alors de trouver la tête de ces troubles… et l’amener devant ce grand œil. De la juger ici même, devant ceux qui avaient causé tant de troubles avant elle, et de donner alors un exemple sommaire. Un nouveau corps à ajouter à l’oeuvre pour bien marquer tous les esprits… À moins que ce tableau ne soit pas destiné à être retouché ? Selon lui, toutefois, elle le devrait, si telle était sa destinée. Dans tous les cas, c’était là une idée de génie. Et rien que pour cela, l’althaïen regrettait presque que le jeune fourbe ne soit pas à oeuvrer à ses côtés, plutôt qu’aux côtés de son rustre de père.

Non, ne plus penser à ce dernier. Il ne répondit pas d’abord à la proposition de s’asseoir, qu’il dénigra pour le moment et revint à leur contemplation à la beauté morbide et sublime tout à la fois.

Ce que je ressens en plongeant mon regard dans cet orbe de jais ? Qu’il est doté de bien des attraits. À la fois funestes et cyniques, mais sublimes de symboliques. Vous parliez précédemment de l’oeil d’Océan ? Je vois là moi plutôt mille yeux en un seul. Mille êtres vous jugeant dans toutes décisions et toutes actions, mille âmes à jamais muettes pour avoir voulu s’élever et destinées maintenant à être les juges de tout serment. Mille témoins de ce qui arrive à tout traitre ou tout renégat. Je vois là le regard du Père et du Fils, mais aussi le regard de Tous en un seul Unique.

Il se tourna alors vers Nayan en un geste lent, plantant ses obsidiennes pétillant d’un certain plaisir à ainsi échanger, à nouveau, sur l’art et tous ces apprêts.

Je vois là non pas seulement le jugement d’un Dieu, mais le jugement de la Création scellant des destinées, et rappelant à chacun où doivent leur mener leurs pas, ou ce qui leur coûtera pour assumer leur choix. En outre, même si sa composition première n’est pas à mon goût personnel…

Il laissa les mots trainer un court instant dans l’air.

Cette œuvre est le témoin de toute la constance et la persévérance de son créateur. Il faut un certain génie pour savoir ainsi marquer les esprits, en rappelant que le fils sera là, patient, dans l’ombre, pour déjouer les ennemis de son père, qu’importe le temps que cela lui prendra pour les démasquer. C’est un subtil message, tout en finesse…

Un fin sourire presque prédateur se dessina alors, montrant que le Tisseur savourait ce petit jeu-là.

Que je ne peux nier apprécier à sa juste valeur.

Quand bien même, il pourrait être de ces ennemis. L’était-il ? En un sens oui, son âme flagellée de honte criait son envie de vengeance. Pour autant, se proclamerait-il tel ? Sans doute n’en aurait-il même pas le temps, s’il le voulait. Mort déjà le réclamait. Et non il ne craignait pas d’être jugé par cet oeil-là. Pour tout avouer, il en serait même fier, car cela signifierait qu’il aurait été un ennemi qu’il fallait exhiber en exemple… Mais non, même s’il en avait le temps, il ne le ferait sans doute pas. Il n’y avait, pour l’heure, aucun intérêt stratégique. Ni pour Delimar, ni pour le Tisseur. Ce ne serait que pour son intérêt personnel, mais cela desservirait tout intérêt plus grand. Il tairait donc son envie de vengeance. Et il saurait attendre le moment où intérêt du plus grand nombre rejoindrait son envie viscérale des plus profondes. Alors, oui, peut-être si ce moment-là venait, peut-être oui, se déclarerait-il haut et fort des ennemis de Nathaniel Earendill qui n’avait de roi que le titre, mais n’avait que les attraits d’un forban.

Il n’avait pas encore répondu à l’offre que lui avait présentée son hôte. Plus par orgueil, par envie de ne pas montrer pareille faiblesse, mais il se sentait réellement éprouvé. Physiquement autant que psychiquement. Si son esprit avait su tenir jusque-là, son corps ne cessait de défaillir. Oui, s’asseoir  ne serait pas malvenu.

Un siège ne serait pas de refus en effet, concéda-t-il alors enfin.

Et il s’installa enfin, hochant la tête d’un geste noble pour remercier l’immaculé. Même s’il s’assit avec force précautions, d’autres douleurs se rajoutant à celles qui déjà le hantaient auparavant.

Quant à vos autres propositions, fort tentantes je dois l’avouer…

Il ne mentait aucunement. Il se sentait tendu et la douleur l’irradiait. Même cette position ne permettait pas de réellement le soulager. À tout le moins, lui permettait-elle de ne pas voir ses jambes céder sous son poids.

Quel en serait le prix ? Car toute chose a un prix, en ce bas monde. Surtout en cette…

Putride...

singulière cité, fit-il d’une voix faussement soyeux, où cynisme chantait sans retenue.

Il laissa son rictus énigmatique se dessiner de nouveau et reprit, moins mordant :

Puis-je me permettre également une question ? Quel est donc le but de…

Cette sinistre mascarade…

tout ce grand stratagème ?

Il ne parlait plus de la pièce et du grand œil, mais de son enlèvement et de tout ce qui s’ensuivait. Songeant que cela n’était sans doute pas clair, il s’empressa de préciser.

Dans quel but m’avez-vous enlevé et livré à votre père ? Cela serait insulter votre intelligence de croire que vous espérez une rançon de Delimar. Votre esprit est sans doute bien assez affûté pour comprendre que jamais ils ne céderaient à quelque chantage et qu’ils me savent parfaitement conscient de cela pour que je ne cède en rien moi-même. Je doute que cela soit pour simplement insulter ou défier la cité de l’honneur. Les pirates ne sont pas assez fous pour déclarer la guerre à leurs pires menaces personnelles, n’est-il pas ?

Il lui offrit un sourire moqueur et ses yeux pétillèrent d’un certain défi.

Alors quoi ? Je doute que vous songiez à me vendre comme esclave. Ma frêle carrure ne ferait pas de moi un bon ouvrier, et mon inaptitude martiale plus que célèbre ne ferait pas de moi un bon gladiateur pour amuser… vos arènes. J’aurais été un peu plus jeune, peut-être…

Sans doute aurait-il fait un bon esclave destiné aux jeux du plaisir. Mais heureusement, du moins il l’espérait, il avait passé l’âge. N’est-ce pas ?

Suis-je destiné à devenir le jouet personnel de votre père ? Ou avez-vous… d’autres plans me concernant ?

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Il hocha légèrement la tête et se fit très attentif à l’exposé qu’on lui offrait, non comme une glorification mais comme une analyse de son ouvrage. Le ressenti détaillé d’un spectateur possédant une réelle sensibilité artistique lui était constructif car il lui permettait de figurer l’impact qu’avait le travail réalisé. Le moins que l’on puisse dire, d’ailleurs, était que l’effet était probant. Dire qu’il appréciait son analyse était au-dessous de la vérité : il en était éminemment satisfait. L’oeil était un exercice de style se basant sur deux éléments contradictoires et pourtant complémentaires. Le premier était brutal et direct en la matière dont l’oeuvre était faite. Le second était subtile et suggestif, c’était l’esprit de chacun qui venait sussurer un message personnel et pourtant globalisé. Lorsque l’on plongeait le regard dans cet oeil, on était, en un sens, seul avec lui, partageant des craintes intimes et avouant silencieusement des fautes ou des faiblesses. Que l’althaïen partage si aisément son intimité de pensées était donc plus flatteur encore que l’analyse elle-même. Et pour pousser le mécanisme psychologique encore plus loin, il semblait, curieusement, que leurs deux visions ne soient pas opposées, dans la symbolique de l’oeil. Il aimait énormément le découvrir.

Un réel sourire fleurit à ses lèvres pleines. En vérité, oui, cela le flattait. Les pirates, si l’on omettait les capitaines, ne seraient sans doute pas aussi sensible à toutes les subtilités de cette oeuvre. “Peut-être trop en finesse pour son principal public, hélas” La venue du diplomate délimarien était une exception, peu d’étrangers à la ville verraient cela, il était destiné à un auditoire pirate et en cela, son message risquait d’échouer. Il n’en savait encore rien et extrapolait. Seul l’usage trancherait cette délicate question. En tout état de cause, il avait au moins gagné de façon personnelle en cette réalisation. Sa patience avait été testée à plus d’une reprise. A présent, l’épreuve en valait largement la peine, au devant du résultat. Lui tenant toujours la chaise, il n’eut guère à réagir à son acceptation et le laissa le rejoindre alors sans bouger d’un pouce et sans commentaires. Les questions, toutefois, furent soupesées sans en avoir l’air, dans un silence tranquille, au moins pour lui. L’envie de le taquiner était bien présente, tant il le voyait s’accrocher à ces notions, et néanmoins il avait trop de respect pour agir ainsi, même si ça promettait d’être terriblement amusant. Relâchant le dossier, il s’éloigna, prit une autre chaise, et s’installa à son tour dans un mouvement souple.

