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descriptionLes étoiles qui tombent du ciel laissent une trainée de chaos [Kehlvehan] EmptyLes étoiles qui tombent du ciel laissent une trainée de chaos [Kehlvehan]

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    22 septembre 1763

    L'arrivée ne fut pas de tout repos. Par Néant, pourquoi Kehlvehan avait-il changé sa table de place depuis la dernière fois ?! Naal avait atterri à moitié dessus, tombant à la renverse à cause de ses blessures, emportant avec lui la dite-table et une chaise, qui lui churent bien évidement dessus, avec la tarte aux myrtilles et le pichet d'eau qui l’assomma autant que l'eau le refroidit. La satisfaction de savoir que son Frère s'était mis à l'eau plutôt qu'à la bière ne fut que de courte durée. Il se dépêtra difficilement de la nappe brodée, pestant en almaréen avant de réussir à s'extirper de là. Et quand il crut que son calvaire prenait fin, son coude rencontra le pied d'un chevalet, qui se renversa sur lui. Il se mangea la toile tirée sur le châssis, ainsi que la palette de peinture qui vint teinter son armure de bleu, de vert, de rose et de jaune. Son bras broyé hurlait de douleur lorsqu'il repoussa le tout et se redressa. Kehlvehan n'était pas chez lui, sans quoi il aurait déjà un elfe dans son champ de vision. Il fit disparaître son armure et, de son bras valide, retira son habit dont il avait fait reprendre une forme de toge. Il agrippa une écaille de pangolin, dans son dos et vint la placer sur la plaie sanglante qu'il avait sur le flanc, afin de la colmater.

    « El... » Il avait tenté de l'appeler, mais ses cordes vocales étaient usée par l'objet de légende qui pouvait déformer sa voix. En lieu et place de cela, la douleur fut atroce et il cracha du sang. La bonne nouvelle, c'était que cette pénible souffrance serait comme une sonnette d'alarme perturbant les vibrations du Domaine. Son Frère le sentirait et il viendrait. L’adrénaline retombant doucement, il sentait ses blessures, vives. Mais ce n'était pas aussi affreux que les yeux d’améthyste de la dragonière qui se fermaient, ni son dernier souffle venant s'échouer contre sa peau ensanglantée. Il aurait tellement voulu la sauver. La terreur l'assaillait et il n'entendit pas Kehlvehan entrer en trombe. Ce ne fut que lorsqu'il vit son visage qu'il sursauta de sa présence. Il tremblait de douleur, ses muscles sollicités et malmenés réclamaient leur dû. Il avait des écailles de jade encastrées dans sa joue et dans sa gorge, tranchantes. Il avait eu beaucoup de chance d'être encore en vie.

    Il n'entendait plus rien, c'était comme s'il était devenu sourd. Il percevait seulement les battements de son propre cœur, tambourinant bien trop vite, à ses tempes. Il essaya de parler, mais aucun son ne sortit de sa bouche. Il ne fit qu'agiter les lèvres, comme s'il essayait de répondre à celles du Gardien. Il laissa éclater un sanglot, non pas parce qu'il avait mal physiquement, mais parce qu'il était écœuré. Son corps se mit à trembler plus violemment encore. Son bras, broyé, faisait des angles improbables. Ses os brisés diffusaient une douleur blanche, lancinante. Était-ce la fin ? Il sentait sa conscience s'évaporer. Il s'accrochait à son visage, aux teintes de ses yeux. Mais ils prenaient une couleur améthyste, par culpabilité. Il ferma ses paupières, lourdes. Brisé, il se laissa partir.

    ***

    Une semaine plus tard

    Il avait repris conscience depuis quelques jours, mais il avait refusé de se réveiller, refusé d'ouvrir les yeux. Cela aurait été comme accepter la vérité, et il ne le voulait pas. Il avait du mal à faire face à ce qui s'était passé. Il avait tué tellement de dragons, dans sa vie, mais jamais aucun ne fut Lié. Aucun n'avait emporté injustement une vie avec lui. Ils n'avaient pris que les combattants, ceux qui savaient quel destin les attendait. Mais un dragonnier, pauvre esclave à l'âme mutilée... Il se souvenait de Néant et il se souvenait de sa propre mort. Celle qui avait eu lieu, il y a des milliers d'années. Celle qui mit un terme à sa propre vie de Lié. Un monstre l'avait enchaîné lui aussi. Il ne savait que trop bien ce que c'était que d'avoir son âme déchirée. Il revoyait les yeux d'Orfraie se fermer, l'abandon qu'il y lisait. Il n'arrivait pas à s'ôter l'image de la tête.

    Mais avait-il le choix que de l'affronter ? Plus il reculait et plus l'horreur gagnait du terrain. Dans la nuit, sa respiration s'était accélérée, par la sourde panique naissante qui venait lui écraser la poitrine. Il avait prié, mentalement, mais son souffle était devenu de plus en plus lourd. Ses muscles endoloris et ankylosés s'étaient raidis. La transpiration avait perlé sur son corps, mais il refusait toujours de se réveiller. Il avait l'impression d'un poids monstrueux sur son torse qui l'empêchait de respirer et dans son esprit, des forces le tiraillaient de toutes parts, lui infligeant un supplice odieux. Et puis plus rien, le Néant. Une part de lui savait qu'Eleni avait chanté le vide pour lui, encore une fois. Son agitation avait du l'inquiéter.

    Il sentait les rayons du soleil sur sa peau, la lumière qui lui signalait son éclat à travers ses paupières closes, lorsque l'aube vint, plus tard. Il fuyait toujours la réalité. C'était la voie la plus simple autant que lâche mais il n'avait jamais eu la prétention d'affirmer qu'il était parfait. Sa méthode n'était pas la bonne, il le savait. Alors il ouvrit les yeux. L'astre solaire brûla sa rétine sensible et claire mais cela lui faisait moins mal que ce qui le dévorait de l'intérieur. Le sanglot ne tarda pas à monter à sa gorge, sous le joug des émotions. Il était bien trop douloureux pour qu'il l'étouffe. Il le laissa éclater, comme les suivants. Pour en pas s'étouffer, il bascula lentement et douloureusement sur le flanc, pleurant de plus bel le chagrin qui l'étreignait. Il avait si mal, au sein même de son âme que les contractures de ses muscles étaient encore bien peu de choses en comparaison.

    Il replia ses jambes, ramenant lentement ses genoux contre son torse. Il essaya d'étouffer ses pleurs dans l'oreiller, manquant parfois d'air. Sa peine était pure et d'une sincérité qui ferait pâlir le plus dévoué des chevaliers. Il n'y avait aucun mensonge dans la tonalité vibrante, chaotique de ses sanglots. La réalité était affreuse. Il n'avait jamais été un homme de vengeance. Jamais avant sa dernière réincarnation. Sans Néant, la paix et la certitude d'agir pour le bien du monde s'étaient envolées. Il était un Oracle sans murmures. Le silence était le berceau de ses perceptions. Il avait été touché, lui aussi, par cette corruption. Il était animé par la haine et la vengeance. Il payait le prix du désastre qui l'avait ravagé. C'était cette même sensation, en lui, qui l'avait écarté de son peuple.

    Ses poings serraient les draps. Il ne s'était pas rendu compte qu'il hurlait son chagrin. Qu'il était en train de supplier Néant de ne pas l'obliger à le tuer. L'hystérie blanchissait son esprit et le drapait de folie. Recroquevillé sur lui-même, sa respiration s'était ralentie. Combien de temps s'était passé ? Il n'en avait pas la moindre idée, mais les rayons du soleil ne venaient plus de la fenêtre à l'est. Son visage était baigné de larmes et le sel avait rougi et boursouflé sa peau. Il en avait oublié où il était, mais il entendait enfin les sons de la réalité. Le chant des oiseaux. La respiration d'Eleni. Épuisé, il s'endormait à nouveau.

    La lune avait embrassé le ciel lorsqu'il ouvrit à nouveau les yeux. Il frissonnait, couvert de sueur. Il espérait ne pas avoir à essuyer une nouvelle crise. Il se redressa péniblement, vaseux. Ses vêtements collaient à sa peau. Son regard était vitreux. Il voulut quitter la lit mais ne fit que s'empêtrer dans les draps et tomber par terre. Il fut pris d'un haut-le-cœur et voulut vomir... mais il n'avait rien dans le ventre. Le spasme comprima son estomac et il recracha de la bile, amère. Il avait faim et froid. Il se sentait sale, poisseux. Les mains tremblantes, il attrapa le col de son vêtement, au niveau de la nuque et tira dessus pour le retirer, tout humide qu'il était. Il croisa le regard d'Eleni, venu à ses côtés. La douleur irradiait son âme. Il posa ses doigts fébriles sur les yeux du gardien : « Ne me regardez pas... » souffla-t-il. Ce n'était pas de son état dont il avait honte, c'était de lui-même tout entier. Le monstre que le Dragon Blanc avait déformé. Il laissa son front se poser sur le torse de l'elfe, ses mains quittant les douces paupières qu'il tenait tant à clore.

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Il avait perçu son arrivée comme on perçoit le roc fendant la surface souple et fluide de l'eau d'un lac, les stridulations parcourant les vibrations paisibles du Domaine comme autant d'ongles venant gratter contre son crâne et ses tempes, dévaler la courbe de sa colonne vertébrale en un désagréable tremblement. La souffrance était un appeau, tremblotante lueur de détresse qui exerçait une si forte poigne sur ceux capables de la ressentir et de l'appréhender. Et lui, phalène ballottée dans la tourmente, se hâtait aussi vite que son corps le consentait. La porte s'ouvrit avec fracas, révélant la catastrophe qu'elle accueillait, mais il ne consentit qu'un bref regard sur le mobilier tandis qu'il s'approchait de la silhouette percluse de son frère. Sans cérémonie aucune et sans égards pour sa mise au blanc irisé, l'elfe tomba à genoux dans la peinture et le sang, venant rapidement mais avec une infinie tendresse soutenir l'humain qui tremblait de douleur contre lui. Les rugissements de sa souffrance martelaient son audition comme sa peau, le battant sans la moindre tolérance, mais il ignorait avec fermeté cette monstrueuse torture. Médecin de front, il avait déjà vécu des situations plus violentes encore que celle-ci, lorsqu'il devait soigner, au cœur de la mêlée, des soldats aux membres en bouillie.

