8 janvier 1764
Décembre, plus que quelques semaines et ce serait le nouvel an. 1764, quatre mois et cela ferait déjà deux ans qu’ils avaient désertés Selenia sans prévenir qui que ce soit. Ils étaient partis dans la nuit comme des voleurs et n’étaient jamais revenus. Ils avaient fermé les portes du manoir, de la forge en espérant qu’elle ne soit saisie. Autone s’embêtait de réfléchir au manoir et à l’or gaspillé que cela représentait. Maintenant qu’il n’était plus question de guerre, peut-être était-il temps de se rendre à Selenia pour s’occuper de ces histoires hypothécaires ? Peut-être, si elle partait très tôt en janvier, elle pourrait commencer une nouvelle année auprès de ses enfants et réellement pouvoir affirmer qu’elle avait réglé tout cela. Que Sélénia était derrière eux, qu’ils n’y avaient rien laissés. Bien sûr elle pourrait s’en délester en demandant à quelqu’un de vendre pour elle et de prendre une part, mais c’était s’exposer à une possible fraude. C’est ainsi qu’Autone prit la décision de faire un voyage à Selenia. Elle ne voulait pas être seule et ne pouvait pas, non plus, demander aux jumelles de l’accompagner. Si Aldaron était son ami, il était encore un jeune vampire et elle ne voulait pas lui demander d’aide. Elle voulait qu’il concentre toutes ses énergies à lui-même. Puis, elle ne savait pas comment Achroma parvenait à vivre loin d’Aldaron, la dernière fois, il avait eu si mal qu’elle ne pourrait s’imaginer lui faire revivre cela.
Le jour où elle pensait à cela, elle croisa Sorel et bien qu’ils n’étaient pas particulièrement proches, ils avaient été à Morneflamme ensemble. Autone se surprit à lui demander de l’accompagner, prétendant le besoin d’une deuxième tête – qui bien sûr valaient mieux qu’une – pour opinion financière. À ses yeux, ce manoir valait tout l’or du monde, ils l’avaient bâti de leurs mains, dans l’espoir de construire un empire familial qui vivrait longtemps. Ils avaient pensé l’architecture à l’image de la maison dans laquelle ils s’étaient mariés. Et ce manoir, cette forge, aurait dû être le symbole de leur héritage.
Mais pour un inconnu, ce n’était qu’une autre maison. Elle voulait un point de vue extérieur, pour pouvoir mieux évaluer la valeur du bâtiment, c’était vrai. Mais la vraie raison de sa demande, qui était de ne pas être seule à Selenia parce qu’elle craignait les regards, les rumeurs, ou même d’être accusée comme une criminelle, elle ne le dit pas à Sorel.
Alors elle resta avec sa famille pour la nouvelle année, puis partit au deuxième jour de janvier. Elle choisit de se déplacer en bateau, leur évitant un long et froid voyage à cheval. Autone se demanda s’il était plus sage de prendre des chambres dans une auberge ou de loger directement au manoir à leur arrivée. Après tout, les meubles essentiels étaient toujours dans la maison, ils n’avaient pas pu tout emmener. Mais tout serait en poussière, puis il n’y aurait ni servants, ni cuisiniers. Autone était bien capable de se servir seule, mais elle n’aurait pas le temps d’aller au marché chercher de la nourriture et puis prendre le temps de cuisiner. Idéalement, elle voulait rester le moins longtemps possible.
Un malaise la prit lorsqu’elle vit le port de Selenia approcher à l’horizon au matin. Autone concentra son énergie à dompter l’angoisse, chanta des chansons elfiques tout l’avant midi à voix basse. En haute ville, ils prirent deux chambres dans une auberge. Elle avait voyagé relativement légèrement, pour ne pas avoir à emmener son garde personnel ou des servants avec elle.
Ils prirent le temps de s’installer, de manger et Autone demanda un bain et changea ses vêtements. La robe qu’elle choisit était noire et confortable, mais conforme à la richesse qui se démontrait dans le quartier. La petite dame cogna à la porte de Sorel lorsqu’elle fut prête à sortir.
« Je veux aller voir le manoir une fois avant de l’évaluer, d’abord. J’aimerais y aller seule. La forge s'appelle Le marteau de l'aigle est tout près, elle se trouve à droite d’un joaillier qui s’appelle L’étoile décorée. »
Cela se sentait, dans sa voix, qu'elle avait besoin d'un moment seule à seule avec ses revenants. Il était évident qu'elle allait pleurer, elle ne voulait pas s'effondrer devant Sorel. Autone lui donna les directions, puis ajouta : « Si tu ne te souviens plus, tu pourras demander aux passants, ils sauront. Rejoignons-nous là dans une heure, d’accord? »
***
Autone resta immobile un moment devant le manoir. La neige tombait doucement, elle contempla longtemps l’architecture depuis longtemps abandonnée. Elle se souvenait du choix de chaque lucarne, de chaque décoration, des volets, des gravures sur la porte. La petite dame osa enfin avancer, posa sa main sur la porte, laissa ses doigts gantés courir le long des gravures elfiques. Un aigle entouré de roses, un rossignol peint en rouge au vol. Sa main descendit jusqu’à la serrure, travail robuste et décoré par Satie et son mari. Elle sortit son trousseau et contempla la clé, qui était aussi décorée d’un aigle. En mettant la clé dans la serrure, elle eut l’image du tatouage de Matis, qu’il avait sur la main. Les armoiries de sa maison. la petite dame ouvrit la porte et sentit son cœur se serrer en ouvrant.
