6 Octobre 1763
-Et ça c'est un saule. Il ne donne pas de fruits mais son écorce peut être utilisée pour soigner les maux de têtes. Il faut néanmoins ajouter du sucre ou du miel, ça a tendances à faire mal au ventre.
La petite tête orange se fendit d'un adorable "Oooooh ! avant de retourner explorer le jardin baptistral. Jangali sourit en regardant son graärhon plein de vie gambader entre les nombreuses espèces que cultivaient les maîtres chanteurs, avant de regarder maussadement sa Promesse. Les oreilles couchées, la queue inerte sur le sol comme une chaussette de sans-poil, son esprit était occupé et il arborait un air sérieux qu'on ne lui connaissait pas.
Cet air si préoccupé, avait commencé à Paadshail et avait empiré à mesure qu'il s'était rapproché du Domaine. Il s'était réveillé auprès de Purnendu, le coeur battant à tout va, mu par un sentiment inexplicable et angoissant. "Quelque chose" l'avait appelé, de la même manière qu'il avait été appelé à rencontrer le Sslengar. Il se souvenait encore de ce rêve, où il voyait son île, floue, lointaine, brillante sous les constellations des Esprits. Une voix, familière mais si distante, avait crié son nom. Une seule et unique fois, faisant trembler son âme.
Le Gourmet n'était pas facilement impressionnable, à part sa peur déraisonnée des profondeurs, mais cette fois là, la sueur qui perlait le long de son dos le perturba. Depuis ce jour, il restait préoccupé et avait décidé d'écourter son séjour à Paadshail, en emmenant Balaaditya avec lui. Il ne savait pas pourquoi, mais il sentait qu'il devait se rendre au plus tôt sur Néthéril. Il était persuadé que c'était une intuition des Esprits. Avait-ce un lien avec Rog ? Non, ça ne faisait aucun sens, le Prune avait rejoint l'autre Couronne, et retourner sur Néthéril si tôt n'avait aucun avantage. Non, il pressentait que cela quelque chose à voir avec lui personnellement. Les signes de la bataille contre le Fléau Séculaire auraient des signes bien plus annonciateurs et évidents, comme ce fut le cas avec les Chimères…
Heureusement, bien que soucieux de découvrir les tenant et aboutissants de ce ressenti, le père et l'enfant avaient pu chacun s'apprivoiser. La passation de la garde était toujours un exercice particulier, quand les graärhons quittait les mamelles de leur mère pour apprendre de leur père. Or, dans leur cas, cette différenciation sexuelle n'avait pas eut lieu et Balaaditya avait d'abord été réfractaire, avant de se laisser aller à une curiosité que Jangali avait eut plaisir à retrouver chez son fils, non sans lui rappeler Kvanh. Ainsi, durant toute la traversée, le Gourmet avait narré son histoire, ses déboires et ses aspirations, captivant le jeune soleil au point d'en faire son fan numéro un. Habituellement, c'était Jangali motivait son entourage avec son optimisme simplet et sa bonne humeur contagieuse, mais il ne s'était pas attendu à découvrir cette facette, amplifiée, chez sa descendance.
Et heureusement que Baaladitya avait ce "don", car Jangali avait manqué de tomber du dos du Sslengar quand, une fois posé sabots sur sa terre natale, un Geai lui avait appris la mésaventure de son Frère-Lié. Depuis un moment déjà, il était au courant de la condition de l'Althaïen, qui n'était pas au meilleur de sa forme. Aussi, ni une ni deux, il avait pressé l'enfant du Kirin de l'emmener au Domaine et était arrivé peu de temps avant son ami. Et comme il s'y était attendu, il avait dû faire face à l'angoissante attente, le temps qu'Ilhan reprenne des forces et ne se repose.
Le Gourmet et son turbulent enfant avaient alors chercher à aider les Baptistels de quelque moyens possible. C'était également là une bonne occasion d'introduire la langue Commune à Baaladitya.
-Jangali ? Messire Avente est réveillé, il est en état de vous recevoir, l'interpella posément un serviteur, le tirant de ses pensés tumultueuses.
Se redressant, et ses oreilles dans un même mouvement, il bondit sur ses pieds et héla le petit monstre en train de jouer à chasser un scarabée, au grand dam de l'Enwr jardinant non loin de là. Ensemble, il montèrent jusqu'à la chambre de l'infortuné.
À peine eut-il passé l'encadrement qu'il remarqua son état effroyable. En quelque enjambés, il couvrit la distance qui les séparait avant de prendre Ilhan dans ses bras et de ronronner comme si des siècles les séparaient depuis que Jangali l'avait quitté. Il savait Ilhan peu prompt à ces démonstrations d'affection, mais sur le moment, il n'y fit pas attention. Manquant de l'étouffer, il se recula un peu et s'assit sur le bord du lit, tout en se délestant de ses affaires sur le sol. Balaaditya regardait la scène avec un mélange entre curiosité, perplexité et envie. Le chasseur lui avait beaucoup parlé du petit humain qu'ils allaient voir. Le graärhon avait compris que l'humain comptait beaucoups et faisait parti du clan de son géniteur.
-Oh Ilhan, je suis tellement désolé de ne pas pu avoir été là plus tôt. Entre mes recherches de la Couronne restante, et mon devoir sacré, je n'ai pas pu être là pour t'aider…
Il s'en voulait énormément. Il n'avait cessé de ressasser cette idée. Il avait beau se dire qu'il ne pouvait pas être partout à la fois, la culpabilité d'avoir eu peut-être la mort de son frère-lié sur la conscience lui pesait.
-Mais je suis là maintenant, et je vais t'aider à aller mieux tu verras. Les Baptistrels ont refusé que je te prépare des plats pour te remettre sur pieds, comme quoi tu avais besoin de repos et pas de kilos, mais j'ai quand même prévu le coup !
Se disant, il plongea la main dans son sac et en ressortit un paquet. Il le déposa sur les genoux du Dauphin et le laissa en humer les douces fragrances sucrés pendant qu'il invitait Balaaditya à grimper sur le lit. N'était pas encore né celui qui empêcherait le Gourmet de nourrir sa tribu !
-Ilhan, je te présente Balaaditya. Il ne parle pas encore le Commun mais je suis sûr que tu comprendras ce qu'il veut te dire. Et puis ça ne devrait pas prendre beaucoup de temps, Purnendu semble avoir transmis son intelligence aux petits.
Les enfants avaient les émotions les plus pures après tout. Chasser, manger, dormir, câliner.
-Bon alors racontes-moi tout. Comment as-tu fais pour te mettre dans un pétrin pareil ?! Et pas question que tu te retiennes. Je suis ton Bhae Bandhee, ne l'oublis pas.