« Naal ? »

Il ne testa sa conscience qu'en cet unique instant, car il sentit bien vite, dans les vibrations, la venue du grand vide et de l'inconscience. C'était une excellente nouvelle, en vérité, car la suite n'allait pas être des plus agréables ni des plus esthétiques. Le laissant totalement sombrer, en surveillant attentivement ses vibrations vitales, il attendit qu'il soit parfaitement inerte dans ses bras avant de se décider à faire quoi que ce soit. Une fois certain qu'il n'allait pas s'éveiller de nouveau, il diffusa en lui le chant de Néant du diamant qu'il lui avait offert, afin d'annuler sens et douleurs, le gardant dans un coma douillet pendant les nombreuses opérations qu'il allait devoir pratiquer. Il devait en priorité s'occuper de son bras, dont au moins un os avait percé la peau, de son flanc entaillé par ce qui ressemblait à un coup d'épée, ainsi que des écailles incrustées dans sa gorge qui risquaient d'endommager les tissus délicats de cette zone vulnérable. Il ne se posa alors aucune question : seule la survie de l'oracle importait. Ne se reposant sur l'art vibratoire que pour les blessures majeurs, il s'échina pendant un temps indéterminé, rejoins par ses meilleurs disciples guérisseurs et chirurgiens, afin d'amoindrir les dommages subis par ce corps humain.

Quand enfin ils estimèrent avoir achevé ce qui était techniquement réalisable et que les jours de l'almaréen n'étaient plus en danger, une garde fut établie près du blessé et le reste des officiants pu aller se reposer. Eleni resta seul avec son frère, coi, les tempes encore palpitantes de la douleur de l'homme. Il lava son corps, appliqua les onguents herbacés sur les blessures non effacées, banda les membres, puis allongea son corps dans un lit de sa demeure, proche de sa propre chambre. Son intention première avait été de se reposer pendant que Naal était encore dans le coma mais l'adrénaline et le choc ne le lâchait pas. Il s'installa près de son patient et le veilla jusqu'à la somnolence.

***

Une semaine plus tard


Il se relayait avec plusieurs de ses disciples les plus avancés et les mieux versés dans l'art de la guérison non magique et non vibratoire. L'état encore précaire de la trame et des puissances naturelles ne permettait pas de se reposer sur leurs méthodes habituelles les yeux fermés. Il avait préféré pallier au plus dangereux par des moyens vibratoires ciblés, et revenir dans les jours suivants afin de lentement résorber tout ce qui n'était pas du domaine de l'urgence vitale, notamment les fêlures restantes au bras et les plaies sur le corps en dehors du coup d'épée. Au bout du troisième jour, en début de matinée, il leva l'effet du chant de Néant afin de laisser à son frère la possibilité de reprendre connaissance à son rythme naturel. Et s'il revint rapidement à lui, il n'en montra rien, cependant. D'abord surpris, ce qu'il entendait de lui dissipa pourtant sa perplexité sans tarder mais uniquement pour lui fendre le cœur tout de go. Il ne l'avait pas forcé, le veillant simplement, attendant. Il sentait sa détresse, mais il n'avait guère de mots pour le réconforter car il pressentait que cela serait amoindrir l'acte. Aucun mot ne semblait assez respectueux, assez juste pour être entonné. La profondeur de son chagrin était égale à la mort infligée.

Il laissa Naal flotter dans cette demi conscience, nécessaire à son esprit, sans doute aucun. L'ancien monarque devait cheminer seul sur cette route-là, car elle était sienne et intime. Lui l'attendrait à la sortie. Néanmoins, lorsqu'il entendit la crise de paniquer rôder aux abords de son esprit, Eleni décida d'intervenir, sans pour autant réveiller pleinement son patient. L'elfe chantonna Néant, enveloppant le corps en souffrance dans un linceul de vide bienveillant. Les vibrations vinrent caresser la conscience en émois, les nerfs contractés, l'âme ensanglantée et en deuil. Naal s'apaisa de nouveau mais le maître barde poursuivit néanmoins, pour le bercer. Le temps passa à nouveau. Il accepta de laisser ses disciples se relayer à sa place pendant que lui-même prenait également un repos fort mérité, non sans laisser la consigne de le réveiller si quoi que ce soit semblait sortir de l'ordinaire. Pour autant, le repos se refusait partiellement à le doter, tandis qu'il restait accroché à la présence de son frère, dans l'autre pièce. Lorsqu'il sombra enfin, ce fut au son de la lente respiration de l'humain. Il eut un sommeil troublé par l'écho fiévreux de ce qui avait conduit Naal à de telles blessures et ne s'éveilla qu'au chagrin déchirant qui transcenda l'air subitement.

Immédiatement, il se redressa dans son lit, échevelé, et quitta les draps pour passer une simple toge d'une pièce avant de pénétrer dans la chambre de Naal sans prendre le temps de se chausser. En un écho cruel de sa venue, l'image présente était tout aussi pleine de souffrance, le sang ayant simplement laissé place aux larmes comme moyen d'expression. Le chagrin qu'il avait sentit grandir en lui durant toute la semaine semblait enfin éclater au grand jour, se déversant des tréfonds de l'âme de l'homme vagissant la blessure d son âme avec une sincérité et une puissance qui le laissèrent un instant pantois. Sa détresse venait trancher à même sa peau délicate, comme une lame aiguë. Pour l'une des seules fois de son existence, une vérité pure et sans facettes venait de le frapper de plein fouet. Frappé de révérence, il approcha lentement, pour rejoindre ce réceptacle de peine et de regrets, et arrivé à quelques pas du lit, il engouffra d'une impulsion ce qui restait de distance et le prit dans ses bras, sans chercher à l'arrêter, sans chercher à restreindre ses mouvements. Il ne le lâcha pas, niché contre lui, absorbant dans son corps et son âme vierges l'écho de cette tristesse démesurée. Il e laissa frapper de ces vibrations jusqu'à l'épuisement.

Du temps passa. Beaucoup de temps. Il le sentit s'éveiller de nouveau, ou simplement reprendre conscience ? Il le sentit bouger, quitter le lit en s'effondrant au sol. Se redressant, Eleni quitta l'angle de lit dans lequel il s'était recroquevillé pour le rejoindre une fois de plus, décidé en l'instant à lui venir en aide. Leurs regards se croisèrent alors que l'elfe mettait un genou à terre… et se figeait, aveuglé par la main brune de son frère posée sur son regard. Un instant immobile, le chantevide vint néanmoins, avec une infinie douceur, retirer la dextre occultant sa vision, prenant la main de Naal et lui caressant la paume. Et lorsqu'il vint à trouver de nouveau ses mires, les orbes caméléons de l'elfe n'étaient qu'affection et inquiétude. Une fois déjà, il avait posé le regard sur un être qui se flagellait du titre de monstre, comme il sentait la crainte viscérale de Naal, tue et hurlée tout à la fois, et une fois déjà, il n'avait vu qu'un être en souffrance, dont la peine et les choix étaient incompris. Avec précaution, il vint lui embrasser la tempe, un geste de tendresse hésitant et gauche, mais sincère, alors qu'il l'enlaçait et le lovait dans son étreinte.

De longues minutes s'écoulèrent avant qu'il ne se décide à bouger, le soulevant dans ses bras avec un effort ajusté. L'exercice lui était étranger mais il parvint à ne pas le lâcher violemment sur le sol. En temps normal, l'elfe l'aurait laissé marché seul afin de ne pas ôter davantage à sa dignité mais cela faisait une semaine qu'il n'avait rien avalé, et même l'eau qu'on était parvenu à lui faire absorber n'était que quantité négligeable. Sortant de la chambre, il conduisit son précieux paquetage jusqu'à la salle d'hygiène, une pièce carrelée de blanc, de bleu et de rose discret et délicat avant de l'asseoir près d'une vasque naturelle constituée d'une gigantesque coque de palourde à la nacre délicate. Craignant que sa faiblesse ne le fasse défaillir dans une eau trop chaude, il la garda tiède, le lavant avec attention, sans le moindre commentaire si ce n'était un air léger de sa voix profonde, chassant la sueur et la bile avant de lui donner une toge simple de coton et le conduire dans le jardin, le temps qu'une collation simple soit préparée pour lui. Il s'agissait de quelque chose de basique mais d'adapté. Du pain, un bouillon léger avec un peu de viande et de légumes. Quand on passait son temps les mains dans les chairs, toucher un peu de viande animale n'était pas aussi problématique.