Ainsi juché, l’immaculé s’offrit quelques instants supplémentaires de réflexion avant de formuler sa réponse.

Je trouve que décrire le but de ce rapt, et donc votre signification en ces lieux, serait bien pauvre, une insulte involontaire. Néanmoins, j’affirmerais que votre présence est un message, un investissement, une vérification, une curiosité, un mensonge et une enquête

Sa voix gardait un volume ténu, pour appauvrir l’écho renvoyé par l’immense salle. Il ne parlait pas réellement bas, mais il n’aimait pas propager une parole qu’il désirait intimiste, une discussion privée. Bien entendu, le bâtiment complet était actuellement aux mains de ses disciples, qui montaient la garde et détournaient les curieux. Le bâtiment était à eux. Une salle de jeu, bien que le terme fut alors impropre et infantilisant. L’Althaïen se posait les bonnes questions, que d’autres ne s’étaient pas posés, que d’autres ne se poseraient pas, à l’avenir et dans des circonstances similaires. Comme toute chose, ce rapt avait été le fruit d’une longue préparation et d’une étude intense, monument à sa patience, une fois de plus. Nul orgueil à cela, juste la connaissance de ses forces, comme il savait, en retour, que son amour du symbolisme pouvait être une faiblesse. Comme il savait que sa loyauté à son père était une faiblesse. Coi à ce sujet, il se prit à observer une fois de plus sa réalisation. Son invité pouvait-il déjà deviner ses intentions, ou bien la question était-elle parfaitement innocente ? Dans les deux cas, il n’avait aucune raison de ne pas se montrer sincère. Un mensonge n’apporterait rien que la vérité ne pourrait créer avec plus de beauté encore.

J’ai envoyé un message au reste de l’archipel, en vous enlevant à un navire de guerre Délimarien. J’ai enfreint leur toute-puissance maritime et prouvé qu’ils pouvaient faillir

Même si tous deux le savait déjà par avance, beaucoup tendaient à idéaliser la puissance martiale de la ville de l’honneur. C’était facile à comprendre quand on voyait les monstres armés de feutonnerres géants qui croisaient en mer. Qui était réellement équipé face à cela ? Mais ils n’étaient pas parfaits, preuve en était. Il avait réussi à enlever leur conseiller en diplomatie. Ne dit on pas que la puissance d’une nation n’est égale qu’à la puissance de son maillon le plus faible ? S’il avait réussi une fois, il pouvait trouver d’autres opportunités, travailler d’autres ouvertures. Bien entendu, le message serait entendu par Délimar également et ils auraient affaire à plus de vigilance la prochaine fois… ce qui rendrait la prochaine victoire d’autant plus valorisante. Mais ce n’était là que la pointe de l’iceberg, la face la plus visible de ce qu’il désirait. Il y eut un silence plus retentissant cette fois. Il n’avait pas très envie d’expliquer en détail et par le menu ce que Nathaniel ferait avec les cheveux de son invité mais il voulait pourtant répondre également. Un léger plis vint froisser son front devant ce dilemme. Sa résolution vint cependant à point nommé pour ne pas trop faire patienter son invité. Il reprit, d’une voix tranquille quoi que songeuse, observant du coin de l’oeil la réaction.

J’ai offert à mon père votre présence, non comme courtisan mais comme atout militaire pour l’avenir. Il a prit votre essence, avec vos boucles

Qu’il se débrouille pour comprendre cela par lui-même. C’était un homme intelligent qui finirait par trouver la solution. Le secret ne resterait pas éternellement un secret avec le caractère de son père. Cela se saurait. Mais il n’allait pas pousser la réponse, toute faite, entre ses mains. Cela viendrait de sa recherche et de ses réflexions, comme de juste. Entre temps son père aurait sans doute amélioré le procédé peut-être l’aurait-il même changé. Un nouveau silence. Que restait-il ? Sans doute la partie la plus personnelle de l’affaire. Il restait qu’il n’avait pas uniquement enlevé le diplomate pour son père, pour ses plans et son plaisir mais parce qu’il avait l’intention de saisir toutes les opportunités que l’althaïen représentait. Des opportunités pour lui, bien sûr et qui pouvaient bénéficier à son père également. Il travaillait pour son père, toujours. Parce qu’il était un bon fils, parce qu’il était loyal, parce qu’il avait toute sa vie à devenir fort pour retrouver l’homme à qui il devait la vie et qu’à présent il deviendrait plus fort encore pour le garder en vie. Fort… pas seulement physiquement et pas seulement par les armes. Voilà pourquoi il avait besoin de cet homme. D’un homme capable de lui donner ce qui lui manquait et en la qualité qui lui manquait.

Il reste quatre raisons, ce me semble ? Ma vérification et mon enquête vont de pairs. Je recherche quelqu’un, voyez-vous, dont le surnom est le Tisseur. Un être qui cherche à avoir des yeux et des oreilles ici, à Athgalan. Un être qui m’intéresse par sa maestria et sa prévention, son doigté et ses calcules… s’il existe bel et bien et s’il n’est pas un produit de l’imagination collective. Cette recherche m’a cependant permis de prendre connaissance de vos exploits, lettres de noblesses et je me suis intéressé à vous. Votre propre maestria, votre propre doigté… Aussi me suis-je demandé si vous ne pourriez pas être...” Un nouveau sourire, délicat, un souffle, délicat, un complément, délicat… comme une confidence. “... Celui que je cherchais

Il y eut un blanc avant que son sourire ne s’élargisse. Il ne voulait pas le laisser languir plus que nécessaire, surtout pas sur cela, alors même qu’il pavait sa route avec perfection sur l’instant. La discussion était ouverte, sans faux semblants mais il ne distillait que ce qu’il voulait bien offrir. Et il ne désirait pas voir l’althaïen se méprendre sur ses intentions à son égard, quoique cela pourrait s’avérer drôle sur l’instant, le bénéfice à la longue était pauvre en comparaison de sa sincérité. Ils étaient seuls, en ce lieu où il lui offrait ses pensées et ses motivations, ses plans, attendant de voir ce que son invité en ferait. Il savait que son père avait donné une image bien différente, il en jouait. N’avait-il pas dit être l’ombre, la face cachée inattendue de sa lumière ? Défait de son sourire, il arborait un sérieux de circonstances sans jamais perdre en courtoisie, dardant son regard de gemme sur ses moindres faits et gestes. Sa parole, quoique fluide, se fit retenue, prudente et grave, presque pensive sans être éthérée.

Non pas lors de mon enquête. Quoi que… mais davantage celui que je cherchais dans une quête personnelle. Voyez-vous, je suis persuadé que l’émulation positive et un défi approprié permettent à une personne de grandir, de fourbir ses armes et améliorer ses capacités et sa compréhension du monde. Et vous ? Je voulais savoir si vous étiez effectivement un candidat adéquat à cette… émulation” Il inclina la tête vers lui, très légèrement, en reconnaissance gracieuse. Il plongea son regard factice dans le sien, poursuivant de cette honnêteté simple, franche et pragmatique. “Je possède tout ce que je désire pour défier ma force, ma prédation, mon agilité, et même ma foi mais pas mes qualités plus… mondaines, plus subtiles. L’art de la parole et de la politique… l’art du … tissage, disons…

Jeu de mot ? Peut-être. Jeu tout court ? Certainement. Il voulait montrer qu’il était un bon parti, un apprenti capable, digne de son temps et de son attention. Et pour passer la barrière de la piraterie ? Il avait besoin de s’imposer. D’imposer sa candidature. “Ma curiosité ? Savoir exactement quelle valeur vous possédez pour votre ‘patrie’, non monétairement mais… symboliquement” Un pétillement fit luire ses mires noires. “Quant au mensonge… il n’a pas encore été entonné mais le sera prochainement. Le mensonge de votre fuite

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Il crut l’espace d’un instant qu’il n’obtiendrait que silence en réponse. Mais finalement les mots s’envolèrent et il ne put plus les arrêter. Non pas qu’il l’eut voulu. Car ils révélaient alors soudain beaucoup de son hôte.

Outre un esprit vif et intelligent, enclin au questionnement, ce qu’il avait déjà maintes fois dénoté chez lui, ces mots révélaient aussi un mode de pensée. Un mode complexe et retors, comme il les aimait, qui savait imaginer plusieurs voies d’attaque et non une seule. Plusieurs buts, même si pour une cause commune, et non un seul. Il réfléchissait et agissait de même. Et cela mettait en lumière un autre point commun entre eux. L’althaïen ne sut l’espace d’un instant s’il devait s’en réjouir ou s’en inquiéter. Était-il aussi perverti d’esprit que son ravisseur au final ? Sous faux-semblant d’agir pour le plus grand bien de l’humanité, il avait commis nombre d’exactions aussi. Pouvait-il se targuer alors d’être "meilleur" que son hôte ? Sans doute pas. Ils avaient un esprit qui était capable de soupeser chaque voie possible, et de choisir la plus utile, la plus apte à atteindre leur but, quel qu’en soit le prix. Ils étaient prêts alors à franchir tout obstacle qui les braverait sur cette voie.

