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descriptionAnarórë [Ilhan, Tryghild & Aldaron] EmptyAnarórë [Ilhan, Tryghild & Aldaron]

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    10 octobre 1763

    De tous ses enfants, Valmys était celui dont Aldaron était certainement le plus proche. Rapidement après son réveil, la pierre de communication avait fait apparaître ce visage aux veinules cuivrées qui lui contait sa journée sans manquer le moindre détail. Même à distance, il partageait avec lui un quotidien réconfortant et l'immaculé était devenu un point de repère dans sa propre routine. Il s'était pris d'affection pour lui et tout ce qu'il faisait. Il lui avait même demandé d'aller s'occuper de Nevrast car les vampires en cette ville portuaire manquaient cruellement de talent pour vivre mieux et les finances, ruinées par Faust, n'aidaient pas à un meilleur confort. Aussi, lorsque son fils adoptif lui annonça qu'Ilhan Avente était au Domaine dans un état grave, l'Ast s'était alarmé. D'une transe, il s'était accroché à lui pour lui rendre visite.

    Il avait levé les mains en signe de non-agression lorsqu'il s'était retrouvé nez à nez avec Kehlvehan. Il avait moins de chances de se prendre une baffe par le Gardien que par Tryghild... Mais dans le doute, il avait signé la paix. Il l'avait salué et avait pu obtenir un instant avec le mourant. A dire vrai, son ami n'était pas en bon état. Pas le moins du monde. Allongé dans un lit aux draps blancs, il était fiévreux. Pouvait-il encore se lever ? Il aurait suffisamment de force d'esprit pour cela, mais il doutait que son corps ne lui fasse pas payer. Le vampire pinça ses lèvres, perplexe et peu rassuré. Il passait une mèche blonde derrière son oreille d'Antique tandis que la porte se fermait derrière le baptistrel. Le dragonnier sentait émaner d'Ilhan cette fin. Le terme d'une vie. Son cœur se serait, à cette vue et à cette fatalité qui exsudait de lui avec plus d'intensité chaque jour. « Bonjour Ilhan. » Un pâle sourire sur un visage soucieux.

    Il vint délicatement s'asseoir sur le bord du lit, veillant à ne pas déranger celui qui y était allongé et prenait sa main brûlante. Les coutumes voulaient qu'il lui demande comment il se portait mais cela était bien trop évidement. Il était en train de mourir, il le sentait. Son énergie vitale balbutiait. Lui qui était si charismatique et bon parleur, s'en trouvait à manquer de mots. Son expression parlait pour lui suffisamment pour confirmer que le vampire n'était pas heureux de cette situation. Il la déplorait et mourrait d'envie d'y remédier. « J'ai de la chance de ne pas arriver trop tard. » Il planta son regard dans les orbes sombres et fatiguées. Il ne savait pas s'il avait de la chance, il trouvait cela presque ironique. « Je n'ai pas envie de vous laisser mourir. » fit-il par lâcher, et son regard le suppliait presque de lui donner des arguments pour ne pas se résoudre à lui transmettre son venin.

    Il ferma son autre main sur le collier qui lui avait été rendu. Il le montra à Ilhan comme pour lui souligner qu'il l'avait bel et bien reçu de ses sbires. « J'ai vu quel genre d'homme vous étiez, au moins avec moi. Et j'ai encore moins envie de vous laisser mourir. » L'impression avait été plus vivace, à cet instant. Aldaron avait sincèrement eut de la reconnaissance envers l'althaïen. Il lui était tel un homologue, un miroir dans lequel il se retrouvait. Ils se ressemblaient beaucoup et il aurait aimé avoir le temps de faire plus longuement sa connaissance. Il aimait les humains... Mais il haïssait leur mortalité précoce. C'était toujours douloureux, même avec le temps. Sa main se serra sur le médaillon : « Je peux vous sauver. » Avait-il dit ''peux'' ou ''vais'' ? Il ne le savait pas vraiment. Peut-être que ses lèvres avaient prononcé ''peux'' mais ses yeux criaient un ''vais''. « Est-ce que vous m'en voudriez... Si je le faisais ? » Il craignait l'après, en vérité. Il aimait tellement ses enfants qui ne désirait les perdre ou récolter leur haine.



descriptionAnarórë [Ilhan, Tryghild & Aldaron] EmptyRe: Anarórë [Ilhan, Tryghild & Aldaron]

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Dire qu’il se sentait épuisé était un doux euphémisme. Il sentait déjà les bras de Mort lui griffer le dos et tenter de l’arracher à cette terre. S’il luttait encore, ce n’était ni par peur ni par désespoir, mais par volonté. La volonté déjà d’honorer tous les efforts qui avaient été faits pour lui, pour lui accorder quelques moments de plus, mais aussi la volonté de revoir Tryghild Svenn une dernière fois. D’ordinaire la plupart des mourants réclamaient d'avoir les leurs auprès d’eux pour expirer leur dernier souffle. Il en avait été souvent témoin, bien trop souvent. Mais ses proches à lui, sa fratrie althaïenne, étaient en cet instant bien trop loin. Ou déjà morts. Dans tous les cas, il les savait dans son coeur. Il lui était toutefois possible de rejoindre Tryghild, de lui dire encore quelques dernières choses… derniers conseils ? Derniers espoirs et derniers encouragements surtout. Il voulait lui témoigner, au moins une dernière fois, la foi qu’il avait en elle. Ainsi sa seule volonté l’attachait encore à ce monde, à ce corps  souffrant, à ce coeur éprouvé…

Non, pas que sa volonté, pour tout avouer. Il avait auprès de lui deux êtres chers aussi, qui l’ancraient dans chaque instant présent et l’aidaient à savourer ces derniers moments. Naal et Kehlvelan... Son coeur honni peinait encore à accepter de s’être lié ainsi, de s’être tant attaché. Avec ces deux hommes, il avait rompu tous ses vieux serments, qu’il savait dès lors erronés. "Pas d’attache, pas d’emprise"… Il s’était tant fourvoyé, et ce toutes ces années ! Il avait appris avec eux que l’attachement pouvait être une force plus qu’une faiblesse.

Il en était là de ses considérations philosophiques, quand il entendit une personne entrer dans sa chambre. Les bruits de pas, pourtant aussi légers que le vent, le sortirent lentement de sa torpeur. Il tourna la tête vers la porte et aperçut, avec force surprise, Aldaron sur le seuil. Et Kehlvelan fermant le battant de bois derrière lui, les laissant seuls quelques instants. S’il s’était attendu à telle visite ! Et comment diantre le vampire avait-il su où il était ? Y avait-il eu un souci avec son collier et venait-il le réclamer ? Aussitôt ses orbes sombres s’éclairèrent quelque peu de leur ancienne vivacité, même si vacillante, alors que son esprit échafaudait déjà mille raisons de cette présence en ce lieu.

Bonjour, Cendrelune, répondit-il, lui offrant à son tour un doux sourire.

Un sourire légèrement terni par une grimace de douleur alors qu’il tentait de se redresser. Il jugea alors plus opportun de laisser son invité improvisé le rejoindre et s’installer. La fraicheur de cette main qui saisit la sienne le fit presque frissonner de bien-être et de soulagement. S’il ne s’était pas retenu, il aurait porté la main froide du vampire à son front. Au lieu de cela, il laissa le frisson courir le long de son échine, secouer son corps meurtri, et ferma quelques secondes les yeux pour savourer cette salvatrice sensation.

« J'ai de la chance de ne pas arriver trop tard. »

Je crois que vous arrivez toujours au bon moment. Je vous aurais bien demandé votre secret…

Mais il n’aurait plus l’occasion de s’en servir. Sans compter que tous deux étaient plutôt du genre à aimer les garder plutôt que de les partager. À cette idée, un sourire amusé, un peu moqueur, étira ses lèvres exsangues et ses traits fatigués. Même au seuil de Mort, il n'avait pas perdu cette façon de taquiner son prochain.

