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descriptionA l'orée de la foi [Belethar & Naal] EmptyA l'orée de la foi [Belethar & Naal]

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    Le Sucre d'Orge sauvage était un animal boudeur et rancunier. Si Naal avait fait montre de respect en ne lui imposant pas sa présence plus que nécessaire, il devait avouer avoir remarqué être savamment évité. Savamment, oui, tout à fait. Le plan d'évitement était digne d'une d'une profession de foi tant il semblait y mettre du cœur à l'ouvrage, particulièrement ritualiste et rempli de bonnes excuses pour ne pas se trouver au même endroit que lui. Était-ce inconscient ? Il l'espérait. Sans quoi cela signifiait que le mal était plus profond encore. Tout almaréen qu'il était, l'Oracle se faisait une habitude épuisante que de faire face à la rancune légitime des Amburhùniens envers son peuple. Il se demandait si les enfants des Déesses se croyaient être des entités parfaites qui ne commettaient jamais d'erreurs, qui ne pouvaient être abusés, trahis et utilisés aux fins d'un tyran décidé à se servir d'eux. Il ne les blâmait guère, sans pour autant exclure de grincer des gens à pareil comportement.

    Naal ne niait pas le bien fondé du mal-être du peuple Ambarhùnien : ils avaient été maltraités, torturés et assassinés. Ils l'avaient été avec un fanatisme que rien ne pouvait estomper et une véhémence monstrueuse : la guerre. Car cela était bien de cela dont il était question. Un affrontement où chacune des parties était persuadée d'être la victime de l'autre. Il avait connu cela, jadis, sur la première terre des Hommes qu'on appelait Angellan, il y avait des milliers d'années. Puis il avait connu cela, à nouveau, lorsque Néant se retrancha en Almara et que les déesses vinrent généreusement détruire leur terre, leur peuple et enfermer leur Dieu. L'on voyait souvent midi qu'à sa porte, hélas, mais lorsqu'on prenait de la hauteur, on voyait que les deux peuples avaient été tout autant meurtris, secoués et que le grand gagnant dans ce chaos n'était autre qu'un abominable dragon. Dans leur aveuglement généré par la poudre aux yeux qu'était la magie... Le voyaient-ils ?

    Il l'avait donc évité, ne cherchant à le provoquer. Il avait passé du temps à faire des aller-retours entre le Domaine et les galeries des Karapts pour informer et réquisitionner des vivres. Cela lui fut coûteux en énergie, si bien qu'il passa bien plus de temps dans les quartiers de guérisons de Purnendu qu'ailleurs. Lorsqu'il était sur pieds, l'ancien monarque se joignait aux efforts de Kehlvehan pour débarrasser la ruche de Rog. La perle de Néant, offerte par son frère, s'en trouvait alors être une parfaite façon de propager le chant, ces vibrations libératrices qui devait nettoyer leur corps, leur âme et surtout leur chant-nom. Si la tolérance avait été possible les premiers jours, il n'en demeurait pas moins que de passer son quotidien avec une personne qui l'évitait soigneusement commençait à lui courir doucement sur le haricot. Il se savait patient mais n'était pas exempt de défauts et la paranoïa en faisait partie. Quand on avait été assassiné une première fois par le poison au sein de sa cour puis une seconde fois par la lance d'un homme qu'il avait élevé comme son fils, il y avait de quoi nourrir des sentiments persistants d'insécurité.

    Aussi l'inimité silencieuse que Belethar lui manifestait faisait grandir, en lui, ce mal-être viscéral. Cela à plus forte raison que l'Oracle se savait effectivement paranoïaque et que tous les signes qu'il percevait de Belethar ou croyait percevoir étaient accentués par cette crainte de façon fort injuste et déplacée. Ainsi était-il, comme beaucoup d'autres : parfaitement humain et capable de se tromper. Il s’efforçait de se persuader que l'apprenti baptistrel ne lui vouait aucune haine mais la sourde angoisse dessinait en son cœur une crainte démesurément absurde mais réelle. Il se devait de désamorcer ceci... ou du moins essayer ? Ce fut alors lorsque Belethar s'affairait à préparer ''cette petite spécialité Espérancieuse, une recette qu’ils gardaient de générations en générations sans jamais la divulguer'' que le croyant s'approcha. L'apprenti semblait vouloir attraper les bols pour le service, sans pouvoir, lâcher la cuillère qu'il tenait au dessus de la marmite avec son autre main. La distance entre les deux ne permettant pas de saisir ces bols sans lâcher la cuillère, la situation de ce pauvre Sucre d'Orge était assez amusante, tout bras tendus entre ses deux objectifs incompatibles.

    Le fanatique le pencha pour saisir les bols et approcha du feu, pour s'accroupir à proximité et tendre les bols à l'humain. Ses lèvres restèrent closes un instant et son regard d'un bleu céruléen coula sur le contenu de la marmite avant de revenir sur le cuisinier. « Pourquoi m'évitez-vous ? » La diplomatie et l'enrobage des mots n'étaient pas son fort. Naal était une personne authentique qui ne tergiversait guère sans une bonne raison. Pour être honnête, il n'avait pas envie d'essayer d'entamer une conversation à laquelle Belethar aurait rechigné à participer. Entrer dans le vif du sujet s'était révélé être l'option la plus adéquate à ses yeux : « Vous fais-je peur ? » La question pouvait paraît innocente et elle ne l'était car l'ancien monarque poursuivit, après un court silence : « Vous me faites peur. » Belethar n'avait pas de crocs et de grifes, il n'avait montré d'hostilité véhémente à son encontre. C'était toutefois le sentiment qui logeait dans sa poitrine et, Néant soit loué, il devait de donner le véritable nom des sentiments qui l'habitaient. Il avait peur de ce rejet car le rejet se fondait sur la haine et la haine faisait perdurer des guerres pourtant révolues.

descriptionA l'orée de la foi [Belethar & Naal] EmptyRe: A l'orée de la foi [Belethar & Naal]

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Voilà quelques temps que Belethar était resté dans les alentours du Canyon Karaptia. Le Pater Familias était plutôt satisfait de son travail ici. Son aide pour construire les fortifications aux alentours portait ses fruits, et il se sentait globalement apprécié de la population autochtone. Il fallait dire que leur Reine faisait désormais intimement confiance à l’Enwr, au point de lui avoir confié un de ses enfants. Aussi Belethar prenait sa garde très au sérieux, et veillait toujours à ce que la larve soit non loin de lui.

