La naissance d’une petite étoile

Oups ! Pardon. Quand je suis loin de tout, j’ai tendance à les convenances de côté. Je viens de déguster une délicieuse brochette de lapins grillés. Un pur régal ! C’est exactement ce dont j’avais besoin afin de me préparer pour le programme de cette après-midi. Le soleil au Zénith, la journée est radieuse. La vie grouille de partout dans les fourrés et les clairières environnantes de notre résidence temporaire. En effet, Luna attendant patiemment un enfant, nous avons quitté la tour de la loge pour un milieu respirant l’air frais et la nature. Ma Liée-Dorée se promène régulièrement dans les jardins environnants pour respirer la pureté de l’atmosphère. Quand à moi, je passe le plus claire de mon temps dehors, afin de rendre cette atmosphère plus agréable encore. Les dragons ont cette capacité de faire prospérer la vie autour d’eux, comme si nous étions le cœur de la faune et de la flore. Il y a quelque chose de poétique dans cette faculté.

Après un bon repas, je suis de nouveau plein d’entrain et je m’élance déjà vers les étendues de plaines dans l’optique d’y poursuivre mes exercices de vol quotidiens. D’ordinaire, je m’échauffe chaque musque, puis je fais plusieurs essais, souvent jusqu’au couchant. Et même si j’ai encore quelques difficultés, les conseils d’Aïasil ne me laissent aucun répit. Les appliquer devient un réflexe et je sens toujours cette sensation que j’avance. Mes progrès me semblent réguliers. Un jour viendra où je volerais comme un véritable dragon. Et lorsque ce jour arrivera, je ferai la fierté de mes ancêtres. Des mes amis et de ma famille. Celle qui a vécu tant de mésaventures en si peu de temps.

J’y repenses fréquemment… Essentiellement quand je m’entraine au vol. Les souvenirs de mes leçons avec mes congénères au cours de notre interminable traversée de l’océan. C’était l’époque où nous étions le plus unis. Nous prenions soins les uns des autres. Et c’était le cas pour tout le monde ! Et aujourd’hui ; Enetari, ma mère, Firindal… Je refuse de compter Aïasil parmi nos pertes. Elle a simplement disparue. Je suis certain qu’elle erre quelque part dans l’archipel. Et un jour, je la retrouverai. J’ai tellement hâte que vienne l’heure de nos retrouvailles…

Sur le chemin vers mon terrain d’exercice verdoyant, Je m’en vais m’enquérir de l’état de ma chère dragonnière. Cela me fait toujours rire de la voir avec ce ventre aussi fourni que si elle s’était offert un banquet rien que pour elle. Elle me voit, son appel résonne comme une mélodie de chambre :



J’accélère mes foulées, désireux de la rejoindre immédiatement. Je ne peux retenir mes babines qui se retroussent en cette esquisse maladroite du visage inspirée des bipèdes que j’affectionne beaucoup : un sourire. A l’instant ou je suis face à elle, je baisse mon long cou pour le blottir tendrement contre ses main à la peau diaphane. Je ferme les yeux, tout heureux, en émettant un grondement de satisfaction depuis le fond de mon poitrail. Un peu comme le miaulement d’un chat. Je m’avance même jusqu’à déposer mes naseaux contre la joue de Luna dont la joie ne fait qu’accentuer la mienne.

Elle me fixa droit dans les yeux et afficha son expression de quand j’ai fait une grosse bêtise d’ordre morale. Je n’aime pas quand elle me montre ce visage, j’ai l’impression qu’elle s’apprête à me reprocher quelque chose. Seulement, je sais que ce n’est point cela. En s’approchant de la base de mon cou, la jeune femme l’entoure de ses bras. Elle accroche quelque chose au niveau de ma nuque. Un présent !



Bon sang ! La Cascade éclatante ! Comment ai-je pu l’oublier ?! Je l’avais laissé de côté au début de la grossesse de ma liée afin de travailler librement mon vol. Mais j’ai fini par le perdre je ne sais où, ni quand. Mais Je suis stupéfait qu’elle ait mis la main dessus. C’est un cadeau si précieux à mes yeux :



J’en sautille de bonheur, tournant sur moi-même comme un enfant. Et je reviens alors me frotter la joue contre ma liée qui vient d’embellir ma journée.

