Mars 1763 - Sélénia

Snö ronronnait paisiblement sur les genoux de Sorel, chat massif à la fourrure douce et blanche, l’animal s’était fait une place à l’instant où l’elfe s’était installé à son bureau. Quantité de livres s’étalaient autour de lui, concernant la magie et animaux essentiellement, il en avait étudié quelques uns déjà mais s'était principalement concentré, dans un premier temps, sur un volume traitant du flux d'invocation, dans lequel il avait décidé de se spécialiser ou, tout au moins, d'en apprendre davantage afin d'y être plus performant. Il y avait découvert beaucoup d'informations et il lui tardait d'en apprendre davantage mais, pour l'heure, celui sur lequel son regard s’était arrêté n’était autre que le livre de compte de sa boutique. Rien de bien folichon, une simple vérification de routine afin de s’assurer que tout était en ordre et qu’aucun chiffre n’avait une virgule en dehors des résultats attendus.
Ces derniers temps avaient été particulièrement calme. Quelques occasions en or, ici et là, généralement rondement menées . Repérées à temps et exploitées de main de maître… des mines.

Sorel s’autorisa un petit reniflement amusé alors qu’il caressait Snö autour de ses larges oreilles, geste récompensé par ronronnement sourd qui lui tira un sourire doux.
Par acquis de conscience, il jeta un regard par la petite fenêtre qui séparait son bureau de son échoppe mais personne n’était entré. De toutes façons, si quelqu’un entrait avec l’intention de le voler, il en serait averti assez rapidement pour pouvoir être en mesure de réagir. Bien que jeune et peu impressionnant, il avait malgré tout bonne réputation même parmi les truands. Il n’était pas rare que, bien avant que Sorel n’ait eut le temps de se ruer à sa poursuite, un voleur ne se fasse attraper à la sortie de son échoppe et se voit revenir, la tête basse et l’air malheureux, pour rendre l’objet dérobé. Généralement cela se terminait avec une invitation à partager une boisson chaude et à discuter tranquillement… ce qui ne faisait que renforcer la maille étroite de ses protecteurs.

Une fois rassuré sur les chiffres des derniers jours, Sorel referma l’épais volume qu’il enferma à clé dans un des tiroirs cachés de son bureau. Il tendit la main vers l’un de ces nouveaux livres qu’il n’avait eut de cesse de chercher, désireux d’en apprendre davantage sur la faune de Nyn-Tiamat, lorsque quelques coups contre le bois résonnèrent.
Cillant, Sorel jeta un regard vers l’entrée de sa boutique pour y trouver la silhouette dégingandée de Denis.
Il n’attendait pourtant pas de livraison pour aujourd’hui.

Curieux, Sorel reposa à regret l’épais manuscrit et, attrapant Snö pour le placer sur ses épaules. Peu ravi d’avoir été dérangé, le félin se cramponna aux épaules de l’elfe, plongeant ses griffes acérées au travers de la fine tunique. En route pour la partie marchande du bâtiment, Sorel jeta un regard de travers à son compagnon à fourrure, recevant pour toute réponse un clignement des yeux paresseux. Le jeune elfe fronça les sourcils en une moue boudeuse qui s’effaça presque aussitôt lorsqu’il aperçu la mine solaire de son invité du jour.

« M’sieur Sorel, bonjour ! »  S’exclama le jeune humain. « J’ai un paquet pour vous. »

Incapable de se retenir de sourire, expression brillante et joyeuse, Sorel salua l’humain de la main.

« Bonjour Denis ! Comment vas-tu aujourd’hui ? Des nouvelles de ta soeur ? » Lança-t-il à la silhouette déjà en mouvement.

Il avait à peine entamé sa deuxième question que le garçon avait déjà disparu de l’encadrement de la porte, sans doute en quête du paquet en question. Curieux et peut-être un peu désireux de profiter du soleil et de l’air frais, Sorel s’approcha jusqu’à se tenir sur le pas de la porte.
La rue était peu passante, il était encore tôt pour la plupart des flâneurs habituels, rien d’étonnant à cette absence de foule. Cela n’en rendait le bol d’air frais que plus appréciable. L’air était un peu piquant, encore froid de la nuit à peine retirée. L’écharpe de fourrure que lui offrait Snö s’avérait plus que bienvenue.

Un peu en retrait de l’entrée de la boutique se trouvait une mule à l’allure robuste dont le dos était chargé de divers paquets, certainement la livraison du jour ou, plus certainement, de la matinée. Denis était un gamin plein d’énergie qui ne manquait pas de motivation à l’idée de délivrer son précieux chargement à qui de droit. Ancien enfant des rues, tout avait commencé lorsqu’il s’était retrouvé à délivrer des lettres contre un repas chaud, voir les visages s’éclairer lors des bonnes nouvelles avait été une révélation. Bien entendu, les mauvaises nouvelles n’étaient pas rares non plus et il les délivrait avec la même volonté mais il était clair que ces livraisons-là lui faisaient de la peine. Il débordait d’empathie.

Pour l’heure, Denis bataillait ferme avec un long paquet qui s’était apparemment prit d’affection pour l’emballage ficelé d’une autre livraison, tout en racontant à Sorel les dernières péripéties que sa grande soeur avait connues.

« Un coup de main, peut-être ? » Proposa-t-il en retenant un gloussement.

« Non M’sieur Sorel, ça va aller ! »

Après moults efforts et un grognement peu amène, Denis parvint à délivrer le long paquet et trottina jusqu’à Sorel, un sourire d’excuse étirant ses lèvres.