S'asseyant près de lui, il attendit que Naal eut quelque chose dans l'estomac avant de produire une petite toile repliée qu'il déposa sur la table de bois. L'elfe s'était saisi de l'objet en allant chercher le plateau destiné à son frère. Il déplia les pans sans hâte aucune, révélant, en leur sein, les écailles couleur de jade qu'il avait retiré du corps de l'homme durant la chirurgie. Observant un instant de silence, il ne se hâta nullement à rompre le coi, mais le fit en fin de compte, ayant à peine parlé jusqu'ici. « J'ai effectué les rites funéraires pour tous deux » Il avait chanté, quand bien même les corps n'étaient pas présents, il avait confié les odes au vent afin quelles parcourt le monde. Où qu'ils reposent exactement, le vent finirait par les trouver. Dans le chant-nom de l'ancien monarque, l'acte était clair, net et sans appel. La mort de Firindal et d'Orfraie. Son cœur pleurait la perte de sa princesse, mais ses yeux secs ne soupesaient pas moins Naal avec douceur. « Je ne savais pas si vous voudriez garder les écailles. En mémoire » En mémoire et pour porter pleinement ce qu'il avait fait, sans vouloir le culpabiliser, mais par respect, une fois de plus. D'une main, il chassa une mèche de cheveux blanche de devant son visage. Il n'avait pas un instant prit le temps de se mettre à son avantage.

Il y eut un nouveau blanc, pendant quelques instants, avant qu'il ne parle de nouveau. « Vous n'êtes pas un monstre » Peut-être n'était-ce pas une vérité absolue, il pourrait effectivement le lui affirmer, mais en tout état de cause, c'était sa vérité à lui. « Je sais... » C'était un souffle bas, cette fois, bref, rapide. Il savait ce que cela faisait, de voir la guerre pour la première fois. Avec lenteur, il s'installa face à lui, ramenant les jambes croisées en tailleur sous lui. La guerre était laide, même si tout ce qu'elle contenait ne l'était pas forcément. Il se souvenait avec netteté du premier membre en charpie qu'il avait vu, déchiqueté, et qu'on lui avait demandé de ne pas sauver mais d'amputer. « Vous n'êtes pas corrompu par le Tyran, Naal, vous êtes juste… mortel... »

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    Sa main tremblait affreusement lorsque l'elfe la retira de ses yeux. Ce n'était ni le froid, ni la faiblesse... C'était la peur qui le faisait frémir. Cette crainte du rejet, de l'abandon, cette haine du monstre que le Tyran avait déformé. Le haut-le-cœur lui donna un spasme vide et Naal se crispa, les yeux perdus, l'âme égarée. Ses muscles étaient affaiblis par le jeûne et les blessures qui, même soignées, laissaient cette raideur caractéristique pleine de douleur. Sa main doucement chassée rencontrait la bienveillance d'une caresse paisible, en sa paume et son regard aux teintes célestes sembla surpris de l'affection et de l'inquiétude qu'il croisa dans les yeux du Gardien. Sa respiration fut brièvement coupée, happée par la stupéfaction. L'émotion et la reconnaissance le saisirent à la gorge, la nouant sauvagement le temps qu'il réussisse à la faire éclater. Un sanglot fit vibrer l'air alors qu'il venait faire reposer sa tête sur le torse de l'elfe, savourant son étreinte si bénéfique. Il s’agrippa aux vêtements du baptistrel, fébrile, fragile. Infiniment rempli d'une sincère gratitude.

    Il se laissa aller, dans ses bras, tremblant, dévoué à son étreinte. Il aurait voulu le remercier et lui dire qu'il l'aimait. Il était bien trop faible et son souffle chaotique comme les battements violents de son cœur sauraient trouver son âme. Il fermait les yeux et il revoyait les prunelles d'améthyste. Il sursautait, ouvrait les paupières, crispé, incapable de s'apaiser véritablement. Il entendait les battements de cœur d'Eleni, alors que son oreille reposait sur son torse, et il se focalisa dessus. Il s'accrocha à ce rythme régulier, à son affection à lui, sa compassion. Il aurait voulu lui dire de ne pas l'abandonner, de rester près de lui jusqu'à ce que cela passe, qu'importe le temps que cela prenait. Quelques minutes, quelques jours ? Il ne le savait. Il prit son temps mais se raidit à nouveau quand, quelques minutes plus tard, son frère se mit à bouger. Il s'agrippa machinalement à ses vêtements, mais il ne fut que soulevé et conduit dans une salle carrelée. Son regard flou s'accrochait aux nuances colorées avant de retomber sur la blancheur immaculée d'Eleni. Il était si beau, son sauveur.

    La tiédeur de l'eau lui fit du bien, atténuant la fièvre passagère, paniqué qu'il était. Comme un enfant malheureux, il s'accrochait à Kehlvehan d'une façon ou d'une autre. Il prenait sa main, son poignet, ses vêtements, ses cheveux. Ces contacts n'étaient d'un prétexte, pour lui, afin de vérifier que l'elfe était toujours là, à ses côtés. Il marchait sur une corde entre la conscience et l'inconscience, passant de l'un à l'autre, ou tout du moins dans un état intermédiaire où son esprit était en effervescence mais que son corps refusait de le suivre. Il avait l'impression d'être prisonnier d'une enclume qui ne lui répondait plus et sa panique montait progressivement, sourde mais présente. Il eut à nouveau des vêtements, propres cette fois et fut conduit à l'extérieur, assis à une tablée. Il se souvenait de cet endroit. C'était celui où le Gardien l'avait invité, la toute première fois. Il était alors étrange de retrouver son vis-à-vis à l’exacte place où il se trouvait, leurs positions échangées... Et leurs rôles aussi.

    Il but le bouillon, affamé et assoiffé. Si vite que son estomac en recracha une partie, à l'afflux trop abondant, avant qu'il ne se ressaisisse et fasse en sorte de garder quelque chose de son repas. Il n'avait psychologiquement pas faim. Mais il pratiquait la médecine. Il savait qu'il n'avait ni bu ni mangé depuis une semaine et que cela lui serait fatal en plus d'allonger la durée nécessaire au rétablissement de ses blessures. Il s'y força, avec une volonté de fer et réprima l'envie de tout recracher. Il y allait par petites doses, prenant beaucoup de temps pour mâcher et avaler le moindre aliment, mais il était bien assez raisonnable pour cela. Il était profondément triste et secoué mais n'avait pas, en lui, le désir de mourir maintenant, rongé par le chagrin. Cela n'aurait pas été faire honneur aux efforts et à la santé d'Eleni, consommée ces derniers jours à son bénéfice. Ses mires d'un bleu céruléen se posèrent sur le paquet de tissu que son frère ouvrait sur la table.

    La vue de son contenu vint remplir son regard d'une haine farouche, amère. Sa colère lui vrillait les tympans, par les battements violents de son cœur. C'était la faute de ce monstre là. Jamais en Almara quelque chose de tel n'avait été permis. Jamais ces abominations ne les avaient approchés ! Chacun chez soi, aucun ne devait aller dans le territoire de l'autre, se mêler à la vie de l'autre. Orfraie avait été l'esclave de cette créature, son esprit déformé dans un amour fusionnel et faux. Son âme désespérée trouvant une lumière aussi aveuglante que la magie. Il détourna le regard, sentant son courroux lui faire vriller l'esprit un peu trop insidieusement à son goût. Il serrait les dents, les traits tirés. Il sentait sa colère gronder, incapable de savoir quoi en faire. Il voulait la respecter, cette ire, mais par elle il avait tué une innocente.

    Pas un monstre, pas corrompu, juste mortel ? Il en comprenait bien le sens mais ne voulait pas d'une conclusion si clémente. Il s'en voulait, lui. Il avait peur, terriblement peur, qu'Eleni lui tourne le dos et il était scandalisé qu'il ne le fasse pas. Il était frappé du paradoxe, de la sincérité de sa croyance, alors que lui-même n'était qu'une âme vacillante et tourmentée. « Je vous remercie, de vous être occupé de moi... » C'était le moins qu'il pouvait articuler, heureux de voir que sa voix lui était moins douloureuse. « Et d'elle. » Mais pas du dragon. Les mots qu'il taisait étaient peut-être plus bruyants encore que ceux qu'il prononçait. Il ne moquait bien que ce monstre ait eu des funérailles adaptées, mais il ne pouvait que respecter l'émotion d'Eleni, s'il l'avait, au moins un peu, affectionné. Il arrivait, débarquait, auprès d'un peuple qui pratiquait la magie et vénérait des dragons. Il aurait été étrange que son frère ne les admire pas un peu, lui aussi.

    « Quelle qu'en soit l'origine, ce que je suis devenu est... Malsain. J'étais déjà mortel mais je n'étais pas seul, surtout. » Il avait agi au non du divin, pendant des siècles, des millénaires. Et maintenant ? « Elle était innocente. » Et il n'avait jamais condamné un innocent. Il n'avait jamais même été sur le front d'une bataille. Il n'avait pas tué ces soldats innocents qui se battaient pour leur roi. Il ne s'était ni battu contre les ambarhùniens, ni contre les chimères. Il avait été un redoutable absent à bien des égards. « Elle a refusé de se battre. Je voulais la sauver. » Il l'avait conduite à Ipsë Rosea pour cela. Mais elle n'avait pas voulu. Elle avait abandonné. Il comprenait, la déchirure de l'âme, lorsque le dragon lié meurt. Et lui-même, après la mort de Néant, n'avait pas été bien certain de vouloir continuer sans lui. Il l'avait fait... Et pour quoi ?

    Son regard se fit flou, dans les souvenirs. Il aurait voulu pouvoir les montrer à son frère, pour qu'il comprenne. Il ne pouvait qu'expliquer : « Il me manque tellement. » Néant, indéniablement. Il l'avait aimé, année après année. Il avait scandé son nom et lui avait construit des temples. Il avait transmis sa parole, ce que l'Unique lui soufflait. « C'est... C'est infiniment violent d'être l'Oracle du silence, après avoir entendu sa voix pendant des siècles. Il n'y a que quand vous chantez que j'ai l'impression... La sensation d'avoir les idées en places. D'être moins perdu. D'être moins seul. C'est comme s'il était encore là. » La mélodie du Néant. Il n'avait pas donné ce nom pour rien à Eleni. « Je n'ai jamais marché sans Lui. Je ne sais pas faire et mon apprentissage est tellement... Tellement difficile. » Il s'y échinait, mais il avait perdu quelqu'un de cher, avec une longévité qui avait côtoyé la sienne délicieusement.