Et puis, Luna me demanda :



Luna était vraiment la bonté et la générosité incarnée. Elle pensait toujours aux autres :



Je ne peux m’empêcher de lui exposer mon membre droit, devenu bien moins tordu que le jour de ma naissance. Ensuite, je m’empresse de répondre à sa parole :



Je me couche à terre et effleure alors le nombril de ma cavalière spirituelle, reniflant doucement l’odeur de sa fille :



Je me redresse, non sans passer une léchouille affectueuse sur le nombril de mon âme-sœur :



Dans un quart de seconde, Luna eut comme une grimace de douleur, et j’ai pu sentir un petit quelque chose au niveau du bas de mon ventre. Je me dis que cela serait comparable à une piqure de moustique chez les humains. Je me tourne brusquement vers elle, elle s’empressa de me rassurer :



Elle a beau dire, je la vois de nouveau se tordre sous le coup d’une nouvelle douleur, que l’on appel contraction. En vu de ce que je ressens, je n’ose imaginer ce que doit endurer ma fragile amie, contrainte de se tenir à mon crâne pour rester sur ses deux jambes. Elle en a le souffle coupé. Moi-même j’ai l’impression que mes poumons se sont légèrement resserrés sur eux-mêmes. Je n’ai pas besoin de l’incité à retourner à l’intérieur de la maison qu’elle en prit l’initiative :



Elle retrouve son équilibre et je la suis de près tandis que nous marchons. Tout-à-coup, nous sursautons tous deux, une impression très délicate d’humidité au niveau de mes pattes arrières. Un nouveau bond de Luna :



De l’angoisse, du stress, de l’excitation aussi. Une certaine impatience vient troubler mon propre ressenti. La peur me saisit. Ce n’est pas celle de Luna. C’est la mienne. J’accompagne Luna rapidement à l’intérieur, en poussant un rugissement destiné à appeler les baptistrels à son secours. Je passerai ensuite ma tête par la large fenêtre. Hors de question de ne pas accompagner ma chère Liée-Dorée jusqu’au bout de ce combat.

La dame vampire n’a pas besoin de se répéter. J’ouvre grand les yeux et je fixe Luna, tous les sens en alerte. Même si ce n’est que pour quelques secondes, je prends mon rôle de garde très au sérieux. Le temps que mon amie hexa-centenaire ne revienne les bras chargés d’une grande bassine d’eau.

A quoi peut-elle bien servir ? Est-ce qu’il y aura besoin de tout ce liquide pour essuyer le front de tous les participants à ce grand évènement ? Luna va-t-elle prendre un bain en même temps ?

La petite peur sourde qui résonne en moi ne parvient absolument pas à prendre le pas sur toutes mes questions. Je trépigne de voir la suite. La patience n’est malheureusement pas dans ma nature et je ne cesse de remuer la queue, de piétiner l’herbe sous mes griffes. J’observe. Durant les heures qui suivent, j’imite Luna. Faisant des tours et des tours sur moi-même comme un chat qui ramolli un parterre pour y dormir. Pourtant je trouve de courage de rester immobile de temps en temps et d’aider ma dragonnière à tenir debout, tandis qu’elle me rassure avec sa jolie voix. Elle ne cesse de se tenir le ventre. Je sens une partie de sa souffrance. C’est comme si quelque chose remuait trop fort. Une sensation d’inconfort très prononcée.

Avec ceci, la crainte de Luna remonte en pique presque toutes les heures. Elle se pose autant de questions que moi. Mais ses interrogations sont guidées par l’inquiétude. Je pousse quelques grognements affectueux pour l’encourager. Orfraie ne la lâche pas d’une semelle. Elle l’accompagne pour chaque étape de pré-procréation. Ce sont les baptistrels qui m’ont appris ce vocabulaire.