C’était une amitié un peu étrange qui s’était dessiné entre le peuple aux mandibules et le chef de file de la famille Espérancieux, mais celle-ci était bien sincère, et réchauffait le coeur de Belethar. C’était peut-être un plaisir simple, mais il était toujours content de voir que quelque chose se déroule sans accroc, et il était encore plus content d’apprendre d’un peuple qui n’était pas le sien.

L’apprentissage et l’aventure en plus du devoir de servir son Ordre, voilà ce qui l’avait motivé à prendre la route avec Kehlvehan et les autres. Voilà longtemps que son instinct aventurier attendait d’être comblé, et pour ce coup-ci il n’avait pas été déçu.

Et comme pendant toutes bonnes aventures, il avait vécu des histoires sordides, risqué sa vie, mais aussi rencontrer de nouvelles personnes.

Cet Almaréen, qui était de retour d’un de ses nombreux va et vient au Domaine, était l’un d’entre eux. Leur chef, de ce que lui avait confié son Maître, le grand manitou local qui ne jurait que par Néant. Naal n’inspirait pas confiance à Belethar. C’était cruel d’une certaine façon et ça n’était par ailleurs rien de vraiment très personnel.

L’Enwr avait encore de vieux traumatismes à guérir quant au peuple que l’Oracle représentait. Parce qu’il se souviendra probablement toute sa vie de ce jour où la Famille Espérancieux s’est fait envahir ses terres, a été massivement tué puis contraint à l’exil devant fuir la maison qu’ils avaient toujours habité, et avec elle tous les savoirs qu’elle contenait.

C’était désastreux, et encore aujourd’hui Belethar s’estimait chanceux de s’en être tiré avec très peu de séquelles physiques, quoique le traumatisme mental était encore bien réel, si bien qu’il avait toujours “peur” de parler à des almaréens aujourd’hui.

Belethar était de cuisine pour tout le monde aujourd’hui, et c’est quand il se retroussa les manches pour préparer un bon petit plat, que le destin vint comme par hasard le narguer une nouvelle fois. Son regard se porta sur sa marque au poignet gauche : la seule séquelle physique que lui avait laissé cette bien triste période de sa vie.

C’était là un maigre tatouage comme l’Almaréen en avait des tas partout sur son corps, sauf que Belethar ne se l’était pas fait faire volontairement, évidemment. C’était sa petite blessure de guerre à lui, signe non seulement de l’endoctrinement forcé des Almaréens, mais aussi un témoignage de la folie des êtres humains qui était prêt à tuer pour une simple histoire de croyance.

Naal ne se disait pas comme cela, alors Belethar ne l’avait pas ouvertement conspué. Il eut de toute façon été malheureux de le faire ne serait-ce que par respect pour Kehlvehan qui semblait grandement l’apprécier. Disons qu’il l’avait plutôt soigneusement évité depuis le début de cette aventure, et il essayait de lui décrocher le moins possible la parole.

Alors oui, il était peut être stupide de raisonner ainsi, lui qui disait ne jamais refuser de discussions en temps normal … Mais c’était là un trop grand effort pour lui. Il n’avait jamais vraiment pu faire abstraction de tout ça.

Ce jour était un de ceux où Belethar et Naal devaient se côtoyer, et où les deux étaient pourtant cloitrés dans un silence qui étonnait les autres personnes du camp. Le Pater Familias avait préparé sa petite tambouille, bien tranquillement - quoique se sentant très observé - et il s'apprêtait à servir tout le monde quand un terrible événement arriva.

Il était à une phase de la recette presque finale où il ne pouvait se permettre de laisser ses instruments dans le plat, et il n’était pas assez proche pour prendre les bols pour servir tout le monde. Il tenta ce qu’il pouvait, tendit bien les bras, se plia pour essayer de gagner quelques centimètres mais rien n’y faisait.

Il soupira quand Naal avait finalement décidé de l’aider. Il grommela un remerciement, malgré tout reconnaissant qu’il l’ait tiré d’une situation gênante. Un silence qui eut le don de tendre le Pater Familias s’installa, avant que Naal ne se décide enfin à dire :

« Pourquoi m'évitez-vous ? »

Belethar eut un petit rire nerveux. Puisque la conversation avait l’air d’être entamer de cette façon, l’Enwr se décida à lui répondre sincèrement :

“Je déteste votre peuple et son histoire, dont vous êtes aujourd’hui le porteur. Quand vous avez envahi nos terres, ma famille a bien failli sombrer dans une déchéance totale à cause des vôtres …”

Alors oui, ça n’était pas très joyeux, mais là était tout le noeud du problème. Belethar entendit les remarques de l’Oracle au sujet de la peur qu’il pouvait susciter, et que le Pater Familias semblait transmettre à Naal.

A vrai dire, jamais il ne pensait avoir entendu qu’il faisait peur à quelqu’un. Même si les récents changements au niveau de ses pupilles avaient suscité l’étonnement de tout le monde, ça n’était jamais vraiment de la peur personnifié. Malgré l’animosité qui l’habitait, Belethar fut touché par cette remarque, et il rectifia son tir :

“Je n’ai rien contre vous personnellement. Maître Kehlvehan ainsi que quelques autres ont l’air de vous apprécier … Je dois même admettre que j’ai peut être esquissé un demi-sourire au sujet de mon sobriquet dont vous êtes l’instigateur.”

