1 Novembre 1763, Palais royal de Sélénia
Il n’était pas rare qu’il paraisse à la cour, bien qu’il ne fut pas le parangon dédié à cet exercice de style. La noblesse humaine tendait à le réclamer, son passé le prédisposait à interagir avec elle, à se prononcer et à agir pour le compte de la jeune reine Victoria Kohan. Après tout, il avait été un grand protecteur de son père Korentin, non ? Dire qu’il s’y pliait de bonne grâce aurait sans doute était exagéré, mais il parvenait à ne pas souffrir plus que raisonnablement de cette image, car après tout, elle était sa principale monnaie pour permettre aux vampires de grandir enfin comme ils auraient dû le faire si des dirigeants capables avaient prit soin des leurs. Quand il décidait de ne pas être présent, c’était pour nuancer cette image déjà acquise, se faire érudit et mage, chercheur. Bien présenté, cela lui donnait d’autant plus d’authenticité, et lui évitait d’affirmer en avoir assez des mondanités. Au demeurant, il était réellement chercheur et mage. Quand sa mémoire aurait entièrement reparut, sans doute pourrait-il même affirmer sans fausse arrogance qu’il était effectivement un érudit. En attendant, l’humilité semblait plaire.
Il n’était pas rare qu’il paraisse en ces lieux, mais l’occasion était tout indiquée, en ce jour, avec l’entrée dans la saison hivernale. De neige et de nuit, n’était-elle pas dédiée à son peuple ? La célébration, officieuse et bon enfant, l’éreintrait certainement bien moins qu’une quelconque pontification cérémoniale. Au sein des jardins royaux, les membres de la cour ainsi que les invités spéciaux et les serviteurs allaient et venaient librement. Une fine neige couvrait déjà le sol, encore douce et blanche, comme un fin voil de gaze de grande qualité. Les conversations étaient, pour la majorité, légères. Des rires tintinnabulaient par instant, et le vent soufflait, vif et propre, sans odeur. Un pâle reflet de Nyn-Tiamat dont la sauvage majesté avait capturé son coeur, mais c’était néanmoins très agréable. Installé dans un coin, près d’une table de fer forgé, sous un arbre aux branches saisies de gel, il observait les courtisans sans toutefois se mêler à eux, jusqu’à l’apparition de la jeune monarque. Comme tous les autres, il se releva et s’inclina devant elle, en une profonde révérence, pour sa part, son rang étant celui d’un dirigeant.
“Longue vie à la Reine, que sa lumière nous baigne”
La formule glorificatrice roulait sans mal. Il l’avait prononcé très souvent, récemment mais également dans un lointain passé, encore brumeux. Il se redressa, comme les autres, mais réprima à peine un sourire en constatant un regard s’attardant sur lui et s’approcha davantage de la souveraine. Il portait un lourd manteau de cuir sombre, ajusté à sa silhouette racée, au col de fourrure blanche mouchetée de gris, une tunique de cuir brossé et une chemise au gris tranquille, son allure était bien plus humble et pragmatique que de nombreux autres invités, n’égalant en rien le prestige et l’élégance de son altesse et de l’aura du paon qui la rendait si parfaite. Pour autant, il ne se sentait pas mal à l’aise dans sa sobriété. Son port, si ce n’était le reste, était royal. La jeune femme rayonnait néanmoins d’une façon bien à elle, unique en son genre. Son regard s’attarda sur sa chevelure blonde, semblable à la sienne, sur ses yeux clairs. Elle différait tant de son frère aîné. Sans doute parce qu’ils n’avaient pas le même père. Son sourire se fit plus franc, mais jamais moins chaleureux et il vint lui faire un baise-main avant de s’adresser à elle.
“Mes hommages, votre grâce. Je vous remercie de l’invitation pour cette journée. Je tâcherais de ne provoquer aucune explosion qui ruinerait ces premiers flocons”