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22 novembre 1763

Le ciel était d'un bleu immaculé. Un jour d'été implacable. L'ombre était une denrée rare sous laquelle se précipitaient les pas pressés des enfants, ainsi que ceux, lents, des adultes. Silhouettes colorées, richement vêtues d'étoffes fines, allaient et venaient dans des rues chaotiquement diverses. Le brouhaha, les odeurs d'épices et d'herbes aromatiques, et l'architecture, rappelèrent immédiatement à Valmys la Romantique au sein de laquelle il avait pu, jadis, aimer déambuler. Il en avait dessinées, des figures marquées par le soleil, et des places visuellement parfaites. Il avait présenté le son de son psaltérion à ces amateurs d'arts, et avait recueilli leurs sourires jusqu'à ce qu'ils illuminent le sien. Les notes lui paraissaient encore hanter les murs de pierre ocre qui l'entouraient.

Plisser les yeux était nécessaire pour ne pas être ébloui par le soleil et ses reflets. Un doux roucoulement de fontaine se faisait entendre, et la ville savait s'arranger pour faire circuler un vent aussi frais que bienfaiteur en elle.
Ses sandales glissaient sans bruit sur le sol poussiéreux. Ses oreilles et sa queue d'hermine faisaient désormais instinctivement partie de lui. Il s'y était vite fait, appréciant leur présence, dès que ses habits s'étaient adaptés. Contrairement à ce à quoi il s'était attendu, il n'avait pas plus chaud avec un peu de fourrure. Il paraissait même qu'elle avait un certain aspect isolant. Dommage néanmoins que ses oreilles fussent bien trop petites pour lui servir d'ombre. Tant pis, il allait se diriger vers cette place parfaite qu'il connaissait.
Le monde des rêves aidant, il lui fallut à peine quelques respirations et pas pour arriver au bon endroit. Ici, le monde se faisait de plus en plus précis. L'arbre qui occupait la place centrale paraissait plus coloré que le reste du monde. Autour de lui, des statues tenaient lieu de gardiennes muettes et immobiles. Les fontaines étaient une musique qui colorait les carrés d'herbes. Au milieu de tout cela, au pied de l'arbre, installé sur d'épais coussins, il y avait le Roi, l'Hôte du rêve. Reconnaissable entre mille. Il était la personne la plus précise, l'épicentre à partir duquel le rêve naissait. Contrairement à Dawan, il ne pouvait lire chants-noms et sentiments depuis les rêves. Il avait tout juste à disposition ceux qui composaient son environnement. Une nostalgie mêlée de douce appréciation baignait les lieux. Il était dans le sanctuaire d'Ilhan. Rien qui ne soit une intrusion : peinant encore à errer entre les rêves, Valmys avait tout juste cru comprendre que, pour s'y glisser, il fallait au minimum que sa présence soit acceptée par l'hôte. Ilhan l'avait sans doute senti venir, et décidé que cette aura-là méritait de venir en ses rêves.

Honoré, Valmys arrangea sa tenue. Désormais, il était vêtue d'une tenue ample, aux couleurs d'une nébuleuse, qui paraissait magiquement toujours onduler pour cacher de son cou à ses chevilles et poignets. Un plateau d'argent se logea entre ses mains. Sur ce plateau apparurent des friandises qu'il savait chères à Sa Majesté : des petites boules sucrées. Il se hâta de cacher ses oreilles sous un turban, et sa queue sous ses habits. Enfin, il sortit des ombres, en silence, attendant un regard du maître des lieux en guise d'autorisation pour s'approcher. Quand il le reçut, il vint, s'arrêta à une distance respectueuse, et mit le genou à terre, tendant le plateau. Sa voix se fit de poésie, honorant le rêve qui le portait, solennelle, honorant son hôte, et douce, honorant la nuit.

"- Ilhan Avente, je vous salue, et vous remercie de votre hospitalité. Je suis Voyage-Rêve, je suis Chante-Magma. Je suis Héritier des étoiles et fils de la terre. Je suis celui-qui-change-avec-les-saisons, je suis celui-que-regardent-les-esprits. Je suis le fils-de-celui-qui-chante-l'or. Je suis sans-peuple. Un ami commun m'a murmuré votre nom. Il m'a parlé de l'amour en vous qui attendait le terreau pour s'étendre, et de vos blessures qui cherchaient leur médecin. Si vous me l'autorisez, je veux être celui-qui-libère, celui-qui-soigne."

Le plateau se mit à léviter légèrement au-dessus de ses mains, comme pour inciter Ilhan à utiliser également la magie des rêves pour se servir.

"- Votre rêve est magnifique. Je vis Althaïa jadis. Je suis heureux de trouver en vous quelqu'un qui l'admirât et l'appréciât autant que moi. Puissions-nous un jour bâtir à nouveau une terre d'arts et de sciences."

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Perturbé. Il était profondément perturbé par les derniers événements. Ce voyage en Caladon et cette mission avaient été des plus éprouvants pour lui. Non seulement de par la lourde charge qui pesait sur ses épaules, lui tout jeune immaculé, qui se sentait souvent démuni face au monde qu’il apprenait tout juste à réapprivoiser, mais aussi de par toutes les attentes qu’il avait l'impression de sentir sur lui. Son ancien lui semblait avoir été considéré comme quelqu’un de doué et tout le monde semblait attendre qu’il montre les mêmes prédispositions. Les regards lourds des proches de sa maisonnée l'avaient longtemps déconcerté et mis mal à l'aise : ils attendaient clairement tout signe qui montrerait que le maitre de la Toile serait revenu parmi eux. La peur de l’échec, de décevoir, le rongeait, et ce très rapidement après son retour en Delimar. Cette peur de décevoir s’étendait également à sa Reine et au Conseil, quand bien même il n’eut jamais aucune remarque ou geste de sa part lui mettant plus de pression qu’il ne s’en mettait lui-même. Cette peur s’étendait aussi jusqu’à son père vampirique, Aldaron Elusis, avec qui les relations avaient été compliquées lors de cette sombre affaire. Il avait eu la sourde impression, sans doute faussée, de le décevoir. Que son père attendait quelque chose de lui qu’il ne lui avait pas donné. Qu’il ne pouvait lui donner ?

Tant et tant de questions. De doute surtout. Voilà une chose que son ancien lui ne semblait pas avoir beaucoup ressentie : le doute. Ou plutôt la sensation d'être totalement démuni et perdu. Oui, voilà, c'était cela surtout. Il était perdu, désemparé. Il ne connaissait que peu de choses sur ce monde et devait avaler des tonnes d'informations afin de se montrer à la hauteur de ce que les autres semblaient attendre de lui. Ou alors si l'ancien Ilhan avait ressenti de telles choses, il l’avait bien caché. Car rien dans les souvenirs qu’il avait pu lire et voir ne lui indiquait qu'il ait pu ressentir un tel malaise latent. Ce doute lui collait à la peau et il peinait à s’en défaire.

Un doute qui s’était renforcé de mille questionnements aussi, suite aux derniers événements. Il avait déjà eu affaire aux Brise-Sorts, en tant que humain, mais en tant qu’immaculé aussi. Il connaissait assez bien leurs préceptes, leurs valeurs, cette volonté de raisonner l’usage de la magie. Il avait été déjà vertement réprimandé quand il avait voulu manger de la magie, délice des délices fort tentant pour lui. Mais que certains d’entre eux en viennent à de telles extrémités, montrant alors leur désespoir et leur désarroi envers cette cause, plus que toute autre chose, agitait son esprit. Il savait avoir déclenché par le passé des incidents magiques qui auraient pu avoir de lourdes conséquences. Il avait eu vent aussi de certaines catastrophes qui avaient eu lieu, dont ici en Caladon tout particulièrement. Il avait compris les enjeux de ces changements majeurs au sein de la magie. Il pouvait même dire qu’il les "voyait". Il voyait la trame, pulsante, vibrante, et tous les souvenirs qu’il avait pu lire sur les apprentissages de la magie de son ancien lui prenaient plus de sens encore. Mais si avant, en tant qu’humain, il avait eu grande peine à développer son potentiel magique, il sentait maintenant la magie vibrer en lui. Il était magie, elle faisait partie intégrante de lui. Devenu race magique, était-il alors un usage raisonné et raisonnable de la magie ? Où commençait et où s’arrêtait un usage raisonnable ? Les incidents magiques prouvaient qu’il ne fallait pas jouer avec elle, certes. Et il espérait que les lourds impacts, que ces bouleversements dans la trame avaient entrainés, allaient faire prendre conscience à toutes les peuplades de l’archipel de l’importance et de l’urgence de la situation. Mais au-delà de cela ? En faire usage quand rien d’autre n’était à disposition ou qu'en cas d’urgence ? Il peinait parfois à voir réellement les limites que les Brise-Sorts voulaient leur inculquer. Il s’était pourtant engagé à les aider dans cette voie… et pour cela, il allait devoir comprendre pleinement ce que signifiait "raisonnable"… Vaste programme pour lui.

Il était si perturbé qu’il avait peiné à s’endormir. Et même une fois plongé en plein sommeil, il avait pris pleinement conscience de son rêve. Il s’était souvenu alors de ce qu’il avait lu de sa rencontre avec un certain Dawan dans un rêve, et il s’était amusé alors à le modeler. Il avait tenté de reproduire l’Althaïa qu’il avait vue dans son Livre… et dont il commençait à se souvenir lui-même tout doucement. Car oui, il n’avait quasi aucun souvenir proprement dit… mais des images de la belle Romantique lui étaient revenues. Comme si elle faisait, elle aussi, partie intégrante de lui, au point qu’il lui avait été impossible de totalement l’oublier.

Puis, il se souvint que, dans sa première rencontre, Dawan lui avait dit qu’il serait toujours là pour lui. Qu’il n’aurait qu’à l’appeler. Son esprit était si agité… peut-être le Chante-Ciel pourrait-il l’aider ? Il appela à l’aide alors. Aussi fort que son esprit le pouvait. Il appela, appela encore, se concentrant, là, assis, dans une position d’apparence sereine, mais qui n’en avait que les attraits. Il appela, appela, et attendit. Il pensait avoir, là aussi, échoué, renforçant encore ce lourd sentiment d’échec et de déception constant, quand enfin il sentit une présence. De peur qu’elle ne s’envole, sur l’instant, il ne réagit pas. Ne fit nul mouvement. Il n’avait pas l’impression qu’il s’agissait de ce Dawan, mais il ne pouvait en être sûr. En tout cas, il ne sentit nul danger, donc laissa son invité entrer et savourer son monde onirique. Et se tut, muselant les pensées de son esprit autant que faire se peut. Puis attendit. Attendit. Attendit encore.

Un fin sourire se dessina enfin quand l’invité prit la parole. Il ne répondit pas de suite toutefois, se contenant d’observer son hôte avec fascination et curiosité.

Une énigme dirait-on ? Soit ! Il était devenu un expert en la matière. Son ancien lui n’avait eu de cesse de tester la vivacité de son esprit avec des énigmes de plus en plus ardues. Il serait bien capable de décrypter celle-ci. Déjà l’invité connaissait son nom. S’étaient-ils déjà rencontrés dans le passé ? Voyage-Rêve… Quelqu’un qui maitrisait bien le monde des rêves, ce qui était logique s’il était parvenu à répondre à son appel à la place de Dawan. Quelqu’un qui maitrisait plus ce monde que lui, peut-être même. Chante-Magma ? Hum… Cela ne lui disait rien. Un Baptistrel ? Héritier des étoiles… Le seul Chante-Ciel qu’Ilhan connaissait était Dawan. Cet individu aurait-il un lien avec lui ? Cela expliquerait comment il avait entendu son appel et avait pu y répondre. Et pourquoi son esprit ne sentait aucun danger en cet être-là, tout d’éther et de lumière, magnificence des rêves incarnée.

Fils de la terre… Baptistrel de la Terre ? Il avait entendu parler d’un Baptistrel de la Terre ayant été intronisé lors du rituel du Baôli… Serait-ce… Fils-de-celui-qui-chante-l'or… Fils d’Aldaron ? Serait-ce… ?

Et soudain, Ilhan écarquilla les yeux et son sourire s’agrandit, et de stupeur et de contentement pur. Valmys Neoleen Elusis ? Son… frère ? Celui dont il avait tant entendu parler, mais qu’il n’avait encore jamais rencontré réellement ? Oui, c’était bien lui ! Et il était en lien avec Dawan, qui semblait lui avoir parlé de lui ! Un étrange sentiment de gêne et de honte l’étreignit quand ses "blessures" furent évoquées. Il n’en avait pas lui-même souvenir. Sans doute n’avait-il aucune envie d’en avoir, car du peu qu’il avait vu dans son livre de vie… Ces blessures n’étaient guère mirobolantes. Humiliantes. Il préféra donc rejeter aussi cette pensée.