Belethar tendit une auge pleine à Naal qu’il saisit, et termina ses explications :

“Mais pourtant, même si vos intentions sont ce qu’elles sont … Dans votre regard, je ne peux m’empêcher de voir la mort et la dévastation que votre peuple a causé. Même si ça n’était pas sous votre égide.”

Le Pardon, voilà quelque chose que Belethar avait bien du mal à accepter pour les Almaréens. Il savait que les autres ethnies de ce monde n’étaient pas non plus à l’image de ce “bon glorien” qui avait accueilli les migrants à bras ouverts, mais voilà.

L’apprenti inspira cependant, et une fois qu’il eut servi tout le monde, il alla s’installer auprès de l’Oracle.

Pourquoi ?

Parce que tout bien réfléchi, il était peut être l’heure d’essayer de comprendre cette personne, et son peuple.

“Je ne veux pas vous faire peur, Naal.”

Il soupira, et porta à son attention sa marque que son peuple lui avait laissé il y a fort longtemps :

“Je veux simplement comprendre pourquoi vous êtes couverts de tatouages semblables à cette marque, alors que je n’y vois que des images du passé qui hantent encore aujourd’hui mes nuits.”

Belethar soupira et eut un petit regard coulant envers l’Oracle. Peut-être que cette discussion allait pouvoir être constructive, finalement.

descriptionA l'orée de la foi [Belethar & Naal] EmptyRe: A l'orée de la foi [Belethar & Naal]

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    La franchise qu'il réceptionna en retour de ses questions fut une surprise pour moitié. Naal n'y avait pas été par quatre chemins, il était presque normal qu'on lui retourne la pareille. Le contenu fut aussi une évidence. La souffrance que les almaréens avaient infligée en arrivant sur Ambarhùna n'était guère propice à de merveilleux souvenirs, et par conséquent, à de bonnes relations. Il prit l'assiette qu'on lui tendait, dans un silence religieux, l'écoutant avant de le voir partir servir les autres personnes. Il avait cru que la discussion se terminerait là mais Belethar revint prendre place à ses côtés. Le prophète s'assit sans interrompre le baptistrel. La nature humaine avait toujours eu besoin de combler le vide. A bien des égards, le Néant pouvait effrayer. Même les almaréens n'aimaient se confronter au silence, alors ils avaient consumé des prières pour psalmodier dans l'infini les louanges au maître du Rien. Avaient-ils cherché à amadouer un prédateur ?

    Les mires bleues de l'oracle croisèrent les étranges pupilles de son interlocuteur, perturbé, un instant, avant de finalement répondre : « Je suis couvert de tatouages parce que j'aime Néant. » Cela était la réponse la plus simple, la plus sincère et pourtant la moins parlante. Il n'était toutefois que pure vérité et n'avait besoin de rien de plus. « A mon baptême, j'ai été marqué. C'est un signe d'appartenance. Nous offrons ceux que nous marquons à Néant. Les nouveaux-nés, bien souvent, pour que l'Unique montre le chemin et les guident spirituellement. Mon peuple vous a marqué, pour vous offrir à notre Dieu, comme des agneaux sacrificiels. Ou pour vous offrir une seconde chance d'ouvrir les yeux. Probablement un peu des deux.. » Son regard retomba sur ses mains qui tenaient le bol, suivant les lignes noires qui se dessinaient sur sa peau sombre.

    « Les almaréens étaient meurtris. Ils ont fait de cette marque d'amour, une marque de désespoir. Ils l'étaient, désespérés. Pouvez-vous entendre ceci ? Nous n'avons pas envahi Ambarhùna par pur désir de haine et de propagande religieuse. Des images du passé hantent toujours nos nuits, à nous aussi. » Les Ambarhùniens savaient-ils ? Leur avait-on dit pourquoi, ils étaient arrivés arme au poing ? « Nous ne comprenions pas pourquoi vos Déesses étaient venues sur Almara pour s'en prendre à Néant. La violence des almaréens sur vos terres est tellement insignifiante à côté de ce que la puissance des déesses ont fait à Almara. Cette dévastation... Je crois que vous ne pouvez pas l'imaginer. Puis-je vous montrer ? » Il ne cherchait pas à minimiser la mal dont avait souffert les Ambarhùniens mais qu'il ne connaissait que trop bien ces chimères, car ils avaient rencontré les mêmes.

    Il tendit une main vers lui, le spirite de la baleine lui montrerait ses souvenirs. Il reprenait : « Après le combat de vos déesses contre Néant, il y avait des monts là où se trouvaient nos champs. Il y avait des précipices abyssaux, là où se dressaient nos temples. Il y avait des corps broyés dans les décombres et des râles d'agonie dans le souffle du vent. L'air était suffocant et putride. Je n'étais pas certain que notre peuple se relèverait. Je pensais que nous allions nous éteindre. » Ses sourcils se fronçaient alors qu'il secouait doucement la tête de gauche à droite : « Moi non plus je ne comprenais pas, alors que j'étais l'Oracle. Néant me donnait toujours des réponses à transmettre au peuple... Mais là, je n'avais plus rien. Je ne savais pas ce qu'était devenu Néant et je ne savais pas pourquoi les déesses l'avaient combattu avec tant de violence, sans aucun respect pour son peuple élu. Avez-vous déjà aimé quelqu'un, Belethar ? D'un amour si intense que la disparition de l'autre vous pousserait à vous laisser mourir à petit feu ? »

    Il posa le bol au sol. Non pas que le repas soit mauvais, mais cela remuait toujours en lui des sentiments vivaces. Assez douloureux. « Le désespoir a continué de décimer mon peuple. Il est difficile de dire à quel moment les déesses nous ont fait le plus de mal : pendant les cataclysme... Ou après ? Nous tentions de trouver les forces de nous reformer et Néant a rugi sa douleur, dans l'esprit de ses Serviteurs. » Un frisson d'horreur lui parcourut l'échine : « Pouvez-vous seulement imaginer ce que cela fait ? Que d'entendre hurler de souffrance l'être que vous aimez le plus au monde et d'être ligoté, impuissant, incapable d'y remédier et incapable de soulager cette douleur ? » Il relâcha sa main lorsque les souvenirs qu'il lui offrait furent bien trop violents et bien trop personnels. « Je suis  couvert de tatouages parce que j'aime Néant. » répéta-t-il dans un souffle, comme pour boucler son discours, offrant alors plus de sens à ce qu'il avait dit plus tôt, à la lumière de ce qu'il avait expliqué.