La douleur s’accentue. Elle prend plus de temps à disparaître. L’heure approche donc ? Bien que je sache la crainte de Luna, je ne peux empêcher mon esprit de s’exciter. Si je ne me disciplinais pas, je sautillerais tellement j’ai hâte que les choses sérieuses commencent. Quel dommage que je ne puisse pas parler comme les bipèdes. J’aurait tellement voulu poser toutes mes questions aux hommes et aux femmes qui courraient un peu partout pour mettre en place ce qui ressemble à un amas de serviettes et de draps propres. Ils sont trop occupé. Une seconde raison pour que mes questions restent en suspens au fond de mon gosier.

Je trouve le temps long. Terriblement long. Après déjà onze heures que ma Liée a passé à respirer, à s’allonger, à s’hydrater, à marcher puis à re-respirer, ce cycle m’en devient presque insupportable. Mais il est hors de question que je me montre grossier envers mes amies. Ce serait indigne du dragon que je suis. Alors je finis par me coucher, déposant ma tête sur la bordure de la fenêtre, sans un mot. Et j’observe de nouveau, prêtant mon crâne à ma pauvre Luna.

Je commence à sérieusement avoir envie que cela s’achève le plus vite possible.

Ce n'est pas possible… combien de temps cela va-t-il encore durer ? J'ai tant piétiner la pelouse sur laquelle je me tiens que les brins d'herbe se sont incrustés dans le sol ! Des heures sont déjà passées. Ma pauvre Luna ne cesse de souffrir, la crainte lui tenaillant l'estomac. Et moi je ne peux rien y faire. Je suis impuissant.
Quelle situation frustrante… Orfraie se voit contrainte de presque tout faire toute seule. Si un jour l'on m'avait dit que Luna se retrouverait un jour aussi proche du trépas, je ne l'aurais pas cru. J'ai beau me dire que tout se passera bien, l'impatience a raison de ma curiosité. Les questions se démultiplient dans mon crâne et cela ne fait que me rendre encore plus impatient. Je fais les cents pas, je me couche un moment, je remue les ailes et la queue pour ne pas qu'elles s'engourdissent. Et je ne compte plus le nombre de fois où j’ai poussé un bâillement un peu trop sonore.
Et puis, quand l'instant crucial se présente, je sursaute. Enfin !
…
Je regrette assez vite mes trépignassions…
Je vois les serviettes blanche se maculer de sang…
Je vois Luna serrer les mâchoires, obéir au médecin et « pousser ». Elle est en sueur, son visage est rouge, elle en a les larmes aux yeux.
Et ce qu'elle ressent… les petites douleurs passagères que je sentais dans le bas du ventre étaient quelque chose. Mais cette douleur constante… bien que je n'en ressente qu'une partie, je ne me sens pas très bien. C'est comme si on m'écrasait à cet endroit. Mais comment est-ce possible de ressentir et d'endurer de tels tourments, pour donner la vie à un être tout aussi fragile que celui qui la lui offre ?
C'est absurde !
Plus la mise bas dure, plus je me sens mal, aussi bien par le lien que je partage avec ma liée que par l'empathie que je porte à sa douleur. Je me couche, je regarde la scène, le plus calme possible.
Je me rends alors compte que malgré tout, une délicate couche de joie vient se placer au-dessus des maux, comme la cerise sur un gâteau.
Et puis, de la où je suis, je vois que quelque chose est sorti d'entre les jambes de Luna. Une tête, puis le reste, couverte de sang. Mes yeux se mettent à briller. C’est donc cela que l'on appel un bébé ? Un humain qui nait ?
Je sens un sourire me monter aux babines, me faisait esquisser une grimace un peu ridicule.
La femme qui tient maintenant la petite nouvelle dans ses bras lui donne une fessée et elle se met à pleurer. J'en sursaute presque et je souhaite avoir des explications.
… Mais pas tout de suite…
Pour l'heure, je me sens de plus en plus fatigué…
Mes paupières se ferment toute seule…
Qu'est-ce qui m'arrive ?
Non… ce n'est pas moi…
Luna…
Ma tête tombe sur le sol en bois de la maison. Je me suis endormis…