Les doigts gantés de Victoria effleurèrent pour la énième fois les courbes et boucles si élégamment couchées sur la lettre, ne s’arrêtant qu’au relief du sceau d’Emerloch. Malgré la richesse du papier, de trop nombreuses manipulations commençaient à en corner les bords, jaunissant et cassant les fibres épaisses. Son contenu, écris avec ce qui ressemblaient à quelques tremblements dans la main de son auteur, n’arrêtait pas d’alarmer chaque fois davantage la reine de Sélénia. Ses yeux couraient alors inlassablement d’un bord à l’autre des lignes d’encre et si elle connaissait à ce jour chaque détails, chaque points et virgules, il lui était pourtant impossible de s’en détacher plus de quelques heures. La menace qui affleurait sous les mots de Balthazar jetait sur ses fines épaules une froide appréhension. Une crainte qui ne faisait que croître à mesure qu’ils approchaient de la frontière. Ses nuits s’entrecoupaient de cauchemars, ses journées se résumaient à une longue et morne attente au confort de sa calèche. Hors, le paysage de Selenia bien qu’à sa sortie timide d’un hiver, n’avait fais qu’amenuiser son peuple et ses terres, ce qui n’aidait certainement pas à calmer la jeune femme. Quitter la capitale en cette période charnière ne lui inspirait aucun plaisir, surtout en de si sombres auspices. D’ailleurs, les rideaux étaient tirés et la pénombre complète dans l’habitacle comme à l’image de ses humeurs.
« -
Fermer les portes… l’horreur… propagation. Malédiction ? Je ne comprends pas. Comment en sont-ils arrivés là ? Qu’aurait provoqué la Loge entre ces murs à présent clos ? »
Les mots échappèrent à sa volonté et résonnèrent contre les boiseries et les dorures. Seule dans la calèche, elle pouvait librement laisser le masque tomber. Sans filtres, elle pencha la tête de côté et poussa un long soupir. Avec ses délicats sourcils froncés en un masque d’inquiète réflexion, ses yeux ne lâchaient pas la convocation et elle sentait le nœud au creux de son estomac se resserrer alors qu’elle lisait encore les passages hâtifs, paniqués même, du vieil Archonte. Si Balthazar avait toujours eut une nette tendance à l’exagération, s’il aimait sortir tout un orchestre philharmonique dès qu’il désirait obtenir une faveur de sa part, elle ne pouvait ignorer cette fois l’urgence ni même la peur qui transpiraient de son appel à l’aide. Un autre soupir quitta ses lèvres à présent tordues d’un rictus aigre et elle replia la missive pour la glisser ensuite à l’intérieur de son plastron, le geste agacé trahissant l’agitation de son esprit. Une part d’elle souhaitait que tout cela ne soit que les délires d’un homme à la fin de sa vie, pris de panique tandis qu’il contemplait sa vie et ses actes, pris alors d’effroi et de regrets. A combien s’élevaient le nombre de ses trahisons ? De ses changements de convictions ? De cœurs ?! Mais une autre part d’elle, bien plus pragmatique, savait que ce ne serait pas aussi simple. Il semblerait que ce ne le soit jamais en ce monde.
« -
Arrêtez le convois ! »
La voix claire et fine de la reine cingla tout le long de la ligne de marche. Elle avait soudainement l’impression d’étouffer et venait de sortir la tête pour héler le cocher, mais aussi la dizaine de Lames Écarlates et leur Commandant, ainsi qu’une escorte de soldats pris dans l’armée régulière. Les chevaux piaffèrent et les sabots piétinèrent, puis les roues crissèrent dans le gravier de la route principale. Victoria n’attendit même pas qu’un de ses soldats vienne lui ouvrir la porte qu’elle sautait déjà au bas de la calèche. Ses bottes s’enfoncèrent dans une boue humide, le bas de sa cape-armure s’imprégna de l’humidité, mais elle n’en avait cure alors qu’elle approchait de son Commandant d’un pas vif et impatient. L’homme était un vétéran, chef d’une longue lignée qui servait et protégeait les Kohan d’aussi loin que remontaient les mémoires. Elle lui vouait une confiance aveugle et pouvait, à ses côtés, ne pas craindre de jugement si elle sortait quelque peu du carcan attendu par la Cour. Elle demanda donc à obtenir son cheval et sauta en selle dès que Roseline lui fut présentée. Serrant les flancs de l’animal, elle vint raccourcir les rennes et remonta les mains sur l’encolure.
