- 15 décembre 1763
Se battre, c'était tout ce qu'ils leur avaient appris à faire et bientôt... Ils assumeraient le rejet dont avaient été victimes les vampires. Leur haine farouche, CendreLune ne la supportait plus. Il la voyait, dans leur regard, il la sentait par son âme de dragonnier. Leur mépris était aussi abjecte que leurs ronds de jambe si faux. Tout, en leurs mots mielleux, était fallacieux, si mensonger qu'un Cawr s'en serait roulé de douleur, à terre. Il mourrait d'envie d'arracher, de leur précieux visages, tous ces sourires hypocrites. Il mourrait d'envie d'étriper leurs poitrines pour en arracher la satisfaction malsaine qui pulsait dans leur cœur, lorsqu'ils les voyaient ramper aux pieds de la Couronne pour leur survie. L'Antique n'aimait pas la Cour de Sélénia. Les petits jeux des nobles et leurs coups de poignards dans le dos lui donnaient la nausée. Leurs cancans ridicules l'agaçaient et leur opulente richesse, contrastant si drastiquement avec la famine qui s'installait dans les campagnes, pesait sur sa conscience comme des milliers de promesses assassines. Les Kohans avaient laissé gangrener leur entourage. Fort heureusement, tout n'était pas bon à jeter. Dans ce jardin, de belles plantes parvenaient, parfois, à pousser, souvent à l'écart de la jungle étouffante de ces mauvaises herbes. Ailleurs, de bonnes âmes mouraient avant même d'éclore. Il était révolté.
Et c'était avec cette révolte au cœur qu'il avait trouvé Ivanyr quelques semaines plutôt, lui réclamant justice pour le peuple de la nuit qu'on traînait dans la boue. Il y aurait une justice. Il y aurait un paiement pour toutes ces calomnies, pour tous ces regards de travers, pour tout ces petits sourire abjectes ! Il y aurait une nuit, une terrible nuit où les vampires raseraient tout sur leur passage, où ils reprendraient leur véritable place tout en haut de la chaîne alimentaire. Il y aurait un vengeance sanglante et des cris déchirants dans l'obscurité. Il y aurait la peur, dans leurs regards. Une juste terreur qui leur ferait regretter leurs pêchers. Il y aurait les cors de la victoire, sonnant le glas de ce petit jeu de dupes. Et la satisfaction, enfin, d'avoir rééquilibrer les choses. Il aimait les humains. Il haïssait les nobles. Tout ceux qui étaient nés avec une cuillère en argent dans la bouche et qui profitaient sans avoir lourdement travaillé pour parvenir à ce statut. Ils ne méritaient rien. Ils n'étaient rien. Et ils ne seraient plus rien. Ivanyr le lui avait promis... Il serait patient... Mais il était révolté.
Et c'était avec cette révolte au cœur qu'il avait trouvé le terrain d’entraînement de ses pairs. Qu'importait la pluie de décembre qui tombait sur la neige encore fragile et rendait la terre semblable à la boue des cochons à l'étable. Il avait dans son âme cette rage colérique, virulente et violente. Il avait cette ire, les vagues d'un courroux dévastateur. Il n'était pas aussi doué à l'épée qu'à l'arc, mais il était un Antique bien moins raide que les autres cadavres debout. L'épée en main, la lame blanche, il affrontait son pseudo adversaire. Il lui en faisait baver, autant qu'il en bavait lui. L'ast tombait à terre, finissait dans la boue et se relevait. Ses cheveux blonds prenaient la couleur de la terre et l'eau ruisselaient sur sa peau comme pour vainement le laver. Les armes s'entrechoquaient dans un fracas métallique, sa hargne grondait avec véhémence. Les cheveux blonds avaient la couleur ternie de la terre mais son visage, tous crocs dehors, réclamait le combat. Ses yeux étaient ceux d'un prédateur farouche et sa poigne était d'une franchise percutante. Il chargeait réussissait, échouait, tombait à terre et se relevait encore. Il chutait, perdait son épée, mais avec ses poings, il frappait encore. L'instinct bestial de la survie, l'écho de Morneflamme vibrant dans son cœur, souvenir impérissable.
Il était révolté. Et il ne pouvait pas hurler, ici, à Sélénia. Il n'avait trouvé que les bras d'Achroma ou le tranchant de l'épée pour l'apaiser. Enfin, il désarmait son adversaire et le clouait au sol. Victorieux, il n'était un vantard et tendait immédiatement sa main pour aider l'autre à se relever. Il avait bien assez de prestance pour être admiré, même couvert de boue. Ses mires se posaient sur une autre figure qui approchait, à l'abri sous le préau. L'on s'inclinait devant le parangon et même si Toryné n'était pas son clan, il s'inclina avec respect. « Prendrez-vous une épée, Mère ? » Il savait qu'il lui demandait plus qu'un combat. La pluie, la boue... Cela n'allait pas toujours au teint ni à une belle robe... Mais il était dans l'orgueil des vampires de ne pas refuser un combat, au risque de passer pour un lâche. La guerre et le sang, les vampires n'avaient que cela. La loi du plus fort faisait long règne. « Promis, je ferai semblant de perdre... » railla-t-il en faisant mine de murmurer pour sa seule Mère. Un sourire, joueur, venait sur ses lèvres, à l'insolence puérile et provocante qui méritait une bonne raclée.