Pas envie de le laisser mourir… Voilà qui était presque inattendu. Lui non plus n’avait pas particulièrement envie de mourir. Disons plutôt qu’il en avait eu envie, il y a longtemps, mais que maintenant il avait encore beaucoup à oeuvrer. Maintenant qu’une lueur d’espoir s’était rallumée pour son peuple, même si encore fragile et parfois vacillante, il n’avait plus envie de partir précipitamment. Mais ainsi était la destinée des Hommes. Il avait eu une vie longue et riche, il avait eu beaucoup de chances aussi, même s’il avait eu son lot d’épreuves et de malheur. Il avait la chance de mourir auprès d’êtres chers qui prenaient soin de lui… peu avaient pu s’en targuer.

Il se contenta alors de serrer doucement, d’une pression sans force, la main de l’antique. Gardant silence face à cette affirmation. Les mots lui manquaient soudain pour exprimer tout ce qu’il ressentait. Traitres mots… Ils l’avaient servi toute sa vie, et au seuil de son départ, ils lui faisaient défaut !

Quand Aldaron lui montra d’un simple geste le collier qu’il portait, Ilhan ressenti un profond soulagement enivrer son coeur. Ses araignées avaient réussi, avaient accompli leur mission. Que les Huit soient bénies. L’althaïen laissa alors un lourd soupir d’apaisement et tous ses muscles se détendirent peu à peu. Ce simple geste raviva quelque peu la douleur toutefois, mais pas assez pour enténébrer cette petite étincelle de joie. Il avait lui aussi accompli cette mission, il avait réussi à se montrer digne de la confiance d’Aldaron. Et de Cendrelune. Et les mots qui suivirent lui réchauffèrent le coeur plus encore, le faisant vibrer d’une émotion qu’il peina à contenir. Affaibli qu’il était, il n’avait plus toute sa maitrise et ses yeux sombres s’embuèrent légèrement.

« Je peux vous sauver. »

Cette fois une larme roula sur sa joue. Il s’y était attendu. Dès leur conversation sur ce bateau, il avait senti cette envie qui semblait pulser en Cendrelune. Le sauver… Est-ce que l’extraire de ce qui était la destinée de chaque humain serait le sauver ? Il n’en savait trop rien. Pour lui, la mort faisait partie de la vie, en un cycle éternel. S’il était peiné de quitter tous ceux à qui il s’était finalement tant attaché, et dont Aldaron faisait partie, il avait aussi la douce, et sans doute utopique, consolation de retrouver sa bien-aimée et son enfant de l’autre côté. Serait-ce alors le sauver de sa folie que de l’extirper de ce qui n’était peut-être qu’un rêve impossible ? Est-ce qu’il le voulait seulement ?

Non. Non, au fond de lui, il ne le voulait pas vraiment. Pas de cette façon-là. Il ne voulait pas rejoindre la nuit. S’il devait rester en ce monde, comme il l’avait déjà dit à Cendrelune, ce serait pour pouvoir continuer auprès de sa Reine. Or elle était le jour éclatant qui chassait les ombres de la nuit. Elle était le soleil éblouissant qui chaque matin repoussait l’obscurité. Jamais elle n’accepterait un vampire à ses côtés. Jamais. Non, il ne parvenait à s’y résoudre. Et… oui, il devait bien l’avouer, les ténèbres l’effrayaient. Presque plus que la mort à venir.

Mais tout cela, il l’avait déjà dit au vampire. Tout cela Cendrelune le savait déjà. Le silence fut alors le seul écho à ces mots, alors qu’Ilhan gardait lèvres closes. Son regard sombre restait embué, et s’adoucit d’une lueur tendre et affectueuse. Car, au fond de lui, malgré toutes ces pensées, il devait avouer que cette petite phrase de Cendrelune lui réchauffait le coeur et illuminait ces derniers instants d’une affection inattendue. D’une étrange amitié. Sans plus aucune rivalité. Pure. Vraie. Sincère. À nu. Tels deux coeurs s’accordant au même son, même si l’un ne battait plus. Le sien pouvait peut-être battre encore pour deux...

« Est-ce que vous m'en voudriez... Si je le faisais ? »

À cette question, Ilhan ferma les yeux et laissa quelques autres larmes rejoindre la première. Ses lèvres en goûtèrent la saveur salée, pourtant sans amertume aucune. Il inspira profondément, comme semblant manquer d’air, alors qu’un lourd étau comprimait sa poitrine, sans qu’il ne sache pourquoi. L’émotion semblait soudain bien trop intense pour son corps si frêle et tambourinait en lui, comme pour s’expulser de cette cage trop exiguë, dans laquelle elle ne pouvait pleinement s’exprimer. Sous l’assaut, Ilhan serra de nouveau la main de l’antique, d’une pression bien faible cependant.

Est-ce qu’il lui en voudrait ? La question le tarauda et courut en son esprit un marathon effréné. Il peina à calmer ses pensées. Et il lui fallut un long moment pour parvenir à calmer un peu les affres de son corps agonisant, et de son coeur éprouvé. Il lui en fallut un autre pour rouvrir les yeux et encore un autre pour regarder de nouveau Cendrelune. Mais quand ses orbes sombres se posèrent sur lui, la réponse à la question fut soudain évidente.

Combien de temps avait-il ainsi garder silence ? Il ne le sut. Cela lui parut une éternité, mille grains de sable avaient sans doute déjà formé tout un désert… et sa non-réponse devait étreindre Aldaron d’appréhension et d’inquiétude. Il serra à nouveau sa main, comme tentant de le rassurer, avant d’enfin retrouver assez de voix pour répondre par des mots :

Si vous le faisiez… même contre mes vœux premiers… est-ce que je vous en voudrais ? Ma réponse instinctive aurait été de dire oui. Mais… au fond…

Oui, au fond de lui, en toute sincérité...

Non, je crois que je ne vous en voudrais pas. Enfin mon moi de maintenant ne vous en voudrait pas. Je ne pourrais parler pour celui d’après.

Non, en effet, il ne pourrait lui en vouloir. Pas vraiment.

Je ne souhaite pas forcément être sauvé. Je vous l’ai dit, vous savez pourquoi. Mais…

Il inspira profondément et son expiration se fit lente et laborieuse avant qu’il ne reprenne.

Je crois que je comprendrais. Non, en fait, je pense pouvoir dire que je comprends. Votre intention est de me sauver, car pour vous la nuit me serait un refuge. Et je retiendrais l’intention avant toute chose.

Avant toute rancoeur, toute colère, ou tout autre sentiment inspiré par la peur et l’ignorance.

Il avait appris au moins une chose dans sa vie : la colère et la rancoeur, la haine et l’intolérance, naissaient des graines de peur et d’ignorance qui encombraient leur coeur. Et la méditation lui avait permis de regarder en lui, au plus profond de lui, et d’enfin s’accepter tel qu’il était : humain. Avec ces mêmes graines de peur et d'ignorance. Mais par la méditation, il pouvait aussi choisir ensuite de ne pas les arroser. De les accepter, mais de favoriser les graines de paix et de compassion qui étaient à côté. Ces graines étaient souvent plus fragiles, mais ces graines-là, en poussant, lui avaient montré que, malgré toutes leurs différences, ils étaient tous semblables en quelque sorte. Ils nourrissaient tous les mêmes besoins intrinsèques, et étaient tous interconnectés. Nourrir des rancoeurs ou de la colère envers les autres n’avaient jamais rien apporté dans sa vie. Même si certain nom lui inspirait encore des éclats pulsants de vengeance… Non, cela ne lui avait jamais rien apporté de bon. Il préférait donc ne plus les nourrir. Il préférait se focaliser sur ce qu’il y avait de bon en l’autre.