    « Et nous offrons ceux que nous marquons à Néant. Nous voulions l'apaiser. Vous étiez un cadeau, un présent. » Cela pouvait paraître enfantin. On offrait des attentions à une âme en peine pour lui remonter le moral. « Et nous ne comprenions pas pourquoi vous idolâtriez les sept monstres qui avaient infligé cela à Néant. Nous n'arrivions pas à le tolérer. Cela ne faisait pas de sens, pour nous. Nous étiez des êtres perdus et nous n'avons pas cherché à comprendre. Nous étions manipulés. » Il secoua la tête de gauche à droite, dépité : « Nous nous sommes entre-tués, comme des pions dans l'échiquier du Tyran Blanc. Nous nous combattions entre pions d'une même couleur. » Il porta à nouveau son regard sur l'homme à ses côtés : « Je ne veux pas vous faire peur non plus, Belethar. Je suis accablé par ce que mon peuple a fait aux vôtres. » Il baissa les yeux sur la marque au bras de Belethar : « Croyez-vous en Néant ? »

descriptionA l'orée de la foi [Belethar & Naal] EmptyRe: A l'orée de la foi [Belethar & Naal]

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Belethar ne pensait pas autant touché un point sensible dans le coeur de l’Oracle, en l’invitant à s’expliquer sur plusieurs choses.

Et pourtant, le récit qu’il avait entrepris était édifiant en bien des aspects. Si le Pardon n’était pas quelque chose de familier pour le Pater Familias aux yeux des almaréens, au moins il tâcherait de réviser son jugement vis-à-vis d’eux pour le futur.

En vérité, ce récit comme il le sentait et l’entendait, si proche d’un syndrôme post-traumatique fut un cruel rappel pour Belethar que si l’Histoire l’avait littéralement marqué, celle-ci avait toujours plusieurs versions. Il devait toujours être vigilant à ce sujet, ses mentors lui avaient toujours dit de procéder ainsi.

Mais voilà, parce que les Almaréens avaient failli détruire tout ce qu’il y avait de plus important pour le Pater Familias, il avait toujours refusé d’entendre quoi que ce soit vis-à-vis de ces personnes. Il les avait haï un premier temps, puis profondément ignoré par la suite, quand tous les rescapés de l’ancien continent étaient arrivés sur Calastin.

Comme beaucoup d’autres personnes, la mentalité de Belethar avait évolué après le massacre des Chimères. Plus que jamais, le Pater Familias avait souhaité faire table rase du passé, et avait impulsé l’idée dans sa propre famille. Considérant que trop de fois les êtres en ce monde avaient provoqué des guerres sanglantes pour des querelles séculaires qui finissait par n’avoir ni queue ni tête, Belethar voulait comprendre les raisons de cette colère.

Au milieu de ces quelques résolutions que l’Espérancieux avait prises entre autres choses, les Almaréens avaient toujours représenté la bête noire dont il n’arrivait pas à se débarrasser. Belethar était pris au piège : il ne pouvait faire table rase de ces choses qui avaient provoqué de grands chamboulements dans la vie de sa famille, mais il était également profondément attaché à cette nouvelle vocation qu’il s’était trouvé …

Alors comment résoudre cette équation a priori insoluble ?

Belethar resta coi pendant le récit du fanatique, mais de part son expérience, il venait probablement d’ouvrir la voie au Pater Familias. Car comme bien souvent, cette histoire là n’était jamais raconté par ses semblables. Probablement parce qu’au fond d’eux, les humains nourrissaient des sentiments de haine semblables pour ce peuple qui fut longtemps si éloigné. Certes, il devait sans doute y avoir des ouvrages retraçant cette histoire là de façon neutre au Domaine Baptistrel, car il n’y avait nul savoir que l’Ordre ne possédait pas … Mais Belethar était de ceux de la vieille école, qui pensaient qu’une histoire se devait avant tout d’être narrée avant d’être écrite. C’était une des raisons pour laquelle il demandait à ses clients de raconter la genèse d’un projet avant de véritablement commencer ses travaux.

Toujours est-il que le récit de Naal toucha sincèrement Belethar. A défaut de vraiment pardonner aux almaréens pour ce qu’ils avaient fait, car ce genre de choses ne se réglaient malheureusement pas en une discussion, il comprenait désormais le pourquoi du comment.

D’avoir le point de vue de quelqu’un qui avait vécu la chose de l’autre côté l’aida à faire son chemin vers la rédemption. L’architecte ne se permit aucun commentaire sur l'entièreté de la prise de parole de Naal, trop capté par l’histoire et les choses qui s’éclairaient dans son esprit au fur et à mesure de celle-ci.

Quand vint la question finale de l’Oracle quant aux croyances de l’Architecte, ce dernier pris un instant pour y réfléchir. Il soupira, pesant ses mots. Maintenant que Naal avait fait un premier pas vers le Pater Familias, il ne fallait pas le froisser. Cependant, la réponse venait d’elle même :

“Comment le pourrais-je, Oracle ? Jusqu’à maintenant votre Dieu, aussi souffrant soit-il par le passé, il ne signifiait que mort et dévastation pour moi, jusqu’à présent.”

Belethar fit une pause, prenant une cuillère de son mets, laissant un petit silence s’installer avant de reprendre la parole :

“J’ai toujours cru en les Déesses parce que grâce à leur magie, et tout ce qu’elles apportaient à notre monde, les Espérancieux se sont parfois senti bénis par elles.”