    « C'est accepter l'imperfection de mes choix et de mes actes... Leurs poids... Leurs conséquences... J'aurais accepté ces mêmes actes s'ils m'avaient été réclamés par Lui. J'aurais été plus en paix avec moi-même. Je n'ai jamais rien porté, en vérité. Je n'ai fait que croire ce qu'Il me disait. L'accepter. Cette idée m'allait. Je n'avais rien connu d'autre. » Il appuya ses coudes sur la table, son buste en avant, ayant déplacé son repas sur le côté un peu plus tôt, incapable de manger d'avantage. Il ferma les yeux et laissa sa tête retomber en avant. Un soupir le souleva : « Je ne sais pas si ce que je fais est bien ou mal. Je ne me posais pas la question lorsque j'agissais au nom de Néant. » Sauf une fois, lorsqu'il avait eu la sournoise sensation que ce n'était plus les ordres de son Dieu. « C'était forcément ce qu'il fallait faire. »

    Il releva son regard sur lui, et se mordit la lèvre. « Comment allez-vous, Eleni ? » Idiot qu'il était. Il s'insultait mentalement. Dans le marasme de son âme, il n'avait même pas pris le temps de savoir comment allait son frère. Il était un elfe lui aussi, comme la Princesse. Et lui n'avait fait que balancer son propre malheur. Il secoua la tête de gauche à droite, perdu : « J'implore votre pardon... Je vous ai mis dans un bien piètre état. » Eleni qui était si soigné, d'ordinaire...

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Il eut un fin sourire mi-désolé mi-tendre, à l’affût de ce qui sourdait de son être, admirant sa retenue et son sens de l’équité. Peu étaient ceux qui lui avait fait aussi bonne impression que Naal, de par le monde. En cela, il était un exemple, même pour lui pourtant Baptistrel. Son acceptation et son objectivité étaient exemplaires, et faisaient, à son sens, honneur à sa dévotion à Néant qui était le suprême équilibre. Songeur, il ne répondit pas à ses remerciements, ne sachant pas vraiment comment ne pas les diminuer. Il était heureux d’avoir pu répondre à la promesse qu’il lui avait faite, mais il aurait été plus heureux encore qu’il ne soit pas dans un tel état bien qu’il comprit pourquoi. En fin de compte, ce ne fut pas réellement aux remerciements qu’il répondit. “Elle fut Cawr, saviez-vous ? Ma soeur de pluie. Ma princesse” Ses yeux vinrent se focaliser sur lui une fois de plus, leur douceur veloutée “Elle fut ce que je vis de plus beau au sortir de mon isolement, portant encore les lambeaux de mon enfance. De coutûme, je m’amusais à faire tomber des fleurs dans ses cheveux quand elle passait sous les arbres des jardins impériaux. Je la suivais près des cours d’eau pour éclabousser sa chevelure de diamants aqueux éphémères” Il se souvenait de sa voix magnifique lorsqu’elle chantait, chaude et fluide. Et Naal méritait de savoir, de la connaître. Il partageait quelque chose de très intime avec elle désormais, connaître la princesse était important, en tout cas à son sens. “Elle perdit ses pouvoirs en sauvant un homme, un humain. Elle se sacrifia volontairement, jugeant le vie de cet être plus importante que ses pouvoirs” Une peine immense et une magnifique leçon pour tous.

La suite fut accueillie d’un soupire affligé. Il n’avait pas tort. Pour lui qui avait vécu sur le vieux continent d’Ambarhuna, plus qu’une malsaine solitude, c’était l’expérience de Naal qui était miraculeuse. L’amour et le soutien de Néant étaient un rêve, un don inestimable face à la cruelle réalité de ce monde. “Je sais…” Il savait que son frère avait essayé de la sauver. Même sans son chant-nom, il le savait car Naal était foncièrement bon. Il comprenait également que son état présent lui semble malsain. C’était ce que les autres peuples vivaient depuis toujours. En un sens, c’était effectivement malsain. Ils étaient constamment face au doute, à la peur, au questionnement et pourquoi ? Parce que les Déesses devaient être testées ? Parce que les peuples devaient être testés ? Son coeur se serra aux aveux, à ce manque que Naal ressentait. Sur une impulsion, il vint lui prendre la main. Pouvait-on seulement faire plus triste que cela ? Il savait parfaitement qu’aucune peine ne se comparait véritablement, le coeur n’avait nulle mesure et l’âme moins encore. Pourtant, cela le frappait et lui déchirait les sens, saisit qu’il était de son chagrin. “Difficile et douloureux, et cela prendra du temps” Beaucoup de temps. Mais il n’abandonnerait pas, si ? C’était une route terrible, surtout pour quelqu’un qui avait été pur et vide de tout cela. C’était comme de teinter une page blanche en essayant de donner un code stricte aux couleurs et aux formes. Cela semblait presque une perte et il s’agissait certainement d’un deuil. Ses doigts pressèrent doucement ceux de son frère. Il comprenait oui, la difficulté de porter un choix qui n’avait plus rien de clair ou de définitif.

Et si l’acte n’était ni bon ni mauvais ? Il se tu. Il ne voulait pas le pousser dans cette direction, pas en cet instant. Il voulait l’aider, en cet instant. Son inquiétude à son égard invoqua à ses lèvres un nouveau sourire et une expression aussi flattée qu’incrédule. Se redressant, il passa instinctivement la main dans ses cheveux, pour essayer de les discipliner. “Je ne vous voue nulle rancune” Sa détresse était bien naturelle et il lui vouait encore moins de colère qu’il sentait sa souffrance et sa peine dans la moindre fibre de son être. Qu’il se défasse tout de suite de cette idée et ne nourrisse aucune culpabilité. “Chassez cette abjection, voulez-vous ? Et ainsi j’irais déjà un peu mieux” Son sourire se fit suave “Je suis inquiet pour vous. Attristé, pour vous. Vous m’avez fait peur, je dois bien l’avouer, vous voir ainsi…” Il soupira, secoua doucement la tête. L’état dans lequel était arrivé l’almaréen avait été terrible, d’un point de vu humain comme médical. Et maintenant ? Il se leva subitement, suivant un coup de tête. “Attendez-moi un instant” D’après ce qu’il entendait, les rares blessures qui n’étaient pas encore totalement refermées ne nécessitaient nul soin immédiat. C’était son esprit, son être psychique qui avait besoin d’attention et de présence. Soit. Lorsqu’il revint, il avait les bras encombrés. Une panière dans chacun. Le premier était rempli d’ornements pour cheveux, sur lesquels trônaient trois brosses et deux peignes. Le second contenait un carnet, un coussin ainsi que les deux bijoux auxquels il tenait le plus. L’un était déjà connu de Naal : Varda, le coeur bouclier portant deux perles de pureté et la perle d’ambre d’Odrikatas. L’autre était Onos, le collier d’eau et de Néant.

Il déposa le coussin aux pieds de Naal. “Peignez moi les cheveux” Cela sonnait presque comme un ordre mais le Gardien avait toujours était très assertif quand il était certain de lui-même et la libération apportée par son frère n’arrangeait rien. Et en vérité, ce n’en était pas réellement un mais connaissant Naal et son amour pour sa chevelure et ses oreilles, il ne craignait guère un refus. Cela lui ferait une façon de s’occuper les mains et un outil pour combattre un peu l’inquiétude de son coeur. S’asseyant et posant le dos contre ses jambes, il rejeta son opulente chevelure, plus riche que jamais, dans son dos, pour l’offrir aux doigts de son frère. La panière contenait des bijoux, des lacets de tissu et de cuir, des perles, des fleurs, des broches et des fermoires, bien assez pour que l’almaréen constitue une oeuvre selon ses désirs. “Et pendant que vous peignez, pourquoi ne vous apprendrais-je pas à chanter Néant ?” Son sourire se fit un semblant amusé “Vous n’aurez pas la même puissance en raison des vibrations mais… ce peut être agréable pour vous. J’ai… J’ai étudié le livre de prières. J’ai constitué des mélodies pour certaines d’entre-elles. Des variantes du chant de Néant. J’ai commencé par celle que vous m’aviez enseigné. Je l’intègre dans mes aubades et mes vêpres. Voudriez-vous les entendres ?” Pour l’instant, tout ce qu’il voulait était d’adoucir sa peine car il ne pouvait réfuter la véracité de son propos. Il hésita un instant, puis, avec douceur, il ajouta : “Je peux aussi vous apprendre notre chant de passage, si vous désirez rendre hommage à Orfraie Lilótëa” Il ferma les yeux, tandis la main pour attraper Onos, jouant avec les perles de pure essence en abandonnant sa chevelure aux attentions de son frère.

J’ai aussi avancé dans… dans mon étude de votre langue” Il n’avait pas perdu son temps du tout, effectivement. “Si vous voulez essayer de… de me parler… en almaré-éen


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    S'il savait qu'Orfraie avait été Cawr ? Naal acquiesça doucement de la tête, confirmant qu'il n'était pas homme à entamer un combat sans savoir qui il aurait à affronter. Et pour le cas de l'Ataliel, cela n'était pas bien difficile puisqu'il s'agissait d'une princesse célèbre. Les écrits étaient nombreux et, bien qu'exagérés dans la prose, ils étaient révélateurs d'un certain nombre de vérités. Il ne douta pas que Kehlvehan l'ait connue plus intimement que le commun des mortels. Les elfes étaient peu nombreux, mais des elfes de cet âge, à plus forte raison, étaient encore plus rares. Probablement avaient-ils grandi ensemble et pourtant ? Son frère ne lui en voulait pas du crime qui rougissait ses mains. Il savait les baptistrels fort peu prompts au jugement mais... De là en oublier toute colère ? Il avait bien du mal à le comprendre, tout en sachant que le Gardien ne pouvait guère mentir. Qu'il ne laisse pas sa rancune éclater était une chose, mais qu'il n'en ait aucune ? Cela le perturbait sans qu'il ne vienne mettre en doute ce qu'on lui énonçait. Il peinait simplement à comprendre et ce, à plus forte raison, il n'arrivait pas à se pardonner lui-même.