Mais Ilhan devait avouer que la multitude de leur ressemblance sur nombre d’aspects lui devenait dérangeante. Surtout de par ce que cela révélait de lui et par le fait que cela ôtait un voile d’hypocrisie qu’il aurait bien voulu ne jamais enlever. Certes, ils avaient en commun l’amour de l’art, de la philosophie, la volonté d’un dépassement de soi, la recherche de la perfection non comme une fin, mais comme un chemin. Mais ils avaient aussi en commun d’avoir un grand but ultime, une détermination à le réaliser, prêt à payer le prix qu’il faudrait, ils agissaient tous deux dans le secret, ne briguaient pas le pouvoir en tant que tel et préféraient rester à la droite de celui qui régnait, en conseiller de l’ombre en retrait, manipulant des trames sous-jacentes pour tracer la voie de celui qu’ils avaient choisi. Oui… beaucoup de points communs.

Et, songea Ilhan, il aurait très bien pu rejoindre les pirates lui aussi, en un autre temps, ou si les circonstances avaient été autres, si cela avait pu servir sa cause. Il lui paraissait alors bien plus mesquin de cracher sur ces farauds de mauvaise aventure.

Il avait beau se perdre dans ces méandres de pensée, Ilhan ne perdit pas une miette de la réponse que lui offrit Nayan. Il ne pouvait nier apprécier ce qu’il lui disait et il laissa filtrer un fin sourire. Oh oui, le message serait passé. Mais en Delimar le message serait de renforcer toute faille, tout point faible. Lui compris. Et Ilhan était presque heureux alors de bientôt mourir, il échapperait peut-être à un entrainement forcené.

Son essence avec ses boucles ? À ces mots, son regard se plissa légèrement. Quand avait-on besoin de prendre quelques mèches de cheveux seulement à un être ? Ilhan n’avait que peu de connaissance en la matière, mais il avait déjà vu certains guérisseurs concocter des remèdes avec quelques mèches de cheveux. Il les avait alors souvent traités de charlatans, mais passons. Nathaniel possédait-il de telles connaissances ? Sans doute pas. Mais il pouvait connaître quelqu’un en ayant les capacités. Et soudain l’idée d’un infiltré dans le bureau d’études botaniques lui revint. Il avait surpris un coursier remettant une lettre à un membre du bureau d’études botaniques il y a longtemps, sans parvenir à mettre la main dessus, ni sur le nom du membre alors possiblement suspect. Étrangement son esprit avait fait une association entre les deux événements…

Mais peut-être était-ce sans lien. Et peut-être Nathaniel procédait-il tout autrement avec ses mèches de cheveux pour lui voler son essence. D'ailleurs au final, le comment n’était pas, sur l’instant, le plus important. Mais le quoi, le "quelle essence", l’était bien plus. Quelle essence le roi des forbans aurait-il aimé avoir de lui ? Sa vie ? Il serait déjà mort si tel était le cas. Son esprit ? Il en doutait, il serait incapable de parler alors. Sa magie ? Peu probable, il n’était pas le plus doué des mages. Quelle était alors sa possible force qui aurait pu intéresser… Et soudain la réalisation le frappa. Ses Esprits-Liés ! Nathaniel avait dit être un maitre spirite, et avait été fort intéressé par son lien avec l’ornithorynque. Ainsi, serait-ce cela ? Deux mèches avaient été prélevées. Pour Deux Esprits-Liés. Cela se tenait. Et son lien avait été coupé avec ses propres Esprits-Liés lors de son entrevue avec le roi des pirates. Nathaniel avait donc sans doute trouvé comment copier son ornithorynque ! Voilà qui serait fort fâcheux. Mais qui prenait sens… Ilhan retint alors un lourd soupir, mais il n’en était pas moins agacé et contrarié, se sentant doublement souillé que le maraud lui ait volé cela aussi.

Et alors qu’il en était là, une autre contrariété frappa à sa porte. Le mot Tisseur retentit dans l’air. Il fallait bien s’y attendre. Ce nom se susurrait de plus en plus sur Calastin déjà, il n’était pas étonnant qu’il atteigne aussi les autres îles. D’autant plus quand ledit Tisseur cherchait à infiltrer les autres îles aussi. Mais qu’importait que tous apprennent la véritable identité du Tisseur. Certes, cela serait délicat sur certains aspects, mais rien qu’il ne sache contrer et gérer. La Toile, elle, resterait toujours dans l’ombre. On pouvait en connaître la tête, si on n’en connaissait pas les fils, cela ne changerait rien à la puissance de la Toile.

Ilhan se contenta de garder son sourire poli et courtois figé et de ne pas bouger d’un iota. Son sourire s’agrandit légèrement en réponse à celui de Nayan, sans pour autant qu’il réponde à la question à demi soulevée. S’il était le Tisseur ? Bien évidemment. S’il le lui avouerait ? Bien évidemment pas. Et il ne pouvait nier que ce petit jeu l’agaçait tout autant qu’il l’amusait au final. Un jeu du chat et de la souris. Il était peut-être prisonnier des pirates, mais les pirates étaient peut-être prisonniers de ses secrets non révélés. Et cela était assez jouissif. Il fallait bien prendre un peu de plaisir dans tout ce marasme, après tout.

Un long silence s’étendit, mais Ilhan ne le rompit pas. Tout comme il ne rompit pas leur longue observation mutuelle. Et si au début ce regard de gemme l’avait dérangé, maintenant il y voyait l’ingéniosité d’un aveugle qui semblait plus clairvoyant que les voyants eux-mêmes.

“Et vous ? Je voulais savoir si vous étiez effectivement un candidat adéquat à cette… émulation.”

Ilhan haussa cette fois un sourcil, signe de circonspection et de surprise. Un signe qu’il laissa filtrer en toute connaissance de cause. Après tout, l’autre se livrait beaucoup dans ces paroles. Il pouvait bien lui concéder de se révéler un peu aussi. Ainsi il serait son émulation positive ? Il ne sut s’il devait le prendre comme une insulte ou comme un compliment. Mais au vu de ce que Nayan lui livrait, il devait sûrement le prendre comme un compliment. Et il dut avouer que le jeu de mot lui arracha un fin sourire.

Un sourire qui s’effaça bien vite toutefois quand la dernière révélation le frappa de plein fouet. Le mensonge de sa fuite ? Avait-il bien entendu ? Était-il en train de lui dire… qu’il allait le libérer ? Faire passer cela pour une fuite ? Ilhan haussa un autre sourcil. Question muette qui resta toutefois sans réponse. Visiblement Nayan avait révélé tout ce qu’il souhaitait et attendait maintenant sa réaction. Ilhan laissa un court silence les envelopper de son doux drapé afin de soupeser ses réponses. Ce fut d’une voix de velours aux accents chantants qu’il prit enfin la parole :

Voilà une réponse qui dépassait mes espérances et je ne peux que vous remercier d’avoir accepté d’assouvir ma curiosité. Des réponses qui m’ont… interpelé, je dois bien l’avouer.

Il laissa ses mots valser dans l’air, et leur écho leur revenir doucement, avant de poursuivre.

Le message sera entendu, assurément. Mais surtout ce message sera un raffermissement de la détermination de Delimar à devenir plus forte encore. De renforcer chaque maillon faible, chaque faiblesse, qu’elle pourrait comporter. Car ainsi est faite la cité de l’honneur. Et cela peut être pris comme une promesse en réponse à votre message.

Et dans son regard brilla cette même détermination. Quand bien même il n’en avait plus pour longtemps lui-même.

Mon essence… je crois deviner de quoi il s’agit. Mais c’est là se tromper grandement sur ce qu’est ma réelle essence. Mon essence est encore là, en moi, et ce que votre père a pu me voler ne l’est pas. Ce qu’il m’a volé n’est qu’une capacité parmi tant d’autres… Pour voler mon essence, il faudrait qu’il ravisse mon âme et mon esprit. Alors là, oui, il pourrait se targuer d’avoir volé mon essence. Encore faudrait-il qu’il y parvienne, susurra-t-il, son sourire se teintant d’un rictus de défi.

Puis, s’adoucissant :

Vous avez parlé d’émulation. Il est étrange que vous disiez cela, alors que pendant que vous parliez, je ne faisais que noter nos fortes et nombreuses similitudes.