Et dans la demande d’Aldaron, il préférait se focaliser sur ses intentions et tout ce qu’elle recelait : de l’attachement, de l’affection pour lui. Car sinon, pourquoi vouloir le "sauver" ? Et cet attachement, cette affection, le touchait infiniment plus qu’il n’aurait voulu l’avouer.

Je retiendrais surtout l’attachement qui vous aura poussé à un tel geste. Je ne le souhaite pas, mais même si vous le faisiez, non je ne vous en voudrais pas Cendrelune. Je ne vous en voudrais pas Aldaron.

Et en prononçant ces deux noms, il espérait toucher toutes les facettes de la pièce qu’était l’antique. Même s'il espérait aussi ne pas forcément l'encourager à cette folie.

Je suis même touché que vous ayez ce vœu de me sauver, même contre ma volonté. Cela signe… de l’affection ? Même si je ne sais pourquoi vous tenez tant à moi à ce point-là.

Il se tut, pinça ses lèvres et se lança enfin à avouer ce qu’il ressentait lui aussi.

Mais je partage ce sentiment... cette affection... Oui, je dois l’avouer.

Et cela lui coûtait. Sa voix s’était faite murmure à peine audible, tant la gêne l’étouffait.

J’ai l’impression… que nous aurions pu être… amis ? Presque frères. Comme des alter ego. Cela peut vous paraître sans doute présomptueux, moi humain, me comparer à vous antique. Mais…

Il se tut, et baissa les yeux, ne sachant plus où se mettre après un tel aveu.

Oui je crois que j’aurais aimé être de vos proches si nos vies nous l’avaient permis. Ou si j’avais su ouvrir mon coeur...

Et se disant, il releva doucement les yeux, encore embués, et hésitant, alors qu’il prononçait ces derniers mots, écho de ceux qu’Aldaron lui avait offerts il y a longtemps. S’en souvenait-il maintenant ?

descriptionAnarórë [Ilhan, Tryghild & Aldaron] EmptyRe: Anarórë [Ilhan, Tryghild & Aldaron]

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    L'Ast sentait combien Ilhan était brûlant. Lentement il éleva sa main froide pour effleurer la peau de son front, délicatement. Est-ce que cela lui faisait du bien ? L’apaisait-il ? Il en avait l'impression, son empathie le guidait intuitivement. Il se laissait alors porter et posa doucement sa main à plat sur ce front bien pâle pour un althaïen. Il l'écoutait sans l'interrompre, touché en son for intérieur, par ses propos. Au fond de lui, Ilhan savait qu'il ne lui en voudrait pas, cela rendait pour Aldaron la situation moins compliquée et le défaisait d'un poids pénible qui reposait sur ses épaules. Il ne lui en tiendrait pas rancune, alors il pouvait le garder près de lui. Il n'y aurait pas de Tryghild, pas de Reine dans la vie de son fils, mais il serait là pour lui, autant de temps qu'il le faudrait. S'il immaculait, un jour, ce serait à lui de lui rendre son affection en le laissant partir. En le laissant rejoindre sa Reine. Il ne niait pas que ce serait un crève-cœur, mais si Ilhan était prêt à ne pas lui en vouloir, lui, il pourrait faire l'effort de lui donner sa liberté ?

    « Nos vies peuvent encore nous le permettre. Vous m'avez aidé. Sans rien me demander, Ilhan. Juste pour tenir la promesse que que vous aviez faite à l'elfe que j'étais. Ça me prouve que l'homme que j'ai pu rencontrer dans ces souvenirs... » Il désigna le pendentif qu'il avait autour du cou en le prenant machinalement entre ses doigts. « … Tient toujours à moi sincèrement. Je crois que nous nous ressemblons beaucoup et que vous feriez un fils extraordinaire. Vous êtes talentueux. » Il se mordit la lèvre inférieure, perdu, retenant la douleur qui étreignait doucement sa gorge. « Achroma vous apprécie également : vous serez bien entouré et je... » Il secoua la tête de gauche à droite, cherchant ses mots : « Il y a des elfes et des vampires qui connaissent l'immaculation. A Delimar, ils sont acceptés, pardonnés. Si cela venait à être votre cas, vous pourriez retourner auprès d'eux. » Il le laisserait partir, oui, il l'acceptait. « Auprès de votre Reine. » Il glissa ses doigts sur une tempe et vint mettre ceux de sa seconde main sur l'autre. « Dormez... »

    Les incidents magiques étaient encore loin d'être rares. Aldaron en avait connu les affres lorsque la demeure Caladonienne avait explosé alors qu'il se trouvait à côté. Nahui en avait été paniqué et lui-même avait ressenti que la vie pouvait ne tenir qu'à un fil. Il s'y prit avec prudence, se faisant la réflexion mentale que s'il tuait ce pauvre Ilhan, cela ne ferait qu'abréger ses souffrances qu'il sentait exsuder de lui avec véhémence. Avec une patience délicate, il finit par le plonger dans un sommeil réparateur. La dernière fois qu'il avait essayé de mordre un humain physiquement, le venin n'avait pas fonctionné... Alors, il l'avait senti intuitivement, tout comme chaque espèce trouvait en ce monde, viscéralement, la façon dont il fallait s'y prendre pour se reproduire. Il savait que son monde à lui existait au sein des aspirations et des désirs. Dans les rêves.

    Il laissa alors son être empathique le rejoindre. Tout n'était que brouillard, il ne voyait rien de son rêve. Juste lui. Jute celui qui allait devenir son fils. « De quel paysage rêvez-vous ? » demanda-t-il alors comme on attend la clé d'une porte pour que celle-ci s'ouvre. Il attendait sa permission et son acceptation, en somme. « Moi, je rêve d'une grande famille et d'un cocon protecteur dont les membres savent qu'ils peuvent compter les uns sur les autres, en tout temps. Que jamais rien en ce monde ne les détournera de ce qui fait le cœur de leur sûreté et leur lendemain. Des personnes talentueuses qui s'entre-aide pour devenir encore meilleur et pour offrir à ce monde une cohésion forte. L'elfe que j'étais avait déjà ce rêve... Chez moi, il est encore plus fort. Parce les vampires, et les Ast plus encore, ont cela de brûlant et de viscéral. » Il s'était rapproché de lui, plantant dans son regard ses mires verdoyantes à la teinte profonde.

    « Ici, Ilhan... Vous êtes debout.Vous pouvez marcher, courir. Vous pouvez m'éloigner, vous pouvez construire un mur entre nous. C'est vous le maître des lieux. Pas moi. C'est vous qui aurez le dernier mot. » Il posa une main sur son épaule, délicatement : « Je veux que vous soyez mon fils. Vous ne serez as une bête affamée de sang, vous serez comme moi. Vous serez différent et votre esprit est fort... Très fort. Je vous apprendrai la discipline.. Ilhan, je vous en prie... » Il secoua la tête de gauche à droite. « Laissez-moi faire. » Il vint embrasser sa tempe. Il ne lui faudrait pas longtemps pour arriver à sa gorge.

descriptionAnarórë [Ilhan, Tryghild & Aldaron] EmptyRe: Anarórë [Ilhan, Tryghild & Aldaron]

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Oui il se ressemblait beaucoup, Ilhan s’était déjà fait maintes fois la même réflexion. Toutefois, de là à dire qu’il ferait un fils extraordinaire… il en était moins sûr. Cependant, il ne pouvait nier que les compliments le touchaient, plus que de raison, et ses orbes sombres s’embuèrent de nouveau. Il tut ses doutes en cet instant, préférant garder lèvres closes. Il serait entouré… Il ne serait pas seul. Et il serait avec l’un des Aînés. Mais est-ce que cela suffisait à calmer ses peurs latentes ? Il n’aurait su le dire. Immaculer. Retourner auprès de sa Reine, lui permettant de continuer à oeuvrer auprès d’elle… Oui aussi cela serait tentant. Il s’apprêtait à répondre, quand l’ordre vint et l’emporta lentement dans les limbes de l’inconscience. Il s’y sentit attiré, et ne tenta pas même d’y résister.