Son sourire se ternit légèrement toutefois. Pour autant, quand son "frère" lui offrit d’être celui qui libère, celui qui soigne, l’althaïen répondit d’un léger hochement de tête, encore muet par toutes les émotions qui le submergeaient en un torrent agité. Auraient-ils été dans le monde réel, sans doute ses filaments se seraient-ils manifestés en voletant dans son dos. Mais ici, dans son rêve, son monde à lui, il avait décidé qu’il n’aurait pas de filaments.

Et alors que le silence régnait d’or, il vit le plateau léviter vers lui. Ilhan hésita. Il aperçut les petites boules sucrées qu’il adorait tant, un goût partagé avec son ancien lui qui ne l’avait pas quitté apparemment, et la tentation fut trop forte. Il approcha une main, mais le plateau était un peu trop loin. S’il voulait les attraper, il devrait user de magie… mais… serait-ce un usage raisonné ? Ses anciens doutes et questionnements l’assaillirent de nouveau de plein fouet. Mais après tout… N’étaient-ils pas dans un rêve ? Ici, pas d’incidents s’il en décidait ainsi. Ici, pas d’impacts sur la trame ou la magie, n’est-ce pas ? Alors il se décida, même si une once d’hésitation et de remords le titillait, et fit léviter à lui une des petites sucreries des plus savoureuses. Le goût fit chavirer ses papilles de plaisir, et il en ferma les yeux pour mieux les déguster.

Le soudain compliment lui fit rouvrir les yeux et manqua le faire rougir. Il peina à contenir des larmes traitresses, mais chassa cette émotion étrange et déroutante d’un revers de pensée. Il hocha de nouveau la tête, finit sa bouchée, et enfin osa prendre la parole, ses accents althaïens chantant la Romantique perdue.

C’est moi qui vous remercie d’être venu. Même si je pensais faire venir plutôt un certain Chante-Ciel, je suis... heureux et honoré que vous ayez répondu à mon appel. Vous plus que tout autre.

Ilhan se leva alors avec souplesse et offrit à son frère immaculé un salut digne des elfes.

J’ai beaucoup entendu parler de vous, Valmys Elusis... n'est-ce pas ? Nous serions liés… si ce n’est de sang et de patrie, du moins de famille et de magie. Je m’estime chanceux et comblé de pouvoir enfin vous rencontrer.

Il avait attendu ce moment depuis quelque temps déjà.

Une terre d’arts et de sciences… Voilà un doux rêve que j’aimerais voir réalité, concéda-t-il en un doux sourire. Souhaitez-vous visiter ? Je ne suis pas un maitre dans l’art du rêve. Dawan m’a quelque peu appris… antan… même si je n’en ai pas vraiment les souvenirs moi-même. Je l’ai lu dans un livre que je tenais avant de…

Il laissa sa phrase trainer dans l’air, et un simple geste de main devant lui indiqua l’évidence de la suite. "Avant de devenir vampire et d’immaculer dans la foulée". Son invité devait sans doute être au courant de cela, et comprendrait sans doute ce qu’il voulait dire, sans qu’il ait besoin de s’exprimer pleinement.

C’est un art que j’aimerais mieux maitriser. Il paraît qu’il existe vraiment un monde du rêve, autre que le seul fruit de mon esprit, j’entends. Mais je ne l’ai encore jamais trouvé. Y êtes-vous déjà allé ? Existe-t-il vraiment ? Ou n’est-ce qu’un mythe ?

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Le plateau de sucreries se rapprocha d’Ilhan. Puisque le présent était accepté, il n’y avait plus de raison de le laisser hors de sa portée.
Les mots du maître des lieux au sujet du Chanteciel réveillèrent en Valmys des questionnements que le monde des rêves savait endormir. Il était vrai qu’habituellement, le ChanteRêve était toujours présent pour guider les êtres au sein de cet étrange monde. En cet instant, et malgré ses sens étendus, l’immaculé ne parvenait pas même à sentir la présence de leur commun ami. Il se souvint alors s’être dirigé de lui-même vers Ilhan, mais… Comment avait-il su ? Cela lui avait paru bien naturel, d’un coup. Se pouvait-il que Dawan se soit contenter de l’aiguiller de façon plus subtile qu’à l’accoutumée ? Ou, plus surprenant encore, que le jeune Cawr ait tout fait par lui-même, et que, voyant une personne de confiance répondre à l’appel d’Ilhan, l’ancien Lié de Kaalys les ait laissé seuls ? Bien que probable, l’hypothèse demandait à être validée par un appel à celui-qui-veillait. Pour l’heure, Valmys n’avait aucune réponse à apporter aux tacites questions de son frère. Il ne répondit à ses honneurs que par un sourire qui indiquait la réciprocité du sentiment.

Ce même sourire se fit amusé, fripon, quand Ilhan évoqua les liens qui les liait. L’hermine était particulièrement fière de n’être pas encore percée à jour dans son lien de peluche à enfant. Ainsi son rôle pouvait-il perdurer.
Lui aussi avait beaucoup entendu parler de son nouveau frère, y compris hors des incitations du Chanteciel à prendre soin de lui. Il se souvenait de la panique en apprenant que, tout vampire qu’il était devenu, Ilhan s’était tout de même dirigé vers Délimar. Il se souvenait aussi du soulagement en apprenant son immaculation, et ce lien qui s’était dessiné entre eux. Ilhan était un adelphe particulier, qu’il n’aurait jamais osé espérer. Un homme plein de ressources, un grand frère avec moult leçons à lui apprendre sur ce bas-monde et ses ficelles. Mais l’oserait-il seulement ? Vis-à-vis d’Eleonnora, le lien avait été aisé à créer. Elle était facile à embêter, donc à choyer. Ilhan était si discret quant à ses émotions ! Oserait-il donner à Valmys une place qui aille par-delà le protocole ? Comment pouvaient-ils créer ces liens forts de ceux qui pouvaient tout partager ?

La réflexion avait jadis hanté Valmys. Désormais, il savait plus ou moins comment faire. Encore fallait-il y parvenir. Il voyait plus ou moins comment s’y prendre, et si Ilhan voulait découvrir le monde des rêves, cela pouvait s’y lier. Le voyage-rêve se redressa, ouvrit les bras, et les mots lui vinrent si aisément que lui-même s’en trouvât surpris :

“- Voyez autour de vous. N’est-ce pas votre rêve ? N’y suis-je pas ?” Pour lui, bien des éléments pouvaient se déduire de ces deux seules questions rhétoriques. Devinant que ces mots, qui n’étaient de lui, pouvaient paraître sibyllins, il voulut préciser : “Voyez les constellations ? Vous êtes une étoile.” C’était là la description la plus précise qu’il put faire du monde des rêves. Un ensemble d’étoiles composées par les créations des esprits. Dès lors, vouloir appréhender le monde des rêves impliquait d’appréhender son propre esprit… Et celui des autres. Si ce premier point pouvait être aisé pour Ilhan, Valmys craignait que la nécessaire aisance envers les sentiments et émotions lui soit plus ardue. Enfin, il y avait ce savoir secret, non par avarice, mais parce qu’aucun mot ne le décrivait. Ce petit savoir secret permettait de passer de rêve en rêve.

“- Marchons dans les pas de votre apprentissage. Voir Althaïa ne m’intéresse pas, je m’en souviens très bien. Montrez-moi plutôt votre palais. Montrez-moi jusqu’où votre imagination peut aller par amour de votre terre, sans limite aucune. Alors je vous montrerai une bibliothèque comme vous n’en avez jamais vue.”

Il eut un sourire en coin, fier de sa proposition. Il avait bien plus à offrir à son frère en “récompense” de sa création. Il ne pouvait lui dire tout de suite, ou cela risquait de brider celui que l’autre monde maintenait trop fermement en ses terres.

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Les premières réponses de son invité, au-delà de se montrer bien sibyllines, ne lui donnaient aucune réelle information. Il avait soudain l’impression d’avoir devant lui un Baptistrel ne voulant répondre et détournant les questions, pour mieux évincer les réponses. C’était là le genre de réponses qu’il avait apparemment souvent entendues au Domaine, de ce que son moi d'antan lui avait montré. Et qui l’avaient parfois souvent frustré. Il se demandait si son "frère" tentait par là de l’amener de lui-même sur le sentier des réponses ou s’il lui indiquait… que le monde dont il parlait, le monde qu’il évoquait et rêvait de visiter un jour, le val de Gle'Elendra comme il avait entendu le nommer, n’existait pas.

Quant à être une constellation… Il avait lu des légendes Graärh évoquant la même chose, la même croyance. Pour sa part… eh bien pour sa part son scepticisme le retenait d’y porter foi. Mais peut-être son invité parlait-il au figuré ? Peut-être voulait-il lui dire alors, que chaque être en ce monde était une étoile, un éclat rare et précieux, dont l’esprit créatif était un cadeau exquis capable de les mener dans tous les cieux ? Le monde des rêves était-il donc cela ? Une constellation d’étoiles dont ils étaient chacun une lumière unique ? Était-ce cela que son frère cherchait à lui faire comprendre ?

Soudain dubitatif et peu confiant d’avoir réellement compris, l’althaïen fronça les sourcils et son regard se rembrunit de scepticisme et de questions contenues.  

“- Marchons dans les pas de votre apprentissage. Voir Althaïa ne m’intéresse pas, je m’en souviens très bien. Montrez-moi plutôt votre palais. Montrez-moi jusqu’où votre imagination peut aller par amour de votre terre, sans limites aucune. Alors je vous montrerai une bibliothèque comme vous n’en avez jamais vue.”

Cela ne répondait toujours pas à ses questions. Et le froncement de sourcil s’accentua encore. Ilhan ne répondit pas de suite. Pas un mot, pas un geste, alors qu’il dardait un regard sombre et perçant sur son invité. Montrer son palais ? Mais lequel ? Il n’en avait jamais eu ! De belles demeures oui, mais point de palais ! Et il n’en avait jamais rêvé. Il aimait son confort oui, mais, même s’il aimait l’aisance des grands espaces, il préférait le cocon d’un beau manoir, plutôt que la froideur d’un immense château. Une bibliothèque comme il n’en avait jamais vue ? Plus belle encore que celle du Domaine ? Scepticisme encore l’étreignit, qu’il peina à réfréner. En cet instant, ce n’était pas d’un palais ou d’une bibliothèque dont il voulait rêver ! Il voulait voir, visiter, ce lieu qu’on lui avait conté et qui l’attirait tant ! Existait-il seulement ?

Ilhan sentit alors une frustration grandissante monter en lui, devant son impuissance et l’absence de réponse auxquelles il se confrontait, encore. Comme souvent depuis sa renaissance en ce monde. Toujours des "plus tard", "pas encore", "le temps n’est pas venu", "résous d’abord mon énigme et les réponses viendront après"… Il avait soudain l’impression de revivre, ici, dans SON monde à lui, SON rêve, ce monde qui aurait dû être un lieu de réconfort et non d’effort, ce qu’il vivait déjà dans la réalité. Et l’envie de tout envoyer au loin, son frère, son ombre et même Althaïa, de les expulser tous, lui-même compris, de son rêve soudain honni, l’enserra dans un puissant étau. L’émotion fut si prégnante, que ses filaments, qu’il avait pourtant décidé qu’en ces lieux ils ne se manifesteraient pas, commencèrent à s’agiter dans son dos. Puissant contraste tout en agitation spastique, alors que son visage restait un masque poli. Ce ne fut que quand il aperçut leur ombre se dessiner au sol devant lui, qu’Ilhan réalisa. L’émoi qui l’avait encore une fois possédé, malgré ses apparences austères. Ces traitres émotions qui sans cesse se chamaillaient en son esprit pour mieux le torturer de leurs sinistres filets.

Il ferma alors les yeux et inspira profondément. Tentant de calmer ces pulsions lancinantes et ces sentiments perturbés. Il devait calmer ses ondes meurtrières, il devait apaiser son esprit. Il devait redevenir un lac tranquille, sans ondulations traitresses. Il devait laisser le flot s’écouler pour mieux s’en aller. Inspirer, expirer… Même si en ce lieu, ce geste instinctif n’avait aucune utilité, le rituel avait au moins le mérite de lui apporter un semblant de paix. Doucement, les vibrations se calmèrent et ses filaments cessèrent de s’agiter. Pour tout doucement retomber, telle la pluie d’un calme saule pleureur.