« -
J’ai un mauvais pressentiment. Nous devons nous hâter… Nous ne pouvons pas nous permettre d’arriver en retard.-
Bien votre Altesse. Veuillez rester au centre de la formation. Soldats !!! En avant ! »
Il suffit à Victoria de relâcher la tension de ses cuisses pour que la jument bondisse vers l’avant et ne s’élance sur la grande route. Les cavaliers suivirent aussitôt, le Commandant gagna ses côtés et d’autres se positionnèrent en avant pour l’escorter de tous côtés. Le vent frais de la Calastin fouetta bien vite le visage de la jeune reine et chassa progressivement cette langueur, cette frustration. Cheveux d’un blond de miel et cape virevoltèrent dans son dos lorsqu’elle se hissa un instant sur les étriers pour mieux sentir cette liberté illusoire, temporaire, que la chevauchée lui offrait. Elle n’avait qu’une hâte et c’était de retrouver Tryghild, de se sentir enfin à l’abri du moindre danger, de la moindre menace. Son cœur se languissait de cette femme sans qu’elle ne saisisse pleinement la profondeur exact de ses sentiments. Ainsi, pendant l’espace de quelques heures, Victoria oublia les funestes paroles de l’Archonte et profita de son voyage, perdue dans ses pensées. Mais la réalité rattrapa sans peine le convois lancé au petit galop sur les routes champêtres de l’Alliance. Malgré un paysage à couper le souffle avec le lac d’Émeraude et les collines boisées au Sud, elle se présenta sous la silhouette imposante des murs d’Ipsë Rosea et coupa court à toute sérénité dans le cœur de la reine et de son escorte. Ralentissant petit à petit l’allure, les chevaux finirent par s’immobiliser dans l’ombre de la ville silencieuse et restèrent à une distance prudente.
Pas un bruit, pas un cri.
Même les oiseaux ne semblaient pas vouloir les gracier d’une trille ou deux. La gorge sèche, le bout des doigts glacés, Victoria levait les yeux sur les toits aux tuiles étincelantes avec une appréhension grandissante. Arrivaient-ils trop tard ? Qu’allaient-ils pouvoir discuter si toute la ville était déjà tombée sous cette… malédiction ? Il était horrifique que de confronter des portes closes, de ne voir aucun vigie sur les chemins de gardes et les tours. Le silence était plus bruyant qu’elle ne l’aurait cru ; il pressait à ses tempes, il s’infiltrait dans son esprit pour ronger son sang froid. Une malédiction ? Le retour des chimères peut-être ?! Ou bien des Perles de Néant comme jadis ? La Loge avait causé quelque chose à force de jouer avec des forces qui les dépassaient… ou bien avaient-il rapporté quelque chose de Keet-Tiamat ? Un autre artefact graärh qui causerait leur perte, lié aux Couronnes de Cendres ?! Ses mains se mirent à trembler et Roseline secoua nerveusement l’encolure en ressentant le malaise de sa cavalière. Le geste eut le mérite de tirer Victoria de sa transe glacé et alors qu’elle tournait les brides pour inciter le convois à reprendre la route, ce fut à ce moment qu’elle remarqua un mouvement. Elle ne fut d’ailleurs pas la seule alors que sa garde positionnait aussitôt les chevaux entre elle et la cité, levant pavois et lances pour tenir une position défensive.
Mais aucun ennemi ne se présenta.
Seul le corps brisé d’une femme.
L’infortunée avait tenté de fuir les hauts murs, escaladant vers une liberté utopique pour ne confronter qu’une chute mortelle. Le bruit fut horrible et rappela à la jeune reine celui des branches sèches que l’on brisait et celui d’un fruit trop mûr, humide et spongieux qui s’écrase. Son estomac manqua de se retourner et elle prit une courte et sifflante inspiration pour se contenir. Le sang quitta son visage, la laissant blême et choquée. Une femme se mourrait sous ses yeux, le corps rompu pris de soubresauts. Elle la voyait s’étouffer dans son sang, elle la voyait… paniquer, griffer le sol boueux alors qu’elle s’accrochait littéralement aux derniers lambeaux de sa vie. Et Victoria restait là, montée sur sa jument althaïenne, visage figé d’un masque sans émotions. Ses yeux voilés de larmes contenues fixait l’agonisante sans que le moindre frémissement ne la secoue. Les râles et les sanglots de la femme, déjà aveuglée par le voile d’une agonie et d’une mort proche, était la seule litanie d’Ipsë Rosea et de ses bois silencieux. Figée dans une posture altière, Victoria ne bougeait toujours pas alors que les secondes s’égrenaient douloureusement. Seul un mouvement près d’elle l’arracha à sa contemplation macabre et elle vit un des soldats poser pieds à terre dans l’intention d’apporter son assistance à la pauvre citoyenne.