Après tout, ce pays-là était bien doux. Bien calme, bien plus serein. Dans la contrée des songes, plus de douleur aucune, si ce n’est celle de l’esprit. Et encore, même là, il avait appris à y construire son accalmie. Le fleuve agité de ses pensées pouvait se focaliser sur ce qu’il voulait construire, et non plus sur ce qu’il avait perdu… Il plongea donc, sans résistance, bénissant même en son for intérieur le vampire de lui offrir cette paix reposante. C’était là un cadeau qu’il chérirait.

Tout ne fut d'abord que brumes opaques, douce brise l’enveloppant, chaleur caressante berçant son âme… Puis il se retrouva alors en son Althaïa, ses pavés si bien taillés, ses magnifiques bâtisses aux arabesques et courbes raffinées, ses étals parfumés, ses senteurs enivrantes et ses symphonies envoûtantes… Il ne sut combien de temps il vogua ainsi dans sa belle romantique perdue, avant qu’il n’entendit une voix. Aldaron. Cendrelune. Aussitôt Ilhan se projeta vers lui, s’empressant de le rejoindre, se drapant de nouveau de brumes floues et filamenteuses. Il accueillit l’invité avec un sourire chaleureux.

Une grande famille, un cocon… sécurité et prospérité pour les siens. Oui c'était un beau voeu, qui faisait écho au sien en un sens. Ses puits de jais s’ancrèrent dans les émeraudes puissantes de son hôte, sans qu’il ne fléchisse. Ici, son corps faible n’était plus, et il se sentait enfin de nouveau maitre de lui. Oui, ici, il était debout, pouvait marcher.

« Je veux que vous soyez mon fils. »

Il sentait dans ces mots un désir impérieux. Et pour autant, le vœu aussi de ne pas lui imposer. Oh oui, lui aussi serait honoré d’avoir Aldaron pour père, nul doute. De se sentir ainsi désiré flattait d’ailleurs son ego plus qu’il n’en fallait. Il n’était plus dans le monde physique, mais pour autant le tambour battant de son coeur se fit clairement entendre à ces mots-là. Un son régulier, bien que plus rapide qu’à l’accoutumée, clairement audible pour tous deux. Ilhan aurait très bien pu le cacher, garder ce petit détail pour lui, mais au point où ils en étaient… Et les mots lui manquant, il espérait lui faire comprendre par là ce qu’il ressentait. Une émotion qui l’étreignait tout au fond de lui, et qui faisait fléchir son esprit vers l’acceptation de cette solution.

Même s’il sentait encore des réticences le retenir. Des peurs, toujours et encore. Aldaron pourtant savait trouver les bons mots, les bons arguments. Il le connaissait bien, finalement, pour comprendre tout ce qui pourrait le freiner.

Et alors que le vampire embrassait sa tempe, Ilhan ferma les yeux et laissa la brume se dissiper. Peu à peu, tout autour d’eux, Althaïa se découvrit, dans toute sa splendeur d’antan. Il se retrouvait alors au milieu d’une place. Ilhan rouvrit lentement les yeux, les plantant dans les lacs poison de Cendrelune. Et s’écarta doucement. Non pas qu’il le rejetait, non loin de là. Mais avant toute chose, il avait quelque chose à montrer à Aldaron.

Vous m’avez demandé de quel paysage je rêvais…

Il se retourna alors pour contempler sa Romantique. Puis, délicatement, il prit la main du vampire et le guida à travers les ruelles. Doucement, à pas lents, pour savourer chaque instant de ce rêve composé. Et alors qu’ils approchaient d’une grande grille ouvragée, révélant tout au bout d’un grand jardin et d’une longue allée un beau manoir, une femme apparut. Belle, magnifique dans ses drapés complexes, un doux sourire aux lèvres. Et à côté d’elle, un jeune garçon. Un garçon, qui, au fur et à mesure qu’ils approchaient, grandissait. Ce n’était plus une recomposition du passé, mais la reconstruction d’un avenir possible en accéléré. Un avenir qui n’avait jamais eu lieu et qui n’existerait jamais.

Voilà l’un de mes rêves les plus récurrents.

Mais, au lieu de les rejoindre, l’althaïen s’arrêta à quelques pas à peine des deux silhouettes qui lui souriaient. Le garçon était maintenant un jeune homme au port altier, digne portrait de son père. Ilhan en aurait été fier.

Il n’a jamais connu cette vie, souffla-t-il en un murmure à peine audible.

Et resserra la main du vampire qu’il tenait toujours. Ce fut avec difficulté qu’il parvint à détourner le regard de ces deux êtres, qui lui avaient tant manqué et qui lui manqueraient tant encore, s’il acceptait la proposition de Cendrelune. Même si au final… il n’avait en fait aucune assurance qu’ils puissent réellement se retrouver tous trois dans une autre réincarnation. Les Huit n’étaient plus. Et quand bien même il continuait à les honorer, et à les bénir de tous les bienfaits qui leur avaient été offerts, quand bien même le cycle de la réincarnation avait été, semble-t-il, rétabli, il ne savait s’il pourrait avoir l’honneur de rejoindre son aimée et son fils dans une autre vie. Même s’il devenait cerf, et eux biche et faon, du moment qu’ils étaient réunis ! Il avait longuement prié les Sept, et depuis peu les Huit, en ce sens, de longues années durant, avec ferveur. Même encore après la mort des Dieux, il les priait et les honorait encore, s’accrochant à cette douce utopie. Mais il était conscient que ses chances de les retrouver étaient au final infimes.

Ce fut donc avec douleur, et le coeur saignant, qu’il laissa les deux silhouettes s’évaporer. Il porta son regard vers Aldaron.

Voilà mon autre rêve, tout aussi fou. Et plus encore

Et alors qu’il prononçait ces mots, Althaïa disparut peu à peu pour laisser place… à Calastin. Une Calastin prospère, aux champs fertiles, à la vie grouillante d’activité, et… sous une seule et même bannière. Nulle couleur à celle qui flottait alors au-dessus de l’île du croissant. Une bannière blanche, simple, mais unie. À l’image de son rêve pour cette île : paix et harmonie.

Il y avait un rêve... qui s'appelait Calastin, souffla-t-il de ses accents althaïens.

Il n’avait pas lâché Aldaron du regard pendant que le paysage se transformait. Il n’avait pas quitté ces perles d’émeraude, et ses orbes sombres irradiaient d’une lumière puissante. La lumière de sa foi, de son vœu, de sa folie en ce rêve utopique.

Vous vouliez savoir ce à quoi je rêvais. Je rêve d’une grande famille aussi, oui. Et d’une nation unie. Plus même, d’un peuple tout entier épanoui. Peu m’importe au final que ce peuple soit de races composées. Du moment que paix et prospérité lui soient accordées.

Il serra la main qu’il porta à ses lèvres pour lui déposer un délicat baiser.

Je sens que votre coeur vous porte à ce geste. Alors je ne vous en empêcherai pas. Mais je ne suis pas sûr d’être le fils extraordinaire dont vous rêviez et que vous espérez de moi.

Il lâcha alors la main puis baissa les yeux.