Non, il ne devait pas en vouloir à son frère. Ni de ses réponses énigmatiques ni de son petit défi. Il savait, au fond de lui, que Valmys ne lui voulait rien de mal, bien au contraire. Si tel avait été le cas, il n’aurait probablement pas réussi à passer le seuil de son rêve, l’althaïen se serait aussitôt réveillé, aux aguets… Sans compter qu'il s'agissait d'un Baptistrel : il ne pouvait blesser sans perdre ses pouvoirs. Non, aucun mal ne lui serait fait, il n'avait rien à craindre. Et Valmys n’était pas non plus responsable de ses propres émois. C’était à lui d’apprendre à les gérer, les contrôler… Était-ce cela que lui proposait le Chante-Terre ? Apprendre à maitriser son impatience et son bouillonnement pour mieux trouver le chemin ? Lequel, il n’en avait aucune idée. Mais…

Cette méthode d’apprentissage lui rappelait vaguement quelque chose. Lointain écho de ce qu’il avait déjà vécu, ressenti, antan… il sentait cet écho, là tout près… et pourtant si loin. Le souvenir était peut-être à portée de main, mais pourtant déjà il s’envolait de son esprit sans qu’il ne parvienne à le retenir. Et frustration manqua de nouveau le gagner, avant qu’il ne se rappelle sa bonne résolution précédemment. Écouter son frère. Suivre son chemin. Et peut-être apprendre à mieux contrôler ses émotions. Ou mieux les accepter ? Allez savoir…

Mais s’il n’essayait pas, jamais il ne saurait !

Bien, fit-il alors d’une voix atone, tout en se relevant. Je n’ai jamais eu de palais, mais si vous voulez voir celui que j’aurais aimé avoir…

Et aussitôt, il porta son regard au loin. Le sol sous eux se transforma, mélange d’herbe et de sable sous leurs pieds alors nus, tandis qu’un doux ressac chantait tout près. Ils étaient à l’entrée d’une plage. Les dômes majestueux aux courbes raffinées de sa belle Althaïa restaient derrière eux, mais l’immensité de la mer leur ouvrait les bras. Et là, sur un petit surplomb dominant la mer et la belle cité, s’érigeait un domaine, par des arbres et des fleurs caché, grande bâtisse tout en finesse qui semblait toutefois jouer les timides aux yeux indiscrets. Ilhan prit alors, avec force hésitation, la main de son frère, et l’invita à gravir avec lui le sentier partant de la plage. Ils arrivèrent devant une grille ouvragée, aux symboles des Avente et de ses Esprits-Liés, qui s'ouvrit avec majesté à leur approche. Une autre grille, jumelle de celle-ci, se dessinait un peu plus loin, menant à la cité.

Mais Ilhan continua à faire monter son frère, sur ce sentier de sable fin et d’herbe douce, pour monter, monter encore, jusqu’au surplomb, où un soleil couchant les accueillit de ses chauds rayons rougeoyants. Une bâtisse tout de blanc se découpa sur la falaise, et ses belles arabesques envoutantes les invitèrent à entrer. Ilhan ne se fit pas prier, et guida le Chante-Terre. L’entrée les accueillit par deux grands escaliers coulissants, sous sa haute voûte spacieuse où résonnaient les voix, tandis que diverses portes de bois ouvrirent leurs lourds battants, tantôt sur un bureau douillet, tantôt sur une bibliothèque immense, tantôt sur une cuisine au doux fumet. Les étages leur offrirent diverses pièces et chambres, où confort les invitait à diverses activités artistiques, musique ou peinture selon les affinités, ou à un calme repos, dans ce qui aurait pu être un luxe outrancier, mais qui était en fait imprégné du charme althaïen si raffiné. Ilhan les conduisit alors à un balcon, où la mer s’offrit de nouveau à leur vue. Immense, magnifique, terriblement ensorcelante dans son éternel leitmotiv.

Voilà ce que serait mon "palais". Mon domaine.

Et alors qu’il prononçait ses mots, lentement diverses silhouettes se dessinèrent. Devant eux, sur la plage, des enfants jouant plein de joie. Non loin d’eux, de jeunes femmes riant aux éclats. C’est ainsi que, peu à peu, jusque-là pierres vides de fantômes muets, le domaine s’anima de vie et révéla tous ses attraits. Confort et beauté, certes, lui étaient chers en son coeur. Mais plus encore une famille, une communauté… sans eux, lui semblait-il, toutes les richesses du monde n’avaient, au final, aucun intérêt.  

Enfin, seulement alors que le domaine grouillait soudain de vie et exultait de joie, Ilhan se tourna, avec un regard presque triste, vers son frère.

Alors cette bibliothèque ?

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Une bribe d’inquiétude gagna Valmys, alors qu’il découvrait un nouvel aspect de son frère. Ce froncement de sourcils, ce regard sombre… La vampirisation, puis l’immaculation, l’avaient-elles changé, où avait-il toujours été ainsi ? Le tout jeune Chanteterre resta égal face à ces émotions, sa patience et son doux regard en réponse aux accusations muettes de son frère. Non, il ne retenait pas les informations pour le plaisir. Il ne les retenait même pas. Il lui proposait même d’apprendre celles qui ne venaient que par empirisme. Se pouvait-il qu’Ilhan soit devenu… Capricieux ? Dähddy avait-il trop chouchouté celui-là ? Il y avait un côté adorable à trouver dans le terrible maître de la toile quelques traits enfantins.

Valmys oublia bien vite cet aspect adorable lorsque les filaments firent leur apparition, comme de muettes menaces dans le dos de l’hôte de ce rêve. Plus que de la peur, ce fut la déception qui se dessina sur les traits du Voyage-Rêve. Avait-il si mal jugé son ami ? Les filaments s’en furent, n’emportant guère avec eux les doutes de Valmys. Certes, Ilhan était sur la voie qui le mènerait à ménager ses émotions, mais qu’adviendrait-il si sa nature revenait au milieu d’un rêve qui n’était sien ?
Tous deux avaient le temps d’apprendre, et découvrir ce qu’il en était vraiment.

Muet, songeur, et un peu secouée, il fallait l’admettre, le frère d’Ilhan lui emboîta le pas. Il laissa sa main dans la sienne, aussi délicatement que possible. Tous deux devaient réapprivoiser l’innocence du contact, et qu’y avait-il de mieux que leur lien pour cela ?
Les sens du baptistrel se focalisèrent sur la création de son petit frère, sur les choix qu’il faisait, les détails sur lesquels il s’attardait, et ceux qu’il ne réalisait qu’à peine. Le sable roulait de ses infimes craquements sous leurs pieds, tandis qu’ils se dirigeaient sans heurt vers les portes de ce Domaine voilé d’arbres et d’intimité.
Valmys apprécia l’architecture de la bâtisse ainsi que sa décoration pour ce qu’elles étaient : les fruits de l’imagination de quelqu’un avec un vécu et des goûts autres que les siens. Une façon de voir l’esprit d’Ilhan. Ses intérêts se reconnaissaient aussi dans les pièces qu’il lui présenta. Un bureau, une bibliothèque, des lieux de savoirs. Des cuisines, où la gourmandise prenait des atours d’art. Des chambres où cultiver des secrets et le raffinement qui étaient si cher à l’Althaïen. Il y avait comme une odeur de nostalgie, de bien-être, de confort. L’endroit était douillet, et prompt à faire durer les secondes à la façon de ces jours ensoleillés. L’océan lui-même portait en son iode des jours anciens et lents. Appuyé à la balustrade, Valmys observa avec attendrissement les silhouettes qui, peu à peu, venaient animer le décor. Avec une pointe de jalousie, il constata qu’il demeurait des choses humaines que la nouvelle famille d’Ilhan ne pouvait lui apporter.

Jalousie, certes, mais attendrissement également. Il en était là de ses réflexions quand son frère le rappela à sa promesse. Tranquille, Valmys expliqua :

“- Si vous désirez la voir, vous n’avez qu’à vous retourner. “

La fameuse bibliothèque était là. Décevante, en apparente. Elle était plutôt petite, baignait dans une lumière bleue tamisée qui ne devait guère aider à la lecture. Il ne semblait y avoir de classification. Au lieu de cela, la tranche de chaque livre contenait le titre de ce qui aurait pu être une catégorie, en écritures dorées. Pas de nom d’auteur, pas d’illustrations, les couvertures étaient simples, les ouvrages légers. Valmys encouragea Ilhan à se saisir de l’un d’eux, afin dans découvrir la spécificité. Et quelle spécificité ! Les pages étaient vierges. Le contenu des livres venait directement rencontrer l’esprit d’Ilhan, lui présentant images, sons, odeurs, et connaissances, telles qu’elles. Voulait-on une histoire, elle se déroulait à la fois en un clin d’oeil, et dans son intégralité, avec sa propre temporalité. Valmys laissa son frère à ses découvertes, s’imprégner des savoirs qui lui plairaient. Lui-même s’orienta vers l’un des ouvrages, un chant doux s’échappant de sa gorge, inconsciemment. Passé un moment, il osa demander à Ilhan, entre deux livres :

“- Savez-vous pourquoi nul ne crée de tels ouvrages en notre monde ?”

Lui avait sa propre idée de la réponse, et de ce qu’elle apporterait à Ilhan sur le monde des rêves. Il le laissa prendre son temps, répondre. Lui-même était face à un savoir qu’il n’avait pourtant jamais eu et qui, malgré les livres, se teintait de mystère. Comme si un malin Chanteciel s’était brièvement immiscé dans la conversation pour l’orienter, sur un chemin qu’il estimait pertinent. Valmys jeta son livre dans le bassin. Le livre se dissolut, pour réapparaitre sur son étagère. L’eau, en revanche, commença à s’illuminer, de couleurs multiples. Se calmant, les ondes laissèrent place à une image précise. D’abord, celle d’Ipsë Rosea. Puis, un chemin, étroit, non-loin, camouflé par les jeux de lumières sur les roches montagnards. Enfin, un pourtour rocailleux, des arbres bordant une vallées herbeuse, parcourue d’eau, au centre de laquelle se tenait un haut cercle de pierres.

“- Le val de Gle'Elendra, où rêves et réalités de rencontrent. En avez-vous déjà entendu parler, Ilhan ?”

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“- Si vous désirez la voir, vous n’avez qu’à vous retourner. “

Aussitôt Ilhan obtempéra en un geste élégant de volte-face, qui aurait fait voleter sa cape telles des ailes dans son sillage, s’il en avait eu une. Il fut sur l’instant étonné de ne voir qu’une modeste bibliothèque. Rien de la grandeur qu’il aurait pu s’imaginer, lui qui avait rêvé de hautes colonnades et d’immenses allées interminables, pour contenir tout le savoir du monde. Non, rien de tout cela en ce présent offert par son frère. Pour autant…

Pour autant, la création restait captivante. Sa douce lueur bleutée vous invitait à l’intimité, tout en instillant une aura de mystère. De magie. Ilhan pouvait presque la sentir palpiter, et son coeur vibrait en harmonie. Il s’approcha alors à pas comptés, presque hésitant, n’osant toucher les ouvrages qui pourtant captivaient sa curiosité. Nul titre formel, nulle indication, de simples mentions assez vagues, il ne savait alors que choisir. Il avait l’impression que tous l’invitaient à s’en saisir, à les ouvrir, que tous lui murmuraient mille promesses, mille secrets à révéler, mille mystères à découvrir… Mais il restait incapable de choisir, de se décider, et sa main restait là, figée dans l’air, à quelques pouces à peine d’une reliure. Puis passait près d’une autre, et d’une autre encore…

Jusqu’à ce qu’un geste à ses côtés ne l’encouragent à achever son geste. À choisir, là, maintenant, sans plus se poser de questions. Se décider, agir, sans plus réfléchir. Voilà qui lui était peu coutumier. Mais, par la confiance qu’il voulait accorder à son frère, il obéit. Et d’un livre, au hasard, enfin se saisit. Quelle ne fut alors sa surprise de tomber sur une page… blanche.

Non… pas blanche… Pas réellement, réalisa-t-il soudain, quand, peu à peu, la page se couvrit de lettres, puis de mots, de phrases, de dessins… Non, plus encore ! Tous ses sens soudain exacerbés ! L’histoire de la magie, là, sous ses yeux, lui était soudain contée. Du moins de ce qu’on en savait, ne put-il s’empêcher de penser. Car après tout, comment ce savoir-là arrivait-il ici ? D’où était-il tiré ? Était-ce l’essence de la connaissance dans toute son intégrité ? Ou un savoir elfique ou humain, possiblement tronqué ? Mais bientôt, entre l’enivrence de ce nouveau savoir à lui offert et le doux chant harmonieux de son frère, l’althaïen se laissa bercer et vogua sur ces nouveaux sentiers qu’il ne connaissait, sans plus se poser de questions sur leur origine. Chaque ligne, chaque connaissance lui apportait un nouveau flot de réflexion, menaçant de faire exploser son esprit soudain en ébullition.

Et quand soudain des mots résonnèrent de nouveau dans l’air, il sursauta et manqua faire tomber son précieux livre.

“- Savez-vous pourquoi nul ne crée de tels ouvrages en notre monde ?”

Parce que leur savoir serait trop dangereux ?