    Alors de là imaginer qu'on puisse lui accorder la moindre indulgence ? Il avait tué un dragon et il l'avait fait en connaissance des conséquences qui en découleraient. Rien de tout ceci n'avait été un malheureux accident, tout avait été méticuleusement prémédité, de la formation à la dispersion des troupes, en passant pas le nettoyage des lieux. Ses mires d'un bleu céruléen restèrent accrochées à Eleni lorsque celui-ci lui demanda de chasser cette idée de sa tête. Par politesse, il aurait accepté et n'en aurait fait qu'à sa tête, oubliant ceci en temps et en heure, lorsqu'il s'en sentirait prêt... Mais cela aurait été prendre son frère pour un idiot. Il le saurait, s'il répondait d'un 'oui' qu'il ne pensait pleinement. Il se contenta de baisser les yeux, sans mot dire, sur leurs mains nouées. Il avait même fini par clore ses paupières, se refermant comme une huître sur lui-même. La douleur était en lui et il devait la traiter. Cela prendrait du temps, oui, il n'en doutait pas un instant.

    Il rouvrait les yeux en perdant ses mains alors que l'elfe le quittait avec la promesse de revenir. Du moins était-ce ce qu'il comprenait de sa demande. La solitude était plus frappante encore et pour lutter les prières revenaient sans sa bouche à l'accent affirmé. Lentement, ses doigts prirent l'une des écailles de jade. Elle était petite, octogonale, et avait l'éclat d'un émeraude. Il se souvenait de la colère du dragon qui se débattait dans la fatalité de l'instant. Il se souvenait de la satisfaction viscérale qu'il avait ressenti, en perçant le palais de la bête avec Valar Dohaerys. Le sang de dragon brûlant la peau de ses doigts pour son plus grand plaisir. Il observa sa main droite et la peau abîmée. Tôt ou tard, cela serait soigné.

    Ô Néant, pourquoi avoir abandonné ? L'almaréen serra les dents. Tout était si simple avant. Des centaines d'années à servir l'Unique au quotidien avait été plus faciles que cet instant. N'y aurait-il pas eu un moyen de sauver son Dieu ? De lui permettre de retrouver et renforcer son cœur. Il aurait donné le sien pour que Néant vive encore. Il l'aurait arraché lui-même. Il n'aurait pas assez d'années de vie humaine pour faire son deuil. Il l'avait aimé démesurément, dans cette vie et dans la précédente. Cela faisait trop longtemps pour arriver à faire autre chose de son existence que de le regretter et le pleurer. Son regard se posa sur Eleni, lorsque celui-ci revint, le suivant de ses prunelles claires lorsqu'il vint s'asseoir à ses pieds en lui confiant son immaculée chevelure. Il l'entendait mais ne répondait. S'offrir n'était pas inné, pas de cette façon. Il avait été Roi et s'il n'avait jamais eu honte de ses sentiments, il avait bien plus l'habitude de tendre la main que d'espérer qu'on lui tende à l'inverse... Pour la simple et très bonne raison que Néant le faisait avant tout autre, jadis. Il en revenait tout le temps à la même blessure, l'ouvrant un peu plus à chaque fois sans parvenir à se guérir. Est-ce qu'il avait envie de continuer ?

    Il pencha le buste en avant, et appuya ses coudes sur ses cuisses. L'une de ses mains brunes aux tracés d'encre vint au niveau de la tempe de son frère et passa lentement ses doigts derrière l'oreille pointue, emportant les mèches blanches. Son visage était si beau. Il en dévorait la maigre vision dont il avait dévoilé la peau, lui qui était dans son dos. « Chantez... » L'almaréen répondait à l'almaréen, articulant proprement pour être compris d'un apprenti qui avait, d'ores et déjà, fait un superbe travail sur cette langue. « … S'il vous plaît. » Il voulait l'entendre, le chant de Néant, si précieuses notes de consolation, si doux baume sur ses plaies. Il n'arrivait pas à oublier son Dieu et les épreuves ne faisaient que creuser son absence. Il voulait la drogue dans son sang, pour l'apaiser un peu, les notes dans les fibres de son être, comme le Gardien savait si bien les énoncer. Il choisit une brosse et entama de démêler l'épaisse chevelure qu'on lui avait confiée. Rapidement, il en retrouvait la douceur hypnotique mais plus que tout, ce fut ce chant qui lui fit un bien immense. Pendant combien de temps en serait-il dépendant ? Quelques jours sûrement. Il avait besoin qu'on lui rappelle pourquoi il devait continuer à avancer.

    L'onde vibrait en son sein, tremblant sensiblement d'émerveillement. Comme à chaque fois, c'était si bon, tellement parfait. Tellement Unique. Silencieux, il se laissait porter par la mélodie, y trouvant le réconfort qu'il cherchait tant. Les faits et les actes reprenaient du sens, eux qui lui semblaient si incompréhensibles. Il tressait et torsadait les mèches branches, avec une habilité qui lui était propre. Mais il n'utilisait rien. Ni perle, ni fleur, ni lacet. Tout ce qui devait être noué l'était en étant emporté par une autre mèche de cheveux. La complexité n'était pas un obstacle, elle n'était que le fruit de sa création, celle où tout se tenait avec Rien. Et lorsqu'il arriva à l’extrémité des pointes, après de longues minutes de travail soigné, il vint nouer une Unique bande de cuir noir. Là était le pouvoir créateur du Néant : capable de tenir le Tout en respect à lui Seul.

    L'Oracle se leva et recula la chaise derrière lui pour se laisser doucement tomber sur ses genoux. Se voûtant au dessus de celui qui était, lui, assis à chanter, il alla loger son nez dans son cou et ses lèvres brunes épousèrent la peau blanche de sa gorge vibrante de son chant. Son souffle s'apaisait et ses mains se refermaient sur les épaules de l'elfe. Il aurait voulu dévorer ses vibrations à leur source, s'en gorger jusqu'à mourir d'avoir trop mangé. La seule chose qui le retenait d'une telle barbarie n'était que l'affection brûlante qu'il avait pour Kehlvehan. Il tremblait et les larmes de soulagement coulaient sur la gorge immaculée. Lorsque le silence revint, il s'échoua sur le flanc, pour s'asseoir près de lui, les jambes étendues à l'inverse des siennes. Il retrouvait la vision de son visage : « Ce don que vous avez... C'est pour lui que je me bats, Eleni. Vous avez quelque chose de magnifique à offrir à ce monde. Et j'ai peur... »

    Malgré l'émotion, il tâchait d'articuler pédagogiquement pour être compris dans sa langue natale. « J'ai peur qu'ils viennent prendre votre cœur, à vous aussi. J'ai peur qu'ils viennent vous arracher votre essence, afin d'assouvir leur dessin malhonnête. » Il lui tendit le miroir qui était dans le panier avant de reprendre en langue commune, de peur de le perdre s'il continuait en almaréen : « Je sais que les Ambarhùniens n'entendent que peu ce point de vue. Ils sont aveuglés par les histoires centenaires qui racontent que les dragons sont des créatures merveilleuses ou que les vampires sont des monstres. Je n'en sais rien, pour les vampires. Je ne les connais pas assez, mais je connais les dragons depuis si longtemps. Il y en a certains avec lesquels on peut discuter. Il y en a d'autres qui ne cherchent que le pouvoir. » Le ton était calme et la voix langue, malgré que le sujet lui tint à cœur.

    Il prit une de ses mains, délicatement : « Les dragons choisissent leurs Liés et qui choisissent-ils ? Achroma Seithvelj, puissant mage vampire. Korentin et Nolan Kohan, empereurs du peuple humain. Esmelda Kohan, Luna Kohan, Orfraie Ataliel, princesses de leurs Royaumes. Nathaniel Earendil, Roi des Pirates. Kylian Wallam, Prince Noir. Et... Et Dawan Sywel et Merithyn Chantelombre... » Il savait qu'il touchait un point sensible, mais il ne le faisait pas par gaîté de cœur. « Maîtres baptistrels. Et Gardien pour l'un d'entre eux... Tout comme vous. Aliénés par des dragons jusqu'à leur perte, parce qu'ils étaient uniques. Et puissants. » Il y avait eu aussi des liés plus anonymes... Mais combien d'anonymes pour combien de personnes de pouvoir ? Trop peu. « J'ai peur pour vous et pour les peuples de cet archipel. Vous vivez avec des monstres d'écailles, avides de pouvoir et de domination. Et cela ne trouble personne. Vous pleurez vos rois, vos princesses... Vous pleurez vos frères, vos fils... Mais vous ne rendez hommage à leurs âmes que lorsqu'elles voguent au royaume de Mort. C'était il y a des années qu'il fallait rendre hommage à Orfraie Ataliel, lorsqu'elle a été déformée et asservie. Pas aujourd'hui. »

    Il baissa les yeux, perplexe, autant qu'il savait que son point de vue n'était pas accepté par delà le monde, que l'aveuglement des peuples était puissant... Et qu'il parlait de Merithyn. Était-ce maladroit ? Il n'avait rien d'un homme plein de charisme et il avait plus l'impression de mettre les deux pieds dans le plat qu'autre chose. Il secoua la tête de gauche à droite : « Je suis désolé... » Il relevait ses mires sur lui. « Je suis épuisé d'achever leurs victimes pour les libérer. » Orfraie n'était pas la première. Il y avait eu Néant et Aldakin avant elle. Il secoua à nouveau la tête de gauche à droite et se pencha pour attraper le carnet de prière d'Aldakin dont il feuilleta les pages annotées d'informations mensongères, rajoutées par le Prêcheur et venant donner un sens fallacieux aux prières. « Mais si je ne le fais, qui le fera ? » Personne. Parce qu'ils étaient tous en admiration devant les dragons.