Belethar sortit Pupillam de son doigt, prenant la bague familiale avec grande précaution et la posant dans la paume de Naal. C’était là une grande marque de confiance pour l’Espérancieux, mais de la même façon que l’Oracle avait tout raconté au Pater Familias, il voulait que le pieux comprenne sa propre histoire. Pouvait-il sentir tout le poids historique de ce si petit objet ? Rien n’était moins sûr.

“Notre famille n’est peut être pas très importante aux yeux de ce vaste monde qu’est le nôtre, mais nous avons fait le serment de protéger la magie au sein de celui-ci, et donc d’une certaine façon le don des déesses. Et l’histoire nous a prouvé à maintes reprises que sans celle-ci, nous courrons à notre perte.”

L’Espérancieux était resté particulièrement évasif à ce sujet avec tout le monde. Lui même n’était pas vraiment conscient de tout ceci jusqu’à peu : mais il y avait eu le Baôli, puis des visions. Des nombreux rêves, et des changements physiques aussi. Belethar avait vu le serment de Valahar en rêve, et avait pris conscience de la mission dont était investi chaque Espérancieux depuis lors. Comme pour venir taquiner le destin, il avait également constater dernièrement des changements physiques au niveau de ses yeux, d’abord progressifs, puis très prononcés. Ceux-ci avaient pris l’apparence de doubles pupilles dorées, si chères à la famille de Belethar. Autant d’éléments qui camouflaient de si petites histoires dans les grandes que l’on racontait habituellement, à la manière du récit de Naal.

Le Pater Familias reprit :

“Je ne crois pas en Néant, pas plus que vous ne croyez en les Déesses, j’en ai peur. En revanche, je pense que tous deux nous sommes investis d’une mission très claire. La Foi nous unis, et nous divise. C’est amusant n’est-ce pas ?”

Belethar lui fit un sourire, avant de reprendre sa bague. Qui eut cru qu’un jour, un almaréen et un Espérancieux trouveraient finalement un terrain d’entente ?

descriptionA l'orée de la foi [Belethar & Naal] EmptyRe: A l'orée de la foi [Belethar & Naal]

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    Oui, en effet. Comment le pourrait-il ? Croire en Néant et ses bontés ? Probablement par le même chemin qui poussait Naal à respecter, à présent les défuntes déesses qui, pourtant, avaient fait tant de mal aux almaréens. Kehlvehan lui avait montré ce chemin de tolérance et d'acceptation. Il priait pour que Belethar avance sur le même sentier. Il ne doutait pas qu'on puisse évoluer, bien que cela prenne du temps. Les déesses avaient apporté leur lot de bonheur aux Ambarhùniens. Nombre de rites les célébraient ou y faisaient référence. La famille de l'architecte, néanmoins, semblait s'être éprise de la poudre aux yeux des dragons. La magie. Les Espérancieux avaient du être d'avantage persécutés que d'autres s'ils étaient des mages accomplis. Ils étaient ceux que les dragons avaient bernés. Ils étaient jadis le seul pont entre le monde astral et leur monde, le seul lien qui puisse leur offrir cette si magnifique magie. Elle leur donnait une impression de puissance et on avait vénéré les dragons pour ce présent. Ainsi que les déesses, en un sens, puisqu'elles avaient crée ces montres qui avaient arraché le cœur de Néant.

    Il reçut en sa paume Pupillam, une bague en or aux tracés harmonieux bien qu'épurés où était gravée une double pupille. Les mires bleutées de l'oracle se portèrent sur le regard de Belethar : voilà qui expliquait cette caractéristique étrange dont était doté ses yeux. Cela était une marque de famille, un héritage. Tout comme l'objet dans sa paume qui pulsait d'une magie certaine. Naal avait beau être d'impuissance magique, il n'en demeurait pas moins vrai que son aura inhibitrice de magie avait le dont d'en percevoir les sources. Cet objet était chargé d'histoire. Peut-être tournerait-il le regard de la Corneille vers cet objet, un jour. Mais la Corneille avait tant de choses à voir, tant à comprendre et à saisir. Il lui faudrait le temps. Il ferma doucement les yeux pour se centrer sur la bague, le temps d'un battement d'aile noire. Il n'y perçut qu'un dragon et cela lui suffit pour être ravi que Belethar retire cet objet de sa main.

    Il reprit d'une voix calme : « Vous faites fausse route, mon frère : j'ai pardonné aux Déesses. Et je les ai accepté dans mon cœur. J'ignore comment je pourrais ne pas croire en elles, alors que je les ai vues de mes propres yeux. Destructrices, certes. Mais aussi créatrices. Elles ont murmuré aux vôtres bien des odes à leur Aîné. Je suis l'Oracle de Néant mais pourrais-je seulement être encore assez clairvoyant si j'occultais, dans la récitation de mes prières, tout ce que mes yeux ont vu ? Ou ne serai-je qu'un menteur ? J'ai écrit, jadis, les credo et les oraisons à la gloire de l'Unique. Mais notre monde a été bouleversé, et je dois aux fidèles la vérité. Une vérité par laquelle huit mortels furent élevés pour incarner la volonté du Commencement. Du Nouveau Commencement. Celui où l'échec des premières créations chimériques fut remplacé pour une seconde chance et un Contrat Originel. La table rase du Néant qui donne vie au Temps. Aux sept. L'avant pour les Chimères. L'après pour notre monde. L'échec de l'après est venu rompre cette délimitation temporelle, déversant les Chimères dans notre vie pour revenir au Néant mais... Il semblerait que nous ayons survécu. »