« Désolé, j’avais peur qu’y tombe alors je l’ai s’curisé. Un peu trop bien p’tet. »

Sorel rit, dérangeant Snö qui manifesta son mécontentement d’un miaulement plaintif et d’un coup de dents sur l’oreille pointue de l’elfe. Sorel glapit, marmonnant quelques imprécations pour le plus grand bonheur de Denis. Lequel se retenait à grande peine de rire à son tour, au dépend de son client du moment.

« Oh tu peux rire, j’rirais si j’avais pas mal à l’oreille, » Grinça-t-il avec un regard noir pour son compagnon à fourrure.

Denis éclata de rire et tendit le long paquet dont Sorel s’empara avec une petite moue.

« Bonne journée Denis ! »

« Bonne journée, M’sieur Sorel ! »

Enlaçant le long paquet sans trop y penser, Sorel observa la silhouette du jeune homme tandis qu’il dirigeait sa mule avec toute la délicatesse du monde, vers son prochain client.

Sorel ne put retenir un nouveau sourire avant de se retirer à l’intérieur de son échoppe. C’est seulement alors qu’il approchait de son bureau pour y déposer son fardeau qu’il se rappela ne pas avoir demandé si Denis avait la moindre idée de l’expéditeur.
Les bras croisés, l’elfe considéra le paquet longuement. Etait-ce une bonne idée que d’ouvrir quelque chose dont on ignorait tout ? Toujours installé confortablement sur les épaules de Sorel, Snö émit un ronronnement sourd et frotta sa tête contre l’oreille auparavant malmenée de son maître. Amusé, le Maître des Mines haussa un sourcil à l’attention de son compagnon, lequel augmenta le volume de ses ronronnements d’un niveau, arrachant à Sorel un rire bref.

Posant la main sur la surface du paquet, Sorel fit appel au sort de perception du contenu et découvrit un… bâton mais rien qui ne laissait imaginer quoique ce soit de malintentionné. Curieux, il défit l’emballage pour découvrir un long bâton aux teintes carmines d’une beauté à couper le souffle.
Sorel passa la main le long du bois, ses doigts retraçant la formidable sculpture à l’image d’un dragon rugissant, chaque détail une surprise qu’il découvrait du bout des doigts. La gueule du dragon, dessinée avec un réalisme frappant, portait notamment deux billes noires en guise des yeux, luisantes dans la luminosité froide du petit matin. L’intégralité du bâton était couvert de glyphe, sculpté d’une extrémité à l’autre dans un bois aux reflets flamboyants, veinés de rouge plus intense et de noir profond.

Il avait déjà lu quelque chose au sujet de bâton de ce type. Quelque chose qui rappelait la chaleur. Chaud. Tar. Frénétique, Sorel abandonna le bâton sur son bureau pour parcourir sa collection personnelle de volumes. Il caressa du doigt la tranche de certains d’entre eux jusqu’à trouver ce qu’il cherchait. Il l’ouvrit sur le bureau, à quelques centimètres de sa nouvelle acquisition. Il tourna les pages jusqu’à trouver ce qu’il cherchait.

« Tor’Shorot, » murmura-t-il tout bas, parcourant des yeux le texte associé.

Quatre exemplaires. C’était un bâton de mage de combat dont l’élément associé n’était autre que le feu, parfaitement adapté à ses propres compétences. Cela ne pouvait provenir que de quelqu’un qui le connaissait un minimum. Sorel n’était pas du genre à crier ses affinités sur tous les toits, il en était même un qu’il gardait dans sa manche en cas de pépin.
Fronçant les sourcils, intrigué, Sorel jeta un coup d’oeil à l’intérieur du paquet, peut-être était-il passé à côté de quelque chose. Alors qu’il fouillait, ses doigts butèrent contre une feuille de papier et il en retira un message.
Incapable de retenir un sourire à la découverte de l’expéditeur, Sorel laissa échapper un soupir. Ilhan. C’était comme si une éternité s’était écoulée depuis la dernière fois où avait eu l’occasion d’échanger avec son partenaire de l’époque.



Sorel jeta un regard au livre faisant état des caractéristiques du bâton et, incapable de se retenir une seconde de plus, s’en empara avec l’excitation d’un enfant découvrant un nouveau jouet. Impatient de tester, il était sur le point d’abattre la pointe ferrée du bâton sur le sol même de son bureau lorsque l’idée que, peut-être, ce n’était pas l’endroit approprié ne lui traverse l’esprit.

A moins qu’il ne désire réduire en cendre l’intégralité de ses précieux volumes et à peu près tout ce qui se trouvait dans la zone. Incluant son très cher Snö, lequel le fixait d’un mauvais oeil, comme sentant venir la fausse bonne idée et les conséquences associées. Reposant le bâton avec un sentiment partagé de regret et de soulagement, Sorel s’empara d’un bout de papier sur lequel il griffonna un petit message de quelques lignes à peine.
Après avoir soufflé sur l’encre afin de la faire sécher, il plia précautionneusement son billet improvisé et, le tenant entre son majeur et son index, le fit disparaître d’un claquement de doigts. D’ici une heure, à quelques minutes près, Ilhan recevrait son message.

En attendant…

Contenant à grande peine son excitation, Sorel déposa gentiment Snö dans un des coins douillets qu’il avait aménagé à l’attention du félin, s’empara du bâton et ferma promptement son échoppe.

En cherchant bien, il finirait bien par trouver l’endroit idéal pour tester Tor’Shorot en bonne et dûe forme.