4 août 1763
Aujourd'hui était un jour spécial. Cela faisait tout juste un mois que Nahui était née. Son œuf avait éclos pour lui, bien que très difficilement, et si Aldaron avait refusé, au début, cette voix qui parlait dans sa tête, il s'était bien vite habitué à cette délicieuse proximité. Lui qui avait l'esprit si vide de souvenirs, le silence s'en trouvait un obstacle qu'il n'affrontait que parce qu'il était parfaitement bien entouré. La dracène faisait partie de cet présence solide et comme il s'agissait de son premier mois de vie, le vampire allait lui faire un gâteau d'anniversaire avec de la bavette de bœuf. Son travail avait été soigné lorsqu'il avait empilé la viande coupée en petits morceaux, avant d'y planter une bougie de cire blanche. Il vérifia que le tout était parfaitement esthétique et s’apprêta à retourner à l'étage pour réveiller sa dragonne avec sa surprise... Mais il ne s'était pas attendu à de la visite.
Si bien qu'il se retrouva face à Autone avec son gâteau de viande et sa bougie plantée dedans, entre les mains. Il la jaugea, elle et les pulsations de son cœur. Ses mires verdoyantes se posèrent sur les domestiques qui n'avaient pas l'air plus affolés que cela à la venue de cette dame... Au moins ce n'était donc pas un ennemi. Son cercle protecteur ne l'aurait pas laissée passer, dans le cas contraire. Mais qui cela était ? C'était une très bonne question. « Ivanyr n'est pas ici. » signala-t-il alors, habitué qu'il était que son parangon d'époux reçoive de la visite. La majorité du temps, Aldaron évitait de croiser ces personnes, parce que certaines le connaissaient et lui, il ne se souvenait pas d'eux. Il n'avait pas aimé les regards déçus qu'on lui avait adressés quand il n'avait pas su nommer ceux qu'il avait oublié. Alors, il les esquivait.
Et puis... Son Lien avec Nahui était encore caché. Tout comme lui. Il ne le montrait au monde car, depuis la bataille des chimères, les dragonniers étaient pointés du doigt et insultés. Coupables qu'ils étaient. Nahui était encore trop jeune pour se défendre, il ne voulait pas prendre de risque en révélant la vérité... Pour le moment. Il fallait avouer que se promener avec une assiette de viande crue et une bougie pouvait intriguer... Il ne se démonta néanmoins pas. « Vous devriez revenir dans la soirée. En général, il rentre pour moi. Pour... » Qu'ils sortent, de nuit, protégés et qu'Aldaron se nourrisse des rêves des habitants sans leur faire le moindre mal. Il haussa les épaules. Ça aussi, c'était secret. Il était le premier Ast. Une bizarrerie auprès des siens. « Se reposer. » Mensonge, du moins en partie. Au moins avait-il achevé sa phrase. Il tourna les talons, allant vers l'escalier.
Il disparut de sa vue. D'ordinaire les gens partaient. Elle, elle lui laissait une impression étrange de proximité. Il n'aimait pas quand ses souvenirs nébuleux ne lui laissaient que des sensations comme indice. Il avait l'impression qu'elle ne venait pas pour Ivanyr. Alors il avait posé la viande au sol et avait redescendu quelques marches. Il s'assit sur l'une d'elle, où il pouvait la voir. Il la fixa, cherchant dans ses traits le souvenir, mais il se heurtait à ce même blanc stérile. « Au risque de vous décevoir, je ne me souviens pas de vous. » C'était abrupt, mais elle n'était ni la première, ni la dernière à avoir fait partie de sa vie révolue et à montrer le bout de son minois au nouveau-né. Il avait pris des gants, au début et cela n'avait rien changé. Il faisait moins d'efforts à présent. « J'ai juste la sensation de vous connaître et... » Il hésita, perplexe.
« Votre cœur... Ce battement. Je me souviens, il y a quelques mois. » Il passa une mèche blonde derrière son oreille, pensif. Devait-il aller plus loin ? « Vous aviez mis Ivanyr en colère. » Il se souvenait de l'avoir du remonter dans sa chambre. Ils n'avaient pas parlé mais son époux l'avait pris dans ses bras, crispé. Aldaron était bien trop perdu, à ce moment, pour avoir osé demander pourquoi. Mais aujourd'hui, peut-être qu'il le pouvait. « Comment vous appelez-vous ? » fit-il en main tendue, mal à l'aise sans trop le montrer, si ce n'était ses régulières hésitations.