Voici un petit conte, rapide, inspiré d'un conte connu, qui sera appelé ici "La petite fille à la magie".
Un froid effroyable vous flagellait de ses doigts glacés. Et le monde se couvrait de son manteau de neige. L’obscurité étendait son voile sur les cieux et le soir approchait. Le soir du dernier jour de l’année. Rafales de froid glacial et au milieu de tout cela, une frêle silhouette errait. Une petite fillette marchait seule dans les rues, presque pieds nus. Elle frissonnait sous les assauts de glace et ses cheveux volaient au vent.
Dans sa vieille tunique abimée, usée par le temps, elle tenait ses mains, en frissonnant. Ses mains de magie pleine. Ses mains proposant un instant de magie pour quelques piécettes. En ce jour, la veille du nouvel an, tout le monde s’affairait, tous l’oubliaient. Chacun passait sans la voir, elle n’était plus qu’une frêle ombre dans le soir. Par ce temps où neige se déchainait, personne ne s'arrêtait pour ne serait-ce que regarder la petite fillette. Son air suppliant allait droit au néant. Et plus aucune pitié ne lui était accordée. La journée finissait et elle n'avait pas encore vendu un seul tour de magie. Tremblante de froid et de faim, elle se traînait de rue en rue. Les pieds à nus.
Déjà les flocons de neige couvraient sa longue chevelure blonde. Sur toutes les fenêtres brillait une petite lumière, mais aucune ne s’était allumée pour elle. De toutes les maisons, une délicieuse odeur s’élevait, mais aucun festin ne serait sien ce soir. C’était le dernier jour de l’année, et elle était seule, abandonnée.
Enfin, après avoir une dernière fois offert en vain un peu de sa magie, l'enfant aperçut un petit coin entre deux maisons. Harassée, elle s'y installa et tira à elle ses petits pieds. Mais elle grelottait et frissonnait plus encore. Chez elle il lui était impossible de rentrer. Elle n’avait plus nulle part où aller.
L'enfant avait ses petites mains de froid engourdies.
– Si je faisais un peu de magie pour me réchauffer, se dit-elle, juste un peu pour réchauffer mes doigts ?
Certes, fatigue l’harassait et faire de la magie dans son état ne serait guère de bon aloi. Mais avait-elle le choix ?
Alors c’est ce qu’elle fit. Quelle belle flamme que celle qu’elle produisit au creux de ses mains transies.
Il sembla tout à coup à la petite fille qu'elle se trouvait devant un grand feu de bois, criant de joie, et que douce euphorie l’enveloppait. La petite allait rapprocher ses pieds pour les réchauffer, lorsque la petite flamme brusquement s'éteignit. Le feu de joie disparut, et l'enfant resta là, mains tendues, éperdue.
Elle recommença alors. La lueur de nouveau se projeta et tout devint soudain illusions de théâtre quand les ombres se mouvèrent rien que pour elle. Un festin l’attendait, là, dans les ombres. Une belle nappe blanche, sur une grande tablée bien mise. Brillaient porcelaine et cristal pour des mets aux saveurs honnies. Et puis soudain... plus rien. La flamme s'éteignit.
Magie aspirait son énergie et épuisement l’enveloppait, mais la fillette recommença une troisième fois. Et elle se vit transportée près d'un grand sapin magnifique. Sur ses branches vertes brillaient mille bougies. De tous côtés, pendait une foule de merveilles et toutes les personnes autour souriaient pour elle. La petite fille étendit la main pour saisir la moins belle… mais soudain la flamme s’éteignit. L’arbre monta vers le ciel, emportant avec lui toutes ses merveilles. Et la petite fille resta seule, encore une fois. Quand soudain elle crut voir une branche se détacher de l’arbre et tomber.
– Voilà quelqu'un qui va mourir, se dit la petite fille.
Sa vieille grand-mère, le seul être qui l'avait aimée et chérie, et qui était morte il n'y avait pas longtemps, lui avait dit que lorsqu'on voyait une étoile filer, d'un autre côté une âme montait rejoindre le royaume de Mort. Elle relança alors son sort. Encore. Et grande clarté se répandit : devant l’enfant sa grand-mère était là, tout en sourire.
- Grand-mère, s'écria la petite fille, grand-mère, emmène-moi. Ne pars pas. Je sais que tu vas me quitter quand mon sort s’éteindra. Tu t’évanouiras comme le feu de joie, comme la belle table et comme le bel arbre. Reste, je t'en prie, ou emporte-moi avec toi.
Et l'enfant s’empressa de renouveler son sort avant même qu’il ne s’éteigne. Et un autre, et un autre encore, et enfin consuma toute sa magie, pour voir sa grand-mère le plus longtemps possible. La grand-mère prit alors la petite dans ses bras et la porta bien haut, en un lieu où il n'y avait plus ni de froid, ni de faim, ni de peur ni de chagrin.
Le lendemain matin, cependant, les passants trouvèrent dans le petit coin le corps de la petite fille. Ses joues étaient rouges, mais elle semblait sourire. Elle était morte de froid, pendant la nuit qui avait apporté à d'autres tant de joies. Et dans ses mains semblait vibrer encore la lueur de la magie.
Certains versèrent des larmes sur l'enfant. D’autres s’écrièrent. C'est qu'ils ne savaient pas toutes les belles choses qu'elle avait vues pendant la nuit. Ils ne savaient pas que, si elle avait bien souffert, elle goûtait maintenant dans les bras de sa grand-mère, la plus douce paix à l’infini.