Est-ce que vous m'en voudriez... Si je n’étais pas tel que vos voeux ?

Il releva des yeux hésitants, pétillants d’émotions contenues. Puis s’approcha doucement du vampire. Il lui déposa à son tour un baiser sur la joue, tel un fils le ferait à son père, et, geste rare chez lui, l’enlaça, même si dans un geste maladroit et mal assuré, peu à l’aise encore avec tout contact.

Faites, si tel est votre souhait. Je vous l’ai dit, je ne vous en empêcherai pas et ne vous en voudrai pas. J’espère que vous ne m’en voudrez pas non plus si je ne suis pas le fils tant désiré.

Et, enlacés qu’ils étaient, il pouvait presque sentir le souffle du vampire sur sa nuque, si seulement un vampire en avait eu.

Allez où votre coeur vous porte. C’est ce que Dawan m'a appris ici… Laissez-le vous guider, si tel est ce que vous ressentez.

descriptionAnarórë [Ilhan, Tryghild & Aldaron] EmptyRe: Anarórë [Ilhan, Tryghild & Aldaron]

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    Le paysage se dessina, enfin, merveilleux. Il se souvenait d'Althaïa mais il avait l’impression que dans les souvenirs d'Ilhan, c'était plus beau encore. Il y ressentait un confort et un amour singulier. Il savait les humains amoureux des terres où ils étaient nés. Cet enracinement avait fait sa place, jadis, car il avait fait partie de ces terres ancestrales, à l’épreuve du temps. Souvenirs encore flous mais parlants. Son regard revint sur le diplomate, le dardant de ses mires  au vert hypnotisant alors que sa proie s'écartait. Était-ce un refus ? Il en était peiné, mais pourrait-il refuser ? Sa gorge se serra, tout comme sa dextre sur la sienne : il se laissa conduire. Il était bon de lui laisser le contrôle, vers où le mènerait-il ? Les ruelles ne lui étaient pas étrangères. Il reconnaissait certaines d'entre elles. La mémoire était parfois trompeuse, il n'avait pas vu cela exactement de la même teinte et n'avait pas fait attention aux mêmes détails que l'humain. C'était un autre point de vue sur la même chose.

    La femme, l'enfant. L'Ast sentait l'émotion qui imprégnait la scène, à travers l'Ilhan. Mais il garda les lèvres closes, se contentant de serrer un peu plus sa main, en réponse à celle qui le cherchait en soutien. Comme s'il endossait d'ores et déjà son rôle de père. Il était touché, assurément, de ce partage, il comprenait assez pourquoi l'althaïen voulait lui montrer. Tout comme il comprenait le rêve de Calastin. Il voyait en son cœur la volonté de défaire la frontières entre l'Alliance et la Couronne. Il avait, de son vivant d'elfe, toujours cherché le rapprochement. Etait-il possible ? A en croire ce qu'il voyait dans les orbe sombre de l'humain, il y avait de l'espoir, oui. Son rêve lui plaisait. Il désirait cela aussi, pour son peuple. Il était plus brutal, moins utopiste. Il eut eut un baiser, sur sa main puis la question innocente. Sans répondre de vive voix, il hoche négativement la tête. Il pourrait être déçu, il l'avait déjà été, parfois, avec ses enfants. Il savait qu'aucun d'eux ne serait parfaitement satisfaisant. Car personne n'était parfait. Il prendrait ce qu'il y avait de bon.

    Le baiser, comme un enfant à son père. Il frissonna. Il referma ses bras sur Ilhan, doucement. Il caressait son dos, pour l'apaiser. Avait-il peur ? Est-ce que l'instant l'effrayait ? Avait-il conscience que ce rêve était bel et bien réel ? Il glissa son nez dans son cou, humant les parfums althaïens qui perlaient de cet homme si raffiné. « Je ne suis pas parfait, Ilhan. » souffla-t-il à son oreille. « Comment pourrais-je alors exiger cela de mes enfants ? » Il embrassa le derme d'ambre, au niveau du cou, laissant le silence faire germer la réflexion avant qu'il n'ajoute : « Soyez en paix avec cette idée. Je vous aimerai... Quoique vous soyez, quoi que vous fassiez, quoique vous choisissiez... J'aimerais le monstre et le bienfaiteur en vous. Le courageux et le couard. Le loyal et le traître. » Il ouvrit les lèvres, prédateur, lentement, alors que le venin venait emplir sa bouche. « Je vous aimerai, mon fils. » Et ses crocs vinrent percer la peau au goût du soleil, s'enfonçant dans la chair, emportant avec lui le poison.

    Il resserra son étreinte sur lui, sa mâchoire verrouillée comme un étau. Il savoura la chaleur de son sang spirituel. Ses rêves si poignants glissaient sur sa langue, savoureux. Il but à la rivière même de ses songes émerveillés, à la source de ses ambitions, mêmes les plus secrètes. La Faim l'enivrait, le possédait. La Faim lui faisait planter ses griffes dans son dos, pour que sa proie reste à sa merci. La Faim rendait son étreinte plus possessive, dominatrice. La faim le rendait fauve et pourtant, dans son intensité sauvage, il se contenait. Il luttait pour ne pas le broyer, ses muscles tendus d'excitation animale faisaient trembler son corps. Son repas, si délicieux, ne pouvait plus fuir, il lui avait dévoré cette volonté tout comme il avait englouti ses instincts de survie. Alors qu'il le sentait s'affaiblir, dans ses bras, il ne le relâchait complètement. Il se mit à genoux, l’entraînant avec lui pour l'allonger à même le sol devenu flou de son rêve.

    Après quelques minutes, il relâcha sa gorge, et se redressa. Le sang carmin coulait de son menton et sa geule ouverte laissait voir des crocs d'ivoire. Sa proie était inerte quoiqu'il manifestait quelques lents mouvements, incapable de se défendre. Ilhan Avente était mourant, au fond de lui. Combien de temps avant que son corps le suive vers la nuit ? Il l'ignorait... C'était la première fois qu'il réussissait. Cela était si vivifiant que de devenir père. Il était transcendé. Il caressa ses cheveux, empli d'amour : « Cela va bien se passer... Je viens te chercher. » Il embrassa son front. Il viendrait au Domaine. Son enfant l'attendrait.

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    D'un geste solennel, Naal ferma les yeux du défunt. Ses lèvres priaient dans une habitude, là où sa gorge se serait d'un sanglot. Il avait voulu le reconduire à Tryghild, comme Ilhan le lui avait demandé. Il avait échoué. Il ne leur restait probablement plus beaucoup de trajet à faire quand l'Avente s'était éteint. Il avait combattu longuement la mort, dans une agonie que Naal avait eu du mal à rendre moins douloureuse sans assommer son patient de drogues. Il avait été secoué de tremblement compulsifs, il avait vomi un sang devenu de plus en plus noir. Il avait brûlé la fièvre et son corps était devenu de plus en plus froid. Il avait fini par ne plus sentir les battements de son cœur et il avait couvert le corps d'un drap blanc, lui offrant l'intimité de la mort.

    Frappés par le deuil, ils avaient monté le campement avec des gestes moroses. Les délimariens semblaient beaucoup tenir à cet althaïen qui ne ferait plus partie de ce monde. Lorsqu'il avait vu sa santé se dégrader, sur la route, il avait fait parvenir le plus rapide cavalier auprès de Tryghild afin que l'Intendante fasse route vers eux également. Il avait craint qu'Ilhan ne puisse lui faire ses adieux... Et cela s'était hélas réalisé. La prière avait été un réconfort, au milieu des larmes. Beaucoup de ces hommes, fiers, avaient caché leur peine. Sur Ambarhùna, exprimer ses sentiments rimait avec de la faiblesse. Naal ne l'avait jamais vu ainsi. La perte frappait son cœur. Ce n'était ni la première, ni la dernière. Mais cela lui faisait toujours aussi mal.

