6 Septembre 1763
Port d'Azzuréo
Port d'Azzuréo
Les deux mains posées sur le bastingage, je fermais les yeux et inspirais de toute la capacité de mes poumons. Ça sentait la sueur, la mer, le poisson et pleins d'autres trucs parfois agréables et d'autres beaucoup moins. Mais pour moi, cet amalgame de senteurs ne portait qu'un nom : l'aventure. Si j'étais né sur les routes d'Ambarhuna, ma maison était à présent les chemins de Tiamarantia. Nous étions passé de la terre battue à la vaste mer, mais rien n'avait changé : nous restions des voyageurs. Notre adaptabilité était ancrée dans notre sang, notre besoin de mobilité inscrit dans nos coeurs. Le Dragon Ronflant était le nouveau compagnon du Cirque. Un ami cher et fidèle, dont les songes portaient nos rêves et nos espoirs.
Ragaillardi par les embruns, j'observais toute la Troup s'activer sur le pont. Les dernières marchandises chargées, le matériel rangé et nous relevions la passerelle. Le cliquetis des chaînes précédant l'ancre résonnait dans toute les planches du navire, comme un tempo à présent familier. Coiffé de mon tricorne, c'était le meilleur moment. Timonier à la barre, les voiles déployées, je prenais un air sérieux et grandiloquent.
-EN AVANT TOUTES ! CAP VERS NOTRE NOUVELLE AVENTURE !
D'une seule voix, tous me répondirent joyeusement en coeur et dans un ronflement hilarant, nous prîmes la mer. Peu à peu, le port d'Azzuréo s'éloignait, devenant aussi insignifiant que les galets qui pavaient notre destiné. J'étais fier d'appartenir à une communauté aussi soudée que celle des forains. J'en faisais parti par naissance bien sûr, mais aussi par choix. J'avais choisi d'embrasser l'héritage des Bonaventure. Chacun de ces marins, de ces artistes, de ces êtres formidables avaient choisis de nous suivre également. C'était une marque de confiance réciproque et même si je m'efforçais de ne pas le montrer -j'avais une image à tenir quand même-, j'éprouvai à chaque fois une bouffée de fierté. Je regardais chacune de leur tête avec affection. Et puis soudain…
-Merida ! Où est Malki ?
La dresseuse se retourna et me servit un sourire narquois digne de moi.
-Ah bah bravo monsieur le Second ! On perd déjà des membres à peine partis ?!
Elle esquiva ma boule de neige à un cheveux près avant de me désigner le gaillard arrière. Je lui lançai un regard équivoque, plein de promesses de vengeances facétieuses avant de confier le pont au Capitaine, occupé à montrer certains aspects de la vie maritime à Golvine.
Toujours prenant très sérieux l'image que je renvoyais, je m'habillais toujours en flibustier sur le navire. Enfin, "flibustier" était un bien grand mot car mon habit comportait bien trop de décorations fantaisistes et d'éléments superflus pour être réellement utile à la navigation et n'importe qui aurait vite fait de remarquer la supercherie. Mais là n'était pas, pour une fois, le but de la manœuvre. J'aimais juste à porter ce genre d'habits des aventuriers des mers.
Et finalement, en contournant les cabines du pont supérieur, je la trouvais. Le regard perdu vers la Majestueuse, quelques mèches flottant au vent. Cependant, une ombre étrange voilait son doux visage. Au cours des derniers jours, j'avais passé beaucoups de temps à observer notre nouvelle recrue. En tant que co-dirigeant du cirque bien sûr, mais aussi en tant qu'ami. Très vite j'avais appris à décortiquer ses expressions, en plus de connaître son "secret", que je prenais un plaisir non dissimulé à garder. Quelque chose tracassait notre lumécrivaine et la tristesse étant prohibé à bord, je me devais d'agir.
Sachant qu'elle n'aimait pas les approches en douce, j'"annonçai" mon approche par quelques flocons emportés par la brise. M'accoudant à la rambarde à son côté, je lui offris un de mes plus beaux sourire, frais et réconfortant, alors que j'enroulais ma queue touffue autour de ses hanches. Étonnement, tout mon corps était froid, sauf cette partie...
-Et bien Malki, qu'est-ce qui ne va pas ? Tu en fais une tête. C'est ton premier voyage maritime depuis l'Exode qui te stresse ? Ne t'en fais pas, tout ira bien, nous sommes tous là pour toi hein ?
Je lui donna un petit coup de hanche amical, la poussant à s'exprimer et sortir ce qu'elle avait sur le cœur. Je la savais prompt à se murer dans son mutisme, aussi je n'hésitai jamais à la contrarier. Même si la communication peinait parfois, toute la Troupe avait accepté la Grenouille. Comme je lui avais promis d'ailleurs. Sa condition particulière était certes handicapante, mais au sein de toute les énergumènes que comptait ce navire, elle paraissait presque "normale".