Le silence était immense, comme celui d’un respect du sacré. Les pieds d’Autone avancèrent, son esprit s’effaçait. Elle était incapable de réfléchir, ou alors elle accepterait sa présence, elle accepterait le vide immense dans cette maison trop riche.
Puis elle arriva dans le hall, grand espace qui servait de salon, décoré seulement de ses huit poutres de bois. Il reproduisait exactement le hall de leur ancienne maison. À droite, l’arche sous lequel ils s’étaient mariés. Ou plutôt, sa copie. Ils l’avaient décoré de fleurs, à ce moment, maintenant, elle était engravée de ces fleurs. Puis, devant elle, la poutre contre laquelle elle s’était effondrée quand elle avait appris la mort de son mari.
De longues minutes, Autone fixa le bois, sans oser s’en approcher comme un spectre dangereux. Quand elle fut prête, elle tourna à gauche, se rendit à leur chambre. Son cœur se retourna, elle s’approcha du miroir, approcha, sans oser toucher, sa main de la brosse en argent qui était restée là, seule sur le meuble. Puis elle observa leur lit. La falkire se coucha de son côté à elle du lit. Elle toussa lorsque la poussière se souleva et rassembla les draps entre ses mains. En se retournant dans le lit, elle faisait face à la place vide. Et comme si le visage de son amour était là, elle tendit sa main tremblante et murmura un « Je t’aime. »
Esquissant un sourire mélancolique les lèvres du rossignol tremblèrent. Et les larmes enfin osèrent la submerger. La petite dame ferma les yeux et se laissa enterrer. Le silence de cette maison était rompu pour la première fois depuis presque deux ans.
Peut-être était-ce la peur d’être en retard qui la motiva à se relever? Il n’y avait plus de temps, elle devrait rejoindre son collègue à la forge. En sortant de la chambre, elle lança un dernier regard et se promit que lorsqu’elle dirait au revoir à la résidence, elle dirait aussi aurevoir à Matis.
« Te souviens tu m’avoir dit, quand je t’ai demandé si jamais j’aimerais un jour, que je saurais. Que j’allais juste savoir quand cela se montrerait à moi. J’aimerais que tu puisses venir me voir une dernière fois, Matis. Pour qu’on se chamaille une dernière fois. Pour qu’on règle tout ça. Pour que je puisse te demander à nouveau si je vais mourir sans amour. Parce que je n’ai pas…juste su quand je t’ai rencontré. Cela m’a pris du temps. J’ai eu besoin d’être libre et de te revoir et de me poser tellement de questions. Tu avais tort, on ne peut pas deviner ces choses-là. Tu avais tort et tu avais tort dans tes combats. Tu n’avais pas le droit de te battre contre eux. »
La colère, enfin. Elle l’avait cherché, elle s’était demandé comment elle pourrait bien être en colère contre lui. « Nous étions ton premier combat, as-tu oublié? Pourquoi ne m’as-tu pas écouté. Pourquoi nos derniers mois ensemble ne sont ils que des souvenirs de conflits parce que tu ne m’écoutais pas? »
Le rossignol posa la tête sur le cadre de la porte de la chambre. « Je te pardonnerai avant de partir de cette ville » murmura-t-elle. « Si tu pouvais seulement me dire que j’avais raison. »
Le rossignol soupira et retira la poussière de sa robe et de son visage. Elle sortit un mouchoir propre de sa bourse et essuya les larmes. Elle prit de l’eau de sa gourde et bût avant d’en prendre un peu pour se rafraichir le visage, atténuer sa couleur rouge. La petite dame respira un grand coup avant de rassembler tout son courage pour sortir rapidement. Elle ferma la porte à clef et se concentra sur sa respiration alors qu’elle marchait dans les rues de la haute ville, en direction de la forge.
Le choc était moins grand de se retrouver devant l’établissement, après avoir vu la maison. Peut-être était-elle plus en avance qu’elle ne le croyait? Le soleil allait bientôt se coucher, mais Autone ne se souvenait plus quelle heure il était quand elle est partie. L’imbrisée sortit à nouveau son trousseau et ouvrit la porte, qui restât entrouverte lorsqu’elle entra. Il ne restait plus beaucoup de choses, sinon les tables, il n’y avait plus d’outils, qu’une enclume solitaire. Et…tiens, ils avaient oublié une épée qui s’était glissée sous une table. La petite dame s’accroupit et récupéra la pauvre abandonnée en toussant un peu à cause de la poussière qui s’était accumulée sur la pierre. Elle se releva en continuant de tousser et secoua sa robe après avoir déposé l’épée sur l’enclume. Autone ouvrit les volets, et la porte de l’arrière-boutique. Elle se souvenait d’une époque où cet endroit était bien plus agité. Les plus riches marchands demandaient des commandes spécifiques, les nobles demandaient des travaux délicats et luxueux pour la première épée de leurs fils. Les dames venaient acheter une épée pour l’homme de leurs rêves.
La petite dame, perdue dans ses pensées, sursauta lorsque la porte s’ouvrit.
Dernière édition par Autone Falkire le Lun 13 Avr 2020 - 4:00, édité 1 fois