Ce fut la première réponse qui lui vint. À croire que son esprit paranoïaque voyait le danger par tout et en tout. Mais il sentait qu’il y avait tout autre chose encore derrière.

Parce que… ce savoir est trop intime ? Peut-être aussi parce qu’ils contiennent un savoir très personnel, qui n’est compréhensible que pour la personne à qui il est destiné ? Et avec lequel il ne faut pas jouer ?

Il vit soudain son frère jeter le livre dans un bassin et manqua s’affoler à ce geste pour lui sacrilège. Jeter un livre ! Misère de misère ! Mais il fut rapidement rassuré quand il vit le livre réapparaitre sur l’étagère d’où il venait. Et il contempla alors une scène magnifique, qui enchanta ses sens de jeune Sainnûr. Il observa, captivé, ses orbes sombres pétillant d’or comme voulant refléter l’éclat de ces images tout en eau et couleurs. Il y reconnut vaguement la cité du lac d’Emeraude. Il ne se rappelait pas y avoir été, mais en avait vu la gravure dans un livre en sa demeure. Il fut tenté de suivre le chemin, de le créer, là, ici, dans son rêve, pour le fouler également. Il n’osa toutefois. Une étrange retenue l’étreignit. L’appréhension de toucher là quelque chose d’important, d’ultime, quelque chose avec lequel il ne pouvait jouer. Il sentait, sans savoir pourquoi, qu’il ne pouvait, ne devait, pas laisser sa curiosité l’emporter de façon éhontée sans en savoir davantage.

“- Le val de Gle'Elendra, où rêves et réalités se rencontrent. En avez-vous déjà entendu parler, Ilhan ?”

Aussitôt l’althaïen quitta des yeux le sentier ainsi révélé et se tourna vivement vers son frère. Il fut un instant muet, et d’étonnement et de stupeur, et il lui fallut un moment pour recouvrer sa voix.

Le val de Gle’Elendra ! C’était de ce lieu, dont je vous parlais tout à l’heure ! Alors il existe bel et bien ?

Ses accents chantaient sa joie exubérante et son excitation effrénée.

Il existe donc effectivement.

Son coeur battait chamade, quand bien même il savait que son esprit en était le seul instigateur. Ses filaments dansaient de nouveau dans son dos, mais de joie cette fois, prêts à enlacer son frère pour le faire danser avec lui sous la vague de son émoi. Il se força à se calmer, inspirant et expirant lentement, profondément, et voyant l’ombre de ses fils d’or, il ferma les yeux pour se concentrer et retrouver calme et sérénité. Quand enfin une légère brise d’accalmie flotta en son esprit et vint envelopper avec douceur et fraicheur leur enveloppe onirique, Ilhan rouvrit lentement les yeux.

Y êtes-vous déjà allé ? Je rêverai de pouvoir, un jour, visiter ce lieu moi aussi. Mais… en serai-je seulement digne ? J’imagine qu’en ce lieu seules des âmes faisant montre de contrôle et de confiance peuvent s’y rendre.

Il se mordit légèrement les lèvres et baissa les yeux.

Des âmes belles et chantantes, des âmes nobles et bienfaisantes. Des âmes pures…

Il releva des yeux légèrement embués de larmes contenues.

Des âmes telles que vous. La mienne est sans doute bien trop corrompue...

Tout comme elle était trop corrompue pour qu’il puisse devenir Baptistrel. Son ancien lui avait noté un jour cette pensée dans un de ses écrits. Et cela avait marqué alors le jeune immaculé qu'il était. Et de tout ce qu’il avait lu, de tout ce qu’il avait vécu depuis sa renaissance aussi, il devait avouer ne pouvoir le nier. Il n’était ni blanc ni noir, il était tout de gris. La pureté n’était pas pour lui.

Et pourtant, il avait beau se savoir indigne, corrompu, impur pour ce lieu sans doute magique et magnifique... il mourrait d'envie d'y aller. Et cela se lisait dans ses yeux pétillants.

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Qu’il était attendrissant, son frère, lorsque pour un instant son émerveillement parvenait à écarter les peurs infligées par l’autre monde. Sa joie était contagieuse, par l’énergie qui émanait de lui. Ces filaments qui, plus tôt, avaient inquiété le jeune Cawr, lui faisaient désormais la même impression qu’une multitude de queues de chiots. Cette fois, Valmys fut presque déçu de les voir partir, ces filous qui trahissaient les émotions d’Ilhan.

Il avait beau être jeune immaculé, le maître de la Toile gardait encore en lui ces réflexes qui appartenaient à sa personnalité, à son passé. Ils transparaissaient comme autant d’ombres qui ne le quittaient pas. Valmys regrettait leur présence. Il imaginait de surcroît fort bien combien l’ancien Ilhan aurait souhaité s’en débarrasser également. L’envie de tapoter l’épaule de l’hôte de ce rêve lui vint, contenue par de semblables souvenirs. Alors il s’essaya à lui tapoter l’épaule de sa voix :

“- Vous savez, je peine à croire à ces notions de pureté. Elles sont entachées de bien trop de jugements de mortels bipèdes pour me convaincre. Je ne pense pas que le Val s’y attache - et je ne pense pas que vous devriez vous y attacher également. Pour moi, votre pureté définit moins votre valeur que vos intentions.”

Il était confiant, envers son frère. Ce frère pleurait la mort de ses araignées, et grattouillait le ventre des hermines. Jamais il n’utiliserait le monde des rêves à mauvais escient, c’était certain. Un autre point venait confirmer cela. Un rire d’enfant, venu de l’eau, fit onduler la surface du val.
Le voyage-rêve prit le temps de s’assoir au bord du bassin, comme pour se rapprocher de l’image qui s’y dessinait.

“- Je ne connaissais pas même le val avant que ce livre m’en parle. Je soupçonne un ami commun de vouloir nous y emmener. Et s’il y a une chose que notre soeur m’a appris, c’est que les voyages scellent les liens !”

Dans le bassin, au centre de la bibliothèque, un souvenir apparut : Eleonnora envoyant son convoi au loin, restant seul avec Valmys, au moment où ce dernier lui rappelait que la magie n’était pas encore fonctionnelle et maîtrisée. Les images disparurent, et les voient qui étaient venues s’effacèrent dans un soupir. Le Valmys du présent avait un sourire amusé. Le val des rêveurs se dessinait à nouveau, à fond de l’eau cette fois.

“- Je ne sais s’il existe un chemin par le monde des rêves pour y accéder. Nous devrions pouvoir y accéder par la voie qui nous a été montrée, dans l’autre monde…”

Mais cela impliquait un sacré voyage. Leurs occupations les accaparaient souvent, et impactaient trop de gens pour qu’ils puissent ainsi partir dans une aventure qui n’intéresserait qu’eux. Restait alors ce temps qu’ils volaient à la vie la nuit, et qu’ils pouvaient désormais partager. Peut-être qu’Ilhan connaissait déjà des clefs pour se rendre dans le val. Peut-être ne pouvaient-ils trouver qu’à deux, l’un ayant un pied dans le monde des rêves, l’autre s’attachant encore au monde physique. Dans tous les cas, leur ami commun ne semblait pas davantage vouloir les aider.
Se détournant de l’eau pour dévisager à nouveau celui qui était son frère et son lié-par-les-songes, Valmys reprit, sur un ton moins rêveur, mais tout aussi doux :

“- Me craignez-vous, Ilhan ? Vous cachez ces filaments étranges qui semblent répondre à vos émotions…”

Jamais il n’utiliserait ces derniers contre lui. Bien au contraire : elles pouvaient être de véritables leviers pour l’aider à avancer. Si tous deux devaient avancer par l’esprit dans un monde inconnu, mieux valaient qu’ils puissent pleinement se réfugier l’un vers l’autre, sans ambages.

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Ne pas s’attacher aux notions de pureté… Cela semblait si facile à dire. Pourtant ces paroles firent écho en lui sans qu’il ne sache vraiment pourquoi ni comment. Les mots vibrèrent en son coeur, frappèrent son âme et s’ancrèrent là, se nichant au plus profond de lui, pour qu’ils deviennent partie intégrante de lui, qu’ils ne le quittent plus et qu’ils ne les oublient jamais. Ces mots, même s’il ne parvenait encore à en comprendre toute la portée, toute la signification, même s’il ne parvenait encore à y croire et les faire siens, il voulait les chérir à jamais. Ne serait-ce que parce que c’était là les tout premiers conseils de son frère. Des conseils empreints d’une sagesse étonnante.

“- Votre pureté définit moins votre valeur que vos intentions.”

Cela aussi faisait écho en lui. Mais cette fois de façon bien plus directe, bien plus concrète. Et pour cause : ces mots reprenaient presque l’adage de la famille Avente.

Notre passé nous forge, notre présent nous lie… Et nos intentions enfantent notre avenir, murmura-t-il alors, répétant cette maxime qu’il avait (ré)apprise par coeur.

Une maxime qui avait résonné en lui dès qu’il l’avait lue. Il en avait pressenti toute l’importance pour lui. Il sentit alors comme un poids s’échapper et alléger son coeur. Il n’avait pas eu conscience de combien il était lourd de tant de peurs, d’angoisses et de tristesse, jusqu’à cet instant. Il offrit alors un doux sourire à son frère. Une pulsion lui soufflait d’aller l’enlacer, là, maintenant, sans plus attendre, pour lui témoigner toute sa reconnaissance et, oui aussi, toute sa tendresse naissance qui le poussait vers lui. Mais un rire d’enfant résonna soudain dans l’air et l’arrêta dans son élan. Ce rire, sans qu’il ne sache vraiment pourquoi, fit vibrer une émotion vive en lui, une onde lointaine, un écho d'antan.

Ce fut, ému, sans comprendre en quoi ni pour quoi, qu’il regarda son frère s’asseoir au bord de l’étrange bassin, et qu'il admira la scène qui s'y jouait. Une silhouette, vague, à peine dessinée, y courait. Une silhouette qui, peu à peu, sous le regard ardent du maitre du rêve prit la forme d’un petit garçonnet… un garçonnet qui aurait pu être Ilhan jeune, quand il n’était encore qu’un enfant, mais qui présentait quelques petites différences. Un garçonnet… plus tel le fils de son père que le reflet du père enfant. À cette image, un sourire doux étira les lèvres du Tisseur. Il aimait déjà ce garçonnet, pourtant fruit de sa pure imagination. Il peina alors à en détacher les yeux quand son frère reprit la parole.

Sa sœur ? Le Chante-Terre avait une sœur ? Ce qui voulait dire… qu’il en avait une lui aussi ? Il fut sur l’instant tenté de poser la question de cette identité. Mais la mention du Val chassa toute autre curiosité de son esprit. Le Val… Oui, il voulait y aller, il le désirait ardemment. Et si, comme le disait Valmys, Dawan les y poussait, alors peut-être devaient-ils s’y rendre ? Tous deux, ensemble…

Il en était là de ses pensées, quand soudain l’image d’un souvenir, d'un souvenir qui n'était pas sien, se dessina dans le bassin. Il aperçut clairement la bourgmestre Eleonnora Ostiz, là, proche de la silhouette éthérée de son frère qui elle aussi se dessinait. Ilhan observa, fasciné, la scène… Était-ce elle, sa sœur ? Il savait, avait lu plutôt, qu’effectivement Aldaron avait été proche d’Eleonnora, l’enveloppant de sa protection bienfaitrice comme d’une cape chaude, mais de là à faire de cette cape une protection paternelle ? Ainsi Aldaron aurait également adopté la jeune Ostiz ? En voilà une révélation.

Et quand elle le frappa de plein fouet, l’althaïen ne savait plus sur quelle émotion danser. Il était partagé entre la jubilation du Tisseur d’obtenir une telle information de taille, la surprise de la nouvelle et… l’appréhension de tout ce que cela impliquait. Sa sœur l’avait quand même braqué d’une arme sur la tempe, de ce qu’il avait lu de son Livre de Vie ! Il pressentait de plus en plus que la vie de "famille" au sein des Elusis pouvait s’avérer des plus compliquée. Quelles autres surprises et révélations l’attendaient au tournant avec une telle parenté ? Non qu’il la regrettât. Il chérissait l’attachement qui le liait à celui qui avait voulu le sauver, envers et contre tout, même contre lui-même. Certes, Aldaron n’était pas le seul, il pouvait compter Kehlvelan et Naal dans le lot, et Tryghild aussi d’une certaine façon. Mais Aldaron avait enfreint des lois universelles pour le sauver, et témoignait là d’une volonté farouche de le garder dans ce monde. Dans son monde.