« -
N’avancez pas. »
La reine de Sélénia eut beaucoup de mal à reconnaître sa propre voix. Son cœur battait à présent la chamade, comme s’il rattrapait tout le temps perdu à se compresser de terreur et du choc. Tel un tambour de guerre il se fracassait désormais avec force jusque dans la gorge gracile de la dirigeante, portant avec lui des afflux d’émotions vives et contradictoires. Tantôt compassion, tantôt chagrin. Sa gorge se nouait sur les mots qu’elle voulait prononcer à la suite de son ordre, refusant à les sortir. Ô combien elle voulait l’aider ! Les larmes mouillèrent alors ses yeux, des larmes coulèrent sur ses joues pâle, mais la tension dans sa mâchoire se resserra, durcissant davantage encore ses traits, muselant l’ordre contradictoire de lui venir en aide. Son cœur battait si fort, tantôt de terreur sourde, tantôt d’horreur viscérale à la vue de ce corps brisé, mais surtout des décisions qu’elle se devait de prendre. Les mots d’Emerloch lui revinrent, portés par le vent dans les arbres. Au bruissement des feuilles, elle cru entendre le souffle du vieillard et ses avertissements. Malédiction… Portes closes… L’horreur qui se passe en cette cité… Malédiction… Que les sept nous délivre de cette malédiction. Un frisson lui coula dans le dos et elle lança un regard désemparé sur le Commandant des Lames Écarlates. L’homme affichait une expression et un regard impénétrables. Sans un mot, il prit l’arc à la selle de son cheval, le banda d’une flèche et d’un seul tir mit fin à la souffrance de l’inconnue.
Le silence retomba. Absolu.
Victoria crispa davantage encore les mains sur les rennes de Rosaline qui secoua de nouveau l’encolure d’inconfort et de nervosité. Elle voulait tourner les talons et galoper loin de cette scène. Loin des cauchemars que ce spectacle éveillait en elle. Anciens et enfouis profondément, elle les sentait gratter. Son estomac se souleva une seconde fois.
« -
Nous... »
Sa voix manqua de se briser. La reine se tut quelques secondes et reprit après être convaincue de ne plus trahir la profondeur de son choc auprès de ses soldats :
« -
Nous ne savons pas comment la malédiction se propage. Nous ne devons prendre aucun risque. Nous ne pouvons pas nous permettre de mettre Calastin tout entier en danger pour sauver la vie... d’une seule personne. »
Les mots pesèrent sur ses épaules, ils voilèrent son cœur. Quelque chose venait de se briser en elle, une part d’innocence qu’elle ne retrouverait jamais. Un pas de plus sous le fardeau des dirigeants et de son long apprentissage. Des choix difficiles, parfois cruels et injustes l’avaient toujours attendu, mais jamais elle n’aurait cru les confronter si vite. Si crûment. Mais elle ne pouvait pas céder, pas maintenant. Peut-être lorsqu’elle se confiera à Tryghild aurait-elle le droit de pleurer toutes les larmes de son corps ? Peut-être. Essuyant pour l’heure le spectre de ses larmes, elle leva une dernière fois les yeux vers Ipsë Rosea et vint à maudire Balthazar et la Loge, les elfes et leurs secrets. Elle refusa pour ces mêmes raisons à ce que le corps soit brûlé. Et s’il ne s’agissait pas d’une malédiction, mais d’une maladie ? Et si c’était encore quelque chose d’autre ? Comme un parasite ? Elle concéda toutefois à ce qu’un spirite du lièvre n’enterre à bonne distance le corps de l’infortunée et ce, suffisamment profondément pour qu’aucun charognard ne vienne la dévorer. Elle se fit aussi la promesse de revenir lui accorder des funérailles décentes lorsqu’ils sauront quel mal sévissait derrière les murs de la ville silencieuse. Et enfin… Enfin le convois sélénien tourna les rennes et s’éloigna pour gagner Cyrène, à seulement une poignée d’heures de route.