    Allait-il s'éteindre, lui aussi, un jour ? Il avait toujours eu le Néant pour l'accompagner, le soutenir. Il n'avait jamais craint la mort, jusqu'à cette renaissance. Un jour, il vieillirait ; un jour, il serait malade. Un jour, rencontrerait le royaume de mort et viendrait à se réincarner. Prierait-il encore Néant ? Serait-il pieux et dévoué ? Se souviendrait-il ? Ses doigts d'ambre caressait la surface lisse et noire du bouclier de Néant. Les réponses n'étaient pas aisée à obtenir. L'avenir était fait de millions de chemins possibles, comment savoir, dans cet avenir si lointain, lequel serait bon ? Il portait son regard plus proche du temps présent. Que deviendrait Tryghild ? Il ne l'avait pas encore faite prévenir, de toutes façons, elle ne devait plus être très loin. La Corneille la voyait. Elle entendait les sabots du cheval.

    L'un des fils d'avenir le troubla. Il y voyait Ilhan Avente, vivant. Cela ne se pouvait. Il avait défait le drap blanc, cherché son pouls sur son corps fort. Il avait posé son oreille contre son torse nu. Rien. Aucun cœur ne battait. Il recouvrait à nouveau le corps, non sans avoir embrassé le front du défunt, par affection. Ou peut-être pour demander pardon de l'avoir dérangé. Il avait allumé des encens, fait brûler de la sauge. Perplexe, il était retourné auprès du bouclier-miroir et dans l'un des fils d'avenir, Ilhan était là, auprès de Tryghild. Dans d'autres, il n'était plus. L'incohérence le troublait et le rendait fébrile. Allait-il revenir à la vie. Avait-il manqué quelque chose ?

    Il revint vers Ilhan, retira le drap et entama un massage cardiaque. La magie pouvait ramener un homme à la vie, lorsque le mage était très puissant. Mais la magie était gravement troublée en ce moment, nul ne s'y risquerait, aussi puissant soient-il. La catastrophe pouvait être horrible en cas d'échec. Alors, quoi ? Un miracle ? Aucun Dieu ne répondrait, n'est-il pas ? Les esprits-liés ? Y en avait-il un qui en soit capable ? Cela faisait vingt minutes qu'il exécutait un massage cardiaque sans faiblir mais force était de constater qu'Ilhan était si blême que c'était à se demander s'il avait encore du sang dans les veines. Tout ce qu'il parvint à faire, ce fut d'échapper ce qui restait du sang noir par la bouche du défunt.

    Il abandonna, sans comprendre plus que cela. Il le nettoya, à nouveau et le recouvrit du drap blanc. Gierūljagon ne pouvait se tromper. Ce fil des possible existait toujours mais Naal ne le comprenait pas. Son bouclier perdait-il de sa force d'antan ? Allait-il s'éteindre comme s'était éteint Néant ? Il devait garder la foi, mais elle était plus complexe quand on savait pertinemment de le Néant qu'il avait connu n'était plus. Il entendit les sabots d'un cheval, puis les pas de Tryghild, sa voix. Elle entra finalement sous la tente. Naal s'était levé et tourné vers elle mais le drap blanc qui recouvrait l'althaïen saurait dire la vérité mieux que lui : « Je suis désolé, Tryghild... » souffla-t-il, brisant enfin le silence. Il se mordit la lèvre, approcha d'Ilhan et découvrit sa tête. Peut-être voulait-elle lui dire adieu ?

    Il sursauta, néanmoins, en voyant les yeux ouvert de l'Avente. Ne les avait-il pas fermé ? Il s'apprêta à le faire mais lorsqu'il approcha sa dextre, Ilhan tourna la tête doucement sur le côté pour y échapper. L'amaréen cligna des yeux, tâcha de prendre son pouls. Rien. Toujours rien. Son corps était toujours aussi froid. C'était impossible. Cliniquement impossible : « Ilhan ? » Il attrapa son menton pour le tourner vers lui. Il voyait la vie dans ses yeux. « Je ne comprends pas... Je ne sens pas son cœur battre, son corps est froid et... » La vampirisation, cela sortait complètement des livres de sciences almaréennes. Alors pour Naal, ça n'avait aucun sens, biologiquement. Il fronçait les sourcils, secouait la tête de gauche à droite. Mais qu'est-ce que c'était que ça ?

descriptionAnarórë [Ilhan, Tryghild & Aldaron] EmptyRe: Anarórë [Ilhan, Tryghild & Aldaron]

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Ilhan était mourant. Le cavalier, héraut de l’oracle, ouvrait la marche, poussant avec sévérité une monture aux flancs fumants dans la fraîcheur automnale. Son propre destrier ne connaissait pas un traitement plus clément, car elle talonnait son guide, empressée et transie de l’urgence de cet instant. Elle ne craignait pas la mort, la sienne comme celle des siens, mais elle craignait de ne pouvoir se tenir auprès d’Ilhan pour ses derniers instants. Elle y tenait énormément. Cette détermination lui permettait de pousser, même lorsque ses bras commencèrent à s’engourdir de la chevauchée. Dents serrées, elle ne parlait pas, ni perdait pas la route du regard, n’autorisant aucune halte tant l’urgence l’étrillait. Ils ne pouvaient tarder, ils n’en avaient pas la liberté. Et pourtant malgré ce zèle, malgré la cadence haletante ainsi imposée, lorsque le petit groupe s’arrêta en trombe dans le campement, il était trop tard. Tryghild se redressa, doigts calleux tremblants sur les rênes du palefroi. Son regard bleu parcourut les lieux en s’arrondissant tandis que son coeur battant à tout rompre se serrait d’une sinistre augure. Elle connaissait cette impression, l’ambiance qui planait entre les tentes et l’ombre sur les visages de ses frères d’armes, le lustre dans leurs prunelles au demeurant farouches. Elle était arrivée trop tard.

Réprimant la bile qui menaçait d’emplir sa bouche, la nordique vida les étriers, descendant de selle d’un mouvement brusque, abandonnant là un étalon qui ne galoperait plus avant des heures. Où était-il ? Où étaient-ils ? Naal devait être auprès de lui, le héraut s’était annoncé en son nom. Il n’avait certainement pas quitté Ilhan. Quelle étrange paire que ces deux-là. Elle trouva l’un comme l’autr sous la toile d’une tente au centre du campement monté hâtivement mais d’une main experte, et se figea dans l’ouverture, en observant ce qui se trouvait là, sous ses yeux. Elle parla, comme dans un rêve, sans réellement le vouloir, d’une petite voix, si dissemblable de celle dont elle usait au quotidien, une voix de petite fille, incapable de croire à l’étourdissante et cruelle vérité qui la giflait pourtant en pleine figure, souhaitant de tout coeur que ses mires la trompe. Le tremblement en était viscéral, autant que l’affection qu’elle avait nourrit pour l’homme qui gisait là, inanimé. Et pourtant, quand bien même elle appelait le nom de cet homme aux nombreux miracles, elle ne pouvait réfuter l’image froide et silencieuse qui s’exposait là devant elle. “Naal ?” Par attachement autant que par entêtement, elle refusait d'accepter être arrivée en retard pour saluer le départ d’un si grand homme. Mais que pouvait-elle réellement y faire, si ce n’était entâcher sa mémoire et la dignité de son trépas.