Il lui offrit un sourire teinté d’amusement et d’étrange complicité.

Nous préférons l’ombre à la lumière, nous ne briguons pas le trône du pouvoir, mais préférons le pouvoir derrière le trône, nous nous amusons tout en finesse et raffinement, quand bien même nos ennemis ne percevraient pas tout le sublime de la perfection recherchée, de cet art ultime du dépassement de soi en toute chose, en tout combat.

Il en révélait là aussi beaucoup, sans toutefois révéler plus que ce qu’il ne désirait.

Tisseur, dites-vous ? C'est un joli nom, n’est-il pas ? Il est vrai que je deviens connu pour les belles soies que nous tissons, et qui ont déjà ravi bien des coeurs en Calastin. Peut-être pourrais-je avoir la bonté de vous en faire parvenir une, si vous le désirez.

S’il se moquait ? Pas réellement. Même si son sourire se fit un brin taquin. Il jouait plutôt sur les mots, se souvenant, non sans amusement, de la réaction de sa Reine quand il lui avait révélé être le Tisseur. Quand il avait entendu ce nom se murmurer bien trop fort à son goût, l’idée de développer un art althaïen bien particulier lui était venu. Il pourrait alors se targuer haut et fort d’être un Tisseur. Un tisserand serait plus approprié, mais il n’allait pas cracher sur les possibles lapsus.

Mais vous me laissez sur ma faim. J'espère avoir été digne de vos attentes et que votre vérification et votre curiosité ont pu être assouvies comme elles se doivent.

Pour être honnête, il énonçait une demie vérité. Si tout cela était fort flatteur, cela lui donnait aussi quelques frissons qu’un être tel que Nayan le prenne comme émulateur et veuille le prendre comme exemple, ou pire encore. Allez savoir ce que cela donnerait avec un tel esprit, au service d’un tel malfrat.

Quant à savoir si curiosité et vérification avaient été assouvies... il devinait fort bien qu'elles l'étaient. Et que si Nayan lui parlait de le relâcher c'est qu'il avait une certaine valeur, qu'il avait passé le test de vérification, qu'il avait répondu à une partie de sa curiosité, et que Nayan comptait jouer avec lui sur un plateau de jeu bien plus grand encore.

Quant au mensonge… j’avoue que vous m’intriguez grandement. Après tout cela, vous relâcheriez votre… émulateur ? Votre curiosité et  votre nouveau sujet d’études ? À moins que vous ne vouliez continuer votre recherche et votre étude hors de ces murs ?

Il y avait forcément anguille sous roche. Mais laquelle ?

Si "fuite" il y a, quel en sera pour vous le soudain intérêt ? Éviter que votre père ne casse trop son nouveau jouet ?

Il réprima une grimace de dégoût, et offrit à la place un rictus teinté de cynisme.

Je puis vous assurer qu’il en faudrait bien plus pour que le jouet se casse si facilement.

Puis songeant que la discussion allait tourner au vinaigre s’ils restaient sur le sujet Nathaniel, un sujet de discorde fâcheux entre eux, il préféra dévier la conversation sur un autre terrain.

Et vous m’aviez offert thé et massage, mais vous ne m’avez pas répondu sur le prix à payer.

Ou comment ramener son hôte à ses "obligations".

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Il ne fit pas de commentaires mais son sourire parlait sans doute de lui-même. S’il n’avait pas été interpellé, Teotl aurait immédiatement revu son appréciation à son sujet. Toujours coi, il se contenta d’un signe de tête affirmatif au sujet de Délimar. Oh oui, il s’en doutait parfaitement et c’était d’une imparable logique. Et il testerait à nouveau leurs améliorations, et ainsi desuite. C’était un cycle naturel entre prédateurs intelligents. En attendant, il détenait leur diplomate. Un diplomate qui semblait d’excellente composition et il nourrissait des doutes sur la source de cette bonne volonté, ne se l'attribue pas entièrement. Pas avec quelqu’un d’aussi intelligent et rusé. “Vous me flattez” Inutilement cela étant dit mais comme il doutait que son invité tente réellement de l’adoucir, tout allait pour le mieux. Son exposé était cependant très juste. Peut-être cette ressemblance était-elle à l’origine de son intérêt pour lui ? Pour autant il en écartait tout élan narcissique.

Je vous en serais fort reconnaissant. Voyez-vous, l’art du tissage révèle beaucoup d’un individu, pour un oeil exercé. Le choix de la maille et de la matière, le choix du type de tissage et du matériel, des couleurs, des motifs. Chaque détail est un indice sur le créateur. M’offrir une étoffe de vos mains serait comme m’offrir une part de vos pensées. Un présent royal” Ses lèvres tremblèrent dans son amusement, son sourire menaçant de fleurir davantage “Bien que je doute que vous cherchiez à me ravir mon coeur, n’est-ce pas ?” Son invité se faisait taquin, mais cela pouvait être partagé. S’il s’agissait d’un échange de mots, il se montrerait tout aussi prompte et présent que pour une passe d’arme. Il l’avait laissé sur sa faim. Mais il l’était aussi, si son assertion était faite, sa curiosité demeurait, aussi n’avait-il qu’une courte honte à le faire languir. Un prêté pour un rendu. Oh tout de même, il pouvait deviner seul l’issue de ses réflexions non ? Il n’avait pas réellement besoin d’intervenir.

Considérez-vous que l’on puisse restreindre à une localisation si étriquée la fin à laquelle je souhaite vous employer ?” C’était extrêmement divertissant que de le voir si méfiant, si prudent, cherchant le poignard dissimulé. Prudence est mère de sûreté dit-on, aussi était-ce sain de sa part. Sain… et divertissant. Dire qu’il n’avait pas le moindre intérêt dans tout cela serait mentir plus que de raison, et pourtant il se voulait au-dessus de la moyenne des pirates qui se précipitaient pour grappiller le moindre gain. Il était patient et savait investir, mais voulait-il réellement le lui dire ? En vérité… ce serait insulter son intelligence que de ne pas le faire. “Je suis réellement navré des libertés prises par mon père” Même s’il ne condamnait pas ses actions. “Je suis également navré de ne pas avoir été suffisamment clair sur ma volonté de conserver au mieux votre dignité et votre intégrité. Je vous renouvelle mon voeux et en appelle à votre indulgence à l’égard de mon optimisme envers mon père

Il n’y avait nul mensonge dans ses paroles. C’était rigoureusement la vérité, il voulait le conserver entier et intègre car cela lui permettrait d’en user. Il ne voulait pas le voir ‘cassé’ effectivement. Il comprenait l’amertume de l’althaïen bien que cela ne l’émeuve pas plus que de raison. Ilhan Avente n’avait pas connu les bas-fonds gloriens. Là-bas, le fort prenait, et le faible subissait. C’était la loi naturelle du jeu des pouvoirs. La classe dirigeante interprétait simplement cela avec plus de raffinement. “Il n’y a pas de prix réel” Son regard croisa le sien et il replaça une longue jambe avant d’expliciter. “J’investis sur votre approbation et votre contentement au mieux de mes moyens. L’obtenir me rétribuerait pour l’avenir. N’est-ce pas ainsi que l’on construit une bonne relation Monseigneur ? Or j’aimerais avoir de bonnes relations avec vous justement” Une fois de plus, il se montrait parfaitement franc avec son invité, parce qu’il n’avait pas de raison de mentir au sujet de ses intentions.

Cela convient-il à votre bon plaisir ?

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Les entendre discourir sur l’art du tissage aurait pu en déconcerter plus d’un. Et les doubles sens cachés avaient au moins le don d’adoucir l’humeur ombrageuse de l’althaïen en lui apportant un petit vent d’amusement. Il retrouvait là, au moins, l’art des joutes tel qu’il en avait connu à la Cour. L’un des rares attraits que celle-ci avait conservés au fond de son coeur. Cet art des doubles sens, des demi-mots, des vérités omises, des faux-sens cachés… Et que Nayan en maitrise un tant soit peu cet art trahissait le temps qu’il avait pu y passer d’ailleurs. Le sainnûr aurait pu dire ce qu’il voulait, ce seul trait trahissait son éducation, et le faisait ressortir du lot du commun des pirates. Bien que cela ne soit guère difficile vu la fange qui peuplait ce lieu…

Il tut le fait qu’il ne tissait pas les étoffes de soie lui-même. Son art du tissage était tout autre, et tous deux le savaient. Il n’était pas doté, comme Nayan, d’un art manuel particulier. Il aurait été bien incapable de réaliser le chef d’oeuvre qui les couvait de son mortel regard en ce lieu. Non pas qu’il n’en aurait pas eu la patience, mais il n’en aurait certainement pas eu le talent, l’habileté manuelle que requerrait cet art-là. Peut-être qu’avec de la persévérance aurait-il pu la développer, cela dit. Il s’était découvert des capacités inexplorées et inattendues ces dernières années. Allez savoir concernant ce pan-là qu’il n’avait, au final, jamais testé… Quand bien même il choisirait assurément un… autre matériau… de travail.