Oh combien fut douce l’ironie lorsqu’ils entrèrent dans la petite ville de pêcheurs et réalisèrent que le paysage dépeint dans les rues boueuses ne changeait presque pas de celui qu’ils venaient de quitter. Le silence n’était pas aussi oppressant, mais l’ambiance n’en était pas pour autant plus respirable. Le peuple semblait aux aguets, si ce n’est carrément aux aboies lorsque Victoria et ses soldats croisèrent quelques rescapés d’Ipsë Rosea qui étaient prêt à mettre leur vie en danger pour éviter la garde locale… et à cela, la jeune reine cru revoir la jeune inconnue enjamber les murs pour se précipiter à sa propre mort. Toujours blême, elle tira sur sa tête les larges pans de sa cape-armure et frissonna tandis qu’ils approchaient des bâtiments alloués à sa délégation. Au passage, ils croisèrent les caladonniens et surtout les délimariens qui semblaient préférer camper à l’extérieur de Cyrène. Un instant, un fol instant même, Victoria fut tentée de sauter au bas de sa monture et de rester cachée parmi les hautes et solides silhouettes du nord et de ne plus en bouger. L’approche de son Commandant la tira de cette tentation et elle leva la tête sur le vétéran dont les yeux pâles la criblèrent d’un avertissement silencieux. La reine fronça les sourcils et lui rendit un regard polaire alors qu’elle pressait le pas de Rosaline pour reprendre la tête du convois et descendre la première une fois à destination.
Reçue avec tous les hommages dus à son rang et avec ce qu’un si petit village avait à offrir, Victoria joua le jeu et remercia ses hôtes. Elle leur offrit une épaule entière de jambon séché ainsi que deux tonneaux de légumes macérés dans du vinaigre de vin. Elle offrit aussi à Beorn Cyrène plusieurs peaux de qualité ainsi qu’une caisse de vin blanc. Une fois les salutations faites au maire et à ses plus proches alliés, la jeune reine se retira dans ses appartements pour s’offrir un bain brûlant et une nuit de sommeil. Ou plutôt une nuit hantée par les yeux injectés de sang de l’inconnue d’Ipsë Rosea, bercée par ses râles et gargouillements d’agonie. Ce fut donc une jeune femme aux traits tirés que ses aides de chambres furent chargées d’habiller et de rendre présentable. Grâce à la bénédiction du Paon, très peu de maquillage fut nécessaire pour cacher les cernes de Victoria et elle pu se concentrer sur sa tenue. Vu la situation de crise, elle décida d’enfiler son armure roséenne couplée à sa cape-armure. La tenue avait été modifiée et se composait à présent d’un pantalon d’équitation, de jambières lacées jusqu’au milieu des cuisses sveltes et aux talons plats. Le chemisier fermé d’un veston aux manches longues était ensuite serré sur les bras et les poignets par plusieurs boutons de nacre pour ne pas gêner. Le tissu chatoyant avait été brosser pour être moins voyant et s’il ne perdait rien à sa beauté saisissante, il arborait dorénavant des reflets plus sombres, riches et profonds.
Ce fut dans cette tenue élégante, bien que jugée garçonne par les mœurs de la Cour Sélénienne que Victoria se présenta à la bibliothèque. Lorsqu’elle entra dans la pièce étroite aux murs couverts de livres, ses yeux accrochèrent aussitôt la massive silhouette de Tryghild, puis tombèrent sur celle d’Eleonnora Ostiz qui faisait… et bien, qui offrait une révérence impeccable à l’Intendante de l’Océanique. La scène, vu de l’extérieur, arracha l’ombre d’un sourire à la jeune reine qui fit mine de chasser une poussière invisible de son épaule le temps de retrouver contenance. Elle fit bien, car déjà les mires de la Bourgmestre tombaient sur elle et Victoria lui rendit un regard franc au bleu profond et limpide. Sa lourde et riche chevelure était contenue en une tresse cavalière stricte, ce qui dégageait autant son visage encore pris dans l’adolescence, qu’elle ne libérait son front et la couronne qui l’en ceignait de toute obstruction. La couronne royale de Lyssa offrait aux regards sa structure pyramidale ornée d’un bouquet de fleurs naissantes composée de pierres précieuses au bleu profond, plus profond que l’océan adoré par les lyssiens. Venir à Cyrène avec un tel gage de royauté était un paris osé, peut-être allait elle même pécher d’arrogance aux yeux de certains, mais Victoria souhaitait avant tout rappeler que sous les couches et les couches de vieilles rancœurs ; ils étaient et restaient un seul et même peuple. Un rappel crucial en ces temps sombres, de doutes et de méfiances.