Prenant conscience soudain du tour que ses pensées prenaient, Ilhan secoua la tête pour en chasser ces songes et revenir au temps présent. Au temps avec son frère. Un temps précieux, un temps compté. Et la question soudaine de ce dernier fit envoler les dernières bribes qui l’accaparaient encore. S’il le craignait ? Stupéfait, muet de surprise, Ilhan en resta un instant bouche bée. Il parvint à reprendre un tant soit peu contenance, s’humecta les lèvres, et… réfléchit posément à la question. Peut-être son silence, son manque soudain de réponse, serait pris pour une affirmative. Mais pour lui, c’était la marque d’une réflexion sincère pour donner une réponse honnête. Il s’était fait la promesse de tout faire pour ne pas faire souffrir son frère. Il ne savait si la douleur des Baptistrels pouvait se manifester dans ce monde-ci aussi, mais il préférait ne pas tenter l’expérience.

Je ne vous crains pas vous en particulier, répondit-il enfin d’une voix presque solennelle.

Il ne mentait pas. Cette réponse lui venait du coeur, réellement. Du plus profond de lui-même.

Je crains en fait tout être, je pense. Je me crains moi-même aussi, je crois. Je crains… Je crains d’en révéler trop sur moi, et que ce trop soit retourné contre moi telle une arme. Je crains… je crains également…

Il déglutit, peinant à mentionner ce qu’il pressentait parfois grandir en lui, et qu’il peinait toutefois à accepter pleinement. Il avait peur que, de le dire, là, tout haut, même si en rêve, fasse que ce qu’il craignait devienne réalité… Mais, après tout, son frère n’était-il pas venu pour cela ? Pour qu’il regarde la vérité en face, et que tous deux apprennent à se connaître, sans secret, sans mensonge ? Dans l’entière et pure vérité ?

Tant de choses en fait.

Ce monde lui semblait si abrupte, si violent, si cupide, parfois si futile... Il craignait beaucoup oui. Il craignait aussi de ne pas être à la hauteur, de décevoir, de manquer à son devoir, de ne pas être digne de ce qu'on attendait de lui. Il craignait... tant et tant de choses... Toutefois, il en craignait une par dessus tout.

Mais je crains surtout mes émotions, si je veux être honnête. Qu’elles en révèlent sur moi, plus que je ne le voudrais, et plus que je ne supporterais à accepter. Qu’elles prennent également tout contrôle sur moi et que j'en devienne leur esclave… J’ai..

Il inspira, avant de continuer dans un murmure :

Mon moi d’avant a laissé beaucoup d’écrits pour que je tente de retrouver mes souvenirs. Dedans j’ai lu et vu qu’il avait tout fait, toute sa vie durant d’antan, pour apprendre à se contrôler, à se maitriser. Pour apprendre à ne pas s’attacher aussi, même si je crois qu’au final il a échoué sur ce dernier point.

Un fin sourire, teinté d’une douce tristesse, fleurit sur son visage.

Quand je suis revenu à Delimar, on m’a conseillé… de tout faire pour sembler être toujours lui. Lui, l’humain. Lui, qui cachait ses émotions. Lui qui ne laissait rien transparaitre. Que ce pourrait être dangereux si certaines choses se savaient, pour moi, mais aussi pour d’autres. Alors j’ai fait ainsi. J’ai tenté de le… copier. De me maitriser. Mais…

Il renifla, d’un air légèrement dépité.

Je sens des émotions vives s’agiter en moi et je peine à réellement les contrôler. Je crois que ces filaments, qui viennent de je ne sais où, en sont la manifestation refoulée. Et c’est de cela que j’ai peur. Si je ne peux les contrôler, ne vont-elles pas finir par me contrôler elles-mêmes ? Elles sont des fois si fortes, et j’ai tant de peine à les maitriser, que les filaments se manifestent pour elles. J’ai peur alors…

De moi, de ce que je pourrais faire, fut-il tenté de répondre. Mais il avait encore du mal à accepter ce fait-là. Il l'avait déjà avoué une fois, là, à son frère, le répéter serait trop pour lui. Bien trop réel, bien trop concret.

J'ai peur de ce qu’ils pourraient faire alors. Je ne les contrôle pas, je ne me contrôle pas, et je ne sais de quoi ils seraient alors capables. J’ai peur… qu’il m’entraine sur des sentiers irréparables qui me lieraient dans l’esclavage du regret. J’ai peur… d’eux. C’est eux que je crains. Et tout ce qu’ils représentent.

Voilà tout était dit. Ou presque. Il manquait une petite partie. Eux étant lui, s’il les craignait eux, il se craignait lui… mais il espérait que son frère saurait lire entre les lignes et comprendre ce qu’il ne parvenait à exprimer jusqu'au bout.

Un doux mais lourd silence s’installa alors. Un silence qui devint bien trop pesant à Ilhan, après ces révélations un peu trop délicates pour lui. Alors, il chercha à s’évader. Et aussitôt, une idée lui vint. Doucement, lentement, le paysage autour d’eux changea du tout au tout. Ils se retrouvèrent en Calastin, tout près d’Ipsë Rosea. Le chemin, étroit se dessina, sur les roches montagnardes. Puis le fameux pourtour rocailleux, les arbres bordant cette vallée où un cours d’eau sinuait parmi les hautes herbes d’eau, et en son centre s'érigea, lentement, le haut cercle de pierres. Ilhan fut fier de sa création. Ou plutôt reproduction. Tous deux se tenaient dans la vallée, le haut cercle de pierres non loin, à plusieurs foulées de pas.

Ilhan se tourna alors vers son frère, un sourire soudain taquin et joueur aux lèvres, une lueur pétillante d’or et d’amusement au fond de ses orbes sombres.

Puisque nous ne pouvons nous y rendre de suite dans le monde réel, qu’est-ce qui nous empêche d’aller le visiter, l’imaginer, de nous-mêmes ici ?

Sa lueur joueuse s’illumina plus encore, quand il reprit, presque en criant, tel un enfant :

Le premier arrivé a gagné !

Et aussitôt il s’élança vers le cercle de pierres, courant sans plus penser à rien. À rien, sinon au Val et à son frère. À ce pays qui tous deux les appelait.

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Cela faisait beaucoup de peurs et beaucoup d’émotions dans un si petit corps, fragilisé par les devoirs qui lui incombaient. Valmys dévisagea son petit frère avec tendresse, songeant à tous ceux qui l’entouraient et ne devaient voir en lui que la force qu’il s’efforçait de singer. Ce n’était pas là la véritable force d’Ilhan Avente, et le Chanteterre commençait à secrètement juger tous ceux qui ne parvenaient à comprendre combien il était parfait à sa façon. Avec ses émotions, ses craintes, ses doutes, et cette bonté qui l’avait poussé à endosser directement une identité sans même avoir le temps de se forger la sienne, parce que cela arrangeait d’autres personnes. Ce n’était pas là une façon de traiter les êtres. Valmys espérait doucement que Tryghild n’avait pas eu son mot à dire dans cette maltraitance.

Un silence s’était installé, intime. Presque trop intime pour un nouveau-venu comme le voyage-rêve. Sans se mouvoir le moins du monde, il fit glisser un soyeux châle aux motifs astronomiques sur les épaules du Sainnûr nouveau-né, espérant qu’il s’en sentisse moins vulnérable. Du haut de sa double décennie, et malgré ses facilités à l’apprentissage, Valmys se sentait bien stupide sur l’heure, ignare de ce qui eût pu porter quelque chaleur au coeur de cette lueur cachée sous les braises. Dire que c’était lui qui l’avait amené à parler, sans même s’interroger sur les conséquences, et son habilité à les mener vers le meilleur. Piètre baptistrel qu’il était. Dire que la Terre le portait en estime, quand il n’était pas même capable d’être aussi nourricier qu’elle.

Toutefois, il y avait peut-être un mot qu’il pouvait dire. Sans savoir si cela venait de lui, de leur ami commun, ou des deux. Peut-être n’était-ce jusqu’un de ses enseignements qui n’avait attendu que cette heure pour être transmis, sans même attendre d’être accepté par son porteur. Une sorte de message. Valmys eut un fin sourire en coin, presque amusé.

“- Une créature tenue en cage : pensez-vous que la cage soit un contrôle, ou un aveu à l’échec d’une amitié ?”

C’était peut-être bien là le seul conseil qu’il avait, et la seule formulation qui faisait sens. Ilhan trouverait sans doute ce qu’il y avait à en retirer.

Néanmoins, quelque réflexion qu’il y eut à faire, ils n’étaient pas en lieu pour cela. Le monde des rêves était bien trop éphémère, bien trop remuant et proche de l’âme pour supporter que les enfants qui y vivaient se montrassent sages. Les bibliothèques se muèrent en collines et en arbres, le bassin disparut, laissant Valmys assis dans un vide bien plus respectueux de la forme naturelle de son séant. Tout conditionné qu’il était par l’autre monde, le baptistrel se leva, comme pour ne pas vexer quelque déité sensible au réalisme des choses. Son regard parcourut les environs, en appréciant le réalisme et le soin qu’Ilhan avait porté à sa création. On s’y croyait, oui ! Un nouveau sourire vint éclairer le visage du Chanteterre, à l’image de son frère écartant ses doutes pour de l’insouciance, qu’elle fut sincère ou non. S’il s’éprenait ainsi de ces valeurs en ce monde son sommeil ne pouvait qu’être meilleur.

Valmys tenait à son rôle de Grand Frère. Alors il courut aux côtés d’Ilhan, en veillant à ne pas le dépasser, mais à rester assez proche pour lui donner quelque challenge.
Au début, ce fut une simple impression, vaguement surprenante. Le vent de sa course, qu’il percevait. Puis ce furent les herbes, qui chatouillèrent ses jambes, les piquaient parfois. La sensation avait quelque élément qui le gênait, comme si ce n’étaient pas là ses sens oniriques qui les percevaient. Ses sens de l’autre côté du voile des rêves s’éveillaient à cela, et ses réflexes de mortel menaçaient de l’attirer hors des rêves… Mais où ? Dans ses draps ? Dans les herbes ? La magie se montrait soudain bien chaotique. Valmys la ressentait désormais de la même façon que l’air, comme une saturation d’invisibles subtiles particules qui venaient emplir ses poumons. Par les huit, l’air était saturé de magie ! Son corps éveillé, celui qui ne courait pas, passa de lourd à léger, de léger à lourd…
Une vague d’angoisse qui ne venait pas de lui traversa Valmys. Dans sa tête, une voix cria, paniquée :

“- Cours, Valmys, cours !”

L’attention de Valmys fut dès lors reporté sur ce terrible défi fraternel, écartant ses questions et, avec elles, le risque qu’il venait de prendre. Ilhan avait effectivement quelques foulées d’avance. Mais il n’avait jamais été question de le faire gagner. Le secret des grands frères, c’est de pousser les petits par-delà leurs limites ! Le voyage-rêve attendit le bon moment, peu avant la ligne d’arrivée, pour amasser sa volonté, et se téléporter au niveau du cercles de pierres.

Du moins, c’était là ce qu’il aurait voulu. Il fut téléporté à l’orée du cercles de pierre, se heurtant violemment non pas à une barrière, mais à une sorte d’interdit. Choqué, perplexe, et frustré de n’avoir pas pu remporter la course avec autant de brio qu’il l’aurait voulu, Valmys resta un instant coi, le regard rivé vers ce mirage constant qu’était le centre du cercle. Les demi-sensations des herbes, de l’air, les odeurs, la fatigue, tout lui était désormais commun. Dawan, lui, avait détourné son attention pour la porter sur Ilhan, l’encourager à aller par-delà les étrangetés que comportaient cet endroit, et veiller à ce qu’il demeurât au coeur du monde des rêves. Lorsqu’Ilhan eut rejoint Valmys, il murmura :

“- Faites attention à vous avant tout.”

Valmys l’avait-il entendu ? Faisait-il semblant de ne pas l’avoir entendu pour prendre soin d’eux ? En tout cas, il ne répondit pas à cette voix venue de nulle part. Au lieu de cela, il se tourna vers Ilhan.

”- J’ai voulu me téléporter au centre, je n’ai pas p-ah !”

Son doigt, qui s’était levé pour indiquer le centre du cercle, venait de lui transmettre moult sensations imprévues : du froid, un léger frémissement, comme une impulsion électrique. Surpris, le Chanteterre s’écarta d’un pas, sans quitter du regard l’objet de ses désirs : l’objet d’une quête.

”- …Cela a l’air dangereux. Peut-être ne sommes-nous pas prêts. Peut-être devrions-nous juste l’étudier, de loin. Je ne sais pas. Je n’ai jamais vu de chose pareille, et je n’ai pas accès aux vibrations ici.

Sa voix portait des notes d’inquiétude, ainsi qu’une tacite demande à l’intention d’Ilhan. Il sentait bien que son jeune frère était d’humeur joueuse, d’humeur à affronter le monde et ses limites. Il ne voulait pas perdre son frère au nom d’une joie éphémère. Il ne voulait pas même le perdre pour la science. Il voulait juste qu’il se raisonnât.
Valmys était prêt à mettre un bras en travers du chemin d’Ilhan si ce dernier daignait vouloir s’approcher.