    Il eut enfin, un sourire en coin. Il n'y avait pas cru lui-même. Le contrat originel que lui avait énoncé Néant n'avait pas semblé mentionner une échappatoire. Il avait été fataliste mais la victoire avait frappé. Pour combien de temps ? « Votre histoire d'Ambarhùnien a prouvé que vous courriez à votre perte sans la magie. Mais mon histoire d'Almaréen a prouvé que nous pouvions aussi vivre des millénaires sans magie. Du moins, sans la magie telle que vous la concevez. Celle qui provient des dragons. Elle n'est toutefois pas la seule source de magie qui soit. Les Esprits-liés et le puits du Baoli ont maintenu cet archipel sans défaillance bien avant l'arrivée des dragons. » Il retira Odrikatas de son poignet pour, à son tour, accorder sa confiance à Belethar : il plaça le komboloï  millénaire au creux de sa paume. « La foi en est une autre. » Il tendit un index pour le mettre en contact avec l'une des perles d'ambre. Sa croyance inébranlable était convertie en magie, pulsant à travers le bijou en vibrations chaleureuses. « Je suis en train de réécrire nos textes sacrés. J'y inclus que ce nous ignorions, afin de rendre nos prières plus justes, notre croyance plus équitable et nos lois plus légitimes. »

    Il porta son regard, à nouveau, sur le tatouage de Belethar, mangeant silencieusement et pensivement jusqu'à proposer : « Si vous ne croyez pas en Néant, je peux peut-être vous le retirer. Ainsi n'évoquera-t-il plus de mauvais souvenirs à vos yeux... Et vous aidera à regarder tout ceci sous un autre angle. Le voulez-vous ? » Il tendit une main vers lui.

descriptionA l'orée de la foi [Belethar & Naal] EmptyRe: A l'orée de la foi [Belethar & Naal]

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Belethar écouta patiemment la réponse de l’Oracle de l’Unique, essayant de comprendre son point de vue sur les choses divines. Lui-même avait ses propres idées préconçues sur la question, et avait été le fruit d’une éducation n’ayant connue que les déesses. Même si la parole de Naal était évidemment orientée autour du Dieu à laquelle il avait consacré toute sa vie, au moins l’Enwr ne pouvait pas dire qu’il ne faisait pas d’efforts pour prendre en compte les récits Ambarhùniens. En l’occurrence, c’était tout à son honneur, et l’Espérancieux respectait cela.

Comme il l’avait montré à Naal, si Belethar ne s’était jamais véritablement complètement dévoué à la chose divine comme l’Oracle avait pu le faire avec Néant, le sujet l’avait toujours intéressé, aussi fut-il très intéressé d’échanger avec cet homme. Au fur et à mesure que la discussion se poursuivait, l’Espérancieux trouvait que Naal disposait lui-même d’un grand savoir, qui sans doute pourrait être utile pour répondre à ses propres questions sur l’ordre des choses.

Il prêta une attention particulière à la phrase prononcée par l’élu de Néant une fois le komboloï entre ses doigts :

« Je suis en train de réécrire nos textes sacrés. J'y inclus que ce nous ignorions, afin de rendre nos prières plus justes, notre croyance plus équitable et nos lois plus légitimes. »

Belethar se prit au jeu et s’amusa un instant à passer le bracelet entre ses doigts pour agiter un peu celui-ci : il n’en avait jamais vu auparavant, mais il trouvait cela intuitif, les gestes venaient tout seul, et l’on avait envie que la chaleur magique qui s’en dégage ne quitte pas de suite le corps. L’Enwr resta bien quelques instants comme cela, avant d’interroger le prophète :

« Pensez-vous qu’il existe encore nombre de choses que nous ignorons ? »

Une question rhétorique pour introduire son propos. Belethar agita encore un peu le bracelet, avant de développer sa pensée :

« Ses dernières années, Ambarhùna a connu de nombreux troubles : votre invasion d’abord, l’installation du Tyran Blanc ensuite, puis les Chimères. Puis nous sommes venus en Tiamaranta, où nous avons ici une terre emplie de mystères, il n’y a qu’à voir ce qui se passe dernièrement sur Calastin, et la race des karapts que nous avons appris à connaître ici. Aujourd’hui, votre dieu et les déesses sont mortes … »

Belethar soupira, et arrêta momentanément le bracelet, avant de finir :

« Et j’ai l’impression que nous avons vécu tout cela sans que jamais rien ne nous soit expliqué, ce sont des faits qui nous sont en quelque sorte « tombés dessus », alors qu’auparavant ils n’étaient pour la plupart que des histoires qu’on racontait aux enfants pour leur faire peur. »

Il plongea ses quatre pupilles dans le regard de Naal, tout en continuant de passer son bracelet autour de son bras avec précaution, faisant bien attention de ne pas le casser :

« Ma conviction est que ce monde est empli de secrets, et que cela fait bien longtemps que l’on nous cache des choses, Prophète. Or, j’aimerai connaître ces choses pour apprendre, les partager, et potentiellement faire Progresser nos races. »

Belethar soupira une nouvelle fois. La Connaissance au service du Progrès, voilà un crédo qui lui était bien singulier, et que si tout était théorisé dans sa tête, il n’avait encore jamais eu l’occasion de le mettre véritablement en œuvre. Il termina finalement :

« Je fais partie de ceux qui pensent que nous ne sommes pas arrivés sur Tiamaranta par hasard. Intention des divins, ou d’autres choses, nous devons absolument profiter de ces moments pour découvrir toutes ces choses que l’on nous cache, Prophète. »

Ne s’étant pas aperçu que le bracelet était longtemps resté avec lui, Belethar le retira un peu gêné, et le remis dans la paume de Naal. Il répondit finalement à son ultime question :

« Si vous pouvez faire quelque chose pour enlever ce tatouage, alors je vous confie volontiers cette tâche. Voilà trop longtemps que celui-ci me rappelle les périodes qui ont troublé ma famille ainsi que notre monde, et si je ne les oublie naturellement pas, j’aimerai me les rappeler un peu moins souvent. J'imagine que vous le comprenez, Prophète. »

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    Un sourire en coin arqua les lèvres brunes du fanatique alors qu’il écouter Belethar se poser tant de questions et exposer ses croyances. Il appréciait cet esprit qui désirait se tourner vers les mythes pour en percer leurs secrets. Il reprit le komboloï qu’on lui tendait : « Vous avez l’air d’apprécier ce qui produit une musicalité de percussions. Je ne puis vous offrir celui-ci, de komboloï, car il m’est précieux. Il est probablement aussi vieux que moi… Mais si vous aimez entendre les perles qui claques les unes contre les autres, je vous en offrirai volontiers un. » confia-t-il avant de se tourner complétement face à lui et de lui tendre les deux mains pour prendre les siennes.