« -
Bourmestre Ostiz, je vous suis reconnaissante pour l’inquiétude dont vous me graciez. »
Son sourire se fit éblouissant, détendant et illuminant son jeune visage. Sa voix, parfaitement modulée, était une caresse claire et limpide aux oreilles.
« -
Ser Cyrène est un hôte remarquable. Je n’aurais pu espérer mieux en terme d’hospitalité. »
Elle détourna le regard de la femme et le planta dans celui de l’homme qui les recevait. C’était à lui qu’elle devait ces mots après tout. Le village n’était pas sous la protection de Délimar et sûrement pas sous celle de Caladon et de ses mercenaires.
« -
Vous avez encore une fois mes remerciements. Votre accueil réchauffe mon cœur en ces temps obscures. »
Enfin, ayant gardé le meilleur pour la fin, Victoria leva la tête vers l’Intendante qui avait tôt fait de la rejoindre en quelques pas. La main qui lui fut tendue trouva aussitôt en réponse la sienne et la jeune reine offrit donc une salutation ferme et volontaire dans la pression de ses doigts, comme le voulait la coutume délimarienne. Son sourire, toutefois, sembla se faner alors qu’entrait une esclave graärh. Silencieuse alors que le service du thé se poursuivait avec autant de maladresse que d’inconfort, Victoria se mordit l’intérieur d’une joue pour ne pas trahir l’inconfort que ce spectacle lui causait. Elle ravala bien sûr tout commentaire sur la chose et décida finalement d’agir comme si elle n’avait rien vu d’anormal. Elle n’était pas très familière des coutumes dans cette région et elle n’allait certainement pas causer un incident en imposant ses propres principes à ceux qui ne les lui demandaient pas. Heureusement Tryghild reprit la parole, permettant à la jeune reine de rebondir et de parler à sa suite :
« -
La joie est partagée, Tryghild. Toutefois j’aurais préféré que nos retrouvailles se passent en de meilleures occasions. »
Elle approcha de la table et s’installa à la première chaise qui se présentait à elle. L’austérité des lieux, ainsi que le manque d’organisation lui rebroussait le poil, mais elle se fit une fois de plus violence pour ne pas prendre les choses en mains et passer pour une monomaniaque compulsive. Et alors si le service à thé était dépareillé ? Si la tasse avait sa hanse tournée à gauche plutôt qu’à droite ? Si le bord d’un biscuit touchait la table et pas la nappe de son panier ? Pianotant un peu des doigts, elle se concentra plutôt sur Eleonnora et Tryghild, mais aussi Beorn s’il se décidait à les rejoindre plutôt que de bouder dans son coin à cause de la présence d’une délimarienne. Cette dernière semblait d'ailleurs plus éprouvée qu'elle ne l'aurait cru par les événements qui se déroulaient. Elle qui avait mené les armées face aux Chimères sur une armada à la férocité déjà gravée dans les mémoires... pourquoi semblait-elle si pâle ? Si fébrile ? A côté d'elle, Eleonnora semblait n'être là que de passage, presque indifférente. Non. Point de jugement hâtifs. Peut-être était-ce simplement elle-même qui était encore troublée, perturbée par l'incident de la veille. Oui, ce devait être cela. Victoria s'ébroua et prit la parole :
« -
Si vous permettez, je vais commencer. Il y a quelques jours de cela, j’ai reçu une lettre aux intonations urgentes de notre cher Archonte. Son contenu fut mortifiant et me convainquit de répondre à cette convocation bien qu’Ipsë Rosea ne soit plus sur mes terres. »
Elle sortit la lettre et la disposa au centre de la table de sorte à ce que les deux femmes puissent en lire le contenu. Bien sûr, si des passages trop intimes ou compromettant pour le Royaume et/ou Emerloch y étaient faits mention, Victoria aurait pris soin de les couvrir pour qu’ils ne soient plus lisibles. Elle s’en excusera d’ailleurs si cela lui serait reporté par les autres personnes présentes. Fines épaules crispées, elle attendit quelques minutes pour qu’elles puissent lire et digérer le contenu de la lettre.
