¤ Evasion ¤
Une certaine agitation frappait la capitainerie d’Athgalan et s’étendait lentement à travers toute la ville tel un odieux poison. Le roi avait provoqué plusieurs réunions ces derniers jours et aujourd’hui aussi. Une menace planait sur la cité perfide, une menace provenant de l’Est, une menace poilue et pourvue de crocs. Une menace graärh. Les chatons avaient décidé de se rebeller, de se venger, ou d’obtenir justice, qu’importe, suite aux nombreuses exactions pirates. Il est vrai qu’avoir des pirates comme voisin ce n’est pas tous les jours facile. Et Nathaniel n’avait aucune envie de changer ça. Toutefois, il ne pouvait pas rester sans réagir alors qu’une armée se réunissait en vue de mettre à bas leur mode de vie. Le gredin n’était pas dupe : les pirates ne constituent pas une armée. C’était déjà un miracle en soi d’avoir pu les réunir lors des événements de l’armada. Et c’était bien grâce à l’importance de la menace et au charisme du gredin qu’une telle chose avait pu être possible. Quoi qu’il en soit, Nathaniel doutait être possible de réaliser une nouvelle fois un tel miracle. D’ailleurs, il n’avait pas vraiment envie de le reproduire. Pourquoi ? Car il doutait fortement des résultats d’un tel prodige. Réunir plusieurs sacs à merde pour en faire une armée, ça ne fera rien de plus qu’un gros tas de merde. Les pirates n’étaient pas des combats à terre. En mer on pouvait éventuellement en faire quelque chose, mais à terre, ce serait simplement les envoyer au massacre. Oh, l’elfe sombre serait bien capable de le faire, pour couvrir sa fuite, mais une telle extrémité ne serait pas nécessaire aujourd’hui. Le gredin avait d’autres plans pour gérer cette crise. Et c’est à cette fin qu’il avait enchainé plusieurs réunions ces derniers jours. Les idées avaient été exposées, les conseils donnés et les choix faits. À présent, tout n’était que purement administratif. Autant dire que la partie la plus excitante s’était envolée depuis très longtemps. Être roi avait ces bons côtés, mais aussi ces mauvais côtés. Actuellement, le gredin subissait les mauvais côtés. Toutefois pour l’aider, l’elfe sombre avait autorisé qu’on serve de l’alcool. Malheureusement Nathaniel n’avait pas pris en compte une chose : le nombre de verres qu’il aurait à vider. Il en était déjà au troisième, et s’apprêtait à attaquer un quatrième. À ce rythme il allait rouler sous la table. C’était interminable. Était-il obligé d’être là ? Devait-il sérieusement valider les esclaves qui devraient être sacrifiés pour la bonne réalisation du plan ? Le capitaine des esclaves ne pouvait-il pas s’en charger ? Qu’on sacrifie les plus faibles, gardons un maximum de fort, ils seront utiles pour le déménagement et seraient vendus à meilleur prix. Oui, nombre de points abordés pouvaient être réglés sans lui. Il devait trouver un moyen de se sortir d’ici. Aller Eärendil ! Tu t’es déjà échappé par deux fois des prisons humaines et une fois des prisons elfiques. Tu devrais pouvoir y arriver. Ça ne peut pas être pire franchement ! Malheureusement, le gredin n’avait pas grand-chose pour le remplacer et faire croire aux autres qu’ils étaient toujours là. Un mannequin en draps, cailloux et autres ça allait lorsque la luminosité était faible et les gardes à moitié beurrés. Cette fois, pour s’échapper, il lui faudrait un meilleur plan. L’elfe se souvenait avoir lu, rapidement, un livre une fois. Le personnage fictif s’appelait Mäk Givër. Ce type arrivait à se sortir de pratiquement n’importe quelle situation avec trois fois rien. Si lui en était capable, pourquoi pas lui ?
Bon d’accord, il fallait faire l’inventaire de ses possibilités. Une chaise, des vêtements, du verre, de l’alcool, une table, une dragonne, une nappe, des feuilles, des gens … attendez, une dragonne ? Nathaniel baissa la table, s’assurant qu’il avait bien vu. Oui une dragonne ! Kaiikathal était venue à sa rescousse. L’esprit de sa liée vint toucher le sien et l’elfe partagea un grand soulagement. Parfait, il avait un complice à présent, il allait pouvoir s’évader. Les choses seraient plus faciles. Soudainement, quelque chose de différent provint de la petite marche-tempête. La communication avec cette dernière n’avait jamais été une chose aisée, quoique le gredin se fût grandement amélioré depuis le temps, arrivant à formuler ses pensées afin de pouvoir les envoyer à Kaiikathal afin de mieux se faire comprendre. Les dragons avaient un mode de communication fort étrange et complexe à son gout. Parler était bien plus facile, surtout il était plus aisé de mentir. Pour la première fois, l’elfe sombre entendit la voix de sa liée, cette dernière venant prononcer son nom. L’expérience fut très troublante pour l’elfe sombre, lui provoquant un sentiment étrange. Était-ce ce que l’on ressentait lorsque son enfant disait ses premiers mots ? Sans doute. Inconsciemment, Nathaniel sourit à sa la tempête sur patte.
Kaiikathal souhaitait aller à l’extérieur. Non pas de cette pièce, mais de la ville. Elle voulait aller dans le marais. Bon, c’était sans doute mieux que cette réunion. Quitter un ennui mortel pour un danger mortel, ça revenait presque au même. Le gredin se redressa, venant taper ses mains sur la table. Il prit un ton grave, simulant bien sur tout cela.
« Messieurs, je crains de devoir vous laisser finir cette réunion sans moi et régler les affaires en cours. Je viens de recevoir une information capitale qui exige que je m’occupe personnellement de la situation. »
L’elfe sombre se dressa et sortit prestement de la pièce, avant de refermer la porte derrière lui après que la dragonnette ne soit passé. Il se baissa par la suite niveau de cette dernière pour venir lui caresser les cornes.
« Parfait Kaiikathal ! Tu as réussi à m’aider à m’évader, tu fais une très bonne complice. Ta tactique laisse un peu à désirer, mais on travaillera ça ensemble, à l’avenir ça pourra t’être très utile. »
Le gredin se redressa.
« Je ne sais pas pourquoi tu veux aller dans le marais, mais sache que c’est un lieu vraiment très dangereux, même pour toi et pour moi. On peut y aller, mais passons d’abord par mes appartements. Il nous faut de l’équipement pour lutter plus efficacement contre ce qui se trouve à en dehors de la ville. »
L’elfe se dirigea rapidement vers ses quartiers pour venir prendre tout le nécessaire. Particulièrement son manteau et une lanterne. Rien qu’avec ses deux éléments, leur taux de survie gagnait aisément vingt-cinq pourcents.
« Qu’est ce que tu souhaites aller voir dehors, Kaii ? Il n’y a pas grand-chose à l’extérieur, dans le marais. Hormis le danger. »