Aux Portes de la Mort

« Papa! Il est parti où le monsieur? Papa? Qu’est-ce qu’elle a, papa? » Avait prononcé la voix d’une petite fille. L’homme en question l‘avait pris dans ses bras et l’avait étreinte chaleureusement. Il était lui-même impuissant face à la scène qu’il voyait et dont il avait désormais caché à la vue de son enfant. Troublé par le corps inerte d’Orfraie, il n’avait aucune idée des explications qu’il donnerait. Il s’était éloigné, mais la question restait en suspens. Pouvait-il lui dire qu’elle était plongée dans un profond sommeil? Il entendait les voix des autres qu’il avait quittés lui confirmer qu’Orfraie K. Ataliel n’était plus de ce monde. Parmi le brouhaha, l’on put percevoir « Allez chercher un guérisseur! » et « Son cœur ne bat plus! », de même que « Elle est morte, il n’y a plus rien à faire! »

C’est la commotion qui extirpa Kälyna de sa paisible lecture. Elle tenta d’abord de l’ignorer, mais le bruit accroissait au fil des minutes. Elle soupira en se relevant et sortit de ses appartements, finalement décidée de mettre un terme au grabuge. « Écartez-vous! » Ordonna-t-elle. Nul nécessaire de le répéter une deuxième fois, car les gens s’écartèrent devant l’ancienne prêtresse du Tyran Blanc. Lorsqu’elle arriva sur les lieux, une humaine à la chevelure dorée tenait le corps inerte d’Orfraie entre ses bras et pleurait toutes les larmes de son corps. La scène était déchirante pour quiconque la voyait. Levant ses yeux azurs sur la dame blanche, la dragonnière de cuivre la supplia de faire quelque chose. La dame blanche recueillit tout son sang-froid et s’arma d’un masque d’impassibilité.

Elle empêcha son esprit de voguer et de toucher un vieux souvenir tranchant : la mort de son Inséparable. Aussi terrible soit-il, elle avait aimé le Blanc de tout son être. Liée à lui, elle lui avait accordé corps et âme. Or, son trépas l’avait dévastée. Jamais elle n’avait ressenti de solitude aussi grande. Elle n’avait aucune envie de se mettre à la place de sa femme, de cette Luna qui venait de perdre son Inséparable. Que ferait-elle, elle qui portait leur enfant? Tenterait-elle de s’enlever la vie?

À vrai dire, le sort de cette humaine ne lui importait que très peu. À l’exception qu’elle savait qu’elle était importante pour Orfraie et il s’avérait que cette dernière soit… son amie. La tristesse et la colère se mélangeaient en elle. Celui qui avait fait cela payerait! Mais avant… « Vous, ayez l’amabilité de ramener madame Ataliel dans ses appartements. » Prononça-t-elle d’une voix sans équivoque. Le regard que Kälyna lui lança en disait long sur ses intentions, mais elle n’avait aucun désir d’avoir une potentielle endeuillée hystérique à ses côtés. La femme enceinte s’éloignant, elle s’agenouilla auprès de la défunte. « Je ne veux pas être dérangée. Maintenant, éloignez-vous. » Les prévint-elle. Elle lia ses paroles à la formation d’une cage en ronces pour les isoler des autres. Certes, elle avait pensé à la déplacer, mais le temps lui était compté.

Plus jamais, n’était-ce pas ce qu’elle s’était promise? Plus jamais être prise au dépourvu face à la mort d’un être qu’elle aimait. La vie de sa petite rose, Mëryl, lui avait glissé des mains sans qu’elle puisse n’y faire quoi que ce soit. Sombréclat s’était acharné à trouver un moyen de pallier à son impuissance et elle avait eu l’aide de l’excitation du Baôli pour y parvenir. C’était aujourd’hui ou jamais pour voir le fruit de ses recherches. « Reviens à moi. » Murmura-t-elle doucement en posant ses mains sur son cœur.

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Et soudainement, il n’y eut plus rien. L’univers entourant Kälyna disparut, ne laissant en son centre que la dame blanche et le cadavre de la bien-aimée Orfraie Ataliel. En effet, la vie venait de quitter son corps. Elle ignorait Ipsë Rosea et ses habitants qui étaient dans tous ses états. Elle ignorait les cris d’une femme enceinte qu’on éloignait du spectacle, tout comme les regards qui s’étaient posés sur elle. Agenouillée près du corps, ses mains blanches étaient posées sur son cœur silencieux. Elle avait toute sa concentration. Sa magie déferlait. Sa volonté de la voir reprendre vie créait une rivière, un chemin qui, en théorie, lui permettrait de la retrouver. Mais était-il déjà trop tard? Y parviendrait-elle?

Ce n’était pas le moment de douter. Mais ses craintes étaient légitimes. Kälyna avait longuement fait des recherches sur la magie, depuis toujours, mais encore plus depuis que cette dernière s’était affolée. Avec la Loge, au fur et à mesure des découvertes et des fruits de leurs recherches, la magie avait été décortiquée. Trois voix, dix-neuf flux et de nouvelles possibilités… dont ramener les morts à la vie?

Depuis le décès de sa fille, c’était un sujet à laquelle elle pensait et travaillait, mais elle avait atteint une impasse et n’arrivait à rien. Mais l’éveil du Baôli avait remis sur pied ce projet. Ses pouvoirs avaient changé. Ses capacités de guérison s’étaient améliorées exponentiellement. Elle avait saisi le secret à la mort. Mais la théorie était-elle différente à la pratique? Il faudra le tester pour le savoir. Malheureusement ou heureusement, Orfraie serait le sujet de sa première réelle expérimentation.

Orfraie était là. Elle n’avait pas encore franchi les Portes de la Mort! Reviens! On t’attend dans le monde des vivants. Souhaites-tu réellement abandonner les gens que tu aimes?

Un souffle. Les paupières d’Orfraie se soulevèrent doucement. « Orfraie? » Murmura-t-elle. La fatigue la rongeait, mais l’excitation était à son comble. Un large sourire fendit son visage. Elle avait réussi! Orfraie était vivante!

Et la peine la saisit. L’endeuillée n’avait trouvé aucune trace de sa fille… Ramener sa petite rose à la vie ne lui semblait plus être une option.