« -
Je ne saurais vous cacher l’horreur de ce qui se passe en cette cité, si nous fermons nos portes, c’est pour vous protéger de sa propagation. Je prie pour que les sept… nous délivrent de cette malédiction. »
Victoria finit par réciter ces quelques lignes d’une voix encore blanche. Embarrassée de parler de vive voix de son "droit divin" et de cette croyance sur la réincarnation des Sept au travers sa lignée royale, soucieuse de ne pas jeter de l'huile sur le feu qui couvait encore entre les différents partis présents, elle avait volontairement censuré ce passage dans ses paroles bien qu'il soit encore lisible sur la lettre. Mains croisées sur le bord de la table, elle jeta un coup d’œil aux alentours, comme pour s’assurer que ses mots ne quitteraient pas la bibliothèque, puis poursuivit d’une voix un peu plus basse :
« -
Nous sommes venus du Nord et fûmes contraint de passer devant la ville. Le silence qui règne là-bas n’est pas naturel, soyez-en assurés. La ville n’est définitivement pas fermée pour empêcher quiconque d’entrer. Il n’y a pas de gardes sur les créneaux, il n’y a… rien. Les portes sont définitivement fermées pour empêcher quelque chose, quelqu’un… ou que sais-je de sortir. »
* * * * * *
Directives :
Chère Reine Victoria, vous avez été conviée à rejoindre Balthazar Emerloch à Cyrène pour une réunion d'urgence avec les dirigeants de Calastin. Cela n'a pas manqué de vous étonner : la position d'Ipsë Rosea au sein de l'Alliance ne saurait requérir votre pouvoir décisionnel... Cela ne laissait que deux options possibles : soit la gravité de la situation était telle que cela touchait non pas l'Alliance mais Calastin toute entière... Soit ce bon vieux Ermerloch avait fait dans les sentiments. Victoria reçoit régulièrement des lettres de l'Archonte et bien qu'il s'agisse de mots retenus, l'Impératrice n'a que trop senti la ferveur et l'admiration que cet homme avait pour sa lignée. Sa détresse palpable dans la convocation appelait-il à revoir sa bien aimée couronnée lui venir en aide ?
Il n'y a d'ailleurs bien que dans la lettre qui vous était adressé qu'il a lâché quelques mots qui pourraient vous mettre la puce à l'oreille sur ce qui se passe à Ipsë Rosea : « Je ne saurais vous cacher l'horreur de ce qui se passe en cette cité, si nous fermons nos portes, c'est pour vous protéger de sa propagation. Je prie pour que les sept incarnées en vous, vous éclairent de leur sagesse et nous délivre de cette malédiction. » Une malédiction, donc ? Comme celle qui frappa les vampires ? Se pourrait-il qu'un entité supérieure ait pu maudire la cité, créant une race nouvelle et dévastatrice ? Les couronnes de cendres seraient-elles derrière cela ? Que pense Victoria de ces nouvelles ?
L'impératrice est arrivée dans le petit village de Cyrène, situé au sud d'Ipsë Rosea, dans l'Alliance des Cités Libres, la veille. C'est un petit village d'environ 150 habitants sous influence d'Ipsë Rosea. Après la fermeture soudaine des portes de la cité des mages, Cyrène se faisait un lieu tout désigné pour accueillir, en dehors des murs de la cité close, la réunion de crise. La route depuis Sélénia est passée devant les portes fermées d'Ipsë Rosea et tout un chacun a été glacé par le silence de mort qui en émanait. Pas un bruit, pas un cri. Ce fut comme si des fantômes l'habitaient... Et si la réunion à Cyrène était un piège de ces créatures maudites ? Comment se sent Victoria en passant devant ces mur fort peu bavards ?
