22 septembre 1763
Il aurait été préférable qu'il s'agisse de Cynoë. Le dragon d’améthyste s'était introduit dans la famille Kohan depuis trop longtemps, pervertissant un peu plus l'esprit vacillant de la lignée régnante. Il avait jadis été lié à la défunte Princesse Esmelda dont l'amour avait mené à l’écœurement et à la rébellion les glacernois. La Princesse n'était plus mais cette bête coriace avait survécu... Pour se lier à nouveau à une figure royale, telle une sangsue qui refusait de perdre l'emprise qu'elle avait sur les têtes qui dirigeaient le peuple humain. Cynoe était avide de la couronne... Et où est-ce que sa soit-disant sagesse draconique avait mené l'empereur ? Guerre, décisions stupides, relations diplomatiques désastreuses, famine dans les campagnes. Cynoe était un parasite que Naal aurait voulu détruire une bonne fois pour toutes. Il y avait eu trop de guerres, Thelem, son fils, y avait perdu la vie. Ce monstre d'écailles devait s'éteindre pour que le peuple des hommes respire librement mais ce n'était que partie remise. Son tour viendrait.
On lui avait signalé le vol d'un autre monstre épris d'une Princesse. Avant que celle-ci ne devienne folle et périsse comme Esmelda, avant que le lézard verdâtre ne forme emprise sur une tête plus couronnée encore, au gouvernement elfique, qui battait déjà bien de l'aile, à ce qu'il en avait entendu. Oui, bien avant cela, il allait le tuer. Autrefois, en Almara, l'on se battait pour ne pas devenir l'esclave Lié d'un dragon. On refusait de vivre ensemble. Les almaréens ne construisaient jamais leur ville sur le territoire d'un dragon... Et exigeaient le même respect de la part des écailleux. Ils n'étaient pas les bienvenus, on leur faisait comprendre et les plus sages partaient. Les autres connaissaient la colère des lames et la foi d'Almara. Ainsi, coexister avec les dragons étaient possible, tant que ceux-ci demeuraient libres et ne s'attachaient à aucun bipède. Séparés d'eux. Mais ils ne pouvaient cohabiter, car la tentation du Lien, par l'amitié, aurait été trop vive pour que ces créatures cupides parviennent à résister.
Jamais il n'y eut de Lié, en Almara. Et ceux qui étaient nés en Ambarhùna n'avaient fait que déclencher des guerres. La paix habitait l'ancien continent, c'était le retour des dragons qui avait lancé la convoitise et fait renaître les vielles rancœurs. Les vampires étaient sortis de leur trou pour une conquête effrénée. Les elfes avaient agité les flambeaux de leur haine millénaire. Et les humains, stupides, avaient servi de chair à canon. Les dragons liés étaient un fléau, avides de puissance et l'un d'entre eux était responsable du pire des crimes. Le Tyran avait tué Néant, par abus, à l'usure. Mais les autres peuples n'avaient pas tiré les bonnes leçons de cette période tragique. Ils avaient continué d’acclamer dragons et dragonniers, adorant la magie comme on s'éprend de l'ivresse aux temps des vendanges. Il n'y avait jamais assez de vin et toute une année durant on veillait à la croissance des vignes. Ils avaient entretenu la gangrène mais les chimères avaient, dans toute l'horreur de leurs actes, eu cela de bon que la vérité avait éclaté. Le Lien était malsain. Les peuples devaient se libérer de l'emprise des dragons... Et ils le feraient par la force.
Comme on lui avait signalé, le dragon de Jade volait avec sa Liée en direction d'Ipsë Rosea. La ville était à quelques heures à cheval. Assez loin pour qu'on ne vienne pas à temps en aide à cette créature enjôleuse qu'on nommait dragon. Mais bien assez proche pour que de la ville, en ce temps dégagé, pour la première fois, on voit tomber du ciel un dragon. Il avait prié, longuement, et avait béni les Brise-Sorts venus avec lui accomplir cette mission. Ils étaient valeureux, extrêmement courageux, ils étaient l'élite de l'armée délimarienne. Mais ils avaient retiré leurs insignes, loin d'ici, portant une sombre tenue de camouflage alors qu'ils se tenaient, à l'abri de l’œil, dans un sous-bois. Il n'était plus un Serviteur du Néant, mais depuis il avait retrouvé une foi féroce, il était accompagné de trois esprits-liés et son corps s'était mis à renier la magie, presque comme autrefois. Naal avait vu cela comme un signe, tout Oracle qu'il fut autrefois pour son Dieu. Un signe qu'il devait purifier ce monde du Lien.
Il était temps. Une dragon vert approchait. Naal, dans ses vêtements sombres, était hors des sous-bois, avec un visage qui n'était pas le sien. Il mirait le dragon en plein vol. Il croyait que les cieux et la terre lui appartenaient. L'almaréen fermait les yeux et sa main se portait sur la torque à son cou. Une dernière prière, dans ce calme avant la tempête. Il implorait Néant de prendre Orfraie en pitié. Elle n'était qu'une pauvre victime dont l'esprit avait été réduit en esclavage par un dragon. Elle ne l'avait pas choisi, elle ne l'avait pas voulu. Mais peut-être s'en était-elle persuadé. Comme beaucoup, elle avait noué une amitié forcée mais l'esprit n'aimait pas être contraint, alors elle avait peut-être fini par se convaincre elle-même que son union a Firindal était une bénédiction, une amitié magique. Naal éprouvait de la pitié pour elle... Il priait pour qu'elle survivre et qu'elle combatte le poison que le dragon avait glissé en elle, toutes ses années durant. Qu'elle en sorte forte et libre... C'était tout le mal qu'il pouvait lui souhaiter. Par réalisme, il savait aussi qu'il n'était pas si simple de se reconstruire quand son âme avait été déformée puis déchirée...
Un souffle et ses yeux s'ouvraient à nouveau, féroce dans sa volonté. « Thanatos ! » cria-t-il... Mais ce n'était pas sa voix. Elle était mêlée de quelque chose de surnaturel. Le dragon allait être frappé d'effroi et sa peur viscérale, Orfraie la sentirait comme elle sentirait combien Firindal craignait la mort en l'instant, alors qu'une force invisible forçait les ailes du saurien à se refermer. Les étoiles qui tombaient du ciel n'étaient que des illusions, la preuve que la chute attend ceux qui jouent des faux semblants. Il savait qu'il pourrait mourir... Mais tous les hommes mourraient un jour. Et tous les hommes devaient servir Dieu. Il le faisait pour Néant et tout ce qu'il avait enduré. Les Brises-Sorts sortaient du bosquet pour l'attaque : ce devait être bref car la surprise était leur seule force face à ses monstres titanesques. Le combat ne devait pas perdurer. Il frapperaient vite et fort... Ou ils mourraient tous.
Une pensée allait aux personnes que Naal tenait en son cœur. Une seconde pensée alla à l'Unique. Et le dragon s'écrasait au sol, minimisant la chute comme il le pouvait.
Dernière édition par Naal du Néant le Sam 21 Déc 2019 - 21:24, édité 2 fois