“Bien que je doute que vous cherchiez à me ravir mon coeur, n’est-ce pas ?”

Ilhan se contenta d’un rictus amusé, mais ne répondit pas. Son regard sombre se contentant d’observer son hôte en une fausse patience savamment dissimulée. Ses nerfs étaient à cran, et pour autant il parvint encore à trouver la force de cacher tout agacement, toute appréhension. Il ne chercha pas à dissimuler une quelconque méfiance. Il était assez connu pour friser la paranoïa. Nul besoin de cacher ce côté-là de sa personnalité. Le reste ? Le reste couvait en lui, au fin fond de son esprit, avec les mille questions tourbillonnantes, mais son corps, son visage, restèrent aussi impassibles qu’un miroir poli. Attendant, attendant encore, attendant toujours. À l’affut toutefois du moindre geste, du moindre indice. De quel indice ? Il n’aurait su dire. Mais si l’un se révélait devant lui, il ferait tout pour le saisir.

Quand Nayan aborda sa dignité et son intégrité, Ilhan se contenta de se mordre l’intérieur des joues, à s’en faire saigner légèrement, goûtant la saveur âpre de son propre sang, pour éviter de se trahir d’un quelconque rictus de dégoût ou d’une parole par trop acerbe. Son indulgence ? Il l’avait déjà par le simple fait qu’il l’écoutait. Et qu’il ne rejetait ni ses propos ni ses possibles offres. Pas qu’il ait un quelconque autre endroit où aller ni qu’on l’attendait urgemment ailleurs, et cette rencontre avait au moins le don de divertir assez son esprit pour le focaliser sur autre chose que les événements de la veille. Mais il aurait tout aussi bien pu rester une huitre totalement fermée et hermétique à tout propos de ce fils de forban. Rien que par le fait qu’il écoutait et conversait avec ce dernier était pour lui un don d’indulgence déjà.

Ainsi donc il serait un investissement ? Un investissement se faisait toutefois sur le long terme… un court instant, l’ironie de cette constatation manqua le faire ricaner, mais il se retint. Nayan était-il conscient que potentiellement il allait mourir d’ici peu ? Sans doute non, sinon il ne parlerait pas d’investissement le concernant. Voilà en tout cas qui était intéressant. Et l’althaïen n’était pas près de le détromper.

Mon bon plaisir… aurait été déjà de ne jamais venir en cette cité contre mon gré, répondit-il d’une voix lente et aux accents calculés.

Il inspira longuement, calmement, et s’amusa à dessiner un nœud du bois de la table. Avant de reporter toute son attention sur son hôte.

Mon approbation et mon contentement ? Tout dépend au sujet de quels faits. D’avoir joué mes... ravisseurs…

Oui, ce mot pouvait être pris à double sens encore une fois.

De m’avoir séquestré contre mon gré, de m’avoir ôté quelque consentement en certaines occasions ? De m’avoir livré à votre fourbe de père ? Avouez que vous avez commencé du mauvais pied pour ravir mon approbation et mon contentement.

Il laissa fleurir un sourire entre moqueur et acerbe, avant de reprendre, d’une voix toujours calme par ailleurs.

C’est moi qui demande en cet instant rétribution. Si vous souhaitez construire une quelconque relation positive ou constructive avec ma personne sur le long terme, il vous faudra déjà me dédommager de tous ces méfaits accomplis.

Et se disant, il se laissa doucement aller contre le dossier de son siège. Et sonda l’autre du regard. Il n’était pas dupe. Derrière cette volonté, d’apparence sincère, de vouloir entretenir de bonnes relations avec lui, se cachait assurément un plan. Et quand on songeait que Nayan avait osé évoquer, même si à demi-mots, ses soupçons quant au Tisseur et à son identité commune avec Ilhan, il y avait tout à parier que ces plans, s’ils existaient vraiment, concernaient la Toile. De quelle manière ? Pour quels motifs ? Il n’en savait encore rien. Mais… peut-être pourrait-il, lui aussi, tirer parti de cette soudaine opportunité de lier des… relations… avec ce pirate. Ce serait un jeu dangereux, mais ce ne serait pas la première fois qu’il s’y risquerait. Et pour une fois, il tenait là un fil des plus intéressants à tisser. Bien plus intéressants que tous ceux qu’il avait pu nouer jusque-là concernant les pirates. Il pouvait donc peut-être tenter de voir ce que cette… relation… pouvait donner.

Et cela commencera par accéder enfin à l’offre que vous m’avez proposée en entrant dans cette pièce. Décoction calmante… non droguée cette fois… et massage, était-ce bien cela ?

Ce disant, il croisa nonchalamment les jambes, retenant le rictus de douleur qui monta en lui à ce simple geste.

Et m’expliquer comment vous compter… tisser… votre mensonge de ma fuite. Je vous avoue être grandement intrigué.

Et, susurrant, comme un chuchotis entre complices.

Les mensonges ont toujours eu le don de titiller ma curiosité.

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Il écouta d'une oreille fort attentive mais non sans réprimer un fin ourlet de la lippe, aveux d'amusement, aux reproches qu'on lui dédiait. Il était certes coupable de rapt, mais jamais de l'avoir retenu. Si le conseiller avait voulu s'ébattre dans Athgalan, voire défier le marais pour sa liberté, il ne l'aurait pas le moins du monde empêché. S'il avait exigé en l'instant d'être reconduit par les flots sur le lieu de son choix, sans doute même aurait-il accédé à sa requête. C'était finalement le bon sens, qui avait retenu le diplomate, non sa main ou son autorité. Tout ce qu'il avait exigé de son invité, c'était de ne plus essayer de faire de trous dans la coque de son bâtiment. Là encore, cependant, c'était pour son bien puisqu'il semblait ne viser que les emplacements protégés par la chair symbiotique de la Reine. Une perte d'énergie conséquente pour un homme souffrant. Il garda tout cela pour lui cependant, acceptant de bonne grâce la sentence. Il tu également le plaisir évident montré par son invité lors du grand repas qu'il regardait à présent avec tant d'horreur. Il n'avait pas besoin de se récrier.

« Affirmez-vous là votre volonté de talion pour mes actions ou également celles de mon père ? » Sa voix, égale et caressante, se paraît d'un furtif éclat de gaîté. L'immaculé n'était pas un seul instant perturbé face au spectre de l'hypothèse que l'Althaïen lui demande remboursement pour les forfaits de Nathaniel par le menu, tout en sachant pertinemment qu'au vu de ses réactions précédentes, il ne lui demanderait pas un paiement des plus exact. L'agiter devant lui n'en était pas moins un jeu plaisant et il décida de pousser le vice d'une révérence gracieuse et soumise. « Je m’exécuterais dans tous les cas » Que choisirait donc Ilhan Avente, dans tout son raffinement convoité, sa fierté et sa dignité écornées, le tiraillement de sa conscience et de sa méfiance ? Car il se méfiait, ce qui ne faisait qu'alimenter la bonne humeur du pirate. L'homme était fascinant. Une mine d'expressivité toute en subtilité et de réactions seigneuriales et humaines à la fois. Qu'est-ce qui le rendait méfiant, en fin de compte ? Sa bonne volonté ou ce qu'il déduisait de lui par leur échange ?

« C'était bien cela, en effet Monseigneur »

Toute sa vie avait été un apprentissage, de son enfance en noble à Lyssa à ses années comme prostituée, à sa formation de tueur. Tout, absolument tout, avait été une source de force. Il en était sortit grandit mais également riche de ses expériences. Effectuer quelques boissons calmantes et pratiquer des massages étaient, et de loin, deux des capacités les moins chèrement acquises et les plus utiles. Deux possibilités, néanmoins, qui ne se réaliseraient pas ici, dans la salle du conseil des capitaines. Il sourit, à cette feinte complicité, et l'invita d'un geste à le suivre. Ensemble, ils quittèrent la froide salle de l’œil et se rendirent dans les quartiers réservés aux capitaines, et plus particulièrement, la suite du maître des assassins. Lui offrant de se mettre à l'aise, dans l'un des sièges, il commença par préparer l'infusion de plantes destinée à apaiser le corps comme le cœur, et à réchauffer, et l'offrit à son invité avant de tirer d'un coffre de bois rouge un ensemble d'huiles parfumées. Il prit un extrait composé d'une base d'huile de maïs, d'huile de pépins de raisins ainsi que de décoction de millepertuis. Le parfum ajouté était fait d'orange, de lavande, de coriandre et de myrrhe.