Ces pensées et suppositions furent néanmoins interrompues par une femme d'une vingtaine d'années, chutant du haut mur qu'elle avait escaladé pour fuir. Les os de son corps se brisent... mais elle est encore vivante. Il était suicidaire de sauter de ce mur... Mais elle l'a fait. Serait-ce que ce qui se passe dans la cités des mages soit pire encore que la mort ? Qu'a fait Victoria de cette femme ? L'a-t-elle fait soignée (et interrogée) ? Inspectée ? A-t-elle demandé qu'on abrège ses souffrances ? L'a-t-elle laissée pour morte ? (Tu peux me dire par MP ton choix afin que je te donne d'éventuelles informations complémentaires (ou pas).) Quoi qu'il en soit, la route de Victoria s'est poursuivie jusque Cyrène...
Cyrène est le nom du Seigneur Lyssien, jadis sur Amburhùna. Si la majorité des lyssiens ont suivi la réunification des peuple amorcé par Tryghild et Thelem et conclu par la cité libre de Délimar, d'autres, plus en marge, ont tout bonnement refusé l'intégration des almaréens à leur peuple, n'oubliant ni les atrocités commises par ces fanatiques, ni la destruction d'une partie Lyssa par une perle de Néant. Le petit-neveu du Seigneur Lyssien, Beorn Cyrène, s'est installé ici, près du lac d’émeraude, appelant les siens à le rejoindre et à ne pas suivre Délimar. Malheureusement... Il n'a pas été beaucoup suivi, en témoigne la petite taille du village et surtout sa dépendance à Ipsë Rosea pour assurer sa sécurité.
Traversé par le fleuve Nannao prenant sa source dans le Lac d’Émeraude à l'est, Cyrène est typiquement un village de pêcheurs, sans richesse extravagante. Les délégations ont été accueillies dans les maisonnées des habitants les plus aisées qui disposaient de quelques chambres supplémentaires. Malgré la pauvreté évidente de ce village, Victoria a eu droit à beaucoup de privilèges. Choyée dans une grande maisonnée confortable, la délégation Sélénienne a pu profiter de poissons délicieusement cuisinés. De l'encens et de la sauge étaient brûlés pour donner à l'air des valeurs purificatrices. L'élue des déesses n'a manqué de rien, excepté les dorures de la Cour et de son conforthabituel. Les autres visiteurs ont pu trouver une place à l'auberge, située sur la rue principale. Non loin, la réunion de crise se tient dans une petite bibliothèque. Le tout est très champêtre, assez boueux en cet hiver.
La dernière information notable sur Cyrène, c'est l'ambiance. Il règne une atmosphère méfiante, aux aguets. On se regarde discrètement, furtivement comme pour ne pas éveiller de soupçons. Vous n'aurez pas manqué le comportement étrange des Cyrénéens à l'égard des gardes Roseens. Rond de jambe, obéissance stricte aux ordres sont monnaie courante : ils ont peur de quelque chose. Peut-être aurez vous aussi remarqué, au détour d'un chemin, un ou plusieurs roséens qui se cachent ici et évitent les patrouilles de soldats comme la peste, n'hésitant parfois pas à mettre leur vie en danger pour ne pas croiser leur route.
C'est sur ce tableau qu'à lieu la réunion de crise, de bon matin. Les délégations ont pu se reposer la nuit précédente au sein des maisonnées du village. Ils se retrouvent dans une petite bibliothèque, appartenant au maire Beorn Cyrène qui les accueille avec respect, bien qu'un tant soit peu froidement dans le cas de Tryghild et des délimariens d'une façon plus large. La salle de réunion n'est pas bien grande, même si les murs sont couverts de livres au bon plaisir de Beorn. Une table rectangulaire est dressée avec quatre fauteuils, deux de chaque côté, face à face. Désorganisé, le thé arrive à la hâte, porté par une domestique esclave de race graärh. Aucune place ne vous est attribué : il semblerait que vous puissiez vous asseoir où vous le souhaitez.
Il s'agit d'un tour d'introduction pour placer l'état d'esprit de votre personnage et ouvrir le contact avec les autres dirigeants. Balthazar n'est pas encore là, il ne devrait pas tarder à arriver. Eleonnora ne manque pas les salutations distinguées là où Tryghild reste... Et bien Tryghild. Toutefois, elle a l'air bien pâle aujourd'hui, comme si elle cachait quelque chose. Serait-ce possible qu'elle en sache d'avantage sur cette malédiction ?