Le silence était assourdissant. Puis vint les excuses. Elle parvint enfin à s’arracher, un bref instant, à la contemplation du corps pudiquement recouvert d’un drap pour observer son beau-père, ne sachant que dire. La suite l’en dispensa néanmoins. Elle vit Naal sursauter, fronça les sourcils, troublée, et s’approcha pour vérifier de quoi il retournait. Et ce qu’elle vit la glaça car dans son esprit de chasseresse rompue à la traque des non-morts, il n’y avait guère de doutes. Les signes donnés par l’almaréen ne trompaient pas et elle avait confiance en lui pour diagnostiquer une mort. Mais un mort ne revenait pas à la vie sans une aide extérieure à moins d’être un vampire. Il n’y avait donc qu’une seule explication, une seule, terrible, découverte. La nordique posa une main sur l’épaule de l’oracle et tira son épée de l’autre. La lame princière bénie par les esprits répandit sa lueur dorée sous la tente alors qu’elle en brandissait le fer, prête à couper la tête de la créature qui avait remplacé son conseiller. Elle n’avait aucune idée de comment cela avait pu advenir alors qu’il se trouvait entre de si bonnes mains et peu lui importait. On lui avait enseigné depuis son plus jeune âge qu’un individu mordu était un individu perdu, maudit et sans espoir de salut et une part viscérale d’elle-même lui rugissait de simplement en finir pendant que la bête était encore groggy et contrôlable, sans attendre que la faim la déchaîne.

Une autre part d’elle, cependant, savait qu’il existait désormais un miracle pour ces êtres maudits. C’était une chance mince et dangereuse mais au fond d’elle-même, elle voulait se battre pour elle et ne lui couper la tête qu’après avoir épuisé ses autres solutions.Il lui fallait réfréner plus de vingt ans de formation, mais la valeur de cet homme pour son peuple lui donnait la force de se retenir, quand bien même son corps en tremblait sourdement. Elle serra davantage la garde de Loyale, imprimant la courbe sur ses doigts blanchis alors qu’elle faisait peser la pointe contre la gorge froide. Inspirant et expirant profondément, tâchant de conserver un calme complet comme en présence d’une bête fauve, Tryghild pressa la pointe de l’arme contre la chair morte sans pour autant la déchirer. “Tu as trente secondes pour trouver l’inspiration vers l’immaculation monstre, où je t’ouvre en deux” Sa voix était basse et sifflante, glaciale tant elle n’aurait jamais cru s’adresser à l’une de ces créatures pour essayer de la sauver. Dans un élan, elle enfonça une première fois la lame brillante à quelques centimètres de sa tête, dans un tintement de l’acier et un rugissement. “Tu immacules maintenant ou tu meures!

descriptionAnarórë [Ilhan, Tryghild & Aldaron] EmptyRe: Anarórë [Ilhan, Tryghild & Aldaron]

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Douleur.

Le monde n’était plus que douleur. Son agonie s’étirait en une lente litanie. Il n’avait jamais eu peur de la mort, et l'avait même appelé de ses voeux il fut un temps, mais il devait avouer avoir espéré qu’elle ne soit pas aussi douloureuse. Il savait qu’il allait mourir, qu’il n’avait plus que deux semaines devant lui, mais il avait l’impression que la marche vers Mort s’était accélérée, intensifiée, sans qu’il ne comprenne pourquoi ni comment...

Douleur. Agonie. Elle l’étreignait de ses doigts glacés et l’enveloppait dans ses filets acérés, sans lui laisser aucune échappatoire. Même les remèdes de Naal peinaient à faire effet. Au moins avaient-ils l’intérêt de le bercer dans les limbes de l’inconscience. Et dans son inconscience, lui revinrent des bribes de souvenirs. Des bribes de rêves.

Rêve. Aldaron. Douleur. Tels furent les mots qu’il commença à marmonner entre deux sommeils agités et dans un souffle court. Aldaron. Se pourrait-il… ? Mais quand compréhension se fit clairement, qu’il sut que rêve avait été réalité, et qu’il allait… Il était trop tard et il fut incapable de s’exprimer avec clarté. Ces deux petits mots furent les seuls qu’il parvint à répéter en boucle. Ceux-là et Tryghild, Naal. Ces noms d’êtres chers qu’il appelait dans ce long tunnel cauchemardesque où l’ombre le happait et l’extirpait de la lumière. Ces ombres aux bras voraces, au long manteau glacé et à l’haleine brûlante. Ces ombres qui finalement le happèrent sans qu’il ne puisse plus résister.

Douleur. Agonie. Ténèbres. Il sombra alors dans ce gouffre sans fond. L’infini lui tendit les bras, et une nouvelle toile se tissa devant lui…

~~~~

Un doigt qui repousse. Des ongles qui réapparaissent. Des cicatrices anciennes ou, plus nombreuses, récentes, qui s’effacent. Une peau lacérée ou délabrée qui redevient aussi douce que celle d’un nouveau-né.

Un coeur toujours sourd pourtant. Un corps toujours glacé de sang…

~~~~

« Naal ? »

Naal ? Qu’était-ce Naal ?

« Je suis désolé, Tryghild... »

Tryghild ? Qu’était-ce Tryghild ?

Des sons. Des bruissements non loin. Des tambour battant. Un doux leitmotiv qui l’appelait. Des bruits presque assourdissants. Tout de blanc autour de lui. Son monde était mille sons. Sur sa peau nue mille sensations. Émotions frappant son esprit renaissant aussi. Un tourbillon sombre palpitant de tristesse et de peine qui l’enivrait dans cette douce danse au rythme lent et lancinant.

Et soudain tout devint couleurs vives embrasant sa vision. Mille lumières. Pour autant, il ne cligna pas des yeux et les garda grand ouverts. Il ne voulait rien perdre de ce qui s’ouvrait à lui. Une main s’approcha. D’instinct il l’évita d’un petit geste. Stupeur. Incompréhension, ressentit-il. Sans savoir si cela venait de lui ou de l’autre. Des deux peut-être aussi. Hummm quel délice que ces sensations-là, songea-t-il alors qu’il dévorait sans honte ce qu’il ressentait émaner de l’homme. Ou de lui. Ou des deux.

Il s’enivrait, quand un son le frappa de plein fouet. Un son qu’il ne parvenait à comprendre. Vampirisation.

Vampirisation ? Qu’était-ce la… vampirisation ? Coeur sourd. Effectivement il n’entendait pas son propre coeur. Corps froid. Effectivement cette main lui tenant le menton était brûlante sur sa peau glacée. Pourtant aucun froid ne le happait. Uniquement cette sensation délicieuse à ce toucher. Et ces émotions vives tournoyantes qu’il s’empressa de dévorer de nouveau.

Faim.

Il avait faim. Et on lui offrait là un repas de roi. Naal, lut-il. C’était Naal. L’homme était Naal. Il aimait bien le son.

Soudain il sentit une humeur sombre voltiger près de lui. Une femme, grande, repoussa l’autre homme et dégaina un objet acéré. Il ne le reconnut pas vraiment, mais il sentait que l’objet était dangereux. La femme était dangereuse. Émanait d’elle un grondement sourd, telle une terre tremblante de colère, se contenant à peine pour ne pas tout ensevelir sous son irruption brûlante et sa lumière éclatante. Tryghild, lut-il. Il en aimait bien le son, mais visiblement elle ne l’aimait pas lui. Son esprit se heurta à un mur infranchissable tout de haine pétri et de sourdes menaces, tandis qu’une pointe acérée vint se loger contre sa gorge, prête à la lui transpercer au moindre geste.

D’instinct, le nouveau-né montra les crocs. De petite taille, mais effilés, ceux-ci paraissaient peu menaçant sans doute. Un autre instinct lui soufflait d’attraper cette lame, de l’écarter, et de fuir… Mais un bref regard vers ce qui semblait une issue lui révéla deux hautes silhouettes non loin. Et plusieurs coeurs battants au-dehors. Ces hautes et fortes silhouettes… il sentait une force en lui, mais il semblait bien petit… et seul contre plusieurs. Seul contre beaucoup trop. Il dut réfréner alors l’appel des crocs et sa volonté de survie l’emporta. Son rictus carnassier s’effaça donc, au profit d’une fausse tranquillité. Fourbe patience qui n’attendait que son moment.

