Campagne du Nord de Calastin - Mi-Octobre 1763
Nephilith avait eu la chance de pouvoir visiter un tant soit peu la belle cité de pierres, que les bipèdes nommaient Ipsë Rosea. La cité de sa bipède de feu devenue sombre feu. Il y avait vécu des événements agités, notamment quand des bipèdes avaient voulu l’attaquer et que bipède de feu s’était interposée. Ainsi avaient commencé leurs retrouvailles, tout en émoi et agitation.
Mais il avait appris aussi des nouvelles tragiques qui l’avaient remué, dont la mort d’un dragon, dragon de jade, l’un des siens, même si un lié. Bipède sombre feu en avait été profondément affectée, elle qui était reliée à lui par ce Lien puissant si décrié. Et avait failli rejoindre l’ancien royaume de Mort, cette Déesse disparue. Mais elle avait finalement survécu. Revenue à la vie plus précisément. Par une belle et splendide magie. Une magie qu’il rêvait de voir un jour de lui-même, même si les mille voix lui avaient montré et conté nombre d’histoires de ce genre. De beaux sacrifices, de belles "résurrections", d’émouvantes renaissances, de tragiques reprises de non-vie aussi. Mais la Vie était ainsi, belle et puissante, sombre et mouvante. Et plus Nephilith voyait ce monde évoluer, plus il voyait la Vie s’épancher devant lui, et plus il avait envie de la protéger, de participer à sa prospérité.
C’était dans ces moments-là, où sa détermination se renforçait à découvrir ce monde de lui-même, de ses propres yeux, de son propre esprit, et non pas seulement par les voix ou les vérithiques "on-dit". Il voulait voir le monde, découvrir, et surtout il voulait de plus en plus se lancer dans cette quête qui se précisait. Qui chaque jour se faisait un peu plus claire, un peu plus pressante aussi. Devenir Dieu. Ou, plus exactement, découvrir le pouvoir des Dieux et le protéger, quitte à devoir s’en emparer, pour que d’autres aux intentions néfastes, telles ces "chimères", êtres sombres et destructeurs, ne le ravissent pas avant, pour s’en servir contre eux, contre ce monde qu’il aimait tant. Elles avaient, du peu qu’il avait compris, réussi à ravir le pouvoir du Dieu de Néant. Il était hors de questions qu’elles parviennent à le détrôner dans sa quête et se targuent également du pouvoir des autres Déesses. Il devait le trouver avant. Et si pour cela il devait demander aide, conseils et savoir, alors il le ferait.
Nephilith était quasi sûr que son frère s’embarquerait dans cette quête du pouvoir divin avec lui, même si ce serait pour d’autres fins, pour d’autres rêves, comme celui de manger les étoiles, ou mieux encore en devenir une, la plus belle, la plus brillante d’entre elles… Mais qu’importaient les raisons de sin jumeau, avec son Frère-Coquille à ses côtés, il se sentait prêt à tout braver. Peut-être pourrait-il aussi convaincre Plume-rose qui proclamait tant l’équilibre. À eux trois, ils pourraient en être l’incarnation parfaite. Ou presque.
Mais Nephilith savait devoir devenir plus fort aussi, plus puissant, pas seulement physiquement, mais aussi psychiquement. Il travaillait déjà beaucoup au contrôle de ses voix qui lui chuchotaient sans cesse, le dotant d’un savoir certes extraordinaire et infini, mais parfois envahissant et bien gênant. Il travaillait sur sa concentration, son attention, ainsi que sur ses handicaps physiques, telles ses grandes voiles qui pourraient si facilement se déchirer et peinaient à le maintenir dans les cieux. Il travaillait chacune de ses faiblesses et tentait, comme son père et sa sœur le lui avaient appris, à les forger à sa manière pour en faire une force.
Il savait aussi avoir besoin d’aide et devoir "toquer aux portes" de bipèdes, comme ces derniers disaient, pour obtenir d’eux aide et connaissances dans sa quête. Même s’il devait pour cela se lier d’"amitié" avec quelques uns d'entre eux. Qu'importait ce que pourrait dire son père. Si les bipèdes étaient si néfastes et si désespérants, alors pourquoi ne les avait-il pas tués depuis longtemps ? Non, ces êtres là, même inférieurs, avaient un savoir, des connaissances, une expérience du moins, que même les dragons ne parvenaient à comprendre. Rien que pour cela, ils ne pouvaient être rejetés.