    Il passait ses pouces, lentement, sur le dos de ses dextres, caressant le tatouage honni qui se trouvait sur sa peau. « Pour ce qui est du reste, je dirais que la mort des déesses vous est tombée dessus parce que vous ne vous y êtes pas intéressés. On ignore souvent ce qui pousse telle ou telle personne à avoir tel ou tel comportement, si on ne cherche pas à connaître ces personnes. Si on ne cherche pas ce qui les motive, ce qu’ils craignent, leurs engagements et leurs contraintes. Mais les Ambarhùniens se sont désintéressés de la mort de leurs protectrices, ils ne se sont pas assez rapprochés d’elles, du moins… Pour la majorité d’entre eux. » Il ferma ses paupières pour se concentrer sur ce qu’il faisait.

    « Moi, je sais pourquoi Néant est mort. Je sais ce qui l’y poussait, je sais ce qu’il avait traversé. Je sais comment il est mort puisque… » Il ‘avait tué ? Néant lui avait confié l’épée déicide à cette fin tragique : « Puisque j’étais là et que je me souviens encore de son dernier souffle et ce qu’il emportait, comme soulagement de son être mutilé. » Ses doigts tremblèrent un instant, alors que le silence retombait et qu’il se concentrait sur son action. Il cherchait la puissance de sa foi, il cherchait les vibrations de celle de Belethar pour les soumettre au jugement d’une balance venue pour les comparer. Si elles étaient identiques, ou semblables, le tatouage grandissait. Dans le cas contraire, il se résorbait.

    Il ne lui sembla pas entendre de notes discordantes, du moins, l’harmonie était étrangement là. Il sentait ses croyances qui, bien que moindrement fanatiques que Naal, relevait d’une détermination certaine. L’Oracle ouvrit les yeux et les écarquilla lorsque la réalité vint, à sa vue, confirmer ce qu’il avait pressenti.

    « Oh. »

    Il n’avait pas trouvé mieux lorsqu’il constata que les arabesques noires avaient pris tant d’ampleur qu’elles s’agrippaient jusqu’au cou de l’apprenti baptistrel. Il retira ses mains, des siennes, comme si cela pouvait annuler ce qui venait de se produire mais… L’encre était indélébile. « J’aurais… J’aurais peut-être dû vous prévenir que je pouvais effacer votre tatouage à la condition sine qua non que vous ne croyiez vraiment pas en Néant. » Et le vraiment était d’une importance capitale dans la question.

    Le millénaire attrapa la louche dans la marmite et l’essaya dans un torchon pour en orienter le côté concave de la courbure vers Belethar. Le miroir était improvisé, mais il serait suffisant. Est-ce que l’humain allait hurler ? Était-ce Kehlvehan qu'il venait d'entendre s'étouffer de rire en mangeant son repas et en observant la scène cocasse ?

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« Vous avez l’air d’apprécier ce qui produit une musicalité de percussions. Je ne puis vous offrir celui-ci, de komboloï, car il m’est précieux. Il est probablement aussi vieux que moi… Mais si vous aimez entendre les perles qui claques les unes contre les autres, je vous en offrirai volontiers un. »

Belethar eut un sourire amusé, alors qu’un sentiment de déjà vu traversa son esprit : Naal n’était pas le premier à voir que le Pater Familias appréciait les percussions. En vérité, c’était là une passion qu’il avait gardé depuis son enfance. Il ne pu s’empêcher cependant de faire une petite boutade :

“Nombre de personnes diraient que c’est un comble pour un apprenti baptistrel, d’apprécier de taper sur des choses”

L’Espérancieux partit dans un petit rire amical, avant de reprendre son sérieux pour un instant :

“Mais en effet, vous n’êtes pas le premier à remarquer cela venant de moi. Les percussions, et ce qu’elles propagent ont toujours eut une place particulière avec moi, que ce soit des innocents tapotements de l’enfance, à des danses et musiques plus travaillées désormais que je les étudie à plein temps…”

Il eut un sourire, et plongea à nouveau son regard dans celui du haut-prêtre, avant de reprendre :

“Ça ne tient peut être qu’à moi, mais au-delà des chants et la musique que propagent mes collègues pour communiquer avec les éléments, je pense que les Ondes ont aussi une importance à ne pas négliger. La résonance, la sonorité des choses, les mouvements et les battements qui sont associés pour former le rythme de notre système … Ce sont des choses qu’on ne soupçonnerait pas, qui sont silencieuses, et pourtant qui régissent notre monde … Et pourtant, si au-delà d’être invisibles à l’oeil nu elles venaient à disparaître, c’est assurément tout notre monde qui pourrait en pâtir. Elles ont un rôle tout aussi important que le reste, dans la musicalité et l’ordonnancement de notre monde.”

Belethar eut un petit soupir, avant de baisser les yeux :

“Mais j’imagine que je ne vous apprends rien. Prendre en compte l’invisible, louer des choses immuables et pourtant souvent ignorer de nos semblables, cela doit en partie vous parler en tant que Prophète du Néant.”

Pour ce qui est du reste, Belethar se contenta d’écouter attentivement les explications de l’ancien roi d’Almara. L’Espérancieux avait beau rentrer dans un âge où il se considérait comme “sachant” plutôt “qu’apprenant”, ce rapport avait tendance à s’inverser en fonction d’avec qu’il parlait. C’était particulièrement visible avec des personnes comme Naal.

Belethar avait beau jouir d’une famille assez réputée qui avait eu sa place dans ce monde, il ne pouvait décemment pas “rivaliser”, ou tout du moins prétendre pouvoir apprendre quelque chose de profond à une personne de plus de deux mille ans qui avait eu l’occasion de côtoyer ceux qui étaient là à la création pure et simple du monde.