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Et il chanta, en prenant son temps, soignant chaque son, accrochant la mélodie dans les noeuds vibratoires alentours jusqu’à ce que le jardin lui-même chante en choeur la profonde mélopée de Néant, pulsant dans les os et les nerfs tout autant que dans les esprits. La posture, assis par terre contre Naal, lui demandait un peu plus de travail de respiration mais cela ne le dérangeait nullement, pas plus que les doigts travaillant sa longue chevelure. Le mouvement le berçait et le détendait, la dextérité et l’assurance du geste chassaient toute gêne potentielle à abandonner ses cheveux à quiconque. Il sentit la lourdeur de la crinière domptée et assagie puis la caresse d’une peau chaude contre la sienne, inattendue. Son souffle s’altéra sur une note vibrante, son échine au derme sensible frémit et il ferma les yeux, un tiraillement au creux du ventre. Il sentait le poids des mains sur ses épaules, le tremblement du corps près du sien, comme un écho, une ridule à la surface de l’eau, se transmettant jusqu’aux rives. Il sentait le doux chatouillis des perles salines dévalant la courbe de sa gorge blanche et son âme tremblant sous le soulagement qui résonnait de son être comme un clairon. Et puis, enfin, la mélodie mourue, les dernières notes s’échouant sur les rives de ses lippes tandis qu’il continuait de soupirer autours d’eux, reliquat d’extase d’un moment d’éternité et de perfection absolue. Progressivement, la pulsation s’acheva également, en écho, jusqu’à ne laisser qu’un silence profond et propre entre eux.

La voix de l’almaréen vint à le rompre comme on rompt une feuille de soie et l’elfe en savoura chaque infime subtilité. Plus encore, cependant, ce fut les mots qui lui firent arrondir brièvement les yeux, et relâcher un souffle tremblant. “Naal…” Que dire ? Il sentait son émotion et s’en trouvait coi, incapable d’exprimer quoi que ce soit qui ne lui semble pas parfaitement écervelé sans compter qu’il tentait d’user d’une langue dans laquelle il était encore novice. Prendre son coeur ? Oui, il pensait avoir bien compris. Le parallèle avec Néant lui apparut sans tarder et le plongea plus profondément encore dans son mutisme. Il était profondément touché d’être élevé à une hauteur ressemblant celle de l’Unique, car n’était-ce pas ce dont il s’agissait ? Il avait peur qu’un dragon vienne voler son coeur ? Il n’était pas certain qu’un dragon soit capable de relever le museau suffisamment pour se rendre compte qu’il existait mais n’avait pas envie de se montrer irrespectueux envers la crainte de son frère. Et une crainte fondée en fin de compte. Sans un mot, il prit le miroir pour observer son reflet et apprécia le travail du monarque avec une surprise encore renouvelée. Il savait Naal adroit mais en découvrait les nuances progressivement. Et il en était toujours plus admiratif. Il détourna cependant son regard du reflet pâle et mélancolique pour le tourner vers l’homme qui lui ouvrait son coeur.

J’entends” C’est vrai les dragons peuplaient leurs contes, leurs légendes, leurs balades, leurs histoires épiques mais… il avait été éduqué autrement, dans l’ouverture d’esprit et la critique constructive. Et il estimait beaucoup son frère. Aussi malgré son passif, il entendait réellement. Oui, certains voulaient le pouvoir et d’autres étaient pacifistes, comme les hommes, les elfes et les vampires, car en fin de compte, le temps avait prouvé que la seule supériorité des dragons était leur statut de filtre de la trame. Il lui abandonna sa dextre et vint, avec un naturel confondant, nouer ses doigts aux siens. La suite, néanmoins, vint à le faire ciller lorsqu’il fut question de son fils, puis d’Orfraie. “Elle a toujours eu une place dans mes chants” Bien avant d’être dragonnière et générale. Quand elle était encore une fille des fleurs et du printemps. Sa voix était atone. Il ne pouvait effacer la douleur que le sujet provoquait mais il n’insulterait pas son frère en l’agonissant d’injures ou en le rejetant. Ses excuses furent accueillies par un signe de tête négatif. Il ne voulait pas d’excuses. Cela venait d’une bonne intention mais c’était comme d’essayer de réparer une assiette cassée. On ne réparait rien, on achetait et on évitait de casser à nouveau. Il ne lui tenait pas rancune d’énoncer une vérité. Merithyn avait été lié, et il avait été puissant, terriblement puissant même par la force de sa fusion mais également de ses liens.

Il observa le carnet entre les mains de Naal et, avec lenteur, tendit sa main libre pour attraper celui qu’il avait débuté et le plaça dans le giron de l’almaréen. Un carnet tout juste commencé, avec son propre cheminement dans la liturgie de Néant, les prières qu’il apprenait et transformait en chants vibratoires pour les élever comme Aldakin avait fait ses notes pour ses oratoires et ses études. “Le passé est tel qu’il est mais l’avenir est ce que l’on en fait. Et par l’apprentissage, on peut changer les choses, lentement” Aujourd’hui, les Ambarhuniens admiraient les dragons mais cela pouvait évoluer, comme un elfe pouvait apprendre l’almaréen et transformer les propos hérétiques d’un être guidé par une haine divine en mélopées construites dans la vérité, la franchise et la paix que l’Unique apportait. Grave, il le laissa un instant penser à ce qu’il venait de lui dire, avant de reprendre, simplement. “Je ne serais jamais lié à un dragon” Le poids de son serment pesait dans chaque mot car c’était un absolu sans nuances, énoncé volontairement. Désormais, si son affirmation n’était pas respectée, il perdrait ses pouvoirs et avec eux, tout ce qui faisait sa richesse et son unicité, ce qui le sortait du lot et pouvait effectivement intéresser une créature à écailles. Mais il le faisait avec acceptation. C’était un bras de fer d’une autre sorte. Il espérait simplement ne pas risquer le délicat équilibre qui se créait désormais dans la nature avec l’apparition du chantevide.

Je suis là pour vous Naal” Il l’attira contre lui, lui fit poser la tête sur ses genoux, caressant son front tatoué mais dont on devinait la courbe noble. Il sentait avec acuité le grain de peau, les petites blessures anciennes, la douceur du vélin. Il caressait en des mouvements lents, sans être intrusifs, apportant la fraîcheur de sa peau sur la sienne, à peine perlée d’une fièvre persistante et qui se délitait progressivement “Vous n’êtes et ne serez pas seul, je vous l’ai promis. Cela ne signifie pas seulement ma présence physique. Je marche avec vous. Et votre voix peut en amener d’autres, comme les brises-sorts qui vous ont suivis. En éduquant, en apportant progressivement une vision plus juste du monde, en montrant, lentement, cela viendra” Déjà, on remettait le lien en question. Le monde n’était pas figé mais en perpétuel évolution et cela par la simple existence de Néant. Par l’équilibre. La pensée des peuples étaient, elle aussi, mouvante. Et en attendant, il serait là pour lui permettre de trouver un hâvre et un soutien, une bulle de calme, une oreille attentive. Il ne pouvait manier une lame et là n’était pas sa vocation mais il pouvait sans aucun doute être là pour lui et l’aider à prêcher. Un instant, il se tut, se donnant le temps de construire ses pensées et d’examiner les affects, avant de reprendre. “Une fois la porte de Mort franchie, l’âme est en paix jusqu’à être réincarnée. Le trépas n’est qu’une étape d’un cycle immense. L’inconnu peut effrayer, mais l’inconnu ressemble au Néant, en est peut-être même une part, c’est une infinité de possibles, d’opportunités

En serait-il à faire son premier discours ? “Libérer une âme de son enveloppe physique c’est l’enrichir, l’étendre, c’est la faire évoluer une possibilité après l’autre, c’est là la beauté même de Néant, l’immensité créatrice. Elle fait peur aux créatures mortelles qui n’y sont pas habituées uniquement parce que cette immensité ne peut être jaugée avec des yeux physiques, compris avec des problématiques quotidiennes. Sur l’instant, Mort peut être terrible. Comme Néant est tour à tour créateur, pieu, souverain, omniscient, Mort peut être paisible ou violente, soudaine ou lente. Et toute cette richesse provient de la même origine. Comme l’Aîné, chaque soeur est variée. Comme l’Aîné, cependant, chaque soeur possède un caractère absolu. Mort violente deviendra Mort paisible, comme Néant peut être créateur mais sera toujours souverain….

