21 novembre 1763
Il était venu, il avait vu, et il avait vaincu.
Caladon ne s'inquiéterait pas de savoir ce que l'ancien bourgmestre avait exactement vu et vaincu. Tout ce qui compterait pour eux, c'était qu'Aldaron Elusis était venu et que les meurtres qui sévissaient à Caladon depuis un mois prendraient fin. Ce ne serait que des légendes, de celles qu'on se raconte sans avoir de preuves tangibles, mais beaucoup avaient appris que la Triade faisait des choses que personne ne voyait mais qui rendait leur vie meilleure. Ils se savaient le peuple favorisé par le marchant de l'ombre. Jadis, dans l'ancienne Caladon, le Marché Noir avait fait de la ville le point de passage le plus ingénieux entre la Théocratie et le protectorat. Poussée par les finances d'Aldaron, la caste des dragonniers avait aidé à reforger le monde après la défaite du Tyran et à relancer l'économie dont Caladon avait tant besoin pour vivre. Lorsque la guerre éclata contre Sélénia, le soulèvement de l'Alliance fit ressurgir la Triade pour que la paix renaisse. A Cordont, il avait tenu les intérêts des siens et il avait renforcé l'Alliance avec Délimar, ouvrant même des accords commerciaux exclusifs avec la nation océanique. Il n'avait été qu'opportunités pour Caladon. Après sa longue absence, nombreux seraient ceux qui l'auraient vu revenir hier dans la cité de l'or et dans les jours qui viendraient, lorsqu'aucun mort ne serait à déplorer à nouveaux, les habitants feraient aisément le lien. Il n'aurait pas besoin de le chanter sur tous les toits, ni à s'en vanter. Ses partisans le feraient pour lui en lui laissant la parure de l'humilité.
Les humains étaient des créatures fascinantes et tellement influençables. Le vampire s'en était bel et bien rendu compte, depuis son éveil. Elles étaient riches et émotives, elles rebondissaient facilement, elles étaient une source infatiguable et inébranlable de renouveau et d'inventivité. Il comprenait pourquoi l'elfe qu'il fut aimait tant les humains et il devait avouer bien aimer ces petites bêtes fragiles, en particulier celles de Caladon. L'ambiance qui régnait dans la cité était vivifiante, en temps normal. Elle avait une énergie remarquable et une force redoutable. Le pouvoir de l'or était un jeu auquel la Triade avait gagné à plate couture et s'était attiré le respect de la population. Il était évident qu'en apprenant que des meurtres sévissaient ici, l'Antique ait fait le déplacement. Il était venu. Et il avait vu, par lui-même ce qui se passait ici. Être respecté lui offrait des avantages : les portes s'ouvraient plus facilement devant lui que devant n'importe qui. Il avait mené une opération d'enquête clandestine en rassemblant une poignée d'individus. Il s'était rendu sur la scène d'un crime où un Nywin confessait l'acte, affamé de magie. Il avait jugé le Nywin et l'avait condamné à servitude à ses côtés, pour payer la dette qu'il devait à Caladon... Mais i avait appris que le jeune Nywin n'était pas le véritable coupable. Il s'appelait Vaea Ari.
Un Brise-Sort ayant abandonné son poste avec ses compagnons d'armes. Ils avaient reçu de Verith un enseignement remarquable : la magie n'était pas une denrée illimitée. Usée à tord et à travers, elle finirait par s'épuiser et s'éteindre, comme jadis et les dragons devraient à nouveau quitter ces terres pour survivre. Ces Brises-Sorts, ne trouvant de réponses auprès des dirigeants, avaient déserté de leur poste pour punir et tuer ceux qui usaient de la magie à des fins malveillantes. Aldaron les avait trouvé et avait conclu un marché avec eux. Et avec Ilhan. Afin de préserver l'Alliance, ils avaient tout deux accepté de cacher le fait que des Brises-Sorts Délimariens soient impliqués dans des meurtres à Caladon. Aux yeux de tous, le responsable de tout cela avait disparu. On avait retrouvé dans un entrepôt des Nywins tenus en cages et affamés, réclamant à manger de la magie. La version officielle serait qu'ils aient été utilisés pour tuer, ces Sainurs mangeant la magie absorbaient jusqu'à l'énergie vitale de leurs victimes en les laissant mortes. Les terroristes ayant commis ces atrocité ayant disparu avant qu'on ne retrouve les Nywins... L'affaire en resterait là. Aldaron veillerait à ce qu'on ne remonte jamais à ses protégés. Telle était la version que le capitaine Jaime Osborn était venu relater auprès de la Bourgmestre. Aldaron lui avait demandé de s'attribuer le bénéfice de ces recherches et de la résolution de cette affaire, de façon officielle, mais Aldaron avait été vu en ville sur les lieux des crimes, après que ceux-ci aient été commis, près des gardes et à la morgue. Il avait été sûrement remonté à Eleonnora que l'Ast ne devait pas être étranger à tout cela. Osborn l'avait mentionné comme aide dans cette affaire.
Cela lui faisait un drôle d'effet, de revenir ici, dans le bureau du Bourgmestre. Jadis, il occupait l'autre côté du bureau. Aujourd'hui, il était un citoyen et un Conseiller. Ses mires se posèrent sur sa fille de cœur, c'était la première fois qu'il la voyait en face à face depuis qu'il était un vampire. Un sourire tendre et mesuré marquait son visage régalien. « Bonjour, Eleonnora. » fit-il, détaillant ses doux traits féminins, y cherchant ses émotions. Était-elle heureuse de le voir ? Que cette sombre affaire arrive à son terme ? Il la trouvait jolie, pour une humaine. Elle avait de la prestance et de l'emprise : il appréciait cette force de caractère. « Je suis heureux de te voir enfin... Pour de vrai. » Il tendit une main, vers elle, paume levée vers le ciel, attendant sa main pour l’honorer d'un baise-main respectueux. Devait-il la serrer dans ses bras ? Il n'en avait pas la moindre idée. Est-ce qu'ils faisaient cela, avant ? Une part de lui le voulait, l'autre ne désirait pas aller trop vite et froisser la jeune femme.