Car vouloir devenir Dieu ou trouver leur pouvoir c’était une chose, mais par où commencer quand ces mêmes Dieux étaient censés avoir disparu on ne savait où. Il pourrait tenter de remonter aux Origines, mais… Là encore comment ? Il tentait donc de retracer leur histoire. Toute leur histoire. Et il y avait une chose qu’il avait découverte, fasciné et horrifié tout à la fois : leur savoir, même draconique, semblait tronqué. Il semblait manquer des pans, ne serait-ce que parce que les dragons n’étaient pas sur toutes les terres de ce vaste monde. Les dragons n’avaient jamais été en Tiamarantia par exemple auparavant.
D'ailleurs le pouvoir du Baoli le fascinait aussi énormément, du peu qu’il en avait appris. C’était là, lui semblait-il, une piste. Remonter l’histoire, comprendre le pouvoir du Baoli, comprendre les chimères aussi, trouver comment elles s’étaient emparées du pouvoir de Néant. Et comprendre le Lien, ce qui semblait avoir rompu ce qui les retenait jusque-là. Tant et tant de choses à comprendre avant que sa quête ne puisse prendre forme…
Cela aurait pu facilement le décourager, mais loin de là, cela avait renforcé son obstination et sa détermination. Quand bien même il savait courir un grave danger, lui encore jeune dragonnet, parcourir le monde seul, sans même maitriser le feu, volant tout juste à peine, et à la magie innée aux manifestations parfois inopinées… Oui, c’était dangereux. Peut-être en mourrait-il. Mais au moins il aurait tenté.
Et il savait user de ruse et d’intelligence pour prendre le moins de risque possible, pour se faire le moins remarquer. Même si de ce côté-là, avec sa couleur du soleil éclatant, c’était déjà plus compliqué...
Parlant de cela… le soleil était au zénith, alors qu’il rasait un champ en survolant, ou tentant de survoler, les plateaux où le froid se faisait de plus en plus mordant, recouverts de feuilles mortes voltigeant au vent, quand il aperçut des silhouettes bipèdes. Aussitôt, il se posa et tenta de se trouver un coin pour se cacher. Il souffla sur des feuilles couleur soleil et terre qui pourraient camoufler un peu ses propres écailles et observa avec fascination ce petit attroupement. Bien organisés, disciplinés, certains des bipèdes semblaient tendre les mains, lourdes de grosses toiles gonflées, à d’autres bipèdes un peu plus agités. Un, parmi tous, restait un peu à l’écart, droit, beau et fier, tels ces splendides bipèdes de pierre qu’il avait vus en Ipsë Rosea, et observait attentif. Le doré se surprit à le détailler, fasciné, quand...
Tout d’un coup, alors qu'il tentait de comprendre ce manège de bipèdes aussi intéressant que déroutant, le doré aperçut un éclat un peu plus loin. De la neige encapsulée sur un tapis de brunes feuilles, qui lui rappela un vif moment en Nyn-Tiamat sur les monts enneigés. Maudite neige qui s’était tant moquée de lui !
Non, pas de la "neige", réalisa-t-il, alors qu’il projetait son esprit, vers cet amas de blanc immaculé. C’était écailles de Neige, belles écailles de lumière, aux yeux vides, mais qui voyaient plus qu’eux tous réunis. Nahui, se souvint-il. Et aussitôt il projeta son appel mental vers cette belle dragonne qu’il avait eu l'honneur de rencontrer il y a peu et que Destin déjà mettait de nouveau sur son chemin, sur sa voie, leur donnant la chance de se revoir encore une fois, en un autre lieu. Il l’appela et, sans sortir de sa cachette pour ne pas se faire voir des bipèdes, lui indiqua brièvement ce qui les séparait. Pourrait-elle le rejoindre ? Il n’osait approcher. Même si l’envie et la curiosité le happaient. Prudence et sécurité lui conseillaient de prendre garde.
"Ou peut-être un autre tapis de feuilles où échanger sans être gênés lui était connu" projeta-t-il aussitôt après. Si elle souhaitait toujours le rencontrer de nouveau, bien évidemment...