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Le livre de prières d'Aldakin quitta ses mains sombres aux tracés noirs de foi. Celui qu'il avait établi pour Eleni s'y logeait à présent. Machinalement, il ouvrit les premières pages, sur ces prières apprises, puis sur ces pages blanches. Il avait encore beaucoup à lui apprendre, mais son élève était demandeur, alors il avait de l'espoir pour lui. Changer les choses par l'apprentissage faisait écho aux derniers événements. Il avait toujours été un guide. C'était le sens qu'avait eu la couronne qui reposait jadis sur sa tête. S’il devait les guider à nouveau ? Une part de lui, naturellement, le craignait. Non pas pour la tâche en elle même, mais il se souvenait très nettement de ses personnes qui s’étaient détournées, une à une, de lui, jusqu’à ce qu’il finisse par être assassiné par Aldakin. Il se souvenait très nettement de la froideur du marbre et de son corps mourant qui se glaçait à son contact. L’instinct était primaire et pourtant vivace. Il cherchait d’autres chemins, par la violence, tout en sachant qu’elle n’était pas la bonne voie. C’était son paradoxe, son erreur et son échec. Il savait que parfois le pire ennemi qu’on pouvait avoir à affronter, c’était soi-même.

Le serment absolu que son frère énonça le coupa dans le fil de ses pensées, conscient qu’il était de la rareté précieuse de ce ‘jamais’. Combien Kehlvehan en avait-il prononcé dans sa vie ? Trop peu, à moins de s’y être absolument tenu. Peu de mots et pourtant une si intense signification qui le fit ciller et vaciller. Jamais ? Ce ne pouvait être une prémonition, car les bipèdes n’étaient maîtres de cette décision. Alors il se condamnait à perdre ses pouvoirs baptistraux si son propos devenait un jour un mensonge. Il se laissa entraîner contre lui, sa tête s’échouant lentement sur les genoux de l’elfe, écoutant ses mots apaisants, silencieux. Il fermait les yeux, cherchant le repos et le soulagement au contact de ses doigts frais. Il prit sa main, embrassa sa peau. Le lien indicible qui les unissait grondait sous sa peau, vivace et indestructible. C’était comme une flamme, émotive, où brûlait sa passion. Il voyait l’avenir, avec lui. Il voyait de nouvelles chances et de réelles opportunités. Il serrait sa main, avec tout son amour.

Il resta de longues minutes dans ce mutisme plein de reconnaissance, lui vouant une tendresse vibrante à la simple étreinte de sa main et de ses lèvres qui embrassaient ses doigts. La fièvre s’apaisait avec son éveil. La sueur avait cessé de perler sur sa peau brune maintenant que son âme égarée trouvait quelques repères. Et Eleni brillait comme un phare dans la nuit. Il ouvrit ses yeux sur le ciel étoilé. « Je vous suis reconnaissant. » Il leva une main, vers lui, effleurant les traits aussi fascinants que parfaits de son visage. Il dévorait sa blancheur immaculée, si pure, presque irréelle à ses habitudes almaréennes. Son peuple avait côtoyé des terres brûlantes. Une telle peau blanche n’aurait jamais survécu. Alors il admirait cette rareté, cette nouveauté. Il était apaisé dans ses craintes qui n’avaient plus lieu d’être, excepté de crainte de perdre ce frère. Il s’agissait d’une crainte plus raisonnable, aussi raisonnable que la crainte de la mort. Si cela arrivait, ce serait inévitable. Mais les pouvoirs de Néant seraient à l’abri.

Il se redressa, assis, et se tourna vers lui. « Vous me donnez de l’espoir. J’ai envie de croire en vous » Son soutien, sa présence étaient des denrées inestimables. Avec eux, il était prêt à faire les efforts qui s’avéraient nécessaires. Une colère contre Cynoe, sourde, sommeillait encore en lui… Mais il voulait croire qu’en étant ce guide de foi, le peuple d’Ambarhùna finirait par comprendre. L’éducation, plutôt que la guerre. Et que ferait-il de son cœur qui souffrait de la mort de Thélem ? En Almara, les morts prises par un dragon ne restaient pas sans riposte. Les âmes étaient vengées. L’on ne laissait aucune chance à ces monstres s’ils avaient versé le sang. Mais pour l’heure ? Il voulait croire que l’enseignement des bons dogmes suffiraient. Il replaça une mèche blanche, fuyante, dans la coiffure de l’elfe, puis ses doigts abîmés coulèrent le long de sa joue jusqu’à sa nuque.

Il vint délicatement coller son front contre le sien. Avec une lenteur affectueuse, son nez glissa sur sa peau et il embrassa sa pommette, sa joue puis ses lèvres. Il sentait le souffle de sa respiration sur sa peau, son odeur si délicate, si raffinée et le goût, sur sa langue d’un instinct fusionnel qui le poussait à lui donner son affection, encore et encore. Il était son confort, tendre et sincère, la certitude de ne pas être abandonné. De ne pas se retrouver seul, isolé, gisant sur ce marbre, poignardé par ceux à qui il avait tant donné. Il était ce havre qu’il cherchait, pour se reposer, le jardin où il pourrait planter les graines de son savoir millénaire et unique. Parce qu’il l’aimait. Sa main massait sa nuque quand l’autre effleurait sa joue. Leur baiser était un échange si chaste, aussi pur et délicat qu’une fleur aux pétales fragiles que le vent pourrait souffler. L’écho du chant de Néant vibrait encore à ses tempes, même après ces nombreuses minutes de silence : il était là, à les porter hors du temps.

Il était là, le Néant, dans les émotions de sa fébrile étreinte. Point de fougue, ni de hâte. Il prenait le temps d’aspirer à sa présence et de se ressourcer en elle. Il lui offrait la sienne, en équitable échange pour parfaire à la dévotion qu’il lui accordait. Et même lorsqu’il relâcha ses lèvres, son visage ne s’était écarté, sentant encore le fantôme de leur douceur abandonnée à l’autre. Est-ce qu’il sentait son affection ? Lui avait-il assez donné ? Il s’écarta tout juste assez pour pouvoir ouvrir les yeux et le regarder droit dans les siens sans loucher. Il cherchait en ses prunelles sa réponse, mais jamais bien certain de lui, il passa ses bras à son cou et glissa son nez dans son cou pour l’étreindre de toutes ses forces d’humain convalescent. Serait-ce assez ? Le sentait-il suffisamment, son attachement ? Le baiser dans son cou ? Ses doigts qui se crispaient dans ses vêtements et dans ses cheveux savamment coiffés ?

Plusieurs minutes encore pour qu’il ne le libère de son effusion d’affection et de tendresse. Puis en silence, il donna actes aux conseils de son frère. Une plume et de l’encre, il écrivait une nouvelle prière en langue almaréenne. Une prière, qui pourtant, n’avait jamais été récitée par personne en ce monde, car elle était inédite. Elle était la première pierre vers l’éducation, une éducation qui passerait par l’inclusion des peuples dans la foi. Elle serait une main tendue vers la réalité. Dire que Néant était l’Unique serait un mensonge en ses lèvres qui savaient la vérité et si avec Kehlvehan, il avancerait, l’authenticité de la vérité serait son glaive. Il prit son temps et lorsqu’il fut satisfait des messages glissés en chacun des mots, il reprit dans sa langue natale, énonçant lentement pour son apprenti :

« Ô Néant, toi le Tout-Puissant,
Toi la terre fertile de la créativité,
Je loue ta grandeur et ta générosité.
Le peuple d'Almara, par toi guidé,
Ne fut pas le seul à être béni de tes faveurs.
Si Unique, aux yeux d'Almara, tu étais,
Invisible et inconnu, pourtant
Tu vivais dans tout les cœurs.

De toi, sont nées sept sœurs,
Déesses couronnées par les mœurs.
Elles se devaient de forger l’univers,
Sur lequel tu régnerais,
Mais le dragon, à ses vices pervers,
Ne saurait te libérer jamais.

Captif de ta propre nature si prompte à aimer,
Tu ne pouvais laisser ce monde abandonné.
Par tes sœurs, nées de toi, Aîné,
Tu as donné tout ce qui ferait apprendre
Qui tu étais, et comprendre
Que par la foi, on peut te trouver.

Au delà de l'abondance et de l'être,
Le Rien est un Tout-Puissant maître.

Tu as donné les larmes,
En ta sœur Océan,
Pour que la peine nous arme
De loyaux sentiments.
Tu as fait que l'autre
Soit une part de soi, aussi.

Tu as donné des paysages,
En ta sœur Terre,
Pour apprendre le partage,
Et le respect des frontières.
Tu as fait de nous des patriotes,
Des frères et des amis.

Tu as donné la flamme,
En ta sœur Feu,
Pour réchauffer l'âme
De vœux amoureux.
Tu as donné la lumière,
La fouge et la passion.

Tu as donné l'air,
En ta sœur Vent,
Pour transmette la voix du Père
A tous tes enfants.
Tu as donné la prière
Et la liberté de l'horizon.

Tu as donné les fleurs,
En ta sœur Végétale,
Pour que les bougeons, en nos cœurs,
Fleurissent contre l'être-mal.
Tu as donné la patience,
Et les fruits que l'on sème.

Tu as donné les rites,
En tes sœurs Vie et Mort,
L'humilité qu'on hérite
Face à la puissance du sort.
Tu as donné la confiance,
La perte, la justice et la bohème.

Ô Néant, tu nous as donné tes sœurs
Pour que lors-qu’avec elles tu mourrais,
Vienne enfin l'heure
Où nous pourrons tous te retrouver.

Car le Vide que vous avez laissé n'est rien d'autre que toi
Le Néant Tout-Puissant, mon guide, mon roi.

Au commencement, il n'y avait Rien
Et tu nous as donné Sept fragments de Toi
Pour que nous avancions sur le chemin
Qui nous ramènerait vers la Foi. »


Il mordit sa lèvre, pesant les mots qu’il avait énoncé puis les tendit à Eleni pour l’aider dans sa complète compréhension. Et qu'il lui dise  si cela lui convenait.