« Voulez-vous que je commence par le dos ? »

Ce serait plus innocent, pour le mettre en confiance et lui faire comprendre que, non, il ne comptait rien lui arracher d'autre que quelques soupires quand un muscle craquait. S'installant pour officier, il resta un moment sans rien dire, tout simplement trop occupé par l'étude du corps dont il s'occupait. Il voulait apprendre ses réactions, trouver comment dénouer muscles et nerfs, afin de le détendre au mieux. Et parce qu'il étudiait intérieurement la façon dont il pouvait, effectivement, faire s'évader son invité. Car à n'en pas douter, il fallait que cela ressemble à un évasion. Avente allait servir, comme un très bel outil. Le coup porté par Nathaniel à ses détracteurs avait été trop ferme et sec, chose que lui-même n'avait pas prévu. Il y avait encore quelques racines du mal à arracher mais il avait besoin d'un prétexte, une excuse. Quoi de mieux qu'une évasion de prisonnier de qualité pour cela ? L'un de ses disciples viendrait chercher l'Althaïen pour l'emporter jusqu'au navire qui partirait aux premières heures du jour pour les côtes sud où il serait débarqué avec des vivres et tout le matériel nécessaire pour un voyage vers la légion.

Il lui narra tout cela tandis que ses mains huilées allaient et venaient. Sa voix chaude se tu un moment après cela, pendant quelques longs instants, afin de reprendre de la substance dont il usait sur ce corps bruni. Puis, il rompit l'atmosphère paisible et parfumée. « Ma pénitence vous sied-t-elle jusqu'à présent ? » Ses mains pressaient sans abuser de sa force, venant chercher les nœuds avec une grande application, n'aggravant pas la douleur lorsqu'il sentait que le corps sous lui risquait de ne pas le supporter. Il attendait également de le sentir se détendre avant d'aller plus loin et de reprendre la parole. Lorsque le moment sembla propice, il ralentit les mouvements et laissa glisser sa voix dans l'air alentours. « Dites-moi, Seigneur, que diriez-vous si je vous donnais des nouvelles de vos compatriotes Délimariens ? »

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S’il clamait vengeance pour ses actions ? Oui. En partie du moins. Pour celles de son père ? Non. Cela il se le réservait pour plus tard. La vengeance était un plat qui se mangeait froid, disait-on. Et ce dicton ne serait jamais aussi vrai qu’en cet instant. Non, il ne réclamerait pas ce dû-là tout de suite. Et surtout il ne le réclamerait pas au fils. Le père seul serait apte à répondre de ses actes. Non seulement parce que, selon lui, les enfants ne devaient pas payer pour les actes de leurs parentés, mais en outre parce que Nathaniel ne méritait pas qu’un autre paie pour lui. Sans compter que pour ce paiement-là, il ne se contenterait pas d’un petit massage et d’une infusion.

L’althaïen observa donc le petit manège de l’immaculé et enfin lui répondit d’un rictus entre mi-figue mi-raisin :

Les actes du roi des pirates attendront leur juste rétribution plus tard.

Les deux derniers mots coulèrent lentement, et résonnèrent dans la haute pièce telle une sentence. Une promesse. Plus tard. Cela pourrait prendre des années, des décennies, et peut-être, sans doute même au vu de son état, ne serait-il plus là pour voir cette "rétribution", ce juste châtiment, mais il s’assurerait qu’un jour, quelqu’un fasse payer à ce mécréant tous les crimes qu’il avait commis. Tous. Dut-il lui-même contracter, s’il en avait le temps, quelques fourbes alliances pour arriver à ses fins quand le jour viendra. Mais pas maintenant. Maintenant Nathaniel pouvait encore servir, ne serait-ce qu’en restant à ce siège et en faisant du roi des pirates un être assez prévisible pour pouvoir le contrer au besoin. Plus tard donc… quand il ne serait plus utile à cette place, ou s’il advenait à changer et à s’affiner tel son fils, alors oui le temps viendrait, et Nathaniel paierait.

Un enfant n’a pas à payer pour les actes de ses parents. Votre seule charge est déjà bien assez lourde, susurra-t-il.

Puis à l’invitation de son hôte, il suivit à pas lents, ne manquant pas d’observer avec attention tout autour de lui. Il compta les portes, le nombre de pas qu’ils firent, observa chaque ouverture, chaque potentielle issue… Non pas qu’il chercherait en cet instant à s’évader. Pas alors qu’on lui avait déjà suggéré qu’il allait s’enfuir. Ou plutôt qu’on allait le faire s’enfuir. Ce serait totalement inepte et stupide. Mais il nota tout de même ces informations dans un coin de son esprit. Allez savoir, cela pourrait toujours servir…

Il s’installa quand on l’y invita, prenant soin de s’asseoir doucement, à gestes lents et comptés. Il huma les doux effluves de l’infusion et s’autorisa à fermer les yeux pour mieux en savourer les senteurs. Il hésita un instant à y goûter, mais chassa ses vieilles peurs et manies, en songeant que son hôte n’avait aucun intérêt à l’empoisonner maintenant. Il n’avait rien à craindre de ce breuvage. Son hôte y perdrait tout ce qu’il aurait pu si difficilement gagner le concernant. Ilhan en but alors une petite gorgée et se laissa envoûter par les bienfaits du breuvage.

« Voulez-vous que je commence par le dos ? »

La voix le sortit de ses rêveries, et il releva un regard sombre sur Nayan. Puis hocha enfin la tête en guise d’assentiment, tout en défaisant lentement son pourpoint et sa tunique. Ce fut d’abord avec raideur qu’il se laissa aller aux mains du forban. Mais bien vite les mains expertes parvinrent à arracher une certaine confiance à son corps et ses muscles se détendirent un à un, à une lenteur presque exaspérante, pour enfin se laisser complètement aller au massage raffiné et apaisant. Eût-il été Graärh qu’il aurait pu en ronronner de plaisir. Bien entendu, même sous la torture il n’avouerait jamais les légers soupirs de soulagement et bien-être qu’il peina à réprimer.

Et se contenta d’écouter le récit de son évasion à venir. Il n’y avait pas à dire, cet être était des plus fourbes et des plus dangereux. Mais en cette occasion, il n’allait pas s’en plaindre. Même s’il détestait l’idée d’être ainsi utilisé à des fins pirates, au moins avait-il une chance de sortir de ce marasme et d’échapper à une nouvelle entrevue avec le roi des marauds. Quand bien même il lui faudrait parvenir à rejoindre lui-même un camp Graärh une fois débarqué sur la plage… ce qui n’était pas gagné en soi, pour tout avouer. Doué comme il l’était en matière de survie… À croire qu’il s’agissait là d’un test également. Et ne serait-ce pas aussi un moyen de débusquer un des camps Graärh les plus proches de la ville pirate ? S’il jouait à ce jeu et parvenait à trouver les Graärh, n’allait-il pas trahir leur position si jamais il était tracé ? Mais si tel était bien le cas, c’était que les intentions Graärh avaient déjà été démasquées et que, camp débusqué ou non, leurs plans risquaient d’être déjoués… Qu’il les rejoigne ou non, les plans Graärh semblaient compromis si ses suppositions étaient bonnes. Mais en les rejoignant, il avait une chance de retrouver sa Reine plus rapidement et de l’informer de tout ce qui s’était passé. Les Graärh devraient ensuite changer de plan et d’emplacement… S’ils n’étaient pas stupides, sans doute y avaient-ils déjà songé d’ailleurs, n’est-ce pas ?

« Ma pénitence vous sied-elle jusqu'à présent ? »

Une fois encore la voix manqua le faire sursauter. Il ne répondit pas de suite. Il préférait savourer ce petit instant de paix et d’accalmie. Et grand bien lui en prit. Car la suite manqua le figer. S’il parvint à contenir tout geste malvenu, qui aurait trahi sa surprise et sa soudaine tension, nul doute toutefois que les mains encore sur son dos avaient parfaitement senti ses muscles se tendre légèrement.

Ilhan s’autorisa un long et profond soupir alors que la réalisation se faisait en son esprit.

Vous m’avez menti.

Ce n’était ni une question ni même une accusation. Juste un fait.

Ils sont toujours vivants, n’est-ce pas ? Ce n’est pas…

Sa gorge se noua et il dut déglutir avant de parvenir à reprendre d’une voix contenue et égale, parfaitement maitrisée.

Pas eux que j’ai mangés.

Il réprima de peu une grimace de dégoût et refoula le relent soudain qui lui montait et qui manqua de peu de lui faire rendre de nouveau ses tripes. Quand le spasme disparut peu à peu, il se dégagea doucement des mains expertes et se retourna.

Vous vous êtes bien amusé de mon affliction, j’espère, susurra-t-il d’une voix basse.