Monstre ? Qu’était-ce monstre ? Était-ce lui ? Naal était l’homme, Tryghild la femme, et lui... monstre ? Monstre… ce mot avait un écho abominable et sonnait douloureusement en lui. Monstre… n’était-ce pas ainsi qu’on nommait ce qu’on souhaitait éliminer ?

Mais n’était-ce pas justement ce que la femme désirait ? Palpitait en elle ce désir, oui, il le sentait. Il en avait à peine goûté, en trouvant la saveur bien trop amère. Mais il l’avait senti. Un désir réfréné… par un autre plus sourd, plus étouffé… un espoir, fol espoir, qui illuminait un peu ce sombre esprit… Une petite lumière qui éclairait soudain les ténèbres du nouveau-né et ce monde violent dans lequel il venait de se réveiller. Mais pouvait-il atteindre cette lumière ?

Elle semblait avoir un nom. Immaculation. Mais qu’était-ce l’immaculation ? On voulait qu’il trouve la voie vers l’immaculation ? Mais s’il ne savait ce que c’était, comment pouvait-il trouver ? Il tourna alors un regard apeuré, inquiet et empli d’incompréhension vers les deux coeurs battants à ces côtés. Ce n’était plus un fauve qu’ils avaient devant eux, mais une bête acculée. Une bête qui ne comprenait pas ce qu’on lui demandait.

Sombre peur qui soudain serra son coeur et foudroya son esprit quand Loyale s’abattit tout près de son visage, à quelques pouces à peine. Cette fois panique le submergea. Aucune issue non. L’éclat bruyant avait fait se rapprocher les autres coeurs battants. Il était cerné. Il ne pourrait fuir.

Aucune issue ? Si, une. Une seule, unique. Elle venait de le lui dire : immaculation. L’immaculation, sa seule issue. Mais comment immaculait-on ? Il dévora alors tout ce qui passait, sans plus de tri. Et les pensées de l’homme lui soufflèrent ce qu’était l’immaculation. Une transformation. Changer le monstre. Changer le vampire. Immaculer ou mourir. Immaculer ou mourir…

Immaculer ou mourir, furent ce qu’il mangea en boucle alors que ses yeux sombres, maintenant pétillants d’or, étaient rivés sur la femme.

Immaculer ou mourir, furent ses seules propres pensées, quand la lame se fit plus menaçante sur son cou, faisant perler un sombre sang.

Immaculer ou mourir ! Immaculer ou mourir ! se répéta-t-il, apeuré, le coeur étreint d’un instinct bestial de survie, quand la lame de nouveau se leva, prête à frapper, quand les émotions palpitèrent en lui et autour de lui. Peur, peine, angoisse, détermination, haine du monstre, espoir d’un retour…

Immaculer ou mourir ! La lame s’abaissait déjà !

Immaculer ou mourir ! Maintenant ! Immaculer ou…

Et soudain, il suffoqua. Il suffoqua réellement. Pas seulement d’esprit, perdu dans ce maelstrom d’émotions et de pensées, mais également de corps. Il inspira une grande goulée d’air… en vain. Ses poumons brûlèrent. Il inspira encore… il sentit la lame se retirer. Une onde d’étonnement angoissé et de sourds espoirs l’enveloppa vaguement, l’encourageant dans cette voie, mais il était bien trop happé par la soudaine douleur. Fulgurante sensation de se noyer. L’air ne semblait pas vouloir le nourrir. Ses poumons suffoquaient. Son coeur se serrait, convulsant dans une vaine tentative d'imiter un tambour. Ses muscles se crispèrent, et tout son corps s’arqua alors qu’il ouvrit grand la bouche pour avaler tout l’air possible. En vain. Ses mains griffèrent le drap sous lui et l’agrippèrent à l’en déchirer, n’en laissant que des lambeaux délabrés… Il se noyait ! S’enfonçait dans un lac sans fond ! Il voulait immaculer, pas mourir ! Immaculer ! Pas mourir !

Une autre suffocation… il se roula sur le côté tant il se débattit… puis tomba au sol. Dans son dos, d’étranges marques de brûlures marquaient ses épaules, telles d’anciennes traces d’un passé éprouvé, d’un morne héritage. Des brûlures qui, sans être laides, dénotaient sur cette peau ambrée et vierge de toute autre cicatrice. Une peau qui sembla soudain comme onduler… alors que tout doucement se dessinaient d’envoûtantes arabesques cuivrées sur le haut du dos, courant lentement sur les épaules et serpentant avec langueur sur les bras, les enlaçant en de fins bracelets au dessin délicat à jamais incrustés…

Et dans un dernier spasme, il retomba, inerte et inconscient. Sombre et douce inconscience qui mit fin à ses affres et son déclin. Combien de temps resta-t-il ainsi ? Il n’en eut aucune idée.

Quand il rouvrit les yeux, il aspira une grande bouffée d’air qui lui brûla les poumons et le fit sourdement gronder de douleur. Son coeur reprenait chamade, devenant un leitmotiv assourdissant, un tambour effréné, comme s’il cherchait à sortir de sa cage, tel un oiseau emprisonné. Tous ses muscles criaient leur agonie. Et chaque mouvement semblait une douloureuse litanie. Il avait été retourné, Naal et Tryghild agenouillé de chaque côté de lui. Dès qu’il aperçut la femme, et surtout sa fidèle lame, il s’empressa de ramper à reculons, s’acculant contre la toile de la tente, peu conscient de sa totale nudité. Telle une bête apeurée, acculée… Avait-il immaculé ? Ou allait-il mourir ? Elle ne semblait plus le menacer, constata-t-il. Il sentit même une onde de soulagement l’envelopper de son chaud manteau, émanant des deux êtres qui le regardaient avec stupeur mais bienveillance.

Bienveillance. Avait-il donc immaculé ? Avait-il réussi ? N’allait-il donc pas mourir ? Le manteau de soulagement l’enveloppa si bien que bientôt il fut totalement sien. Son coeur s’apaisa, même si ses orbes sombres pétillaient encore bien trop d’or.

Douleur. Tout son corps hurlait douleur.

Peur. Tout son coeur pleurait sa peur. Allait-on encore le menacer ? Lui, le monstre ?

Faim. Tout son esprit criait à la faim. Il sentit et vit palpiter autour de lui Mère Magie. Magie, douce magie… qui l’attirait de sa savoureuse senteur… Sa main happa un petit objet non loin, qui vibrait de magie, et tenta de le croquer avec délectation. C’en fut si exquis qu’il en ferma les yeux. Avant qu’une main ferme ne se pose sur la sienne et ne lui retire l’objet des mains. Non, lui disait-on. Non, pas ça. Non, pas de peur à avoir. Non, pas de crainte. On ne lui voulait aucun mal. On allait s’occuper de lui. Naal… beau Naal aux si douces sonorités. Ses orbes sombres soudain plus apaisés s’ancrèrent dans les perles de l’homme et il sembla le dévorer des yeux, incapable de s’en détacher. Il attrapa la main de l’homme et la serra, s’accrochant à lui tel à un navire de sauvetage venant le chercher en pleine tempête.

Faim, parvint-il à croasser. J’ai faim.

Tels furent ses premiers mots de nouveau-né. Des premiers mots, dont, plus tard, il aurait quelque peu honte. Même s’il ne l’avouerait jamais. Une honte savamment calfeutrée, sous le sceau du secret...

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