22 Août 1763
L'avantage avec la chaleur, c'était que j'attirais encore plus l'attention. Maudits en hiver, vénérés en été, les spirites Léopard comme moi jouissaient d'une réputation aussi alambiquée que celle des Salamandres. C'était toujours très drôle à voir. Les plus sensibles à ça, étaient les enfants. N'ayant pas encore de filtres sociaux, ils n'hésitaient pas à venir s'agglutiner autour de moi, jouant à attraper les flocons qu'Elza faisait tourbillonner pour leur grand plaisir. Si je me promenais régulièrement en ville, revêtant mon alter ego, ce n'était évidemment pas anodin. Elza représentait l'essence même du Cirque du Renouveau et en tant qu'Égérie, en attendant que Golvine ne soit assez grande pour reprendre le rôle, elle servait à appâter les visiteurs.
Ainsi donc, la horde d'enfants qui accompagnait le bruit de mes talons claquant les pavés finit par se dissoudre à l'entrée du campement. Nous étions en plein milieu d'après-midi, la Troupe n'accueillerait pas ses spectateurs avant plusieurs heures. Mais vu l'excitation et le pouvoir de persuasion des enfants sur leur parents, je savais d'ores et déjà que nous ferions salle comble encore une fois.
-Déjà de retour ?, me demanda Rowan.
-Comment ça "déjà de retour" ? J'ai mis deux heures pour aller et venir chez ce satané maroquinier !
-Hey, m'agresse pas ! C'est pas ma faute si t'as choisi de mettre des talons !
-Ha.Ha.Ha.Et qu'est-ce que t'y connais en mode d'abord ?
-La lingerie fine héhé.
-Espèce de goujat va, fis-je en riant néanmoins. Au lieu de raconter des âneries, tu as vu Malki ?
-La nouvelle ? Euh ouais, j'l'ai vu près de l'antre des curiosités.
L'antre des curiosités… oui ça ne m'étonnait pas. Malki n'était pas parmi nous depuis assez longtemps pour de plus faire attention aux objets intrigants et fascinants de notre galerie. Pour le moment, je lui laissais le temps de prendre ses marques, d'aller à son rythme. L'ex-bourgeoise devait apprendre à vivre différemment après tout. Je me souvenais très bien comment cela avait été dur pour moi aussi de m'adapter aux frasques de la vie mondaine althaïenne. Passer d'un monde à l'autre n'était pas quelque chose qui se faisait instantanément.
Soulevant les pans du mini-chapiteau abritant le capharnaüm de curiosités, je m'y un certain temps à m'habituer à la faible luminosité. "Tamisée" serait plus adéquate pour coller à l'aura mystérieuse du lieu. Collectés par-ci, par-là, les très nombreux objets étaient pour la plupart des contrefaçons et des objets truqués, mais néanmoins rudement convainquant. Un seul était cependant parfaitement authentique et original. Je le savais puisque c'était moi son créateur. Et par le plus grand des hasard, Malki se trouvait justement devant. Spiegelseel avait encore happé l'attention de quelqu'un, et comme c'était le but, je sentis une bouffée de fierté.
-Ah te voilà enfin !
Ne m'ayant évidemment pas entendu arriver, je sentis ses épaules se crisper sous mes doigts avant qu'elle ne se retourna vivement. Son expression paniquée à Elza un regard compatissant et profondément navré.
-Oh je suis si désolé ! Je ne voulais pas te faire peur…
Retenant de couvrir ma bouche au dernier moment, me souvenant qu'elle devrait lire sur les lèvres cette fois-ci, je dus me retenir également de ne pas rire. Depuis qu'elle avait accepté de nous rejoindre, je n'avais pas cessé de jouer avec elle, en lui faisant croire qu'Elza et moi étions de simples collègues, bien que nous nous ressemblions énormément et que nous étions tous les deux des spirites Léopard. Je devais avouer que ce n'était pas très professionnel de jouer avec sa naïveté ainsi, mais je n'avais pas pu résister. Je me demandais bien combien de temps elle allait mettre pour découvrir mon "petit" manège…
-Je te cherchais ma chère. Ezel m'a chargé de te remettre ceci, dis-je en lui tendant une petite boîte. Il les a commandé spécialement pour toi, pour fêter ton arrivée parmi nous !
J'étais assez fier de mon idée. Peu de temps après qu'elle ait dit oui, j'avais commencé à me triturer les méninges pour trouver une solution à son mutisme. Si elle pouvait se concentrer sur les lèvres des autres saltimbanques pour les comprendre, l'inverse n'était pas vrai. Demander à Sah et Golvine à enseigner ce langage si particulier à tous le monde était voué à l'échec. Tous n'avait ni la patience…. ni la patience tout court en fait pour ça. Et c'est voyant mon petit soleil et sa "nounou" faire de la magie illusoire que j'eu mon éclair de génie. Ni une ni deux, j'avais foncé chez un artisan-enchanteur. Avec les troubles de la magie, il me fit payé le double de la somme d'une telle demande, et encore le double pour le plus court délai, mais j'avais cédé facilement. Ce "cadeau" était un investissement après tout.
-Allez, ouvre le et essaye les !
J'étais aussi excité que si c'était moi qui avait reçu un cadeau. J'avais l'impression d'avoir une poupée à habiller et à prendre soin… Une Golvine en plus âgée.
Reposant dans leur coffret, les gants de satin ne payaient pas de mine et pourtant, quand Malkirutse s'en saisit, les glyphes cousus dans le tissus s'illuminèrent. Le maroquinier avait fait un excellent travail.
-Avec ça, lui dis-je en relevant sa tête de sa contemplation, tu vas pouvoir mieux t'exprimer j'en suis certaine. Je suis sûre qu'avec ton expérience, tu arriveras vite à les maîtriser.
Après tout, ces gants étaient conçus pour faire apparaître les mots associés à chacun des gestes de la langue des signes. Je ne savais pas encore exactement comment cela fonctionnait, alors j'attendais avec impatience les premiers essayages.