Cachant savamment le soulagement évident qu’il éprouvait à les savoir finalement en vie. Et surtout de savoir qu’il ne les avait pas mangés eux. Même s’il savait en avoir mangé d’autres. La question de savoir "qui" flotta un instant dans son esprit, et il hésita à la poser. Mais il n’était pas bien sûr de vouloir savoir leur identité au final. Était-ce si important ? Et ne serait-ce pas possiblement pire ?

Si, songea-t-il. Cela était au final important. Car savoir qui était maintenant en lui, savoir qui le hanterait en son esprit, était important. Ne serait-ce que pour qu’il puisse, un jour, leur rendre hommage, faire pénitence à son tour, et qu’il ne les oublie jamais. Qu’il puise dans ce souvenir funeste, dans cette saveur qu’il avait aimée et haïe tout à la fois, la force de ne pas les oublier et de les honorer. Il prit donc tout son courage à deux mains, planta ses obsidiennes transperçantes dans les gemmes noires de l’Immaculé, et se lança :

Qui était-ce ? Les connaissais-je ? La vérité sur la question sera une de mes rétributions, fit-il d’une voix ferme.

Presque autoritaire. Tel un seigneur commandant à ses affidés.

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Un enfant n’avait pas à payer pour les actes de ses parents. C’était bien beau, comme théorie, en pratique en revanche, il était rare qu’on s’y applique. Bien entendu, il ne comptait pas servir son passé sur un plateau pour son invité, mais il avait pu expérimenter à quel point l’affirmation était pure candeur. Les enfants étaient les premiers à payer en toutes circonstances. Peu importait, cela lui faisait d’autant plus de disciples potentiels quand il ramassait ces pauvres âmes en perdition dans ses filets. Il leur offrait un toit, un apprentissage, une famille, un but. Il n’y avait ensuite pas plus loyaux qu’eux. Il le savait, car Nathaniel avait agit de la même façon avec lui. Et il savait être loyal à mort à son père. Tout ce qu’il faisait, chaque souffle de ses poumons, chaque pensée, tout l’incluait, lui, et son profit. Encore en cet instant, il pensait à son profit même si Nathaniel pouvait ne pas le voir ainsi. Quant à Avente, il ne voyait certainement pas leur dîner aux chandelles du même oeil que lui, pour sûr. Le sentant se raidir, il cessa le massage pour ne pas risquer de lui faire du mal.

Oui

Il l’admettait sans mal. Il était opportuniste et avait capitalisé sur les réactions de son invité.

Non

Ce n’était pas eux qu’il avait mangé. Le jeu avait tenu le temps qu’il fallait mais les blagues les plus courtes étaient les meilleures à n’en pas douter. Pour tout avouer, il ne comprenait le dégoût du diplomate qu’au travers du spectre des bonnes moeurs. Mais en fin de compte, un humain était une source de viande comme une autre. En quoi était-ce plus criminel que la mort d’une biche ? La conscience ? Etait-elle réellement plus développée chez un humain ? Ou même un elfe… La prédation venait-elle de la race, véritablement, ou de l’essence, du tempérament, de la stature ? Les proies qu’il tuait et mangeait étaient plus faibles que lui, leur consommation l’affirmait. Elles étaient mortes et pas lui. Non, véritablement, il n’arrivait pas à s’en tenir aux ‘bonnes’ moeurs. Elles émoussaient la prédation et empêchait l’ascension en obligeant à ne consommer que des animaux tiers. Il fallait plus d’essence. Les créatures bipèdes en contenaient plus, voilà à ses yeux la différence entre les deux.

Non, je ne m’en suis pas amusé. Là n’était pas l’objectif

Aucune passion n’animait sa voix. Il le testait, tout simplement. Cela n’allait pas plus loin. En revanche, cela lui plaisait qu’il n’ait pas saisi ce trait de sa personnalité. Être pensé cruel et abusif lui allait très bien.

Je doute que vous les connaissiez Seigneur

Ce qui était profondément amusant en vérité, c’était qu’il allait sans doute nuancer la chose dès à présent cependant. Se redressant, il s’écarta et marcha jusqu’à une vasque remplie d’eau dans laquelle il plongea les mains, avant de les laver avec un savon fait pour absorber le gras des huiles. Il prit un linge pour éponger l’humidité avant de revenir vers l’Althaïen sans se presser. Tout ceci ne nécessitait aucune précipitation, de toute façon il ne fuirait que pendant la nuit. Se servant un verre d’un vin fruité sélénien, il évita d’en proposer à son invité et observa un instant la robe veloutée avant de s’exprimer de nouveau. Si Avente voyait la consommation humaine comme source de culpabilité, il la voyait comme une part intégrante de sa religion et de sa façon de vivre. Chaque repas était une prière, une ode, une histoire à part entière. En mangeant, on en devenait une part intégrante. C’était un acte hautement sacré. Il ne l’aurait pas offert à n’importe qui et pour n’importe quoi.

L’entrée appartenait à un baron sélénien qui a cru bon d’abuser de mon hospitalité en maltraitant mes serviteurs et en exigeant plus de victuailles qu’il ne pouvait ingérer, et je n’aime ni voir les miens maltraités ni le gaspillage alimentaire

Il prit une gorgée de vin avant de poursuivre.

Le plat de résistance était une faveur que je devais à une femme que j’estimais et dont la vie et la condition ne permettait pas à un enfant de grandir convenablement et qu’elle souhaitait épargner à une vie cruelle et un monde sans pitié

Un grain de raisin croqua sous sa dent alors qu’il le happait pour ponctuer ses mots.

Le dessert recelait un espion que j’ai débusqué il y a peu… Il a eut la mauvaise idée de tenter de s’infiltrer en un lieu qui n’admettait aucun faux semblants

Son regard pesait à présent sur lui, son sourire était mutin.

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“Oui”

Mensonge enfin concédé. À moitié pardonné ? Un soulagement sans nom envahit l’althaïen et toute considération de velléité quant à tous les mensonges qui pourraient empuantir leur relation ou cette cité fétide s’envolait comme les dragons dans le ciel. Ils étaient vivants. Delimar n’aurait pas de perte à déplorer si ce n’est l’humiliation de s’être fait "voler" son conseiller sous le nez de ses gardes.

Un court moment il fut tenté de demander comment donc ce forban de filou avait réussi à le ravir dans l’ombre de leur navire. Delimar était réputée pour ses navires dits imprenables. C’était sans compter la fourberie assassine de certains esprits affutés qui avaient réussi, semblerait-il, à se glisser dans la faille de Delimar : imprenable quand on l’attaquait de front, ou dans toutes les règles de l’art guerrier… mais quand il s’agissait de passer par des méthodes de duperie et d’illusions éhontées, Delimar tombait dans le piège et se faisait tout autant berner que toute autre proie. Voilà une leçon dont ils allaient devoir tirer rapidement des conclusions.

“Non”

Là, aussi, soulagement réchauffa son coeur meurtri. Il n’avait pas commis cette infamie et n’aurait pas à confesser à sa Reine cet avilissement honni. Quand bien même il se sentait toujours souillé d’avoir commis un cannibalisme, et pire même qu’il l’avait apprécié. Il ne pouvait le nier, et plus que tout encore c’était ce fait-là qui l’horrifiait. Mais il garderait cela pour lui. Du moins en ces lieux, avec cet hôte-ci. Sur ce point-là, il pressentait qu’ils ne pourraient tomber en accord. Il pouvait écouter, tenter de comprendre, mais il sentait qu’il ne pourrait concéder y adhérer. Il n’avait d’ailleurs pas été choisi par le vautour, et ce n’était sans doute pas pour rien.

Amuser était peut-être un bien grand mot, certes. Mais son hôte ne pouvait nier avoir pris un certain plaisir à toute cette mascarade. Tel un théâtre finement joué, où les acteurs étaient testés sur leur prestation, ou plutôt leur improvisation. Une belle pantomime qu’ils avaient jouée là. Avait-il réussi à soutenir la comédie ? Ou sa performance avait-elle déçu son hôte ? Non, déception ne devait pas totalement être du lot. Sinon il ne serait pas question de le relâcher. Mais…

Mais Nayan avait parlé plus d’une fois de vouloir l’étudier, converser avec lui, apprendre de lui, et soudain il le relâchait ? Quelque chose clochait, songea-t-il en son for intérieur. Avait-il appris tout ce qu’il voulait apprendre ? Son échappée ne serait-elle finalement qu’un piège pour l’achever ? Ou… Nayan avait-il d’autres plans encore pour lui ? Avait-il un moyen de le suivre ? Sans doute, si son hypothèse que le relâcher permettrait de trouver le campement Graärh le plus proche. Mais si tel était le cas, comment ? Comment serait-il donc capable de le suivre à la trace ? Un espion le suivrait-il ? Ou userait-il de magie ? Que de questions soudain, pesta-t-il en lui-même, se fustigeant de se perdre ainsi en conjectures. Rien ne servait pour le moment de s’empêtrer dans tous ces fils de possibilités. Et s’il fut tenté de faire appel à sa pythie, il se retint à grand-peine. Cela non plus ne l’aiderait en rien, présentement.