Au contraire, plutôt qu’être présomptueux, l’Espérancieux se considérait chanceux de pouvoir discuter avec lui et de bien s’entendre avec lui. Car ils n’avaient beau ne pas avoir la même vision des choses, et notamment au sujet des dragons ou encore du rôle des déesses en ce monde, pouvoir dialoguer avec deux mille ans d’histoire était une chance inestimable, au point que cela fascinait légèrement Belethar. Il voyait dans cet échange de points de vues un vrai facteur de Progrès, si ces discussions étaient propagées.

Ainsi, il se laissa doucement prendre le bras, ferma les yeux et eut un petit frisson qui lui parcourait le bras, remontant jusqu’au haut du cou quand Naal dû faire son office. Etait-ce bon ?

Allait-il être débarrassé à tout jamais de cette marque qui avait hanté son existence jusqu’à lors ?

L’Enwr rouvrit les yeux au petit “Oh” que Naal poussa. Il avait senti de la stupeur dans cette intonation de voix, sans pour autant comprendre pourquoi. Belethar sentit la pression des mains de Naal se relâcher de son bras, et l’Espérancieux baissa lentement son regard …

Pour constater que de très grandes arabesques noires avaient épousées tout son bras, pour finalement venir se déposer sur tout son cou … Belethar ouvrit la bouche progressivement, l’air plus qu’étonné.

« J’aurais… J’aurais peut-être dû vous prévenir que je pouvais effacer votre tatouage à la condition sine qua non que vous ne croyiez vraiment pas en Néant. »

L’Espérancieux aurait bien aimé répondre quelque chose au Prophète, mais il était sans voix, semblant contempler une situation qui mettait son âme et ses croyances à rude épreuve. Un petit sourire nerveux vint se poser sur son visage : le Destin ne s’était vraisemblablement pas moqué de lui.

L’Enwr se regarda dans le miroir de fortune improvisé par Naal. Le tatouage était beau et harmonieux. Comme s’il avait toujours été prédestiné à cela, Belethar réalisait progressivement que les grandes arabesques noires venaient presque dessiner la partie de son corps qu’elles avaient investi sous un jour nouveau.

Le Pater Familias eut un long soupir, avant de se passer les mains sur le visage, peinant à trouver les mots.

“Je n’ai jamais porté aucune croyance en Néant, et pourtant … Ceci arrive, et j’ai le sentiment profond que cela me sied bien.”

Belethar alla s’asseoir, ayant besoin d’un instant pour réfléchir. Il eut un regard vers Naal, à la recherche de ce qu’il devait comprendre :

“Si c’est ce que les Dées.. Les Huit, ont décidé pour le reste de mon existence, alors j’assumerai cette place … Après tout, je ne peux nier l’évidence qui se développe face à moi. Mais alors, pourquoi moi ? Pourquoi pas Maître Kehlvehan, avec qui vous êtes bien plus proche et ce depuis le début ? Ou pourquoi pas de tout simplement plus adapté que … Moi, qui ait toujours reproché tant de choses à votre Dieu ?”

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    Sa façon de parler des percussions était si passionnée qu’elle en devenait intéressante. Ça n’était pas le hasard si cela lui plaisait. Les baptistrels, même apprentis, avaient ce don de recherche de l’harmonie. Ils réceptionnaient la musicalité et s’en gorgeaient. Il eut un sourire à la plaisanterie, car c’était en effet un comble de la part d’une personne qui était censé ne désirer aucun mal à personne que d’aimer frapper sur des choses, mais dans le cas de Belethar, ce n’était pas pour faire du mal. « J’apprends de vous, cela n’est pas rien. Ce n’est pas parce que j’ai 2000 ans que je n’ai plus rien à apprendre. Il y a quelques années encore, j’ignorais ce qu’était un elfe ou un vampire, alors que les vôtres les connaissaient depuis bien longtemps. Ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres. » Cela n’enlevait pas la vérité que Belethar venait de prononcer : il avait effectivement l’habitude de parler de ces choses métaphysiques que l’humanité si jeune peinait à voir d’elle-même.

    Il ferma les yeux, pour se concentrer sur sa propre foi et la faire entre en résonnance avec celle de Belethar, si cherchant les similitudes et les différences. C’était amusant, comme ces ondes se répercutaient, de la manière dont le Pater Familias l’avait énoncée un peu plus tôt. La découverte fut impressionnante et il laissa l’humain réaliser par lui-même ce qui venait de se passer, priant pour qu’il ne se mette pas en colère contre lui. Mais ce ne fut la cas. L’homme face à lui était perdu mais plein d’acceptation. Quant à savoir pourquoi lui : « Vous comparer aux autres n’a pas de sens. Kehlvehan est aussi appelé par le Néant, mais il n’a pas la sensation d’avoir assez appris sur le Néant pour que je le baptise. Votre situation est toute autre, vous avez été baptisé de force et comme tout ce qui peut nous être imposé, nous avons parfois le sentiment que ça n’est pas nous… C’est assez juste, dans la mesure où on ne l’a pas choix et où cela a été fait contre notre gré. »

    Il se mordit la lèvre avant de construire : « Parfois, ce n’est pas parce que nous ne choisissons pas que cela ne nous correspond pas, malgré la douleur et les souvenirs houleux qu’on peut en avoir. Vous rejetez le Néant pour ce qu’il a infligé à Ambarhùna, mais son cœur n’était plus sien. C’est le Tyran qui agissait en son nom et avec sa magie. Néant était tout autre. Il était la création, les émotions, l’inventivité. Tout ce qui nait à partir de rien, tout ce qui n’est pas palpable, en dehors de la vie et de la mort, vient du Vide. Je peux vous apprendre, si vous le souhaitez. » Il partagea longuement à Belethar les mœurs du culte voué à Néant, la façon dont il l’avait ressenti et par la Baleine, il lui transmis même le souvenir de siècles que l’almaréen avait passé absorbé dans le Néant, en attente d’une renaissance.

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