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Ilhan chérirait ce châle magnifique que venait de lui offrir son frère. Même si cela n’était qu’en rêve, et qu’il ne le retrouverait pas dans le monde réel, il avait l’intime conviction que ce châle ne le quitterait plus. Qu’il serait toujours sur ses épaules, à l’envelopper de sa douce chaleur protectrice et qu’il serait un rempart contre toutes ses peurs, toutes ses craintes… un refuge qu’il pourrait retrouver, même si en pensées, dans les moments d’adversité. Il aurait aimé pouvoir offrir de même à son frère, mais la seule chose qu’il parvint à lui donner en retour fut un sourire doux et plein de chaleur, comme rarement il s’autorisait à offrir. Un sourire vrai, sincère, dénué de son habituel rictus énigmatique derrière lequel il cachait toutes ses pensées, ses traitresses émotions. C’était là la seule chose qu’il semblait, pour l’instant, capable d’offrir. Son esprit comme figé par la surprise du cadeau reçu et de sa valeur inestimable, alors incapable de créer la moindre chose en retour, qui aurait pu égaler ce don unique et fraternel.

“- Une créature tenue en cage : pensez-vous que la cage soit un contrôle, ou un aveu à l’échec d’une amitié ?”

Ilhan se tut à cette question. Fronçant simplement les sourcils sur l’instant. Ses émotions ? Une créature tenue en cage ? Devaient-elles être ses amies ? Pouvait-il s'attacher à cela, lui qui avait lu dans la vie de son lui humain que les émotions étaient traitresses, dangereuses, des armes que l’on pouvait aisément retourner contre vous, qu’elles étaient malvenues et bien trop versatiles pour pouvoir leur laisser libre-court, sous peine de ruiner à jamais tout ce qu’il avait pu construire… Pouvait-il y croire ? Toutefois…

Toutefois ces mots faisaient un étrange écho à ce que ne cessait de répéter Naal. Les émotions n’étaient ni dangereuses ni traitres, selon lui aussi. Elles n’étaient que le fruit d’un être, comme ses pensées, qui avaient elles aussi besoin de s’exprimer. Peut-être fallait-il qu’il apprenne à les laisser parler, sans craindre quoique ce soit d’elles ? S’il parvenait à leur laisser un peu de liberté, aux moments opportuns, peut-être n’aurait-il plus à craindre qu’elles ne surgissent à des instants délicats ? Oui, peut-être… Peut-être devait-il écouter son frère et Naal, qui semblaient si bien s’accorder sur ce point. Peut-être…

Mais cela lui semblait si étrange. Si dérangeant aussi. Tant et si bien qu’il ne répondit toujours pas, et préféra continuer son chemin en bifurquant sur les sentiers du jeu et de l’enfantillage. Ici, en ce monde, il avait envie de jouer, d’être l’enfant qu’au fond de lui il était, un peu du moins. Juste un peu, quelques minutes à peine. Juste s’amuser, profiter du monde du rêve, et oublier tous ces questionnements perturbants. Juste pouvoir être le nouveau-né qu’il était censé être. Et il fut heureux, réellement heureux, que son frère le suive dans son petit caprice du moment.

Et ils couraient, couraient. Ilhan courait de plus en plus vite, presque à s’en essouffler. S’en essouffler ? Alors qu’il était censé être dans le monde du rêve ? Pensait-il réellement respirer de l’air ? Ou en respirait-il vraiment ? Il fut un instant perturbé par cette sensation que deux mondes s’enchevêtraient, s’emmêlaient l’un l’autre au point de coexister en un même endroit, au point que les sensations du rêve et du réel s’entremêlaient en un méli-mélo à la fois fascinant et terrifiant. Envoûtant et éprouvant. La magie… La magie ! Il la sentait palpiter, vibrer avec force et vie ! Il pouvait la sentir, la voir, et presque même la toucher. Ilhan continua de courir pour autant, sans s’arrêter, quand bien même ses poumons brûlaient presque sous l’effort et que son souffle menaçait de manquer.

Il était presque arrivé et il allait gagner ! Presque ! Mais son frère, traitre de lui, se téléporta et le dépassa en un mouvement à peine. Fourbe ! Jamais il n’aurait cru un Baptistrel capable d’une telle ruse ! Si, sur l’instant, il s’apprêtait à protester, l’idée que son frère fut capable de tels actes joueurs et taquins lui décrocha finalement un sourire amusé. Un sourire qui s’effaça toutefois quand il le vit, le sentit, se heurter à... un mur ? Telle une frontière invisible, infranchissable, érigée contre eux… pour les maintenir en cage ? Ou pour les préserver d’un danger ?

Devaient-ils ouvrir la cage de leur volière de rêve ?

Ilhan arriva enfin auprès de son frère, le souffle si court qu’il crut un instant s’asphyxier. Il s’appuya lourdement les mains sur ses genoux pour reprendre son souffle, et dut faire un effort mental presque sursainnûr pour faire comprendre à son corps normalement d’éther que tout ici n’était que rêve et que de nul souffle il avait besoin. Cela n’eut pas totalement l’effet escompté, et il mit un petit temps avant de pouvoir enfin répondre. Il fut coupé dans son élan par une voix.

“- Faites attention à vous avant tout.”

Qui donc avait parlé ? Était-ce son frère ? Il aurait voulu lui demander alors de le tutoyer. Se vouvoyait-on ainsi entre frères ? Sans doute dans les grandes familles de la noblesse, du peu qu’il avait lu. Mais étaient-ils nobles ? Hum… lui oui. Mais il n’avait été qu’anobli au final, il ne l’était pas de naissance. Et le Baptistrel l’était-il ? De coeur certes, mais de rang ? Non, décidément, il voulait le tutoiement entre eux. Il voulait fraternité, sincérité, coeur et amitié. Pas de cette distance que le vouvoiement pourrait leur imposer. Mais était-ce bien son frère qui avait parlé ? Ou était-ce quelqu’un d’autre ? Ilhan fronça les sourcils perplexes. Et quand Valmys reprit la parole, l’althaïen eut la conviction que la voix entendue avait été tout autre.

Un autre donc. Une voix toutefois qu’il connaissait, une voix qui lui inspirait confiance. Qui prodiguait conseils. Une voix... Dawan ? Était-ce ce fameux chanteciel qu’il avait appelé dans son rêve ? Était-il finalement avec eux ? À cette pensée, un doux sourire fleurit de nouveau sur le visage du jeune sainnûr. Il n’eut guère le temps toutefois d’exprimer quelque souhait que ce soit, que son frère cria presque de douleur. Ou de surprise.

Oui cela avait l’air dangereux, songea Ilhan. Étaient-ils prêts ? Il n’en savait rien. Il en avait juste envie. Il en avait juste l’impulsion irrésistible. “Faites attention à vous avant tout.” Que signifiaient donc ces mots ? Une mise en garde ? Un rappel à l’ordre des dangers de ce monde ? Il avait lu quelques histoires de gens se perdant dans le monde onirique, tant il leur avait semblé plus beau que la réalité au point de ne plus vouloir le quitter. Une telle pensée effleurait parfois le jeune sainnûr, surtout depuis l’enquête dont il venait d’être témoin. Le monde réel lui paraissait parfois si laid, tout de violence pétri… alors qu’ici, il ne lui semblait n’y avoir aucun interdit.

Aucun ? Réellement ? Le cercle devant eux pourrait en être un pourtant ? La barrière qui semblait s’ériger devant eux n’était-elle pas justement un interdit du monde des rêves, un rappel à l’ordre des limites imposées ou des dangers qui y existaient ?

Ilhan tourna alors son attention vers le chanteterre, montrant clairement sa perplexité, son hésitation et les mille questionnements qui l’agitaient. Ses orbes sombres vibraient d’or plus que jamais. Et la voix chantante d’inquiétude de son frère, porteur d’un savoir bien plus grand que le sien, que ce soit dans ce monde ou dans l’autre, ne le rassurait en rien. Il ferma alors les yeux, inspira profondément, comme tentant de retrouver une paix intérieure, puis expira lentement, comme son ancien lui le lui avait montré dans son livre de vie. Il sentit une pression s’extirper de ses frêles épaules et une légèreté revenir en son coeur. Quand il rouvrit les yeux, son sourire joueur revint, même si son regard brillait d’un éclat sérieux et concentré.

Et si on se tutoyait ? proposa-t-il abruptement, sans préambule.

Puis son visage redevint un tantinet plus sérieux avant qu’il ne reprenne :

Si vous…

Mais il s’arrêta net. Ne venait-il pas de demander qu’ils se tutoient ? Peut-être devait-il faire le premier pas ?

Si tu crains que nous y allions nous-même, alors je suivrai tes conseils. Mon frère. Mais peut-être pouvons-nous envoyer des créations de nos esprits ? Et voir ce que devient ce que nous envoyons dans ce cercle de pierre ?

Et c'était là pour lui une grosse concession. Devoir réfréner son impulsion, ses envies, ce jeu qui l'appelait. Se disant, une pierre apparut dans sa main. Pure création de son esprit, lui qui avait eu la flemmardise, une fois n’est pas coutume, de se baisser pour en ramasser une déjà créée. Puis, pour tout avouer, il avait juste envie de jouer dans ce monde et de tester ses limites. Créer était distrayant, créer était fascinant. Il lança la pierre en l’air puis la rattrapa, l’air songeur en l’observant. Ferait-il mal à la pierre s’il la lançait dans le cercle de pierre ? Créerait-il un cataclysme ?

Il mourrait d’envie de s’élancer lui-même dans le cercle pour tout avouer. Seule l’inquiétude de son frère qu’il sentait prêt à tout pour les protéger le dissuada d’écouter son impulsion. Il jeta un lourd regard à son frère, et le détailla de ses orbes sombres, laissant un doux sourire, légèrement teinté de tristesse et de frustration, se dessiner.  

Qu’en penses-tu ? Qu’en…

Et soudain une idée germa en son esprit. Comme un éclair. Était-ce l’éclat fugace d’une compréhension, d’une soudaine lucidité ? Ou juste une pure intuition qui parlait ? “Faites attention à vous avant tout.” Cette voix, encore et toujours. Comme si elle l’enjoignait, au-delà de cette simple mise en garde, de rester au coeur du monde dans lequel ils étaient. De rester… dans le monde du rêve. De rester… là où ils étaient déjà arrivés… Car peut-être avaient-ils finalement atteint leur destination ? Ou se fourvoyait-il totalement ?

Et si… et si… De ce que j’ai pu lire, le cercle de pierre est un passage vers le Val, ce fameux monde du rêve. Et si… nous y étions déjà arrivés en fait ? Et si…

Ilhan s’humecta les lèvres, tout en sondant son frère du regard. Il espérait que son frère saurait lui répondre. Ou les éclairer sur la voie de sa réflexion.

Dans le monde réel, ce cercle de pierre permet aux rêveurs chevronnés d’atteindre le Val, le monde du rêve. Le cercle de pierre est un passage du monde réel au monde du rêve. Et si, dans ce monde-ci, c’était le passage inverse ? Que ce cercle de pierre nous ramènerait dans le monde réel ?

Cela expliquerait les étrangetés qu’ils avaient ressenties. Car son frère les avait ressenties aussi, de ce qu’il disait. Ces sensations à la limite entre rêve et réalité, tel un réveil chaotique où tout s’entremêlait… Oui, cela s’expliquerait. Et si tel était le cas, qu’adviendrait-il d’eux s’ils osaient franchir le passage en cet instant ? Leur corps charnel serait-il arraché de leur réalité pour se retrouver dans une autre qui détournerait leur temporalité ? Cette simple idée lui arracha un frisson et le convainquit de suivre les craintes de son frère. De rester sage et de taire ses infantiles impulsions.

Certaines du moins. Son sourire joueur revint en force, alors qu’il relançait la pierre en l’air et la rattrapa agilement. Et aussitôt, sans plus attendre, il la lança dans le cercle de pierre. Quand celle-ci atteint la barrière invisible qui semblait les retenir, tel un interdit éhonté à ne pas franchir, elle sembla comme ralentir, s’effriter, mais finalement passa la barrière en un grésillement sans nom, avant de finalement atteindre le cercle de pierre… de se figer presque dans l’air, pour tout d’un coup…

Disparaitre. Littéralement disparaître. Sans même avoir atteint le sol. Seul un très fin nuage de poussière rocheuse pleuvant sur le sol témoigna de son existence. Quand soudain, une voix, ou plutôt un vague écho, monta du cercle de pierre.

Hey, qui a lancé ça ? Vous pouvez pas faire attention ?

À ce cri, ou plutôt cet écho lointain qui résonna à eux plusieurs fois, Ilhan se baissa, comme craignant soudain qu’une autre pierre ne lui revienne. Puis, ne voyant rien venir, son sourire s’élargit alors qu’il se tournait vers son frère, l’excitation clairement visible sur ses traits d’ordinaire bien trop sérieux pour son jeune âge sainnûrien.