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Un frêle sourire, un peu incertain, un peu timide, un peu fragile. Il parlait sans filtres et avec sincérité, mais il n’avait aucune certitude de la façon dont ses paroles pouvaient atteindre son interlocuteur. Il ne savait pas si cela l’aiderait, ou si cela lui ferait du mal. Il ne savait pas s’il avait raison ou tort mais c’était néanmoins ce qu’il pensait et c’était le plus grand respect et la plus grande preuve d’affection qu’il puisse lui offrir, si ce n’était ne pas l’abandonner : dire, sans heurts, avec honnêteté, ce qu’il pensait. Et il y croyait dur comme fer, à l’acceptation et au changement progressif. Et c’était un chemin qu’il était prêt à emprunter à ses côtés, activement. “Comme je crois en vous” Et comme il recevait de l’espoir de sa présence et de son soutien. La caresse fit frémir ses longs cils, un frisson tomba le long de son échine svelte et l’elfe vint presser son front au sien. Chaque fois, il s’émerveillait un peu plus de la sensation qu’éveillait le contact de son frère et de son aisance pour lui pourtant renfermé et solitaire. Il ressentait toujours un léger engourdissement puis une douce chaleur diffuse, tandis que ses muscles se détendaient. Il se sentait bien, tout simplement. Physiquement et mentalement. Le léger chatouillis le fit sourire à la caresse contre sa joue et il scella ses lèvres aux siennes avec un doux soupir d’appréciation. Son coeur palpita, le faisant trembler, alors que le flot de son affection l’envahissait comme une crue et il noua ses bras à son cou avec gaucherie. Sans heurt et sans passion outrancière, il savourait leur échange et sa présence, avec une innocence qui effaçait les épreuves et les déceptions.

Jamais il n’aurait pensé que quoi que ce soit en ce bas monde puisse refaire battre son coeur ainsi. Et pourtant, il en était une victime aussi ébahie que comblée. Comme jamais, il se laissait porter par la musique de son être, de sa présence, et lorsqu’il le relâcha, il souriait. Un sourire qui se fit presque fripon à la sensation de ce qui le troublait intérieurement. Sans rien en dire, il plongea son regard dans le sien et se lova davantage dans leur étreinte. Déesses, que c’était doux, d’abandonner son fardeau ainsi, de se laisser reposer en la présence d’un être aussi chérit et de pouvoir, sans être réprimé, lui offrir son affection. Elle était là, réelle, vibrante, elle le faisait s’inquiéter pour lui, souffrir de son absence et se soucier de ses avis, l’écouter là où tout autre rencontrerait le mur formidable de sa volonté, vouloir l’aider, vouloir le voir sourire, sans se poser de questions. Et lorsqu’il fut relâché, ce fut sans déception, car il était encore auprès de lui. Le voyant prendre papier et plume, il retint sa fascination et s’installa auprès de lui, observant les mots naître sous l’instrument. Le monde autours d’eux s’estompa à son attention, absorbé qu’il était par la rédaction qu’il tentait de traduire au rythme de sa création. Lèvres entrouvertes, le souffle altéré et ralentit, les yeux fixes qui ne cillaient plus, son être frémissait par instant alors que la prière tiraillait ses sens. Ce fut pourtant son énonciation qui fut l’apogée de la chaleur alors nichée en lui, couvant comme une brais, bourgeons ouvrant sa corolle ignée en lui. La voix chaude déclamant des mots qui pinçaient sa sensibilité comme les cordes d’un luth lui serra la gorge, porta des larmes à ses yeux et lui tordit les tripes.

Muet, il resta quelques instants à digérer la beauté des mots et des sentiments évoqués. Il répétait intérieurement le texte, ému, s’attardant sur chaque élément, laissant cette douce chaleur palpiter dans sa poitrine. Il sourit, d’un sourire fragile plein d’émerveillement, alors qu’un sanglot fugace d’émotion le faisait hoqueter doucement. “C’est beau” Sa voix était ténue et assourdie. Il se sentait maladroit dans son retour sans pour autant manquer de sincérité. En réalité, son expression devait davantage parler que ses mots. Il resta là un moment, contemplant la prière, puis la déposa nettement et respectueusement de côté… pour l’enlacer. L’elfe était certain que Naal ne lui en voudrait pas de son élan, car après tout, il était aussi un don de Néant, et il était de son fait entièrement ! S’il n’avait pas si magnifiquement construit son hymne… il ne l’aurait pas inspiré, lui, ainsi. Il manqua lui faire mal, à le serrer sans prendre gare à sa force naturelle, et sursauta au dernier moment, le relâchant avec une excuse… pour l’enlacer de nouveau, avec plus de précautions. “Elle reflète… Elle est.. Pardonnez-moi…” Il eut un sourire, l’ébauche d’un rire plein de dérision à être ainsi à court de mots. Ce n’était pas dans ses habitudes de balbutier ainsi. Inspirant profondément pour tenter de se calmer, il vint lui caresser les épaules, glissant les mains sous le tissu léger pour rencontrer sa peau chaude. Il savoura le grain de la pulpe de ses doigts, entourant leurs visages de ses cheveux si magnifiquement coiffés. “Je n’ai jamais su apprécier les larmes à leur juste valeur. Celle du repos de l’âme et du coeur, lorsqu’on en a le plus besoin, qu’ils répandent le chagrin que l’on nourrit plutôt que de le laisser pourrir en nous. Elles représentaient un destin qui m'enfermait… Je n’avais jamais eu conscience de pouvoir lui trouver la moindre… la moindre qualité

Jusqu’à lui. “Et pourtant je me retrouve en ces mots, j’en ressens l’essence. Grâce à vous. Je ne serais certaine pas le seul” Et il en allait de même pour tous. “Je les sens tous, dans vos mots” Il posa une main sur son coeur “Ici” Il lui caressa le visage, pressa doucement deux doigts contre sa tempe “Et là” Il voulait l’entendre encore, la lui réclamant d’une voix douce. Il voulait boire l’émotion à ses lèvres. Il écoutait, le son comme un encens apaisant, yeux fermés. La tête lui tournait, très légèrement, enivré par la musicalité de son énonciation, apprenant avec lui les ondoiements de cette foi renouvelée. Puis vint une forme de gravité profonde et songeuse. “Peut-être…” Il était étrangement dur de l’admettre, même si cela semblait, en l’instant, si juste en son coeur malmené. “Peut-être que leur disparition est… le symbole d’un âge de raison pour nous. L’essence des Dieux existe toujours, leur image disparue désormais n’était peut-être qu’une simple canne, un soutien dans l’enfance de notre capacité à croire et à évoluer. Peut-être devons nous à présent sauter sans preuves, sans manifestation physique. Peut-être la vraie foi est-elle là à portée… simplement en se regardant dans les yeux et… en se faisant confiance pour ne pas être abandonnés…

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    Il la sentait, l'émotion, fourmillant sous les traits de son visage, les réactions de son corps. Il le lisait physiquement, par une capacité devenue habitude. Il avait trouvé des ressemblances, durant sa longue vie, entre les réactions des personnes qui l'entouraient. Joie, peine, colère, peur, surprise : toute ceci se voyait et se passait de mots. Ces expressions, parfois infimes, lorsqu'elles étaient captées, rendait l'émotion plus facile à saisir. Naal avait cette habitude là et Kehlvehan ne lui cachait plus rien. Il lui était devenu transparent, accessible en un sens. Touchant aussi. Il avait l’impression de l'avoir déverrouillé. Il lui rendit son étreinte à sa juste valeur, frissonnant à ses doigts blancs sur sa peau sombre. Son souffle chaud venait s'échouer sur la gorge immaculée au frison que son contact déclenchait, à chaque fois, chez lui. L'ancien monarque se mit à sourire en l'entendant hésiter, bégayer, ne pas trouver ses mots, d'une tendresse protectrice. Il n'avait pas songé le mettre dans un tel état, bien qu'il sache les penchants pour l'art de son frère. Sa sensibilité, vibrante, était touchante. Il déposa un baiser sur cette gorge délicate.

    Ses propos, plus encore, lorsqu'ils devinrent intelligibles, eurent le don de le saisir. Cela lui était déjà arrivé, par le passé. La foi ouvrait des yeux à la compréhension, apportant l'amour et l'attention dont tout un chacun avait besoin pour confronter sa pensée et la faire grandir... Mais jadis, bien qu'il soit l'auteur de leur bible, il n'en était pas le penseur. Il avait été que le filtre qui avait recueilli la parole transcendante de Dieu. Il n'avait rien inventé de lui-même, alors, les pouvoirs révélateurs de vérité qu'elles avaient, étaient de grâce divine... Et aujourd'hui ? C'était ses propres mots, sa propre compréhension du monde qui désirait valoriser toute chose, dans un esprit d'inclusion. Et qu'il transmettait pour offrir à d'autres un autre regard. N'était-ce pas normal, au fond ? Plus de 1700 ans d'histoire différente avec Ambarùna. Almara ne voyait pas les choses de la même manière. Les émotions, les mœurs, les habitudes étaient tout autre. Il avait beaucoup de choses à offrir à Ambarhùna tout comme Ambarhùna avait beaucoup de choses à lui offrir. L'échange dans les deux sens, il le trouvait auprès d'Eleni. Son frère lui apportait et Naal lui donnait en retour et inversement. Ils le faisaient sans compter, avec un naturel saisissant.

    A sa réclamation, il reprit l'énonciation en langue Almaréenne, berçant Eleni de sa voix et de son corps en le lovant contre lui. Le balancier était lent, régulier, jusqu'au terme de sa récitation. Sa supposition lui arracha un sourire tendre, autant que fatigué. « Je le crois, oui. » Et cela allait être dur, comme chemin. La route serait longue. Il apprendrait à prendre des décisions par lui-même. Sa foi n'avait faibli mais il devait la transmettre plus encore aux autres, pour qu'ils n'oublient pas que le Néant Tout-Puissant serait toujours là.

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