Non, ce n’était pas le moment de s’inquiéter de tout cela. Il aviserait de ces questions, plus tard, en fonction de comment sa "fuite" se passerait. L’issue de cette évasion organisée lui donnerait déjà quelques informations intéressantes et des pistes à explorer. Si toutefois il en avait encore le temps…

Il se focalisa donc sur les révélations de son hôte. Et se concentra pour ne rien laisser passer de l’horreur qui peu à peu le figeait. Il bénit en son for intérieur ses années passées à devoir duper l’usurpateur en face, à lui mentir éhontément tout en le regardant droit dans les yeux, sans perdre la face. Car cela lui permit de ne pas laisser flétrir le simulacre de sourire qui ne l’avait pas quitté de la soirée, et de ne pas ciller d’un iota au fil des abjections qui lui étaient révélées. L’entrée était sans doute la moindre des atrocités. Oui, il le confessait, il savourait même l’ironie que lui, conseiller de l’alliance, ait dégusté ce met de choix, un baron sélénien qu’il n’aurait sans doute que peu apprécié. Oui, cela il voulait bien le concéder. Finalement, oui.

Mais le reste… S’il avait tout compris… L’agneau… Il aurait mangé un enfant ! Un enfant certes sauvé de la misère qui l’attendait. Mais… un enfant quand même ! Un haut-le-coeur manqua le happer, mais il parvint à chasser le spasme, se contentant de poser une main sur son estomac. Ce fut le seul mouvement qui put trahir son émoi. Il parvint même à réprimer le frisson qui soudain le glaçait.

Et le dessert... Le dessert n’avait été nulle autre que son araignée ! Son espion. Celui-là, ou plutôt celle, qu’il avait envoyé à une possible mort assurée. Et sa mort, il s’en était même régalé. Il se retint de fermer les yeux, la lassitude chassant l’effroi pour ne laisser qu’un grand vide en lui. Au lieu de cela, il garda ses orbes sombres, soudain terni de tout éclat de joie, ancrés sur son hôte, tels deux puits sans fond qui semblaient sonder en l’autre cette âme aux ténèbres sans nom.

Il laissa un lourd silence flotter entre eux, avant d’enfin prendre assez confiance en sa voix pour qu’elle ne trahisse pas tous ses affres.

Ah les espions… Ils sont terriblement pernicieux à s’infiltrer partout, même dans les lieux dans lesquels ils ne sont pas invités, fit-il, presque en un susurrement soyeux.

Il remercia ses intonations de ne pas perdre en assurance. Même s’il dut chuchoter pour ne pas la voir trembler.

C’est comme les araignées. Elles rentrent partout, dans les plus petits interstices, en tout lieu, tout site, et tissent leur toile dans les plus sombres recoins.

Il se força à offrir un sourire à son hôte, qu’il accentua d’un léger rictus moqueur.

Ce qui est le plus terrible d’ailleurs avec les araignées, c’est que même lorsqu’on en écrase une, dix autres arrivent derrière. Telles des filles voulant reprendre la toile de leurs mères.

Son rictus se fit plus sombre quand il répéta, d'un ton lugubre :

Terrible.

Et le rictus s’effaça aussitôt, comme si de rien n’était.

Il se leva doucement et reprit sa tunique qu’il revêtit à gestes lents. Il ne pouvait nier que Nayan était doué. Il avait su dénouer ses muscles tendus, même si la douleur pulsait toujours en lui, insidieuse. Et même si ses révélations ternissaient quelque peu ce petit moment d’accalmie.

Il avait l’impression de parcourir les monts de Glacern de haut en bas à vitesse vertigineuse, ou de faire des sauts périlleux à dos de dragons, depuis qu’il était arrivé chez les pirates. Chaque instant, chaque jour passé en ces lieux, en ces présences, lui faisait courir un marathon émotionnel comme il en avait rarement connu. Il avait soudain l’impression de revivre les tensions de ses années d’espionnage… des années, qu’il aurait voulu révolues à jamais, et des sensations qu’il aurait espéré ne jamais plus revivre. À croire que le destin se jouait de lui et avait décidé de lui rappeler ses pires années peu de temps avant qu’il ne tire sa dernière révérence.

Il finissait de fermer son pourpoint, quand il reprit, à voix basse, tentant de lui donner quelques notes taquines, malgré les sombres nuances qui flétrissaient son humeur.

J’avoue toutefois avoir nettement préféré l’entrée. Maintenant que la vérité m’est révélée la concernant, je crois comprendre pourquoi.

Ironie du sort d’ailleurs, songea-t-il. Il avait savouré le foie malade d’un Sélénien, et avait sans doute rendu son propre foie plus malade encore qu’il ne l’était. À cette pensée intime, son sourire revint, teinté toutefois d’une légère nostalgie.

Mais j’espère bien qu’à notre prochain repas, si prochain il y a, vous m’épargnerez ces mets-là.

Il releva ses obsidiennes sur Nayan et le darda d’un regard transperçant.

Était-ce une invite à le revoir ? Possiblement. Car il se demandait de plus en plus si Nayan le laissait véritablement partir, s’il lui rendait vraiment sa liberté. Il ne parvenait pas à croire totalement que cet être puisse laisser une proie, quelle qu’elle soit, s’évanouir à nouveau dans la nature… sans avoir un autre plan derrière la tête. Et si plan il y avait, il le saurait, tôt ou tard. Si mort ne le ravissait pas avant, bien entendu.

Je préférerais de loin retrouver vos talents de masseur, que ceux de cuisinier, sans vouloir vous offenser.

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Un léger mouvement de la tête. Pernicieux ? Il écouta jusqu’au bout, hochant parfois la tête, laissant à son invité le soin de renouer sa tunique sans aide. Une fois qu’il eut fini, le pirate lui tendit également une longue veste d’une chaude étoffe, contre la fraîcheur naturelle de cette heure proche des marais. L’avis émis avait son intérêt mais il n’y trouvait pas ses propres convictions, sans doute en raison du spectre moral très différent dans lequel il évoluait. S’il avait été Nathaniel, sans même aller jusqu’à Avente lui-même, sans doute aurait-il vu cette infestation comme terrible et menaçante, ce cycle de reconstruction, de retour inlassable comme quelque chose de nocif pour ses affaires. Il répondit cependant avec une honnêteté sans effets de manches.

Les espions oeuvrent au but pour lequel ils existent. Tout comme l’araignée tissant sa toile afin de se nourrir. La nécessité est force de loi, je pense. On fait ce que l’on doit. Si l’on fait bien on perdure, si on fait mal on disparaît

Il glissa néanmoins, après un instant, prouvant qu’il restait attentif aux mouvances de son discours. Cela ne l’étonnait pas, qu’il préfère l’entrée. Cela ressemblait bien à sa personnalité, ou en tout cas à ce que l’althaïen en avait montré. S’il s’était joué de lui, alors bien entendu, il se tromperait sur cela également. Et lui ? Qu’est-ce qu’il avait préféré ? Pas l’entrée en tout cas. Le dessert, certainement. Sanctionner les règles de courtoisie et bonne tenue d’une relation d’un invité à un hôte ne lui plaisait nullement, car il voyait ces règles comme sacrées. Elles étaient le don du foyer à leurs races biaisées et égoïstes. Il avait aimé le dessert en revanche car il s’agissait du couronnement d’une évolution. Il avait vaincu un adversaire et s’appropriait son essence.

Je garderais vos préférences culinaires en mémoire, bien sûr

Un sourire se glissa à ses lèvres. Ses talents de masseur pouvaient s’avérer plus périlleux que ceux de cuisinier, si on y regardait de près mais cela aussi dénotait le caractère de son invité, à son avis personnel. Ses qualités morales présidaient son confort plus que le confort du corps lui-même. C’était admirable, à ses yeux. Encore un exemple à suivre dans son ensemble. Et il ne pouvait alors qu’accepter, humblement, cette force de caractère. C’était ce qu’il essayait de cultiver au sein de la secte. De plus, sa vie ne l’avait pas pourvu d’un orgueil suffisant pour prendre ombrage d’une affaire de goûts. En cela, chacun était libre de vivre tel qu’il le voulait et ce n’était pas lui qui allait s’y opposer. Preuve en était : il savait préparer les salades.

N’ayez crainte, Seigneur. Nulle offense n’est ressentie

Et il glissa tout bas, mais encore parfaitement distinctement :

Cela aussi, je le garderais en mémoire




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