Tu en penses quoi ? Et si nous envoyons un message ? Pour voir si nous obtenons une réponse ? Dis, qu’est-ce que tu en penses ? Testons, qu’en dis-tu ?

Oui, l’excitation du jeu et de l’amusement, de l’apprentissage et de la compréhension aussi, l’emportaient clairement.

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Valmys eut un vague signe de tête affirmatif à la demande de tutoiement. Il essayerait donc, et son entraînement baptistral le pousserait bien à réussir du premier coup. Néanmoins, il ne put retenir un sourire en coin, moqueur, quand son jeune frère fut le premier à se tromper de pronom. Les erreurs étaient adorables quand elles trahissaient ainsi l’humanité de quelqu’un.

Son père avait eu du flair, en choisissant Ilhan. Il avait su voir à travers le maître en diplomatie tous ces instincts latents qui lui plairaient tant. Il avait su deviner sa sensibilité, sa fougue contenue, son impatience. Toutes ces mirifiques aspects qui avaient jadis attiré Aldaron du côté des humains. Pour Valmys, qui avait connu Ilhan dans le double-jeu qu’il menait au sein de sa demeure à Délimar, son jeune frère donnait tout de même déjà l’impression d’être libéré d’une première part du carcan qu’il avait pourtant choyé. Comment aurait-il pu ne pas être attendri devant l’innocence ravivée d’un être cher ?

Ilhan était encore si jeune, si immaculé… Pour Valmys, tout parut bien rapide. Il avait à peine eu le temps de commencer à réfléchir à la proposition de son jeune frère, en mesurer le pour, le contre, la faisabilité, et la meilleure façon de s’y prendre, lorsqu’Ilhan détourna son attention par d’autres questions, avant de jeter un petit caillou de l’autre côté de cette invisible barrière.

Le jeune ChanteTerre se figea sous l’effet de la crainte, sa magie pulsant en lui, bandée comme un arc. Au cri, il tressaillit. Lorsqu’Ilhan eut un mouvement pour éviter un retour de pierre qui ne vint pas, son adelphe eut pour réflexe de dresser une barrière devant eux. Cependant, nul choc ne vint, et Valmys contempla avec perplexité l’immobilité sereine qui lui faisait face. Ilhan venait-il de lui jouer un tour ?
Sans rengainer son sort, la main toujours tendue vers l’intérieur du cercle de pierre, le Grand Frère se tourna vers l’intenable araignée, vers son grand sourire et ses yeux plein d’étoiles. Un soupir faussement las traversa son esprit. Il voulut tenter d’infliger à Ilhan un regard empli de reproches pour la peur qu’il venait de lui faire. Cela ne fonctionna pas. Bientôt, un fin sourire en coin étira les lèvres de Valmys. Pouvait-on vraiment reprocher quoi que ce soit à ce petit bonhomme aux intentions si innocentes ? Un instant, le baptistrel plaignit le si tendre coeur d’Aldaron qui, s’étant attribué la responsabilité de l’éducation de ce nouveau-né, allait devoir parfois supporter de ne pas le voir faire ce sourire-là.

La barrière qu’il avait préparée s’effaça, sans qu’ils eussent eu le temps de découvrir si elle possédait vraiment une quelconque utilité dans un lieu où les esprits étaient maîtres. Le Chanteterre contempla ce vide au creux du cercle de pierres, perplexe. Il coupa néanmoins vite court au flot de ses pensées : s’il demeurait trop longtemps immobile, Ilhan allait encore faire une bêtise. À toute hâte, il fit apparaître un bout de papier dans sa main, avec un peu d’encre dessus. Le papier se plia de lui-même en un origami de petite oiseau, et s’envola vers le coeur de leur attention.

Il y eut un instant de flottement, de silence un peu gênant, où le regard de Valmys alterna entre Ilhan et le cercle de pierre. Finalement, un rire éclata, de l’autre côté du voile. Un rire qui se changea en fou rire. Plus ce rire durait, résonnait contre les pierres et les monts, plus le baptistrel sentait ses joues s’assombrir de rouge. Les secondes s’écoulèrent durant un temps infini et quand enfin le rire cessa, Valmys se tourna vers son frère avec un air sincèrement désolé.

“- Je ne me souviens plus du tout de ce que j’ai mis sur ce bout de papier.”

Peut-être venait-il de créer la meilleure plaisanterie du monde, et de l’enterrer dans l’oubli. Les lèvres pincées, le regard fuyant, Valmys tenta pourtant de reprendre un peu de contenance. Il était de son devoir de prendre soin d’Ilhan, et d’être un modèle pour lui !

“- Je pense effectivement que c’est un lieu où les deux mondes sont moins éloignés qu’à l’accoutumée. Et je pense aussi qu’il peut servir de pont, dans les deux sens. Néanmoins… Nos corps sont encore dans leurs lits respectifs. Je crains que notre passage dans le monde réel ne nous détache d’eux… Définitivement.”

Il se tourna à nouveau vers Ilhan. C’était bien son hypothèse, mais il ne pouvait s’empêcher de se dire, au fond de lui, poussé par le désir d’émerveillement, que la magie possédait bien des arcanes qui leurs étaient pour l’instant inatteignables, et parfois inimaginables.

“- Peut-être pourrions-nous nous rendre en ce lieu dans la réalité, afin de contourner cela. Nous pourrions alors essayer de passer d’un monde à l’autre…”

Il avait plus tôt évoqué leurs lits et, à nouveau, la conscience du drap sous ses doigts vint l’effleurer. Alors, pour le maintenir en ces lieux, une chouette blanche pelucheuse apparut directement contre son nez, prenant toute la place de ses perceptions et de son attention, comme ses plumes venaient chatouiller le nez de Valmys. De ses serres toutes douces et de ses grandes plumes, la chouette s’agita pour mieux se positionner, malgré une proie qui s’agitait désormais en paniquant à moitié, rouspétant que ce n’étaient pas des manières.
Finalement, les deux grands yeux noirs de la chouette s’affinèrent en deux fentes ravies, et son bec parut s’étirer en un sourire de contentement, lorsqu’elle parvint à sa position finale : sur le haut du crâne de sa proie. Tout le coton de son plumage coula le long des épaules de Valmys, alors qu’elle s’installait le plus confortablement possible.

“- Laisse-moi m’installer ! Je suis très bien, là-haut. Une étoile veille sur l’heure de notre rencontre, Ilhan ! À quoi jouons-nous ?”

Valmys abandonna l’idée de retirer son nouveau chapeau en reconnaissant la voix qui émanait de cette chouette. Ses bras tombèrent le long de son corps et, cette fois, le regard qu’il jeta à Ilhan portait un message clair : “jouons à ne pas être le chapeau des gens.”

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Ilhan se redressa tout en observant, fasciné, la magie de son frère. Une barrière, dressée devant lui. Pour lui. Pour le protéger. Une douce chaleur envahit son coeur à cette pensée et une onde attendrie pulsa en lui. Au point que ses filaments s’étirèrent de nouveau, cette fois tout en douceur, et de pleine volonté. Il alla caresser la barrière du bout de ses filaments, s’amusant à faire crépiter leurs magies qui se rencontraient ainsi. Il aperçut son frère à ses côtés tenter de le réprimander du regard… et lamentablement échouer, alors qu’un sourire fleurissait sur son visage bien juvénile. Le sourire de l’althaïen ne manqua pas de s’élargir lui aussi, et ses yeux pétillèrent et de joie et d’amusement, le tout esquissant un délicieux tableau qui chatoyait de douces et chaudes couleurs. Il écarta toutefois ces filaments, peu sûr de ce qui pourrait réellement advenir. C’était là une magie qu’il ne contrôlait pas vraiment.

Pour tout avouer, il y avait beaucoup de choses qu’il ne contrôlait pas. Dans bien des domaines. Et la magie en faisait grandement partie, quand bien même il se découvrait une ferveur à apprendre en cet art et une soif d'en percer tous les mystères, telles que son ancien lui ne semblait jamais avoir autant éprouvées.

Et en parlant de soif d’apprendre et de comprendre… Il avait bien envie de tester encore les limites de ce cercle de pierres. Il réfléchissait à un moyen de le faire sans prendre de risques inconsidérés, du moins pour son frère qui semblait si déterminé à le protéger, quand il aperçut le Baptistrel écrire sur un bout de papier apparu soudainement. Il observa émerveillé le petit oiseau de papier prendre son envol… et disparaître dans le cercle de pierres.

Un temps. Rien. Le silence.

Un autre temps. Un autre grain de sable. Toujours rien.

Ilhan fronça les sourcils, sceptique, et observait avec attention son frère et le cercle de pierres, sa question muette au bord des lèvres. Un temps encore. Toujours rien. Quand soudain…

Un rire. Un son merveilleux, cristallin, un écho se musant à chanter une belle symphonie, traversant l’orée des mondes et les invitant dans sa litanie. Un écho si fort et si puissant qu’il en devint presque contagieux et arracha au jeune sainnûr un léger rire. Bien plus timide, bien plus humble… mais bien là.

“- Je ne me souviens plus du tout de ce que j’ai mis sur ce bout de papier.”

Et cette fois, son rire fusa, aussi fort que l’écho précédent, pourtant maintenant éteint. Il peina à écouter les explications que proposait son frère. L'assaut de son rire ne le ployait pas encore en deux, mais il peinait tout de même à reprendre un tant soit peu son sérieux. Oui, acquiesça-t-il en silence, il pensait de même. Un pont… il avait eu la même idée. Il aurait parlé de porte, mais l’image du pont lui allait aussi. Elle lui disait d’ailleurs vaguement quelque chose… comme…

Une réminiscence… Ilhan sentit un vague écho lointain pulser en son esprit, une brume opaque tenter de se déchirer… Le pont… Il avait parlé de pont à quelqu’un il fut un temps… Non ? Mais quand ? Et pourquoi ? À qui ? La sensation fut si prégnante, mais si fugace, qu’elle coupa net son rire et le laissa soudain sourcils froncés et regard songeur. Sensation traitre qui, maudite soit-elle, encore une fois le fuyait ! Il l’avait pourtant presque attrapé. Il était là, pourtant tout près, ce souvenir qui à lui continuait de se refuser !

“- Peut-être pourrions-nous nous rendre en ce lieu dans la réalité, afin de contourner cela. Nous pourrions alors essayer de passer d’un monde à l’autre…”

Ilhan marqua un temps d’arrêt, fronça plus encore les sourcils avant d’offrir, enfin, toute son attention à son frère. Hein, que, quoi ? Le souvenir était parti. Et il n’était pas bien sûr d’avoir bien entendu. Est-ce que son frère l’invitait bel et bien à se rendre, dans le monde réel, en ce même lieu, pour tester son hypothèse ? À cette idée, de nouveau curiosité reprit ses droits et chassa tout funeste émoi. Si l’amusement s’était envolé, du moins joie acceptait de revenir aussi. Ilhan offrit alors un doux sourire à son frère et acquiesça de nouveau en silence. Peu confiant en sa voix en cet instant.

Il sentait qu’il aurait dû répondre, qu’il aurait dû trouver des mots pour lui di…

Mais fort heureusement une chouette vint le sauver de ce mauvais pas. Magnifique chouette qui s’était presque projetée en plein visage du Baptistrel, manquant de peu l’étouffer. Une chouette apparue de nulle part. Une chose était sûre, elle ne venait pas de lui ! Et au spectacle qui suivit, Ilhan ne put retenir un ricanement moqueur.

Était-ce lui ou la chouette venait de sourire ? Ilhan marqua un court temps d’arrêt suspicieux à cette vue, mais ne se départit pas de son sourire pour autant. Un sourire qui manqua repartir en grand éclat de rire, quand il la vit s’installer sur le crâne de son frère.

Je ne te savais pas amateur de chapeau, susurra-t-il, vilement taquin.

Son sourire redevint toutefois mi-amusement, mi-scepticisme quand la chouette… parla ! Car c’était bien elle qui venait de dire cela, non ? Non ! Non, ce n’était pas la chouette, comprit-il soudain ! Une étoile… C’était Dawan ! Ce fameux visiteur de rêve qu’il avait déjà rencontré et dont il lui avait lu le récit de leurs rêves communs ! Ainsi c’était donc lui !

Une étoile veillant sur eux. À cette idée, ses filaments reprirent vie et vinrent caresser le doux plumage de la chouette immaculée. À quoi jouaient-ils ? Hum… bonne question. Mais oui, jouer ! Il voulait jouer ! Goûter, encore un peu, de ces quelques moments où il pouvait être lui sans barrière ni frontières. Sans devoir ni choix pour l’accabler.

