15 Septembre 1763
Campement du cirque du Renouveau
Extérieur d'Ipsë Rosae
Campement du cirque du Renouveau
Extérieur d'Ipsë Rosae
Du haut des gradins en bois, je regardai toutes les petites mains du cirque s'activer pour finir la construction de ma dernière idée. Mon père m'avait donné carte blanche pour ce projet, étant lui-même aussi enthousiaste quant à l'idée de l'essayer. Il fallait dire que personnes n'avait jamais eu l'idée de fabriquer une patinoire, de bout en bout. Bien évidemment, glisser sur une surface gelée, cela existait déjà. Mais cela requiérait un lac ou une rivière et un hiver rigoureux. Il fallait donc bien compter sur l'originalité et le savoir-faire du Cirque en matière de divertissement pour mettre au point ce projet ! J'étais fier -encore plus que d'habitude- de moi sur ce coup. J'avais fait dessiné les plans, calculé les quantités requises avec précision et surtout, je m'étais amusé comme un petit fou. Je me souvenais encore de la tête que tout le monde avait tiré en me voyant débarquer comme une fleur, mon plan et les schémas sous le coude. Mais au final, tous m'avaient suivi dans mon délire, car après tout, le Renouveau formait une grande et unique famille, même quand ses têtes pensantes fomentaient des idées farfelues.
-Ahoy Ezel ! Ça y est on a fini !
Ruisselant de sueur, Marco planta sa pelle dans le sol et se vautra sur le banc le plus proche. Comment lui en vouloir, cela faisait bien quatres heures que lui et d'autres Assureurs creusaient.
-Parfait !, déclarai-je en frappant dans mes mains. Tout le monde, bon travail ! Vous avez bien mérité une pause ! Vous pouvez aller vous chercher des bières.
Je n'avais pas à le répéter deux fois. Ni une ni deux, mes acolytes/charpentiers se précipitèrent vers la cuisine. Ne restait plus grand monde dans les gradins. Replaçant Arendal sur ma tête, je descendis les marches deux à deux en frottant mes mains l'une contre l'autre. Cela ne servait à rien, mais j'aimais quand même bien le faire pour me donner un genre. "Chauffer" ma magie alors que je ne maîtrisais que la glace me faisait toujours autant rire.
En passant, je jetai un petit sourire en coin au banc des supporters, celles et ceux qui n'avaient pas pu aider si ce n'était encourager les travailleurs. Parmi eux, Golvine bien sûr, dans les bras d'Astrid, mais aussi Malki et Sah. J'avais chargé le clown de mettre au parfum notre costumière de mon petit projet sans trop lui révéler sa nature exacte. Je voulais qu'elle ne le découvre qu'au moment où je mettais la touche finale. D'ailleurs, je fis signe à Denis de s'approcher. C'était maintenant au spirite Hérisson de jouer.
Usant de ses pouvoirs uniques, il planta de nombreux pics dans la terre meuble, faisant jaillir des petits geysers d'eau cristalline. L'énorme trou de terre meuble commença lentement à se remplir, lui laissant le temps de sortir. Si l'énorme réservoir formait une piscine plus que respectable, le travail n'était pas fini. Il me revenait de mettre la touche finale.
Je remontai donc mes manches et allai montrer à ces dames le résultat de mon apprentissage magique de ces derniers jours. En exclusivité, j'allai leur faire une démonstration de "la Voie du Léopard". Si avant je n'usais de sorts que de façon inconsciente et intuitive, à présent je comprenais la nature profonde de ma magie : elle n'était limitée que par ma créativité et mes forces vitales. Ma magie était différente et unique car je l'étais tout autant. Le Léopard m'avait choisi pour être son porte-parole et je comptais bien lui montrer qu'il avait eu raison de me confier son pouvoir.
Je m'avançai donc vers l'énorme réservoir en retroussant mes manches. En soi, ce que je voulais obtenir n'étais pas très différent de ce que d'autres spirites plus puissants que moi pouvaient obtenir. Non, ce qui était différent, c'était l'approche avec laquelle je voyais les choses. Et ma magie, était beaucoups plus artistique que de simplement concentrer et relâcher son énergie…
-Eiszeit !1
Puisant dans la Trame, mon Esprit et ma couronne, j'abattais ma main sur la surface aqueuse. Une myriade de petits poissons fusa dans tout le bassin, entraînant dans leur sillage une poussière scintillante, gelant les flots en une réaction en chaîne de fractales de givre. En quelques minutes à peine, en lieu et place d'une énorme piscine ouverte, se trouvait une patinoire. Sous la surface parfaitement plane et lisse, se trouvaient les ombres de mes poissons, comme figés pour l'éternité, victimes d'une grande glaciation.
Haletant sous l'effort, je ne pus m'empêcher de sourire. Je m'étais surpassé sur ce coup. J'avais même réussi à obtenir quelques applaudissements de la part d'Astrid, elle qui d'habitude était beaucoup plus réservée devant mes performances narcissiques. Golvine, elle, avait déjà sauté sur ses pieds et partit chercher ses chaussures. Ce n'était pas la première fois qu'elle patinait après tout… pas comme une certaine Marquise. Toujours mon sourire éclatant aux lèvres, je fis signe à Sah de ramener la Grenouille jusqu'à moi, pendant que je préparais ses patins. Il s'agissait de bottes hautes et molletonnées de laine. Les semelles avaient été renforcées pour pouvoir accueillir une lame dans le sens de la longueur.
-Alors Malki ? Qu'est-ce que tu penses de ma patinoire ? C'est joli hein ?
Sah se chargeant de traduire mes paroles, je pouvais me concentrer sur le laçage des chaussures de la demoiselle et la lecture de ses lettres lumineuses. Je ne lui avais pas laissé le choix et obligé à me présenter ses pieds délicats et pourtant mes gestes étaient précis et précautionneux.
-Et voilà ! Tu es fin prête. Je serai ton professeur pour aujourd'hui !
Comme souvent maintenant, je ne lui avais pas laissé le choix. Elle n'avait probablement jamais patiné avant et je comptais bien le lui apprendre. J'avais soumis tout le monde à cet exercice, et Malki ne ferait pas exception. J'avais même prévu une écharpe pour elle.
Une fois sur la glace, je lui saisis une main, enroula ma queue autour de sa taille et l'entraîna dans son premier tour de piste. je savais qu'entre la peur, la panique et la concentration, nous ne pourrions pas discuter aisément, aussi je lui laissai le temps de souffler en faisant des pauses en s'appuyant sur les rambardes en bois.
Au premier arrêt, je lui demandais simplement, peu surpris de sa réponse :
-Ça va ?
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1L'Âge de glace