L’althaïen capta le regard de son frère et il le prit presque en pitié, même si, traitre qu’il était, la situation l’amusait aussi beaucoup. À quoi allaient-ils jouer donc ? Son regard sombre erra de son frère à la chouette, de la chouette à son frère, avant qu’enfin une idée germe en son esprit.

Jouons à qui volera le plus haut ! fit-il alors d’un ton comploteur.

Il n’avait aucune idée de si cela était seulement réalisable en fait. Mais… n’étaient-ils pas dans le monde des rêves ? Dans le monde de tous les possibles ? Dans le monde où même l’impossible devenait réalité ? Il n’avait qu’à vouloir et son esprit pourrait. Il n’avait qu’à penser, et son esprit créerait. Il lui fallait juste… des ailes…

À cette pensée, ses filaments s’élevèrent doucement et se transformèrent doucement, lentement, mais sûrement, en de magnifiques et gigantesques ailes d’une couleur feu immaculée.

Mais des ailes ne suffiraient peut-être pas. Pour voler, il fallait être léger. Pour voler… il fallait être… un oiseau… Oui, un oiseau… Il se concentra alors, faisant pulser toute la puissance de sa volonté pour l’imposer à son rêve. Il ferma même les yeux pour mieux visualiser ce qu’il voulait devenir… et peu à peu son corps de sainnûr se transforma en gigantesque oiseau… dont il n’avait aucune idée s’il existait.

Sa tête couronnée d’une crête dorée portait un bec gracieux d’une couleur or, son corps effilé d’une couleur rouge feu se terminait en une magnifique queue formée de trois lacets fouettant l’air avec amusement, menaçant de piquer toute personne à portée du dard doré à leur extrémité. Ilhan battit alors ses grandes ailes de feu et tenta de prendre son élan.

Une fois. Deux fois… une impulsion de ses puissantes serres… et il décolla. Laborieusement. Il devait se concentrer à l’extrême pour cet exercice jamais tenté… mais il y parvint avec une joie inégalée.

Il lança un cri d’extase, alors qu’enfin il voltigeait au-dessus du sol.

Volons, fit-il, ne s’étonnant même pas de pouvoir parler même sous cette forme d’oiseau de feu.

Après tout, ils étaient dans son rêve. Et si une chouette pouvait parler, il pouvait bien parler même en étant un oiseau ! Ou il ne savait quoi.

Viens, rejoins-moi, et volons ! Volooooons !

Il s’extasia de pouvoir "voler", et s’amusa à faire des courbettes, des voltiges dans tous les sens, puis à aller de plus en plus vite, sans même plus faire attention à ce qui l’entourait. Il criait, exultait de joie, comme libéré d’il ne savait quoi. Il avait envie de hurler de joie et de pleurer tout à la fois, il avait envie de crier sa peur et de rugir son inébranlable foi !

Il voltigea, voltigea encore, toujours plus haut, plus vite, plus fort, invitant son frère à le rejoindre. Et fonçait droit vers le cercle de pierres, sans même s’en rendre compte...

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La chouette avait gonflé son plumage, rentré sa tête dans son cou, avec un grand sourire et des yeux fermés, lorsque les veinules étaient venues la flatter. Aussi ne vit-elle pas l’expression soulagée de son porteur lorsqu’Ilhan proposa une idée de jeu qui impliquait que nul ne servît de chapeau à qui que ce soit.
La métamorphose du Tisseur se fit sous le regard fasciné de son frère, sous les hululements d’encouragement de la chouette, qui sautillait d’excitation. Sitôt que son confrère de feu fut prêt, elle s’envola, de ce battement d’ailes aussi gracieux que silencieux qui caractérisait les siens, traçant un tourbillon teinté d’étoiles dans le ciel nocturne.

Tous deux se faisaient fils des vents dans un instant éthéré, porté par les rires légers de Dawan, qui venaient des nuages autant que de sa personne. Il berçait l’oiseau aux ailes de feu de ses félicitations, de ses exclamations d’admiration. Rien de tout cela n’avait de mots, le Chanteciel préférant déposer directement sur le petit coeur igné de son ami les émotions qui lui venaient. Toute cette joie qu’il éprouvait à le voir ainsi s’épanouir ! Qu’il était magnifique quand, autour de lui, il n’y avait plus ni peur ni barrières, juste lui, dans tout son potentiel, porté par les cieux. Il pouvait constater, par lui-même, les mille acrobaties que lui permettaient une telle liberté. Il fallait juste qu’il pense à… qu’il pense à…

En contrebas, Valmys les observait, bras croisés, sourire en coin, attendri par le spectacle. Mais les deux petites étoiles de nacre et de rubis partaient de plus en plus haut. Son regard pourtant perçant de Sainnûr commença à peiner à les suivre. Il dut se rendre à l’évidence, il allait devoir voler aussi. Nul besoin d’une forme aviaire, voyons, il n’avait qu’à battre un peu des bras, en sautillant, en souhaitant très fort. Ce devrait faire l’affaire.
Ce le fut. L’instant fut un peu ridicule mais, par chance, nul n’était présent pour le constater. Valmys battit des bras jusqu’à avoir à nouveau en vue ceux qui rêvaient avec lui. Quand ils partirent de nouveau plus haut, il les suivit, au milieu des traces de rires et d’étincelles qu’ils laissaient sur leur passage. Il s’arrêta néanmoins quand la voix de Dawan lui parvint.

“- Ilhan ! Fais attention ! Ilhan, regarde autour de toi ! Ilhan !”

Pourquoi Ilhan continuait-il à s’élancer ainsi ? Valmys était le moins rêveur d’eux trois. L’ivresse lui restait encore hors d’atteinte, en ce songe. Le cri de terreur de Dawan lui parvint comme un battement de coeur bien trop puissant. Sans réfléchir, il s’élança pour rattraper son jeune frère.

Tout se passa ensuite très vite, dans un flou cinétique de sensations. Du vent, beaucoup de vent, siffla autour de ses oreilles, glacial. Le corps d’Ilhan était chaud, beaucoup plus grand que dans ces précédents et oniriques instants. Ils tombaient. Lorsque Valmys voulut prestement jeter un coup d’oeil vers le sol, les airs lui griffèrent sa cornée d’immaculé. Tout allait de plus en plus vite, l’instant fatal se rapprochait. Alors l’aîné de la fratrie serra plus fort son jeune frère contre lui, ferma plus fort ses paupières, et claqua des doigts. Deux fois.
Leur chute cessa, brusquement, prête à repartir dans l’autre sens. Valmys profita de ce très bref instant pour regarder en contrebas ce qui les attendait.
Lorsque la chute reprit en direction du sol, il ne fallut pas même une seconde avant que le dos du Voyage-Rêve ne rencontre le sol.

La douleur irradiait dans son dos et dans le silence. Le double changement de gravité pesait sur son énergie. Autour d’eux, le monde se taisait, observait cette étoile de temps au milieu de l’immense vide qui peuplait le firmament. Le ciel était d’ombres et de milles dragons bienveillants. Le vent était un distant murmure parmi les herbes. Cette herbe piquait sous les doigts, le froid se glissait sous les habits. Le monde pulsait de magie, dansait au rythme des chants-noms. Les respirations étaient de complexes mais nécessaires opérations.
Plissant maladroitement ses paupières engluées, Valmys rouvrit les yeux sur la réalité. Ses bras tombèrent au sol, il eut un lourd soupir entre le soulagement et la grande fatigue. Ils étaient arrivés. Ils avaient voyagé par-delà les rêves, jusqu’au Val. Le chemin inverse était encore à faire et, lui, ne s’en sentait pas les forces. Au moins étaient-ils en vie. C’était le principal. Dire qu’il avait failli perdre un frère tout juste découvert…

Découverts, ils ne l’étaient pas tant. Valmys portait la tenue avec laquelle il s’était présenté au rêve d’Ilhan, son turban encore solidement vissé sur sa tête. Ilhan, lui… Avait sans doute la tenue qu’il avait juste avant de “rouvrir les yeux”. Là, c’était bien difficile à constater. D’une voix où pesait son épuisement, le jeune Chanterre supplia :

“- Dormir. ‘pourrait dormir ici… Voir le reste demain. T’en… T’en dis quoi ?”

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Ilhan ne vit que du coin de l’oeil son frère se joindre à eux. Il remarqua à peine qu’il n’avait pas pris  forme ailée et qu’il se contentait de sa silhouette sainnurienne pour voler. Mais l’oiseau de feu qu’il incarnait était alors bien trop emporté par son enthousiasme naissant, et son coeur gonflait bien trop de joie à cette nouvelle liberté. Voler voler, encore voler…

Tout exalté, il n’entendit pas la voix. Il ne sentit pas le vent fouetter son visage. Il ne sentit pas leur peur et leur émoi. La bêtise était trop belle pour cet enfant pas sage. Il sentit toutefois ses ailes disparaître, son plumage doré retrouver sa carnation ambrée, son corps grandir et son corps chuter. Une chute vertigineuse qui cette fois le happait, tel un géant à l’appétit vorace prêt à l’avaler. Étrangement, si son coeur se serra, ce ne fut nullement de crainte. Mais de la déception que son rêve prenne fin. Et soudain, un corps chaud le happa dans ses bras. Le serra fort, d’une poigne fraternelle, comme s’il était un précieux cadeau qu’il ne voulait perdre. Instinctivement, Ilhan l’enserra à son tour et se lova contre lui. Ils tourbillonnèrent ainsi, cinglant le vent de leur chute inexorable, telle sa toupie tournant encore et encore, inlassable. Et soudain…

La chute s’arrêta. Le sol n’était plus qu’à quelques mètres à peine. Le vent se fit moins violent. L’air respirait un calme apparent. Ilhan ouvrit les yeux, prenant seulement conscience de les avoir fermés, quand soudain la chute reprit, en un bruit mat et assourdi. S’il ne ressentit aucune douleur lui-même, il ressentit pleinement celle de son frère. Tela avait parlé avant même qu’il n’en ait eu conscience. Réalité criait soudain à haute voix, dans toutes ses pleines sensations. Elle les entourait de son manteau froid et il menaçait soudain d’étouffer sous ses émotions. Ils avaient franchi le seuil de l’entre-deux-mondes, réalisa-t-il ! Ils l’avaient franchi, et ce à cause de sa propre folie, malgré toutes les mises en garde de ses deux amis. Culpabilité et peur le foudroyèrent soudain. Fatigue aussi le harassait de son lourd fardeau. Mais avant cela…

Son frère souffrait. Par sa faute. Il l’avait sauvé, d’une chute qui aurait pu être fatale. Et maintenant son corps irradiait de mal. Le lourd silence hurlait à ses oreilles, tels des spectres de ses erreurs répétées, de sa nouvelle culpabilité, et pesait sur ses frêles épaules. Desserrant enfin sa prise, à gestes lents, Ilhan posa une main sur l’herbe fraiche. Et mouillée. Il trouva l’énergie et la force de se redresser, puis d’un regard de larmes voilé, observa son frère sur l’herbe, alité.

La joie de découvrir le Val s’effaçait totalement sous l’inquiétude qui l’étranglait. Il ne prit même pas garde à son accoutrement, costume tout althaïen d’un blanc taché. Son esprit était bien trop accaparé.

“- Dormir. ‘pourrait dormir ici… Voir le reste demain. T’en… T’en dis quoi ?”

Pour toute première réponse, Ilhan caressa doucement le visage de son frère, et laissa une larme perler sur la joue du sainnûr à ses côtés.

Je suis désolé, souffla-t-il. Je me suis laissé emporter. Je n’aurais pas dû… Pourras-tu jamais… ?

"Me pardonner" ne fut jamais prononcé. Il ne finit pas sa phrase, sa gorge se nouant sur ses mots qu’il tut alors, et le silence reprit ses droits. Au lieu de cela, il désigna son frère d’une main afin de tenter d’accélèrer la régénération des tissus qui auraient pu être endommagés. Si ce n’est fracture, au moins muscles déchirés. Il aurait certes pu prendre sa douleur, mais cela aurait fait souffrir son frère par d’autres ondes… Il n’était guère doué en ce flux de guérison, mais au moins avait-il appris ce petit sort-là. Puis, enfin, il ajouta tout bas :

Dors, mon frère. Merci pour ce beau rêve, jamais je ne l’oublierai. Dors et que les étoiles guident tes songes.

Cette fois, il pointa les yeux du jeune baptistrel de deux doigts. Non pas pour l’induire à dormir, il n’en aurait sans doute nul besoin vu son état de fatigue. Mais pour lui induire un état de bien-être. Puis il lui accorda un doux baiser sur la tempe, et s’allongea à ses côtés, attrapant sa main délicatement, à gestes lents, et fermant lui aussi les yeux sur le sombre firmament.

Comment allaient-ils retourner chez eux ensuite ? Il n’en avait aucune idée. Mais fatigue reprenait ses droits sur lui aussi. Et bien vite, il repartit dans les songes éthérés.

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